San-Antonio Du plomb dans les tripes

À mon ami, Édouard Charret,

en souvenir du grand « patacaisse ».

S.-A.

Première partie LES TORTUES

CHAPITRE PREMIER

Je demande à Gertrude :

— Connaissez-vous la recette du Führer en cocotte ?

Elle me regarde sans répondre.

— Vous ne la connaissez pas, je fais, ça se voit à votre physionomie aussi expressive qu’un dentier usagé. Bon, je vous la donne : vous prenez un führer entrelardé ; vous le videz, le flambez et le mettez dans une cocotte avec des petits oignons et un bouquet garni ; vous laissez mijoter deux ou trois heures et vous le servez à la horde de loups enragés que vous voulez empoisonner ; l’effet est presque instantané. Le plus duraille c’est de convaincre les loups de le briffer, on a beau être loup enragé, on a tout de même sa dignité, pas ?

Elle ne répond pas. Simplement elle allume une cigarette et, lorsque le côté incandescent est bien à point, elle me l’applique sur la joue.

Du coup, je n’ai plus envie de me marrer. Une délicate odeur de bidoche brûlée se répand à la ronde.

Je serre les dents pour ne pas pousser la beuglante qui s’impose.

Gertrude remet la cigarette entre ses lèvres délicates.

— À propos, dis-je, je connais aussi la recette de la petite espionne sur le gril…

Mais elle ne m’écoute plus. L’appel d’un Klaxon retentit sur la route.

— Vous autres, Français, dit-elle, vous êtes doués pour la cuisine et… le bavardage. Adieu, San-Antonio.

Elle se fait la paire en direction de la bagnole qui l’attend. Moi je reste à mon lien. Et je vous jure sur la tête de votre voisin de palier que je changerais volontiers ma place contre celle du zig qui va se faire faire l’ablation de la vésicule biliaire. Elle n’a rien d’enviable, ma place, pour le quart d’heure !

Figurez-vous que nous sommes dans un coin de l’Isère où j’étais chargé de liquider une petite espionne nazie dont les agissements commencent à faire tartir les gnaces de l’Intelligence Service. La donzelle marne en Angleterre ; cette fille-là a le don du camouflage ! Y a pas mèche de l’identifier lorsqu’elle opère chez les Britanniques. Par miracle, ceux de l’I.S. ont appris qu’elle prenait un peu de repos dans un petit patelin proche de Lyon. Comme je connais la région, le major Parkings[1] m’a délégué pour lui cloquer un peu de plomb dans la cervelle.

Je radine dans le patelin, je repère ma souris qui, du reste, ne fait rien pour se cacher, j’entre en relation avec elle, je lui joue mon grand air à la clarinette à moustache, on va se balader, au crépuscule, dans la verte nature dauphinoise, et, juste comme je m’apprête à lui offrir sa panoplie d’ectoplasme, voilà deux mecs qui sortent d’un buisson, me sautent sur le râble pendant que je suis en train de lui refiler le patin de l’adieu, me saucissonnent, m’attachent sur le plateau d’une scie à débiter-les-arbres-dans-le-sens-de-la-longueur et se trissent à leur voiture tandis que la môme Gertrude éclate de rire et m’explique qu’elle m’a identifié depuis le premier quart d’heure où j’ai amené mes cent quatre-vingts livres dans son espace vital.

Elle me dit sans ambages que des contre-espions comme bibi elle en voit tout le long des trottoirs en regardant par terre, que je serai le souvenir de sa vie qui la fera le plus rigoler. Ensuite de quoi elle va dans le hangar où se tient le moteur de la scie et met le jus.

Nous échangeons les paroles rapportées plus haut et elle s’en va.

Je ne sais pas si vous savez comment fonctionne une scie à fendre les beaux-sapins-rois-des-forêts ? L’engin dont il est présentement question, se compose d’un plateau de bois monté sur deux petits rails et qui avance insensiblement en direction d’une gigantesque lame de scie en mouvement.

D’après mes estimations personnelles, il faut quatre minutes pour que ma petite personne atteigne la scie.

C’est-à-dire que, dans huit minutes, votre ami San-A. sera coupé en deux, comme le premier ver de terre venu. Vous pourrez le voir en coupe et c’est un spectacle qui ne se présente pas tous les jours…

Cette mort-là n’est pas marrante. Vous allez me dire que la mort ne l’est jamais ; tout de même, vous ne m’empêcherez pas de penser que le sort des vignerons qui claquent dans leur cuve est plus enviable que le mien.

La nuit tombe. Le lieu est désert. Je pousse une légère beuglante, non pour vérifier la solidité de mes cordes vocales, mais pour ameuter les populations compatissantes. Les gens du bled ne peuvent pas m’entendre, et, quand bien même ma voix serait aussi puissante qu’une sirène d’alerte, ils ne remueraient pas le petit doigt pour venir voir ce qui se passe. En ces temps d’occupation, ils ont le trouillomètre au-dessous de zéro. Faut dire que, de temps en temps, les Frisés foutent le feu à un fermier, histoire de créer l’ambiance. Je n’ai donc pas plus de chance de me sortir de là que de me faire élire président des États-Unis.

Le plateau de bois continue d’avancer inexorablement. Je sens sur le sommet de mon crâne le léger courant d’air produit par le va-et-vient de la lame. Je crois bien que je n’ai encore jamais eu autant les jetons. Les types qui viennent vous raconter qu’ils n’ont pas peur sont des tocassons ; ils n’ont qu’à venir à mes côtés sur le plateau ; il y a de la place. C’est pas que je tenais à ce que ma carcasse soit empaillée, mais ça me chiffonne d’être coupé par le milieu. D’abord c’est salissant, et ensuite je n’aime pas faire philippine de cette façon. Je me contracte dans mes liens, mais les cordes dont se sont servis les copains ne sont pas en papier… Tout ce que je parviens à faire, c’est à me donner un avant-goût de ce qui m’attend en me cisaillant les poignets et les chevilles.

La situation est tellement horrible que je me dis que tout ça est un mauvais cauchemar : dans une seconde la sonnerie de mon réveille-matin viendra remettre les choses en place. C’est pas vivable un truc pareil !

Hélas, je ne dors pas ; mon histoire est tout ce qu’il y a de plus véridique. Les dents de la scie commencent à me décoiffer. Je me ratatine afin de retarder le plus longtemps possible l’entrée en matière cérébrale.

Et dire que lorsque j’étais môme, j’aimais les bûcherons !

Je me tire de côté, ce mouvement me permet de constater que la scie est actionnée par une courroie de transmission. Ladite courroie passe juste à gauche du plateau mobile. Si j’avais une main libre ce serait un jeu que de la faire glisser de sa poulie. Seulement voilà, je n’ai pas de main libre.

La scie se met à brouter mon crâne, ça me fout comme une décharge électrique. Une énorme vague rouge me submerge. Je gueule tant que ça peut. Un congrès de marchands de journaux ne ferait pas davantage de raffut ! De toutes mes forces je tire sur mes liens. Où ce qu’il est, le zigoto qui sait se déficeler ? J’en ai vu qui se faisaient attacher serré par les badauds, place Clichy, et qui sortaient de leurs liens comme la vaseline sort de son tube lorsqu’on appuie dessus. Si j’avais pu prévoir, je leur aurais demandé de m’affranchir sur leur combine.

J’ai vu aussi, dans un film à la noix, Zorro attaché sur une voie ferrée ; et le train pointait à toute pompe ; le Zorro s’en tirait tout de même ; ça n’avait rien de coton puisque ça se passait dans un film, mais pour moi c’est pas du même.

À force de me jeter de côté pour échapper à la scie, je suis parvenu à distendre un tant soit peu les cordes qui enserrent mon buste. Ma tranche pend, un peu en dehors du plateau, mais je ne perds rien pour attendre car, d’ici peu de temps, c’est ma nuque qui va déguster. « À découper en suivant le pointillé » comme disent les taulards du petit quartier[2].

J’attends, toujours braillant. « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ! » que disait la mère Barbe bleue à sa frangine qui se balançait les châssis[3] du haut de la tour. Et elle voyait radiner un cavalier, la souris. Et le cavalier, c’était le gossier de la dame qui venait prendre ses crosses. Ce que c’est bath, les contes de fées ! Y a toujours le beau zigoto qui se la radine en temps utile. Il bigorne le gros-vilain-méchant et il cramponne la belle damoche par un aileron pour la conduire à l’autel ou à l’hôtel…

V’là cette vacherie de scie qui me rejoint. Et je te gueule de plus belle, au point que du fond de l’Australie y a des sourdingues qui se demandent ce qui se passe ! Et je te tire sur tes ficelles, petit gars, en rêvant que mes cordes deviennent aussi malléables que des fils de parmesan. La lame dentelée me mord le bas du cou. En m’étranglant je parviens à dévier un poil de plus ; de cette façon, c’est le col de ma veste qui biche et ça me donne une vingtaine de secondes de répit. Puis, subito, j’ai l’impression qu’il se produit un léger relâchement dans mes liens. Je tire, ça vient de dix centimètres. Je comprends ce qui se passe : la scie a tranché l’une des cordes. Maintenant, j’ai le haut du buste libéré. De cette façon, je vais être découpé en travers au lieu de l’être en long. Ça durera moins longtemps, mais le résultat sera le même.

Je me penche le plus possible. Avec la bouche, je parviens à choper la courroie de transmission. Quelle secousse ! Je reçois l’équivalent d’un coup de sabre en travers du portrait. La tranche de cuir m’a fendu les commissures des lèvres. Je vais avoir le clapet ouvert jusqu’aux oreilles et je pourrai gober des œufs d’autruche avec leur coquille. Je me rends compte que tout ce qui peut m’arriver, si je réitère cette tentative, c’est de voir mes chailles faire la malle. Comme, d’un autre côté, la scie est en train de me mordre sérieusement le haut du dos, je me dis que je peux sans arrière-pensée risquer ma tête. Autant être décapité d’un coup que de se sentir débité en tranches.

J’y vais de mon plongeon. Et, brusquement, c’est le grand vertige, le grand frisson, le fin des fins. Il me semble que ma tête est séparée de mon buste et dévale les escaliers d’un building. Mon cervelet se balade dans mon crâne comme les boules de la loterie dans la sphère pendant le tirage. Ça craque dans ma nuque, la scie me rentre dans la viande ; je suffoque. Puis c’est, tout à coup, comme une espèce d’explosion. J’ai un goût du sang dans la bouche. Et « pluff », good night, plus rien, le néant, la nuit, le cirage… La communication est coupée !

* * *

Quand je reviens à moi, j’entends plus le zonzon du moteur. Simplement y a un rossignol qui fait ses magnes dans un buisson voisin. Il s’égosille à dire que la vie est belle et qu’il va faire voler les plumes de sa rossignolette avant longtemps.

Mes pensées se mettent à l’alignement. Je rassemble tout ce que le Bon Dieu m’a refilé comme intelligence afin d’essayer de piger où j’en suis.

Petit à petit, ça vient. Pour commencer, je constate que j’ai pu faire sauter la courroie. Le moteur a dû s’emballer, puis il s’est arrêté. Ensuite, je m’aperçois que je suis couvert de sang. Si j’avais une main libre je ferais une enquête rapide pour voir ce dont je puis disposer en fait de visage. Je crois bien que je n’ai plus de tarin, que ma bouche est fendue comme celle d’une marionnette, qu’il faudra des années-lumière avant que mes lèvres soient cicatrisées et que je suis partiellement scalpé. À part ça, tout va bien. Si je parviens à intéresser à mon cas un chirurgien esthétique, il pourra acheter un baril de choucroute (c’est ce qui se réchauffe le mieux) et s’enfermer dans la salle d’opération pendant trois ou quatre semaines.

