Robert A. Heinlein Double étoile

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Si quelqu’un fait son entrée, vêtu comme un cul-terreux et qu’il se conduit comme si la maison lui appartenait, pas de doute, c’est un astronavigateur. Obligatoire ! Le métier fait croire qu’on est le maître de la création. Et quand un « navigateur » pose le pied sur le plancher des vaches, c’est comme s’il venait en visite chez des paysans. Pour ce qui est du manque d’élégance, l’homme qui passe le plus clair de son temps habillé d’un uniforme, qui est plus habitué aux profondeurs de l’espace qu’à celles de la civilisation, ne peut pas être bien mis. Il est la proie rêvée de ces prétendus tailleurs qui champignonnent autour des astroports, toujours en train de vous proposer des « tenues de sol ».

Ainsi, ça se voyait tout de suite, ce grand gaillard osseux était habillé par Omar le Marchand de Tentes : épaules trop rembourrées ; short remontant sur les cuisses poilues ; blouson chiffonné, fait sur mesure pour un cheval de course, oui… peut-être ?

N’importe. Tout cela, je le gardais pour moi tandis que je lui payais à boire, avec le seul impérial qui me restait. Bon placement, quand on est au courant des folles dépenses de ces astronavigateurs.

— Du vent dans les turbines ! fis-je en levant mon verre.

Il me jeta un regard froid.

Première de mes erreurs en ce qui concerne Broadbent.

Au lieu de répondre :

« Libre est l’espace », ou « Bon atterrissage ! » comme il l’aurait dû, il me regarda encore une fois et murmura :

— Merci de la politesse, mais il y a erreur sur la personne. Je n’ai jamais quitté Terre.

Là où nous étions, d’ailleurs, j’aurais aussi bien fait de ne pas ouvrir la bouche. Ce n’est pas souvent que les navigateurs viennent au bar de la Casa Mañana. Ce n’est pas le genre d’endroit qu’ils fréquentent. Et puis c’est loin de l’astroport. Si l’un d’entre eux, « en tenue de sol », ne veut pas qu’on le reconnaisse comme tel, libre à lui… Pour moi, d’où j’étais, je voyais sans être vu. Je devais une petite somme. Rien d’important. Mais cela embarrasse quand même. Lui, il devait avoir ses bonnes raisons. A moi de les respecter.

Seulement mes cordes vocales ont leur petite vie à elles.

— A d’autres, mon gars, lui dis-je donc, à d’autres ! Je veux être pendu si tu es un cochon de terrien. (Et, après avoir remarqué sa façon précautionneuse de lever son verre qui trahissait l’accoutumance à une gravitation plus faible que la terrestre :) D’ailleurs je suis prêt à parier que tu as bu plus souvent sur Mars que sur Terre.

— Pas si fort, voyons !… D’ailleurs, pourquoi serais-tu si sûr ? Tu ne me connais pas, non ?

— Pardon, excuse ! Vous pouvez être ce que vous voudrez, mais vous ne pouvez pas m’empêcher d’avoir des yeux. Je me suis rendu compte dès votre entrée ici.

— Ah ! comment ça ?

— Ne vous cassez pas la tête. Personne d’autre n’a vu. Mais moi, je vois ce que les autres ne voient pas. (Là, je lui tends ma carte, avec un peu de manière, et je dis :) Il n’y a qu’un et un seul Lorenzo Smythe, le grand Lorenzo en personne, Pantomime et Mimique Artistique, l’Homme Orchestre du Théâtre !

Il lit ma carte, la glisse dans sa poche. Ce qui m’ennuie. Ces cartes coûtent chaud… de la vraie imitation de gravure à la main !

— Oui ! je vois ce que vous voulez dire, me répond-il ; mais qu’est-ce qui cloche dans ma façon de me conduire ?

— Je vais vous montrer ça. Je marcherai jusqu’à la porte comme un cochon de terrien et je reviendrai en marchant comme vous.

Ce que je fis. En revenant, je donnai une version légèrement exagérée de sa façon d’avancer afin de permettre à son œil non entraîné de bien se rendre compte : pieds traînés légèrement comme si le sol avait été le pont, poids du corps porté en avant et balancement des hanches, mains tendues séparées du corps, prêtes à saisir quelque chose au cas où ce serait utile.

Il y a une douzaine d’autres détails impossibles, à formuler. Le fait est qu’il faut être véritablement un astronavigateur quand on est en train de faire cela, qu’il faut avoir le corps alerte, le balancement inconscient, qu’il faut vivre ce que l’on est en train de jouer. L’homme de la ville chemine sur une terre lisse, de même gravitation toute sa vie durant, et il y a des chances qu’il trébuche sur une feuille de papier à cigarettes posée devant son pied. Pas le matelot de l’espace.

— Vous saisissez ?

— Oui, je crains que oui ! fit-il avec une pointe d’amertume. Est-ce que, vraiment, j’ai marché comme ça ?

— Eh oui !

— Hum !… Alors il va peut-être falloir que je prenne des leçons avec vous.

— Vous pourriez faire pire.

Il restait là assis, à me regarder, faisant mine d’ouvrir la bouche. Puis la refermait. Puis… il fit signe au garçon de nous remettre ça. Quand on nous eut servis, il paya tout de suite, se glissa hors de son siège d’un mouvement souple :

— Attendez-moi, dit-il.

Je ne pouvais plus refuser. Un verre avait suffi. Il m’intéressait. Après dix minutes de conversation, il me plaisait déjà. C’était le genre grand, fort et bête mais joli garçon, qui plaît aux femmes et se fait obéir des hommes. Toujours d’une démarche aussi gracieuse, il traversa la salle. Il passa devant la table des quatre Martiens, près de la porte. Je n’aime pas les Martiens. Je n’aime pas qu’une chose qui ressemble à un tronc d’arbre surmonté d’un casque colonial jouisse des mêmes droits qu’un homme. Je n’aime pas cette façon de pousser des pseudopodes qui paraissent autant de serpents sortant de leur trou. Ni cette façon de regarder dans tous les sens mais sans jamais tourner la tête. Si tant est qu’il y ait une tête, ce qui n’est pas le cas. Et je ne supporte pas cette odeur.

Personne ne m’accuserait de préjugés raciaux. La race, la couleur, la religion d’un homme ne me font rien. Mais les hommes sont hommes. Et les Martiens sont des choses. Pas même des animaux. A choisir, j’aimerais mieux fréquenter un pécari. Il me paraît scandaleux qu’on les autorise à entrer dans les restaurants et les cafés. Mais il y a le Traité, bien sûr ! et ça, on n’y peut rien.

Ces quatre n’étaient pas là à mon arrivée. Sans quoi je les aurais sentis. Ni un quart d’heure auparavant, quand j’avais marché jusqu’à la porte. A présent, chacun d’eux se tenait sur son piédestal, autour de la table, en train de jouer à faire l’homme. Je n’avais même pas entendu la climatisation changer de vitesse.

Même le verre qu’on m’avait offert ne me tentait plus. Simplement, j’attendais le retour de l’astronavigateur de façon à pouvoir prendre congé poliment. Tiens ! Il avait regardé dans leur direction juste au moment de partir en hâte. Est-ce que les Martiens y seraient pour quelque chose ? Faisaient-ils attention à moi ? Mais le moyen de savoir si des Martiens vous surveillent ? Ou ce qu’ils pensent ? Autre chose encore qui ne me plaisait pas chez eux.

