PETITS MEMOIRES SECRETS DU XIXe SIECLE

TIRÉS DES

Archives Privées

DES CONTEMPORAINS ET CONTEMPORAINES

Eu nous faisant un peu indiscrètement peut-être l'éditeur de cette collection de petits mémoires absolument secrets, personnels et intimes, nous avons la prétention, d'abord, de combler une lacune et ensuite de jeter les bases de la véritable histoire nationale. La'véritable histoire, on l'a déjà dit, ce n'est pas celle des changements de ministère et des bris de gouvernements, — c'est 1 "étude des changements que ces laits ou simplement le temps peuvent apporter dans les mœurs et dans la vie sociale!

D'iui autre côté, nous avons encore pour nous encourager dans notre entreprise le sentiment que nous répondons à un besoin. On collectionne tout, n'est-ce pas? les tableaux, les tabatières, les faïences, les gravures, les armes, les affiches, tout, jusqu'aux prospectus et aux boutons ; on ne sait plus quoi collectionner, tout est pris! l-^h bien! nous inventons pour les amateurs une nouvelle spccialiLé, nous créons la Collection de documents intimes pour servir à l'histoire pritée des contemporains et contem-po/'ciùies. La littérature moderne, en quête de vérité et de précision, ne donne-t-elle pas une importance de plus en plus grande au document vrai ?

Nous fouillerons partout, au fond des secrétaires, dans les cartons poudreux jetés sur les antiques armoires, dans les petites boîtes oubliées au plus profond des commodes, dans les chiffonniers élégants des dames de jadis et d'aujourd'hui, dans les cartons des artistes et^lans ceux des avoués. Que de découvertes à faire dans les placards parmi les souvenirs des oncles et des tantes du temps passé, de ces chères vieilles cousines et de ces antiques mauvais sujets de parrains! Et les petits coffrets et les portefeuilles au cuir moisi, où se retrouvent des lettres d'amour, des rubans décolorés, des portraits et des mèches de cheveux! Nous irons jusque dans les greniers sonder les meubles au rebut et arracher de vive force aux souris les paquets de lettres qu'elles grignotent dans les coins. Quelles mines que ces greniers! Artistes ou bourgeois, séducteurs ou séduits, trompeurs ou trompés, vieux garçons, anciennes beautés, bourgeoises tendres ou revêches, danseuses, actrices ainiées jadis ou encore adorées, vos ARCHIVES PRIVÉES, avec leurs secrets petits ou gros, sont à nous !

EN PRÉPAHATIOX :

La Confession d'une ancienne jeune actrice. Croquis d'amour et de paysage du peintre Alfred

Gulistan. Rapports confidentiels (Tricoche and C").

AVANT-PROPOS TESTAMENTAIRE

Moi, AuOespiii de SN Amour (183o).


A celles qui m^ontftroinpè, loin de fjarder le moindre sen-iiiaent de rancune, je donne el lèijue le pardon le plus com-plel, — ainsi quà leurs complices !

Cesl acec joie — fai dans Vidée que ce ne sont pas les moins jolies — que je les recer-railà-haul, sans les complices; les belles volages pourront me raconter les tours cju'elle s m,'ont joués, et nous rirons encore ensemble. A celles et aussi à ceux que j'ai trompés, je fais humblement les plus complètes excuses. — Je reconnais mes torts, je déplore mes erreurs l... Hélas! c'est le passé!... Oui, j'ai péché, j'ai terriblement péché! Ali! si c'était à refaire, ah! si l'on pouvail recommencer sa vie !... Comme ce serait agréable! Mais non, Jiélas, imiiossible !

A celles et à ceux que j'ai trompés, je déclare.^ si ra peut leur faire p^ii-si?' maintenant, qu'ils ont été bien vengés. Je les ai expiées cruellement les Iieures folles, les journées d'agrément escamotées autrefois! La punilion a élé exemplaire: Babet Taupin, ma gouvernante pendaiit plus de trente-cinq ans^ a été pour ceci l'instrument de la Providence vengeresse. J'en serais arricé à l'épouser, cette Babet, sans Taupin, le bon et excellent Taupin, son mari, qui vivait encore, — loin d'elle, le vieux malin, — cl ù qui je faisais des rentes, pour lui per]aeltre d'entretenir f

It a vécu, le brave et digne homme, et il n'est descendu au tombeau, victime d'une vocation irrésistible pour Vinlenxpèrance, qu'après la fin de Bahet. Honneur à lui !

Moi aussi j'ai vécu, et si je suis arrivé à l'âge de cent un ans, c'est bien, je puis le dire, par la force de la volonté, par une héroïque obstination ! C'est à cause de Babet ! Je n'ai pas voulu partir avant elle, je n'ai pas voulu lui permettre de jouir des avantages testamentaires qu'en trente-cinq années d'obsessions elle m'avait arrachés peu à peu. Je lui ai survécu ; maintenant qu'elle n'est plus, je jouis partir à mon tour !

Mes comptes sont donc réglés. Ceux et celles ciue j'ai trompés ont été vengés, j'ai pardonné à celles et même à ceux qui m'ont trompé, je suis quitte et peut-être même, en comptant bien, aurais-je droit à du retour ! Je verrai bientôt là-haut si l'on ne me redoit pas ciuelque chose, quelques félicités compensatrices que je recevrais avec reconnaissance.

Pour achever de les mériter, je charge mon notaire et exécuteur testamentaire de publier leprésent Portefeuille de Souvenirs: les personnes représentées ci-inclus — s'il en existe encore du moins — par quelque portrait ou relique, y verront que ce sentiment si fragile et si volatile qu'on appelle l'amour ne s'est pas tout à fait évaporé en tant d'années, alors (jue tant de c/ioses soi-disant solides^ d'institutions réputées éternelles, de gouvernements indéracinables et incassables ont dii

Les personnes qui m'ont trompé y trouveront l'absolution.

Et celles que j'ai trahies — ou leurs héritiers, — les excuses que je viens de formuler humblement.

Aimables folies à la hussarde


Apparaissez, ô mes jeunes années ! Où es-tu, mon cheval de bataille, fier coursier que j'ai vendu quinze louis de vingt-quatre francs en l'an VI? A moi, mon sabre do hussard ! A moi, ma hussarde adorée, mais

Mon portrait par Aurélie.


infidèle, ma première adorée, ma première irfidèle, mon aimable et unique Aurélie Verteleuille !

Oui, la première en date do toutes celles que j'ai aimées était hussarde! Simple cavalière aux hussards volontaires de la Nation, comme j'étais simple cavalier. Deux jolis, fiers et fringants hussards tous les deux, en cette année de soleil et de jeunesse où nous nous échappâmes ensemble du sein de nos familles, ])our courir les aventures de i^uerre et d'amour, au

Auralio.


galop de charge, rœnr flamliant. âme embrasée, sabrctachc et plumet au vent, à travers les coups do sal)re, les mousquetades, les pis-toletades et les canonnades des champs de bataille de la haute Italie.

Mon Dieu ! c'est bien simple, du moins c'était tout simple en ce temps-là. J'avais dix-sept ans et Aurélie tout autant, dix-sept printemps, trente-quatre à nous deux ' Nous étions voisins de campagne, j'habitais la maison des champs d'un oncle, homme de robe, censeur ennuyeux de ma fougueuse Jeunesse. Aurélie, que je voyais chaque soir sous les charmilles de ses parents, s'ennuyait aussi. Xc voulait-on pas lui faire épouser quelque procureur! Nous nous aimâmes et un beau jour, sur les chevaux de mon oncle, nous nous enfuîmes. Je lui avais prêté fies habits masculins; ce furent deux jeunes muscadins qui se présentèrent, après une course de cent lieues et trois semaines d'un vagabondage poétique, au bureau de recrutement de Lyon, oîi se formait une brigade de hussards destinée à voler de l'autre côté des Alpes, dans les champs do l^ellonc.

Aurélie avait bruni au cours do notre libre voyage ; soiis l'uniforme, avec la queue et les cadenettcs blondes — elle abhorrait la poudre dont s'enfarinaient les hussards de la République — elle avait fort bon air. On n'eut aucun soupçon de son sexe, c'était un très jeune volontaire, et voilà tout. Nous fîmes un voyagé délicieux, par étapes, de Lyon à Vérone, où nous rejoignîmes l'armée. O belles journées de ma jeunesse ! Est-ce encore le même soleil qui, chaque matin, se lève à l'orient? Il a vieilli comme moi, 1i(''lns ' T't nio Dni'nîl iiiniiitonrmt xnlf'fiidinniiY' r-i

douce vençieancc


morose comme moi! Nous cheminions tous les deux, Aurélie et moi, en avant de la colonne, sur les routes d'Italie, terre natale de l'Amour et des Arts, mes divinités. Le matin, enveloppes dans le dolman, nous galopions aux douces lueurs de l'aube naissant^, la chanson aux lèvres; quelques poules sabrées au passage fournissaient au déjeuner de notre escouade. A l'étape, nous logions chez l'habitant, tant bien que mal, toujours ensemble, au bivouac comme à la ma-rnude. Notre capitaine, qui nous appelait Castor et Pollux, n'aurait pas voulu séparer les deux amis, les deux blancs-becs qui ne juraient pas, qui ne fumaient pas — Aurélie avait ])Ourtant essayé — mais ((ui semblaient deux francs lurons de hussards. Aurélie, pour se déguiser davantage, pinçait le menton des jolies filles, tandis ([ue moi, la fidélité môme, je baissais les yeux' par scrupule devant nos jolies hôtesses.

Nous reçûmes le baptême du feu à Rivoli ! Je dois l'avouer, un peu quand on nous plaça en ligne, devant les positions pour moi, mais pour Aurélie. Ventrebleu ! Aurélie, qui s'en aperçut, me regarda en riant. Campée d'aplomb sur la selle, le poing sur la cuisse, le plumet audacieusement penché en avant, l'œil clair, les narines dilatées, elle semblait d'avance respirer la poudre. Quel superbe hussard! Je me souvins alors que j'étais un disciple d'Apelle et de David, je regrettai de n'avoir pas mes crayons pour tracer l'esquisse de ma Brada-niante. Il fallut une ])onne douzaine de coups de

on sol,liions.


sur le flanc d'une colline, d'Alvinzi, et je tremblai, non pîinon pour mo tiror do ma.contemplation. Aiirélie se redressait encore sous le canon et faisait piaffer son cheval. Puis la fusillade éclata autour do nous, à côte de nous, et la fumée nous enveloppa. — « Garde à vous, hussards! Chargez! » Et soudain nous nous élançâmes, chargeant en fourrageurs sur des lignes d'hahits blancs confusément aperçues. A partir de ce

CunPiolnti'jns. — l.n mlùnct iin loriurc


moment, je ne me rappelle plus rien do net, Aurélio et moi nous tenions ensemble : je la vois l)Ouscu-lant à côté de moi les tirailleurs autrichiens, puis dans un engagement de cavalerie, échangeant des coups de sabre avec de lourds dragons, sabrant, voltigeant, sabrant, tournoyant, et tous, amis et ennemis, emportés dans un vertigineux tourbillon. Comment nous sortîmes de la bagarre, rouges, haletants, érointés: mais saufs, je no puis le deviner : bien d'autros tic nos oamarados, hélas ! ne s'on étaient pas tirés au complet ! Un souvenir aux braves malchanceux !