C’est moche tout de même de ressembler à un pain de saindoux. C’est pas qu’on m’ait confondu jamais avec Tyrone Power, mais j’avais la faiblesse de tenir à mon extérieur. Enfin, mieux vaut une bouille ravaudée mais entière, qu’un coquet visage partagé par le mitan.

La nuit est belle. C’est pas le couvre-feu là-haut ! Les étoiles brillent comme dans les romans à dix ronds pour jeune vierge refoulée. Je ne puis pas bouger de mon plateau de bois. Ma seule distraction c’est de bigler la Voie lactée. Seulement une fois que j’ai repéré l’étoile Polaire, le Chariot et la Grande Ourse, je commence à trouver le passe-temps un peu casse-bonbons. Je suis pas du genre bucolique. Moi, j’aime assez parler poésie, mais à condition d’être en compagnie d’une belle môme et qu’il n’y ait pas incompatibilité d’humeur entre ma main et son corsage, vous voyez ce que je veux dire ?

Si vous ne voyez pas, c’est que vous êtes le plus bath ramassis de locdus qui se soient jamais propagés sur cette planète.

J’attends. Le rossignol continue à se prendre pour Caruso. Un petit vent de nuit fait bruire les feuillages (j’ai lu cette phrase dans un roman de Paul Bourget) et les étoiles sont à cent watts. Tout ce qu’il faut pour donner de l’urticaire à un type aussi remuant que moi.

Probable que lorsqu’on me retrouvera je serai couvert de petits champignons verts.

Soudain, il me semble entendre un craquement de brindilles cassées. C’est peut-être un gibier quelconque ?

Je prête l’oreille. Le bruit recommence. Un type débouche du bois proche. En tournant la tête, je l’aperçois sous la lune. Il est grand, vêtu en péquenot et il porte un sac sur ses épaules.

Je fais :

— Hep !

Le mec sursaute comme si on lui prenait sa température avec un tisonnier chauffé à blanc.

Il s’apprête à rebrousser chemin.

— Bon Dieu, vous barrez pas, collègue ! je supplie.

Il hésite.

— Je suis sur la scie, ajouté-je. Des salauds m’ont ligoté là-dessus après m’avoir volé…

Je préfère ne pas parler des Allemands pour l’instant, des fois que le mec serait un sympathisant ?

Il s’approche, d’une démarche hésitante. Il est maigre, rouquin, avec des yeux enfoncés et le nez en bec d’aigle.

— Détachez-moi, fais-je. Je n’en peux plus. Ah ! les vaches ! Qu’est-ce qu’ils m’ont mis dans le portrait !

Il pose son sac. Le sac se met à remuer, par terre. Le gars reviendrait de lever des collets à lapins que je n’en serais pas autrement surpris. Il sort un couteau de sa poche et tranche mes liens. Après quoi il referme son ya et me reluque d’un air niais.

Je me lève. C’est bath de retrouver la verticale. Je fais quelques mouvements d’assouplissement et je m’aperçois tout de suite que ça boume. Je me serais cru plus sonné que je ne le suis en réalité.

— Merci d’être venu, dis-je au terreux, c’est une sacrée idée que vous avez eue, vieux, d’aller à la chasse cette nuit.

Il ne bronche pas ; ce zig, je vous jure, c’est l’incompréhension personnifiée…

Le voilà qui se baisse, prend son sac et fait la malouze en direction de la route. Je lui trotte au panier.

— Eh ! Dites, Toto, vous ne connaissez pas, par hasard, un petit bled, pas trop loin d’ici, où je pourrais trouver à me loger ?

Il ne répond rien. Il est sourd-muet, probable. Y en a des flopées dans les cambrouses ; ça vient de l’hérédité, m’a affirmé un toubib de mes aminches. Les péquenots lichetrognent tellement dans ce coin de France que leurs pilons ont du picrate dans les veines en venant au monde.

Il est là, tout indécis, avec pourtant l’envie de mettre le grand développement. Mon regard tombe sur sa main gauche. Quelque chose y brille à la clarté de la lune, c’est une superbe chevalière en or. Moi ça me fait salement tiquer, je vous le dis, because les bouseux n’ont pas l’habitude de porter des bijoux.

Décidément, l’homme au sac est bizarre. Et figurez-vous que la bizarrerie m’attire comme un soutien-gorge bien garni attire la main de l’honnête homme.

Je renouche mon pote. Il baisse la tête. Sa tête d’oiseau de proie mélancolique.

Et voilà que subito j’entrave la raison pour laquelle il ne me parle pas. Il n’est pas sourd-muet, il est étranger et il ne gazouille pas un mot de français. Comme il ne tient pas à ce que cela se sache il adopte le parti le plus sage : celui de se visser la langue au palais.

— T’es Allemand ? je lui fais.

Il ne répond pas.

— Deutsch ?

Silence.

— C’est pas pour te vexer, murmuré-je, mais t’as moins de conversation qu’un sac de plâtre !

J’ajoute à tout hasard :

— English ?

Là, il a un très léger frémissement que mon œil de lynx a enregistré.

— I speak English, dis-je effrontément. And you, Toto, do you speak English ?

Il hausse doucement les épaules.

— You are English ? j’insiste.

Il me fait non, de la tête. C’est le premier résultat enregistré.

Bon, il est pas English. Il est pourtant quelque chose, ce foie de veau ! Il est pas Allemand non plus. Il est ni nègre ni Chinois, je peux m’en rendre compte. Si je veux procéder par élimination je vais en avoir pour un moment.

Soudain j’ai l’inspiration. Il est Polonais ! J’ai eu des copains polaks et chez tous j’ai remarqué ces petits plis verticaux près des lèvres.

— Polska ? You are Polak, Toto !

Je sais pas comme on bonnit le mot « Pologne » en polonais, mais le gars a compris. Il fait un petit geste de la tête qui, si l’on n’est pas trop exigeant, peut parfaitement passer pour une affirmation.

Il continue sa marche sur la route déserte. La nuit sent le foin coupé. On devine que la nature s’en tamponne qu’il y ait la guerre ou non.

Mon Polonais est discret comme une betterave. Ce mec-là, quand on veut lui arracher un mot, faut cavaler chercher les forceps.

Je le suis, c’est le cas de le dire, car je marche à un pas de lui. Il arpente la campagne à vive allure. Je voudrais le voir un peu dans Paris-Strasbourg !

Je le suis sans savoir pourquoi, sans savoir où on va, sans savoir si ça lui plaît ou non, sans même savoir si ça me plaît à moi.

Je le suis machinalement, comme un chien perdu suit un passant, comme San-Antonio suit le mystère.

C’est un réflexe.

* * *

On parcourt ainsi un petit kilomètre, sans se raconter plus de choses qu’une paire de jarretelles. La route — c’est plutôt un chemin vicinal — est bordée de hautes haies touffues. Y a toujours ces glands de grillons qui la ramènent, et d’autres rossignols qui baratinent leur bonne femme. Le chemin décrit un virage. Parvenus au milieu de la courbe, nous apercevons une bagnole noire stoppée au ras du fossé. Le Polak s’arrête et se met à humer le vent comme un clébard qui passe devant le soupirail d’un restaurant.

Il semble méfiant, inquiet.

— Ben quoi, je lui fais, t’as les jetons, Pilsudki ?

Mon pote ne semble pas se décider à poursuivre sa route. J’ai même l’impression qu’il va faire demi-tour.

Et il a salement raison de faire marche arrière, le rouquin !

Deux mecs sortent de derrière une haie et s’avancent vers nous. Ils tiennent une mitraillette à la main en guise de bouquet de bienvenue.

Du coup, le Polski se trisse à bride abattue. Ma vaste intelligence me conseille de l’imiter et nous voici dans les champs, à galoper comme des perdus.

Les zouaves à l’artillerie se lancent à nos trousses. Et je vous jure qu’ils ne laissent pas leur gâche pour ce qui est de filer le train à une paire de branques comme le Polak et mégnace. Dans quelle pommade me suis-je encore enlisé, grand Dieu ! N’importe qui, après avoir échappé aux dents féroces de la scie, aurait couru se foutre au sec ; mais non ! San-Antonio, vous comprenez, c’est le mec qui perd jamais une occase de mettre ses pinceaux dans la mouscaille.

Ç’aurait été trop simple de dire au Polak : « Merci-et-au-revoir-mon-bon-monsieur ». Il me fallait du point d’interrogation en veux-tu en voilà ! Le mystère c’est ma nourriture favorite, comme le chardon pour les ânes. Y a des fois où je me demande pourquoi j’aime pas les chardons !

Heureusement, les prés ont été récemment coupés et c’est un vrai plaisir que de galoper dans la cambrouse. Ou plutôt c’en serait un si dans cette course, je ne tenais pas le rôle du lapin.

Comprenant qu’ils ne nous rattraperont pas, nos poursuivants se mettent à tirer. Ça, c’est la moche histoire ! C’est le moment où les âmes sensibles changent de calcif !

La mitraillette, c’est exactement la catégorie de pétoire qui convient à ce genre d’exercice. Ça manque de précision mais ça fait du dégât à découvert.

Du coup, les salves nous donnent une vigueur nouvelle, au Polak et à moi. La souris de l’abbé Jouvence, c’est du sirop d’orgeat à côté de ça, pour la circulation.

Où qu’il est, Ladoumègue, qu’on l’humilie un peu !

Les coudes au corps, et je te connais bien !

Le Polonais n’a toujours pas lâché son sac. Doit avoir envie de bouffer, pour pas les abandonner, ses garennes ! Il a peut-être une gerce tubarde et douze lardons décalcifiés et il tient à leur apporter une becquetance reconstituante !

Tout à coup il pousse un grand cri. Un de ces cris qui veulent tout dire.

Il part en avant, zigzague légèrement et tombe.

Il a dégusté une série de balles et il a son compte, le frangin.

Inutile de lui porter secours. Ce serait se faire buter pour balpeau. Dans la vie, il y a des moments où c’est chacun pour soi et Dieu pour tous.

Comme je fonce de plus belle, il se redresse. J’arrive à sa hauteur, car il me précédait de quelques mètres.

Il me crie quelque chose en polonais, tout en me tendant son sac.

Machinalement je rafle l’engin et je me le catapulte sur le dos. Puis je galope de plus belle. Les balles voltigent autour de moi comme les abeilles autour d’une ruche.

Si mon ange gardien n’est pas à la hauteur, je vais être déguisé en moulin à légumes avant qu’il soit longtemps. Fort heureusement, le terrain est très accidenté. Il y a un tas de creux, de mamelons, qui font de moi une cible extrêmement mouvante.

Le bois dont j’ai fait instinctivement mon objectif est très proche. En dix bonds je l’ai atteint. Et maintenant je les ai quelque part, les fumelards, eux et leurs seringues.

Ça n’est pas la première fois que des gens armés me courent après dans un bois. Je suis une espèce de technicien de la chose, faut voir ! Personne ne peut me faire la pige lorsqu’il s’agit de faire du forcing à travers les arbres. Comment je leur sème du poivre aux aminches !

Bientôt je m’arrête pour prêter l’oreille. Pas un bruit, du moins insolite. Juste une chouette qui rouscaille quelque part et des crapauds dans l’herbe humide, qui poussent leurs petits cris bulbeux.

Mes poursuivants ont dû abandonner la chasse. Peut-être qu’ils ont eu les flubes. C’est dangereux de chercher un gnace à minuit dans les bois. Si le pèlerin en question n’est pas la moitié d’une portion de brie, il peut se planquer derrière un fourré et vous assaisonner dans le dos.

À moins d’avoir un clébard pas trop empêché du renifleur à sa disposition, il ne faut jamais espérer, à deux, arrêter un mec en pleine nuit, dans les forêts.