Un bon bout de temps, je restai là à tripoter mon verre. Qu’est-ce que mon ami, l’homme de l’espace, pouvait bien devenir ? J’avais eu comme un espoir que son hospitalité s’étendrait jusqu’au dîner. Et même, au cas où nous ferions suffisamment ami-ami, peut-être irait-il jusqu’à un petit prêt. Pour les autres perspectives, elles étaient bouchées. Les deux dernières fois que j’avais appelé mon agent, l’autosecrétaire s’était contentée d’enregistrer le message. Et si je ne trouvais pas de pièces à introduire dans la porte, je n’aurais pas ma chambre pour cette nuit à venir… Eh oui, j’en étais réduit à ça : dormir dans une chambre à compteur !

A cet endroit de ma méditation morose, le garçon me toucha le coude :

— On vous demande, monsieur.

— Bon ! eh bien, mon ami, apportez l’appareil jusqu’ici.

— Navré, m’sieur, pas possible ! La cabine 12, dans le hall.

— Je vous remercie, fis-je d’autant plus cordial que j’aurais été bien en peine de lui donner un pourboire.

Je ne fus pas long à comprendre pourquoi l’on n’avait pu m’apporter l’appareil jusqu’à ma place. La cabine n° 12 était une « sécurité maximum », vue, son et brouillage. Rien sur l’écran laiteux jusqu’au moment où je me fus mis en place, la figure tout contre. Là, les nuages opalescents se dissipent, je retrouve devant moi mon ami le Voyageur :

— Pardon de vous laisser tomber comme ça, me dit-il : mais je suis pressé. Il faut que vous veniez immédiatement à l’Eisenhower, chambre 2106.

Sans autre explication.

On imagine à peu près aussi bien un astronavigateur à l’Hôtel Eisenhower qu’à la Casa Mañana. Enfin quoi ! on ne ramasse pas un étranger dans un bar, on n’insiste pas pour qu’il vienne vous retrouver dans votre chambre d’hôtel, du moins quand on appartient au même sexe !

— Et pour faire quoi ? demandai-je.

L’astronavigateur eut ce regard des hommes habitués à ce qu’on leur obéisse sans murmure. J’étudiai son visage avec un intérêt professionnel. Oh ! il n’était pas en colère. Plutôt quelque chose comme le tonnerre avant l’orage. Tiens, il se reprenait en main, et très calme :

— Lorenzo, dit-il : pas le temps de vous expliquer. Un travail, ça vous intéresse ?

— Vous voulez dire une proposition d’affaire ?

Je lui avais répondu lentement. Pendant un horrible instant, j’avais supposé qu’il était en train de me proposer… Jusqu’ici, j’avais réussi à garder intacte ma fierté d’artiste, en dépit « des traits et des rets d’une fortune adverse…[1] ».

— Naturellement qu’il s’agit d’une proposition d’affaire. Nous avons besoin du meilleur acteur qu’on puisse trouver sur la place.

Je fis de mon mieux pour dissimuler le soulagement que j’éprouvais. Certes, j’étais disposé à accepter n’importe quel travail professionnel. J’aurais joué avec joie jusqu’à la scène du balcon dans Roméo et Juliette. Mais il ne faut jamais manifester d’empressement.

— Quel genre de travail ? demandai-je. Vous savez que j’ai un programme plutôt chargé.

— Impossible de vous expliquer ça au bout du fil. Vous ignorez sans doute que n’importe quel circuit de brouillage peut être débrouillé avec une bonne installation. Amenez-vous ici en vitesse.

Il y tenait. Donc je pouvais me permettre de ne montrer aucune espèce de hâte.

— Écoutez, lui dis-je : pour qui est-ce que vous me prenez ? Pour un groom ? pour une espèce de bizuth qui crève d’envie de jouer les figurants porteurs de hallebarde ? (Je relevais le menton et pris l’air offensé.) Et d’abord, combien offrez-vous ?

— Ah ! la, la ! zut ! Je ne peux pas vous expliquer ça au bigophone. Voyons, combien vous donne-t-on d’habitude ?

Vous voulez dire le salaire ?

— Exactement.

— A la vacation ou par semaine ou par contrat d’exclusivité ?

— Peu importe, combien par jour ?

— Trois cents impérials, minimum, par soirée.

Et c’était vrai. Bien sûr, il m’est arrivé de payer là-dessus d’énormes pots-de-vin aux agents, mais celui qui me payait ne voyait jamais que le chiffre fixé. On a son prix. Plutôt crever de faim que de jouer à moins.

— Très bien alors ! Venez. Et je vous donne cent impérials comptant, à la seconde où vous vous présentez ici.

— Mais je n’ai pas dit que j’acceptais.

— N’acceptez pas. On en recausera. Les cent machins sont pour vous dans tous les cas. Ce sera une prime en plus du salaire si vous acceptez. Vous venez refuser ?

— Bien sûr cher ami. Un peu de patience.

Il est heureux que l’Eisenhower soit tout près de la Casa Mañana parce que je n’avais pas un traître minum pour prendre le Tube. Je n’ignore pas que quand quelqu’un met tant de bonne volonté à vous offrir de l’argent il faut regarder soigneusement les cartes. C’est une affaire illégale ou dangereuse, ou les deux à la fois… Mais comme je ne savais pas de quoi il retournait, je décidai de ne plus y penser.

Je jetai ma cape sur l’épaule, j’avançai d’un bon pas, savourant l’automne tiède et les parfums de la capitale. L’art de la promenade est un art perdu, et je suis l’un des derniers à le pratiquer. J’arrivai, pris le tube-chasseur jusqu’au vingt-et-unième, et mon ami le Voyageur m’introduisit chez lui :

— Vous avez mis le temps.

— En effet.

Je regardai autour de moi. L’appartement était luxueux, comme je m’y étais attendu, mais absolument en désordre, encombré, notamment, de verres sales et de tasses à demi pleines. Aucun doute, j’étais le dernier en date de nombreux visiteurs. Couché sur le divan, et me dévisageant par en-dessous, un autre homme, lui aussi visiblement un astronavigateur. J’eus beau le dévisager, on ne jugea pas utile de me le présenter.

— Enfin puisque vous êtes là tout de même, reprit celui qui m’avait fait venir, allons-y, parlons affaire.

— D’accord, fis-je. Ce qui me rappelle qu’il avait été question d’une prime ou avance.

— Ah oui ! c’est vrai.

Il se tourna vers l’homme vautré sur le divan :

— Jock, paie-moi cet homme.

— Le payer pour quel travail ?

— Je te dis de le payer.

Je savais maintenant qui était le patron. Et, comme je devais l’apprendre par la suite, il y avait en général peu de doute à cet égard dès que Dak Broadbent surgissait quelque part. L’autre se leva, toujours mécontent et tendit un billet de cinquante et cinq de dix. Sans compter, je pris le tout.

— Messieurs, dis-je : je suis à votre disposition.

Le plus grand des deux ruminait, mais il finit par se décider :

— D’abord, je veux votre parole d’honneur que vous ne parlerez jamais de ceci, même en rêve.