Àurélie et moi nous nous embrassâmes à cheval et nous donnâmes ensuite l'accolade à nos gourdes. Puis la bousculade recommença, infanterie ou cavalerie, tirailleurs, dragons ou hulans, je ne distinguais plus. A un moment donné, Aurélie et moi, lancés bien en avant de notre escadron, nous nous trouvâmes au milieu d'une batterie ennemie qui déménageait d'un endroit trop chaud. Je sabrais,elle sabrait; je coupai les traits d'un attelage, mais mon cheval s'abattit avec quelques balles de mousqueton dans le corps. Pif! joaf! Alors je sautai sur une pièce, Aurélie fit cabrer son cheval, exécutant un moulinet superbe pour un poign'^û féminin. Notre escadron arriva comme une trombe et nous dégagea.

Nous étions vainqueurs, nous avions notre canon bien à nous ; Aurélie voulait l'emporter, on se contenta de le tourner contre l'ennemi. Le soir, Aurélie et moi nous étions sous-lieutenants.

Deux mois ])lus tard, après avoir fait toute la campagne et assisté à sept ou huit combats, escalades de villes ou passages de rivières, j'étais capitaine et Aurélie, distinguée par le général de notre division, — ô ma plume, n'écris pas le nom du traître — entra dans l'état-major.

Nous nous séparâmes le 2 avril (vieux style) à Brixen dans le Tyrol : je restais aux hussards, ellx? rejoignait son général, et je ne la revis plus, jamais, jamais! Aurélie! cou])a]tle et iliviiie Aui'élie. il ne

La Muscadino.


m'est resté de ton amour que Ui douleur de ta perte et quelques précieux mais légers souvenirs : une mèche de tes cadenettes blondes coupée le jour de Uivoli, ton portrait esquissé par moi en silhouette à

La niùce blonde.


la lueur des feux de l)ivouac, mon portrait dessiné par toi le même jour, et enfin une autre image de toi, témoignage d'admiration de notre brave fourrier. As-tu conservé mon portrait exécuté par sa plume avec les mêmes paraphes ?

Fou de colère, après trois semaines de séparation, les préliminaires de Léoben venant d'être signés.

La niccc brune.


je courus la clicrchei' au quartier général. Plus d'Aurélic ! Le l'éaérai cachait bien le Iriiigant aide de camp qu'il m'avait volé. Il feignit de ne rien comprendre à mes réclamations, et me fit immédiatement monter à cheval avec une mission pour Paris. Dévorant ma fureur, je partis. A Paris, bien reçu, icté partout, je m'efïbrçai d'oublier Aurélie, mais je n'oubliai point ma vengeance. La femme du ravisseur d'Aurélie, la citoyenne générale F..., était une des merveilleuses à la mode. Des salons du Directoire aux jardins adoptés par le beau monde, elle promenait sa splendide beauté, son profil de déesse grecque et ses toilettes athéniennes.

Je la rencontrai plusieurs fois pour l'éblouissement de mes yeux. Comme une statue vivante, elle s'avançait vêtue d'une tunique de nymphe ou plutôt d'une longue chemise de mousseline transparente, un nuage de linon, une simple nuée diaphane qui l'enveloppait mollement sans la cacher à l'œil a;moureux et indiscret, et qui prenait des tons roses en plaquant sur des formes idéales. Les plis flottants de cette chemise, retenue sous le sein par une ceinture d'or S!)utenant les lignes ondulées et délicieuses de la gorge et des épaules, s'entr ouvraient à mi-cuisse et laissaient apercevoir les rondeurs des jand)es enveloppées d'une culotte collante de soie couleur chair et des anneaux d'or, trois ])ar trois reliés par ,des camées, au-dessus du genou et à la cheville pardessus les cothurneo roui-ob.

Eiitout,oiieoiiii)tiiiitavcclal(jgci'cuiiii.{Liclc.3bijinix. anneaux, bagnes et camées, la merveilleuse portait Juste une livre de vêtements. A la suite d'un pari de muscadins, elle s'était dégagée de son nuage de gaze dans un petit salon, et l'on avait pesé nuage et bijoux. Soûl le costume de Vénus pouvait peser moins.

Le ravisseur d'Aurélie m'avait confié un messag ' pour le gouvernement: je m'introduisis un soir chez la générale sous prétexte de mission particulière; je bousculai les officieux, j'embrassai les filles de chambre et tombai comme une bombe dans la pièce oii la merveilleuse reposait'ses grâces.

Jolie chambre dans le goût anti'^jue un peu sévère. La générale, à la faible lueur d'une lampe mourante, reposait dans un lit en forme de galère greccfue ou romaine, orné de cygnes et de dauphins. Elle bondit à mon entrée en bouleversant les oreillers de sa galère. J'étais à ses genoux déjà, et je lui expliquais l'odieuse trahison du général son mari. Son efîroi n'avait pas duré, ses yeux se reposaient sur moi avec une afifcctueuse compassion ; ils ne savaient exprimer ' [ue la tendresse, ces yeux de merveilleuse, je réussis u faire briller dans leur azur la flamme de la vengeance.

— Vengeons-nous ! soupira-t-clle.

Ces jours du Directoire furent les plus beaux de ma vie. Je restai à Paris. Dégoûté de la gloire et de la vie des camps, que je ne mesentaispas capable de supporter sans Aurélie, je donnai ma démission et résolus de vouer ma vie au culte des Tîeaux-Arts. J'étais maître de mon petit patrimoine, mon oncle l'homme de robe ayant comi)ris que mes exploits m'avaient rendu majeur.

O doux temps! Pendant queliiues soinaities, des Chathps-Elysées à Tivoli, je suivis partout la générale, portant sa balantine, l'espèce de sabretache qui lui tenait lieu de poche. Mais j'aimais toujours Aurc-lic, c'était Aiirélie que je voyais dans l'Athénienne aux pieds de qui je mettais mon cœur. Cette liallu-cin,ation dura des mois et des mois; ô puissance de l'amour vrai ! La jeune dame du cabinet de lecture de la rue Saint-llonoré avec qui je lisais yaZé/'/c ou les Tranf<}Dort8 de la passion contrariée, c'était encore Aurélie; dans la muscadine aux cheveux à la Titus que j'aimai durant quinze jours ou six mois peut-être, je voyais Aurélie, toujours Aurélie. A Frascati, au bal Richelieu si élégant, au concert de chats du bal de la Veillée, à Tivoli, au Ranelagh ou sur les boulevards, je ne voyais que des Aurélies. Fidèle quand même ! Je croyais serrer Aurélie dans mes bras le jour où j'enlevai la charmante nièce blonde d'une femme qui tenait une des maisons de jeu du Palais-Royal. Quelque temps après, lanièce blonde était remplacée par une nièce brune toujours aussi jolie, je l'aimai encore avec la même illusion. De même, les serments qu'avec la plus entière bonne foije prodiguais aux genoux de la plus séduisante des petites modistes, de la perle des modistes passées, présentes et futures, cc^ serments d'amour éternel, ils s'adressaient à l'unique Aurélie. J'appris à chiffonner galamment les rubans et les plumes, un joli talent qui me servit beaucoup dans la suite. Mais hélas, je n'eus jamais l'occasion de m'en servir pour Aurélie, plus jamais je ne déroulai ses tresses blondes ! J'appns à diiff'jnncr. De ma liussarde, au-

ciinc noiivello. ]Malgré mes recherches, rien! Phis tard, je his dans les bulletins de l'Empire, le nom de Vertefeuille. Le général Aurélien Vertefeuillc,

Ma première viocliste.


comte de l'Empire, qui à la tête de ses hussards enfonça les carrés russes à Borodino, était-il mon Aurélie Vertefeuille tant aimée et tant pleurée ? Son portrait inséré dans Victoires . et Conquêtes, ne me rappelait guère la belle hussarde aux ca-denettes blondes de l'an V.

A consoler


II

Orages et tempêtes

Pourquoi et comment je me suis marié, je n'en sais vraiment plus rien. Et pourtant le vieux garçon a été marié, très peu de temps il est vrai, mais enfin il l'a été, en bon et légitime mariage. Comment s'appelait ma femme ? ma mémoire s'en irait-elle déjà? J'ai oublié ses traits, car avec le temps les figures même les plus chères s'estompent légèrement dans la brume des années lointaines, mais un nom se fixe plus facilement dans la mémoire... Par bonheur, j'ai toujours été soigneux et je retrouve dans mes papiers une lettre de faire part de son second, ou plutôt de son troisième mariage, qui me donne ce nom oublié.

Lucile Colin, ou la citoyenne Colinette, comme on l'appelait dans un petit cercle d'amis — voilà que tout me revient—était, avant de devenir ma femme, celle d'un gros fournisseur des armées de la République, un citoyen voleur très à son aise, mais laid, mais bête, mais grossier comme un simple petit chauffeur de grande route qu'il avait peut-être été.

Vers la fin de l'an VII, je ne sais plus exactement la date, je Tarrachai des griffes de ce vil agioteur.

Colinetle.