Ils savaient ça, les tordus, et ils ont compris…

Par mesure de sécurité, pourtant, j’allume les cierges[4] pendant un bon moment ; puis, rien ne se produisant, je cherche à m’orienter. L’orientation aussi ça me connaît. J’ai pas besoin de reluquer de quel côté pousse la mousse au pied des arbres. Avec une infinie prudence je me mets en route. Le sac du pauvre Polak me bat toujours les fesses. Il ne contient pas de lapins, c’est trop dur. Après tout, je pourrais bigler un peu l’intérieur…

Je m’avance dans une éclaircie des arbres et je dénoue la ficelle fermant la grosse poche de toile. Grâce au clair de lune on y voit comme en plein jour. Je pousse une exclamation de surprise. Le sac contient quatre tortues de dimensions moyennes.

CHAPITRE II

Je trouverais de la bonté dans le regard d’un huissier que je ne serais pas plus abasourdi.

Faut dire qu’il y a de quoi s’attraper la tirelire à deux mains ! Ça n’est pas tous les jours qu’on rencontre en pleine nuit d’occupation un Polonais ne sachant pas parler français, sur un chemin écarté. Mais lorsque ce Polak-là est attendu au détour d’un chemin par deux types armés de mitraillettes qui l’abattent comme une pipe en terre ; lorsque, avant de mourir, il vous confie le sac qu’il trimbale comme si ce sac contenait sa progéniture, et surtout, lorsqu’on découvre que ledit sac donne asile à quatre braves petites tortues, alors là, les potes, on commence à se demander de quelle couleur était le cheval blanc d’Henri IV.

Si elles étaient en or, ces tortues, je comprendrais qu’il ait risqué sa peau pour elles, le copain ; mais non, ce sont des tortues ordinaires comme on en achète aux petits enfants sages…

Je les laisse dans le sac et je recharge ce dernier sur mes épaules.

* * *

À force de marcher, je parviens à une agglomération importante. Sur une plaque bleue je lis : « Bourgoin ». Je me rappelle que ce bled est à une quarantaine de kilomètres de Lyon.

Les rues sont désertes comme la salle d’un cinéma éducateur. Pas une lumière, pas un bruit. Simplement le glouglou prostatique d’une fontaine sur une place.

Je me dis que si jamais une patrouille vient à passer ça va être chouïa. J’ai bonne mine avec ma tranche en marmelade et mon sac de tortues… Ah je vous jure ! Un impresario de music-hall qui m’apercevrait me collerait au prose jusqu’à ce que je lui aie signé un contrat d’exclusivité.

Je rase les murs comme un novice du fric-frac, sans savoir où aller. J’ai sûrement eu tort de radiner dans ce patelin, j’aurais dû rester en plein bled et ronfler contre une meule de foin. Seulement, pas vrai, on obéit plus souvent à des réflexes qu’à sa jugeote.

Ma gogne commence à me faire sérieusement souffrir. Je la sens enfler et le sang ne s’arrête pas de pisser comme d’un robinet ouvert. Pourtant je suis pas hémophile et mon raisiné est tout à fait recommandé pour les transfusions délicates. M’est avis que si je ne me fais pas désinfecter le portrait, je vais choper une de ces infections maison qui compte dans la vie d’un contre-espion.

Je ne peux aller dans un hosto, ça doit être bourré de Chleuhs. Ils ont le chic pour attraper tous les gonos en vadrouille dans un bled, les Frisés. Et puis un hosto c’est quelque chose d’administratif où on vous pose un tas de questions toutes plus indiscrètes les unes que les autres…

J’en suis à me palper le cervelet pour essayer d’accoucher d’une idée valable lorsque je tombe en arrêt devant une porte sur laquelle brille une plaque de cuivre qui a dû échapper aux services de récupération : « Docteur Martin, ex-interne des hôpitaux de Lyon ».

Je voudrais bien me faire soigner, seulement je peux fort bien tomber sur un toubib collabo, un de ces zigs qui ont les châssis en forme de croix gammée…

C’est ça qui serait tartouze ! Qu’est-ce que je lui raconterais au cloqueur de purge, s’il se mettait à être indiscret ? Le secret professionnel, c’est un truc qu’on ne respecte plus que dans La Veillée des chaumières, maintenant…

Non, décidément, c’est trop risqué. Comme je m’apprête à poursuivre ma route un bruit de bottes retentit dans le silence. Ces bruits-là sont plus éloquents que des discours électoraux.

Lorsqu’on les entend, le mieux qu’on ait à faire est de se garantir contre les éclaboussures.

Je presse le bouton de cuivre fiché à côté de la plaque. Plusieurs minutes passent. Le bruit de bottes se rapproche.

Est-ce que le toubib va se décider à ouvrir sa putain de porte ? Si jamais les zigotos de la patrouille me demandent des explications, je vais être salement empoisonné. Je ne peux pourtant pas me faire passer pour le père Noël. Non seulement je n’ai pas un poil de barbouze, mais aussi les pères Noël n’ont pas pour habitude de se baguenauder au printemps, la tronche tout ensanglantée, avec un sac de tortues sur le dos.

Une lumière éclate enfin dans la façade de la maison. Un bruit de pas, la porte s’ouvre.

Je me trouve nez à nez avec un type pas plus haut que le nombril d’un honnête homme. Il a une soixantaine d’années, un bouc gris et des yeux vagues.

— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il.

— Je voudrais voir le docteur.

— C’est moi.

— Je suis blessé…

Il s’écarte pour me laisser passer.

— Entrez !

Je ne me le fais pas dire deux fois. J’ai comme une vague idée qu’il était temps que je gare mes abattis, car la patrouille allemande débouche précisément à l’angle de la rue.

— Excusez-moi, docteur, je fais, je ne vous explique pas de quoi il retourne, ça se voit, hein ?

Sans un mot il se dirige vers une porte, à droite, la pousse, donne la lumière et s’efface pour me laisser entrer.

C’est son cabinet. Une pièce vieillotte qui renifle l’éther et le bois moisi.

— Asseyez-vous ! ordonne le petit toubib.

Je dépose mes tortues et je prends place sur un tabouret métallique.

Le voilà qui passe une blouse blanche par-dessus son pyjama et qui se met à examiner ma blessure en faisant la grimace.

— Vous vous êtes engueulé avec des Indiens, murmure-t-il. C’est la première fois que je vois un type à moitié scalpé.

— C’est un accident, expliqué-je. Je suis tombé, tête première dans une courroie de transmission…

Son visage est plus neutre que la Suisse. Il désinfecte mes plaies, me pose deux ou trois agrafes et me fait un pansement tout ce qu’il y a de tsoin-tsoin.

— Je vous dois combien, docteur ?

— Cent francs, fait-il.

Je glisse la main à l’endroit où j’ai l’habitude de remiser mon larfouillet et je sens une partie intime de mon individu se ratatiner. Il n’y est plus. Les copains de la môme Gertrude me l’ont secoué. Je me sens moite. Qu’est-ce que je vais pouvoir inventer pour lui montrer la couleur[5], au vieux toubib ?

— Je… J’ai… C’est ridicule, docteur, je balbutie, mais j’ai oublié de prendre mon portefeuille. Dans ces cas-là, vous comprenez ?

— Aucune importance, fait-il négligemment.

— Je viendrai vous régler ça demain.

— Je ne suis pas épicier, dit-il en m’accompagnant jusqu’à la porte.

Il me serre la pogne et je me mets en route. Je ne sais toujours pas où aller. Je danse, d’un pied sur l’autre, humant l’air frais de la nuit.

Une voix me hèle :

— Hep !

Je me retourne, c’est le petit docteur.

— Vous avez un ausweis ? questionne-t-il.

— Non.

— Si vous rencontrez une patrouille…

— Je sais…

Il tire sur son petit bouc.

— Venez, fait-il.

Pour la seconde fois, je franchis son seuil.

— Les temps sont malsains, vous n’êtes pas de Bourgoin ?

— En effet.

— En effet, les temps sont malsains ou en effet vous n’êtes pas de Bourgoin ? demande-t-il.

Ses yeux vagues s’animent, il paraît intéressé.

— Les deux, doc, les deux…

— Vous travaillez de nuit ?

— Comment ça ?

— Dame, puisque vous avez eu un accident du travail en pleine nuit…

Il me désigne mon sac.

— Que charriez-vous, là-dedans ? Vous allez me trouver bien curieux, alors, en ce cas, ne répondez pas.

Je secoue mon sac.

Si je lui dis qu’il contient des tortues, il me prendra pour un cinglé. Il n’y a qu’un type cinglé en effet pour se promener avec un tel chargement dans de semblables conditions.

— Oh, quelques vieilles paires de chaussures que j’amenais en ville pour les faire ressemeler en bois.

— Et elles pissent, vos chaussures ?

— Pardon ?

— Je vous demande si vos chaussures urinent, elles ont pissé dans mon cabinet.

Je regarde le toubib.

— Allez-y, déballez le fond de votre pensée…

— On serait peut-être mieux dans mon salon, avec un verre de quelque chose à la main, non ?

— On serait bigrement mieux, conviens-je.

Il tire d’un placard mural une bouteille culottée dans laquelle on a mis à macérer des plantes.

— C’est un truc contre les refroidissements ? m’informé-je.

— Si on veut, dit-il. C’est de la verveine dans du marc.

— J’en suis.

Il emplit deux verres, m’en tend un. Avant que j’aie eu le temps de porter le mien à mes lèvres il a fait cul-sec avec le sien.

— Compliments, dis-je. C’est à la faculté qu’on vous apprend ces petits tours de société ?

Il sourit.

— Mettons que ce soit un don. Je suis un vieil ivrogne, vous savez. Tout le monde, ici, est au courant. Je suis le dernier toubib à qui on fait appel en pleine nuit, car on sait que je suis schlass. Ma clientèle vient entre huit heures et midi, après il est trop tard. Si je n’étais pas bon médecin, il y a belle lurette que je n’aurais plus personne.

— Chagrin d’amour, comme dans les romans, doc ?

— Juste comme dans les romans, oui.

Il me plaît, ce petit vieux. De le savoir poivrot, ça me met en confiance ; en général les saoulots sont de braves types.

— Vous buvez pour oublier ?

Il se sert un second verre auquel il fait faire le même voyage qu’au premier.

— Mais non, je bois pour me souvenir. Personne ne boit pour oublier. Ce qu’on demande à l’alcool, c’est de vous faire souvenir ; mais de vous faire souvenir gentiment, en Technicolor, quoi, vous voyez ce que je veux dire ?

— Je vois très bien. Alors, pour en revenir à ma question ?

Il s’assied.

— Ah oui… Pour en revenir à vous et à vos chaussures qui font pipi… Pas malin, vous savez. Voulez-vous que nous jouions aux devinettes ?

— Allez-y.

— Vous n’êtes pas de la région. Si mon oreille est fidèle, vous êtes de Bercy ou des environs. Si ma connaissance des visages l’est aussi, vous êtes un homme d’action. Si mes yeux ne m’abusent pas, ce sont des balles qui ont fait ces trous aux pans de votre veste. Si mon sens de la psychologie n’est pas trop déficient, vous ne tenez pas du tout à rencontrer des vert-de-gris et, de plus, vous ne savez pas où aller. Ça vaut combien, sur dix, tout ça ?

— Pas loin de dix, fais-je en riant.

Je n’hésite plus. Le vieux petit barbichu est un type de première ; moi aussi, j’en connais un brin sur la question des bonshommes.

— Ouvrez grandes vos manettes, doc, je vais vous rancarder. Car je pense qu’on peut avoir confiance en vous !

Et je lui déballe toute l’histoire, depuis A jusqu’à Z en passant par la Lorraine. Je ne lui cache rien, ni mon identité, ni les raisons qui m’ont amené ici, ni mes démêlés avec les Gertrude’s gougnafiers, ni ma rencontre avec le pauvre Polak.

Il m’écoute, calmement, en essayant d’arracher sa barbichette. Mais la barbichette tient bon et elle n’a pas perdu un seul poil lorsque j’ai terminé mon exposé.

