Marina Tsvetaïeva «Si l'ame est nee avec des ailes...»

Ce sera ainsi

Enfant tranquille, dorloteґ par les teґne`bres,

Une langueur infinie dans un regard perdu,

Tu es la` immobile devant la fene  tre. Un pas

Rapide, dans le corridor — ce n’est pas le mien!

La porte s’ouvre... Un courant d’air glacial...

Une odeur: la fracheur, le bonheur... Finies les angoisses...

Puis un instant de silence et quelqu’un, doucement,

Rit, sur le seuil de la porte — ce n’est pas moi!

Le tramway, son ombre, comme jadis, court sur le mur,

L’orchestre, en bas, se fait plus calme, plus sourd...

Emu, tu chuchotes: — Que nos a mes s’unissent

En silence! — ce n’est pas avec moi!

Que de livres! Et j’ai pense ґ ... Pas de lumie ` re:

C’est mieux!.. Les mots me manquent...

Le tramway, son ombre voit bien que,

Sur le divan, avec toi — ce n’est pas moi!

Mes poe`mes, eґcrits si to  t, — je ne savais

Me  me pas — moi — que j’eґtais poe`te, —

Venus, comme l’eau de la fontaine,

D’un coup, comme les eґclats d’une fuseґe.

Petits diables jaillis d’un seul coup,

Dans le sanctuaire ou` tout est re  ve, encens,

Mes poe`mes, la jeunesse et la mort,

— Ces poe`mes qu’on n’a pas lus! —

Disperseґs dans la poussie`re des librairies

(Ou` personne ne les prenait, ou` personne

Ne les prend!) — mes poe`mes seront

Comme des vins preґcieux: leur tour viendra.

Je ne reґfleґchis pas. Je ne me plains pas.

Je ne discute pas.

Je ne dors pas.

Je n’ai de gou  t ni

Pour le soleil, ni

Pour la lune, ni pour la mer,

Ni pour le bateau.

Je ne sens pas la chaleur entre ces murs,

Ni la fracheur du jardin.

Je n’attends pas le cadeau attendu,

Depuis longtemps deґsireґ.

Le matin ne me plat pas; ni

La marche rythmeґe du tramway.

Je ne vois pas le jour. J’oublie

La date. J’oublie le sie`cle.

La corde s’effiloche, semble-t-il,

Et moi, je ne suis qu’un petit funambule,

Et moi, ombre de l’ombre d’un autre.

Somnambule aux deux lunes sombres.

Grand-mere

L’ovale seґve`re et allongeґ,

La robe noire eґvaseґe... Jeune

Grand-me`re! De qui, les baisers

Sur vos le`vres arrogantes?

Les mains jouaient des valses

De Chopin, dans les salles du palais...

Les boucles en spirales

Entouraient le visage de glace.

Le regard sombre, tendu, exigeant,

Un regard sur la deґfensive.

De jeunes femmes n’ont pas ce regard-la`.

Jeune grand-me`re, qui e  tes-vous?

Jeune polonaise de vingt ans! —

Combien de choses reґaliseґes

Avez-vous emporteґes et combien d’impossibles

Dans le gouffre inassouvi de la terre?

Le vent eґtait frais, le jour innocent,

Les eґtoiles noires venaient de s’eґteindre.

— Grand-me`re! — Cette violente reґvolte

Dans mon cur — est-ce de vous que je la tiens?

Je veux le demander au miroir:

Ou` donc tout n’est-il que brouillard,

Sommeil brumeux —

Ou` votre chemin,

Ou` votre refuge?

Je vois: les mats d’un bateau,

Et vous sur le pont... Vous —

Dans la fumeґe des trains... Des champs

Pris dans la plainte du soir.

Les champs le soir sous la roseґe,

Et au-dessus — des corbeaux...

— Je vous beґnis et vous laisse

Libre comme l’air.

— Il me plat que vous ne soyez pas fou de moi,

Il me plat de ne pas e  tre folle de vous,

Et que jamais le lourd globe terrestre

Ne fuie au-dessous de nos pieds.

Il me plat de pouvoir e  tre ridicule —

Troubleґe — et de ne pas jouer sur les mots,

Et de ne pas souffrir d’une faiblesse eґtouffante

Lorsque nos deux manches se frolent.

Il me plat aussi que devant moi

Tranquillement vous enlaciez une autre,

Et que vous ne me souhaitiez pas les feux

De l’enfer parce que moi j’en embrasse un autre.

Que vous ne prononciez pas mon nom, si tendre,

Vous, mon tendre ami, matin et soir — a` la leґge`re...

Que jamais, dans le silence de l eґglise,

On ne chante, par-dessus nos te  tes: Alleґluia!

Je vous remercie de tout mon cur, et de mes mains

De tant m’aimer — sans le savoir vous-me  me! —

Et pour la tranquilliteґ de mes nuits,

Pour la rareteґ des rencontres aux heures du soir,

Pour les promenades au clair de lune

Que nous n’avons pas faites, et pour le soleil,

Qui ne brille pas au-dessus de nous — et

Je vous remercie de ne pas e  tre — heґlas! — fou de moi,

Et de ne pas e  tre — heґlas! — folle de vous!

Le navire ne naviguera pas toujours

Et le chant du rossignol...

J’ai si souvent voulu vivre

Et si souvent — mourir!

Fatigueґe de la loterie, comme

Dans mon enfance, — je quitterai le jeu,

Heureuse de ne pas croire

Qu’il y a d’autres mondes.

Avec une grande tendresse — car,

Biento  t, je vais tout laisser —

Je pense a` celui qui portera

Cette veste de loup,

A celui — qui se preґlassera sous ce plaid,

Avec cette fine canne a` te  te de leґvrier,

A celui — qui portera mon bracelet

D’argent orneґ de turquoises...

A tous ces papiers, a` toutes ces fleurs

Que je ne peux pas — conserver...

Ma dernie`re rime — et toi,

Ma dernie`re nuit.

Je n’ai pas communieґ, je n’ai pas suivi la Loi.

Jusqu’a` la fin, et la messe dernie`re, je peґcherai —

Comme aujourd’hui je pe`che, comme hier j’ai peґcheґ,

Avec passion! De tous les sens que Dieu m’a donneґs!

Amis! Complices! Vous qui m’exhortez a` la flamme!

Vous, accuseґs comme moi! Vous deґlicats professeurs!

Filles et jeunes gens, arbres, eґtoiles, nueґes, Terre —

Au jugement dernier, tous devant Dieu nous passerons.

Il n’y a pas, dans ce maudit

Volume, de tentation

Pour une femme. — Ars amandi,

Pour une femme — toute la terre.

Le cur — des philtres d’amour,

Le philtre — le plus su  r. — Une femme,

De`s son berceau est un peґcheґ mortel,

Pour l’un ou pour l’autre.

Le ciel est loin! Les le`vres

Sont proches, dans la brume...

— Dieu, ne juge pas! Tu n’eґtais pas

Une femme, sur terre!

Je connais la veґriteґ! Assez des veґriteґs anciennes!

L’homme sur terre ne doit pas contrer l’homme!

Voyez: le soir, voyez: deґja` presque la nuit!

Et quoi encore: des poe`tes, des amants, des capitaines?

Deґja` — le vent s’eґpuise, deґja` — la roseґe sur la terre,

Biento  t — deґja` — la neige durcira dans le ciel eґtoileґ,

Et — biento  t — tous, sous terre nous dormirons: car,

Sur terre, tous, nous nous empe  chions de dormir.

Une fleur eґpingleґe a` la poitrine.

Je ne sais deґja` plus qui l’a eґpingleґe.

Inassouvie, ma soif de passion,

De tristesse et de mort.

Par le violoncelle et par les portes

Qui grincent, par les verres qui tintent

Et le cliquetis des

Des trains du soir,

Par le coup de fusil de chasse

Et par le grelot des troїkas —

Vous m’appelez, vous m’appelez,

Vous — que je n’aime pas!

Mais il est encore une joie:

J’attends celui qui, le premier,

Me comprendra, comme il le faut —

Et tirera a` bout portant.

J’ai ouvert le coffret de meґtal,

J’ai pris ce cadeau — des larmes:

Un anneau avec une perle superbe,

Avec une superbe perle.

Je suis sortie sur le seuil, un vrai chat,

J’ai exposeґ mon visage au vent.

Les vents — qui soufflent, les oiseaux — qui volent,

Les cygnes — a` gauche, a` droite — les corbeaux,

Nos chemins — par des co  teґs diffeґrents.

Tu t’eґloigneras — avec les premiers nuages, avec l’orage,

Et ton chemin — dans l’eґpaisse fore  t, sur les sables bru  lants.

Ton a  me — s’eґpuisera,

Tes yeux — pleureront.

Mais au-dessus de moi — la chouette criera.

Mais au-dessus de moi — l’herbe bruissera.

Nous n’avons jamais eґteґ ensemble: c’est doux

Pour moi. — Personne ainsi n’a rien repris.

Je vous embrasse, par-dela` les centaines

Des verstes qui nous seґparent.

Je sais: nos dons sont dissemblables.

Ma voix, pour la premie`re foix, est basse.

Que vous importe, jeune Derjavine,

Mon vers mal eґleveґ! —

Pour le terrible vol, je te salue:

— Vole, jeune aigle, vole! —

Tu supportes le soleil dans les yeux, —

Mon jeune regard est-il si lourd?

Personne ne vous regardait partir

Plus tendrement, plus deґfinitivement...

Je vous embrasse, par-dela` les centaines

Des verstes qui nous seґparent.

Tu le`ves la te  te trop haut —

Un orgueilleux, un menteur.

C’est, pour moi, en ce feґvrier,

Un joyeux compagnon!

Nous faisons sonner l’argent, nous

Faisons lentement des ronds de fumeґe,

Nous marchons dans notre ville natale

Comme de solennels eґtrangers.

Quelles mains soigneuses ont toucheґ

Tes cils, cette beauteґ, — quand, et

Comment, et qui, celles, nombreuses,

Qui ont embrasseґ ta bouche — ,

Je ne le demande pas. Mon esprit avide

Matrise ce re  ve. En toi,

J’honore un enfant

Divin de dix ans.

Arre  tons-nous pre`s de la rivie`re qui rince

Le collier multicolore des lanternes.

J’irai avec toi jusqu’a` la place

Qui a vu des tzars adolescents...

Siffle pour eґvacuer le mal des jeunes

Garc  ons, et serre ton cur dans ta paume...

— Mon affranchi impassible

Et violent — Pardon.

D’ou` vient cette tendresse?

Ce ne sont pas les premie`res

Boucles — que je lisse — et

J’ai connu des le`vres plus sombres.

Les eґtoiles s’allument et s’eґteignent,

— D’ou` vient cette tendresse? —

Des yeux s’allument et s’eґteignent,

Tout pre`s de mes yeux.

J’ai entendu des chants

Autres, dans la nuit noire,

— D’ou` vient cette tendresse? —

Sur la poitrine me  me du chanteur.

D’ou` vient cette tendresse? —

Et qu’en faire, adolescent

Malicieux, chanteur vagabond,

Aux cils — les plus longs.

Poemes pour Blok

1

Ton nom — un oiseau dans la main,

Un glac  on sur la langue — ton nom,

Un seul mouvement des le`vres,

Ton nom — quatre lettres.

Un petit ballon, saisi au vol,

Un grelot d’argent dans la bouche.

Il jaillit dans un sanglot, ton nom,

Et d’une pierre jeteґe dans un eґtang.

Il brille, il gronde, la nuit, ton nom

Dans un leґger cliquetis de sabots.

Et le claquement sonore du fusil

Le soulignera sur notre tempe.

Ton nom — Ah, l’impossible! —

Un baiser sur les уeux, ton nom,

Sur le gel tendre des paupie`res immobiles.

Ton nom — un baiser sur la neige,

Une glaciale gorgeґe bleue — a` la source...

Avec ton nom, le sommeil est profond.

2

Tendre fanto  me,

Chevalier sans reproches,

Qui t’a appeleґ

Dans ma jeune vie?

Dans la brume bleue,

Debout, en chasuble

De neige.

Ce n’est pas le vent, qui

Me poursuit a` travers la ville,

Cela fait trois soirs, deґja`,

Que je sens l’ennemi.

Il m’a envou  teґe,

Le chantre de neige

Aux yeux bleus.

Et le cygne de neige eґtend

Ses ailes sous mes pieds.

Les plumes s’eґtalent et

S’alte`rent sur la neige.

J’avance sur les plumes,

Ainsi, vers la porte,

Et, au-dela`, la mort.

Par les fene  tres bleues,

Il chante pour moi,

Il chante pour moi,

De ses lointains grelots.

Et son appel:

Un long cri, puis

La voix du cygne.

Tendre fanto  me!

Je sais, je vois tout en re  ves.

Fais-moi cette gra  ce: amen,

Amen, tombe en poussie`re!

Amen.

3

Tu passes a` l’ouest du soleil,

Tu vois la lumie`re du soir,

Tu passes a` l’ouest du soleil,

Et la neige en rafale couvre tes pas.

Devant mes fene  tres, indiffeґrent —

Tu passeras, dans le silence et la neige,

Mon homme de Dieu, juste et magnifique,

Douce lumie`re de mon a  me.

Je ne convoite pas ton a  me!

Ton chemin reste a` l’eґcart.

Et je n’enfoncerai pas mon clou

Dans ta main, pa  le de baisers.

Je ne t’appelerai pas par ton nom,

Je ne te tendrai pas les bras,

Je m’inclinerai, de loin,

Devant la Sainte face de cire

Et sous la neige lente, dans la neige,

Je me mettrai a` genoux, et,

En ton nom sacreґ,

J’embrasserai la neige du soir.

La`, ou`, majestueusement,

Tu es passeґ, dans un silence de mort,

Douce lumie`re, — gloire des saints —

Dans la possession de mon a  me.

4

Pour l’animal — sa tanie`re,

Pour le voyageur — son chemin,

Pour le mort — son corbillard,

Pour chacun — son du  .

Aux femmes — la ruse,

Au tzar — l’eґtat,

A moi — la glorification

De ton nom.

5

Chez moi a` Moscou — brillent les coupoles,

Chez moi a` Moscou — les cloches sonnent,

Et les seґpultures, chez moi, sont aligneґes, —

Y dorment les tzarines et les tzars.

Tu ne sais pas, toi, qu’a` l’aube, au Kremlin,

On respire plus a` l’aise — que partout ailleurs!

Tu ne sais pas, toi, qu’a` l’aube, au Kremlin,

Et jusqu’a` l’aube, je te prie comme un dieu.

Et tu passes au-dessus de la Neva,

Au moment ou`, au-dessus de la Moscova,

Je me tiens te  te baisseґe,

Et les reґverbe`res tombent de sommeil.

De toute mon insomnie je t’aime,

De toute mon insomnie je t’eґcoute —

Lorsque partout dans le Kremlin

S’eґveillent les carillonneurs.

Mais mon fleuve — avec ton fleuve,

Mais ma main — avec ta main

Ne se rencontrent pas, o ma Joie,

Tant que l’aube n’a pas rejoint l’aube nouvelle.

6

On pensait — un homme!

On l’a fait mourir.

Il est mort. A jamais.

— Pleurez sur l’ange mort!

A la fin du jour,

Il chantait la beauteґ du soir.

Trois flammes de cire

Tressaillent, superstitieusement.

Des rayons eґmanaient de lui —

Cordes bru  lantes sur la neige.

Et trois cierges de cire — et

Le tout au soleil! Au porteur de lumie`re!

O, regardez — comment les sombres

Paupie`res se sont enfonceґes!

O, regardez — comment

Ses ailes se sont briseґes!

Le reґcitant noir reґcite,

Les gens oisifs fla  nent...

— Le chantre mort repose

Et ceґle`bre la reґsurrection.

7

Probablement — derrie`re ce petit bois

Le village, ou` je vivais.

Probablement — l’amour est plus simple,

Il est plus facile, que je ne croyais.

Oheґ! — Les diables, crevez donc!

Il s’est souleveґ, il a leveґ — le fouet —

Et, apre`s l’injure — le coup, cinglant,

Et, de nouveau, les grelots chantent.

Au-dessus des bleґs faiblissants, miseґrables,

La perche se dresse — et apre`s elle une autre perche,

Et le fil de fer haut dans le ciel chante,

Et il chante la mort.

8

Et une nueґe de mouches autour de haridelles indiffeґrentes,

Et le cher andrinople de Kalouga gonfleґ par le vent,

Et le cri des cailles, et le grand ciel, et

Le flot des choches par-dessus le flot des bleґs,

Et les parlotes: les Allemands, — c’est assez mais jusqu’ou`! —

Et la croix tre`s jaune derrie`re le petit bois bleu,

Et la douce chaleur, et un tel eґclat en tout,

Et ton nom, qui sonne comme: Ange.

9

Faible rayon dans les teґne`bres noires de l’enfer —

Ta voix dans le grondement et l’explosion des obus.

Et la`, dans le tonnerre, comme un quelconque

Seґraphin, elle annonce, cette voix sourde,

— On ne sait de quels anciens matins brumeux —

Combien il nous a aimeґs, nous, aveugles et anonymes,

Et le manteau bleu, et le peґcheґ — de perfidie... Et

Combien — plus tendrement — plus fortement encore —

Combien il n’a cesseґ de t’aimer, Russie, disparue

A jamais dans la nuit — pour de tristes histoires!

Et ses doigts glissent — le long de ses tempes —

Ils semblent interroger — d’un geste perdu —:

Les jours nous attendent, et la tromperie de Dieu,

Et quel nom a` venir pour un soleil qui ne se le`vera plus...

Ainsi, prisonnier en tete-a`-tete avec lui-meme,

(Ou bien cet enfant qui parle en revant)

Nous est apparu sur toute la vaste plaine —

Le cur sacreґ d’Alexandre Blok.

10

Il regarde, la`, fatigueґ des lointains,

Chef sans partisans,

La` — et l’eau du torrent dans le creux de sa main —

Prince sans terres.

La` — ou`, pourtant, tout: possessions et soldats,

Et pain, et me`re.

Ton hеґritage est beau, — dispose de lui,

Ami sans amis!

12

Vous, ses amis, — ne le deґrangez pas!

Vous, serviteurs, — ne le deґrangez pas!

On le voyait sur son visage:

Mon royaume n’est pas de ce monde.

Fatales, les neiges en rafales au long de ses veines

Et les eґpaules se courbaient sous le poids des ailes,

Et par la bouche et par le chant, dans l’ardeur qui

desse`che,

Il a laisseґ son a  me s’envoler comme un cygne.

Tombez, tombez donc, lourds ornements!

Les ailes connaissaient leur pouvoir: voler!

Et les le`vres, qui reґpeґtaient ce mot: reґponds!

Mourir n’existe pas, je le sais!

Il boit l’aurore, il boit la mer, — a` sa soif,

Il festoie. — Et pas d’offices pour les morts!

Car celui qui pour toujours a dit: il faut e  tre!

Aura du pain assez pour le nourrir.

13

Au-dessus de la plaine —

Le chant du cygne.

Me`re, n’as-tu pas reconnu ton fils?

Lui — de tre`s loin — au-dela` des nuages,

Lui, — et son dernier pardon.

Au-dessus de la plaine,

La neige fatale, en tourbillons.

Jeune fille, n’as-tu pas reconnu ton ami?

Chasuble deґchireґe, ailes en sang...

Lui, et son dernier mot: — Vis!

Au-dessus de cette maudite...

L’envol aureґoleґ. Le juste

S’empare d’une a  me: hosanna!

Le forc  at trouve — une couchette — la chaleur.

Et le fils adoptif la maison d’une me`re. — Amen.

14

Pas une co  te casseґe —

Une aile briseґe.

Pas la poitrine traverseґe

Des fusilleґs. Cette balle

Ne peut s’extraire. Les ailes sont

Irreґparables. Il vivait mutileґ.

Tenace, elle est tenace la couronne d’eґpines!

Qu’importe au deґfunt — l’eґmotion de la masse,

Et le duvet de cygne des flatteries feґminines...

Lui, il passait, solitaire, sourd,

Il figeait les couchers de soleil,

Absent, comme une statue sans regard.

Une seule chose vivait encore en lui:

Une aile briseґe.

15

Sans cri, sans appel: un couvreur

Qui tombe d’un toit. — Mais,

Peut-e  tre es-tu revenu, —

Peut-e  tre, coucheґ dans un berceau?