— Si vous ne me croyez pas sans parole, on se demande pourquoi vous me croiriez sur parole ? répondis-je.

Puis je me rapprochai du divan où l’autre s’était réinstallé et je lui dis :

— Je ne crois pas que nous ayons déjà eu le plaisir ?… Je m’appelle Lorenzo.

L’autre détourna les yeux. Et celui de qui j’avais fait la connaissance à la Casa Mañana expliquait rapidement :

— Les noms n’ajoutent rien.

— Non ? Avant de mourir, mon respecté père m’a fait promettre trois choses : primo, de ne jamais mélanger mon whisky avec autre chose que de l’eau. Secundo, de ne jamais tenir compte des lettres anonymes. Tertio, de ne jamais causer avec un inconnu qui refusait de me donner son nom. Serviteurs, messieurs !

Et j’avais fait demi-tour en direction de la porte, avec les cent impérials tout chauds dans la poche.

— STOP ! cria Broadbent : Vous avez parfaitement raison. Je m’appelle…

Capitaine…

Au temps pour les crosses, Jock… Je suis Dak Broadbent. Celui qui nous fusille du regard, c’est Jacques Dubois. Tous deux, nous sommes des voyageurs. Maîtres pilotes toutes catégories et à n’importe quelle accélération.

Je m’inclinai :

— Et moi, Lorenzo Smythe, jongleur et artiste. Adresse : aux bons soins du Club des Agneaux. (A propos, ne pas oublier de payer ma cotisation.)

— Allons, Jock, pour changer, si tu souriais un peu. Lorenzo, vous êtes d’accord pour ne pas parler.

— Voyons ! il s’agit d’une discussion entre hommes du monde, n’est-ce pas ?

— Que vous preniez l’emploi ou que vous ne le preniez pas.

— Que nous tombions d’accord ou que nous ne tombions pas d’accord. Mis de côté l’emploi des méthodes illégales d’interrogatoire, vous ne risquez rien.

— Cela, bien entendu. Nous ne demandons pas l’impossible. Je sais très bien ce que la néodexocaïne appliquée sur le cerveau antérieur…

Dubois revint à la charge :

— Dak, nous commettons une erreur. Nous devrions au moins…

— Allons, Jock, ferme-la. Je ne veux surtout pas qu’un hypnotiseur vienne fourrer son nez dans cette histoire. Non ! Voilà de quoi il s’agit, Lorenzo : nous aimerions que vous nous fassiez une imitation, un numéro d’imitation. Un numéro si réussi que PERSONNE (j’y insiste, PERSONNE) ne sache jamais qu’il aura eu lieu. Vous vous sentez capable de faire ça ?

Je fronçai les sourcils :

— Ne demandez pas si je peux le faire. Demandez plutôt si je veux le faire. Indiquez-moi les circonstances.

— Les détails, ce sera pour plus tard. En gros, il s’agit du travail ordinaire qui consiste à doubler un personnage public connu. A cette seule différence, qu’il faut que l’imitation soit si parfaite qu’elle devra tromper des personnes qui connaissent bien le modèle et qui viendront le regarder de très près. Pas seulement comme s’il suffisait d’assister à une revue du haut de la tribune ou d’épingler des médailles sur la poitrine de scoutesses.

Ici, Dak me regarda les yeux dans les yeux :

— Il faut pour cela un véritable artiste.

— Allons donc !

— Mais vous ne savez pas de quoi il s’agit. Si les scrupules vous embarrassent, je me permets de vous assurer que vous ne nuirez pas aux intérêts du principal intéressé. Ni à ceux de personne, du reste. C’est un travail qu’il faut absolument faire, un point c’est tout.

— Allons donc ! Rien à faire.

— Mais pour l’amour du Ciel, dites au moins pourquoi. Vous ne savez même pas ce que ça doit vous rapporter.

— Ce n’est pas une question d’argent. Je suis un acteur, pas une doublure.

— Là, je ne vous comprends pas. Il y a un tas d’acteurs qui se font un appoint en doublant des personnages connus.

— J’estime qu’au lieu de faire leur métier, ils le prostituent. Permettez… Est-ce qu’un écrivain a de l’estime pour celui qui fait le « nègre » ? Pourriez-vous respecter un peintre qui autoriserait un tiers à signer ses tableaux pour de l’argent ?… Mais peut-être ce point de vue vous est-il étranger, monsieur ? Pourtant, on peut traduire cela sur le plan de votre profession. Accepteriez-vous, uniquement pour de l’argent, de piloter, et que ce soit un autre – un autre qui ne possède pas votre savoir-faire – qui porte l’uniforme et qui ait droit à l’estime, et qu’on acclame publiquement en tant que capitaine ? Ça vous plairait ?

Dubois eut un grognement :

— Pour combien d’argent ? demanda-t-il.

Broadbent lui lança un regard :

— Je crois que je comprends votre point de vue.

— Bien sûr, monsieur, pour un artiste, c’est le renom qui vient en premier. L’argent, ce n’est que le moyen matériel qui lui permet de se réaliser dans son art.

— Bon… Alors, si je comprends bien, vous ne le ferez pas pour l’argent seulement. Est-ce que vous le feriez pour d’autres raisons ? Si vous étiez convaincu de la nécessité de la chose. Et que vous seul pouvez la réaliser ?

— C’est possible. Mais je ne connais pas les circonstances.

— Nous allons vous les expliquer.

Dubois sauta du divan :

— Écoute Dak, vraiment, tu ne veux pas, quand même…

— Suffit, Jock, il faut qu’il soit au courant.

— Il n’a pas besoin de savoir maintenant, et ici. Et tu n’as pas le droit de compromettre tout le monde en le lui disant… Tu ne sais rien de lui.

— C’est un risque calculé.

Et Broadbent se retourna vers moi :

— Les risques calculés au diable ! Dak, jusqu’ici, je ne t’ai jamais laissé tomber. Mais aujourd’hui, avant de te laisser te mettre la corde au cou, eh bien, l’un de nous deux sera en trop mauvais état pour ouvrir la bouche.

Broadbent eut un sourire impassible à l’adresse de Dubois :

— Tu te crois à la hauteur, Jock ?

Dubois leva la tête et ne cilla point. Broadbent avait la tête de plus. Il devait peser dix kilos de mieux. Et pour la première fois, je me mettais à prendre Dubois en sympathie. L’audace des jeunes chats, l’esprit combatif des petits coqs, ou la volonté d’un homme qui meurt sur place plutôt que de céder me vont toujours droit au cœur…

Peut-être que Broadbent n’allait pas le tuer. Mais de toute façon, il allait s’essuyer les pieds dessus.

Il n’était pas question d’intervenir.

Tout homme doit avoir le droit de choisir le moment et la manière de sa propre destruction.

Mais la tension montait.

Puis soudain Broadbent éclata de rire, frappa Dubois dans le dos :

— T’as gagné, Jock !

Et à moi :

— Est-ce que vous m’excuserez un instant ? Mon ami et moi devons lâcher un peu de vapeur.

Il y avait dans cet appartement, un « silencieux » comprenant le téléphone et l’appareil à messages. Broadbent se dirigea vers ce « silencieux » en tirant Dubois par le poignet. Et ils se concertèrent.