— Voilà qui vaut tous les fades romans d’aventures, assure le docteur. Montrez un peu ces tortues…

J’ouvre le sac et le retourne. Les braves bestioles tombent lourdement sur le tapis, où elles se mettent à remuer avec des mines pataudes.

Le médecin en cramponne une et l’approche de l’abat-jour.

— Ce sont des tortues normales, non ? dis-je en m’approchant.

— Tout ce qu’il y a de normales, admet-il.

— Alors pourquoi les auscultez-vous ? Elles ont de la température ?

— Une idée, comme ça…

Il me regarde, son œil rit.

— Les animaux évoquent toujours des êtres humains pour moi. Une habitude que je tiens de ma jeunesse… Par exemple l’éléphant me fait penser à un gros type dont le pantalon pend. Le hérisson à un clochard hirsute. La tortue… Eh bien, la tortue, mon cher commissaire, me fait songer à un homme-sandwich avec ses deux panneaux qui l’emboîtent…

Je sursaute.

— Bon Dieu, je saisis… Vous croyez que…

— Nous allons voir.

Il s’éclipse un court moment et revient, armé d’une forte loupe.

Il commence à examiner le dos de notre pensionnaire.

— Rien, fait-il. Tout est régulier…

Il la retourne. La pauvre bête se met à remuer désespérément ses pattes grotesques en tirant son cou vipérin.

— Montre ton bide, Nelly ! ordonne le docteur.

Elle ne peut pas faire le contraire vu qu’une tortue à la renverse est aussi privée de moyens qu’un centenaire impotent.

Il la regarde attentivement.

— Regardez, me dit-il soudain.

Il me passe sa loupe. J’examine la carapace de dessous.

Celle-ci, comme toutes les carapaces de tortues, est striée de fines rainures qui dessinent des motifs assez réguliers. Grosso modo, on peut considérer l’ensemble de ces motifs comme un quadrillage. Or, à l’intérieur de chaque case, se trouve un autre petit motif qui paraît naturel à première vue et qui se confond avec l’ensemble ; mais il s’agit de signes exécutés au moyen d’un poinçon dans la corne. Et chacun de ces signes a la forme d’une lettre de l’alphabet polonais.

— Beau travail, dit le docteur avec un petit sifflement admiratif. Et quelle idée magnifique ! Qui soupçonnerait ces innocentes tortues de véhiculer des messages…

— Vous avez un crayon et une feuille de papier, doc ?

Il va à son bureau et en ramène un bloc et un stylo. Je me mets à reproduire les lettres gravées dans la carapace des tortues. Lorsque ce travail est terminé, j’ai deux feuillets couverts de signes auxquels je suis incapable de donner la moindre signification.

— Vous comprenez le polak, toubib ?

— Non, fait-il, mais la bonne de mes voisins est Polonaise, demain je pourrai lui faire déchiffrer ce message. Enfin, j’espère qu’elle sait lire.

— Ce n’est pas un peu risqué ? je demande. Ça doit être bigrement confidentiel pour qu’on ait choisi un système de correspondance aussi bizarre.

— Ne vous tracassez pas, sourit le médecin, Frania est aussi intelligente que cette bouteille de marc. Ma seule crainte, je vous dis, est qu’elle ne sache pas lire…

Il se lève.

— Vous avez grandement besoin de repos, commissaire. Je vais vous faire une petite piqûre calmante et vous irez dormir dans la chambre d’amis. Je continue à l’appeler ainsi, bien que je n’aie plus d’amis depuis belle lurette…

Il saisit les tortues et les emmène à la cuisine.

— Elles ont bien mérité une feuille de salade, dit-il.

* * *

Il fait un soleil à tout casser lorsque j’ouvre mes châsses. La lumière est tellement vive que je me démerde de baisser mes stores. Mais tout de même le soleil est un machin drôlement fameux lorsqu’on a failli laisser ses os dans un tas de sciure. Je rouvre mes paupières. Il me faut plusieurs secondes avant de réaliser où je me trouve. Puis la mémoire me revient. Les tortues-sandwichs, le brave poivrot de toubib… Qu’est-ce qu’il maquille, le vieux barbichu ?

Je me mets sur mon séant. Le lit est moelleux comme les fesses d’une couturière et il a une façon muette de vous dire « t’en va pas, petit gars »… Mais un pucier n’est pas compatible avec le beau soleil qui passe à travers les rideaux.

Je me lève et, tout chancelant, je m’introduis dans mon bénard. Ce que le dôme peut me faire mal ! Ça carillonne là-dessous comme l’église du patelin le jour des premières communions.

J’ai eu du vase de sonner à cette porte. Vous pourrez constater que j’ai le nez creux et que la fée qui s’est occupée de ma ligne de chance ne s’appelait pas Carabosse.

J’achève de lacer mes tartines lorsque le petit docteur radine.

— Alors, paresseux ! fait-il joyeusement.

— Salut, toubib. Au fait, c’est comment, votre blaze, déjà ?

— Mon quoi ?

— Votre nom !

— Martin, fait-il, comme tout le monde.

— C’est facile à retenir et justement je veux retenir votre nom pour apprendre à mes petits-enfants à le bénir. Sur ce, quelle heure est-il ?

— Midi…

— Quoi ?

— Midi…

Comme pour lui donner raison, une horloge de ville y va de ses douze coups.

— C’est honteux de pioncer pareillement, dis-je.

— Pas lorsqu’on a le crâne ravagé. Ça va mieux ?

Je fais la grimace.

— Lali-lala… J’ai l’impression qu’on m’a fait un shampooing à la paille de fer.

Il se marre.

— Descendez, je vais vous changer votre pansement, ensuite de quoi nous nous mettrons à table.

Le programme me botte.

Aussi ivrogne qu’il soit, il est aux pommes, le docteur Martin. Quel doigté. Il me proposerait de m’astiquer le cervelet que je me laisserais faire, parole d’homme ! Et il sait s’organiser. À partir de onze heures et demie, il a terminé son cabinet et il fait la popote. Tout par lui-même, c’est sa devise.

— J’avais une servante, dit-il, mais étant donné ma situation de vieux célibataire, j’étais obligé de la prendre âgée ; ça faisait un peu curé ; de plus elle m’engueulait. Je l’appelais l’Inintelligence Service… Je m’apprêtais à l’empoisonner à l’arsenic lorsqu’elle m’a quitté ; je ne l’ai pas remplacée…

On passe à table. Y a un rôti de porc gros comme ma cuisse avec de la purée de marrons.

— Mince, je m’exclame, c’est pas les restrictions chez vous !

— La plupart de mes clients sont des ruraux des environs, ils me paient en marchandises ; ça leur fait plaisir et j’y gagne. Que pensez-vous de ce petit vin de pays ?

— Gentillet…

Il me regarde manger de bon appétit.

— C’est beau, la jeunesse, soupire-t-il.

Je me communique un bon kilo de barbaque dans le porte-pipe. Je lichetrogne un litre de rouquin, après quoi je m’essuie les lèvres.

— Et votre bonniche polak, on peut la voir ?

— C’est fait, sourit-il.

— Sans blague ?

— Je lui ai fait signe, ce matin, tandis qu’elle sortait les boîtes à ordures. Dieu soit loué, elle sait lire.

Il tire une feuille de papier de sa poche.

— Voici la traduction du message, commissaire.

Je saisis le précieux papelard et je lis :

Sur voie de garage Bourgoin

jeudi entre 14 et 16 heures

— Ça n’a pas été commode à reconstituer, dit Martin, car nous n’avions pas transcrit le texte des tortues dans l’ordre, c’est-à-dire que vous n’avez pas pris les tortues dans l’ordre convenable. Mais j’ai pu, en assemblant les mots, mettre le texte au point. Qu’en pensez-vous ?

— Pas grand-chose. Nous sommes quel jour ?

— Jeudi.

— Et nous sommes quelle heure ?

— Treize heures quarante, pour employer le style chef de gare… lequel est de circonstance…

Je froisse le papier et vais le jeter dans la cuisinière.

— Donc, dans vingt minutes, il y aura sur la voie de garage de la station de Bourgoin un train, vraisemblablement, qui offre pour certaines gens un intérêt particulier.

— Il me semble…

— Elle est loin d’ici, la gare ?

— À deux cents mètres…

— Je crois que je vais aller y faire un tour…

— Ça n’est guère prudent, objecte le petit toubib. Avec votre tête empaquetée, vous allez attirer l’attention…

— La prudence et moi, vous savez…

Je me lève et torche mon verre de gnole.

— Voyez-vous, doc, j’ai été envoyé dans la région pour accomplir une mission précise. J’ai lamentablement échoué. Demain soir, un avion doit me prendre quelque part et m’emmener à Londres. Je ne serai pas fier de revenir bredouille. Alors, si j’ai l’occasion de mettre le nez dans une affaire intéressante, vous pensez bien que je ne vais pas m’en priver… Merci pour tout, doc, vous êtes un chic type.

Je lui serre la paluche.

— Si un jour, après la guerre, je me marie, si j’ai des lardons et que ceux-ci attrapent la coqueluche, c’est vous que j’enverrai chercher !

Je boutonne ma veste et quitte la maison du père Martin.

* * *

Il n’y a pas grand monde à la gare. Quelques nabus des environs qui viennent du marché, dont c’est le jour à Bourgoin, et qui vont se taper le prochain dur pour une ou deux stations.

Le mec du guichet aux bifs bouquine un journal du cru pas plus grand qu’une formule de mandat-carte. Un employé à l’air pas bileux colle sur un garde-boue de vélo une fiche d’enregistrement. Tout est tranquille et somnolent.

Je prends un ticket de quai et je sors. La chaleur danse au-dessus de la voie. Sur les bancs peints en vert, quelques soldats allemands roupillent. Un officier se promène sur le quai, les mains au dos. Des sonneries grelottent autour de moi. Jamais je n’ai autant ressenti la douceur de vivre. J’ai de la peine à m’imaginer que ça se bigorne dans tous les coins du monde et qu’il se passe toujours et partout quelque chose.

Je jette un coup d’œil à la pendule. Elle marque moins deux. À gauche, venant de la direction de Grenoble, un train survient. Il grossit, gronde, et ralentit. Je m’aperçois que ça n’est pas un train de voyageurs, mais un train de marchandises. En général ces sortes de convois sont interminables. Celui-ci, au contraire, ne comporte que deux wagons fermés. Chaque wagon est un wagon de queue, c’est-à-dire qu’il est muni d’une espèce de guérite surélevée pour le chef de train. Au lieu de chef de train, il y a deux soldats en armes dans chaque guérite. L’officier allemand vient de gueuler un ordre. Il a la voix d’un lion enrhumé qui parlerait dans un conduit d’égout. Ses hommes qui somnolaient sur les bancs se dressent comme des pantins articulés. Ils sautent sur leurs mitraillettes et s’alignent en bordure de la voie. Ils sont une douzaine environ.

Le train stoppe, puis recule légèrement. L’aiguillage cliquette et, lentement, le convoi s’engage sur une voie de garage. Lorsqu’il y est rangé, des hommes d’équipe détellent la locomotive et les deux wagons restent en plan, cernés par les soldats allemands.

Je donnerais la Légion d’honneur qu’on va me cloquer un jour ou l’autre à titre posthume pour connaître le contenu de ces fameux wagons.

Je voudrais bien m’en approcher, mais c’est assez coton…

Je remarque que les waters se trouvent à proximité. Nonchalamment je m’y rends, la main à la braguette, pour bien signifier l’innocence de mes intentions. Une fois dans les urinoirs, j’arnouche vachement par-dessus le mur. Le toit des gogues fait une avancée et mon manège ne risque pas d’attirer l’attention. Je remarque que chaque wagon est plombé. Ils portent, sur leurs parois, des feuilles imprimées. Je m’écarquille les roberts pour tenter de déchiffrer ce qu’il y a d’écrit dessus, mais je n’ai pas des yeux d’aigle, tout ce dont je m’aperçois, c’est que c’est de l’italien. Le mystérieux tortillard vient de passer les Alpes. Bourgoin est le point prévu pour le changement de locomotive, certainement.