Co fut encore un enlèvement. Le mari put nous voir de sa "enêtre monter dans un cabriolet préparé à l'avance et gagner la grande route. Ce ([ui me plaisait dans l'aventure, c'est qu'il me semblait recommencer mon délicieux voyage avec Aurélie. Ma femme était vraiment charmante; sans pouvoir me rappeler bien au juste ses traits, ni son genre de beauté, ni la couleur de ses cheveux, qu'elle avait très longs et très doux, il me semble,— sans pouvoir préciser aujourd'hui par quelles qualités de l'esprit, par quels dons du cœur elle se distinguait des autres femmes, je puis dire en gros qu'elle était charmante. Oui, certes, elle avait tout ce qu'il faut pour embellir l'existence d'un honnête homme et aussi pour, causer à cet honnête homme une assez notable quantité d'ennuis. Mais je n'en étais pas encore là. — Je l'avais aperçue dans son élégante voiture sur la route du bois de Boulogne, je l'avais admirée au théâtre et je l'avais aimée tout de suite. Un vrai coup de foudre. Le temps de le lui dire, de lui jurer une flamme éternelle, d'éveiller soudain en son cœur les mêmes sentiments, de nous entendre pour le projet de fuite et l'événement fut consommé. Elle était dans mes bras, la blonde adorée, — ou la rousse, car je crois maintenant me rappeler qu'elle était de la chaude couleur des belles Vénitiennes.

Pendant que nous allions cacher notre bonheur dans une petite maison champêtre près de Fontaine-

CùUnetlc dans sa voilure.

Èloa.


bleaii, le procureur de Lucile agissait et faisait rapidement prononcer son divorce. Un décadi, jour consacré aux mariages, je la conduisis au Temple de l'Hymen pour l'épouser selon les lois de la Nature et de la morale, au son des harpes et des violes. Je n'avais guère qu'une quinzaine de personnes à mes noces, mais le repas nuptial assez bien ordonné, au Bœuf à la Mode, au Palais-Royal, me coûta 90,000 livres plus 4,800 livres de pourboires — en assignats.

Trop de lyrea


Détail que je me rappelle, l'agioteur, mon prédécesseur, avait restitué la dot de ma femme en assignats, en réalisant au cours du jour un superbe bénéfice, tandis que plus tard la môme opération ne s'exécuta pour moi qu'à perte, tant à cause de ma grandeur d'âme que par la faute do mon inoxpcricnce en affaires.

D'abord Liicile ne parut pas regretter dans le modeste asile de l'amour, les lambris dorés, l'hôtel somptueux, la profusion de richesses des appartements, la recherche de la table de son premier mari le voleur. Ma flamme lui suffisait. Je me plaisais

dans l'intimité à la nommer Aurélie, pour entretenir encore une sorte de vague et douce illusion. Pouvait-elle se plaindre? je l'aimais double, puisqu'elle représentait à la fois ma Lucile et mon Aurélie !

Hélas! cela ne dura pas. Le luxe au sein duquel elle avait vécu précédemment lui manqua sans doute ; simple artiste amateur, je ne pouvais lui donner un hôtel, des chevaux, des meubles à l'étrusque ou à la romaine. Elle prit prétexte de ce nom d'Aurélie que

Premiers Colonelle.


je lui donnais dans les moments d'effusion intime, pour me chercher querelle; elle teignit de ne pas

Deuxième Colonelle.


comprendre la délicatesse qui me faisait rejeter ses noms de Lucile et de Colinette profanés par son premier mari. De sorte qu'après six mois d'une union à [peine troublée par ces quelques légers nuages,

Malviaa.


nous divorcions à notre tour. On allait vite en ces temps de vie intense et foiigueiise : je m'étais marié, j'avais divorcé et l'horloge du temps venait à peine de sonner la première heure ;de mes vingt ans!

Lucile avait conservé des relations dans le monde de l'agio et des affaires, elle m'annonça peu après qu'elle convolait en troisièmes noces avec le fils d'un riche négociant de la Chaussée d'Antin, ex-croupier du 113, exagioteur du Perron, ex-prêteur sur gages, ex-tripoteur en denrées coloniales, un ami et un émule du premier mari. Ce fut, je crois, le premier mari qui fit le mariage pour se venger de moi. Il était à la noce, témoin de la mariée peut-être. Lucile m'invita aussi, espérant sans doute que je ferais le second, mais je refusai.

D'ailleurs, j'avais bien d'autres tourments: Malvina, une des plus célèbres beautés du Directoire, Malvina qui m'avait consolé des chagrins de mon divorce, me trompait indignement, je venais de le découvrir! Oublié par Aurélie, abandonné par ma femme légitime, trahi par la maîtresse consolatrice à qui j'avais remis le soin de panser les blessures de ma pauvre âme endolorie, mon malheur était complet!

0 Malvina! tout était mensonge en vous, la langueur de vos yeux quand je plongeais mon regard dans leurs insondables profondeurs, le sourire de vos lèvres appelant le baiser, les marques de votre tendresse, vos protestations quand mes soupçons furent éveillés, tout était mensonge!

Je connus les larmes. Je pleurai à la ibis Malvina, Lucile, Aurélie et moi-même. Né en des temps malheureux et trouldés, je me sentais, à l'image de mon siècle, malheureux et troublé au plus profond de mon être. Mon âme bouleversée par mille orages connaissait les amertumes des discordes civiles et les révolutions intérieures. Mon cœur ravagé par

tous les désespoirs, me semblait à tout jamais flétri et désenchanté, je crus voir s'entr'ouvrir les portes du tombeau et, loin d'en gémir, je me réjouis à l'espoir de voir enfin terminer mes maux!

Sombre crise!

Je ne mourus pas. Après quelques mois de tortures morales, mon âme fortement trempée retrouva son ressort. L'Europe brûlait. Devais-je me lancer, moi aussi, dans le grand tourbillonnement d'armées, d'hommes, de chevaux et de canons qui emportait toute la génération? Ancien officier de hussards, mis à l'ordre du jour pour faits d'armes, je pouvais reprendre du service. J y songeai un instant. Mais je réfléchis, c'était pour Aurélie que je m'étais distingué, c'était pour la protéger que je m'étais jeté sur les canons autrichiens. Sans elle, la gloire ne me tentait plus.

Je restai dans la vie civile. Il me parut que là était ma vraie voie. Qu'étais-je? Un ami des Arts, un admirateur de la Beauté, cette manifestation éclatante des goûts artistiques du Créateur! La beauté était ma religion, la femme ma raison d'être. A d'autres les brutales et inhumaines jouissances de la bataille, les émotions du sabre, les glorieux mais féroces hauts faits du canon. Je dédaignais les joies de la victoire, les panaches et les fumées de la gloire. Des milliers et des milliers de tendres femmes délaissées pour la farouche Bellone gémissaient, pendant que, loin d'elles, fiancés, amants e; maris s'en-tr'égorgeaient sans rime ni raison. A elles, les pauvres abandonnées, mon cœur et mes soins! Consolé de mes chagrins, rétabli dans toute mon ancienne santé morale, je voulus consoler à mou tour !

Ces fleurs desséchées que je retrouve aujourd'hui précieusement conservées à côté de l'image de celle qui me les donna, esquissée par moi avec tout le talent dont j'étais capable, avec toute la sûreté de main que pouvaient me laisser les battements de mon cœur ému; cet autre por-Vague souvenir. trait, miniature naïve de

quelque peintre de province, me rappellent deux colonelles dont les belles années se consumaient dans les mélancolies de la solitude, pendant que messieurs leurs maris, casque en tête et moustache en croc, calvacadaient au loin parmi les douceurs de la mitraille et des biscayens.

J'obtins de la sentimentale colonelle T..., pour avoir amoureusement retracé ses traits, la douce récompense que je convoitais, elle m'aima, me le dit, me le prouva. Ces fleurs, sans parfum aujourd'hui, elle les a respirées jadis avant de me les envoyer dans un de ces billets charmants et nombreux que saccagea et brûla plus tard, hélas ! dans un accès de jalousie furieuse, une autre belle bien aimée, la seconde colonelle, la sémillante et vive L. de B..., qui n'entendait pas raillerie sur le chapitre de 1:1 fidélité des autres.

Que de scènes ! que d'accès de fureur ! et que de réconciliations! Cette colonelle était terrible, elle me menait trop militairement. Encore un peu, et elle eût établi à côté de son boudoir une salle de police ! Aussi un beau jour, fatigué de la trop rigoureuse discipline qu'elle m'imposait, je songeai à permuter. Comme je ne recherchais pas l'avancement, je portai mon cœur aux pieds d'une commandante.

Le caractère d'Eloa contrastait absolument avec Vague souvenir.

celui de la jaloiiso colonelle. Eloa était aussi douce et aussi rêveuse que celle qui me retenait précédemment dans les fers était impétueuse et absolue. Je la vois encore dans son appartement de la rue de la Victoire, entièrement décoré dans le style antique et digne d'être habité par des personnages de David ou de Girodet-Trioson. Sur les murailles tendues d'étoffes à palmettcs étrusques, se détachaient des meubles aux lignes raides, ornés de colonnes et de frontons comme des temples, et plaqués d'attributs guerriers. La cheminée du salon était égyptienne ])ar les momies qui la soutenaient ; un char antique conduit par un guerrier figurait la pendule. Partout des lyres, des sphinx, des hippogriffes, des trépieds, des lanq:>adaires. Puis-je, tout bas, parler du lit? 11 ressemblait à un véritable sarcophage antique ou, si l'on veut, à un autel. Un tableau tout fait pour un élève de M. David, avec Eloa en vestale dans ses voiles blancs.

Quand elle ne rêvait pas, Eloa qui était un peu musicienne, étudiait la lyre, plus pure de forme que la harpe. Lyre k part, quel aimable caractère ! Pendant quelque temps sa douceur me reposa délicieusement des tempêtes précédentes. C'était le calme après l'orage. Mais la trop grande pureté de style des meubles avait ses inconvénients, à tout instant on se heurtait à un angle trop aigu, on se déchirait aux têtes de lions des fauteuils, aux griffes des sphinx. Ces incommodités finirent par me crisper, je pris l'école de David en haine et mon Eloa en grippe.