Il arrive que ce genre d’installations dans les lieux publics, comme les hôtels par exemple, ne réponde pas à tout ce qu’on serait en droit d’en exiger. Il arrivé que les ondes sonores ne soient pas totalement supprimées. Mais le Eisenhower était un hôtel de luxe. Et, du moins en cette minute, l’équipement fonctionnait parfaitement. Je voyais les deux hommes bouger des lèvres. Je n’entendais rien.

Pour voir les lèvres bouger, je les voyais.

Broadbent tendait son visage dans ma direction. Et j’apercevais celui de Dubois dans le miroir pendu au mur.

Au temps où je présentais mon célèbre numéro de magie, j’avais compris pourquoi mon père m’avait tapé dessus jusqu’à ce que j’eusse appris à lire sur les lèvres. Au cours de ce numéro de magie, en effet, je travaillais dans une salle fortement éclairée, et je chaussais des lunettes qui… Peu importe. Je comprends les paroles qu’on prononce rien qu’à voir le mouvement des lèvres.

Dubois disait :

— Espèce d’épouvantable cloche… Tu veux vraiment nous forcer à entasser des rochers en nombre incalculable sur Titan ? Ton prétentieux petit bonhomme est incapable de se taire…

Pour un peu, j’aurais raté la réponse de Broadbent. Prétentieux, prétentieux !

A part l’estimation froidement calculée de mon génie personnel, je me sais modeste.

Broadbent. — … Tant pis si le jeu est trafiqué. Il n’y en a pas d’autres en ville. Jock, écoute-moi, on ne peut utiliser personne d’autre.

Dubois. — Très bien, mais alors, il faut appeler le Dr Scortia, qu’il vienne l’hypnotiser, et qu’il lui fasse une piqûre de liqueur bienheureuse. Mais le mettre au courant avant qu’il soit préconditionné, pas question !

Broadbent. — Oh ! Scortia en personne m’a dit que nous ne pouvions pas compter sur l’hypnose et les drogues. Non ! pas pour le genre de démonstration qu’il doit fournir. Il nous faut sa coopération, sa coopération intelligente.

Dubois. — Quelle intelligence ? Tu l’as vu ? Un coq dans une grange. Bien sûr, pour la taille et la forme, et la ressemblance du crâne et de la figure, il fait l’affaire. Mais il n’y a rien derrière. Il piquera une crise de nerfs et il se mettra à table. Et pour jouer le rôle, il ne saurait pas. C’est un acteur de province, un cabot de village.

L’immortel Caruso accusé de faire des fausses notes ne se serait pas senti plus injurié que moi. Pourtant, j’ai idée qu’à ce moment précis, je justifiais mes prétentions à la royauté des Talma et des Coquelin. Oui ! je continuais à me polir les ongles, je ne réagissais pas. Simplement, j’avais noté qu’un jour il faudrait en l’espace de vingt secondes faire rire et pleurer, les deux, l’ami Dubois. Quelques minutes d’attente, encore, puis je m’approchai du « silencieux ». Les deux hommes se turent quand ils virent que je faisais mine de pénétrer. Et moi, très tranquillement :

— Au temps pour moi, messieurs, j’ai changé d’idée.

Dubois parut soulagé.

— Alors l’emploi ne vous intéresse pas ?

— Au contraire, j’accepte. Inutile d’expliquer. L’ami Broadbent ici présent m’assure que ce travail n’est pas de nature à me troubler la conscience, et je lui fais confiance. Il m’affirme qu’un acteur lui est nécessaire. Les raisons du producteur ne me regardent pas. Donc j’accepte.

Dubois semblait furieux, mais n’ouvrit pas la bouche.

Je m’attendais à voir Broadbent satisfait. Au lieu de quoi il avait l’air inquiet :

— Bon, fit-il : allons-y donc. Lorenzo, j’ignore pour combien de temps nous allons avoir besoin de vous. Quelques jours sans doute, pas plus. Et pendant cette période, vous ne serez en représentation qu’une heure au plus, en deux ou trois reprises.

— Aucune importance, à condition qu’on me laisse étudier mon rôle… je veux dire mon « imitation »… Mais combien de jours à peu près ? Vous aurez besoin de moi pendant combien de temps approximativement ? Il faut que j’avertisse mon agent.

— Non ! non ! surtout pas ça.

— Très bien ! comme vous voudrez alors. Mais combien de temps, à peu près ? une semaine ?

— Moins que ça… Ou alors, nous sommes flambés.

— Pardon ?

— Peu importe. Est-ce qu’une centaine d’impérials par jour, cela vous convient ?

J’hésitai. Je me rappelais avec quelle facilité j’avais obtenu mon minimum simplement pour l’aller voir à l’Eisenhower… Non ! il fallait faire un geste, à présent :

— Ne parlons pas de ça, voyons. Je n’ai aucune inquiétude à ce propos. Je suis convaincu que vous saurez m’offrir une rétribution en rapport avec la valeur de ma création.

— Très bien… très bien !… Jock, appelle le terrain. Puis appelle Langston et dis-lui que nous commençons tout de suite l’Opération Mardi-Gras. Il faut synchroniser avec lui… Par ici Lorenzo. (Il me conduisit dans la salle de bains, il ouvrit un étui, demanda :) Est-ce que ce bazar peut vous être d’une utilité quelconque ?

Le bazar, c’était la sorte de trousse qu’on vend, sous le nom de nécessaire de maquillage, aux débutants. Pour un prix exorbitant, du reste.

— Si je comprends, monsieur, lui demandai-je, vous désireriez que je commence tout de suite, ici ? Sans avoir eu le temps d’étudier le rôle ?

— Non. J’aimerais seulement que vous changiez de visage pour le cas, improbable d’ailleurs, où quelqu’un risquerait de vous reconnaître. N’est-ce pas possible ?

— Être reconnu, que voulez-vous, c’est la rançon de la gloire.

— Raison de plus. Arrangez-vous pour changer de physionomie, qu’on admire quelqu’un d’autre que vous, justement.

Je poussai un soupir. Nul doute. Il m’avait tendu ce jouet d’enfant, persuadé que c’étaient bien là mes accessoires professionnels. Ces graisses de couleur bonnes pour des clowns, ces gommes teintes à l’alcool, puantes, cette chevelure-étoupe qui devait avoir été soustraite aux mèches du tapis, dans le salon de la tante Margot… Et pas même un gramme de Silikoflesh, pas de brosses électriques, aucun ustensile moderne. Il est vrai qu’un artiste véritable peut faire merveille avec une allumette brûlée, les quelques objets dépareillés qu’on peut trouver dans une cuisine… et son propre génie. Je m’occupai donc de l’éclairage avant de céder à la songerie créatrice.

Parmi les nombreuses manières qui existent de rendre méconnaissable un visage connu, la plus simple est l’utilisation de ce qu’on peut appeler le « détournement d’intérêt ». (L’attention du spectateur est délibérément portée sur autre chose.) Si vous faites endosser un uniforme par une personne donnée, il est peu probable qu’on lui regardera le visage. Est-ce que vous avez regardé la figure du dernier agent de police que vous avez rencontré ? Pourriez-vous l’identifier au cas où vous le rencontreriez en civil ? L’utilisation du trait caractéristique relève du même principe. Donnez un nez énorme à une personne donnée, ajoutez-y peut-être un peu d’acné rosacée, et l’homme de la rue ouvrira de grands yeux, fasciné par ce nez, et rien d’autre. Le monsieur bien élevé détournera le regard. Mais personne n’aura vu le visage.