Tu bru  les et ne te consumes pas,

Flambeau, pour peu de temps...

Laquelle parmi les mortelles

Te berce, en ton berceau?

Fardeau bien-heureux!

Roseau propheґtique!

Qui donc me dira

Dans quel berceau?

«Pas vendu, pour l’instant!»

Je ferai seulement, avec, en moi,

Cette jalousie, un vaste monde

Sur la terre de Russie.

Je traverserai d’un bout

A l’autre les terres de minuit.

Ou` est sa bouche — sa blessure — ,

Ou` sont le plomb, le bleu de ses yeux?

Le saisir! Toujours plus fort!

L’aimer, n’aimer que lui!

Qui me dira tout bas

En quel berceau tu es?

Des perles, une a` une, et l’ombre,

Mousseline endormie. Ombre

D’une couronne aiguiseґe,

D’eґpines, pas de laurier.

Pas un rideau, un oiseau

Qui deґplie ses ailes blanches!

— Et natre a` nouveau

Pour qu’a` nouveau la neige te couvre?

L’attirer plus fort! Le tenir

Plus haut! Ne garder que lui!

Qui me soufflera

En quel berceau tu es?

Mon exploit est peut-e  tre faux,

Et mes efforts — vains.

Tu vas peut-e  tre dormir,

Comme en terre, jusqu’au dernier chant.

Je vois a` nouveau — le creux

Profond de tes tempes.

Aucune musique ne pourra

Effacer une telle fatigue.

La souveraine pature,

Le silence sur, rouilleґ.

Le gardien me montrera

Le berceau.

16

Comme endormi, comme ivre,

Au deґpourvu, sans preґparation,

Creux des tempes:

Conscience aux aguets.

Orbites transparentes:

Mort et clarteґ.

Vitre transparente

Du re  veur, du voyant.

N’est-ce pas toi

Qui n’as pas supporteґ

Le son de sa robe bruyante

De retour au pays de chez Hade`s

N’est-ce pas cette te  te

Qui flottait, pleine de cliquetis

Argentins, le long

De l’He`bre endormi?

17

Rec  ois, mon Dieu, rec  ois mon obole

Pour la soliditeґ du temple. Je ne chante

Pas l’arbitraire de mon amour, je chante

La blessure de ma patrie...

Non le coffre rouilleґ de l’avare —

Ni le granit — useґ par les genoux!

Mais, pour tous: le heґros et le tzar,

Pour tous — un juste — un chantre — la mort.

Le Dniepr brise la glace et la Russie

Coule vers toi, comme Pa  ques. —

Et bouscule les planches du cercueil

Dans une grande crue de mille voix.

Pleure ainsi mon cur, et chante la gloire!

Et que l’amour mortel soit jaloux

De tes cris — pour quelle autre millie`me fois? —

Car cet amour-la` se reґjouit de ton chant.

J’aime embrasser

Les mains, et j’aime

Donner des noms,

Et aussi — ouvrir

Des portes!

— Grandes-ouvertes — sur la nuit noire!

Et me tenir la te  te,

Ecouter ce pas, lourd,

Quelque part, qui devient leґger,

Et le vent, qui secoue

La somnolante, l’insomniaque

Fore  t.

Et la nuit!

Quelque part, des sources coulent,

Le sommeil me gagne.

Je dors presque.

Quelque part, un homme,

Dans la nuit, s’enfonce.

Dans ma tre`s grande ville — la nuit.

Je quitte — la maison endormie.

Les gens pensent: une femme, une fille, —

Mon seul souvenir: — la nuit — .

Le vent de juillet me pousse — en chemin,

Et la` une musique par la fene  tre — un rien.

Le vent, aujourd’hui, jusqu’a` l’aube — soufflera

Au travers de la poitrine — dans la poitrine.

Un peuple noir, et, par la fene  tre — une lumie`re,

Et le carillon de la tour, et dans la main — une fleur,

Et ce pas-la` n’embote le pas de personne,

Et cette ombre-la` — n’est pas la mienne.

Les feux de la feuille nocturne dans la bouche,

Comme les chanes des colliers en or — le gou  t!

Deґlivrez-moi des liens diurnes, amis,

Comprenez, je ne suis pour vous qu’un re  ve.

Noire comme la pupille, comme la pupille tu suces

La lumie`re — et je t’aime, nuit — qui vois si bien.

Laisse ma voix te chanter, aїeule des chants,

Qui tiens la bride des quatre vents. Je t’appelle,

Je chante tes louanges et ne suis qu’un coquillage

Que la voix de l’oceґan n’a pas encore deґserteґ.

J’ai deґja` trop regardeґ dans la pupille des hommes!

Nuit! Reґduis-moi en cendres, soleil noir, — nuit!

Qui dort, la nuit? Personne ne dort!

L’enfant, dans son berceau, crie,

Le vieillard veille a` sa propre mort,

Et le jeune garc  on parle a` sa jolie;

Il souffle sur ses le`vres,

Il la regarde dans les yeux.

Si tu t’endormais, ou` serais-tu, a` ton reґveil?

Nous aurons, nous aurons bien le temps de dormir!

Le garde au regard vigilant passe

De maison en maison, avec sa lanterne rose.

Et, sur l’oreiller, ce qui, par morceaux, gronde,

Agite sa bruyante creґcelle: — ne dors pas —

Tiens bon! J’insiste! Sinon — l’eґternel

Sommeil! — Sinon — la maison eґternelle.

Voici — de nouveau — une fene  tre,

Ou` — de nouveau — on ne dort pas.

On y boit du vin — peut-e  tre —,

On n’y fait rien — peut-e  tre —.

Ou alors, tout simplement,

Deux mains ne peuvent se seґparer.

Il y a, dans chaque maison,

Ami, une fene  tre pareille.

Le cri des seґparations, des rencontres —

Toi, fene  tre dans la nuit!

Des centaines de bougies — peut-e  tre —,

Trois bougies — peut-e  tre... —

Pas cela, et pas de repos

Pour mon esprit.

Et cela — cette chose me  me —

Dans ma maison.

Prie, mon ami, pour la maison sans sommeil,

Pour la fene  tre eґclaireґe!

Poemes pour Akhmatova

1

O muse des pleurs, la plus belle des muses!

Toi, acolyte perdue de la nuit blanche!

Tu jettes sur les Russes ta sombre tempe  te,

Et tes hauts cris nous percent, comme des fle`ches.

Nous bondissons de co  teґ, et sourdement: ah! —

Des milliers de fois — nous te jurons fideґliteґ. — Anna

Akhmatova! — Ce nom me  me — vaste soupir,

Tombe dans des profondeurs qui n’ont pas de nom.

Nous portons une couronne, a` seulement fouler

La me  me terre que toi, sous le me  me ciel — que toi!

Et celui que blesse ton destin mortel

S’eґtend immortel deґja` sur son lit de mort.

Sur ma ville qui chante, les coupoles brillent,

Et l’aveugle qui passe ceґle`bre les louanges du seigneur...

— Moi, — je t’offre ma ville avec ses cloches,

Akhmatova! — et aussi mon cur, en plus.

3

Encore un immense battement —

Et les cils dorment.

Corps gentil! Poussie`re

D’un oiseau leґger!

Que faisais-tu dans le brouillard

Des jours? J’attendais, je chantais...

Et tant de soupirs en elle,

Et si peu de chair...

Gentille — inhumainement,

Sa somnolence.

Avec quelque chose

De l’ange et de l’aigle.

Elle dort, et le chur l’appelle

Vers les jardins de l’Eden.

Comme si le deґmon endormi

N’eґtait pas satureґ de chansons.

Les heures, les anneґes, les sie`cles. —

Sans nous — sans nos chambres.

Et le monument, qui se penche, —

Ne se souvient plus.

Depuis longtemps, le balai reste inactif,

Et se fleґtrissent, obseґquieusement,

Au-dessus de la Muse de Tsarskoeґ Selo,

Les croix d’orties.

5

Tant de compagnons, tant d’amis —

Et tu n’es l’eґcho de personne.

L’amertume et la fierteґ

Commandent cette tendre jeunesse.

Tu te souviens de cette journeґe folle

Et enrageґe: le port, la menace des vents du sud,

Les hurlements de la Caspienne — et,

Dans la bouche, l’aile d’une rose.

Et cette tzigane qui t’a donneґ

Cette pierre, si bien sertie, — et

Cette tzigane qui t’a menti

A propos de la gloire...

Et, — tre`s haut, pre`s des voiles —

L’adolescent en caban bleu.

Le grondement de la mer — et l’appel,

— Redoutable de la Muse blesseґe.

6

Tu ne traneras pas. Moi, — je suis le prisonnier.

Toi, — le gardien. Nous avons le me  me destin.

Nous avons la me  me feuille de route

Pour ce territoire vide, vide.

Moi, — je suis d’une humeur tranquille!

Mes yeux sont transparents!

Gardien, laisse-moi aller

Jusqu’a` ce pin.

8

Sur le marcheґ, les gens criaient,

La fumeґe sortait de la boulangerie

J’ai le souvenir de la bouche vermeille

D’une chanteuse de rue au visage allongeґ.

Dans un cha  le sombre — avec des fleurs —,

— Pour e  tre honoreґe — et

Toi, les yeux baisseґs, dans la foule

Des croyants, devant la catheґdrale.

Prie pour moi, beauteґ

Triste et diabolique,

On eґle`vera pour toi des eґchafaudages,

Comme pour la vierge du village.

9

Vers Anne, a` la bouche d’or,

De toute la Russie, son verbe, et

Son expiation, — toi, vent, porte

Ma voix, et ce lourd soupir.

Parle, horizon en feu, parle

De ces yeux, noirs de douleur,

Et, doucement, salue, jusqu’a` terre,

Parmi les champs doreґs.

Raconte, eau verte des ruisseaux,

Dans les bois, raconte cette nuit-la`

Ou` j’ai vu en toi, et quel visage

J’ai vu, de mes propres yeux.

Toi, retrouveґ,

Dans la hauteur, avec le tonnerre,

Toi, l’anonyme,

Porte mon amour

A Anne, bouche d’or de toutes les Russies.

11

Tu me caches le soleil, — la`-haut,

Toutes les eґtoiles dans le creux de ta main!

Et si, — portes grandes-ouvertes —

Comme le vent — j’entrais chez toi!

Et puis balbutier et rougir,

Baisser les yeux tout a` fait,

Et sangloter pour m’apaiser,

Comme un enfant pardonneґ.

12

Les deux bras me sont donneґs — pour les tendre a` tous, —

Mais ils me fuient. Les le`vres — pour donner des noms,

Les yeux — pour ne pas voir, les sourcils tout au-dessus —

Pour s’eґtonner tendrement de l’amour et de l’absence d’amour —

Plus tendrement encore. La cloche, la`-bas, plus lourde

Que celle du Kremlin, sonne, et sonne dans ma poitrine, —

ainsi,

Qui sait? — Je ne sais pas, — peut-e  tre, — il se peut, — ainsi,

Je ne m’inviterai pas longtemps sur la terre russe!

Un soleil blanc et de tre`s, tre`s bas nuages,

Le long des potagers — derrie`re le mur blanc —,

Un cimetie`re. Et sur le sable des rangeґes d’eґpouvantails

De paille, sous des linteaux a` hauteur d’homme.

Pencheґe par-dessus les pieux de la palissade,

Je vois des routes, des arbres, des soldats en deґsordre.

Une vieille paysanne, pre`s d’un portillon ma  che,

Ma  che une tranche de pain noir avec du gros sel...

Pourquoi ce courroux contre ces maisons grises, —

Seigneur! — Et pourquoi trouer tant de poitrines?

Le train passe et hurle, et hurlent les soldats,

Et le chemin se couvre de poussie`re, et il s’eґloigne...

—Pluto  t mourir! Pluto  t ne jamais e  tre neґe,

Que, la`, pour ce pitoyable cri plaintif de forc  at

Vers les belles aux sourcils noirs. — Comme ils chantent

Aujourd’hui les soldats! O Seigneur mon Dieu!

Tu es ma rivale, et je viendrai chez toi,

Un jour quelconque, une certaine nuit claire,

Quand les grenouilles hurleront dans l’eґtang,

Et que les femmes seront folles de pitieґ.

Je m’attendrirai sur le palpitement

De tes paupie`res et sur tes cils, jaloux,

Je te dirai: je n’existe pas vraiment,

Je ne suis qu’un re  ve, dans ton sommeil.

Je te dirai: console-moi, console-moi.

Quelqu’un enfonce des clous dans mon cur!

Je te dirai, a` toi: le vent est frais,

Les eґtoiles — au-dessus des te  tes — sont chaudes...

Aux juifs

Toi, buisson de roses ardentes, qui

Ne t’a pieґtineґ, qui ne t’a eґcraseґ!

Seul immuable laisseґ sur terre,

Apre`s lui, par le Christ.

Israёl! Ton deuxie`me re`gne

Approche. Vous nous avez payeґ

De votre sang toutes les oboles:

Heґros! Tratres! Prophe`tes, mercantiles!

En chacun de vous — me  me s’il compte son or

Dans son baluchon, pre`s d’une chandelle —

Le Christ parle plus fort qu’en Marc,

Ou Matthieu, ou Jean, ou Luc.

D’un bout a` l’autre de la terre:

Crucifixion et descente de Croix...

Avec le dernier de tes fils, Israёl,

C’est le Christ que nous enterrons.

J’aimerais vivre avec Vous —

Dans une petite ville

Aux creґpuscules eґternels,

Aux eґternelles cloches —

Avec la sonnerie deґlicate

D’une horloge ancienne — les gouttes du temps —

Dans une petite auberge de campagne.

Et le soir, quelquefois, d’une mansarde ou l’autre —

Une flu  te,

Et le flu  tiste a` la fene  tre.

Et de grandes tulipes aux fene  tres.

Vous ne m’aimeriez, peut-e  tre, me  me pas.

Au milieu de la chambre — un poe  le de faїence eґnorme,

Avec sur chacun des carreaux — une image:

Une rose — un cur — un bateau —

Et derrie`re l’unique fene  tre:

La neige, la neige, la neige.

Vous seriez coucheґ — comme je vous aime: insouciant,

Indiffeґrent, paresseux.

De temps en temps, le brusque frottement

D’une allumette.

La cigarette s’allume, s’eґteint,

Et longtemps, longtemps, tremble a` son extreґmiteґ

Un court cylindre gris — la cendre.

Vous e  tes trop paresseux pour la secouer.

Et toute la cigarette vole dans le feu.

Don Juan

1

A l’aube froide,

Sous le sixie`me bouleau,

Au coin, pre`s de l’eґglise,

Attendez, Don Juan!

Je vous le jure, sur mon fianceґ,

Heґlas, et sur ma vie,

On ne sait, dans mon pays,

Ou` s’embrasser!

Chez nous, pas de fontaine

Et les puits sont geleґs, —

Et les Saintes Vierges

Ont des yeux seґve`res.

Et pour que les belles

N’eґcoutent pas les vaines

Paroles, — nous avons

Un tre`s sonore carillon.

Je pourrais vivre ainsi,

Mais j’ai peur — de vieillir,

Et puis, mon beau, ce pays

Ne vous convient pas.

Dans un manteau d’ours,

Qui vous reconnatrait? —

Si ce n’eґtait les le`vres,

Vos le`vres, Don Juan!

2

Longtemps la tempe  te, et les pleurs

De la neige. — A l’aube brumeuse,

On a coucheґ Don Juan

Dans un lit de neige.

Ni bruyantes fontaines,

Ni chaudes eґtoiles...

Sur la poitrine de Don Juan,

Une croix orthodoxe.

Afin que la nuit eґternelle

Soit plus claire — pour toi,

J’ai apporteґ un eґventail,

Noir, de Seґville....

Et pour que tu vois

De tes propres yeux, la beauteґ

Des femmes, — cette nuit

Je t’apporterai un cur.

Dormez en paix, maintenant!

De tre`s loin vous e  tes venu,

Ici, chez moi. Votre liste

Est comple`te, Don Juan!

3

Apre`s tant de roses, de villes, de toasts —

Comment n’e  tes-vous pas fatigueґ

De m’aimer? Vous — presque un squelette,

Moi — presque une ombre.

Vous avez du  recourir aux forces

Ceґlestes? — Que m’importe! — Et

Que m’importe cette odeur de Nil

Qui vient de mes cheveux?

Moi — c’est mieux —, je vous raconte

Le conte: c’eґtait en janvier. Quelqu’un

A jeteґ une rose. Un moine masqueґ

Portait une lanterne. Une voix

Ivre, — priait et s’emportait,

Pre`s du mur de la catheґdrale.

Don Juan de Castille, alors,

Rencontra Carmen.

4

Il est minuit — juste.

La lune — un eґpervier.

— Tu regardes — quoi?

— Je regarde — c’est tout!

— Je te plais? — Non.

— Tu me reconnais? — Peut-e  tre.

— Je suis Don Juan.

— Et moi — Carmen.

5

Don Juan avait — une eґpeґe,

Don Juan avait — Dona Ana.

C’est tout ce que les gens m’ont dit

Du beau, du malheureux Don Juan.

Mais aujourd’hui, j’ai ruseґ:

A minuit juste, je suis alleґe sur la route.

Quelqu’un a marcheґ pre`s de moi,

Il reґpeґtait des noms.

Et une eґtrange crosse — blanchissait dans la brume...

— Don Juan n’a jamais eu — Dona Ana!

6

Et la ceinture de soie, — le serpent

Du paradis, — tombe a` ses pieds...

Et on me dit — Je me calmerai,

Un jour, la`-bas, sous la terre.

Je vois mon profil hautain et

Vieux, sur le brocard blanc.

Et quelque part — des gitanes — des guitares —

Et de jeunes hommes en manteaux noirs.

Alors, quelqu’un, cacheґ sous un masque:

— Reconnaissez-moi! — Je ne sais pas —

Reconnaissez-moi! —

Et la ceinture de soie tombe

Sur la place — ronde, comme le paradis.

Tu es sortie d’une catheґdrale auste`re et fine

Pour les criailleries de la place publique...

— Liberteґ! — La Belle Dame

Des marquis et des princes russes.

Voici, en cours, la terrible reґpeґtition

Du chur, — la messe continuera!

— Liberteґ! — Fille de joie

Sur la poitrine folle d’un soldat!

Embrasser sur le front — efface les soucis.

J’embrasse sur le front.

Embrasser sur les yeux — supprime l’insomnie.

J’embrasse sur les yeux.

Embrasser sur la bouche — donne a` boire.

J’embrasse sur la bouche.

Embrasser sur le front — efface la meґmoire.

J’embrasse sur le front.

Brumes Anciennes de L’Amour

1

Au-dessus des contours du cap noir —

La lune — chevalier dans son armure.

Sur le quai — haut de forme, fourrures,

Je voudrais: une actrice, un poe`te.

Vaste souffle du vent, —

Souffle des jardins du nord, —

Vaste souffle malheureux:

Ne laissez pas trai ner mes lettres.

2

Ainsi, les mains enfonceґes dans les poches,

Je suis la`, debout. La route bleuit.

— Aimer de nouveau, et quelqu’un d’autre?

Toi, tu pars, le matin to  t.

Chaudes brumes de la City —

Dans tes yeux. Eh bien, c’est ainsi.

Je me souviendrai — seulement ta bouche

Et ton cri passionneґ: — vivre!

3

Il lave le rouge le plus lumineux —

L’amour. Essayez un peu leur gou  t,

Elles sont saleґes — les larmes. J’ai peur,

Moi, demain matin — de me lever morte.

Des Indes, envoyez-moi des pierres.

Quand nous reverrons-nous? — En re  ve.

—Quel vent! — Salut a` l’eґpouse,

Et a` l’autre dame, — aux yeux verts.

4

Le vent jaloux fait bouger le cha  le.

Cette heure m’eґtait preґdestineґe, depuis toujours.

— Je sens, autour des le`vres et sur les paupie`res

Une tristesse presque animale.

Cette faiblesse le long des genoux!

— Ainsi la voila`, la fle`che divine! —

— Quelle lueur d’incendie! — Aujourd’hui

Je serai la farouche Carmen.

... Ainsi, les mains enfonceґes dans les poches,

Je suis la`, debout. — Entre nous, l’oceґan.