Il y a ici quelques lacunes dans mes souvenirs; en cherchant bien, j'entrevois quelques belles un peu vagues, des formes confuses revêtues de robes longues à taille sous le bras, des spencers, des schalls drapés en écharpes, des turbans surmontés d'aigrettes, mais je ne puis mettre aucun nom sur ces formes gracieuses, avant d'en arriver à Eglé. L'une de ces belles aux noms oubliés dansait admirablement et je me souviens que je dus mon succès à la grâce que je déployais avec elle dans la gavotte et dans la valse, nouvellement apportée d'Allemagne. Modes étranges que celles de cette époque. Ce n'étaient plus les étonnants costumes du Directoire qui, sous prétexte de retourner à l'antiquité grecque, remontaient trop loin et se rapprochaient beaucoup des modes du Paradis Terrestre, mais les femmes étaient encore assez légèrement habillées. Quand vous les étudiez dans les gravures, jeunes gens, ces toilettes vous semblent ridicules et cependant elles ont, en leur temps, paru le dernier mot de la grâce et de l'élégance. Les modes paraissent toujours belles au moment où on les porte. Je vous entends dire : «Les modes d'aujourd'hui sont adorables, jamais les femmes ne se sont habillées comme maintenant ! » Erreur ! ce ne sont pas les modes, ce sont La Gavotte.

les femmes qui sont adorables; plus tard, ces mêmes robes que vous avez déclarées délicieuses vous sem-

ÉQlê.


bleront grotesques quand les femmes ne seront plus dedans ! ""

Mais où en étais-je? je bavarde, je cause chiffons...

iiiimo au bon temps ! Ai-jo parl<' de la petite i-'ri--ctte, ma voisine, que je voyais descendre tons le^ malins, fraîche comme nne tlenr sons la rosée"

Chvro onlant, elle nimait la i^aîté, elle ne s'enlbncait pas dans de poétiques rêveries, elle ne pineait pas de la lyre comme Eloa, mais comme elle riait facilement et de bon cœur ! Elle rit et Tut désarmée. Elle était modiste, mais elle ne sortait pas de mon pro-iiTamme ; elle aussi i\\a\t un fiancé dans les armées impériales, que dis-je, elle en avait même plusieurs! Maris ou fiancés, il en fallait de rechange alors, le î^'lorieux empereur et roi en consommait tant dans ses carnages ! Quand le fiancé voltigeur était tombé sur un champ de bataille quelconque, c'était le tour du lancier rouge, puis du beau carabinier, puis du chasseur à cheval ou du pauvre petit fantassin !

Ai-je parlé de toutes celles qui tinrent garnison dans mon cœur pendant toute cette période militaire? Ai-je conté tous les périls que je courus alors? Oui, des périls, bien que jo n'eusse figuré dans aucune des armées lancées au nord, au sud, à l'orient et à l'occident ! Le risque que je courais à cette époque c'était, à toute minute, d'être pris au colletetconduità l'autel. Pauvres petites femmes, elles éî.aient si vite veuves. Au moment où l'on s'y attendait le moins, une lettre ministérielle vous annonçait que le brillant colonel ou (jue le brave commandant venait de trouver un trépas glorieux sur la terre étrangère.

Cela m'arriva presque avec Eglé. O Eglé, bellr traîtresse! Elle jouait de la mamUdine et n'engendrait pas la mélancolie. Toujours aimable, toujours rieuse, toujours folâtre! Je roucoulais à ses pieds des romances chevaleresques qu'elle accompagnait sur sa mandoline, je détaillais le beau Dunois, la romance si palpitante d'amour qui jetait l'émoi dans tous les co'urs alors. Mais il paraît que je n'étais pas le seul M lui (dianter le beau Dunois: r|uelques officiers des dépôts (les ,L>"arnisons, les soûls i:norrir>rs liattant on 00 momont i\o loiirs é])oi"ons le sol do la patrie, n'olamaiont à la jdus belle raniom* dû an plus vaillant.

Or, il advint qu'un jour — était-oe un jour ou une nuit? — alors que l'on me croyait en voyage — oonmie un mari. — survenant à Fimprovisto — toujours cenuue im mai'i.^—je surpris le l)enu Dunois

dans la eliaml)re de mon Eglé ! Dunois était capitaine de carabiniers, un colosse de six ]}i(Mls avec la tôle d'un Antinoiis à moustaches. La plus belle se traîna en vain à nos pieds, Dunois et moi nous étions Inrieux, nous allâmes sur le terrain et nous nous gratifiâmes chacun d'un joli coiq) de saJjre. Ce coup (le sal)re me sauva d'un péril i)lus grave, Eglé reçut le jojir même du duel, la nouvelle qu'un boulet l)russien lui avait ravi son é|)(>ux. Sans le beau

Diinois, j'étais monaoc du m a ri n go ! Egic' m'aurait ra.pi)clé mes sormonts d'auiour ci somme de serrei-Jes doux nœuds de riiyméiiéo, de préférence au (aral)inier, j'en suis sûr! C'est que si les amants militaires possédaient plus de prestige, les maris civils, de tournure suffisante, considérés comme d'insignes raretés, faisaient prime.

C'était fini, Églé ne me charma jamais plus avec sa mandoline, nous ne chantâmes plus de duos ensemble. D'abord, j'avais à soigner mon coup de sabre. Je retrouve encore dans mes souvenirs quelques figures de femmes en robes Empire. Pas une ne valait Eglé. Je les aimai, certes, je les aimai, mais ces amours n'eurent pas la profondeur, l'étendue, la puissance, ui même la durée des précédents. Mon cœur n'était pas vacant — il a toujours eu l'horreur du vide — mais il n'était pas empoigné militairement, occupé en maître absolu par quelque tyran en jupons.

A cette époque, je me mis à resonger beaucoup à Aurélie; je l'avais sinon oubliée, du moins un peu négligée en souvenir. Je m'intéressai vivement au général Aurélien de Vertcfeuille, dont les exploits remplissaient alors les bulletins de la Grande Armée. J'interrogeai des officiers. Ce jeune général de cavalerie était un sage, il ne ravageait pas les cœurs, même les brûlantes Polonaises n'avaient pu avoir raison de sa froideur. Vertefeuille venait d'être fait général de division et comte de l'I-^mpire pour sa belle conduite à Smolensk et à la Moskowa. Chère Aurélie! les mauvaises nouvelles de Russie me ])longèrent dans les transes. Avait-elle échappé aux boulets et à l'hiver moscovites?N'était-elle pas rest('(' là-bas, dans les neiges, pendant la longue retraite?

llélas! Aurélie, ou le général Aurélien Verteleuille. survécut à la Bérésina pour s'en aller tomber dans la urande hécatond)e de \\'aterloo '

L. apaisement après les orages.

Cette époque de ma vie qui n'était ])lus tout à fait l'extrême jeunesse, l)uisque j'avais 35 ans en 1815, mais ([ui était celle de la plénitude de toutes mes facultés ])liysiques et morales, ce temps de la Restauration me paraît, quand je m'y reporte, joyeux et ensoleillé. A-t-il jamais plu en ce temps-là "i* Le soleil s'cst-il quelquefois voilé de nuages? Je ne me souviens pas. Je ne vois que fraîcheur, rayons de gaîté, renouveau, illusions nouvelles ! Je devais avoir, et bien d'autres comme moi, un arc-en-ciel dans le cœur. C'était le calme après l'orage, la tranquillité après l'accès de lièvre chaude ! Jusqu'alors, partout le désordre et la tempête ! — Bourrasques politiques au dehors, bourrasques morales au dedans! Aucun terrain solide. Les bases de la morale et celles de la société, déplacées parles secousses d'un tremblement de terre de 25 ans. se r('r.d)liss;n^'nf ;i

Une poétique Anfjhnsc.


l)eiiic. Je tisuu reLour suriiioi-iiit'iuc. Lcxisiciicc que javais iiiciiéo était ccllo (ruii tils du Directoire, mais elle n'était tiiière édifiante. Dispensé des soucis de la vie matérielle, par mon petit patrimoine, je navals connu que les soucis de l'amour. Toujours l'amour, ses joies et ses peines! Et le maria<^-e? Au lieu de considérer le mariage comme le port vers

Au tlicalrc


kMjuel je devais voguer, je l'avais regardé connue une plage inhospitalière que je devais fuir, connue un rocher aride sur lequel une épouse légitime et anthropophage m'attendait pour me dévorer. Etait-ce la faute de mon premier mariage si rapidement tranché par le divorce':* Non, je l'avais tout à fait oublié, j'étais si jeune alors... Vin un mot, la pensée du mariage pour les autres me- faisait rire et, pour moi, elle me faisait frémir.

Tout a coup, changement complet. Je rougis de mes désordres, leur immoralité m'épouvante main-lonant que je l'aperçois!.. La société après son bain lie sang et d'immoralité, entreprend de se régénérer, je dois faire comme elle. Comment? Par l'expiation! II n'en est qu'une,- le mariage. Mais pour moi cette fois-ci. ])lus pour les autres. Je dois rentrer dans la vie régulière par la porte du mariage, ce sera peut-être le châtiment, mais ])eu importe, j^ai tout mérité, ma l'cmme ne me punira jamais suffisamment.

Dès que j'eus définitivement pris mon parti, la joie et la tranquillité rentrèrent dans mon âme purifiée: je ressentais déjà toutes les douceurs du sacritice. Je courus le monde à la recherche d'une épouse; pendant quelques années, car mes recherches n'aboutissaient pas vite, je fréquentai les salons bourgeoisies plus ennuyeux. Sans doute le ciel considéra cela <;(jmme une expiation suffisante, car les négociations matrimoniales, maintes fois ouvertes, ne purent jamais, pour une raison ou une autre, être menées jusqu'à la conclusion fatale. ■ Naturellement, pendant le cours de ces négociations, morales mais quelquefois assez peu récréatives. je crus pouvoir me donner en dédommagementquel-([ues distractions. J'ai le souvenir de quelques bonnes parties aux Montagnes Russes du faubourg du Houle, les mieux fréquentées. Les femmes adoraient ces glissades, peut-être parce qu'elles y éprouvaient toutes les sensations du vertige et de la peur. Les hommes pouvaient y déployer quelques grâces, il y avait aussi quelques envolées de jupons qui n'étaient pas sans gentillesse.

Les Galeries de bois du Palais-Royal brillaient alors de toute leur splendeur. Que de fois, au sortir de ces diners bourgeois, d'une de ces réunions inélé-li-antcs de vieilles présidentes ou de bonnes grosses

Aux M<)nl.i\<))i('.< Ilusscs.


lames ridicules, où mes goûts artistiques avaieiil été mis à une cruelle épreuve, me suis-jc donné la '•ompcnsation d'une promenade aux Galeries de bois!

Llodie ? ou IsmiJric'Y ou lluilendc


Promenade purement artistique cependant, je récréais mes yeux simplement. Après les beautés trop purement morales de la vertu bourgeoise, les beautés plastiques du vice. Ce coin de Paris, avec bon défilé de prêtresses de Vénus en toilettes arcliidccollclocs et CCS sourires affriolants qui pieuvaieiit des rciietrcs des entresols, avait une physionomie étrange et saisissante. Pour moi c'était un spectacle qui me rappelait mon Directoire : je regardais et je passais.

