22. LE MEILLEUR ENCORE EST A NAITRE

Trente jours s’étaient écoulés depuis la nuit où il avait décollé un peu avant l’heure H qui devait être l’heure 0 de la destruction de la galaxie. L’éther grésillait d’ordres frénétiques l’appelant à faire demi-tour, mais il n’avait pas rebroussé chemin.

Pas avant d’avoir anéanti le temple de Senloo.

Cet acte d’héroïsme était maintenant officiel. Il avait en poche la médaille de première classe de l’Ordre de l’Astronef et du Soleil. En dehors de lui, il n’y avait que deux hommes dans toute la galaxie qui s’étaient vu décerner cette décoration de leur vivant.

C’était quand même quelque chose pour un tailleur à la retraite.

Certes, en dehors d’une poignée de très hauts dignitaires, personne ne savait au juste ce qu’il avait fait, mais c’était sans importance. Un jour, les livres d’histoire témoigneraient à jamais de cet exploit.

Dans le silence du soir, il se rendait chez le Dr Shekt. La ville était calme, aussi calme que le ciel constellé au-dessus d’elle. Dans certains endroits isolés de la Terre, des bandes de zélotes s’agitaient encore, mais leurs chefs étaient morts ou prisonniers et les Terriens modérés pouvaient eux-mêmes se charger de ces commandos.

Les premiers et gigantesques convoyeurs chargés d’humus non radio-actif étaient en route. Ennius avait renouvelé sa proposition originelle, mais la population de la Terre avait refusé d’émigrer sur une autre planète. Les Terriens ne demandaient pas la charité. Ils voulaient qu’on leur accorde une chance de remodeler leur monde, de reconstruire la patrie de leurs ancêtres, le berceau originel de l’humanité. Ils voulaient peiner sang et eau, faire disparaître le sol contaminé et le remplacer par un sol sain, ils voulaient voir les étendues mortes exploser de verdure, les déserts refleurir dans toute leur beauté.

C’était une œuvre de titans qui demanderait un siècle. Eh bien, tant pis ! La galaxie leur prêterait des machines, la galaxie leur livrerait des vivres, la galaxie leur fournirait l’humus. Compte tenu de ses incalculables ressources, ce serait une bagatelle – et un investissement qui rapporterait.

Et, plus tard, les Terriens redeviendraient un peuple parmi les peuples, habitant une planète parmi les planètes, et ils seraient sur un pied d’égalité avec le reste de l’humanité.

C’était une telle merveille que le cœur de Schwartz battait tandis qu’il gravissait le perron. Dans une semaine, il partirait avec Arvardan pour visiter les grands mondes centraux de la galaxie. Quel homme de sa génération avait jamais quitté la Terre ?

Un instant, il se prit à songer à la vieille Terre, sa Terre à lui, morte depuis si longtemps.

Pourtant, il n’avait vieilli que de trois mois et demi…

Au moment où il levait la main pour signaler sa présence, des mots résonnèrent dans sa tête et il s’immobilisa. A présent, il entendait les pensées avec une extraordinaire clarté. On eût dit des clochettes.

C’était Arvardan, bien sûr, et de simples mots étaient incapables de traduire, tout ce qui s’agitait dans son esprit.

— Pola, j’ai attendu et j’ai réfléchi, j’ai réfléchi et j’ai attendu. Cela suffit comme ça. Tu vas venir avec moi. La même passion habitait Pola mais ce fut à regret qu’elle répondit :

— C’est impossible, Bel. Absolument impossible. Je ne suis qu’une provinciale et je me sentirais toute sotte sur ces grandes planètes. D’ailleurs, je ne suis qu’une Tern.

— Tais-toi ! Tu es ma femme, et c’est tout. Si quelqu’un te demande qui tu es, tu répondras que tu es née sur la Terre et que tu es citoyenne de l’empire. Et si l’on te demande d’autres détails, tu ajouteras que tu es mon épouse.

— Soit, mais quand tu auras fait ta communication à la société archéologique de Trantor, que se passera-t-il ?

— Ce qui se passera ? Pour commencer, nous prendrons un an de congé et nous visiterons les principales planètes de la galaxie. Nous n’en négligerons pas une seule, même s’il faut pour cela emprunter des fusées postales. Tu feras la connaissance de la galaxie et tu auras la plus belle lune de miel qu’on puisse s’offrir avec l’argent du gouvernement.

— Et ensuite ?

— Ensuite, nous reviendrons sur la Terre, nous nous engagerons dans les bataillons du travail et nous passerons les prochaines quarante années de notre existence à faire de la terrasse pour régénérer les régions radio-actives.

— Mais pourquoi veux-tu faire cela ?

— Parce que… (A ce moment, l’attouchement mental d’Arvardan ressembla à un profond soupir.) Parce que je t’aime, parce que c’est ce que tu désires et parce que je suis un Terrien patriote comme mes papiers de naturalisation honoraire en font foi.

— Bien…

La conversation prit fin.

Mais, évidemment, le contact mental se poursuivit et Schwartz, tout heureux mais un peu gêné, s’éloigna. Il pouvait attendre. Il serait toujours temps de les déranger quand ils auraient retrouvé leur sérénité. Il attendit dans la rue. Les étoiles luisaient de leur éclat glacé dans le ciel. Toute une galaxie d’astres visibles et invisibles.

Alors, pour lui-même, pour la Terre nouvelle, pour les millions de planètes lointaines, Joseph Schwartz récita à mi-voix le vieux poème qu’il était désormais le seul à connaître :

Vieillissons ensemble !

Le meilleur, encore, est à naître.

L’apogée, la raison d’être de tout ce qui a été vécu…

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