Au-dessus de la ville — brumes, brumes,

Brumes anciennes des amours.

Je me souviens du premier jour, la feґrociteґ des nouveaux-neґs,

La brume divine des langueurs, et la gorgeґe,

L’insouciance totale des mains, le cur qui manque de cur,

Et qui tombe comme une pierre — ou un eґpervier —

sur la poitrine.

Et puis voila`, dans les gestes de la pitieґ et de la fie`vre,

Une seule chose: hurler comme un loup, une seule:

se prosterner,

Baisser les yeux — comprendre — que le cha  timent

de la volupteґ

Est cet amour cruel, cette passion de forc  at.

Rouen

Je suis entreґe, et j’ai dit: — Bonjour!

Il est temps, roi, de revenir en France, chez toi!

Et de nouveau, je te conduis vers le sacre,

Et de nouveau, tu vas me trahir, Charles VII!

N’espeґrez pas, prince avare et morose,

Prince exsangue et sans courage,

Que Jeanne n’aime plus — les voix,

Que Jeanne n’aime plus — son eґpeґe.

Il y a dans Rouen, a` Rouen — le vieux marcheґ...

— Et de nouveau: le dernier regard du cheval,

Le premier creґpitement du petit bois innocent,

Puis la premie`re flamme des fagots.

Et derrie`re mon eґpaule — mon compagnon aileґ

Chuchotera de nouveau pour moi: courage, Sur! —

Quand le sang du bois de mon bu  cher

Fera briller les armures d’argent.

J’ai fe  teґ seule la nouvelle anneґe.

Moi, riche, j’eґtais pauvre,

Moi, avec mes ailes, j’eґtais damneґe.

Quelque part, beaucoup, beaucoup de mains

Serreґes — et beaucoup de vins vieux.

Avec ses ailes, elle eґtait damneґe!

Et elle, l’unique eґtait — seule!

Comme la lune — seule, sous le regard de la fene  tre.

Tu t’es leveґ pour la Patrie,

Sur ton poignard, tu as eґcrit —: Marina.

J’ai eґteґ la premie`re et l’unique

Dans ta vie extraordinaire.

Je me souviens: la nuit, un visage aureґoleґ,

Dans l’enfer d’un wagon pour soldats.

Je laisse mes cheveux au vent, et

Dans un coffret, je garde les eґpaulettes.

Le Don

Garde blanche, haute est ta destineґe:

Le trou noir vise ta poitrine et ta tempe.

Tu combats pour Dieu, ta cause est juste:

Le sable engloutira ton corps douloureux et pur.

Ce n’est pas un vol de cygnes dans le ciel:

C’est la sainte force blanche qui s’efface,

Qui s’efface comme une vision blanche...

Dernier re  ve — de l’ancien monde:

Vaillance, — Jeunesse, — Vendeґe, — Don.

Celui qui en reґchappe — va mourir, celui qui en meurt —

revivra.

Et puis les descendants, au souvenir de ces temps anciens:

— Ou` eґtiez-vous? — La question, comme un coup de tonnerre,

Et la reґponse, comme un coup de tonnerre — sur le Don!

— Qu’avez-vous fait? — Nous avons souffert dans

les tourments,

Puis, fatigueґs, — nous nous sommes coucheґs pour dormir.

Et, dans le dictionnaire, les petits enfants re  veurs

Apre`s le mot: devoir, eґcriront le mot: DON...

Difficile et miraculeuse — fideґliteґ jusqu’a` la mort!

La magnificence des tzars — au sie`cle des places

envahies!

Ames reґsistantes, poitrines reґsistantes, —

Ou` e  tes-vous, hommes des temps anciens?!

La licence, comme un Tatar roux, deґvaste

Et reґduit en poussie`re l’autel et le tro  ne.

Au-dessus des cendres — les clameurs du festin

De soldats deґserteurs et de femmes adulte`res.

Je rentre a` la maison — non comme un imposteur,

Et non comme une servante — je n’ai pas besoin de pain.

Moi — ta passion, ton repos du dimanche,

Ton septie`me jour, ton septie`me ciel.

La`-bas, sur terre, on me donnait des pie`ces,

On attachait des meules de pierre a` mon cou.

— Mon bien-aimeґ! — Pourrais-tu ne pas me reconnatre?

Moi, — ton hirondelle — ta Psycheґ!

Recois, ma douceur, des guenilles

Qui furent autrefois une chair deґlicate.

Tout est useґ, tout est deґchireґ, —

Seules restent encore les deux ailes.

Reve  ts-moi de ta splendeur,

Pardonne-moi, sauve-moi, mais

Les pauvres haillons en poussie`re —

Porte-les a` la sacristie.

Je te raconterai — la grande duperie:

Je te raconterai le brouillard, quand il tombe

Sur les jeunes arbres et sur les vieilles souches.

Je te raconterai les lumie`res qui s’eґteignent

Dans les petites maisons — et le tzigane — eґtranger

Venu des lointains eґgyptiens — qui souffle dans son roseau.

Je te raconterai — le grand mensonge:

Je te raconterai le couteau, serreґ entre des doigts

Etroits, — les boucles des jeunes et la barbe des vieux,

Souleveґes par le vent des sie`cles.

Et la rumeur du sie`cle.

Et les bruits des fers, sous les sabots.

On frappe prudemment trois fois.

Tendre ennemi, ami peu su  r, — Tu

Ne me tromperas pas! Tu n’es pas un pe`lerin

Au terme de sa route. — C’est ainsi

Qu’on frappe au cur — pour l’amour.

C’est ainsi que l’Enfer noir

Baisse les yeux pour frapper au Paradis.

Je suis. Tu — seras. Entre nous — un gouffre.

Je bois. Tu as soif. S’entendre — en vain.

Dix ans, cent milleґnaires nous seґparent. —

Dieu ne ba  tit pas de ponts.

Sois! — C’est mon commandement.

Laisse-moi passer, je n’eґcraserai pas les jeunes pousses.

Je suis. Tu — seras. Dans dix printemps, tu diras:

— Je suis! Moi, je dirai: — C’est trop tard.

Je mourrai, et ne dirai pas: j’ai e ґ te ґ . Sans

Me plaindre, et sans chercher de coupables. Il est

Au monde des choses plus seґrieuses que les orages

Passionnels et les hauts faits de l’amour.

Toi, tu cognais de l’aile a` ma poitrine,

Jeune coupable de mon inspiration —

Moi — je te l’ordonne: — Sois!

Moi, et sans sortir de la soumission.

Ces mains, dont l’amoureux n’a pas besoin,

Servent — le Monde. Et la Lyre

Nous couronne de ce titre glorieux:

Epouse du Monde.

Beaucoup ne sont pas convieґs au festin royal, —

Il leur faut alors, pour tout souper, un chant!

L’amant n’est pas eґternel, le Monde est eґternel.

On ne le sert pas en vain.

La Blancheur menace la Noirceur.

Le temple blanc menace tombeaux et tonnerre.

Le juste pa  le menace Sodome, non pas

De son glaive — mais du lys de son bouclier!

Blancheur! Cercle symbolique!

Cuves baptismales! Cheveux blancs fatidiques!

Et les vilains reconnatront leur seigneur

A la fleur qui fleurit de ses mains.

Le loup — n’a peur que de l’agneau, et

La forteresse ne se rend qu’a` un ange.

Festoiements — dans les caves et les sentines!

Il gagne la capitale, le reґgiment blanc!

Ma journeґe, le deґsordre et l’absurde:

Au pauvre, je reґclame du pain,

Au riche, je donne, pour sa pauvreteґ!

J’enfile dans l’aiguille — une lueur,

Au voleur, j’offre — la clef,

Je mets du blanc sur ma pa  leur.

Le pauvre ne me donne pas de pain,

Le riche n’accepte pas mon argent,

La lueur ne passe pas dans l’aiguille.

Le voleur entre sans la clef,

Et l’idiote pleure a` chaudes larmes —

Ce jour sans gloire, ce jour inutile.

— Ou` sont les cygnes? — Et les cygnes sont partis.

— Et les corbeaux? — Et les corbeaux sont resteґs.

— Ou` sont-ils partis? — La` ou` sont les grues.

— Pourquoi sont-ils partis? — Pour ne pas perdre leurs

plumes.

— Et papa, ou` est-il? — Dors, dors, le Sommeil,

Sur son cheval des steppes va venir nous chercher. —

— Ou` nous emme`nera-t-il? — Sur le Don des cygnes,

— La`, j’ai, tu le sais! — un cygne blanc.

Les poe`mes poussent,

des eґtoiles,

des roses,

Et de la beauteґ

— inutiles pour la vie familiale.

Quant aux couronnes

et aux apotheґoses —

Une seule reґponse:

— d’ou` cela me vient-il?

Nous dormons —

et puis, au travers des dalles de pierre,

L’ho  te ceґleste

avec ses quatre peґtales.

O monde, comprends!

Le chantre — dans son sommeil —

Deґcouvre les lois de l’eґtoile

et la formule de la fleur — .

Chaque poe`me — un enfant de l’amour,

Un enfant eґternel, deґmuni de tout.

Un premier-neґ — poseґ pre`s

De l’ornie`re, en plein vent.

L’enfer au cur, l’autel au cur,

— Le paradis et la honte. — Qui

Est le pe`re? Un tzar, peut-e  tre?

Peut-e  tre un tzar — peut-e  tre un voleur.

Il nous faut courageusement l’avouer, Lyre!

Nous avions du gou  t pour les grands de ce monde:

Pour les ma  tures et les drapeaux, les eґglises, les tzars,

Les bardes, les heґros, les aigles et les vieillards,

Quand on jure fideґliteґ aux royaumes,

On ne confie pas le Pavillon a` tous les vents.

Tu connais le tzar — reste a` distance du piqueur!

La fideґliteґ nous tenait comme un grappin:

Fideґliteґ a` la grandeur — a` la faute — au malheur,

Fideґliteґ a` la grande faute de la couronne!

Quand on jure fideґlite au — Khan,

On ne jure pas obeґissance a` la horde.

En ce sie`cle, nous n’avons trouveґ que du vent, Lyre!

Le vent a mis en lambeaux les tuniques, et

Le dernier chiffon flotte sur le Pavillon...

De nouvelles foules, pour de nouveaux drapeaux!

Nous, nous resterons fide`les a` nos serments,

Car ce sont de mauvais chefs, les vents.

Si l’a  me est neґe avec des ailes

Que lui importe les palais et les masures!

Que lui importe Gengis-Khan ou la horde!

J’ai deux ennemis, ici-bas,

Deux jumeaux — inseґparables:

La faim des affameґs — et la richesse des riches.

Je ne te ge  ne pas, je ne te donne

Pas un poison de femme.

Je te donne ma main fide`le —

La droite, celle qui eґcrit.

Celle avec laquelle je beґnis,

Pour la nuit — ma fille cheґrie.

Celle avec laquelle j’eґcris

Ce que Dieu me commande.

La gauche — est impertinente,

Maligne, astucieuse; tiens,

Je te donne ma main — ma main

Droite, celle qui est juste.

Pour toi, je noie dans un verre

Une poigneґe de cheveux bru  leґs.

Tu ne mangeras plus, tu ne chanteras plus,

Ne boiras plus, ne dormiras plus.

Pour que ta jeunesse — soit sans joie,

Pour que ton sucre — soit sans douceur,

Pour que la nuit c  a ne marche pas, dans le noir,

Avec ta jeune eґpouse.

Comme l’or de mes cheveux est

Devenu cendre grise, les anneґes

De ta jeunesse deviendront

Blanches comme l’hiver.

Tu seras aveugle, — sourd,

Tu te desseґcheras, — comme la mousse,

Tu expireras, — comme un soupir.

Tzar, Dieu! Pardonnez aux faibles —

Aux petits, — aux naїfs, — aux peґcheurs, — aux

extravagants,

Entraneґs dans l’horrible tourmente,

Seґduits, trompeґs, —

Tzar, Dieu! Dans l’atroce supplice,

Ne tuez pas Stenka Razine!

Tzar! Dieu te le rendra! Nous avons

Eu assez de cris d’orphelins! Assez

De morts! — Fils de tzar,

Pardonne au Brigand!

Vers la maison paternelle — les chemins sont divers!

Gra  ce pour Stenka Razine!

Razine! Razine! Ton histoire est termineґe!

L’animal rouge mateґ, attacheґ.

Ses dents horribles briseґes.

Mais pour sa vie, sa sombre vie

Et pour sa bravoure absurde,

Libeґrez Stenka Razine!

Patrie! Source et embouchure!

Et quelle joie! De nouveau c  a sent la Russie!

Etincelez, yeux ternis!

Reґjouis-toi, cur russe!

Tzar, Dieu! C’est la fe  te:

Libeґrez Stenka Razine!

Je n’ai plus besoin de toi,

Mon cher, — non parce que

Tu n’as pas eґcrit aussito  t,

Non parce que tu vas

Deґchiffrer en riant

Ces lignes eґcrites avec tristesse,

(Ecrites par moi, seule —

A toi, seul! — Pour la premie`re fois! —

Tu les devineras, sans e  tre seul.)

Non parce que des boucles

Fro  leront ta joue — je sais,

Moi aussi, lire a` deux! —

Non parce qu’ensemble —

Sur des majuscules incertaines —

Vous allez vous pencher et soupirer.

Non parce que, bien ensemble,

Soudain, vos paupie`res se fermeront —

Mon eґcriture est difficile, —

Et, en plus des vers!

Non, cher ami, — c’est plus simple,

C’est plus fort qu’un deґpit:

Je n’ai plus besoin de toi —

Parce que, parce que

Je n’ai plus besoin de toi!

Non, personne ne le saura —

Ne pourra et ne voudra le savoir! —

Combien, dans l’insomnie, ma conscience passionneґe

Use ma jeune vie!

Elle m’eґtouffe sous l’oreiller, elle sonne le tocsin,

Elle murmure toujours le me  me mot…

— Elle transforme en cet enfer trois fois damneґ

Un petit, un idiot peґcheґ veґniel.

Une eґtoile au-dessus du berceau — et une eґtoile

Au-dessus du cercueil! Et, au milieu —

Comme un tas de neige bleue — une longue vie. —

Bien que je sois ta me`re,

Je n’ai plus rien a` te dire,

Mon eґtoile.

Je confie ce livre au vent

Et aux cygnes qui passent.

Pour crier plus fort que la seґparation —

Il y a peu, j’ai briseґ ma voix.

Ce livre, comme une bouteille a` la mer,

Je le jette dans le tourbillon des guerres;

Afin qu’il voyage, simplement, de la main

A la main, comme un cierge dans une fe  te.

Vent, vent, mon fide`le teґmoin,

Va dire a` ceux que j’aime

Que chaque nuit, dans mes re  ves,

Je fais le chemin — du Nord au Sud.

Il s’approchera sans bruit, furtivement —

Comme minuit dans une fore  t impeґneґtrable.

Je sais: dans un vaste tablier,

Je vous apporterai une colombe.

Ainsi: je serai sur le seuil, — immobile!

Avec le poids du plomb — la honte. Mais,

L’oiseau dans le tablier sera a` l’eґtroit,

Et l’oiseau — s’envolera, de lui-me  me!

Tu observes ma peґrissable fragiliteґ

Presque en silence. — Toi,

Tu es de pierre, — moi, je chante, —

Toi, tu es un monument, moi, je vole.

Je sais, au regard de l’eґterniteґ,

Le plus tendre mai n’est rien.

Je suis un oiseau, ne m’en veux pas, si

Je n’applique pas pour moi une loi si leґge`re.

Ne juge pas trop vite: le jugement

Terrestre est fragile! Et que la couleur

Des meґsanges ne soit pas obscurcie —

Par la blancheur des colombes.

D’ailleurs — fais ce qu’il te plat!

Car, si j’ai aimeґ tout le monde,

Il se peut qu’un jour sombre —

Je revienne a` moi, plus blanche que toi.

L’un est de pierre, l’autre d’argile, —

Toute d’argent, moi — je brille!

Mon affaire — trahir, mon nom — Marina,

Moi, — peґrissable eґcume de la mer.

L’un est d’argile, l’autre de chair —

Pour eux, tombes et pierres tombales…

Pour moi — la mer — et ses fonts baptismaux —

Et je suis, dans mon vol, — sans cesse briseґe!

Ma volonteґ passe au travers de tous

Les curs, au travers de tous les filets.

De moi — vois-tu ces me`ches folles? —

Personne ne tirera du sel de terre.

Je me brise contre vos genoux de granit,

Mais, avec chaque vague, — je ressuscite.

Salut a` l’oceґan — a` l’eґcume joyeuse —

La haute eґcume de la mer!

Un co  teґ de la fene  tre s’est ouvert.

Un co  teґ de l’a  me est apparu.

Ouvrons donc — aussi l’autre co  teґ,

Et cet autre co  teґ de la fene  tre.

Chanson

Hier encore il me regardait dans les yeux,

Aujourd’hui — il louche pluto  t de co  teґ!

Hier encore il restait jusqu’au chant des oiseaux —

Aujourd’hui — toute alouette — corbeau!

Moi, la sottise, mais toi, l’intelligence,

La vie, et moi l’inertie.

Et ce cri des femmes de tous les temps:

«Qu’est-ce que je t’ai fait, mon amour?!»

Et les larmes pour elle — de l’eau et du sang —

De l’eau — dans le sang, dans les larmes elle se lave!

Pas une me`re, une mara  tre — l’Amour:

N’attendez de lui ni justice ni pitieґ.

Les navires enle`vent les amants,

La route blanche les entrane…

Et ce geґmissement vaut pour toute la terre:

«Qu’est-ce que je t’ai fait, mon amour?!»

Hier encore — coucheґ a` mes pieds!

Il me comparait a` l’empire de Chine!

Soudain ses deux mains se sont eґcarteґes, —

Ma vie est tombeґe — comme un sou rouilleґ!

Comme une infanticide devant les juges

Je suis la` debout — mal aimeґe, sans deґfense.

Je te le dirais me  me en enfer:

«Qu’est-ce que je t’ai fait, mon amour?!»

J’interroge la chaise, j’interroge le lit:

«Pour quoi, ce que j’endure, pour quoi cette

deґtresse?»

«Finis les baisers — vient la torture:

A d’autres les baisers», — reґpondent-ils.

A cette vie en plein feu, tu m’habitues,

Puis tu m’abandonnes — dans la steppe glaceґe!

Voila` ce que toi, mon amour, tu m’as fait!

Mon amour, a` toi — qu’est-ce que, moi, je t’ai fait?

Je sais tout — ne dis pas le contraire!

Lucide, a` nouveau — et deґja` plus ta matresse!

La` ou` l’Amour ce`de le terrain,

La` s’avance la Mort-Jardinier!

Seule — pourquoi secouer l’arbre! —

L’heure venue la pomme mu  re tombera.

— Pour tout, pardonne-moi, mon amour —

Pour tout ce que je t’ai fait!

Ils sont partis — ils s’en sont alleґs —. Ils

Sont passeґs dans lе camp ou` tout se me  le,

Dans le camp blanc des migrateurs,

Et des pigeons — et des cygnes —,

D’eux, et de toi, ma Grandeur,

Je parle, — reґponds-moi!

Pour les jeunes bois de che  ne, qui poussaient

Vers le ciel — et n’ont pu grandir, pour ceux

Qui sont tombeґs et ne se sont pas releveґs, —

Pour ceux qui sont alleґs camper dans l’eґterniteґ,

Pour toi, notre Honneur,

Je geґmis — fais-moi signe!

Chaque soir, chaque soir, mes bras

Vont a` votre rencontre! La`-bas.

Dans la vaste eґtendue des colombes —

Ils sont nombreux, ceux que j’aime.

Je suis depuis trop longtemps

Dans la Russie des rouges — enle`ve-moi!

Je le sais, je mourrai au creґpuscule, ou le matin ou le soir!

Auquel des deux, avec lequel des deux — c  a ne se commande

pas!

O s’il eґtait possible que mon flambeau s’eґteigne deux fois!

Je suis passeґe sur terre d’un pas de danse! — Fille du ciel!

Un tablier plein de roses! — Sans eґcraser les jeunes pousses!

Je le sais, je mourrai au creґpuscule, ou le matin ou le soir!

Dieu n’enverra pas une nuit d’eґpervier pour mon a  me de

cygne!