Elmire. Élodic, Emma! vous datez de ces jours ensoleillés. Si tous mes mariages manquèrent, ce iïit un i)eu votre faute. Emma, la première en date, était une Anglaise fixée à Paris depuis la paix. Son mari n'était pas militaire, il n'était que banquier ou quelque chose comme cela ; n'importe! c'était un ennemi. Sur les champs de bataille de l'amour, je vengeai mon pays de ses défaites ailleurs. Ossian ! Ossian! Bardes d'Ecosse et d'Irlande, vous me fîtes bien souffrir alors. Emma adorait votre poésie brumeuse, c'était une ultra en ossianisme. Elle aimait les toques à longues plumes, les lacs d'émerautle. les brouillards, les rochers, le Ijœuf rôti et moi-même, le tout avec frénésie!

Mon pays vengé, Ossian me fatigua bien vite. O Elmire, -avec vous c'était la France, la gaîté, les lleurs. le rayonnement, je rentrais dans la tradition française. Tout le monde rimant alors, je rimais aussi, mais pas dans le genre d'Ossian. Par une belle après-midi, alors que je la surpris seule à sa cam-l)agne, sous les ombrages de Passy,jedus mon succès à certaine romance inqirovisée un genou en terre aux pieds d'Elmire :

Pudique lin qui voile ses appas, Tu te soulèves et trahis sa détresse ! Elle soupire et bien fort son cœur bat... Ah ! seras-tu cruelle à ma tendresse ? yes yeux mourants, d'un regard embrasés, Ont répondu, o transport, ô délire ! Je couvre de mille et mille baisers Les "cnoux de Taimablc Elmire !

Quaiiil il b eu va, le troubadour fulele. AuK cJuua])S de ^lars inoissuuner des succc: 11 emporte récharpe de sa belle, Le souvenir charmant de ses attraits. L'ennemi fuit le glaive du guerrier, Son cri de guerre est le nom qu'il soupire. Heureux vainqueur, il jette son laurier Aux u'cnoux de l'aimable Elmire !

Aux ijeaoax

(^)iuiut a Eloilic. son ainoui' l'ut iOcrasiou d une a\ eiitiu'c à la l'ois terrible et comique ; elle avait un mari, elle aussi, mais un mari désagréable et mal élevé. Cet homme la rendait malheureuse et légitimait toutes les représailles par son caractère hérissé et grincheux. Un soir qu'on le croyait absent, il eut l'indélicatesse de revenir en cachette et de s'embusquer dans une armoire copime un malfaiteur. Élodie était sans détiancc, la pauvre àme. et elle me racontait ses malheurs. Tout à coup, patatras ! l'armoire s'ouvre avec Tracas, renversant des chaises et des

Jaulcuils. ri le mari surent, l'œil mauvaiS', Ic^s crins larouclios. un pistolet dans chaque main. .T'ai été hussard, deux pistolets — ou trois en

Trois j>istolets.


comptant le mari — ne sontlpas pour me l'aire peur. Je veux m'élanccr sur le personnage lorsque Elodie. loi le de terreur, se jette dans mes bras et m'cnlace d'une l'aron clnymante, mais qui m'enlève toute pos-sil)ilit(; de résistance. Les jiistfdeJs so.it sur nos li'oiits.Jc m'a tt 011(1 s à pc'Tir avoc Elodio, mais lo mari ne lire [(as et nous lait Hos conditions. C'était un gnot-apcns ! Le misérable me réclame trente mille francs, je lui ris au nez, puis vingt-cinq mille... Ses prétentions s'abaissent, il demande quinze mille eu lllK^ rpr-o:inni-;s;ince rén'uliéi'e sur papier timbré.

Pour en finir, je consens. D'ime main, je soutiens l'-l(jdie évanouie, et de l'autre je libelle la reconnaissance.

Le drame finit e;i comédie, le mari fit des<'\(iiscs. jirit son cbapeau et s'en alla. A récbéance. i'urieux d'être ainsi joué, et pris de soupçons sur Elodie, je refusai de payer. D'ailleurs, mes affaires s'étaient «'mbrouill(''es et je manquais d'nrii-ent. Ajirès les délais

l(''2:auxct loîs l'ormalitos norossniros, jo l'iis nrrrto ot conduit à la prison pour dettes.

Elodie, je t'avais calomniée! Elle vint me voir régulièrement rue de la Clé,—les dettiers sous la Restauration habitaient Sainte-Pélagie,—et ma captivité me parut douce. Le mari pouvait me garder sous clé aussi longtemps qii'il le désirerait, je ne m'ennuyais pas. Un beau jour l'^lodie me rapporta le billet de quinze mille francs qu'elle avait adroitement enlevé de la cassette de son mari. J'étais sauvé ! Après quelques formalités judiciaires, j'obtins mon élargissement. La prison a quelquefois du bon; ù jovuniées de Sainte-Pélagie, avec quel Jjonheur je vous retrouverais aujourd'hui!

Cette aventure me parut un avertissement du ciel ! l-^t mes bonnes résolutions que j'ou-J)liais? Et la grande affaire de mon mariage que je négligeais? Je résolus d'y revenir sérieusement et iVow jinir avec les égarements du célibataire. Je me remis à fréquenter assidûment les salons ])0ur-geois. (.'omme distractions, je ne me permis guère (fue la conversation intéressante d'une fraîche et sé-(hiisante actrice d'un théâtre de (h-ame. Je lui faisais répéter ses rôlest nous étudiions enseml)le dans le jour ]r< terribles drames qu'elle allait j(nier le soir

sur SOS planchos pondant qnc jo courais les salons à la rochorclio il'unc fiancée. Dans ces drames que do coups do poignard, que de coupes de poison pour

l'nhnyrv apprenant f^os rôlef;.


mon héroïne ! Que d'ennuis pour moi dans ces soirées do la bonne société raide et compassée !

Un beau jour, j'appris à ma petite actrice la grande nouvelle. Mes recherches n'avaient pas été infruc-luouses. j'avais onfin trouvé In jlancéo do mesrévos, une charinaiitc en Tant. iiUol-ligonto, jolio, orpheline, hélas! et nièce d'un notaire. Ma vie allait changer, j'étais arrivé à la grande bifurcation, je prenais à droite la grande route du mariage, monotone peut-être dans ses paysages, mais régulière, calme et sans ornières. Je la laissais à gauche, la délicieuse petite actrice, mais il y avait de ce côté tant de buissons de roses qu'elle ne me regretterait pas longtemps.

Portrait crnnprorncUnnt.

E^rUvnili


Le mariage arrêté, j'avais à me livrer à de tristes exécutions. Ces portraits étaient compromettants!

Deux souveHi/-6.


Cette miniature d'enfant, dont il existait, hélas! deux exemplaires pour deux papas différents, peut-être trois, bien compromettante aussi! Les boucles de

rhoYOïix si varioos, los o-ants, los rubans, tons nios paquots de lottros, tons cos menus et chers souvenirs, je devais brûler ,.^ tout cela! Il le fallait, je ne pouvais les garder et risquer pour eux mon bonheur conjugal. J'hésitai longtemps... et je n'eus pas l'horrible courage de détruire ces chères épaves. J'en emplis deux col-frets que je cachai tout Suvvosawa secrétaire.

Mais il me restait deux autres souvenirs plus difficiles à dissimuler, deux corsets! Cela, c'était trop grave et trop embarrassant, je dus me résoudre au sacrifice. Avant de livrer aux flammes — avec quel chagrin! — ces cuirasses de satin sous lesquelles deux tendres cœurs avaient battu pour moi, je les dessinai avec soin, avec religion, en essayant de reconstituer les traits de celles qui les avaient portés. Je réussis parfaitement pour l'un de ces corsets, l'image de celle qui me l'avait donné vint d'elle-même se former sous la pointe de mon crayon, avec son charme, sa souplesse de lignes, son expression mutine légèrement alangnie des jours de rendez-vous.

Mais pour le second corset, un corset de l'Empire, je ne pus venir à bout de retrouver les traits de. celle dont il avait amoureusement moulé les formes; elle était charmante, cela va sans dire, mais dans quel genre? Comme le temps balaie les souvenirs, hélas ! Qu'estrce que l'homme? Vous prétendez vous intéresser à des événements survenus il y a des douzaines de siècles, vous préten(Iez reconstituer le (Mractère, l'histoire de quelque grand homme de la nuit des temps! Illusion! folie! des événements personnels survenus il y a quinze ans sont absolument oubliés; ainsi, je possède un corset, document

Charir'ms d'nmotii


palpable, et je ne puis seulement reconstituer rimasfo de celle qui le porta sous l'Empire. Décidément je ne croirai ])lus un mot de l'histoire qui n'est qu'une grande collection de suppositions, puisque je ne puis plus faire que des suppositions sur la charmante femme qui me laissa ce corset en souvenir de quelques mois ou de quelques semaines de bonheur. Vainement mou crayon, guidé par mon cœur trop incertain, traça des profils sur le papier. Ce joli petit nez à la Roxelane qui flotte dans ma mémoire lui appartenait-il? Peut-être bien! Que sais-je maintenant?

Ce que je sais bien par exemple, c'est que le sacrifice de mes corsets demeura inutile par suite d'un événement qui bouleversa mes projets. Un matin, une semaine peut-être ou une demi-semaine avant l'époque fixée pour mon mariage, j'étais chez moi. sans défiance et occupé très innocemment à me raser, lorsque tout à coup mon domicile fut envahi par ma future accompagnée de son oncle et tuteur le notaire, M^* Varin, le type du notaire de l'ancien régime et du tuteur de comédie. Ma femme de ménage eut l'imbécillité de les laisser entrer! Fatalité!

J'eus beau faire du bruit, parler fort, m'exclamer, Palmyre Chatelus, car j'oubliais de dire qu'elle était

'''.i:vji'ins d'uniour.


