Rhenanes

Nuit rhénane

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme

Écoutez la chanson lente d'un batelier

Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes

Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds


Debout chantez plus haut en dansant une ronde

Que je n'entende plus le chant du batelier

Et mettez près de moi toutes les filles blondes

Au regard immobile aux nattes repliées


Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent

Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter

La voix chante toujours à en râle-mourir

Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été


Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

Mai

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin

Des dames regardaient du haut de la montagne

Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne

Qui donc a fait pleurer les saules riverains?


Or des vergers fleuris se figeaient en arrière

Les pétales tombés des cerisiers de mai

Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée

Les pétales fleuris sont comme ses paupières


Sur le chemin du bord du fleuve lentement

Un ours un singe un chien menés par des tziganes

Suivaient une roulotte traînée par un âne

Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment


Le mai le joli mai a paré les ruines

De lierre de vigne vierge et de rosiers

Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers

Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

La synagogue

Ottomar Scholem et Abraham Lœweren

Coiffés de feutres verts le matin du sabbat

Vont à la synagogue en longeant le Rhin

Et les coteaux où les vignes rougissent là-bas


Ils se disputent et crient des choses qu'on ose à peine traduire

Bâtard conçu pendant les règles ou Que le diable entre dans ton père

Le vieux Rhin soulève sa face ruisselante et se détourne pour sourire

Ottomar Scholem et Abraham Lœweren sont en colère


Parce que pendant le sabbat on ne doit pas fumer

Tandis que les chrétiens passent avec des cigares allumés

Et parce qu'Ottomar et Abraham aiment tous deux

Lia aux yeux de brebis et dont le ventre avance un peu


Pourtant tout à l'heure dans la synagogue l'un après l'autre

Ils baiseront la thora en soulevant leur beau chapeau

Parmi les feuillards de la fête des cabanes

Ottomar en chantant sourira à Abraham


Ils déchanteront sans mesure et les voix graves des hommes

Feront gémir un Léviathan au fond du Rhin comme une voix d'automne

Et dans la synagogue pleine de chapeaux on agitera les loulabim

Hanoten ne Kamoth bagoim tholahoth baleoumim

Les cloches

Mon beau tzigane mon amant

Écoute les cloches qui sonnent

Nous nous aimions éperdument

Croyant n'être vus de personne


Mais nous étions bien mal cachés

Toutes les cloches à la ronde

Nous ont vus du haut des clochers

Et le disent à tout le monde


Demain Cyprien et Henri

Marie Ursule et Catherine

La boulangère et son mari

Et puis Gertrude ma cousine


Souriront quand je passerai

Je ne saurai plus où me mettre

Tu seras loin Je pleurerai

J'en mourrai peut-être

La Loreley

A Jean Sève


A Bacharach il y avait une sorcière blonde

Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde


Devant son tribunal l'évêque la fit citer

D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté


O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries

De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie


Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits

Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri


Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries

Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie


Je flambe dans ces flammes Ô belle Loreley

Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé


Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge

Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège


Mon amant est parti pour un pays lointain

Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien


Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure

Si je me regardais il faudrait que j'en meure


Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là

Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla


L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances

Menez jusqu'au couvent cette femme en démence


Va t'en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants

Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc


Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre

La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres


Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut

Pour voir une fois encore mon beau château


Pour me mirer une fois encore dans le fleuve

Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves


Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés

Les chevaliers criaient Loreley Loreley


Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelle

Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle


Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient

Elle se penche alors et tombe dans le Rhin


Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

Schinderhannes

Dans la foret avec sa bande

Schinderhannes s'est désarmé

Le brigand près de sa brigande

Hennit d'amour au joli mai


Benzel accroupi lit la Bible

Sans voir que son chapeau pointu

A plume d'aigle sert de cible