CHAPITRE III

L’arrivée d’un autre train interrompt ma contemplation. C’est un train de voyageurs cette fois. Il ratisse les braves terreux qui se branlaient les cloches sur le quai. Maintenant, excepté mon convoi, il n’y a plus personne dans le secteur. Les employés coltinent quelques caisses débarquées du dernier train, puis quittent la gare pour aller boire un glass à l’un des bistros faisant l’angle de la place.

Je me dis que ça ne sert à rien de regarder ces deux wagons. Je sais comment ils sont faits, et je sais aussi comment sont fringués les costauds de l’armée du Reich qui les gardent.

Je m’apprête à boucler lorsque mon attention — toujours en éveil — est attirée par l’arrivée d’un voyageur.

Si ce type n’est pas le frangin de mon Polak d’hier, moi, je suis un bâton de réglisse. J’ai jamais vu deux frelots se ressembler de cette façon, et pourtant ils ne sont pas jumeaux, car celui-ci est beaucoup plus vieux que l’autre. Mais il est bien de la même couvée : c’est bien le même nez de rapace, les mêmes tifs incandescents, les mêmes yeux tristes et flous…

Il tient une petite valoche à la main et il vient du côté du train remisé. Il regarde attentivement, trop attentivement même en direction des Frisés, si bien que l’officier qui discute le bout de gras avec l’un des convoyeurs s’interrompt pour le fixer d’un air plein de suspicion. Le Polonais s’en aperçoit et, pour se donner une contenance, vient à l’urinoir, ce qui prouve que les grandes idées se rencontrent toujours.

Il pénètre dans l’édicule et a un haut-le-corps en me voyant.

Je pose mon index sur mes lèvres.

— Vous parlez français ? questionné-je, dans un souffle.

Il fait un signe affirmatif et me bigle comme si j’étais la réincarnation de Mahomet.

— Vous êtes Polonais, dis-je… Je suis au courant, les tortues… Hier j’étais en compagnie de votre frère lorsqu’il a été descendu.

— Ainsi il est mort ? soupire-t-il.

— Oui.

— Qui êtes-vous ?

En quelques phrases hachées, je lui raconte dans quelles circonstances j’ai fait la connaissance de feu son cadet. Je lui dis que j’ai déchiffré le message des tortues. Il fronce les sourcils et son nez se courbe davantage encore.

— Vous doutez de moi ? je fais. Vous n’êtes pas psychologue, mon vieux. Qu’est-ce que je foutrais dans ce gaulatorium avec mon crâne rafistolé si je n’étais pas celui que je vous affirme être.

Il approuve du chef.

La confiance lui revient peu à peu.

— Que venez-vous faire ici ? je questionne.

— Faire sauter le train…

Je sursaute :

— Tout simplement ?

— Il le faut bien, puisque le message n’est pas parvenu. Nicolas portait les tortues à la messagère qui devait les emmener à Lyon. Dans notre organisation tout se fait par chaîne, en troïka, comme le système russe, nous nous connaissons trois par trois, ceci afin d’éviter les risques d’aveux.

— Je comprends, le principe est bon, seulement, lorsqu’un maillon casse, ça fout une drôle de panne de secteur.

— Ceux de Lyon auraient dû être prévenus à la première heure, ce matin, afin de pouvoir envoyer un message à Londres pour permettre le bombardement de ces deux wagons, pendant deux heures ils sont immobiles sur une voie de garage, c’est une occasion unique !

— Leur contenu est donc si important ?

— Il l’est formidablement, affirme le Polonais.

Des larmes brillent dans son regard. Il a les mâchoires serrées et ses maxillaires saillent étrangement sous la peau râpeuse des joues.

— Je dois faire sauter ces wagons, répète-t-il avec son accent guttural.

Il ajoute :

— Je mourrai aussi, mais ils sauteront, puisque je suis seul à pouvoir exécuter les ordres.

— Vous avez ce qu’il faut ? dis-je en désignant la petite valise.

— Oui.

— On pourrait faire ça à deux, proposé-je.

Il me regarde d’un air indécis.

— Seul vous n’arriverez à rien, fais-je avec force. Une rafale de mitraillette, vous savez, c’est vite lâché… et vite reçu. Elle est bonne, votre camelote, au moins ?

Il ne comprend pas tout de suite. Je lui explique que c’est des explosifs dont je veux parler.

— Ça fait boum sur simple choc ou bien faut-il un détonateur ?

— Simple choc.

— Faites voir si c’est lourd.

Je la soupèse.

— Bigre, jamais ils ne vous laisseront approcher suffisamment pour que vous puissiez jeter ça sur les wagons…

— J’en ai peur.

— Vous avez une autre idée ?

Il me dit que non. Les idées, ça n’a pas l’air d’être son fort. Il est courageux et c’est tout. C’est le mec qui devait charger à cheval contre les panzers au moment de la campagne de Pologne, mais pour ce qui est du boulot cérébral, il ne serait pas fichu de gagner une partie de dominos à un gosse de la maternelle.

— Attendez, vieux, je sens que chez moi ça fermente. Oui, je tiens le bon bout.

Je regarde autour de moi. Il y a, sur une autre voie annexe, une machine que l’on va atteler au convoi. Auparavant il faut qu’elle aille rejoindre la voie principale, qu’elle la remonte jusqu’au-delà des deux wagons et qu’elle fasse machine arrière après qu’on lui ait donné l’aiguillage de la voie de garage.

D’où je suis, je la vois très bien, cette machine, elle « fait » de l’eau, pour employer le langage technique, j’en connais une portion dans la chose des trains ; comme dit l’autre, j’ai jamais été chef de gare, mais j’ai tout de même été cocu.

— Vous avez un pétard ?

— Un quoi ?

— Un revolver ?

— Oh oui ! fait le Polak.

Ma question le surprend, ce gars-là n’imagine pas que, par les temps qui courent, on puisse envisager de se promener sans arsenal.

— En avez-vous deux ?

— Oui.

— Alors passez-m’en un.

Il obéit sans se faire tirer l’oreille.

— Il s’agit de faire vite. Nous allons aller séparément jusqu’à la machine que vous voyez là-bas, toute seule. Elle se trouve cachée aux yeux des Fritz et des employés par le refuge d’attente situé de l’autre côté des voies. Nous allons faire comme si nous ne nous connaissions pas, vu ?

— Vu !

— Vous ne ferez rien d’autre que les cent pas à proximité de la locomotive jusqu’au moment où je poserai ma main à plat sur le sommet de ma tête, comme ceci. Vous voyez ?

— Je vois.

— Alors, sans perdre un instant, vous attacherez votre valtouze après l’un des tampons de la locomotive. Solidement, manquerait plus qu’elle glisse avant le heurt que j’espère provoquer. C’est compris ?

— C’est compris.

— Vous n’avez pas un journal, sur vous ?

— Non.

— Ça ne fait rien, je vais en acheter un au kiosque de la salle d’attente. Pendant ce temps vous irez à la loco ; surtout ayez un air naturel, vous ressemblez à un conspirateur d’opérette, soit dit sans vous vexer. Fumez, grattez-vous les fesses, mais ayez l’air naturel, je vous en conjure… Bon, vous êtes prêt ?

— Je le suis.

Il me pose la main sur le bras.

— Et après ? questionne-t-il.

— Après quoi ?

— Après que j’aurai attaché la valise au tampon ?

— Vous pourrez aller au cinéma ou bien voir votre bonne amie, je me charge du reste… Surtout ne restez pas dans les parages car tout laisse à prévoir qu’il va y avoir un drôle de pastaga !

— Et vous ?

Il commence à me battre les bonbons avec ses incessantes objections, ce Polak-là !

— Moi, lui dis-je, je ferai l’impossible pour remiser les os du bonhomme, faites confiance.

Il n’insiste pas et s’éloigne.

Lorsqu’il a pris un peu de champ, je quitte l’édicule à mon tour et je me dirige d’un air de souverain ennui jusqu’à la salle d’attente. J’achète le Dimanche illustré. Heureusement, j’ai juste assez de mornifle dans mes fouilles pour me permettre cette extravagance. Ceci fait, je le plie, le glisse dans ma poche, et, à tâtons, je fourre à l’intérieur de la feuille le soufflant que le Polonais a mis à ma disposition.

Toujours nonchalant, je traverse les voies.

Il fait une chaleur de crématorium. L’été est en avance cette année, probable que le grand manitou qui s’occupe de la météo, là-haut, s’est dit qu’il ne fallait pas tarder because après les offensives de printemps y aurait des flopées de pauvres mecs qui ne seraient plus là pour profiter des pâquerettes.

Les grillons font un raffut du diable. L’univers est tranquille comme une carte postale en couleurs. Même les factionnaires allemands ont tendance à s’avachir autour des wagons.

Lorsque le refuge dont j’ai parlé au Polak est dépassé, j’abandonne mon allure de flâneur innocent et je me dirige vers la locomotive. Le copain à la valise est dans le secteur. Il regarde le remplissage des caisses à eau en se rongeant les ongles.

Je m’approche de la machine. Le mécanicien est justement en train de couper la flotte. Il tire l’immense bec de côté. Je jette un regard sur la plate-forme de la locomotive : personne. Son chauffeur n’est pas encore là ; il doit faire son petit plein à lui sous les frais ombrages du café-jeux de boules.

Comme le mécano s’apprête à escalader les marches du monstre d’acier[6], je l’intercepte.

— Vous avez une seconde ? je lui fais.

C’est un mec à la figure franche et ouverte, bien sympa.

— Ouais ? dit-il en me regardant. C’est pourquoi ?

Je tire le canard de ma profonde.

Je le déplie de façon à lui laisser voir le revolver. Il le regarde gravement.

— Vous savez ce que c’est que ça, petit ?

Ses yeux se posent sur les miens.

— Et alors ? demande-t-il.

Il a du cran.

— C’est un 7,65. À bout portant il vous ferait dans le bide un trou gros comme ça. Ça m’ennuierait de vous tirer dessus ; je n’ai jamais tiré sur un de mes compatriotes à moins qu’il ne s’agisse d’un gangster. Je ne connais pas vos opinions politiques et je m’en tamponne le coquillard. Je vous annonce que je vais faire sauter les deux wagons si soigneusement gardés par les doryphores. Pour cela j’ai besoin de votre locomotive.

« Je ne vous demande pas si vous êtes d’accord. Je commande et vous obéissez ; si vous essayez de me doubler, je vous mets du plomb dans la panse, de cette façon nous sommes l’un et l’autre plus à notre aise pour agir, pas vrai ?

Il ne répond rien. Son visage reste impénétrable.

— Je monte avec vous ; vous allez reculer jusqu’à la hauteur du poste d’aiguillage qui se trouve près du passage à niveau, d’accord ?

Il grimpe sur la plate-forme et je pose ma main à plat sur ma tête avant de le rejoindre.

* * *

J’attends que le Polonais ait achevé de lier sa valise après le tampon avant de donner au mécanicien le signal de la manœuvre.

— Vas-y mollo, conseillé-je, il y a maintenant après ton tombereau une charge d’explosif suffisante pour envoyer ton bled dans les nuages.

Je le regarde actionner ses volants.

— Bon, dis-je, si tu actionnes ce volant dans ce sens pour reculer, lorsqu’on veut aller en avant il suffit de le tourner dans l’autre sens, non ?

— Oui.

Nous reculons lentement. À très faible allure, nous pénétrons sur la voie principale et continuons notre mouvement de recul.

Quelques secondes plus tard, nous sommes à la hauteur du poste d’aiguillage. L’aiguilleur en sort, échevelé.

— Et alors ! hurle-t-il au mécanicien, t’es cinglé ou quoi ! Tu le sais peut-être pas que le 114 arrive dans quatre minutes ?