Et Me Variii, i iitcui'ct notaire, 'loublciiient facile à offusquer l)ai' conséquent, fronçait les sourcils en entendant les tirades de Palmyre, et ma , fiancée compri- ;;, mant son cœur à f;:;; deux mains, pâlissant. ronL;-là, mon héroïne des drames du boulevard, ma petite romantique — elle était là, à peine réveillée, en train d'apprendre un rôle quelconque, — Palmyre Chatelus semblait prendre plaisir à faire du train malgré mes éclats de voix pour l'avertir!... Je dois le confesser, pour expliquer sa présence matinale, elle était venue la veille me faire une scène et me reprocher ma froideur, et nous avions soupe joyeusement pour célébrer les funérailles de ma vie de garçon...

me nictlaU ma crucatc.


bciut. prête à s'évanouir enfin, regardait la porte de ma chambre avec horreur. Tout à coup Pal-myre se mit à chanter, elle le faisait exprès, la triple scélérate! Je me mis à chanter moi-même pour étouffer ses accents, je devais avoir Tair très bête! ^lais tout fut inutile; M'' Varin, pendant que j'essayais de calmer ma fiancée, eut l'indiscrétion d'ouvrir la porte de ma chambre et ma fiancée se précipita... Coup de théâtre' Palmyre bondi , se drapa dans les rideaux du lit et belle d'une fureur feinte, avec des gestes dramatiques, comme si elle jouait une de ses pièces, interpella violemment ma

lacuuuilu.


fiancée. Flambé, mon mariage! Ecroulés, mes plans de régénération morale ! Ma fiancée n'avait qu'une chose à faire et elle la fit. elle s'évanouit dans les bras de son tuteur ! Quand je les reconduisis, l'oreille basse et la mine longue d'une aune, le tuteur ne m'épargna pas les malédictions! Quelle avanie! Était-ce ma faute? J'avais des ennemis sans doute, une lettre anonyme était venue troubler la tranquillité de ma future et la pousser à cette démarche tout à fait incorrecte, inconvenante môme.

Dans l'après-midi, mécontent, humilié, je fis une tentative désespérée poiu* fléchir la légitime colère de ma fiancée. Ma lettre était humble et repentante, je suppliais, j'implorais! M° Varin me la renvoya avec un arrêt définitif énergiquenient formulé :

Vous êtes un polisson! ! ! » Dans un accès de iero-cité, le vindicatif notaire avait tait enregistrer ma lettre avec sa réponse. Voilà comment je ne me mariai pas !

Eh! mon Dieu, après tout, je n'ai rien à me reprocher : j'ai essayé, ce n'est pas ma faute si je n'ai pas réussi! Qu'avais-je besoin de me marier d'ailleurs? Je vous le demande, ô Valérie, femme idéale qui. pendant deux ou trois ans. égayâtes mon existence de célibataire, ange adoré qui me mettiez si gentiment ma cravate !

La cravate! Voilà pourtant une des puissantes raisons qui poussaient autrefois la jeunesse au mariage et à la vie régulière. On a écrit un poème sur l'art de mettre sa cravate. C'était en effet un art diflicile. Que de gens ne pouvaient parvenir à faire un nœud passable et, naturellement, cravatés sans correction, devaient renoncer à l'espoir de parvenir! Aussi, dès la majorité on se mariait, pour se faire mettre sa cravate. Et voyez comme le chiffre des mariages a diminué en France et comme l'échelle de la moralité a baissé depuis l'invention de vos petites et mesquines cravr-tes à nœuds simulés! Petites causes et grands effets!

J'occupais alors un appartement au troisième dans la maison d'un des plus élégants établis-

sements di

« Je cuis au Uni IL

(Constance.


bains de Tari:?, lÀicu de plus commode pour un garçon. Vous me comprenez, n'est-ce pas?

Après Valérie, ce r t aine dame que je ne nommerai pas vint souvent et souvent me voir. Aucun danger, le mari le plus défiant ne pouvait rien soupçonner: « — Je vais au )ain ! » Prétexte charmant, ce

bain parrumé qui etïiicc les jolis et miguoiis petits péchés !

Là encore, dans la même maison, je vous aperçois fantômes riants, brune L... qui chantiez toujours, toujours, à toute heure, en vous éveillant, en vous endormant, en vous coiffant, même en vous disi)u-tant, ce qui arrivait parfois, avec votre fidèle Aubes-pin, et même très probablement en trompant le pauvre Aubespin! Je vous revois, blonde A... non moins gaie, non moins aimante, non moins infidèle, le ruban de satin qui ferme ce portefeuille c'est votre jarretière, gage de votre amour.


IV

Orages et rayons de soleil

Il est dans la vie des aventures dont le souvenir reste cuisant comme une brûlure, gênant comme un rhumatisme. Je n'ai pas l'habitude de prendre les choses par le côté noir, ni de laire du romantisme à froid et cependant ce sou-venir me crispe encore après tant d'années. J'ai essayé de le laisser de côté, ce désagréable souvenir, mais il s'obstine à rester là et avant de conti-

Ln juircliinc.

nuer, je dois me décider à le lixer sur le papier, a le ])lacer à sa date Peut-être me laissera-t-il tranquille après cela.

Il me faut remonter un peu. (Jetait entre mon niariage manqué et le règne de ce.le qui me mettait si gentiment ma cravate. Elle s'appelait Constance ! Te souligne ce nom, que ce soit ma vengeance!

Que d'aaslelles cassée


Vingt-iieul" ans, grande, Forte, des sourcils noirs, des cheveux abondants, des tresses de jais qu'elle relevait au sommet de la tête en deux grosses torsades. La voilà telle que je la retrouve sur ce portrait dessiné par moi dans les premiers temps de notre liaison, à une époque où je ne la voyais que très mystérieusement, à cause del^ilmyre Cliatelus et de mes négociations matrimoniales.

Constance était emportée, irascible, colère ; combien d'assiettes nra-t-ellc cassées lorsque, pour une ombre de motif, elle montait sur ses grands chevaux! Que de fois, après des scènes violentes qui me faisaient beaucoup de tort dans le voisinage, — « oh! ces artistes! » disait une respectable bourgeoise,ma voisine, souvent scan- ^'' ^"'^"" ''^ ^onsinucc. dalisée, — que de fois, dis-je, après un grand ravage dans la vaisselle, est-elle partie e.i jurant qu'elle allait se jeter à l'eau ou s'asphyxier!

Elle revenait calmée, mais non repentante, ])uis cela recommençait. Nous en étions arrivés à casser les chaises, à brandir des poignards, à nous arracher des cheveux, moi du moins, car je crois qu'elle ^5"arrêtait toujours juste à temps dans ses transports, par la crainte de faire du tort à sa coiffure. Moi j'y allais de bon cœur, j'avais des cheveux à revench^e, et il m'en reste encore, tout vénérable que je sois. Cette orageuse liaison se termina par un mariage.

— avec un autre heureusement. Après de longues brouilles, après des journées de larmes, de fureurs, de désespoirs même, Constance Miii , m'apprit qu'elle se ma-* / riait. Quelles tempêtes! J'étais désespéré! Je lisais peut-être un peu trop les romantiques à cette époque, j'étais si jeune,àpeine quarante-

Sujiijlicatioiis.

-ix ans, et je n'en avouais que tronte-cinq !

Constance se mariait, elle épousait un négociant, un i:ran(l dadais né pour se faire conduire tambonr

Explications.


battant. Constance me réclama son portrait dessiné • aux beaux jours de notre lune de miel. J'allais le lui envoyer en morceaux, mais je réfléchis et je le conservai, déjà déchiré. La noce se faisait au Cadran Bleu ; le jour fatal, j'étais là, dans un cabinet, savourant mon sombre (U'sespoir. ,l'aperçus Constance en

Consfnnr.o iwlrouni sit rnison In ;v/y'»?/V;-


robo hlancho avoc voilo ot flours d'oranf^or. Elle aussi, elle me vit. Enfer !'Satan ! Je rugissais... Tout à coup la porte de mon cabinet s'ouvrit et Constance parut... Elle se traîna, pantelante, à mes genoux, elle sanglota, cria,.supplia... et tomba dans mes bras. Et la noce attendait toujours ! Je songeais à partir avec elle, à m'en fuir au loin sur une terre étrangère.

Constance retrouva sa raison la première. Nouvelle scène. Je ne pouvais briser son avenir, la perdre '... Encore des sanglots, encore une crise!... Ea noce cherchait la mariée. Constance me serra sur son cœur et s'enfuir

Tel fut le grand drame qui ravagea ma vie et me fit perdre, à la fleur de leur âge, quelques bonnes douzaines de cheveux en 26, 27 et 28.

A cette époque, ce fut comnio une épidémie, tout

Ln réfuçiiée.


lo inondo avait son dramo d'amour, sa passion frénétique et coupable, secouée, agitée et traversée par d'incroyables événements.

1830! Le trône s'écroule. En ma qualité d'artiste, ce spectacle m'intéresse. J'ai des velléités de revêtir mon vieil uniforme et de courir à l'assaut des libertés, mais je /'attends ! Je suis à ma fenêtre ; dans la rue, on dépave, on construit des barricades. Elle ne peut venir. Comment s'appelait-elle en juillet 1830? Je ne sais plus. Cela ne fait rien, puisqu'elle ne vient pas. On arrête sous ma fenêtre la diligence de Bretagne pour en faire la pièce principale d'une barricade. L'intérêt redouble. Les voyageurs ahuris font très piteuse mine. Cris de femme. Une dame affolée ne veut pas descendre. Elle se figure que les insurgés vont la massacrer. Je l'entrevois, elle est jolie. En une minute je suis à la barricade et j'offre mon bras et ma protection à la craintive voj'ageuse. :Ma figure la rassure, elle sourit. Vn gamin crie: V'ià les Suisses! Panique ! Les coups de fusil partent tout seuls. J'enlève nia voyageuse et je la dépose en sûreté dans mon appartement.

Elle ne le quitta que quinze jours après. Quand la barricade fut véritablement altaquée, je ne pus rien voir, je dus la garder dans mes bras. Au premier coup de canon, elle m'adora. Que de transes j'eus à calmer pendant trois jours et trois nuits! Charmant souvenir ! Elle était légitimiste en arrivant, mes soins la convertirent, elle rçjunrtit orléaniste. Son mari, un hoboroaii broton, ne dut pas la reconnaître.

n ce temps-là l'état de ma fortune me permit d'avoir maison de ville et maison de campagne. A

Paris, mon appartement fut souvent meublé d'une jolie robe de chambre jaune à manches à gigot que je revois encore aujourd'hui rien qu'en fermant les yeux.—Jolie, trop jolie, car on me l'enleva.—Sous i(j> <)inj)rii;:c> rlAiiLcuil, où su Cciciiuil iii;i liiaibou de campagne, mon cœur se serait bien ciiiiuyc s'il n'avait eu de jolies voisines. Je me rappelle toujours ma l)rcmière visite chez ma voisine de gauche. Nos janlins se touchaient, un simple treillage nous séjui-l'ait. Dès le premier jour, je vais présenter-mes

Ma passion de Paris.


pects. Monsieur était sorti, madame etail seule. Une petite l)onne me laisse entrer sans nian-noncer. — Merci, sainte Bêtise ! — Je pénètre dans la maison sans me douter do l'étendue de mon indiscrétion, je me trompe de porte et... je me trouve dans la chambre de madame. Une ombre blanche bondit et s'enveloppe dans un rideau ; c'était madame, 'irprise à sa toilette ! Cotte surprise rompit absolu-•iit la glace entre ma voisine et moi, Je me relirai avec Icte ]tlus liuhiuLcs excuses, iiuiis je la revis les jours suivants, je lui souris eu vieille connaissance; elle rougitei sourit aussi, puis sourit sans rou-iiir, puis... uiaisàquoi bon continuer, nous lûmes bons voisins ! Ma voisine voisina souvent chez son voisin. \'oilà les charmes do la campagne.