D’une main douce, j’eґcarterai la croix sans l’embrasser,

Je m’eґlancerai dans le ciel geґneґreux pour un dernier salut.

La faille du creґpuscule, ou le matin ou le soir — et la coupure

du sourire...

— Car me  me dans le dernier hoquet je resterai poe`te!

Dans les collines — rondes et brunes,

Sous les rayons — puissants et poussieґreux,

Avec des bottes — heґsitantes et douces —

Derrie`re une pelisse — rouge et deґchireґe.

Dans les sables — voraces et rouilleґs,

Sous les rayons — bru  lants et avides,

Avec des bottes — heґsitantes et douces —

Derrie`re une pelisse — pas a` pas.

Dans les vagues — dangereuses et hautes,

Sous les rayons — cruels et anciens,

Avec des bottes — heґsitantes et douces —

Derrie`re une pelisse — menteuse, menteuse.

A Maiakovski

Plus haut que les croix, plus haut que les chemineґes,

Baptiseґ par le feu, baptiseґ par la fumeґe,

Archange-aux-pieds-lourds —

Salut a` toi dans les sie`cles, Vladimir!

Il est le cocher, il est aussi le coursier,

Il est la toquade, il est aussi la loi.

Il soupire, il crache dans ses mains:

— Tiens-toi bien, gloire charretie`re!

Chantre des miracles sur la place publique,

Salut a` toi, orgueilleux salopard,

Qui choisit la lourdeur de la pierre

Et non la seґduction du diamant.

Salut a` toi, tonnerre de paveґs!

Il ba  ille, il respecte, — et, a` nouveau,

Il rame — avec ses brancards — avec

Ses ailes d’archange charretier.

Louange pour aphrodite

1

Bienheureux — ceux qui ont abandonneґ tes filles, Terre,

Pour la lutte et pour la course. Bienheureux, —

Ceux qui ont peґneґtreґ sur les Champs-Elyseґes

Sans e  tre seґduit par la volupteґ.

Le laurier y pousse, feuilles raidies et sobres, —

Le laurier — chroniqueur, activiste au combat…

— Je n’eґchangerai pas l’aplomb de l’amitieґ,

Au-dessus des nuages, contre le foyer de l’amour.

2

Deґja` les Dieux — deґja` —, ne te comblent plus

Sur les rives — deґja` —, d’une autre rivie`re.

Vers la grande porte du couchant, vers

La porte de Veґnus, volez, colombes!

Pour moi, coucheґe sur les sables refroidis,

Je me retirerai dans ce jour qui ne se compte pas…

Car le serpent regarde sa vieille peau,

Car j’ai deґpasseґ ma jeunesse.

Jeunesse

Ma jeunesse! Mon eґtrange`re

Jeunesse! Ma bottine deґpareilleґe!

Les yeux rougis, presque fermeґs,

On enle`ve une feuille au calendrier.

La muse pensive n’a rien pris

Sur l’ensemble de ton butin.

Ma jeunesse! Je ne te rappelle pas:

Tu eґtais une charge et une corveґe.

La nuit, tu murmurais pour moi avec ton peigne,

La nuit, tu aiguisais tes fle`ches. Tu m’eґtouffais

De tes largesses, comme sous de petits galets.

Et je souffrais pour les peґcheґs des autres.

Je te rends ton sceptre avant l’heure,

Sans gou  t, mon a  me, pour les boissons et les mets.

Ma jeunesse! Mes deґsordres —

Jeunesse! Mon chiffon de vermeil!

Muse

Ni chartes, ni ance  tres,

Ni faucon clair. Elle

Marche — elle s’ouvre, —

Lointaine!

Sous les paupie`res sombres —

L’incendie aux ailes d’or.

De sa main, haleґe par le vent,

Elle a pris, elle a oublieґ.

Le bas de sa robe non retrousseґe,

Sarcasme, qui se fa  che,

Ni bonne ni meґchante,

L’une et l’autre, lointaine.

Elle ne pleure pas, ne geґmit pas:

— Il tire tre`s fort, il est gentil! —

De sa main, haleґe par le vent,

Elle a donneґ, elle a oublieґ.

Elle a oublieґ — ricanements

De gorge et de cris d’oiseaux...

— Dieu, garde-la,

Si lointaine!

Amazones

Seins de femmes! Souffle figeґ de l’a  me —

Essence de femmes! Vague toujours prise

Au deґpourvu et qui toujours prend

Au deґpourvu — Dieu voit tout!

Lice pour les jeux du deґlice ou de la joie,

Meґprisables et meґprisants. — Seins de femmes! —

Armures qui ce`dent! — Je pense a` elles...

L’unique sein, — a` nos amies!...

Cheveux blancs

Ce sont des cendres de treґsors:

Des pertes, des offenses.

Ce sont des cendres, devant lesquelles —

Le granit — tombe en poussie`re.

La colombe, nue, lumineuse

Qui vit seule. Ce sont

Les cendres de Salomon

Sur une grande vaniteґ.

Redoutable craie

D’un temps sans fin.

Ainsi, Dieu me fait signe:

— La maison a bru  leґ!

Non pas le seigneur des re  ves

Et des jours, pris dans ses hardes,

Mais l’esprit — flamme verticale —

Qui jaillit des preґcoces cheveux blancs!

Vous ne m’avez pas trahie,

De mes arrie`res, anneґes!

Cette blancheur, c’est la victoire

Des forces immortelles!

Emigrant

Vous e  tes ici entre vous: maisons, monnaies, fumeґes,

Et les femmes, et les ideґes,

Sans reґussir a` vous aimer, sans reґussir a` vous unir,

Alors, celui-ci ou celui-la`, —

Comme Schuman avec le printemps sous son manteau:

— Plus haut! Toujours plus haut!

Alors, comme le treґmolo en suspens d’un rossignol —

Cet eґlu ou tel autre,

Le plus craintif —, car vous avez d’abord releveґ la te  te,

Puis leґcheґ les pieds!

Perdu parmi les hernies et les harpies,

Dieu, dans les lieux de perdition.

Puis un de trop! Il vient d’en-haut! Un ressortissant!

Un deґfi! Et qui n’a pas perdu l’habitude... De voir

Trop haut... Qui refuse les potences... Parmi

Les deґchets de devises et de visas...

Un ressortissant.

PoEte

Le poe`te engage son discours de tre`s loin,

Son discours engage le poe`te tre`s loin.

Et par des plane`tes, des signes, par les fondrie`res

Des paraboles deґtourneґes... Entre le oui et le non.

Et lui-me  me quand il s’envole du clocher,

Il brise son crochet... puisque la voie des come`tes

Est la voie des poe`tes. Des maillons eґparpilleґs

De la causaliteґ — voila` son bien! Le front leveґ

Vous deґsespeґrez! Les eґclipses des poe`tes

Ne se repe`rent pas sur le calendrier.

Il est celui qui bat les cartes et les fausse,

Qui triche sur le poids et sur le compte,

Il est celui qui, de sa place, interpelle,

Et qui eґcrase la parole de Kant.

Dans le cercueil de pierre des Bastilles,

Il est comme un arbre dans toute sa beauteґ...

Ses traces sont toujours froides, et

Il est aussi ce train que tout le monde

Manque...

— Puisque la voie des come`tes —

Est la voie des poe`tes: il bru  le, il ne reґchauffe pas,

Il brise, il ne construit pas — eґclatement, effraction —,

Ton chemin est une ligne courbe aux cheveux longs,

Il n’est pas repeґrable sur le calendrier.

Dialogue de Hamlet avec sa conscience

Par le fond, ou` sont le limon...

Et les algues... Elle est alleґe dormir,

La`, — et pas de sommeil, me  me la`!

— Mais moi je l’aimais,

Plus que quarante mille fre`res

Ne peuvent l’aimer!

— Hamlet!

Par le fond, ou` sont le limon...

Le limon!... Et sa dernie`re couronne

Est venue se poser sur les troncs, la`...

Mais, moi, je l’aimais

— Plus que quarante mille...

Moins

Quand me  me, qu’un seul amant.

Par le fond, ou` sont le limon...

— Mais, moi, je —

l’aimais??

La Lettre

On n’attend pas ainsi des lettres,

On attend ainsi — une lettre.

Un morceau de chiffon,

Un filet de colle

Autour. A l’inteґrieur — un mot.

Du bonheur. — Et — c’est tout.

On n’attend pas ainsi le bonheur,

On attend ainsi — la fin:

Des soldats, une salve

Et, dans le cur — trois

Eclats de plomb. Du rouge aux yeux.

Voila`. — Et — c’est tout.

Pas le bonheur — je suis vieille!

Les couleurs, — chasseґes par le vent!

Le carreґ de la cour

Et le noir des fusils.

(Le carreґ d’une lettre:

L’encre, l’envou  tement!)

Pour le sommeil de la mort

Personne n’est vieux!

Le carreґ d’une lettre.

Madeleine

1

Entre nous: les Dix Commandements:

La fournaise de dix bu  chers.

Le sang des miens me repousse, —

Tu es pour moi — le sang eґtranger.

Au temps des Evangiles, —

J’aurais eґteґ une de celles...

(Le sang eґtranger — le plus envieґ,

Et le plus eґtranger de tous!)

Vers toi, avec tous mes malheurs, —

Je serais attireґe, coucheґe humblement —

Clarteґ de ce que tu es! — Mes yeux

De deґmons cacheґs, je verserais les onctions —

Et sur tes pieds, et sous tes pieds,

Et me  me, simplement, dans le sable...

Les marchands, la passion vendue,

Repousseґe, — elle coule!

Par la bave de la bouche, et par l’eґcume

Des yeux, et par la sueur de tous les deґlices.

De mes cheveux j’enveloppe tes pieds,

Comme dans une fourrure...

Comme une quelconque eґtoffe, je m’eґtends

Sous tes pieds... Mais, es-tu vraiment celui

(Celle!) qui dit a` la creґature aux boucles de feu:

Le`ve-toi, sur!

2

Le flot du tissu, payeґ trois fois

Son prix, et de la sueur des passions,

Et des larmes, et des cheveux — le flot

Entier coule, coule et Lui

Fixe d’un regard bienheureux

L’argile rouge et sec, et:

Madeleine! Madeleine!

Ne t’offre pas ainsi, tellement.

3

Je ne vais pas t’interroger sur le chemin —

Que tu as suivi: tout eґtait deґja` eґcrit.

J’eґtais pieds nus, tu m’as chausseґ

De la pluie de tes cheveux et —

De tes larmes.

Je ne te demande pas, — de quel prix

Sont payeґes ces huiles.

J’eґtais nu, et des formes

De ton corps, toi, — comme d’un mur,

Tu m’as entoureґ.

Plus calme que l’eau, et plus bas que l’herbe,

Je toucherai ta nuditeґ de mes doigts.

Je me tenais droit, tu t’es pencheґe vers moi,

Tu m’as appris la tendresse de ce geste.

Fais-moi une place dans tes cheveux,

Serre-moi dans les langes — et qui ne soient pas

De lin — Porteuse d’onctions!

A quoi bon toutes ces huiles?

A qui bon toutes ces huiles?

Tu m’as baigneґ

Comme une vague.

Tu m’as aimeґe. La veґriteґ

Etait fausse. Le mensonge

Etait since`re.

Tu m’as aime`e — plus qu’on ne peut!

Au-dela` des limites!

Tu m’as aimeґe plus longtemps

Que le temps. — Un revers de main,

Et tu ne m’aimes plus:

La veґriteґ tient en cinq mots.

Deux

1

Il y a des rimes dans ce monde:

On les seґpare — et il freґmit.

Home`re, tu eґtais aveugle.

La nuit — sur tes sourcils,

La nuit — ton manteau de rhapsode,

La nuit — le rideau sur tes yeux.

Sans cela aurais-tu seґpareґ

Heґle`ne et Achille?

Heґle`ne. Achille. Donne

Des noms plus harmonieux.

Oui, le monde est construit

Contre le chaos, pour l’harmonie,

Et pousseґ a` la division,

Il tient sa vengeance,

— L’infideґliteґ des femmes —

Il se venge — Troie en flammes!

Rhapsode aveugle: tu as gaspilleґ

Ton treґsor comme une chose de peu.

Il y a des rimes assembleґes —

Dans l’autre monde. Et notre

Monde s’eґcroule dans la division. Mais

Qu’importent les rimes? Heґle`ne, vieillis donc!

...Et le meilleur des hommes d’Achaїe!

Et Sparte la voluptueuse!

Il n’y a que le freґmissement des myrtes,

Et le sommeil de la cithare:

Heґle`ne, Achille:

Une paire deґpareilleґe.

2

Il n’est pas eґcrit, en ce monde,

Qu’un puissant s’unisse a` un puissant.

Ainsi Siegfried et Brunhild, seґpareґs,

Un mariage reґgleґ par le glaive,

Dans la haine fraternelle de cette union

— Comme des buffles! — Roc contre roc.

Il a quitteґ le lit nuptial, lui, inconnu,

Elle, non reconnue — elle dormait.

Seґpareґs! — me  me sur le lit nuptial —

Seґpareґs! — me  me les mains jointes —

Seґpareґs! — en notre langue double —

Tardive et deґsunie — voila` notre union!

Mais il est une offense encore

Plus ancienne: l’Amazone abattue,

Comme un lion, le fils de Theґtis

N’a pas rencontreґ la fille d’Are`s:

Achille n’a pas rencontreґ

Pentheґsileґe.

Souviens-toi, son regard vient d’en bas —

Elle regarde comme un chevalier abattu!

Son regard ne descend plus de l’Olympe —

L’argile! — Et pourtant il vient d’en haut!

Qu’importe cette jalousie qui seule

L’occupe: gra  ce a` sa femme, il tire

Cela des teґne`bres. Ce n’est pas eґcrit,

Il n’est qu’un eґgal — face a` un eґgal...

Et nous ne nous rencontrons pas.

3

Dans un monde ou` chacun

S’abaisse et s’exteґnue,

Je sais — un seul

Egale ma vertu.

Dans un monde ou` tant

Et plus nous seґduit,

Je sais — un seul

Egale mon eґnergie.

Dans un monde ou` tout

Est lierre, moisissure,

Je sais — un seul,

Toi, — dans l’absolu,

Mon eґgal.

Tentative de jalousie

C  a va comment, la vie, pour vous —

Avec une autre — Plus simple, non?

Un coup de rame, et la meґmoire aussito  t,

Comme la rive, au loin s’eґcarte

De moi, le a` la deґrive, (dans le ciel

Pas dans l’eau!). Ames! Vous serez

Des surs, toutes deux, vous,

Les a  mes, pas des amantes!

C  a va comment, la vie, pour vous —

Avec une simple femme? Sans

Les diviniteґs? Vous avez deґtro  neґ

Votre reine (vous aussi, par la` me  me),

C  a va comment, la vie, pour vous —

Les tracas — les tendresses? Et le reґveil —

Comment? Et que faites-vous, malheureux,

De l’immortelle vulgariteґ?

«Des affrontements, puis des sursauts —

C  a suffit! Je trouverai ailleurs!»

C  a va comment, la vie, pour vous — avec

N’importe qui, vous, que j’avais choisi?

Plus traditionnelle, plus mangeable —

La cuisine? On s’en lasse — a` qui la faute…

C  a va comment, la vie, pour vous — avec

Un fanto  me, vous, qui avez trahi le Sinaї?

C  a va comment, la vie, pour vous — avec

L’une ou l’autre, ici ou la`? Votre moitieґ,

Vous aimez? Et la honte, comme les re  nes de Jupiter,

Est-ce qu’elle fouette votre front?

C  a va comment, la vie, pour vous —

La santeґ — c  a va? Et le chant — comment?

Et la plaie de l’immortelle conscience,

Comment la matrisez-vouz, malheureux?

C  a va comment, la vie, pour vous — avec

Votre sous-produit? Et le prix — lourd?

Apre`s les marbres de Carrare, c  a va

Comment, la vie, pour vous — avec la camelote,

Le pla  tre? (Il est sculpteґ dans la masse,

Dieu, et le voici reґduit en morceaux!).

C  a va comment, la vie, avec la cent-millie`me —

Pour vous — qui avez connu Lilith!

Est ce qu’elle s’use la nouveauteґ

D’un article de pacotille? Las des philtres,

C  a va comment, la vie, pour vous —

Avec la femme pratique, sans sixie`me

Sens?

Alors, te  te entre les mains: heureux?

Non? Dans le fond sans profondeur,

Comment c  a va, mon cheґri? Pire, ou

Comme pour moi

Aupre`s d’un autre?

Amour

Le yatagan? Les flammes? C’est trop! —

Plus modestement, un mal, familier,

Comme la paume de mains aux yeux, —

Comme le nom d’un enfant —

Aux le`vres.

Il est vivant, le deґmon

En moi, il n’est pas mort!

Dans le corps: dans une cale,

En soi-me  me: en prison.

Le monde: — les murs.

Une issue: — la hache.

(Le monde — une sce ` ne, —

Balbutie le comeґdien.)

Le bouffon boiteux,

Lui, n’a pas heґsiteґ.

Dans le corps: — dans la gloire,

Dans le corps: — dans une toge.

Vis longtemps! Tu es

Vivant, — tiens a` ta vie!

(Seuls les poe`tes sont dans

Leurs os: — dans leur mensonge!)

Non, pas de promenade pour

Nous, confreґrie de chantres.

Dans le corps: — dans un peignoir

Paternel et douillet.

Nous valons mieux. Dans

Le coton, nous deґpeґrissons.

Dans le corps: — dans une stalle,

En soi-me  me: — dans un four.

Nous n’accumulons pas de

Denreґes peґrissables.

Dans le corps: — dans un mareґcage,

Dans le corps: — dans un caveau.

Dans le corps: — en exil

Extre  me. — Deґperdition!

Dans le corps: — dans un myste`re,

Sur les tempes: — dans l’eґtau

Du masque de fer.

Petite torche

La Tour Eiffel — a` porteґe de la main!

Va, a` ta main, grimpe.

Mais, tous, nous l’avons vue, et

Aujourd’hui la voyons, et d’autres choses,

Il nous parat ennuyeux

Et pas beau, votre Paris…

«Russie, ma Russie, pourquoi

Bru  ler d’un feu si clair?»

Poeme a son fils

Notre conscience — n’est pas votre conscience.

Allez — Assez! — Oubliez tout, enfants,

Ecrivez vous-me  mes le reґcit

De vos jours et de vos passions.

Loth, et sa famille de sel —

C’est notre album de famille.

Enfants, reґglez vous-me  mes les comptes

Avec la ville qu’on veut faire passer pour —

Sodome. Tu n’as pas frappeґ ton fre`re —

C’est clair, pour toi, mon ange!

Votre pays, votre sie`cle, votre jour, votre heure,

Et notre peґcheґ, notre croix, notre dispute, notre

Cole`re. Serreґs dans une pe`lerine

D’orphelin de`s votre naissance —

Cessez de prendre le deuil

Pour cet Eden que vous n’avez pas

Connu! Et pour des fruits — que vous n’avez

Jamais vus. Comprenez: il est aveugle —

Celui qui vous emme`ne a` l’office des morts

Pour le peuple, et qui mange du pain,

Et qui vous en donnera — comme

C’est rapide, de Meudon au Kouban…

Notre querelle — n’est pas votre querelle.

Enfants, creґez vous-me  mes vos propres

Deґsaccords.

Je te remercie, cher fide`le bureau!

Tu m’as donneґ ton arbre

Pour devenir bureau — et

Tu restes — un arbre vivant!

Avec ce jeu de jeunes feuillages

Au-dessus des sourcils, cette eґcorce vivante,

Les larmes d’une reґsine vivante, et

Des racines jusqu’au treґfonds de la terre.

Jardin

Pour cet enfer,

Pour ce deґlire,

Donne-moi un jardin,

Pour mes vieux jours.

Pour les vieilles anneґes,

Pour les vieux malheurs:

Le travail — les anneґes,

Les sueurs — les anneґes…

Pour les vieilles anneґes,

Les anneґes de chien —

Les bru  lantes anneґes —

Le frais jardin…

Pour le fugitif

Donne-moi ce jardin:

Sans — ni — personne,

Sans — ni — a  me!

Un jardin: ne pas marcher!

Un jardin: ne pas voir!

Un jardin: ne pas rire!

Un jardin: ne pas se moquer!