— Descends ! fais-je au mécanicien.

Il saute sur le ballast. Je le rejoins promptement, mon pistolet à la main.

— Calme tes nerfs, dis-je à l’aiguilleur, et ferme ça. J’ai horreur des types qui me racontent la vie de leur belle-mère au moment où je m’apprête à faire le saut de la mort.

Il n’en revient pas et je ne lui laisse pas le temps d’en revenir. D’un geste impérieux de ma main qui tient le revolver, je lui fais signe de rentrer dans sa cabine vitrée.

— Attrape tes esprits d’une main et tes manettes de l’autre, lui dis-je. J’ai deux petites manœuvres à te commander : primo, mets le signal rouge pour que ton 114 ne vienne pas faire la pirouette dans la gare ; deuxio, donne-moi l’aiguille pour la voie de garage.

Tout tremblotant, il s’exécute.

— O.K., fais-je après avoir vérifié la régularité des manœuvres qu’il vient d’accomplir. Je n’ai plus besoin de toi pour l’instant. Tiens-toi tranquille, et voilà du reste une potion calmante.

Je lui décoche un crochet foudroyant à la pointe du menton. Le pauvre aiguilleur s’en va valdinguer au fond de sa cambuse. Il y demeure inerte comme un pantin de son.

— Dites, patron, murmure le mécanicien, lequel a assisté à la scène sans souffler mot, ça ne vous ennuierait pas de m’offrir une petite tournée à moi aussi, j’aime mieux pas savoir ce qui va se passer. Autant que possible, tâchez que ça marque pour que ça fasse plus sérieux.

— À ton aise, fiston, c’est moi qui rince aujourd’hui.

Je glisse le revolver dans ma poche et je lui fais une série légère à la face, juste pour le tatouer un peu ; lorsqu’il a le nez éclaté et l’oreille droite en chou-fleur, je lui administre le même crochet qu’à son collègue.

Puis, estimant que j’ai perdu assez de temps comme ça, je saute sur la plate-forme de la locomotive, tourne le volant en sens inverse et desserre le frein. L’énorme machine s’ébranle, lentement d’abord, puis, comme je continue à dévisser le volant, elle prend de la vitesse. La gare se rapproche rapidement. C’est le moment de chercher un coin tranquille. Je saute de la locomotive, escalade le talus, enjambe la barrière de ciment bordant la voie et cours jusqu’à un petit mur proche. Je m’accroupis derrière et j’attends.

Pas longtemps ! La locomotive quitte la voie principale et s’engage à forte allure sur la voie de garage.

Les factionnaires allemands, surpris par cette arrivée intempestive, hurlent des « Achtung ! » à tous les échos et s’écartent.

Alors c’est brusquement le tonnerre de Zeus qui retentit. Le gros boum d’apocalypse ! Le triomphe du bruit ! La manifestation suprême du badaboum !

On dirait qu’une main géante jongle avec le train. Des morceaux de ferraille, de bois, de bidoche voltigent un peu partout. On entend des cris, des imprécations… Les vitres de la gare se mettent à faire des petits. Un nuage opaque monte de la paisible station. Lorsqu’il est dissipé, j’ai sous les yeux le spectacle de la désolation. Il ne reste à peu près rien des deux wagons sinon un amas de matériaux calcinés. Du contingent de Frizous, je n’aperçois plus qu’un mec complètement jobré qui court dans tous les sens en hurlant aux petits pois et plusieurs blessés. Le reste est mort ou escamoté par la déflagration. J’en découvre un, ou plutôt une partie d’un sur le toit de la gare. Pour ça, le Polak a bien fait les choses. C’était de l’explosif de toute première fraîcheur…

Je me dis qu’il ne s’agit pas de moisir dans le secteur. En général, les incidents de ce genre, ça les rend nerveux, les vert-de-gris !

Ils vont se la ramener en force et jouer à la révolution mexicaine. Ceux qui ne leur plairont pas iront faire une croisière au paradis avant ce soir.

Je me relève et me mets à trotter comme un lapin dans la ruelle.

Comme je vais tourner le coin de la rue, j’entends une voix crier :

— Commissaire !

Je me retourne. C’est le docteur Martin. Il se pointe en gesticulant.

— Quel feu d’artifice ! s’exclame-t-il. J’ai tout vu, c’était formidable ! Ma voiture est au passage à niveau…

Il cavale à mes côtés. Son vieux chapeau à large bord est tout cabossé. Il a un petit rictus heureux au coin des lèvres.

— À droite ! fait-il.

J’aperçois, rangée en bordure d’une rue tranquille, une cinq CV Citron qui doit dater de la bataille de la Marne. Le toubib se glisse derrière le volant et m’ouvre la portière de droite.

— Grimpez vite !

Il tire sur le démarreur. La voiture ne se fait pas trop tirer l’oreille. Le docteur met en première. Ses vitesses miaulent comme un panier de chats. Nous filons par saccades d’abord, puis le régime se régularise. Nous passons devant le cimetière et piquons sur la cambrouse.

— Elle n’est plus jeunette, dit-il. Mais elle roule toujours, à condition qu’on lui mette de l’essence dans le ventre.

— Comment se fait-il que vous vous soyez trouvé là, doc ?

— Je suis un vieux bonhomme curieux… Moi aussi, ça me tarabustait l’esprit, ce message… Alors, mine de rien, je suis allé rôdailler vers le passage à niveau d’où l’on jouit d’une perspective d’ensemble de la gare… J’ai tout vu, on se serait cru au cinéma…

Il se gratte la barbiche.

— Qui était l’homme à la petite valise ?

— Le frère de mon Polak d’hier. Il avait une charge d’explosifs mais ne savait pas trop qu’en faire…

— Ils n’ont pas de chance dans la famille, soupire le vieux toubib.

— Pourquoi ?

— J’ai failli recevoir sa tête dans le dos. Cet âne qui ne voulait rien perdre du spectacle s’est gentiment posté en face des wagons.

Je secoue tristement la tête.

— Y a des tordus partout. Il n’avait qu’une peau et ça le démangeait d’en faire cadeau à la société… Certains types ont le béguin de la mort, vous voyez ce que je veux dire ?

— Très bien. Vous avez raison, le goût de la mort est assez fréquent.

— C’est facile de se faire déplumer par la grande faucheuse, mais c’est pas ça, le courage, le vrai, hein, doc ?

— Non, dit-il, ça n’est pas ça.

— Où est-ce que vous m’emmenez ?

— Faire une promenade en campagne. Ne pensez-vous point qu’il est préférable de laisser les choses se tasser un peu, là-bas ?

— Et comment !

— Je connais une petite auberge où l’on boit un vin honnête en mangeant des fromages de chèvre…

— Ça me va. Churchill a dit en parlant de la France qu’un pays qui avait deux cents variétés de fromages et autant de variétés de pinards pour consommer avec ne pouvait pas perdre la guerre…

— Ça n’est pas bête, sourit le docteur.

Je fronce les sourcils.

— Dites donc, je vais vous faire repérer avec ma tronche empaquetée…

— Allons donc ! Un homme pansé ne fait jamais remarquer un médecin, au contraire…

— C’est vrai, dis-je, on va me prendre pour un de vos malades. Espérons que nous ne rencontrerons pas de gendarme en cours de route, because je n’ai pas un gramme de papiers sur moi, les Boches m’ont tout ratissé.

— Je suis connu, par ici, répond simplement Martin.

* * *

Nous rentrons à la nuit tombée.

Doc et moi avons passé un chouette après-midi sous les ombrages d’un tilleul, au milieu des poules et des canards. Y a pas, c’est rudement chouïa, la cambrouse ; et les paysans sont de braves mecs, lorsqu’on les connaît. Le toubib est pote avec tous. Le père Martin connaît une flopée d’histoires aussi spirituelles que des anecdotes d’almanachs, mais qui font de l’effet aux campagnards.

Quand on rentre, on en a un sérieux coup dans les tiges. Le petit docteur braille comme un hussard en lâchant son volant, mais sa tuture est à la page et suit gentiment le bord de la route comme un vieux bourrin bien dressé. Il fait clair de lune. Je me sens à l’optimisme. Mon coup sensationnel de l’après-midi m’a mis du baume dans le poitrail… J’ai pas lessivé la môme Gertrude, mais je crois que j’ai fait du meilleur turf. M’est avis que les wagons contenaient une denrée vachement précieuse pour être ainsi dorlotés.

On arrive à Bourgoin. Le docteur me propose de vider le dernier au bistro du coin et j’accepte. Le patron qui le connaît lui met au frais sa bouteille de perniflard. On s’en tasse trois verres et on décide d’aller se pieuter.

Je suis plein comme un œuf. Le long des trottoirs, les gens discutent à voix basse du coup de cet après-midi. Ça nous fait marrer, Martin et moi. Du reste, dans l’état où nous sommes, un rien nous fait marrer. C’est inouï ce que le picrate rend optimiste…

Il nous faut un bon quart d’heure pour rentrer la teuf-teuf au garage. D’abord on n’arrive pas à ouvrir la lourde, ensuite la voiture refuse d’avancer. À l’examen on s’aperçoit avec des exclamations réjouies que le levier des vitesses est au point mort.

Je m’en souviendrai de cette équipée ! Et du père Martin, donc ! Des médecins comme lui, y en aura jamais assez !

Cinq nouvelles minutes pour réussir à introduire la clé dans le trou de la serrure qui lui est destiné… Rigolades nouvelles… Nous entrons dans la petite maison.

— On va, hug, boire, le, hug…, balbutie Martin.

En titubant, il se dirige vers la salle à manger.

— Je, hug, trouve pas le co… co… commuta… hug, teur ! bégaie le bon vieillard.

Bien que je sois aussi schlass que lui, je viens à son secours.

Nous promenons désespérément nos mains de bas en haut du montant de la porte.

— Je le tiens, fais-je péniblement.

La lumière inonde la pièce. Nous cillons. Puis nous regardons autour de nous et nous restons bouche bée et bras ballants. La maison est pleine d’Allemands qui nous regardent fixement en tenant des mitraillettes braquées dans notre direction.

— Delirium, balbutie le docteur Martin… C’est pas des chauves-souris que je vois, c’est des, hug, doryphores…

Pour ma part, je crois bien avoir également une hallucination. Je me frotte les yeux et les écarquille le plus possible, mais mes sens ne sont pas abusés.

C’est bien des Allemands que j’ai devant moi. Des Allemands en chair, en os et en… armes…

Ils ne sont peut-être pas aussi nombreux que je le crois, car ma vision est au moins multipliée par deux, mais il y en a suffisamment en tout cas pour faire de nous des beaux morts.

Je voudrais tenter quelque chose, n’importe quoi, mais décidément je suis trop saoul.

J’esquisse un geste d’impuissance ; je bredouille des mots aussi inintelligibles pour moi que pour la compagnie, et soudain, quelque chose se déchire dans mon crâne.

Le parquet vient à ma rencontre.

CHAPITRE IV

J’ai vaguement conscience d’être attrapé par les jambes et par les pieds. On m’emmène en excursion. Ce balancement m’endort pour de bon.

Lorsque je me réveille, je suis étendu sur le sol carrelé d’une ancienne cuisine. On a vissé une plaque blindée sur la croisée pour l’aveugler et la porte est blindée comme un contre-torpilleur elle aussi.

Pas un meuble, pas un objet, dans cette petite pièce. Moi, simplement, avec la gueule de bois la plus formidable de ma carrière.

Je prête l’oreille. De l’autre côté de la porte, il y a un bruit de bottes. De temps à autre j’entends crier des trucs en allemand. J’ai dans l’idée que je suis dans de beaux draps. C’est de ma faute, j’ai péché par excès de confiance ; j’aurais bien dû penser que les Frizous n’étaient pas bouchés au point de ne pouvoir mener une enquête sur les causes de l’explosion. Trop de gens, dans la gare, m’ont remarqué, avec mon pansement, et l’aiguilleur molesté avec son pote le mécanicien ont dû donner sur moi toutes les indications désirables. Comme un grand nombre de pèlerins m’ont vu en compagnie du toubib, ils n’ont eu qu’à établir une souricière au domicile de ce dernier : l’enfance de l’art ! Jamais je ne me suis laissé posséder aussi facilement.