J’étais dans l’obligation d’écarter ces manœuvres primitives étant donné que mon employeur souhaitait sans doute qu’on ne me remarquât point du tout. Il ne souhaitait pas qu’on se souvînt de moi en raison d’un trait particulier.

Problème beaucoup plus difficile !

Se mettre en évidence est à la portée du premier venu.

Il faut beaucoup de talent pour passer inaperçu. Il me fallait une figure aussi banale, aussi impossible à se rappeler que la figure véritable de l’immortel Alec Guiness. Hélas ! mes traits aristocratiques sont trop « distingués », trop beaux, hé oui ! et c’est un regrettable handicap pour un acteur de genre. Mon père avait coutume de dire :

« Larry, tu es sacrement trop joli ! (Et il poursuivait :) si tu ne fiches pas en l’air ce genre nonchalant et que tu ne t’appliques pas à apprendre le métier, je te vois mal parti ; tu es embarqué dans une carrière de jeune premier et tu passeras quinze ans à jouer les jeunes premiers. Convaincu avec ça, et à tort, que tu es un acteur. Et tu finiras vendeur de sucre d’orge dans les couloirs… Il y a deux vices capitaux dans le métier : être idiot et être joli garçon. Tu es les deux à la fois. »

Sur ce, il ôtait sa ceinture et se mettait en devoir de me stimuler l’esprit. Parce que papa avait ses idées à lui en matière de psychologie pratique. Il était persuadé, notamment, que le réchauffement du grand fessier au moyen d’une courroie de cuir soulageait la cervelle des jeunes garçons d’un excès de sang. Cette théorie est peut-être sans fondement, mais les résultats parlent en sa faveur. Je n’avais pas encore atteint la quinzième année, qu’au fil de fer détendu je réussissais déjà à me tenir sur la tête, que je savais par cœur des pages et des pages de Shakespeare et de Shaw, et que j’enlevais mon public, simplement en allumant ma cigarette.

Quand Broadbent passa le nez à la porte, j’étais en proie aux affres de la création :

— Seigneur ! s’écria-t-il : quoi ! encore rien de fait ?

Ici, regard froid de votre serviteur :

— J’ai supposé, lui dis-je, que vous désiriez ce que je fais de mieux. Je ne puis tout gâter par une hâte intempestive. Est-ce que vous demanderiez à un cordon bleu d’inventer une sauce sur le dos d’un cheval au galop ?

— Au diable les chevaux. Il s’agit bien de ça. Il vous reste six (deux fois trois) minutes. Si d’ici là vous n’avez rien trouvé, il faudra tout risquer quand même.

Bien entendu, j’aime mieux disposer de tout mon temps. Mais j’avais doublé papa dans son numéro à transformations : l’Assassinat de Huey Long (quinze rôles en sept minutes) et même, j’avais réussi à améliorer son record en gagnant neuf secondes sur son meilleur temps :

— Restez là. Je vous rejoins tout de suite.

Et je me fis la tête de « Benny Grey », l’homme à tout faire incolore qui est aussi le tueur dans La Maison qui n’a pas de portes. Deux traits de crayon pour indiquer le découragement, des ailes du nez au bout des lèvres, l’ombre de poches sous les yeux, et le blanc-rose n° 5 de chez Factor par là-dessus. Je l’aurais fait les yeux fermés. « La Maison » avait eu quatre-vingt douze représentations.

Puis je tournai la tête vers Broadbent, et Broadbent en eut le souffle coupé :

— Bon Dieu ! je ne peux pas le croire, finit-il par articuler.

Il fallait rester dans le rôle, aussi le regardai-je, impassible.

Ce que Broadbent ne pouvait pas comprendre ou même imaginer, c’est que le fard et le fond de teint n’étaient même pas nécessaires. C’est plus facile, certes, mais j’en avais usé, d’abord et avant tout, pour ne pas le décevoir. Parce qu’il faisait partie du public et, comme tel, convaincu de ce que le maquillage consiste à se mettre sur la peau de la graisse et de la couleur.

Mais il me regardait toujours :

— Écoutez, souffla-t-il : pourriez-vous me faire quelque chose du même genre à moi ? en deux temps trois mouvements, je veux dire ?

J’allais répondre par la négative. Mais c’était un défi intéressant à relever professionnellement parlant. J’étais tenté de lui donner à entendre que si mon père l’avait pris en main, lui, alors qu’il avait cinq ans, peut-être qu’à l’heure actuelle il pourrait aspirer à vendre de la barbe-à-papa dans un boui-boui banlieusard. Valait mieux pas.

— Vous tenez seulement à ne pas être reconnu ? Lui demandai-je.

— Oui ! oui ! c’est ça. De la peinture sur le nez, un faux-nez ou autre chose.

— Rien à faire, quoi que nous fassions avec le maquillage, vous auriez l’air, toujours, d’un enfant prêt pour le bal costumé. Vous ne savez pas jouer et à votre âge vous n’apprendrez plus jamais. Non ! nous n’allons rien changer à votre visage.

— Bon ! mais avec ce blair que j’ai, vous croyez ?…

— Attention ! tout ce que j’y changerais à ce nez de seigneur, ne ferait qu’attirer l’attention dessus, je vous assure. Je me demande… Est-ce que ça suffit si un de vos amis et connaissances vous voit et se dit : « Tiens ! ce grand gars là-bas, il me rappelle Dak Broadbent. Ce n’est pas Dak, bien sûr, mais ça lui ressemble bien. » Hein ? qu’en pensez-vous, ça suffirait ?

— Ouais ? je suppose. S’il n’est pas sûr que c’est moi, d’accord. Je suis censé me trouver sur le… Eh bien, je ne suis pas censé être à terre, quoi ! Pour l’instant.

— On va s’arranger pour qu’il ne soit pas sûr que ce soit bien vous. Et pour ça, nous allons vous changer votre démarche. C’est ce que vous avez de plus personnel. Si la démarche ne cadre pas, il ne peut s’agir de vous. Il s’agit de quelqu’un d’autre qui a, lui aussi, les os longs et les épaules larges. Et qui a un peu votre air.

— Ça colle… Alors, vous me montrez comment marcher.

— Non ! vous n’apprendriez jamais. Je vais vous forcer.

— En quoi faisant ?

— Une poignée de cailloux dans le bout de votre chaussure, vous appuyez sur les talons et vous marchez droit. Vous n’aurez plus cette démarche de chat qu’ont les astronavigateurs. Je vous colle un morceau de sparadrap en travers des omoplates. Pour vous rappeler d’effacer les épaules. Et ça fait la rue Michel !

— Vous croyez qu’on ne va pas me reconnaître simplement parce que j’ai changé de démarche ?

— C’est certain. On ne saura pas pourquoi on ne vous reconnaît pas, mais le seul fait que l’impression subsiste dans le subconscient suffit. On ne l’analyse pas. Elle est hors d’atteinte du doute. Mais vous avez raison, je vous ferai aussi un petit quelque chose au visage, histoire de vous mettre à votre aise. Quoique ce ne soit pas utile.