Sans aucune oreille,

Donne-moi un jardin:

Sans nulle odeur!

Sans a  me aucune!

Tu diras: assez de douleur — prends ce

Jardin — solitaire, comme toi.

(Mais tu n’y resteras pas, toi, la`!).

Un jardin, solitaire, comme toi.

Pour les vieux jours, ce jardin, pour moi…

— Ce jardin autre? Et, peut-e  tre, cet autre monde? —

Donne-le-moi pour mes vieux jours —

Et pour le pardon de l’a  me.

Lecteurs de journaux

Le serpent souterrain glisse,

Il glisse, il transporte les gens.

Et chacun, — avec son

Journal (son eczeґma!).

Un tic a` la ma  choire,

La carie des journaux.

Ma  cheurs de mastic!

Lecteurs de journaux.

Le lecteur — qui? — Un vieillard, un athle`te?

Un soldat? — Ni traits, ni visages,

Ni a  ge. Un squelette — sans visage:

Une feuille de journal!

Celle dont tout Paris — , du front

Jusqu’au nombril, est habilleґ.

Laisse donc, jeune fille!

Tu accoucheras d’un lecteur

De journaux!

Ils se bal — «Il couche avec sa sur» —

ancent — «Il a tueґ son pe`re!» —

Ils se balancent — et se remplissent

De vaniteґ.

Qu’importe a` ces messieurs —

L’aube ou le coucher de soleil?

Des avaleurs de vide,

Les lecteurs de journaux!

Lire — les journaux: calomnies,

Lire — les journaux: deґtournements,

Dans chaque colonne — mensonges,

Dans chaque colonne — deґgou  t. —

Avec quoi, vous preґsenterez-vous —

Au Jugement dernier — dans la clarteґ —

Accapareurs d’instants,

Lecteurs de journaux!

— Au loin! Disparu! Perdu!

La peur maternelle est ancienne,

Me`re! La presse de Gutenberg est

Plus horrible que la poussie `re de Schwartz!

Pluto  t e  tre au cimetie`re, — que

Dans une infirmerie purulente,

Gratteurs de croutes,

Lecteurs de journaux!

Qui laisse pourrir nos fils

A la fleur de l’a  ge?

Les incestueux e ґcrivains

Pour journaux!

C’est cela, amis, — que je pense —

Et bien plus fortement encore

Que dans ces vers, — lorsque,

Mon manuscrit a` la main,

Je me trouve en face, ou pluto  t

— Il n’y a pas de lieu plus vide! —

Devant la non-face

Du reґdacteur

des saleteґs du journal.

Tu ouvres en grand tes yeux vers le ciel bleu —

Et tu t’exclames: — un orage!

Un audacieux passe, tu le`ves les sourcils —

Et tu t’exclames: un amour!

Au travers de la mousse grise des indiffeґrences —

Moi, je m’exclame: — des poe`mes.

Cendres

Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas

— L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —

Apre`s avoir joueґ avec les facettes de Bohe  me!

— La cendre, ainsi, couvre les ba  timents,

La tempe  te de neige, ainsi, balaye les jalons…

De l’Eden — Tche`ques, dites-le! —

Que reste-t-il? Des cendres.

— La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!

2

Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas

— L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —

Une deґcision — c’est votre dernier deґlai:

— L’eau, ainsi, s’approche des fene  tres,

La cendre, ainsi, couvre les ba  timents…

Par-dessus les ponts et les places

Pleure, il pleure le lion biceґphale…

— La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!

3

Il s’est abattu sur la ville de Saint Vinceslas

— L’incendie, ainsi, deґvore les herbes —

L’eґtouffement, sans freґmir

— La cendre, ainsi, couvre les ba  timents:

Faites signe, a  mes vivantes! Prague

Aujourd’hui plus deґserte que Pompeґi:

Un pas, un bruit — nous cherchons en vain…

— La Peste, ainsi, reґjouit les cimetie`res!

A l’allemagne

Oh, jeune fille aux joues les plus roses

Parmi les montagnes vertes —

Allemagne!

Allemagne!

Allemagne!

Quelle honte!

Tu as empocheґ la moitieґ de la carte du monde,

Ame astrale,

Jadis, tu faisais re  ver par tes contes,

Aujourd’hui, — tu avances tes chars.

Devant la paysanne tche`que —

Tu foules le bleґ de ses espoirs

Sous les roues de ton char

Et ne baisses pas les yeux?

Devant l’infinie tristesse

De ce petit pays —

Vous, les Germains, fils

De la Germanie, que sentez-vous?

O manie! O momie

De la grandeur!

Tu vas bru  ler,

Allemagne!

Folie,

Folie,

Ce que tu fais.

L’hercule triomphera

Des liens du serpent!

A ta santeґ, Moravie!

Et toi, Slovaquie, sois slovaque!

Tu recules, dans les sous-sols

Du cristal et — tu preґpares le coup:

Bohe  me!

Bohe  me!

Bohe  me!

Salut!

Ils ont pris

Les Tche`ques s’approchaient des Allemands

et crachaient.

(Voir les journaux mars 1939)

Ils prenaient — vite et ils prenaient — largement:

Ils ont pris les sommets et ils ont pris les treґfonds,

Ils ont pris le charbon et ils ont pris l’acier,

Et notre plomb, et notre cristal.

Ils ont pris le sucre et ils ont pris le tre`fle,

Ils ont pris l’Ouest et ils ont pris le Nord,

Ils ont pris la ruche et ils ont pris le bleґ,

Ils ont pris notre Sud et l’Est aussi.

Vary — ils ont pris et les Tatras — ils ont pris,

Ils ont pris le proche et ils ont pris le lointain,

Et — pire encore que le paradis sur terre! —

Ils ont vaincu — sur le sol natal.

Ils ont pris les balles et ils ont pris les fusils,

Ils ont pris les minerais et ils ont pris l’amitieґ...

Mais tant qu’il y a de la salive dans la bouche

Tout le pays est en armes.

Foret

On taille — tu as vu! — On taille,

On taille! — Apre`s un che  ne — un che  ne.

Abattu, il ressuscite. Elle

Ne meurt pas — la fore  t.

Elle meurt; la fore  t, puis

Elle reverdit — a` la minute! —

(La mousse — une fourrure verte)

Il ne meurt pas, le Tche`que.

Non pas des diables, qui poursuivraient un moine,

Non pas le malheur — qui poursuivrait un geґnie,

Et non pas l’avalanche, qui n’est pas un amas,

Et non la vaste monteґe des inondations.

Non pas le rouge incendie des fore  ts,

Non pas le lie`vre — dans la colline,

Non pas le roseau — sous l’orage, —

Apre`s le fuhrer — les furies.

Tu ne mourras pas, peuple!

Dieu te garde!

De ton cur tu as donneґ — le grenat,

De ta poitrine tu as donneґ — le granit,

Prospe`re, peuple —

Dur comme les Tables de la loi,

Chaud comme le grenat,

Pur comme le cristal.

Il est temps! Pour ce feu-la` —

Je suis vieille!

— L’amour — est plus vieux que moi!

— De cinquante fois janvier,

Une montagne!

— L’amour — est encore plus vieux:

Vieux, comme un pre`le, vieux, comme le serpent,

Plus vieux que l’ambre de Livonie!

Et plus vieux que tous les bateaux fanto  mes!

Que les pierres, plus vieux que les mers…

Mais le mal, dans ma poitrine — est plus vieux

Que l’amour, plus vieux que l’amour.

Sur le cheval rouge

a` Anna Akhmatova

Et grand ouverts, grand ouverts — les bras,

Les deux en croix.

Et renverseґe! Va, pieґtine-moi, l’eґquestre!

Que mon esprit, jailli des co  tes, monte — vers Toi,

Creґature

De femme non terrestre!

Pas la Muse, non, pas la Muse,

Qui donc, au-dessus de mon pauvre landau

Me berc  ait de chansons,

Par la main — qui donc me conduisait?

Pas la Muse. Qui donc reґchauffait

Mes mains froides, mes paupie`res bru  lantes

Qui les rafrachissait?

Qui deґgageait les me`ches de mon front? — Pas la Muse,

Qui m’emmenait a` travers les grands champs? — Pas la

Muse.

Pas la Muse, nulle tresse noire, nul bijou,

Nulle fable — deux ailes cha  tain clair: voila` tout.

Courtes — surplombant chaque sourcil aileґ.

Torse harnacheґ.

Panache.

Lui n’a pas veilleґ sur mes le`vres,

Ni beґni mon sommeil.

Ni pleureґ avec moi

Sur ma poupeґe briseґe.

Tous mes oiseaux — pour la partance

Il les la  chait — puis — l’eґperon nerveux,

Sur son cheval rouge — entre les monts bleus

De la deґba  cle fracassante.

— Oh! les pompiers! Partout c  a hurle!

Lueur du feu — partout c  a hurle!

— Oh! les pompiers! L’a  me qui bru  le!

Pas la maison, qui bru  le?

La cloche d’alarme hulule.

Vas-y, balance-le, ton bulbe,

O cloche d’alarme! Pullulent

Les flammes! L’a  me bru  le!

Dansant des ravages du beau,

Aux gerbes rouges des flambeaux

J’applaudis — je bondis — rugis,

De moi l’eґclair — jaillit.

Qui m’a tireґe d’ou` c  a crache et gronde?

Quel aigle m’a ravie? — Je m’y perds.

J’ai sur moi une chemise — longue —

Avec un rang de perles.

Clameur du feu, cliquetis de vitres...

Sur chaque visage, au lieu d’orbites —

Deux brasiers luisent! — les lits s’eґplument!

On bru  le! On bru  le! On bru  le!

Craque donc, milleґnaire bahut!

Crame, toi — magot, masseґ, reclus!

Ma maison: souveraine au-dessus.

Que souhaiter de plus?

Oh! les pompiers! — Que le feu redouble!

Fronts peintureґs d’or, tous — au fourneau!

Incendie: oh! tiens debout, debout!

Que croulent les poteaux!

Soudain quoi — a crouleґ — si soudain!

Un poteau? — Pas crouleґ!

Vers le ciel — fol appel de deux mains —

Et le cri: Ma poupeґe!

Qui — me suivant — galope, deґvale,

Me jetant un il-juge?

Qui — me suivant — roule d’un cheval

Rouge — a` la maison rouge?

Un cri. De ceux qui passent le mur

Du cri. La foudre, et lui:

Brandit la poupeґe comme une armure,

Droit comme l’Incendie.

Tsar dresseґ parmi les feux fugaces,

Et son front se laboure.

— Je te l’ai sauveґe, — a` preґsent: casse!

Et libe`re l’Amour!

Soudain quoi — a crouleґ? Pas le monde,

Non! Lui n’a pas crouleґ!

Mais deux mains — suivant — l’eґquestre, montent

D’une enfant — sans — poupeґe.

Cruelle lune — aux volets s’ache`ve.

Voila` mon premier ra  ve.

Enlaceґs rudement.

Plus bas: bruit du torrent.

Monte a` nos pieds leґgers

De l’eґcume envoleґe.

Enlaceґs sans murmure:

Les colonnes d’eґcume!

Je suis tous ses harems,

Il est tous mes emble`mes.

Brusque entrelacs d’eґpaules:

Flanc contre flanc, et paumes...

A nos pieds deґchausseґs

L’eґcume vient mousser.

— Du pont... Chiche! Et sur l’heure!

Que j’y lance une fleur...

Il voit — et — simplement

D’un bond — dans le torrent!

Est-ce le pont, ou bien moi — qui tremble?

Sang ou vague — en eґmoi?

Glaceґe, je regarde — sans comprendre

Ma vie — qui se noie.

Qui soudain — d’un grand geste de cape

Me jeta — vers les cieux?

Qui soudain — rutilant, fit qu’eґclate

Flamme rouge — en feu bleu?!

L’eґclat. Du gouffre triomphe un son:

Lui, d’un saut — souplement

Soule`ve le corps comme un poisson

Droit comme le Torrent.

Tsar dresseґ parmi les flots pointus,

Et son front se laboure.

— Je te l’ai sauveґ, — a` preґsent: tue!

Et libe`re l’Amour!

Soudain quoi — s’est rueґ? Pas la trombe,

Non! Nulle intempeґrie!

Mais deux mains — suivant — l’eґquestre, montent

D’une — sans — son ami!

Noir mareґcage — aux volets s’ache`ve.

Voila` mon nouveau re  ve.

Nuit pourchassante — et pas d’autre voie:

Le sang durcit.

Fils! Creґation de ma hanche, toi, —

Guide, conduis!

Brave, en avant! — L’Esprit des Montagnes

Est un, nous — deux.

Seuls l’aigle ici et l’aurore gagnent.

Nous — parmi eux.

L’ouragan! — Les dieux repartiront,

L’aigle en a peur...

Plus haut, l’aneґ! — Ces hauts lieux seront

Notre hauteur!

Rongeant la poussiе`re d’ici-bas,

J’enfante un fils —

Et la Foudre Divine s’abat:

L’aigle l’a pris!

C’est a` pic et nu et noir la`-haut!

Ses petits bras: deux barres.

Qui donc, sinon Zeus dans son berceau —

Tient l’aigle? Nul deґpart!

Rire. En reґponse — ailes en furie,

Griffes — perceuses: raides.

Qui me suivant — et d’eґclairs fit fuir —

Le tonnerre de l’aigle?!

Ra  le. Un rugissement deґtoneґ

A pourfendu les monts.

Lui l’a leveґ comme un Premier-neґ,

Droit comme l’Invasion.

Tsar dresseґ parmi l’onde des nues,

Et son front se laboure.

Je te l’ai sauveґ, — a` preґsent: tue!

Et libe`re l’Amour.

Soudain quoi — a craqueґ? Le cur dur

D’un bois sec: nullement!

Mais deux mains — suivant l’eґquestre — d’une

Femme — sans — son enfant!

Cruelle aurore — aux volets s’ache`ve.

C’est mon troisie`me re  ve.

Feґvrier. Deґformeґs, les chemins.

Folle neige — aux champs.

Balayeґs, tordus — les grands chemins

Par l’artel des vents.

Tantot cretes que le galop couche,

Et tantot — l’abrupt,

A talonner l’Equestre-Le-Rouge,

Ma route a son but.

Tantot la`! A porteґe de la main!

Taquin: — touche, va!

Bras absurdement tendus; devient

Neige — le cheval.

Me`ches du panache dans les yeux?

Ou saule, au virage?

Eh! les marieurs! — Ni une, ni deux...

Vents: au balayage!

Balayez, amassez les obstacles —

Plus haut que les rocs,

Que son cheval au sabot d’attaque,

Cloueґ la` — se bloque.

Les vents eґcoutent — que plainte cre`ve,

Et leur plainte cre`ve.

Il court sa course rouge sans treve,

Mon eґquestre reve.

Me`ches d’ailerons qui s’emballaient?

Ou saule, au virage?

Tenez — haut, tenez — haut les balais!

Vents: rage! A l’ouvrage!

Que voila`? Quelle butte carreґe

Emerge du sol?

Comme si la tempete cabrait

D’un coup cent coupoles.

Chasse couronneґe: enfin, la pause.

Deґja` mon front capte

Le feu des fers, deґja` dans ma paume

Le bord de la cape!

En renfort, avec glaive et tonnerre,

Le Tsar — Guerroyant!

Mais le cheval se rue et — tonnerre

Dans l’autel grondant.

J’avance et trane, telle une meute,

La troupe des vents.

Les voutes ne figent pas l’eґmeute

Des sabots sonnants.

Messe d’un mort — rond grondement monte —

Neige qui vrombit:

Le trone est renverseґ! — Vide! Monde

Sous terre — terni!

Geignez, geignez, murmurez — les murs!

Toi, neige, chahute!

L’eґcume du cheval rend obscure

L’aura des chasubles.

Titube une coupole. Oh! croulez,

Gloire et force et foi!

Et mon corps s’eґcroule, eґcarteleґ —

Les deux bras en croix.

Immense lutte d’arcs-en-ciel: tout

Lustre aura claqueґ.

Accepte-moi, toi — si pur, si doux,

Pour nous, crucifieґ.

A ta main vengeresse, on est lieґs?

Accepte le feu!

D’en haut: mais, qui sont le cavalier,

Le cheval, — les deux?

L’armure est sur lui — soleil qui brille!...

— Vol abrupt! Volons! —

La cheval — droit sur ma poitrine —

Plante son talon.

Cape de feu — aux volets s’ache`ve.

Galop de feu — treve!

Ni neige vrombissante,

Ni balayage — balai.

Ni panache emballeґ, —

Saule, au virage.

Ses me`ches grises balayeґes

Deґmarche balanceґe, — sans bec d’aigle

D’outre-nue, mais le nez fourreґ

Dans l’eґpais nuage d’un chaudron, —

Une bonne femme —

Elle a dans les mains —

Un chiffon.

Verre a` l’envers sur bouteille pas finie

On laisse — on y reviendra.

— En quoi est-ce mon reve? Et le reve dit:

Ton Ange ne t’aime pas.

Premier tonnerre sur le crane — ou coup dur

Sur le crane?! — Gens! Hola`!

Front rongeant l’oreiller sec: ce coup de dire:

Le premier: Ne t’aime pas!

N’aime pas! — Tresses de femme: nul besoin!

N’aime pas! — De bijoux rouges: nul besoin!

N’aime pas! — Mais sur le cheval — sauterai!

N’aime pas! — Sauterai — au ciel!

O esprit de mes pe`res, secouez vos chanes!

Vacillez, pins seґculaires!

Eole! O esprit de mes pe`res, mes me`ches

Doreґes, brouille-les! De l’air!

Sur le cheval blanc, au devant des guerriers

Allons, — sous la foudre des fers argenteґs!

Voyons, voyons comment se bat cet altier

Sur le Cheval-Dit-Le-Rouge!

De bon augure: le ciel s’abat!

L’aube ensanglante mon casque!

Soldats! Jusqu’au ciel — encore un pas:

Le grain crot sous la caillasse!

En avant — par dessus le fosseґ! — Tombeґs? — Un rang.

Au suivant — par dessus le fosseґ! — Tombeґs? — Encore

Au suivant — par dessus le fosseґ! — Le glaceґ blanc

Des cuirasses, qui sait: sang? Aurore?

Soldats! — Quel ennemi — enfoncer?

Dans mon sein un frisson chauffe.

Peґne`tre, peґne`tre, eґpeґe d’acier,

Un rayon — sous mon sein gauche.

Murmureґ: tu es comme je t’ai voulue!

Rumineґ: tu es comme je t’ai eґlue,

Enfant de ma passion — sur — fre`re — future

Sur le glacier — des armures!

A nul autre — jusqu’a` la fin des temps! Mienne!

Moi, les bras leve`s: Lumie`re!

— Tu resteras, a` nul autre seras, — non?

Moi, pressant sur ma plaie: Non.

Pas la Muse, non, pas la Muse,

Ni l’usure des liens

Parentaux, — ni tes filets,

O Amitieґ! — Pas une main de femme, —

une feґroce —

A serreґ sur moi le nud —

— En force.

Terrible alliance. — Moi, coucheґe dans le noir

Du fosseґ — Le Lever est si clair —!

Oh! qui m’a fixeґ ces deux ailes sans poids

A l’eґpaule —

Derrie`re?

Teґmoin muet

Des tempetes vivantes —

Coucheґe dans l’ornie`re,

Je lorgne

Les ombres.

Tant que

Vers l’azur

Ne m’emportera pas

Sur le cheval rouge —

Mon Geґnie!

Le poeme de la montagne

Liebster, Dich wundert die Rede?

Alle Scheidenden reden wie Trunkene

und nehmen gerne sich festlich…

Holderlin

Dedicace

Que tu tressailles —

Et tombent des montagnes,

Et monte — l’ame!

Laisse mon chant monter:

Chant de l’entaille,

De ma montagne.

Je ne pourrai

Ni la`, ni deґsormais

Combler l’entaille.

Laisse mon chant monter

Tout au sommet

De la montagne.

1

Cette montagne eґtait le torse

D’un conscrit renverseґ par la mitraille.

La montagne voulait des noces,

Des le`vres vierges, un ceґreґmonial.

Cette montagne — l’еxigeait.

Irruption de l’oceґan dans l’oreille,

Criant «hourra» d’un meme jet.

Cette montagne errait et guerroyait.

