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Notre chute s’arrête brutalement contre les restes d’une charpente, poutres entrelacées et fumantes.
L’accès de rage de Siyah nous a ramenés rue du Horla, près du cratère qui a remplacé le numéro 13.
– Ton père ne peut plus m’interdire quoi que ce soit, halète Siyah en se redressant. Je vais te tuer ! Je t’avais prévenu que tu me le paierais un jour !
Je me relève aussi. Mes courbatures ont presque disparu, ainsi que les marques laissées par les coups de Fulgence. Les capacités de régénération d’un démon semblent rivaliser avec celles des loups-garous.
« Et toi, Ombe, ça va ? »
Je me mords les lèvres.
Ombe n’est plus là.
Elle a retrouvé une vie, ailleurs.
Je ne la reverrai jamais et je n’ai pas eu le temps de lui dire au revoir, à cause de cet imbécile.
Je serre les poings. Siyah va le regretter.
Si je me sens d’attaque, ce n’est pas le cas du mage noir. Les passages d’un monde à l’autre réclament de l’énergie et, si puissant soit-il, Siyah n’est qu’un homme. Normal ou Paranormal, c’est (presque) pareil.
– Une fatigue passagère ? je demande, tandis qu’il peine à retrouver son souffle.
Je lui assène un grand coup de boule sur le nez.
Le sang gicle.
Il pousse un cri de souffrance et recule en titubant.
J’enchaîne avec un énorme coup de poing qui l’envoie à terre.
Il crache une dent, avant de ricaner :
– Tu te crois fort, hein, démon ? Tu aurais dû accepter la proposition de ton père. Dans le Nûr-Burzum, ils t’auraient adulé. Ici, ils vont te craindre et te détester. L’Association te chassera, tes amis te fermeront leur porte et te regarderont avec horreur. Je suis peut-être un traître mais j’appartiens à ce monde ! Pas toi !
Les mots du mage produisent l’effet escompté.
Toute ma vie a été conditionnée par la question pesante du « où vais-je ? ». S’est ajoutée depuis quelque temps celle du « qui suis-je ? », qui n’est pas moins lourde.
Le mage noir met le doigt là où ça fait mal (et pas dans l’œil, cette fois). Comme si les problèmes spécifiques de l’adolescence ne suffisaient pas !
Je ressens l’absence d’Ombe dans toute sa cruauté. Elle aurait relativisé, elle m’aurait consolé, elle aurait trouvé les mots.
Elle m’aurait dit : « Ne l’écoute pas, Jasper. C’est un vieillard aigri ! Toi aussi, tu es de ce monde, à moitié en tout cas. »
Elle aurait ajouté : « Fais gaffe, Jasp ! Il cherche à t’embrouiller ! Ne te déconcentre pas ! »
Et elle aurait eu raison.
Parce que Siyah, basculant sur le côté, sort de sous son manteau un Taser de la MAD.