J’ai exagéré en disant qu’il n’y avait aucun objet dans la pièce ; j’oubliais l’évier et le robinet d’eau. J’ouvre ce dernier en grand et je me mets la nuque dessous, après quoi je fais couler la bonne flotte dans mes mains et je m’asperge longtemps le visage. Deux ou trois bonnes gorgées et il ne me manque plus qu’un comprimé d’aspirine pour être un mec d’attaque.

Je vais m’accroupir dans un angle de la cuisine et j’attends patiemment le bon vouloir de ces messieurs.

Je ne me fais pas beaucoup d’illusions sur le sort qui m’attend. Ma belle petite existence va s’achever devant un peloton d’exécution. Douze balles brûlantes me composteront ; pas marrant, mais je préfère cette fin façon manuel d’histoire de France à celle des pauvres gnaces qui claquent d’un cancer au fond de leur dodo. Au moins, ça se passe au grand jour… Et puis, c’est régulier. Je leur ai fait un coup d’arnaque ; ils m’ont pincé, je paie la casse… Rien à redire à ça. Ce qui me turlupine, par exemple, c’est la pensée que le pauvre docteur Martin va en avoir sa part. Il va payer cher sa gentillesse et son dévouement, enfin, si par hasard on m’interroge, j’essaierai de le blanchir le plus possible.

J’en suis là de mes réflexions plutôt grises lorsque la porte s’ouvre. Deux soldats en armes se tiennent dans l’encadrement et, d’un geste brusque, me font signe de les suivre. Je me lève et viens m’intercaler docilement entre eux deux.

Je me rends compte, sitôt la lourde passée, que je me trouve dans une grande maison de maître réquisitionnée par les troupes d’occupation et aménagée en succursale de la Gestapo. Il y a des plaques blindées partout. À travers les barreaux d’une fenêtre, je vois des écheveaux de fil de fer barbelé autour de la propriété ainsi qu’un nombre impressionnant de sentinelles. J’ai idée que la cambuse doit être habitée par une forte personnalité.

On me fait grimper un étage et les soldats ouvrent une porte vitrée. Nous pénétrons dans une vaste pièce qui devait servir de salon, mais qui a été transformée en burlingue. Il y a des classeurs métalliques le long des murs et un large bureau de bois au milieu de la pièce.

Derrière ce meuble se tient un commandant ; dans l’angle de la pièce, près de l’embrasure d’une fenêtre, se trouve une secrétaire en uniforme qui tape à la machine.

Je salue le commandant d’un petit signe de tête — la politesse ne coûte rien, comme l’affirme Félicie, ma brave vioque. Le gnace est très grand, très maigre, avec les cheveux grisonnants, coupés court et l’inévitable monocle vissé dans l’œil. Le monocle, c’est leur arme de choc numéro 1. Et cette arme s’appelle l’intimidation. Elle fait partie de la propagande de cette bande de tocassons.

— Major von Gleiss, dit-il en s’inclinant.

— Durand, fais-je en m’inclinant à mon tour.

Il sourit et me désigne un siège.

— Vous avez changé de pseudonyme, monsieur le commissaire ?

Je comprends illico que ça n’est pas la peine de jouer au petit pompier.

— Je vous écoute, monsieur le major.

Il pousse vers moi un coffret de cigarettes.

— Vous inversez les rôles, cher ami, c’est moi qui vous écoute.

— Bon, fais-je en allumant une sèche, je veux bien vous réciter une fable car je ne sais pas chanter ; que diriez-vous du Loup et l’Agneau ?

— Vous avez la réputation d’être un homme d’humeur plaisante, murmure-t-il en saisissant l’allumette à demi consumée que je tiens encore.

Il l’utilise pour ranimer un mégot de cigare qu’il vient de piocher dans un cendrier.

— C’est la dèche, dans la Wehrmacht ? je demande… Les officiers fument les clops maintenant ?

Son sourire s’efface. Son visage reflète maintenant, non pas la colère, mais comme une sorte d’ennui poli.

— À quoi bon ces petites plaisanteries ? demande-t-il, nous avons des choses tellement plus importantes à nous dire…

Je lui tends ma cigarette.

— À quoi bon cette cigarette ? je demande.

Il se mord la lèvre inférieure.

— Commissaire, je connais votre réputation, je sais tout ce que vous avez fait en France et en Belgique depuis quelque temps[7].

Il rajuste son monocle. Sans doute le pas de vis est-il faussé, car il a de la peine à y parvenir.

— Vous êtes ce qu’on appelle chez vous un dur. Vous ne craignez, je ne l’ignore pas, ni la mort ni même la torture. Cependant, je vous fais une petite proposition.

— La vie sauve ? dis-je en rigolant, la fameuse vie sauve qui est comme la carotte que vous brandissez devant le nez de l’âne pour le faire avancer.

— Non, dit-il.

Il a retrouvé son sourire.

Là, il commence à m’intéresser, le frangin. Je le regarde avec un certain intérêt. Qu’est-ce qu’il peut bien avoir à me proposer ?

— Voyez-vous, reprend-il, après ce qui s’est passé hier…

Je l’interromps.

— Hier ?

C’est pourtant vrai qu’il fait grand jour. Alors j’en ai écrasé pendant des heures ? Ils sont gentils de m’avoir laissé dormir, les sulfatés.

— Oui, hier, en gare de cette ville… Je suppose que vous n’allez pas vous donner la peine de nier, avec la somme des témoignages que je puis vous opposer.

— Il n’est pas question de nier. Je reconnais volontiers que c’est moi qui ai envoyé vos deux wagons dans les nuages.

— Parfait. Consécutivement à cet acte de sabotage…

Il s’interrompt et me regarde.

— « Consécutivement » est-il français ? demande-t-il d’un air soucieux.

— Oh, passez la paluche, je lui fais ; vous savez, moi, je suis pas un puriste du langage. L’Académie, c’est à l’étage au-dessus…

— Bien, poursuit-il, consécutivement à cet attentat, car c’est le terme qui convient, n’est-ce pas ?

— Exactement, dis-je non sans noblesse.

— Nous avons arrêté vingt personnes à titre d’otages. Elles seront exécutées demain matin si le coupable n’est pas découvert.

— Alors, relâchez-les…

— Ah oui ?

— Dame, puisque vous me tenez…

— Pour moi, un vrai coupable est un individu qui a non seulement avoué son crime, mais encore a expliqué comment il l’a commis et a dit les noms de ceux qui l’ont aidé à le commettre.

— Facile, fais-je, j’ai fait sauter votre train en permettant à un petit Polonais d’attacher une valise d’explosifs sur le tampon d’une locomotive que j’ai, ensuite, dirigée sur le convoi à détruire… Le petit Polonais est mort. C’était mon unique complice. Voilà, je suis un vrai coupable tel que vous l’entendez ; libérez les otages et attachez-moi à un bout de bois planté en terre…

— Non, non, dit-il en tripotant son bout de verre ; pas avant de savoir certaines choses…

— Lesquelles, par exemple ?

— Par exemple, la façon dont vous avez appris que nous dirigions les deux prototypes de bombes téléguidées vers la côte Atlantique en passant par cette ligne détournée.

— Je n’ai rien appris du tout, von Machin… Excusez-moi, je n’ai pas la mémoire des noms. Le petit Polonais voulait détruire les wagons ; je lui ai donné un coup de main en ignorant ce que ces derniers transportaient.

— C’est ce que vous cherchez à me faire croire ?

— Je ne cherche pas à vous faire croire quoi que ce soit ; je vous dis la vérité ; un point c’est tout.

— Dommage, pour les otages…

— Hein ?

— Car cette vérité ne me convient pas. Vous allez me parler du groupe secret pour le compte duquel vous travaillez… Et auquel appartenaient les deux Polonais… La femme qui travaillait avec eux nous a échappé, son nom et nous essaierons de nous entendre.

— Je ne la connais pas. Bon Dieu, mettez-vous dans le crâne que je suis entré tout à fait accessoirement dans cette histoire et que je n’en connais pas du tout les rouages…

Il fait claquer ses doigts avec agacement.

— Vous cherchez toujours à ruser, vous autres Français, vous nous jetez du grain aux yeux…

— « De la poudre », cher major. On dit « de la poudre aux yeux »…

Sur ces entrefaites, la porte s’ouvre et, devinez qui fait une entrée fort savante dans le bureau ? Tout bonnement ma brave amie Gertrude.

Elle ouvre des yeux de chat en transes et s’approche de moi.

— Par exemple ! balbutie-t-elle…

— Vous connaissez cet homme ? demande l’officier.

— Si je le connais. C’est lui qui devait m’abattre. Avant-hier, nous l’avons laissé sur le plateau d’une scie en mouvement ; mais il faut croire que le diable le protège…

Le major joue à enflammer des allumettes qu’il envoie promener d’une chiquenaude dans la pièce.

— Vous ne perdez pas de temps, commissaire… Mes compliments.

Gertrude s’approche de moi. Cette fille, faut que je vous affranchisse sur sa géographie une fois pour toutes. Laissez-moi d’abord vous dire qu’elle a des oranges sur l’étagère qui vous feraient traiter de touche-à-tout ! Ses yeux sont fendus en amande, leur couleur est indéfinissable. Mettons verdâtre et n’en parlons plus. Lorsqu’elle les pose sur vous, un grand malaise vous envahit. Vos doigts de pied se recroquevillent comme des fleurs fanées et vous avez à la fois envie de la prendre dans vos fumerons et de lui filer une danse. Elle est brune, sa bouche est juste comme j’aime les bouches des pépées ; pulpeuse et goulue…

— Drôle de type, murmure-t-elle…

— Drôle de fille, je dis du tac au tac et sur le même ton.

Elle se tourne vers le major.

— Ainsi, c’est lui qui a fait sauter le convoi ?

— Oui, dit von Truquemuche, il le reconnaît de fort bonne grâce du reste. Par contre, il se refuse obstinément à nous donner des détails sur l’organisation qui a des ramifications jusqu’à nos usines d’Italie…

— Amnésie ? me fait-elle d’un petit air vachard.

— Ignorance, lui réponds-je.

— Vous avez employé certains… certains, mettons arguments ? demande-t-elle à son copain.

— Ces moyens-là sont, je le crains, inopérants sur un homme de cette trempe, soupire le major. Je lui propose par contre la vie de vingt de ses compatriotes contre quelques petites confidences.

Moi, je ne sais pas si vous le comprenez, je sens que ma température commence à grimper sérieusement. Il est gentil, dans son genre, le monoclé, mais il me fait tartir copieusement avec son marchandage de négrier.

— Je peux pas vous inventer une histoire, hé, major de mes trucs ! je gueule brusquement ; je suis pas romancier ! Sans blague, je me tue à vous dire que j’ignore absolument tout de cette organisation. Les deux seuls membres qu’il m’a été donné de connaître sont mortibus. Je les ai vus cinq minutes chacun, le premier ne jasait pas un mot de françouze et l’autre traînait sa valise de pétards comme un besoin de pisser… C’est tout !

— Voyons, reprend le major d’une voix douce, vous devez bien être au courant de leur activité. Je ne vous demande que le nom de la femme qui travaillait pour eux et que nous n’avons pu appréhender… Je sais que c’est elle qui tenait le contact avec ceux de Lyon. Il me la faut.

— Malheureusement je ne la connais pas.

— Malheureusement pour vous, reprend-il.

— Malheureusement pour moi si vous voulez…

Il passe un bout de langue rose sur ses lèvres minces et rajuste, une fois de plus, sa rondelle.