Montagne pareille au tonnerre.

C’est en vain qu’on joue avec les titans!

De la montagne — la dernie`re

Maison au bout du faubourg: souviens-t’en!

Des mondes — que cette montagne!

Pour le monde il prend cher, Dieu est avide.

L’entaille vint de la montagne.

La montagne eґtait par-dessus la ville.

2

Parnasse, Sinaї?

Non! Simple colline a` casernes,

Rien d’autre — feu! vas-y!

Bien qu’octobre et non mai, qu’y faire?

Cette montagne-ci

M’eґtait le paradis!

3

Paradis sur la paume offert

— Qui s’y frotte, brule entier! —

La montagne avec ses ornie`res

Deґvalait sous nos pieds.

Comme un titan avec ses pattes

De buisson et de houx,

La montagne agrippait nos basques

Et ordonnait: — debout!

Paradis — oh, nul b-a-ba,

— Courants d’air: d’air troueґs! —

La montagne nous jetait bas

Et attirait: — coucheґ!

Comment? C’est a` n’y rien comprendre:

Propulseґs, eґbahis!

La montagne eґtait consacrante

Et deґsignait: — ici...

4

Perseґphone, pour ce grain de grenade...

L’oublier en plein gel d’hiver?!

Double coquille des le`vres qui tardent,

Leur bord aux miennes — entrouvert.

Perseґphone, pour un grain deґgradeґe!

La pourpre opiniatre des le`vres,

Et tes cils — pure brisure et, doreґe,

La dent de l’eґtoile s’eґle`ve...

5

Ni erreur — que la passion, ni conte,

Et nul mentir, mais: d’un jour!

Ah! Si nous eґtions venus au monde

En terrestres de l’amour!

Ah! Si tout bonnement, d’un sens sur:

Ca? — colline! Mamelon!

(A l’attrait pour le gouffre on mesure,

Dit-on, le niveau des monts.)

Dans les touffes de bruye`re fauve,

Les souffrants lots de pins...

(... Le deґlire: au dessus du niveau

De la vie.)

— Prends, je suis tien!

Heґlas! La famille douce, ronde,

Les gazouillis qu’eux savourent...

Puisque nous sommes venus au monde

En ceґlestes de l’amour!

6

Lamentait la montagne (en terre tant reste

Ame`re l’entaille ou` saignent les ruptures),

Lamentait la montagne sur la tendresse

Tenaillante de nos matins obscurs.

Lamentait la montagne sur notre lien:

Nos le`vres: parenteґ des plus imparables!

Teґmoignait la montagne — qu’a` chacun

Il serait du selon ses larmes.

Et la montagne teґmoignait — camp tsigane,

La vie! de cur en cur qu’on brade son temps!

La montagne lamentait encore: Agar,

Il la fit partir — avec l’enfant pourtant!

Et la montagne teґmoignait — nous: jouets

Du deґmon! Nulle intention dans ses montages!

La montagne parlait, nous eґtions muets.

Nous nous en remettions a` la montagne.

7

Lamentait la montagne — rien que tristesse

Resterait du sang et brasier qui sont notres.

Teґmoignait la montagne: elle ne nous laisse-

Rait pas, ne t’admettrait pas avec une autre.

Lamentait la montagne — rien que fumeґe

Resterait de nos citeґs et au-dela`.

Teґmoignait la montagne — nous: destineґs

Aux autres (je n’envie pas ces autres-la`!).

Lamentait la montagne — d’un poids affreux,

Le serment qu’il est trop tard que nous reniions.

Teґmoignait la montagne — vieux est le nud

Gordien — devoir et passion.

Lamentait la montagne sur notre entaille —

Demain! Attends! Quand au-dessus de nos fronts

Non la mort, — seul memento: la mer eґtale!

Demain, quand nous comprendrons.

Un bruit... Comme si quelqu’un tout simplement —

Eh bien.... pleurait tout pre`s?

Lamentait la montagne, seґpareґment

Descendre il nous faudrait

Dans la vie dont nous savons bien tous: bohe`me,

Boue, bazar, et caetera...

Teґmoignait encore que tous les poe`mes

Des montagnes

s’eґcrivent

comme ca.

8

Cette montagne eґtait la bosse

D’Atlas, — titan geґmissant qui tient bon.

La montagne fera la force

De la ville ou` de`s l’aube nous battons

Nos vies comme cartes jeteґes!

— Passionneґs, obstineґs a` ne pas etre.

Ainsi que l’ours pour l’apreteґ

De son cri, ainsi que les douze apotres

Reґveґrez mon ingrate grotte.

(Grotte — j’eґtais, ou` les vagues s’engouffrent!)

De ce jeu la dernie`re porte,

T’en souviens-tu — tout au bout du faubourg?

Des mondes — que cette montagne!

Les dieux se vengent de leurs simulacres.

L’entaille vint de la montagne.

La montagne eґtait sur moi seґpulcrale.

9

Passeront les anneґes, la pierre sus-dite

En plate sera changeґe, oteґe.

Alors notre montagne sera construite

De pavillons, d’enclos — grignoteґe.

On dit qu’en bordure, sur de tels coteaux

L’air est plus pur et qu’il fait bon vivre.

Et l’on se mettra a` tailler des lambeaux,

A rayer de linteaux l’herbe vive,

A niveler mes cols et tous mes ravins —

A l’envers! Car il faut qu’un soupcon

De maison entre dans le bonheur d’au moins

Quelqu’un, — de bonheur — dans la maison!

De bonheur, — dans la maison, d’amour deґnueґ

De fiction et de tension des veines!

C’est qu’il faut etre femme et le supporter!

(Il fut bel et bien, quand tu venais,

Le bonheur — dans la maison!) D’amour tranquille,

Sans que rupture et couteau s’imposent.

Des ruines de notre bonheur une ville

Se le`vera — d’eґpoux et d’eґpouses.

Et au bon air dans cette meme nature

— Si tu peux — faute! Tant qu’il est tot! —

Les boutiquiers pourront en villeґgiature

Macher et remacher leur magot.

Et d’inventer des couloirs courbes ou droits

Pour que, brin a` brin, la maison — fut!

Car il faut bien qu’au moins quelqu’un ait un toit

Et un nid de cigogne au-dessus.

10

Jamais la montagne n’oubliera — le jeu

Sous le poids de pareils fondements.

Se perdre — on le peut, — la meґmoire: on ne peut:

La montagne a montagnes de temps!

Et ils comprendront! Que leurs yeux s’eґcarquillent

Devant les crevasses obstineґes:

Non pas monticule planteґ de familles, —

Mais crate`re qu’on a deґclencheґ!

On n’immobilisera pas le Veґsuve

Par des vignes! Avec du lin on

Ne tiendra pas un geґant! La folle eґtuve

Des le`vres suffit afin qu’en lion

Les vignes changeґes, se retournent soudain,

Crachant sur vous des laves de haine.

Vos filles seront rien moins que des putains

Et vos fils eґcriront des poe`mes!

Fille, eґle`ve un enfant naturel! Dehors,

Fils! Livre-toi aux femmes du vent!

Il ne vous sera pas donneґ, vous — les corps,

De seґjour de plaisir sur mon sang!

Plus dur que la pierre angulaire — voici

Le serment d’un mourant qui deґfaille:

Il ne vous sera pas donneґ, vous — fourmis,

De bonheur d’en-bas sur ma montagne!

Vienne un temps ignoreґ, — une heure incertaine,

— Famille au complet — vous connatrez

La montagne du commandement septie`me,

— Montagne eґnorme, deґmesureґe.

Postface

La meґmoire a des effondrements,

Les yeux sont recouverts de sept taies...

Je ne te vois pas — seґpareґment.

Un trou blanc — a` la place des traits.

Sans indices. Trou, vaste paleur

— Que toi, tout toi! (L’ame n’est que plaies,

Pure plaie.) C’est l’uvre des tailleurs

De marquer les deґtails a` la craie.

Tout le ciel d’un seul tenant s’eґtale.

L’oceґan: des gouttes le remplissent?

Sans indices. Tout entier — speґcial —

Lui! Complice est l’amour, non police.

Pelage d’alezan, de moreau?

Que le voisin le dise: il voit bien.

La passion coupe-t-elle en morceaux?

Et moi, suis-je horloger, chirurgien?

Tu es un cercle entier — pleinement.

Tourbillon — pleinement, bloc entier.

Je ne te vois pas seґpareґment

De l’amour. Signe d’eґgaliteґ.

(Dans les touffes de duvet, la nuit,

— Collines d’eґcume par rafales —

La nouveauteґ eґtrange pour l’ouїe,

Au lieu du «je»: le «nous» impeґrial…)

Mais dans les jours eґtroits, indigents

— «La vie, telle qu’elle est» — en revanche,

Je ne te vois pas conjointement

Avec aucune.

— Meґmoire se venge.

Le poeme de la fin

1

Le poteau sur un ciel rouilleґ,

Doigt hautain.

Lui, posteґ au lieu deґsigneґ;

— Le destin.

Moins le quart. Ponctuel, non? — La mort

N’attend pas.

Exageґreґment de`s l’abord:

Chapeau bas.

Chaque cil d’un deґfi — chargeґ!

Bouche: exclue.

Exageґreґment deґgageґ,

Le salut.

— Moins le quart. Exact, non? Syllabes

Sonnant faux.

Le cur tombe: qu’a-t-il? Signal

Du cerveau!

Ciel des noirs preґsages: acier

Et rouilleur.

Lui, preґsent au lieu familier.

Soir: six heures.

Ce baiser: le`vres de boix! Bien

Insonore!

Tel qu’aux souveraines — la main,

Tel qu’aux morts...

Citoyen se preґcipitant:

Les reins prennent.

Exageґreґment lancinante,

La sire`ne.

Hurlante, ainsi qu’un chien rugit,

— Bruit rageur.

(Exageґration de la vie

Quand on meurt).

Soudain, — ce qui n’est qu’a` mi-corps —

Jusqu’aux astres.

(Exageґreґment, ou encore:

Tout plus vaste).

Mentalement: cher, cher. — Quelle heure?

— Sept, disons.

Au cineґma, ou bien? — Lueur:

«La maison!»

2

Libre fratrie nomade, —

C’est la` qu’on te menait!

C’est l’eґclair, la tornade,

Le sabre — son reflet,

Ce sont les mots en foule

Que d’effroi nous taisons.

C’est la maison qui croule —

Ce mot: maison.

Cri de l’enfant perdu:

Ma maison!

Le tout-petit — son du:

«Ma», «mes», «mon»!

Mon fre`re en aventure,

Ma fie`vre et ma fusion,

On se rue hors des murs,

Et toi — a` la maison!

Cheval ruant rompt l’attache —

Les cimes! — Corde en charpie.

— Mais de maison, pas la trace!

— Si, a` dix me`tres d’ici:

La maison sur la montagne.

— Plus haut, encore? — Au sommet.

Au bord du toit, la mansarde.

— «Qui ne brule pas du fait

De la seule aube?» De`s lors,

Vivre? — Poe`mes, raillez!

Maison, c’est dire: dehors,

Dans la nuit.

(A qui narrer

Ma peine, oh! a` qui ma perte?

L’horreur violaceґe, qui l’ouїt?...)

—Votre reґponse — enfin prete? —

C’est un meґditatif: — oui.

3

Et maintenant — le quai. A l’eau

Je me tiens comme a` un corps dur.

Seґmiramis, ah! ils sont beaux

Tes jardins suspendus, pour sur!

A l’eau — rouleau de minerai

Aux macabres enluminures —

Je me tiens, comme a` son livret —

La cantatrice, comme aux murs

L’aveugle... Prise dans tes froids?

Tu m’entends? — Je me penche (chiche?)

A l’eґtancheuse-en-toute-soif

Je me tiens, comme a` la corniche

Le somnambule...

Peur, mais pas

Due au fleuve — suis neґe naїade!

Prendre le fleuve pour le bras

De l’aimeґ, quand il accompagne,

Fide`le...

Des morts c’est l’octroi!

Oui, mais tous ne vont a` l’aurore...

La mort a` gauche et coteґ droit —

Toi. Mon flanc droit est comme mort.

La lumie`re irradie d’un coup.

Rire a` grelots de bricolage.

«Vous et moi, il faudrait que nous...

(Frisson)... Nous aurons le courage?»

4

La` un brouillard blond transhume,

Vague d’un volant de gaz.

Surchauffeґ, surenfumeґ,

Et surtout — surjacasseґ:

Ce que ca sent? Folle presse,

Combine et copinerie,

Cachotteries de commerce

Ainsi que — poudre de riz.

Ceґlibataires bagueґs,

Jeunes vieillards aduleґs...

Surmoqueґ, surricaneґ,

Et surtout — surcalculeґ!

En liquide et en espe`ces,

Et le bec et la farine.

... Manigances de commerce

Ainsi que — poudre de riz.

(De profil: — ca la`, c’est notre

Maison? — Pas moi la matresse!)

L’un tout a` son cheґquier, l’autre

Au chiqueґ d’un gant glaceґ.

Celui-la` tout doux s’empresse

Pre`s d’un petit pied verni.

... Epousailles de commerce

Ainsi que — poudre de riz.

Brisure d’argent: l’emble`me

De Malte au carreau, — stellaire!

Surcaresseґ, suraimeґ,

Et surtout — surcompresseґ!

Surpinceґ... (Il pue, le reste

De mangeaille: dis merci!)

... Tripotages de commerce

Ainsi que — poudre de riz.

Courte, la chane? En revanche

Pas de l’acier, du platine!

Des troncs machent une tranche

De veau, tremblant de leur triple

Menton. Sur un cou conesque,

Le diable — a` tete d’outil.

... Catastrophe de commerce

Ainsi que — poudre de qui?

Berthold Schwarz...

Un homme doueґ —

Et bienfaiteur de l’entourage.

— Vous et moi, il faudrait que nous

Parlions. — Nous aurons le courage?

5

Mouvement des le`vres. Je sais:

Ne parlera pas le premier.

— Vous ne m’aimez pas? — Mais si je....

— Vous ne m’aimez pas! — Et mineґ,

Et liquideґ, eґlimineґ!

(Regard d’aigle sur les parages)

— Ca — la maison? Vous y pensez?

— La maison est en moi. — Verbiage!

L’amour, c’est de chair et de sang.

Rougi de son sang qui s’eґtale.

L’amour, il vous semble que c’est —

Bavarder derrie`re une table?

Un quart d’heure et chacun se rentre?

Ainsi que ces messieurs et dames?

Amour, cela veut dire...

— Temple?

Petit! Que l’on vous plante lame

Apre`s lame! — Sous l’il braqueґ

Des viveurs? (Et moi, a` l’ eґcart:

«Amour, cela veut dire: arc

Tendu: arc, corde: l’accord craque.»)

— Amour, cela veut dire — lien.

Nous, tout est loin: bouches et vies.

(Pas de mauvais il! — t’ai-je bien

Demandeґ en cette heure intime,

L’heure proche au sommet des monts

Et de la passion. Memoria —

Fumeґe! L’amour, c’est tous les dons

Aux flammes — et toujours pour rien!)

La bouche — fente de coquille

Palie. Non rictus — inventaire!

— Et avant toute chose — un lit

Unique.

— Abme! — avez-vous l’air

De dire. — Tambour de la main.

— Ce n’est pas deґplacer les monts!

Amour, cela veut dire...

— Mien.

Je vous ai compris. Conclusion?

Tambour de la main sans arret

Plus fort. (L’eґchafaud et la place.)

— Partons. — Et moi qui espeґrais:

Mourons. C’est tellement plus simple!

Les trucs a` bon marcheґ, suffit!

Assez de rimes, rails, hotels...

— Amour, cela veut dire: vie.

— Non, les Anciens le deґnommaient

Autrement.

— Eh bien? —

Le poing serre

Un poisson — lambeau de mouchoir.

— On y va? — Votre itineґraire?

Cartouche, rails, poison — au choix!

La mort — sans ameґnagements!

— La vie! — En geґneґral romain,

Regard d’aigle a` son reґgiment

Deґfait.

— Quittons-nous deґsormais.

6

— Je ne le voulais pas. Ou alors

Pas cela. (En silence: eґcoute!

Vouloir, c’est le propre des corps,

De`s lors l’un a` l’autre — ames nous

Voila`...). Et il ne l’a pas dit.

(Oui, a` l’heure ou` le train se forme,

Le triste honneur de la sortie,

Vous le confiez aux femmes comme

Une coupe...) — Qui sait? Deґmence?

Meґprise? (De courtoise allure,

Menteur confiant a` son amante

L’honneur sanglant de la rupture

Comme des fleurs...) Une syllabe

Apre`s l’autre: eh! bien — quittons-nous,

Avez-vous dit? (Comme qui lache

Un mouchoir a` l’heure du doux

Tumulte...) De ce combat-ci

Vous etes le Ceґsar. (O gifle!

Comme un tropheґe — a` l’ennemi

Confier l’eґpeґe qu’on a remise

Soi meme!). Il continue. (Monteґe

Du bruit...) — Je m’incline a` nouveau:

Jamais on ne m’a devanceґ

Dans la rupture. — A toutes vous...?

Et ne le niez pas! Vengeance

Dont Lovelace serait fier.

Geste vous honorant par chance,

Et m’arrachant, a` moi, la chair

De l’os. — Rire bref: perce la

Mort. Geste. (Volition: a` bout!

Vouloir, c’est le propre d’eux-la`,

De`s lors l’un a` l’autre — ombres nous

Voila`...) dernier clou, non, dernie`re

Vis, car de plomb le cercueil — est.

— La toute dernie`re prie`re.

— J’eґcoute. — Pas un mot jamais

Sur nous... a` aucun de ceux..., des

Suivants. (De leur brancard ainsi

Les blesseґs au printemps — leveґs!)

— Je l’aurais demandeґ aussi.

En souvenir si je vous donne

Un anneau? — Non. — Grand regard vague

De qui s’absente. (Mets-moi comme

Un sceau sur ton cur, une bague

A ta main... Theґatre: pas trop!

Avalons!) De biais et tout bas:

— Plutot un livre? — Comme aux autres?

Du tout! Non, n’en eґcrivez pas,

De livres...

Donc pas la peine.

Donc pas la peine.

Donc pas de pleurs.

Dans nos fratries

D’errants pecheurs

—Nuls pleurs, on rit!

On boit — nuls pleurs!

Chaleur du sang

Qu’on paie — nuls pleurs!

Perle qu’on fond —

Dans le vin! Monde —

Ou’on fait! Nuls pleurs!

— Ainsi, c’est moi qui pars? Mes yeux

Le traversent. Arlequin jette

Un os — la plus ignominieuse

Des primauteґs — a` sa Pierrette

Pour sa fideґliteґ: l’honneur

De la fin. Geste du rideau.

Vocable dernier. En plein cur

Un doigt de plomb: meilleur, plus chaud

Net...

Dents planteґes

En pleines le`vres.

Ne pas pleurer!

Le plus muraille —

Dans le plus pulpe.

Mais — pas pleurer!

Fratrie d’errants:

On meurt — nuls pleurs!

Bruleurs — nuls pleurs!

Cendres et chants

Cachent le mort

Chez nous, errants!

— La premie`re? Le premier coup?

Les eґchecs, en somme? Il faut dire

Que meme a` l’eґchafaud on nous

Appelle les premie`res...

— Vite

Ne me regardez pas! — Regard —

(Elles, par cascades deґja`!

Que faire pour qu’elles regagnent

Les yeux, le dedans?)... De ne pas

Regarder!!!

Voix forte et claire,

Yeux en arret:

— Partons, mon cher,

Je vais pleurer!

Ah! oui! Parmi les tirelires

Vivantes (commercants — complices)

Une nuque blonde va luire:

Colza, houblon, seigle et maїs!

Bafouant tous les commandements

Du Sinaї — amazonante

Toison! — Chevelure-diamant,

Golconde des apaisements

(Pour tous!). Dame-nature abonde

En biens! Avare: pas toujours!

Chasseurs, de ces tropiques blonds

Ou` est le chemin du retour?

Une nuditeґ qui exsude

Le vulgaire, agrippe — adipeuse.

Ce ne sont que flots de luxure,

Fulminante d’or et rieuse.

— N’est-ce pas? — Froleur et friseґ

Le regard. Chaque cil — la gratte!

— Et avant tout: pareil fourreґ!

