San-Antonio Réflexions croustillantes sur nos semblables Morceaux choisis recueillis par Raymond Milési

Je ne sais pas ce que j’ai fait au Seigneur pour qu’il m’affuble d’une tête comme la vôtre.

C’est un puissant quinquagénaire qui n’aurait aucune peine à mesurer deux mètres s’il avait vingt-huit centimètres de mieux. Il est puissant, noir de poil, débordant de tout, avec un air de vouloir paraître gentil qui mettrait sur ses gardes un mendiant aveugle. Ses joues tremblotantes ressemblent à des fesses. Il porte de grosses lunettes à monture d’écaille et jouit de sourcils touffus. Il débute chacune de ses phrases par une sorte de barrissement chargé, dirait-on, de « faire un tympan » à ses interlocuteurs. Il apostrophe, tonitrue. Affirme. Assène. Partout, il est en chaire. Sa vie est une tribune du haut de laquelle il se dit au monde médusé.

Cet homme a deux langages. Il parle des autres en style télégraphique, ayant un minimum de salive à leur consacrer, économisant les épithètes, rognant sur les articles et les pronoms, sautant les verbes. Mais il fait montre d’une complaisance torrentielle pour parler de lui. Il se chérit, se surenchérit, déborde d’adverbes et de qualificatifs, chausse les pires pléonasmes, pilonne à coups de redites, souligne par des onomatopées. Il est certain que tout ce qu’il énonce, pense, projette de dire et tait par manque de temps est d’un intérêt démoniaque. Son charme ne lui fait aucun doute. Il en est si plein qu’il s’en égoutte et nous en dégoûte.

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