— Nous sommes décidés à mettre le prix. Si vous parlez, non seulement je libère immédiatement les otages, mais je vous promets la vie sauve…

J’éclate de rire.

— Ça y est, je fais, v’là le grand truc lâché : la vie sauve. Avec une liasse de billets de mille épaisse comme une tranche de pudding, et peut-être aussi un passeport visé pour la Suisse.

— Vous avez ma parole d’officier que…

— Écoutez, major, dis-je bien tranquillement, votre parole d’officier, si vous le permettez, je la mets sous mes fesses.

Il a un sursaut.

Il se tourne vers sa secrétaire : une petite blonde gentiment carrossée qui noircit imperturbablement du papier. Ce gars, il doit avoir un sens de l’honneur aussi développé qu’une molaire d’éléphant. Devant les inférieurs, ça le heurte qu’on lui parle sur ce ton.

Il grommelle quelque chose en allemand.

— Si c’est à moi que vous parlez, dis-je, faudra répéter en français, because j’ai oublié mon dictionnaire french-deutsch.

Gertrude, qui a suivi ces derniers échanges sans mot dire, intervient :

— N’usez pas votre salive, mon commandant ! La parole est aux actes, comme disent ces porcs, sans faire autre chose que de parler, d’ailleurs.

Le major se lève ; il est plus long qu’un cierge de cérémonie. Il fait une drôle de bouille, le gars ; si le directeur du musée Grévin le voyait, il se ruinerait pour l’avoir dans sa collection.

— À propos, major, je demande, qu’est devenu ce vieil ivrogne de docteur qui m’a fait mon pansement ?

— En prison ! dit sèchement mon interlocuteur.

— Tiens, vous ne l’avez pas encore coupé en quatre ?

Je fais exprès de paraître désintéressé ; c’est le meilleur moyen de lui être utile au père Martin.

— Cet homme ne nous intéresse pas, dit l’Allemand avec un haussement d’épaules méprisant. Il ne mérite même pas que nous réservions douze balles pour sa carcasse, c’est un raté, un raté comme la France en compte tant. Nous en faisons cadeau à la France…

Il rit. En ce qui me concerne, si je ne m’écoutais pas, je lui collerais bien un paquet d’osselets d’une livre sur la muselière, seulement je m’écoute. Mon subconscient qui tient le crachoir me dit de rester calme et de voir venir. Le père Martin semble se tirer miraculeusement les pattes de ce bourbier, tant mieux, je ne vais pas risquer de le compromettre par un éclat.

— Vous n’avez rien à ajouter ? insiste von Machin.

— À ajouter à quoi ?

— À vos déclarations…

— Faites pas rire, j’ai les lèvres gercées, von Truc ; vous appelez ça des déclarations…

Il a enfin un mouvement de colère. Je vois son poing racé se serrer et devenir tout blanc sous la contraction. Il s’empare d’un crayon, le casse d’un coup sec ; puis il éclate :

— Cet individu est impossible ! Gertrude… Il sera fusillé demain matin…

— Mon cher, murmure la donzelle, vous êtes terriblement conformiste.

— S’il vous plaît ?

— Pourquoi le matin ? Toujours le matin ! Parce que c’est l’habitude qui le veut ? Il faut se lever tôt ; il fait frais, on s’enrhume, souvent il y a du brouillard… À quoi bon remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même ?

— Comme il vous plaira, Fräulein.

Elle demande, langoureusement :

— Vous me le laissez ?

Il a un mouvement des lèvres comme pour demander : « Pour quoi faire », puis il comprend sa pensée et acquiesce.

— Prenez-le, Gertrude, et essayez de lui soutirer le petit renseignement qui me serait si agréable.

— Comptez sur moi, dit-elle.

Le major fait claquer ses doigts. Les deux soldats qui m’escortent m’empoignent par le bras et m’entraînent dans le couloir. Nous redescendons l’escalier, je crois d’abord que c’est pour regagner ma cuisine-cellule, mais nous descendons encore. Je suis bon pour le sous-sol, j’ai compris.

La villa a le confort ultra moderne : chauffage central et chambre de torture. La chaudière du chauffage et la pièce réservée aux interrogatoires se trouvent à la cave, comme il se doit. Mes gardiens m’introduisent sans ménagement dans le local de la « question ». J’en fais l’inventaire d’un rapide coup d’œil. Il y a là un fauteuil en bois massif qui ressemble à une espèce de trône, une baignoire, une table, une chaise et, accrochée aux murs, toute une panoplie épouvantable que je préfère ne pas détailler.

Ils me font asseoir dans le fauteuil et me lient les jambes après les pieds du meuble tandis que mes poignets sont fixés aux accoudoirs.

Ceci fait, ils sortent.

Je me dis que les réjouissances ne vont pas tarder à commencer, mais, contre toute attente, rien ne vient. Sans doute un long recueillement fait-il partie du programme ?

Je me fais salement tartir dans cette cave ! Il n’y a pas d’issue, pas le moindre soupirail, rien ! C’est bouché comme le cerveau d’un gendarme… Une ampoule électrique poussiéreuse pend au bout d’un fil ; un vrai décor réaliste, je vous le dis ! Avec quelques chauves-souris, on attraperait même le style médiéval…

Un temps infini s’écoule, dont je n’ai pas la notion exacte. Je l’occupe à réfléchir sur les aléas de ma situation. Vous conviendrez sans peine que, même considéré avec le maximum d’optimisme, mon baromètre personnel est loin d’être au beau fixe ! Il est plutôt à la gadoue, et, à moins d’une manifestation occulte, ce soir j’aurai terminé ma brillante carrière.

Il va avoir droit au salut militaire, le petit San-Antonio, madame, et, tout de suite après, au salut éternel.

On a beau s’y attendre, ça fait tout de même quelque chose.

L’arrivée de Gertrude fait diversion. Elle est flanquée de la petite secrétaire de von Chose. Elle referme la porte derrière elles, posément, et coule sur ma pauvre personne son étrange regard.

— Connaissez-vous la recette du fringant agent secret à la broche ? demande-t-elle.

— Oui, je fais, mais si vous avez une recette particulière, allez-y.

— Par quoi commençons-nous ? s’informe-t-elle.

— Quelques coups de nerf de bœuf me paraissent tout indiqués pour une mise en train ?…

Elle se tourne vers la petite blonde.

— Il est courageux, hein ? lui dit-elle avec une pointe d’admiration dans la voix. J’aime les hommes courageux, ils m’excitent. Et vous, Gretta, ils vous excitent aussi ?

L’interpellée rougit et ne répond rien. Gertrude éclate de rire.

— J’ai envie de goûter à ce petit terroriste, murmure-t-elle…

Elle s’approche de moi, s’assied en biais sur mes genoux et pose ses lèvres sur les miennes. Sa langue incisive pénètre entre mes dents, sans façon.

Croyez-moi, on a beau avoir un pied dans la tombe et l’autre sur une peau de banane, un machin de ce genre, exécuté par une gerce baraquée comme l’est Gertrude, ça flanquerait du nerf à un ours en peluche.

Comme ils ne m’ont pas attaché la langue, je lui rends sa politesse ; je peux même vous avouer que je lui paie les intérêts.

La fille blonde qui assiste à la scène n’en revient pas. Elle nous contemple d’un air ravagé qui me ferait marrer en toute autre circonstance.

Comme l’être humain a besoin de respirer de temps à autre, Gertrude s’écarte de moi. Nous revenons à la surface.

— Il n’est pas mauvais, fait-elle d’une voix faussement ironique…

Sa poitrine se soulève avec force et tend la soie du corsage.

— Vous pouvez y goûter, Gretta, dit-elle.

Gretta baisse la tête et ne fait pas un mouvement.

— Embrassez-le ! ordonne sèchement Gertrude.

Cette souris, croyez-en ma vieille expérience, c’est une drôle de vicelarde. Elle est truffée de complexes comme une dinde de Noël l’est de marrons.

Gretta fait quelques pas vers moi. Elle se penche avec raideur et dépose un baiser furtif sur ma joue gauche.

— Mein Gott ! Ce que vous êtes timide ! s’exclame Gertrude. Vous appelez ça un baiser ? Il faut vous dégourdir, ma fille. Sur la bouche ! Je veux que vous l’embrassiez sur la bouche. Vous verrez comme c’est bon, le baiser d’un homme courageux qui va mourir…

— Avec vos manigances, je fais, c’est pas d’un caveau de famille, c’est plutôt d’un canapé que j’aurais besoin.

— Sur la bouche ! répète Gertrude, haletante… Sur la bouche, petite niaise !

Gretta pose ses lèvres sur ma bouche. Des lèvres fraîches comme de l’eau de source, dures et fruitées.

Puis elle se recule vivement.

— Bon, je fais, maintenant vous allez vous mettre au travail, je suppose, non ?

Gertrude décroche une cravache. Elle écarte la môme blonde et fait siffler son morceau de cuir.

Elle s’en donne un petit coup léger sur le poignet gauche et pousse un petit cri.

— Mais cela fait horriblement mal, dit-elle.

Elle lève la cravache et m’en balance un coup formidable en pleine poire. Pardon ! Elle doit faire quelque chose comme culture physique, la cocotte, pour avoir une force pareille. La lanière me mord les pommettes et l’oreille. Une barre de feu consume mon visage. Rappelez-vous qu’il a la tête drôlement solide, votre copain San-A., pour supporter des trucs de ce genre.

Je n’ai pas poussé le moindre soupir.

— Que pensez-vous de cela, cher ami ?

— Hum, dis-je en m’efforçant de sourire, c’est très surfait comme sensation, vous savez…

Elle pince les lèvres et remet ça à plusieurs reprises ; je suis obligé de drôlement serrer les dents pour ne pas gueuler.

Gertrude cogne comme une perdue ; elle est échevelée, livide, la sueur ruisselle sur ses tempes.

— Ne vous fatiguez pas, fais-je, en conjuguant mes dernières forces. Vous ne me ferez pas parler, d’abord parce que je ne sais rien, et puis parce que la douleur et moi avons passé depuis belle lurette un pacte d’amitié.

— Oh ! toi, grince-t-elle.

Elle se tourne vers Gretta.

— Allez prévenir von Gleiss qu’il commande le peloton ; je veux que cet homme soit fusillé immédiatement.

Gretta quitte la pièce sans un mot.

— Je serai là, dit-elle, et je vous regarderai dégringoler, commissaire. Avez-vous vu fusiller des hommes ? Ils reçoivent une secousse terrible et ont des soubresauts de carpe…

— Gertrude, je murmure, je voudrais que vous me fassiez une promesse, une ultime, vous ne pouvez pas refuser cela à un homme qui va quitter ce monde.

— Ah, ah ! triomphe-t-elle, le lion s’attendrit. Voyons ce que vous désirez…

— Gertrude, en mémoire de moi, promettez-moi d’aller consulter un psychiatre !

Elle pousse un épouvantable juron et me gifle à deux reprises.

— Vous êtes un…, commence-t-elle.

— Je sais, interromps-je. C’est de naissance…

Elle sort en faisant claquer ses talons sur le ciment.

Les soldats radinent, me délient et me grimpent à ma cuisine pour que j’y attende l’heure de ce que les journaleux ont baptisé le « châtiment suprême ».

Je m’affale sur le carrelage, la téterre pleine de sons de cloche. Je pousse un cri, en tombant, quelque chose m’a meurtri la hanche. Je regarde le sol, il n’y a rien. Je mets la main à ma poche, je sais pourtant que je ne puis rien y découvrir car j’ai été fouillé de fond en comble et on ne m’a pas laissé un bouton de col.

Je tire un couteau. Une superbe lame à cran d’arrêt. D’où qu’il sort celui-là ? C’est le petit Jésus qui me l’a glissé dans le sac à morlingue ou bien le père Noël ?

Je le regarde d’un œil rêveur.

Ça ne serait pas plutôt la môme Gretta ?

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