Geste tourniquant en torsade.

O geste arrachant rien qu’a` lui

Les habits! Plus simple que boire

Et manger — rictus! (D’un salut

Existe, heґlas, pour toi l’espoir!)

Bon! surement ou fre`rement?

Une alliancante — alliance! — Rire,

N’ayant pas enterreґ vraiment!

(Et, ayant enterreґ, — je ris!)

7

Puis — le quai, le dernier. Plus tard:

Fin. Seґpareґs, priveґs de main,

Voisins se tenant a` l’eґcart,

On va. Du coteґ du fleuve — un

Sanglot. Je le`che sans alarme

Le sel du mercure en bouillons:

Le ciel a eґpargneґ aux larmes

La grand-lune de Salomon.

Poteau. Jusqu’au sang s’y cogner

Le front! Qu’il se fracasse! En poudre!

Co-meurtriers eґpouvanteґs,

On va. (La victime — l’Amour.)

Arrete! Deux s’aimant — dormir

Avec d’autres? Seґpareґment?

— Vous comprenez que l’avenir

Est la`-bas? — Moi: renversement!

— Dormir! — Le couple a` la mairie...

— Dormir! — Ni meme pas, ni meme

Rythme. — Prenez mon bras, — je prie!

On n’est pas des bagnards en chane...

Deґcharge. (Main sur main — en fait!

Son ame sur ma main!) Comme arme

Qui charge, au long des fils en fie`vre

Fait rage, — sa main sur mon ame!

Gage. Iriseґ: tout! Plus iris

Que les larmes? Collier-rideau

De pluie. — Qu’un quai ainsi finisse

— Jamais vu! — Le pont:

— Bien? (de dos)

Ici? Le-veґe des yeux

Calmes. (Pret — le convoi.)

Jusque chez vous, je peux...

Pour la der-nie`re fois!

8

Le der-nier pont.

(Ma main: que moi, je la deґgage?

La rende? — Non!)

Le dernier pont, dernier peґage.

L’eau et les cieux.

Pie`-ces pour la mort — eґtaleґes.

Un sou gracieux

Du a` Charon pour le Leґtheґ.

La pie`ce est d’ombre,

D’ombre — la main. Pas un bruit quand

Ces pie`-ces tombent.

Et donc, d’ombre est la main qui prend

La pie`-ce d’ombre.

Sans un reflet, sans un eґcho.

Pie`-ces — aux tombes!

Les morts ont assez des pavots.

Le pont.

Des-tination

Des amants sans espoir, haut centre:

Pont, toi — passion:

Convention: rien que «passage-entre».

Moi — comme au nid

Tapie, la cote — je m’y serre.

Ni avant, ni

Apre`s: L’espace d’un eґclair!

Ni jambes, ni

Bras. Le treґfonds des os l’atteste:

Seul mon flanc vit,

Que, contre le voisin, je presse.

Tout dans le flanc!

La vie! Lui — la veille et l’oreille!

C’est jaune et blanc

Colleґs! A l’esquimau pareille,

— Presseґe, colleґe

A la fourrure. Et vous, Siamois!

Quoi? Vous — lieґs?!

Cette femme-la`, souviens-toi,

Maman — tu lui

Disais: dans son triomphe quiet,

Et toute oubli,

Elle te portait, mais — moins pre`s!

— Communs! Conjoints!

Vois nos jours! Tu m’as berceґe contre

Ton cur! Plonger?

Non! Lacher ta main — Qu’on n’y compte

Pas! Et blottie,

Blottie... Inarrachablement.

Pont: non — mari:

Amant! — Pur «passage-devant».

Tu nous fais vivre,

Pont! Nos corps: pature du fleuve!

Givre a` la vitre,

Hutre: m’extirpent — ceux qui peuvent!

Hutre! A la vitre,

Givre! Ni divin, ni humain!

Me je-ter vive,

Comme une chose, moi, dont rien

Du monde faux

Des choses, n’a eu le respect!

Je reve: il faut!

C’est nuit! Dis qu’au matin, apre`s:

L’ex-press et Rome!

Grenade? Saurais-je ou` je vais,

Dans le deґsordre

Des Himalayas de duvets?

Bre`-che, trou sans

Neige: mon dernier sang la chauffe.

Entends mon flanc!

Les vers — c’est tellement plus gauche...

Dis, reґ-chauffeґ?

A qui te loueras-tu demain?

Raison: faucheґe!

Dis que le pont n’a pas de fin

Et n’en au-ra pas...

— Fin

— Ici? — Geste incolore,

D’enfant. — Bien? — Je le bois.

— Un petit peu en-core:

Pour la dernie`re fois!

9

Au long d’usines reґsonnantes,

Vibrant a` l’appel des voix...

Sous la langue le secret hante

Femmes et veuves, — a` toi voi —

— la` je dis le secret de l’etre

Qu’Eve a` l’Arbre a celeґ, vivante:

Je ne suis pas plus qu’une bete

Que quelqu’un a blesseґe au ventre.

Ca brule... L’ame qu’on arrache

Avec la peau! Au trou! Fumeґe!

Partie, l’heґreґsie-grand-panache,

L’ineptie, — «ame» deґnommeґe!

Chreґtienne, terne infirmiteґ!

Fumeґe! De compresses — couvrir!

Elle n’a jamais existeґ!

Etait — le corps, il voulait vivre,

Ne veut plus.

Pardonne-moi! Je ne voulais

Pas! Clameur des fonds eґventreґs!

Condamneґs attendant qu’on les

Fusille, — devant l’eґchiquier

Au petit jour... Le judas comme

Pris d’un rictus narquois — pour nous!

Car c’est bien des pions que nous sommes!

Et quelqu’un la` — mais qui? — nous joue.

Brigands? Ou dieux au bon vouloir?

Tout englobant par le judas —

L’il. Cliquetis dans le couloir

Du deuil. Planche leveґe — deґja`!

Puis, la bouffeґe de cigarette.

(Crachat.) — On a veґcu un coup!

(Crachat.) Chemin droit qui s’arrete

Sur les trottoirs du jeu — au bout:

Fosseґ! Saigner! Par la lucarne:

C’est l’il de la lune qui point...

Et sur le coteґ je regarde,

Pencheґe — que tu es deґja` loin!

10

— Notre cafeґ! — Frisson

Unique — a` l’unisson!

Notre e`glise! O lot!

Couple d’un jour, tre`s tot,

Vagabonds sans adresse,

On ceґleґbrait la messe.

Le bazar, la lavasse,

Autre rive et printemps...

Un cafeґ deґgueulasse, —

C’eґtait du foin vraiment!

(C’est l’ardeur des chevaux

Qu’avec le foin on mate!)

D’Arabie — il s’en faut! —

D’Arcadie, l’aromate

Dudit cafeґ...

Mais comme la patronne,

Nous ayant attableґs,

Souriait, habile et bonne, —

Et les eґgards d’embleґe

Des amantes blanchies:

Vivez! On fane, un jour!

Sans-le-sou, — nos folies,

Baillements, — a` l’amour

Souriant, — a` la jeunesse!

A nos rires — pour rire,

A l’ironie — sans cesse,

Aux visages — sans rides, —

Surtout — a` la jeunesse!

Aux passions — pas d’ici!

Venant d’ou`? — qui se presse,

Venant d’ou`? — qui jaillit

Dans le cafeґ blafard:

— Les burnous et Tunis! —

Aux muscles, aux espoirs

Sous nos chasubles tristes...

(L’ami, qu’on ne me plaigne

Pas: tant de cicatrices!)

Et nous raccompagnant,

Avec son bonnet lisse

Et le linge hollandais...

A mi-souvenir, mi-comprendre,

Comme de la fete enleveґs...

— Notre rue! — D’autres vont la prendre...

— Que de fois nous!... — Loin, ses paveґs...

— Demain de l’Ouest le soleil part!

— David avec Dieu rompt les liens!

— Et nous, au juste? — On se seґpare.

— Il ne me dit strictement rien

Ce mot superabsurdissime:

Seґ-pa-ra-tion. — Une sur cent?

Un mot composeґ de dix signes:

Rien que le vide sous-jacent.

Attends! La Tcheґquie nous eґgare!

En serbe ou croate — on le dit?

Seґ-pa-ra-tion. On se seґpare...

Surabsurdissime anerie!

Oreilles: deґchirement brusque

A ce son — et l’angoisse plus loin...

Seґparation — ce n’est pas russe!

Pas feґminin! Pas masculin!

Pas divin! Quoi! Nous — des brebis

Baillant qu’on disperse au repas?

Seґparation — en quel sabir?

De sens, ca n’en a meme pas,

Ni de son! Bruit creux d’une scie,

Par exemple, pour un dormeur.

Seґparation — ce sont des cris

De rossignols, martins-pecheurs

Chez Khlebnikov...

Est-ce possible?

Reґservoir videґ — voila` l’air!

La main contre l’autre — est audible.

Se seґparer — c’est le tonnerre

Sur la tete... Dans la cabine

L’oceґan! Le cap — le dernier

D’Oceґanie! Rues — trop a` pic:

Se seґparer, mais c’est au pied

De la montagne... Pied pesant:

Deux soupirs... Paume — sans retard,

Et clou! Argument renversant:

Se seґparer — c’est etre a` part,

Or nous sommes soudeґs...

11

Perdre tout en un tour —

Net! Plus rien!

Banlieue, faubourg: des jours

C’est la fin.

Finis — silex, deґlices,

Nous, jours et eґdifices.

Villas vacantes! (— Me`re ageґe):

Meme respect pour celles-la`!

Car c’est une action que — vaquer!

Le creux ne vaque pas.

(Villas vacantes a` moitieґ,

Mieux vaudrait vous bruler!)

Pas trembler, la blessure

Inciseґe.

Banlieue, banlieue: coutures

Deґchireґes.

Car l’amour — (sans enflure

Superflue) — est couture.

Ni mur, ni pansement, — couture!

— Pas d’armure pour toi!

Couture: le mort cousu dur

En terre, et moi — a` toi!

(Le temps dira de quelle trempe:

Preґcaire ou reґsistante!)

En tout cas, l’ami, — deґchirure!

Mille eґclats et deґbris!

Fracas! Encore heureux (— cassure!)

Qu’elle n’ait pas pourri!

Pas d’infection! Rouge — la vie

Veineґe sous le bati!

Oh! ne perd pas qui rompt

En force!

Banlieue, faubourg: des fronts

Le divorce.

Cerveaux — au vent! (Dans les

Peґripheґries — gibets).

Oh! ne perd pas qui rompt et part,

A l’heure ou` l’aube point!

Une vie cousue pour toi, tard,

Sans bati, par mes soins.

Tordue? Pas de griefs! Faubourg:

Rupture des coutures.

Ames sans appret: plaies

Partout!...

Banlieue, faubourg... Ample est

Le courroux

Du faubourg. Entends le destin,

Sa botte dans les flaques

De boue!... Ami, juge ma main

Qui coud en toute hate:

Le fil — va le deґfaire!

Le der-nier reґverbe`re!

Ici? La magie gagne —

Regard. (Races qui croient:

Regard). — Sur la montagne?

Pour la der-nie`re fois!

12

— Collines. Crinie`re

Drue: pluie dans les yeux.

Le faubourg — derrie`re,

On est en banlieue,

On est. Mais qu’en faire?

Maratre-vireґe,

Plus de lieu sur terre.

Nous, ici: crever.

Un champ. Haie autour.

Fre`re et sur — nous deux!

La vie est faubourg. —

Construis en banlieue!

La cause est, messieurs,

Perdue! — Inutile...

Des faubourgs — rien qu’eux!

Mais ou` sont les villes?!

La pluie rage et broie.

Debout, nous — deux etres:

Rageons. En trois mois

Premier tete a` tete.

Emprunter — c’est a`

Job que voulait Dieu?

Mais sans reґsultat...

On est en banlieue!

A l’exteґrieur! Hors! Hors de la ville!

Remparts franchis! Tu comprends?

Vivre est un lieu ou` c’est impossible:

Le quar-tier juif, du dedans...

Et ne vа-t-on pas le front plus haut,

En devenant juif errant?

Aux yeux de qui n’est pas un salaud,

Le po-grome juif eґtant

La vie. Ne vit que grace aux nombreux

Reneґgats! Grace aux Judas!

Plutot sur les les de leґpreux,

En enfer! — mais pas dans la

Vie, — que pour les reneґgats, que pour

Le bourreau: a` lui — la brebis!

Le droit a` ma carte de seґjour

Je le pieґtine! J’en ris!

Pieґtineґ! Bouclier de David —

Vengeґ! Viser dans la glu

Des corps! N’est-il pas enivrant: vivre —

Le Juif ne l’a pas voulu?!

Ghetto des eґlites! Au trou! Tiens!

Pas de pitieґ! Que des gifles!

En ce monde-ci hyperchreґtien

Les poe`tes sont des Juifs!

13

Aiguiser les couteaux sur

Le roc, ou bien balayer

La sciure! De la fourrure

Sous les mains — mouilleґe!

Eh bien!, les surs, quoi?!

— Force et seґcheresse

D’homme! Sous les doigts —

Larmes, non averse!

De quels charmes maintenant

Parler? Sur tes biens — l’eau trone!

Apre`s tes yeux de diamant,

Me ruisselant sous les paumes,

Fin de la fin. Cesse

Pour moi — le naufrage.

Caresses, caresses

Le long du visage.

C’est notre orgueil a` nous deux —

Polonaises, a` nous autres —

Marina. Apre`s tes yeux

D’aigle pleurant sous mes paumes...

Mon ami, tu pleures!

Pardon! Tout est mien!

O sel et rondeurs

Au creux de la main!

Larmes d’homme sont brutales.

Sur le crane — la massue!

Pleure! Et reґpare plus tard

La honte avec moi perdue.

U-ne mer relie —

Les poissons! Se le`ve:

... Coquille sans vie,

Le`vres contre le`vres.

En larmes.

De l’oseille —

Au gout.

— Demain

Au reґveil,

Moi — ou`?

14

Le sentier a` moutons —

Descend. Ville en vacarme.

Vers nous, trois filles vont.

Elles rient. Face aux larmes

Elles rient, — plein midi

Terrestre, hautes cretes

Marines!

— Elles rient

De tes larmes abjectes,

Indues, d’homme!, visibles

Dans la pluie: plaies strieґes!

Perle honteuse qu’exhibe

Le bronze du guerrier.

De tes larmes, — oh! verse! —

Premie`res et dernie`res.

Tes larmes, ces perles

Que ma couronne acquiert.

Mes yeux leveґs — exprе`s!

Ils traversent l’averse,

Fixes. Fixez plus pre`s,

Poupeґes de Veґnus! Reste

Ce lien-ci plus eґtroit

Que l’attrait et l’eґtreinte.

Le Chant des Chants nous doit

La parole — on l’emprunte,

— Obscurs oiseaux: contraint,

Salomon s’eґmerveille,

Puisque pleur en commun

Est bien plus que sommeil!

Lui — ployeґ, eґgal — passe

Les creux d’ombre en arceaux,

En silence, sans trace —

Comme sombre un vaisseau.

Envoye de la mer

Par le vent nord-sud,

Je sais: pas possible!

Possible — j’en use!

En engin mobile,

— Tourniquet d’air: lutte

Chassant les copeaux —

Reve: trois minutes

De dureґe. Presto!

Qu’importe a` quel cou

Tu dors. Trois minutes.

L’Oceґan — Moscou:

Trop long — inutile!

Fulgurant trajet

Reґserveґ: sans frein!

De mon reve j’ai

Sauteґ dans le tien.

Tu reves de moi.

Clair? Flagrant? Plus net

Que sous la paroi

D’un timbre? Une lettre —

Je vaux? Un cachet —

Je vaux? A ton greґ?

Je le jure: c’est

Moi, pas du papier!

Des murs de ceґsure

Libre. Du bord: saut!

Exempt de censure,

Exempteґ de sceau.

Tous berneґs, pantois,

— Cursive du reve —

De la mer a` toi —

Missive si bre`ve!

Si bre`ve deґpeche.

Mon poids? C’est a` rire!

Quel qu’il soit — n’empeche

Rien: avec ma lyre

Entie`re, le loin,

Les Cenci, leurs drames.

Un reve, c’est moins

Qu’un pli de dix grammes.

Six: pour chacun — trois

(Le reve est mutuel)

Tu regardes, — vois!

Pas imperosonnel —

Le nez, forme d’un teґ —

Le front, ancien signe

— Rien a` ajouter —

Des le`vres qui signent.

C’est moi — sans la glose,

C’est moi — sans rature.

Poigneґe — o de roses

Des Alpes!, masure

A la mer, pourtant

Vagues — bien gentilles.

Tiens — de l’Oceґan:

Poigneґe de coquilles.

Prends-les peu a` peu a` leur place en rond.

La mer jouait. Jouer — c’est etre bon.

La mer jouait, et moi je les prenais,

La mer perdait, et moi je lеs posais

Dans l’antre, dans ma joue — apre, salin!

Bonne bote — la bouche, si les mains

Sont prises. Vive toi, lame! Renais!

La Muse perdait, la vague prenait.

Coraux de crabes — comprendre: coquilles.

La mer jouait, jouer — betes broutilles!

Penser — me`che d’argent! —

Intelligent! Jouons!

Aux coquillages. Air: «Petit navire».

L’un — en forme de cur, l’autre de lyre,

Trois tas: la cleґ de sol

De l’enfance — en survol.

L’ai ramasseґe pre`s des poissons qu’on rentre.

Ca — rogaton d’angoisse deґvorante:

Caillou, — toi, ca t’arrange —

Mieux que vague je ronge,

Enrageґe sur la dune deґserteґe.

Ca? Rognures d’amour qui a eґteґ:

Le restaurer — pas sure:

Peu profonde morsure.

Lui la`, sur la liste il n’est pas inscrit.

Ca — rongement: non d’amour — grignotis

Du remords. Camelote —

Pleurer! Je le grignote

Lui, — pas le moins du monde grignotable.

Ca — mais c’est nos restes de coquillages

Pour demain. Vois! Oh non!

Dommage. Partageons.

Pas ceux qui plairont, ce qui sortira.

(Ton fils, pour jouer on ne pourrait pas

Le prendre — on serait trois?)

Le premier coup — c’est moi.

Oui, mais le sable entre les doigts — fluide!

Attends: d’une strophe ce sont les bribes:

«La gloire est souterraine»

Bon. Comple`te, toi-meme.

Oui, mais le sable entre les doigts — coulant!

Attends: ce sont les frusques du serpent:

Jalousie! Tout pareґ,

Le muant, — de fierteґ,

De son plein droit, regardez-le qui rampe!

Finir un crabe vide — on n’est pas membre

De «Na Postu». Nul crabe:

Mais gloire qui deґrape.

Caprice modique:

Caillou — Pierre Ponce.

Creux comme un critique.

Comme un censeur — fronce

Son front au nouveau.

— Les censeurs: qu’ils dorment!

De nos vers, s’il faut —

C’est l’aube la norme.

(L’aube a beau regard:

L’eau de Castalia

Pour amie. S’eґgare

La plume: aleґas!

«Mon lapin, des vers?

Il y en a plein!»

On passe au travers

Sans qu’un il malin…)

Meule, toi, meule, toi, ronde marine!

Mammouth, papillon — la mer tout mouline.

Pas de notre mouture —

Parler d’elle: sciure!

Voila`, j’ache`ve de dire et — silence.

Mer, belle meunie`re! Bas-fond: lieu dense

Ou` nous, choses menues:

Balayeґs! Tout moulus!

Professeur, moulin a` paroles, cesse!

Bas-fonds — que nos continents! Natre: qu’est-ce?

(But: multiplication)

— Echouer sur un bas-fond.

Propice: de naphte, tourbe muni!

Immortaliteґ ensableґe — la vie.

Fiers, mais hors de propos!

La vie? — Peґnurie d’eau

Supraoceґane.

Pardon d’avance:

De ces objets toc que je te balance.

— Fonds marins jamais vus,

Balanceґs par le flux.

Il ne fait que laisser: prend — qui le veut!

Que le reflux apporte — c’est curieux,

Que dans la paume il porte.

Tu reconnais les notes?

Il nous en reste deux ou trois chacun,

Quand le dieu qui les apporta — retient,

Reflue… Le luth orphique…

Plage — page a` musique!

— Un instant de ramassage divers!

