À Gustave de Coutouly.
Vous dont les rêves sont les miens,
Vers quelle terre plus clémente,
Par la pluie et par la tourmente,
Marchez-vous, doux Bohémiens ?
Hélas ! dans vos froides prunelles
Où donc le rayon de soleil ?
Qui vous chantera le réveil
Des espérances éternelles ?
Le pas grave, le front courbé,
A travers la grande nature
Allez, ô voix de l'Aventure !
Votre diadème est tombé !
Pour vous, jusqu'à la source claire
Que Juillet tarira demain,
Jusqu'à la mousse du chemin,
Tout se montre plein de colère.
On ne voit plus sur les coteaux,
Au milieu des vignes fleuries,
Se dérouler les draperies
Lumineuses de vos manteaux !
L'ennui profond, l'ennui sans bornes,
Vous guide, ô mes frères errants !
Et les cieux les plus transparents
Semblent sur vous devenir mornes.
Quelquefois, par les tendres soirs,
Lorsque la nuit paisible tombe,
Vous voyez sortir de la tombe
Les spectres vains de vos espoirs.
Et la Bohème poétique,
Par qui nous nous émerveillons,
Avec ses radieux haillons
Surgit, vivante et fantastique.
Et, dans un rapide galop,
Vous voyez tournoyer la ronde
Du peuple noblement immonde
Que nous légua le grand Callot.
Ainsi, dans ma noire tristesse,
Je revois, joyeux et charmants,
Passer tous les enivrements
De qui mon âme fut l'hôtesse ;
Les poèmes inachevés,
Les chansons aux rimes hautaines,
Les haltes au bord des fontaines,
Les chants et les bonheurs rêvés ;
Tout prend une voix et m'invite
A recommencer le chemin,
Tout me paraît tendre la main...
Mais la vision passe vite.
Et, par les temps mauvais ou bons,
Je reprends, sans nulle pensée,
Ma route, la tête baissée,
Pareil à mes chers vagabonds !