Nous regagnâmes la pièce à vivre. Je faisais toujours mon Benny Grey. Quand on commence un rôle, il faut ensuite un effort conscient de volonté pour l’abandonner. Dubois était au téléphone. Il leva la tête, me vit, sortit du « silencieux », demanda :

— Qui est-ce ? où a passé l’acteur ?

Un regard avait suffi. Après on s’occupe d’autre chose. Benny Grey est si insignifiant.

— Quel acteur ? demandai-je avec le ton inexpressif de Benny.

Broadbent avait éclaté de rire :

— Et tu prétendais qu’il ne savait pas jouer !… Ça colle. On part dans quatre minutes, Lorenzo ; on va voir combien il faut de temps pour m’arranger ça, Lorenzo.

Dak avait ôté son soulier gauche, défait son vêtement et soulevé sa chemise, quand l’ampoule s’éteignit au-dessus de la porte en même temps que retentissait le couineur. Broadbent fronça du sourcil :

— Tu attends quelqu’un, Jock ?

— C’est probablement Langston, répondit Dubois, se dirigeant vers l’entrée : il a dit qu’il ferait son possible pour passer avant notre départ d’ici…

— Ce n’est peut-être pas lui, c’est peut-être…

Je ne devais jamais savoir qui Broadbent voulait désigner. Dubois avait fait glisser le panneau et, plus semblable que jamais à un champignon de cauchemar, s’encadrait dans le chambranle un Martien.

Agonie de cette seconde où je ne vois plus rien que ce Martien ! Je ne distingue même pas, derrière lui, un humain. Je ne remarque même pas la baguette de vie et de mort au creux du pseudopode de notre visiteur insolite.

Puis le Martien fait son entrée. L’homme derrière lui avance également.

— Bonjour, monsieur, grinça le Martien, on s’en va en promenade ?

Le dégoût m’annihilait. Dak s’empêtrait dans son demi-déshabillé. Seul le petit Jock Dubois réagit. Il s’était jeté sur la baguette de vie et de mort. Droit dessus. Sans essayer d’y échapper. Avant même de toucher terre, il n’était déjà plus, percé d’un trou où l’on aurait pu introduire le poing. Et le pseudopode s’étirait comme du caramel, s’étirait, puis cédait à la base du cou du monstre. Et le pauvre Jock retenait toujours la baguette entre ses bras croisés. Obligé de s’écarter, l’homme qui avait suivi la créature puante au lieu de tirer d’abord sur Dak et puis sur moi, gaspilla son premier coup sur Jock, déjà mort ; quant au second, il n’en eut pas le temps. Dak lui avait adroitement tiré dans la tête. Alors que je ne m’étais même pas rendu compte qu’il était armé.

Privé de son arme, le Martien ne tenta même pas de s’échapper. Dak s’approcha de lui :

— Ah ! Rrringriil, dit-il, je vous vois.

— Je vous vois moi aussi, capitaine Dak Broadbent, grinça le Martien : vous avertirez mon Nid ?

— Je l’avertirai, Rrringriil.

— Je vous remercie, capitaine Dak Broadbent.

Dak tendit son doigt long et pointu, il l’introduisit sous l’œil le plus proche, le poussant jusqu’au bout. Puis le retira et son doigt était couvert d’un pus verdâtre. Les pseudopodes de la créature désormais sans vie se rétractèrent vers le tronc, mais le champignon restait debout, ferme sur sa base. Dak courut se laver les mains. Et moi je restai là où j’étais, vif à peu près comme feu Rrringriil. Dak revint, s’essuyant les doigts dans sa chemise :

— Il va falloir nettoyer tout ça. Et on n’a pas le temps.

A l’entendre, on aurait pu croire qu’il s’agissait de vin renversé.

J’essayai de traduire par une seule phrase encombrée que je ne voulais rien avoir à faire dans tout ça ; qu’il fallait appeler les flics ; que je voulais ne pas me trouver là lors de l’arrivée de ces derniers ; qu’il savait certainement ce qu’il pouvait faire de son histoire idiote d’imitation de personnages vivants ; et que j’avais bien l’intention, pour moi, de me faire éclore une paire d’ailes et de m’envoler par la fenêtre… Dak écarta tout ce que j’aurais pu dire :

— Ne vous énervez pas, Lorenzo, me dit-il. Nous avons déjà une minute de retard. Aidez-moi à porter les cadavres dans la salle de bains.

— Seigneur ! Si on fermait simplement l’appartement et qu’on parte au galop ? Il se peut très bien qu’on ne nous retrouve jamais.

— Sans doute. Puisqu’aucun de nous deux ne devrait se trouver ici. Mais si nous partons, ils vont voir que Rrringriil a tué Jock, et ça, c’est impossible. Pas possible maintenant. Non !

— Ah ?

— Nous ne pouvons pas permettre qu’un article paraisse où on parle d’un Martien qui tue un homme. Par conséquent, assez causé, et au travail !

J’obéis. Il me réconfortait de penser que « Benny Grey » avait appartenu à la pire espèce des assassins sadiques et qu’il avait pris plaisir à couper ses victimes en pièces. Donc, je laissai « Benny Grey » traîner les deux corps dans la salle de bains. Cependant que Dak se saisissait de la baguette mortelle et s’en servait pour réduire Rrringriil en morceaux de dimension convenable. Comme la première coupure avait été soigneusement localisée en dessous du niveau de la boîte crânienne, le travail n’était pas trop sale. Impossible de l’aider quand même ! Il me semblait qu’un Martien mort puait encore plus qu’un Martien vivant.

Les oubliettes se trouvaient sous un panneau de la salle de bains, derrière le bidet. Si elles n’avaient pas été indiquées par le trèfle radioactif habituel, nous ne les aurions jamais découvertes. Une fois passés les restes de Rrringriil (j’avais réussi à rassembler suffisamment de courage pour aider Dak), il fallait encore se débarrasser des deux corps humains, après les avoir découpés, à l’aide du bâton de vie et de mort, et en travaillant à l’intérieur de la baignoire, bien entendu.

Extraordinaire ce qu’un corps contient de sang ! Pendant toute l’opération, l’eau coulait. Mais ce n’était pas commode pour autant. Et quand Dak se trouva devant les restes du pauvre Jock, simplement, il n’était plus à la hauteur. Je l’écartai plutôt que de le laisser se couper les doigts. Et Benny Grey prit la relève. Quand j’en eus terminé et qu’il ne resta même pas trace de l’existence de ces deux hommes et du monstre, je rinçai soigneusement la baignoire et me relevai.

A la porte, Dak paraissait en parfaite possession de son sang-froid :

— J’ai vérifié par terre, m’expliqua-t-il : c’est propre. Je suppose qu’un criminologiste convenablement équipé réussirait à reconstituer ce qui s’est passé. Mais nous partons de l’hypothèse que personne ne soupçonnera rien. Il faut partir. Il faut que nous nous arrangions pour regagner treize minutes d’une manière ou d’une autre. Venez.

J’avais passé le stade où l’on demande où et pourquoi ?

— Mais les souliers ?

Il secoua la tête :

— Ça nous retarderait. A l’heure qu’il est, la vitesse est plus importante que la sécurité.

— Je m’en remets à vous, lui dis-je.

— Peut-être qu’il y en a d’autres aux alentours, reprenait déjà Dak Broadbent : si c’est le cas, tirez le premier. On ne peut rien faire d’autre.