Une autre de mes voisines charma Icté suivant ma solitude champêtre. Poésie et langueur ! Mais elle avait un défaut, que dis-je? deux délants!

Son piano sur lequel elle accompagnait ses romances langoureuses

Quand je rciiiteiuls gémir sous la l'uuillée. Taib-tui, mou cœur, oh ! pai ])itit''. tai«;-t(>i

Itcconnaisnaricc.

Hcmùdc souvevidii.


ri, (IcuxicUKj dcliiLil. ^t'b ^a--pciirs ! Les \a[)oiirs vciiuiciil «lètrc inventées, l-'.llo uvail. eontiiiiiellciiiciit ses ^;l-]>eiu;s. Je fus souvent oItliLc*' lie recourir à la caraic et de lui jeter quelques verres (Teau à la tète. Ma passion de Paris a la nièuie époque était iioins langoureuse, moins \aporeuse et beaucou]» ]ilus gaie. Je l'adorais pour l'amour du contraste, la diarmante belle, toujours souriante, toujours pimpante et enrubannée ! Elle aimait les parties de cam-liagnc, j'av;iis soin de no jkis 1;i onduire (bi cût('' d'Auteuil.

Dernières folies

Le temps passait. Les années s'accumulaient, mai> ,c les portais si gaillardement qu'il n'y paraissait que U'ès peu. J'avais ~~j ans : alors je i'ouvais que c'était beaucouj), maintenant cela me sem-Idc à peine la fin de l'adolescence.

Et de fait cette adolescence prolongée s'aflirma. ii

rari

l'a bonnet de nuit de jn'ovince.


])crtc, le goût des voyage.^ 1110 reprit comme jadis en l'an V. Hélas! plus d'Au-rélie! Je partis à travers champs comme un jeune rapin, brossant des paysages, et me rafraîchissant à la lois le corps et l'âme dans un grand bain de soleil et d'air pur. De temps en temps, une bonne aubaine, une distraction. 0 jolie bonnetière de V..., vous souvenez-vous du peintre parisien logé en face de vos fenêtres? Hélas! il doit y avoir longtemps que vous n'êtes plus jolie, mais alors vous étiez charmante ! Qne de sacrifices je fis pour vous voir de plus près! Des parties de billard avec votre mari, et jusqu'à son portrait à lui. cet imbécile, une vraie monstruosité à riiuile, que j'entrepris avec l'espoir d'arriver à vous égayer un peu. pauvre petite femme mariée à ce triple bonnetier !

De ces voyages à travers la Normandie, la Ton raine et la Bretagne, il me reste encore ce souvenir un bonnet de nuit de i)rovince encadrant une tête naïve... chut! Je connaissais à Paris un autre bonnet do nuit à qui certes il n'eût i)as lait bon de conter mes petites aubaines provinciales ! Que de sermons il m'a faits ce bonnet de nuit; il avait vingt-cinq ans n peine, mais il prêchait bien, l-^i b'il avait appris mon aventure d( l'iiôtel du l)ey d'Alger. anci'OniK Le porinitt Tetc-Xoirc, à B.,.? .le Tavai-

( bonnetier. )-cncontrée en diligence ; viv

iJicnt intôi'ossé par son cJiarrjic et sa distinction, .jo m'étais ino:oni(' à lui lairo prendre en patience la lonii-nenr de la rente. Xens causions aoTéablemefit.

La jitl'œ l)(j)inelu'i'<'.


j'étais rempli d'égards et aux petits soins pour elle : aux montées, je descendais avec elle et je Ini offrais mon l>ras. Mais je m'explique mal, je ne parle pas de la Téte-Noire, je parle de la plus exquise voyageuse qnilvoyasr^a jamais au temps des dilip-ences, Après

iront/*-.-ix hoiiros (lo tcto-à-têtc (lar.s cos véliiciilcs d'aii-Ini. on était amis... ou onnomis inti-inos. Nous n'étions ])as ennemis du tout on arrivant à 1 j... où ma voyagon-so (lovait attendre la eorrespondance. Nous descendîmes au Dey d'Alger, l'romior bonlionr. nos chambres étaient voisines. J'opérai une reconnaissance. Deuxième bonheur, elles étaient réunies au dehors par un balcon commiui.Je me gardai l)ien de paraître sur ce balcon, je ne m'y risquai que lo soir.])our prendre l'air après dîner, cbosebion naturelle, La l'enètrc de ma voisine était éclairée, comment résister à la tentation de jeter un couji d'oMl à travers les rideaux?.Te no résistai pas et justement c'était très indiscret, car ma voisine se pré])araii à gagnoison lit.

Le lacet (\o son corset lui donnait quelque l)oino... oui vraiment, il y avait un noMid à ce ,i;i;,if'nrr. lacet reliello et sans moi.

ina voisino eût r{ô o])\iîi:6o t\o le couper!... .ToliV voyag'Oiise du Dey d'Alu-or, bonne chère vieille dame, si vous vivez encore, dites, vous souvenez-vous? Que j'aimerais donc à vous rencontrer là-liau( en dilip^ence, s'il y a là-liaut desMilii^ence^ ot s'il y n des Dovd'Al'jor •'

Promenade ;i :'me.


Les jours passent. Est-ce à cette date que je dois porter les délicieuses promenades à àne à Montmorency? Je n'avais pas connu ces plaisirs purs et naïfs dans ma prime jeunesse, je rajeunissais donc puisque j'y trouvais un vrai plaisir. Celle qui m'inspira ces

L-'oûts champêtres était modiste il me semble

inlic royrireufiO du Dey iPAlqor avoir connu l'avais rencontre Zclio nn

jour (lo giboulées, ollo était on dérouto, la pauvre enfant, la bourrasque lui enlevait son chapeau, son carton de modes, et lui soulevait les jupes avec toute l'inconvenance que peuvent y mettre des zé-

Porijnisilion--


pliyrs en i,^aîté. Mon intervention la sauva du désastre, je lui ollris d'abord mon parapluie et mon bras... Comment, après avoir prusieurs fois cavalcade dans les bois de Montmorency avec la petite modiste, me retrouvai-je un jour dans les mêmes bois avec M'"'' riortensc. sa patronne, assise sur le mémo âne':' ("est assez simple; en allant certains soirs prendre Zolio à son maçfasin, je romarqiiai la patronne, bcaiitô brune en plein épanouissement, et la patronne me remarqua. Il n'y a dans cet aveu aucune fatuité de ma part, elle me remarqua et l'impression que je lis sur son esprit ne fut pas désagréable puisque trois semaines après notre première entrevue, comme je tombais un soir à ses genoux, — le magasin était vide, j'avais vu partir ces demoiselles, — elle se laissa choir dans mes bras.

Aimable, gracieuse, gaie, spirituelle, ma modiste possède bien des qualités, mais elle est possédée par un terrible défaut. De toutes les jalouses que jai connues, c'est bien la plus ennuyeuse dans ses accès, — à part Constance qui était vraiment excep-lionnelle sous ce rapport. —Je ne suis pourtant pas jaloux de son passé, je ne lui parle jamais de son mari, parti sans donner d'adresse, paraît-il, mais elle no peut pas me laisser tranquille. Elle opère des fouilles dans mes tiroirs, elle bouleverse mes papiers de famille et met à sac les pauvres paquets de lettres d'autrefois. Un jour, elle a mis la main sur les lettres d'I'^lodie. 1808! I^llc m'a regardé. — Parbleu ! ai-je dit, j'étais au collège en 1808, j'ai hérité ces lettres d'un oncle mauvais sujet!...

Les lettres d'Élodie étaient sauvées ! Si elle s'était doutée de mes ])romenades avec Zélie, sans nul doute elle m'eùr arraché les yeux !

Quelque temps après, à tous mes défauts s'a-j )uta la gourmandise. Jamais auparavant je n";i\nis culri\é c-o y\co-

la tabl(^ cola m'était bien égal ! Certainement je n'étais pas une mauvaise fourchette, j'avais bon pied, bon œil et bon appétit, je ne dédaignais pas un ])lat réussi et je dégustais avee plaisir un vin aimable, mais je n'accordais pas aux satisfactions d(^ l'estomac une iin])ortance exceptionnelle. A cette époque de ma vie, le cœur se fit complice de l'estomac. Celle ([ue j'aimais alors aimait les bonnes choses et commença mon éducation de gourmet.Elle me fit changer de cuisinière et ne dédaigna pas de mettre parfois ses belles mains à la pâte. Quels repas! J'étais riche, Mvec mes 7,500 fr. de rente, je pouvais m'adoiuier à la gastronomie.

Je veux passer rapidement sur quelques menues distractions et sur certaines figures agréables qiii embellirent mes jours de 1837 à 1839, pour en arriver à mes deux, non pas dernières, mais avant-dernières folies! Elles furent assez bien remplies, ces années ([ui me séparaient de l'an 40, dont je ne me moquais pas, moi, du redoutable an 40 qui devait me donner... brrr... la soixantaine! Ces années furent consacrées aux nrts, la gastronomie d'abord, — j'y avais pris '.soùi. — puis In musique, la peinture et la danse, Je Ella aimait les bonnes choses.

donnai dos leçons de peinture ;\ nne dame qni se montra reconnaissante; tontes les romances composées dans le cours de ma vie en l'honneur de nombreuses belles, je les chantai à une autre dame qui les prit pour elle. Je ne connaissais pas une note de musique, mais je chantais agréablement. Que de duos' Quant à la danse, elle fut représentée dans ma vie par une demoiselle du corps de ballet, mon Dieu, oui, une danseuse sans engagement, paroissienne de Sainte-Lorette, vive, enjouée, légère, oh ! légère surtout, car elle disparaissait par moments sans laisser de traces, à croire que dans un entrechat trop vif elle s'était accrochée à quelque nuage passant, et elle revenait aussi soudainement quinze jours ou trois semaines après, saub prévenir comme si, de son nuage, elle retombait sur ses pointes.