Je te balance un tas de balivernes:

Tant de mots qui moulinent

De l’eґtoffe marine!

Comme a la pecheuse quand elle vend.

Enfin je t’ai reґserveґ un preґsent.

Fais-en ceci: rends proches

La mer et Moscou, proches —

La Sovieґtorussie et l’Oceґan.

Au reґpublicain — de sa main de chouan,

Lui, l’Oceґan-Le-Vaste

Donne. Accroche a` ton casque!

Et va dire aux paysans que plus belle

Que la rouge sur leur casque — c’est elle,

— Non des classes la guerre —

Mais: l’eґtoile des mers!

Aux artisans et aux eґtrangers meme:

— La sixie`me branche de Beґthleґem

Coupeґe —, qu’ils sont voueґs

A l’eґtoile saleґe:

A celle des preux de l’eґpopeґe russe.

(Je m’eґtends, mais autant que la mer use

De ses grands fonds cacheґs)

Dis aux autoriteґs

— Leurs noms et titres: c’est pas mon souci —

Que sur la poupe du vaisseau Russie:

(Qu’on preґvoie qu’il eґchoue)

— Cette chose a` cinq bouts!

Rochers nus, cotes d’eґleґphants, rognons…

Mer fatigueґe, la fatigue rend bon.

Eterniteґ, prends-nous!

Dormons! Rame un bon coup!

Serreґs, mais lointains,

Feu, mais pas chandelle.

Non sommeil commun,

Mais reve mutuel:

En Dieu, l’un en l’autre.

Nez — croyais-tu? — Cap!

Sourcils? Non! Sont notres:

Sorties sous les arcs

Du Visible.

Tentative de chambre

Murs de la routine — compteґs

Avant moi. Trou? Hasard? — Trois murs

Dans mon souvenir — attesteґs!

Du quatrie`me — pas tre`s sure.

De dos au mur: c’eґtait le cas?

Peut-etre, mais peut bien ne pas

Etre. N’eґtait pas. Le vent. Dos —

Mais pas de mur derrie`re, n’est-ce

Pas? Tout ce qu’on veut… pas. De Dno:

«Le tsar abdique» . Voie express:

Pas que la poste! Urgent parcours

Des fils, — de partout, de toujours.

On a fait du piano? En bloc —

L’air. Vent. Voile gonfleґe. Doigts en

Coton. La sonatine flotte.

(N’oublie pas que tu as neuf ans).

De ce mur jamais vu plus tot —

Je sais le nom: le mur du dos

Au piano. Ou — au bureau, ou

Encore derrie`re une trousse

A raser (il a pour atout

— Ce mur-la` —: qu’en couloir il pousse

Dans la glace. De ґplace — avise!

Chaise portative du vide).

Chaise a` ceux — qu’entrer: interdit

Par la porte! Aux semelles — seuil

Sensible! Toi, tu as grandi

De ce mur (passeґ: bref recueil).

Un chapitre entre nous s’entasse.

Tu grandiras comme Danzas

En arrie`re.

Celle qui deґcre`te,

Tel Danzas, l’eґlu, lourd des pie`ces,

(Je sais son nom: le mur des cretes!)

Entre — non du pas de Dante`s.

La nuque. — Pour la catastrophe,

Pret? Tout comme toi dans dix strophes,

Stop.

L’il vise l’arrie`re-front.

Mais, laissant le tir postdorsal,

A l’eґvidence le plafond

Etait. Comme au salon: normal!

Peut-etre penchait-il, au fond?

(Armes visant l’arrie`re-front —

Qui fond.)

Et le cerveau deґja` —

Pressionneґ. Le dos se leґzarde.

Voila` les murs de la Tcheґka,

Des aubades et fusillades

Limpides: plus net que l’eґcho

Des gestes — de dos dans le dos!

La fusillade me confond.

Mais, laissant le tir postmural,

A l’eґvidence le plafond

Tenait (utile en quoi, plus tard,

— Lui?!) Revenons au quatrie`me

Mur: ou` reculant, le couard, bleme —

Recule.

«Bon, et un plancher —

Y avait? Quelque chose ou` asseoir…»

Mais oui!. — Pas pour tous. — Chevaucheґe

D’arbres, de cables, balancoires,

Sabbats… La`-haut!

Tous nous devons

Souder notre pesant talon

Au vide.

Plancher — pour les pieds.

Quel implanteґ, incrusteґ — l’homme!

Plafond: les gouttes eґpargneґes.

Une par heure, tu sais comme

L’ancien supplice? Plancher: qu’herbe

Ni terre en la maison peґne`trent —

Ni ces etres non empecheґs

Par les pieux dans la nuit de mai!

Trois murs, un plafond, un plancher.

C’est tout, non? De`s lors: apparais!

Signe du volet, de la vitre?

Chambre eґtablie a` la va-vite,

Juste eґbaucheґe sur un brouillon:

Sur fond gris — blanchatre crayon.

Ni couvreur, ni poseur de platre —

Le reve. Au long de voies sans cables —

Vigile. Dessous les paupie`res —

Gouffre ou` un et une se lie`rent.

Nul tapis, nul meuble en reґserve —

Le reve, plus nu que la gre`ve

Baltique. Plancher aux tons fades.

Chambre? — Simples surfaces planes.

Deґbarcade`re: plus riant!

Ca tient de la geґomeґtrie,

— L’abme en tome cartonneґ,

Tard compris, mais non cantonneґ.

Et le char d’Apollon, son frein —

C’est la table? Car elle a faim

De coude! Coudes a` l’oblique,

Tu obtiens la table tablique.

«Cigogne», et l’enfant nat — voila`:

Si besoin est — apparatra

La chose. La chaise surgit

Avec l’hote — point de soucis!

Tout surgira,

Ni plans, ni veilles —

Vois-tu? Te dire

Sous quelle enseigne?

L’Etre mutuel.

En foret — trou

Perdu. L’Hotel

Du Rendez-vous

Des Ames.

Maison de rencontre. Autres —

Celles des seґpareґs,

Meme au Sud! Des mains d’hote?

Non, c’est du plus feutreґ

Que les mains, plus fin, — pur

Que les mains. Bric-a`-brac

Retapeґ — confort sur!

L’ennui-monstre la`-bas!

Ici: saintes-nitouches

Que nous! En fait de mains:

Courriers, penseґes, retouches,

— De mains: ultimes fins…

Sans fieґvreux «ou` es-tu»?

J’attends. Proprieґteґ

Des serveurs: gestes tus

Au palais de Psycheґ.

Le vent seul est cher au poe`te.

Jurer des couloirs: je suis prete.

La marche: base des armeґes.

Longtemps marcher, afin qu’apre`s

D’un jet dans la chambre — et l’air

Du Dieu-Lyre…

Chemin du vers!

Le vent, le vent leveґ: l’avance

De nos pas, le front sous sa lance!

«Et caetera» trouve sa place —

Couloirs: le chez-soi de l’espace.

Du freux le profil d’heґreґtique —

Espace a` vitesse archaїque

D’enfant marchant dans ses effets

De pluie — charmants sons: fusain (l’f)! —

Fer a` friser — faisan: il fait

Sa trane a` la tour dite Eiffel.

Le fleuve a` l’enfant est caillou,

L’espace — quartier, place, trou.

Meґmoire ou` la guitare donne:

Espace: bagage a` main, bonne…

(Espace — la mode) — l’idiot:

On sait bien ce que les chariots…

Conduit au plumier de tantot.

Couloirs: des maisons — les canaux.

Noces, destins, deґce`s, saisons, —

Couloirs: affluents des maisons.

Le couloir de`s l’aube s’anime

— Pas que des balais: d’anonymes

Billets. Herbe et cumin empestent.

Genre de tache: cou-loiresque.

Exigeant qu’on deґblaie le sol

Des couloirs de la Carmagnole!

Qui batit les couloirs,

(Creusa), — sut ou` courber,

— Que le sang puisse avoir

Le temps de contourner

L’angle du cur — l’aigu,

Cet angle: aimant des foudres!

Que l’le du cur nue

Soit laveґe tout autour.

Ce couloir-ci, c’est moi

Qui l’ai creґeґ. — Ainsi! —

— Le cerveau puisse avoir

Le temps de faire signe

Sur la ligne: «Personne

Ne monte» — au nud crucial

Du cur «Sauter, en somme —

Vas-y! Sinon deґtale

Des rails!» C’est mon couloir:

Non poe`te: d’embleґe…

— Le cerveau puisse avoir

Le temps de distribuer

Les places: c’est un lieu

Que se voir, — plan, deґcompte

De mots — pas tous heureux,

De gestes, — purs meґcomptes.

Soit tout l’amour en ordre,

Toute a` toi che`re au fond,

— Jusqu’au pli de la robe

Ou des le`vres? — Du front!

Savaient rajuster leur robe: elles!

Couloirs: des maisons — les tunnels.

Vieillard que l’on me`ne a` tatons.

Couloirs: deґfileґs des maisons.

Ami, vois! En lettre ou en reve,

C’est moi sur toi l’eґclair qui cre`ve!

Tu t’endors; paupie`re: descends!

C’est moi sur toi, — pressentiment

De lumie`re. Quand poindra l’heure

Extreme: c’est moi l’il-lueur.

Et apre`s?

Reve: ligne

Juste. Acce`s,

Puis s’inclinent

Front et front.

Le tien touche

Presque. Affront —

Rime: bouche.

Du fait que les murs se deґfont? —

A l’eґvidence le plafond

Flanchait. Vocatif: seul archet!

A l’eґvidence le plancher…

La bre`che! Et le Nil vert au fond!

A l’eґvidence le plafond

Nageait. Le plancher, qu’est-ce hormis

«Qu’il croule!» Des lames salies:

Rions! Mal balayeґ? — Au ciel!

Le poe`te entier tient en selle

Sur le tiret…

Au dessus du rien de deux corps

Le plafond d’eґvidence alors

Chantait

a` l’unisson des anges.

Lettre de nouvel an

Bon Nouvel An, bord nouveau — monde — abri!

Ma premie`re lettre, je te l’eґcris

Au lieu nouveau — qu’en vain on dit doreґ —

(Gorets — doreґs!), lieu de bruit, lieu clameґ,

Vibrant, vide comme la tour d’Eole.

Premie`re lettre a` toi de notre sol

Natal d’hier ou` sans toi je languis,

Et de`s lors c’est d’une eґtoile parmi

D’autres… Loi du repli et du recul

Selon quoi l’unique devient quelqu’une,

D’existante inouїe — inexisteґe.

Comment je l’ai apprise: raconter?

Ni deґluge, ni tremblement terrestre.

Entre un homme, — quelconque («Quelqu’un» c’est —

Toi). — Un eґveґnement des plus facheux.

— Dans le Contemporain et les Deґpeches.

— Pour nous: un article? — Ou`? — A la montagne.

(Les sapins; fenetre. Drap.) — Lisez pas

La presse? Eh bien: l’article? — Non. — Pourtant…

— De grace, non! Haut: trop difficile. En

Moi: pas marchand de Christs. — Dans un sana.

(Paradis de louage). — Jour? — Hier,

Mardi, — j’sais plus. — Viendrez a` l’Alcazar?

— Non: famille. En moi: tout, mais pas Judas.

Bon An a` venir! (Tu naissais demain!) —

Raconter ce que j’ai fait quand on vint

M’apprendre…? Chut… Mot lacheґ. L’habitude!

La vie, la mort — depuis longtemps j’en use

Entre guillemets, comme de nuds vides.

Je n’ai rien fait, mais il s’est fait tre`s vite

Quelque chose, — sans ombre, sans eґcho,

Mais — faisant!

Dis: ton voyage la`-haut?

Comment rompit et ne s’est pas rompu

— Comment — le cur? Et comment, sur les purs —

Sang d’Orel, deґpassant, dit-it, les aigles,

Se coupait le souffle: comme l’eґclair?

Ou plus doux? A qui volait sur de vrais

Aigles russes: ni hauteurs, ni valleґes.

De sang — notre lien a` ce monde-la`:

En Russie tu fus: ce monde-ci a

Muri celui-la`. Un bond ajusteґ!

La vie, la mort sont par moi prononceґes

En ricanant — c’est qu’on touche a` la sienne!

La vie, la mort — je les prononce a` peine,

Avec un asteґrisque (nuit enviable:

Au lieu de l’heґmisphe`re ceґreґbral —

Les eґtoiles!)

Faudrait pas oublier,

Mon ami, ceci: que si l’alphabet

Russe a pris le relais de l’allemand

Ce n’est pas pour la raison qu’a` preґsent

Tout conviendrait, que le mort (mendiant) tout

Mangerait sans broncher!, — mais que ce monde-

La`, le notre, — a` treize ans je l’ai compris

Au cimetie`re Novodieґvitchi:

Non, n’est pas non-parlant, mais tout-parlant.

Et je le demande non sans tristesse:

Que ne demandes-tu comme on dit «Nest»

En russe? Une seule rime «zviozdy»

(Etoiles) couvrant tous les (nids) «gniozda».

Je m’eґcarte? Mais rien de tel, je crois,

Ne se trouverait — s’eґcarter de toi.

Tout, n’importe quel propos, Du Lieber,

Me`ne a` toi le mot, si meme on oublie

Le motif (plus que le russe m’est cher

L’allemand, entre toutes je preґfe`re

Celle des anges. Soit!) — de meme la`

Ou` tu n’es pas — point de lieu, si — un: la

Tombe. Rien ne fut ainsi, — tout le fut,

— Est-il possible que de moi nul…plus…? —

Ca va, Rainer, alentour c’est comment?

Instamment et obligatoirement —

La premie`re vision de l’univers

(:Du poe`te parmi lui), — la dernie`re

De la plane`te, a` toi seul donneґe, — toute!

Non du poe`te avec la poussie`re, ou

De l’esprit avec le corps (isoler —

C’est deґsoler, insulter les moitieґs) —

Mais de toi avec toi, de toi a` toi,

— Tenir de Zeus: est-ce de bon aloi? —

De Castor — toi a` toi — avec Pollux,

Du marbre — toi a` toi — avec la mousse,

Ni seґparation, ni rencontre, mais —

Confrontation: et rencontre premie`re

Et seґparation.

Ta propre main (traces

D’encre) — comme ton regard s’y attache

Du haut de tant de milles (des milliers?)

— Hauteur infinite puisqu’incommenceґe

Au-dessus de ce cristal qui recouvre

Meґditerraneґe et autres soucoupes.

Rien ne fut ainsi, — tout prendra quel tour?

Et avec moi tout au bout du faubourg.

Rien ne fut ainsi, tout deґja` s’enchane

— Qu’est-ce — a` qui s’est biffeґ une semaine

Trop tot! — Ou` regarder (qu’on s’interroge),

Accoudeґ sur le rebord de la loge,

D’ici-bas — sinon vers ce monde-la`,

De la` — vers le si-souffrant ici-bas.

J’habite a` Bellevue. Ville de feuilles

Et de nids. Avec le guide — un coup d’il:

Bellevue. Prison avec vue select

Sur Paris — palais de chime`res celtes —

Sur Paris — et un peu plus loin que lui…

Accoudeґ sur le rebord cramoisi

Combien a` toi ca doit sembler

Ridicule du haut deґmesureґ

Qui est tien, et combien donc doivent l’etre

Pour moi nos Bellevue et Belveґde`re!

Bon. Passons! Vu l’occurrence. L’urgence.

Le Nouvel An au seuil. A quoi — et quels gens —

Avec qui trinquer? Avec quoi? Au lieu

D’eґcume — du cotton. Moi au milieu

Des douze coups: pourquoi? Que dois-je faire

Portant cette rime: Rainer — en terre,

En plein bruit de Nouvel An? Et si toi,

Si pareil il s’est eґteint — c’est que la

Vie n’est pas la vie, la mort — pas la mort.

C’est que tout se brouille: tout au bout, lors

De notre rencontre — je comprendrai.

Il n’y a ni la vie, ni la mort — mais

Un troisie`me eґtat, nouveau. C’est a` lui —

(Vingt-six s’eґloignant, la paille du lit

De l’an vingt-sept placeґe, — feґliciteґ

Par toi de finir et de commencer!)

— Que je trinquerai avec toi a` table,

(Pour le regard cette table incernable)

Mon verre d’un choc muet choquerai

Contre ton verre. Pas comme au troquet,

Pas comme eux: moi contre toi fusionnant

Dans le don de cette rime disant:

Troisie`me.

Au bout de la table j’observe

Ta croix. Que de lieux en banlieue, — de verstes!

Et le buisson, a` qui fait-il donc signe

Sinon a` nous? De lieux — non d’autrui: si

Notres! Tout le feuillage! Tout le bois!

Tes lieux avec moi (les tiens avec toi).

(Qu’un meeting puisse etre un lieu pour nous deux —

Le dire?) Autant qu’ils sont: tous notres! Eux,

Les mois: notres! Les semaines: tout comme!

Et les faubourgs sous la pluie sans personne!

Et les matins donc! Et tout ce domaine

Inentrepris par les rossignols meme!

C’est vrai que je vois mal — dans un caveau,

C’est vrai que tu vois mieux — puisque d’en haut.

Entre nous rien n’a eґteґ accompli.

C’est a` ce point simple et net: pas un pli —

Rien, c’est a` ce point a` notre porteґe

Qu’il est inutile d’eґnumeґrer.

Rien, sinon — ne t’attends pas a` du hors

Ligne (qui sort de la mesure a tort!)

— Etre dedans la ligne, mais laquelle,

Comment entrer?

Refrain sempiternel:

Rien, de quelque chose — rien, nul teґmoin,

Serait-ce meme de loin — l’ombre au moins

De l’ombre! Rien, ni cette heure-la`, ni

Ce jour-la`, cette maison-la`: deґni!

Le condamneґ dans son carcan, lui l’a

— Don du souvenir —: cette bouche-la`.

Les moyens nous eґtaient trop peu confus?

De tout ce-la`, seul ce monde-la` fut

Notre, et nous-memes ne sommes que l’ombre

De nous, — tout notre ici: tout l’autre monde!

Bon confin nouveau — des moins batissables!

Bon nouveau lieu, Rainer, — monde, Rainer!

Bon cap a` l’extreme du deґmontrable —

Nouvel il, Rainer, — oreille, Rainer!

Tout: l’ami, la passion

Etaient pour toi accroc.

Echo, bon nouveau son!

Son, bon nouvel eґcho!

Combien de fois sur le banc de l’eґcole:

Quels sont ces fleuves, lacs, montagnes, cols?

C’est bien — les paysages sans touristes?

J’avais raison, Rainer, c’est donc un site

Montagneux, orageux — le paradis?

Pas celui que les veuves revendiquent —

Car il n’y en a pas qu’un, car un autre

Est au-dessus? Ses terrasses sont hautes?

Le paradis — jugeant par les Tatras —

Ne saurait etre qu’un amphitheґatre.

(Et au-dessus de l’un — le rideau bas

Baisseґ…) Rainer, Dieu est un baobab

Grandissant — j’avais raison? Non pas Louis-

Soleil-d’Or, car trone au-dessus de lui

Un autre Dieu? Il n’y a pas que lui?

Au lieu nouveau, comment ca va — eґcrire?

D’ailleurs, est — toi, est le vers: le vers tire

De toi son etre! En cet heureux seґjour

Comment va — eґcrire? Sans table pour

Le coude? Ca va — sans front pour la plume

(La paume)

— Un mot codeґ de ta coutume!

Rainer, des rimes nouvelles — content?

En effet, comprendre correctement

Le terme rime — qu’est-ce d’autre hors

Plein de rimes nouvelles — la Mort?

Car pas d’issue: la langue est eґpuiseґe.

Plein de consonances et signifieґs

— Neuves! Neufs!

— Au revoir! A se connatre!

Nous verrons-nous? Mais le chant de nos etres:

Avec la terre ou` moi-meme me noie —

Toute la mer, Rainer, et toute moi!

Ne nous quittons pas — griffonne avant l’heure.

Bonnes esquisses sonores, Rainer!

L’escalier du ciel: monteґe des honneurs

Sacreґs… Bonne conseґcration, Rainer!

— Ma paume la tient: et si l’eau deґborde?!

Par-dessus le Rhone et dessus Rarogne,

Par-dessus l’absolu deґpart — je porte

A Rainer — Maria — Rilke — en mains propres.

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