Il portait la baguette de vie et de mort sous son manteau.

— Vous voulez dire les Martiens, n’est-ce pas ?

— Les Martiens ou les humains. Ou un mélange des deux.

— Dak, est-ce que Rrringriil était un de ces quatre installés au Mañana ?

— Bien entendu. Sans quoi, pourquoi est-ce que je me serais donné la peine de sortir par chez Robinson et de vous faire venir ici ? Ou bien ils vous ont filé, ou alors ils m’ont filé moi. Et vous ne l’avez pas reconnu ?

— Ciel, non ! Pour moi, tous ces monstres se ressemblent.

— Et eux, ils disent que nous nous ressemblons tous. Ces quatre-là, c’étaient : Rrringriil et son frère d’alliance Rrringlath, plus deux autres de son Nid, mais issus de lignes divergentes. Mais suffit. Si vous apercevez un Martien, vous tirez. Vous avez bien l’autre arme ?

— D’accord. Écoutez, Dak, je ne sais pas au juste de quoi il s’agit. Mais tant qu’ils sont contre nous, je suis avec vous. Je déteste les Martiens.

Il eut l’air scandalisé :

— Lorenzo, vous ne savez pas ce que vous dites. Nous ne combattons pas les Martiens, mais ceux-là sont des renégats.

— Eh ben !

— Oui ! il y a un tas de bons Martiens. Ils sont presque tous bons. Et même ce Rrringriil n’était pas le mauvais cheval. D’un certain point de vue. J’ai joué de bien bonnes parties d’échecs avec lui.

— Très bien, dans ce cas…

— La ferme, Lorenzo. Vous y êtes jusqu’au cou. Allons, au pas de gymnastique jusqu’au tube chasseur. Je couvre vos arrières.

Je l’avais fermée. J’y étais jusqu’au cou. Il n’y avait rien à répondre à ça.

Lorsque nous atteignîmes l’étage inférieur et les tubes express, une capsule à deux voyageurs se trouvait justement libre. Dak m’y enfourna avec une telle rapidité que je n’eus même pas le temps de voir la combinaison qu’il formait. Mais je fus à peine surpris quand, la pression ayant cessé de me peser sur la poitrine, je vis briller l’inscription : Astroport de Jefferson, Tout le Monde descend.

D’ailleurs, cela m’était bien égal, à condition que ce fût aussi loin que possible de l’Hôtel Eisenhower. Les quelques minutes que nous avions passées dans le tube pneumatique m’avaient suffi pour tracer un plan, provisoire, hypothétique, sujet à modifications sans avertissement préalable, qui pouvait se résumer comme suit :


ME PERDRE.


Le matin même, j’aurais trouvé l’exécution difficile. Dans notre univers, un homme sans argent est aussi impuissant qu’un nouveau-né. Mais avec cent machins au fond de la poche, je pouvais aller vite et loin. Je ne me sentais aucune obligation à l’égard de Dak Broadbent. Pour des raisons à lui, et non à moi, il avait failli me faire tuer. Après quoi il m’avait précipité dans une autre sale histoire qui consistait à maquiller un crime ou plutôt plusieurs crimes, et transformé en fugitif. Puisque nous avions, au moins pour l’instant, échappé à la police, à présent, simplement en laissant tomber Broadbent, je devais pouvoir oublier tout cela, et le mettre de côté comme une sorte de cauchemar. Il était tout à fait improbable que je fusse compromis dans cette affaire, au cas où elle éclaterait. Il est heureux qu’un gentleman porte des gants. Et moi, je n’avais enlevé les miens que le temps de faire ma tête, puis, pour procéder à cette sinistre remise en ordre de l’appartement.

En dehors de cette poussée de chaleur et d’héroïsme d’adolescent dont j’avais ressenti l’atteinte au moment où j’avais cru comprendre que Dak combattait les Martiens, ses machinations ne m’intéressaient pas. Et la sympathie éprouvée avait disparu quand j’avais découvert qu’il aimait les Martiens, « en général ». Sa proposition de doublage, je ne voulais pas y toucher même du bout d’une perche de trois mètres cinquante. Broadbent au diable ! Tout ce que je demandais à la vie, c’était assez d’argent pour nouer les deux bouts, et l’occasion de pratiquer mon art. Toutes ces bêtises de gendarme et voleur me laissaient froid. Au mieux, cela fait de l’assez mauvais théâtre.

L’astroport de Jefferson me parut être du cousu main pour la réalisation de mon petit projet. Avec la foule et l’embarras, et dans la toile d’araignée des tubes-express, si Dak me perdait du regard pendant une demi-seconde, je serais déjà à mi-route d’Omaha. Pendant quelques semaines je me ferais oublier, après quoi je reprendrais contact avec mon agent pour savoir si une enquête avait eu lieu à mon sujet, entre-temps.

Dak veilla à me faire sortir de la capsule à son côté, sans quoi j’eusse claqué la portière et je fusse parti tout de suite dans une autre direction. Je faisais mine de ne rien voir, je le suivais comme un petit chien suit son maître, tandis que nous regagnions la surface, pour sortir dans le hall principal entre le bureau de la Pan American et celui des American Skylines. A l’étage de la Salle d’Attente, Dak se dirigea droit sur Diana Limited. Je pensai qu’il allait réserver nos places pour la navette lunaire. Comment comptait-il m’introduire à bord sans passeport ni certificat de vaccination ? Il ne fallait pas me le demander. Mais je le savais garçon de ressource. J’avais décidé de m’évanouir parmi les meubles au moment où il tirerait son portefeuille de sa poche. Car il y a un moment où l’homme qui compte son argent a l’œil et l’attention entièrement occupés. On dispose alors d’au moins quelques secondes.

Mais nous laissâmes derrière nous la Diana et entrâmes sous une voûte marquée « Cabines Privées ». Murs blancs, personne en vue. J’avais laissé filer la chance :

— Hé, Dak, demandai-je ; alors, on s’envole ?

— Mais bien sûr.

— Vous êtes complètement fou, Dak ? Je n’ai pas de papiers. Je n’ai même pas une carte de touriste pour la Lune.

— Vous n’en aurez pas besoin.

— Et s’ils m’arrêtent à l’Émigration ? Il va y avoir un gros costaud de policier qui va me poser des questions.

Une main de la dimension d’un chat se referma sur mon biceps :

— Ne perdons pas de temps. Pourquoi voulez-vous passer par l’Émigration alors qu’officiellement vous ne partez pas ? Et pourquoi y passerais-je moi, alors qu’officiellement je ne suis jamais arrivé ici ? Allons, pas de gymnastique ! vieux frère !

J’ai du muscle, je ne suis pas un enfant. Mais je me sentais dans la situation du voyageur que le policier-robot tire hors de la zone dangereuse où il s’est imprudemment avancé. Je lus « ÉQUIPAGES » et fis une tentative désespérée :

— Une seconde, s’il vous plaît, Dak, il faut que j’aille voir quelqu’un. Un ennui de plomberie.

Il sourit :

— Ah ! oui ! vraiment ! Vous y êtes allé juste avant de quitter l’hôtel.

(Et pas question de ralentir l’allure ou de me lâcher.)

— Oui ! bien sûr, Dak, mais je souffre du rein.