J'en arrive à mes deux avant-dernières lo1 i e s. L'antépénultième était bas-bleu !

La littérature manifuait /'.D'oi.s.s/c/v)//-' lit' Sninlr>-Lorr;lh

Je lus lâche, je m'enfuis à la campagne et pour retremper mon âme épuisée par les transports épistb-laires, je fis de longues courses à cheval, j'essayai de redevenir hussard.

Ce fut au cours de ces promenades équestres que je connus mon avant-dernière folie. Tous les jours je ])assais devant sa terrasse et je la voyais assise coii-ïem])lant l'horizon et le cavalier qui passait de ses yeux mélancoliques. Je la rencontrai chez des amis et je pus hii ex])rimer ma sympathie. La malheureuse, elle était mariée à un ])rosaïï[uc député, ancien avoué

La sympathie ])0ur son malheur m'entraîna un peu loin: quinze jours après, la pauvre âme incomprise, suspendue à mon cou, exigeait que je l'enlevasse! Italie! Italie ! Une chaumière au bord d'un lac! Amour éternel! Azur partout ! Quelle gloire pour un homme de mon âge ! Ah ! si j'avais on quinze ans de moins! Mais de Tân-'/lon hussard, hélas'.

il ne restait ([lie le ehe\;ill i'oiir eiiliuei'la pauvre nra'.il, je pj'is un ])arti liéi'oï(|U(! : ^— Auge adorée! ju'éci'iai-je. j'ai ('iii(|ua!ite-ii(Mir ans! l-ille'poussa un ci'i (riiorrciir et s'(''\anouit.

Au niènic instant je ressenlio une Muleute atta(pi<' (le i'huinalisine.

La PeintiU'c.

Regrclt;


VI

L'Expiation

BalicL Taupiii ciUrc dans ma vie. J'ai soixante ans! Un lait do poule et mon bonnet de nuit. Dérangei* l'a dit. voilà tout ce qu'il me faut désormais!

« 0 Tonps, sa-^pends ton vol! )>

Je proteste, j'ai des velléités de révolte, mon cœur est encore jeune, ventrebleu!

Babet n'est pas ma dernière folie, elle est .ma première bêtise. Babet n'a rpie trente-cinq ans. elle est douillette, grasse; le jour où elle débarque chez moi, douce, timide, avec de grands anneaux aux oreilles et le bonnet de sa province sur ses yeux ]>udiquemciit baissés, je la trouve gentille. C'est bien la gouvernante qu'il faut à un jeune vieux garçon • ommemoi, 1-llle e-t mariée. Elle a eu des malheurs, <•(' scélérai. d»' 'laiipiii la battait... horrible' horrible! Je ne rniiiiireuai^, pa.^ Taui)in alor,>!

rremiere tran.'-f >rmation, peu à peu Babet de\iem

Un lait de poule cl son bonnet de nuil.


moins tiniidc. ses yeux se relèvent, son nez prend des mines de petit effronté. Pauvre Taii-])in!... Bah! puisqu'il la battait! \'ais-je avoir des scrupules pour Taupin, pour ce brutal?...

Deuxième transformation, Ba-bet devient tout à fait familière. Troisième transformation, Ba-J)et devient autoritaire. Puisqu'elle est gouvernante, elle doit tenir les rênes du gouvernement. Et elle les saisit d'une main ferme. Je n'ai pour échapper à Babet d'autre ressource ([ue le mariage. Mes vieilles idées matrimoniales me reviennent, il est encore temps de me ranger, comme on dit. Justement une jeune et aimable veuve de mes connaissances ferait bien mon affaire, elle a trente-six ans, nos âges sont en rapport. Malgré les scènes avec Babet, je fais ma cour, je lui conviens à n'en pas douter, elle se laisse embrasser la main et sourit âmes galanteries respectueuses. Sans nul-doute ma demande sera bien accueillie, je puis la risquer. Je la risque ! Patatras ! Ballet a fait des siennes ! J'aurais dû m'i'n donlor à Sf^s soui'i-Lid'CL dcilcni fm-nix.-. i 0-. d-û tianquillitc.

Qu'a-t-elle pu raconter, inventer? De mes rhumatismes, gagnés au service de la France quand j'étais hussard, elle a fait je ne sais quoi, des montagnes! Elle m'a peint en valétudinaire! En cacochyme ! en podagre !... Et celle que je considérais déjà comme ma fiancée, me répond par une lettre dans laquelle, sans périphrases, elle m'envoie prendre mes invalides ailleurs ! Mes invalides à 61 ans et demi !

Et voilà comment je ne pus mener à bonne fin ma dernière folie! Mon énergie m'abandonna. Babet reprit son sceptre. J'allais expier toutes mes vieilles fautes! Je commençai la série de mes testaments, léguant à Babet d'abord 600 livres de rente viagère, puis 800, puis 1,030, puis 1,200. En 1850, j'en étais à trois mille.

Un lait de poule et mon bonnet de nuit ! Je n'étais plus fringant du tout. Babet devenait une grosse bourgeoise portant châle et chapeau. Son nez n'avait plus la gentillesse de 1840 et son caractère s'aigrissait de plus en plus. 0 Tau-pin, tu avais pris le parti le plus sage, tu l'avais plantée là jadis! Moi je ne pouvais pas; à soixante-quinze ans passés, on n'aime pas les scènes. Et puis était-ce bien la peine de lutter pour les quelques jours qui me restaient à vivre? car je comptais bien que mes rhumatismes et mes ennuis allaient abréger mes jours et je me préparais à

Dabcl se transforme.


— salaire bonne mine au nautonier Caron, comme on disait dans mon temps. Les années passèrent et, à mon grand étonnement, je durais toujours. Je

Dernières velléités matrimo7iiales.


reverdissais même pendant que Babet grossissait et s'alourdissait. Par mon testament de 1860, je lui léguai cinq mille francs de rente viagère, je ne lésinais plus, un vague espoir venait de naître dans mon cœur, l'espoir d'enterrer Babet. Hé, hé ! une bonne farce à lui faire! Avec une volonté ferme, avec de la ténacité je pouvais y arriver. La gaîté revint, ma vie avait un but !

Comme tout changeait autour de moi, les gouvernements, les gens, les mœurs, Babet et tout ! Retiré à la campagne dans le village de Belleville, en 1840. j'avais vu la ville me gagner et enfermer peu à peu mon jardin plein de roses dans une ceinture de maisons; il poussait des cheminées oîi j'avais vu pousser du blé ; à la place des vignes qui donnaient de la

Les scènes de Dabet.


I)i<|uettc pour les cabarets de la barrière, je voyais de laides bâtisses ou des usines. Plus de poésie dans ce triste monde, plus beaucoup d'amour peut-être, ce sentiment doit s'être transformé lui aussi, plus de galanterie, de la grossièreté! plus rien! Comme les femmes doivent être malheureuses! je suis certain (pi'en ce siècle plein de prosaïsme, on ne voit plus aucune jeune fille s'engager par amour dans les luissards!

Babet continuait à se transformer, elle devenait monstrueuse; dans le quartier elle était très considérée, c'était Madame Taupin, « une cligne parente qui se dévoue à soigner ce vieux M. Aubespin de Saint-Ainour !...)) J'avais parlé de la faire ma légataire universelle et elle ne inc pressait nullement de porter ces nouvelles dispositions sur papier timbré. Elle me regardait d'un œil inquiet, évidemment elle commençait à craindre de partir avant moi, le vieux qui n'avait plus d'âge. Je savourais ses frémissements et ses inquiétudes, c'était ma vengeance!...

Et pendant cette longue, longue période, pendant ces années que je m'obstine à vivre pour e.muyer Babet, mon seul bonheur, bonheur doux et amer, est de m'éloigner de ce monde nouveau que j'ignore, où personne ne me connaît plus et ne m'aime plus, et de retourner en arrière dans l'ancien monde disparu, de m'enfoncer dans mes souvenirs, de passer la revue des joies du passé. Celles que j'ai aimées, —et qui me l'ont un peu rendu. — je les aime encore, rétrospectivement, hélas! je fais plus que les aimer, je leur voue un culte! Il me semble que je ne les ai pas chéries, adorées...

Comme je voudrais pouvoir ressaisir quelques heures de ce passé si lointain pour leur dire des choses que je dois avoir oublié de leur dire et qui me reviennent maintenant!... Et j'ai eu des torts aussi que je voudrais bien réparer... et j'ai des explications que je voudrais bien donner... O vous les belles volages qui m'avez trompé jadis, il y a longtemps que je vous ai pardonné, vous êtes là comme

Dabct grosse boanjaolse.


suffisamm :^nt appréciées,

Réminiscences.


les antres devant moi, fantômes chéris, et je vous aime tout autant...

Hélas! sourires féminins, rayons d'un soleil disparu qui n'illuminerez plus ma vie, c'est fini, vous ne flamberez plus pour moi, le vieux centenaire, dans ce monde-ci du moins. Il n'y a plus que Babet et Babet ne sourit pas.

L'expiation. — Babet Taupin 1S80.


Que dis-je, Babet! La voilà partie à son tour! Maintenant mon obstination n'a plus aucun motif et je serais impardonnable de rester plus longtemps, je dois paraître indiscret ! Je dbis m'en aller. Voyons Talmanach, ce carton cruel que je cache dès que le facteur me l'a donné avec ses souhaits,— c'est d'ailleurs la seule chose qu'il m'apporte puisque personne ne peut plus m'écrire. Voyons, en quelle année sommes-nous au juste? Ciel! mais je vais avoir cent un ans dans quelques jours!...

Encore quelques journées de patience, au plus quelques semaines à user dans la contemplation de mes portraits aimés... Vous reverrai-je là-haut, chères aimées, fidèles ou volages? Qui sait? Le premier mome:it sera gênant, mais après une explication franche, j'ose espérer que tout s'arrangera, que Babet ne sera pas là et que vous me sourirez encore !

PARIS — IMPRIMERIE BREVETEE CHARLES BLOT

RUE BLEUE. 7

6538/S^

La Bibliothèque Université d'Ottawa Echéance

The Library University of Ottaw Date Due

MJR2 4 2009

LBE PORTEFEUILLE

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