A Jacob Born le mal foutu


Juliette Blaesius qui rote

Fait semblant d'avoir le hoquet

Hannes pousse une fausse note

Quand Schulz vient portant un baquet


Et s'écrie en versant des larmes

Baquet plein de vin parfumé

Viennent aujourd'hui les gendarmes

Nous aurons bu le vin de mai


Allons Julia la mam'zelle

Bois avec nous ce clair bouillon

D'herbes et de vin de Moselle

Prosit Bandit en cotillon


Cette brigande est bientôt soûle

Et veut Hannes qui n'en veut pas

Pas d'amour maintenant ma poule

Sers-nous un bon petit repas


Il faut ce soir que j'assassine

Ce riche juif au bord du Rhin

Au clair des torches de résine

La fleur de mai c'est le florin


On mange alors toute la bande

Pète et rit pendant le dîner

Puis s'attendrit à l'allemande

Avant d'aller assassiner

Rhénane d'automne

A Toussaint-Luca


Les enfants des morts vont jouer

Dans le cimetière

Martin Gertrude Hans et Henri

Nul coq n'a chanté aujourd'hui

Kikiriki


Les vieilles femmes

Tout en pleurant cheminent

Et les bons ânes

Braillent hi han et se mettent à brouter les fleurs

Des couronnes mortuaires


C'est le jour des morts et de toutes leurs âmes

Les enfants et les vieilles femmes

Allument des bougies et des cierges

Sur chaque tombe catholique

Les voiles des vieilles

Les nuages du ciel

Sont comme des barbes de biques


L'ait tremble de flammes et de prières

Le cimetière est un beau jardin

Plein de saules gris et de romarins

Il vous vient souvent des amis qu'on enterre

ah! que vous êtes bien dans le beau cimetière

Vous mendiants morts saouls de bière

Vous les aveugles comme le destin

Et vous petits enfants morts en prière


Ah! que vous êtes bien dans le beau cimetière

Vous bourgmestres vous bateliers

Et vous conseillers de régence

Vous aussi tziganes sans papiers

La vie vous pourrit dans la panse

La croix vous pousse entre les pieds


Le vent du Rhin ulule avec tous les hiboux

Il éteint les cierges que toujours les enfants rallument

Et les feuilles mortes

Viennent couvrir les morts


Des enfants morts parlent parfois avec leur mère

Et des mortes parfois voudraient bien revenir


Oh! je ne veux pas que tu sortes

L'automne est plein de mains coupées

Non non ce sont des feuilles mortes

Ce sont les mains des chères mortes

Ce sont tes mains coupées

Nous avons tant pleuré aujourd'hui

Avec ces morts leurs enfants et les vieilles femmes

Sous le ciel sans soleil

Au cimetière plein de flammes


Puis dans le vent nous nous en retournâmes


A nos pieds roulaient des châtaignes

Dont les bogues étaient

Comme le cœur blessé de la madone

Dont on doute si elle eut la peau

Couleur des châtaignes d'automne

Les sapins

Les sapins en bonnets pointus

De longues robes revêtu

Comme des astrologues

Saluent leurs frères abattus

Les bateaux qui sur le Rhin voguent


Dans les sept arts endoctrinés

Par les vieux sapins leurs aînés

Qui sont de grands poètes

Ils se savent prédestinés

A briller plus que des planètes


A briller doucement changés

En étoiles et enneigés

Aux Noëls bienheureuses

Fêtes des sapins ensongés

Aux longues branches langoureuses


Les sapins beaux musiciens

Chantent des noëls anciens

Au vent des soirs d'automne

Ou bien graves magiciens

Incantent le ciel quand il tonne


Des rangées de blancs chérubins

Remplacent l'hiver les sapins

Et balancent leurs ailes

L'été ce sont de grands rabbins

Ou bien de vieilles demoiselles


Sapins médecins divagants

Ils vont offrant leurs bons onguents

Quand la montagne accouche

De temps en temps sous l'ouragan

Un vieux sapin geint et se couche

Les femmes

Dans la maison du vigneron les femmes cousent

Lenchen remplis le poêle et mets l'eau du café

Dessus – Le chat s'étire après s'être chauffé

– Gertrude et son voisin Martin enfin s'épousent


Le rossignol aveugle essaya de chanter

Mais l'effraie ululant il trembla dans sa cage

Ce cyprès là-bas a l'air du pape en voyage

Sous la neige – Le facteur vient de s'arrêter


Pour causer avec le nouveau maître d'école

– Cet hiver est très froid le vin sera très bon

– Le sacristain sourd et boiteux est moribond

– La fille du vieux bourgmestre brode une étole


Pour la fête du curé La forêt là-bas

Grâce au vent chantait à voix grave de grand orgue

Le songe Herr Traum survint avec sa sœur Frau Sorge

Kaethi tu n'as bien raccommodé ces bas


– Apporte le café le beurre et les tartines

La marmelade le saindoux un pot de lait

– Encore un peu de café Lenchen s'il te plaît

– On dirait que le vent dit des phrases latines


– Encore un peu de café Lenchen s'il te plaît

– Lotte es-tu triste O petit cœur – Je crois qu'elle aime

– Dieu garde – Pour ma part je n'aime que moi-même

– Chut A présent grand-mère dit son chapelet


– Il me faut du sucre candi Leni je tousse

– Pierre mène son furet chasser les lapins

Le vent faisait danser en rond tous les sapins

Lotte l'amour rend triste – Ilse la vie est douce


La nuit tombait Les vignobles aux ceps tordus

Devenaient dans l'obscurité des ossuaires

En neige et repliés gisaient là des suaires

Et des chiens aboyaient aux passants morfondus


Il est mort écoutez La cloche de l'église

Sonnait tout doucement la mort du sacristain

Lise il faut attiser le poêle qui s'éteint

Les femmes se signaient dans la nuit indécise


Septembre 1901 – mai 1902

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