— Lorenzo, mon vieux, je diagnostiquerais plutôt un accès aigu de trouille verte. Mais ne vous pressez pas. Je vais vous dire ce que j’ai envie de faire. Vous voyez le flic qui est là-bas, n’est-ce pas ?

Je le voyais en effet, cet agent, assis au bout du corridor, penché en arrière, les pieds sur la table.

— Oui ! eh bien, soudain, j’ai une crise de conscience. J’éprouve le besoin de me confesser. De confesser la manière dont vous avez tué ce voyageur venant de Mars, ainsi que deux citoyens de la ville. Il faut que je raconte comment vous m’avez obligé, sous la menace, à vous aider. Et comment nous avons fait disparaître les cadavres. Il y a aussi…

— Vous êtes complètement fou, non ?

— C’est vrai, fou d’angoisse, fou de remords, ô mon cher compagnon de bord.

— Mais vous n’avez rien contre moi ?

— Ah bon, voilà autre chose ! Je pense que mon histoire est plus convaincante que la vôtre. Je sais de quoi il retourne et vous en ignorez tout. D’autre part, je sais tout sur votre compte, et vous ignorez tout sur le mien. Ainsi par exemple…

Ici quelques détails concernant mon passé dont j’eusse juré, un instant auparavant, qu’ils étaient enterrés et oubliés. Eh bien, oui ! je connaissais un certain nombre de tours utiles dans les soirées uniquement masculines, pas du tout destinés aux familles nombreuses. Et alors ? Il faut bien qu’un homme mange, non ? Pour ce qui est de Bebe, c’était déloyal d’en faire état. Comment pouvais-je savoir son âge ? Quant à cette note d’hôtel, s’il est vrai que la grivèlerie à Miami est réprimée aussi sévèrement qu’ailleurs le vol à main armée, il y a là une attitude des plus provinciales et j’eusse payé si je ne m’étais pas trouvé sans argent. Quant à ce regrettable incident de Seattle… eh bien, je veux dire que Dak, bien qu’il connût un nombre surprenant de choses sur mon passé, était fâcheusement partial au sujet de presque toutes. Pourtant…

— Ainsi donc, poursuivait-il : allons droit jusqu’à ce gendarme et passons aux aveux, l’un et l’autre. Je suis prêt à parier à sept contre deux pour savoir qui de nous deux obtiendra le premier la liberté sous caution.

Tellement que nous laissâmes l’agent derrière nous. Et que Dak prit deux cartes dans sa poche, marquées l’une et l’autre :


SAUF-CONDUIT
PERMIS DE SÉJOUR
CABINE K127

qu’il introduisit dans la machine à pointer, cependant que s’allumait un transparent qui indiquait la voiture à prendre, niveau supérieur Code King 127. Les grilles s’ouvrirent, se refermèrent derrière nous, cependant qu’une voix enregistrée s’élevait : « Surveillez vos pas, s’il vous plaît, et attention à la mise en garde antiradiations. La Compagnie décline toute responsabilité pour les accidents se produisant une fois passée l’enceinte. »

Mais quand nous fûmes à l’intérieur de la voiture, Dak ne suivit pas le code indiqué. La petite voiture tourna sur elle-même, trouva une piste, et nous nous enfonçâmes sous terre. Peu m’importait. J’avais dépassé le stade du souci.

Quand nous posâmes pied à terre, la petite voiture retourna d’où elle venait. Devant moi, une échelle, qui, là-haut, disparaissait dans le plafond d’acier. Dak m’avertit :

— Allez, montez !

En haut, dans le trou d’écoutille, une inscription :


DANGER RADIOACTIF :
TEMPS MAXIMUM : 13 SECONDES

Cela me retint.

Je ne nourris pas d’intérêt particulier pour ma progéniture éventuelle, mais je ne suis pas un imbécile. Dak sourit et dit :

— Vous avez votre culotte de plomb, n’est-ce pas ? Ouvrez, traversez d’un seul coup, puis montez sans respirer de l’échelle dans le navire. Si vous ne vous arrêtez pas pour vous gratter, vous y arriverez avec au moins trois secondes de mieux.

Le navire à fusée paraissait de dimensions exiguës. Du moins le poste de commande était à l’étroit. Pour l’extérieur, je ne devais pas le voir. Je n’avais jamais visité que l’Évangéline et le Gabriel, tous deux appartenant à la navette lunaire, l’année où très imprudemment j’avais accepté un engagement sur notre satellite, en association. Imprudent ! Notre imprésario était persuadé qu’un spectacle de jonglerie, corde raide et acrobatie, réussirait en pays lunaire. C’était exact. A ceci près qu’on avait négligé de prévoir des répétitions qui nous eussent permis de nous adapter à la gravité plus faible que sur Terre. Il me fallut profiter de la Loi Portant Code de l’Assistance Obligatoire aux Voyageurs Victimes du Hasard des Voyages afin de me faire rapatrier. J’y perdis tout mon bagage.

Dans le poste, il y avait deux hommes. L’un, étendu sur l’une des trois couchettes, s’amusait avec les cadrans du tableau de bord. L’autre chipotait avec un tournevis. Le premier me regarda sans rien dire.

— Qu’est-ce qu’il est arrivé à Jock ? demanda le second, inquiet.

— Pas le temps, répondit Dak. Est-ce que tu as fait le nécessaire pour que la masse soit compensée ?

— Oui, oui !

— Red, le plein est fait ? La liaison aussi ?

— J’ai vérifié toutes les deux minutes. Et la Tour donne moins quarante et… euh ! sept secondes.

— Alors, sors de là ! Fous le camp de cette banquette. Tu vas me faire rater le dur.

Red se leva sans hâte, et Dak s’installa sur la banquette. Le second de ceux que nous avions dérangés me poussa sur la couchette du co-pilote, où il me ligatura une ceinture de sécurité en travers de la poitrine. Après quoi, il fit demi-tour et disparut dans le tube de sortie. Red le suivait. Mais il revint sur ses pas, pour crier :

Les billets, s’il vous plaît !

Zut alors !

Dak, ayant desserré une ceinture de sécurité, fouilla au fond d’une poche dont il réussit à extraire les deux permis qui nous avaient servi à nous introduire à bord. Il les tendit à Red.

— Merci, m’sieurs, dames, dit Red. Je vous retrouve à l’église. Du vent dans les turbines. Bon atterrissage, ékcétéra, ékcétéra.

Et Red disparut avec indolence et légèreté. Bruits du verrouillage pneumatique. Mes oreilles se mettent à sonner. Dak n’a pas le temps de répondre à Red. Il vérifie son tableau de bord, procède à de menues modifications :

— Vingt et une secondes, dit-il, il n’y aura pas d’à-coup. Attention à vos bras. Rentrez-les. Et surtout, détendez-vous. Je vais vous faire un de ces départs aux petits oignons, que vous m’en direz des nouvelles.

Je suis ses instructions, à la lettre.

Puis j’attends pendant des heures et des heures, dans la tension croissante des levers de rideau.

Pour finir, je l’appelle :

— Dak ?

— La ferme !

— Une petite chose seulement : où allons-nous ?

— Mars.

Le pouce de Dak Broadbent s’enfonce sur le bouton rouge, et je tombe dans le noir.

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