Quand Stor Gendibal eut enfin réussi à repérer sur son écran le vaisseau de Compor, il lui sembla être parvenu au terme d’un voyage incroyablement long. Pourtant, bien entendu, ce n’en était pas le terme mais simplement le début. Le voyage de Trantor à Seychelle n’avait jamais été qu’un prologue.
Novi avait l’air très impressionnée : « Est-ce que c’est un autre vaisseau d’espace, Maître ?
— Vaisseau spatial, Novi. Oui. C’est celui qu’on essayait de rejoindre. C’est un modèle plus gros – et meilleur – que le nôtre. Il peut se déplacer dans l’espace à une telle vitesse que s’il voulait nous fuir, ce vaisseau ne pourrait même pas le rattraper – pas même le suivre.
— Plus vite qu’un vaisseau des Maîtres ? » Sura Novi paraissait atterrée par une telle éventualité.
Gendibal haussa les épaules : « Je suis peut-être un Maître, comme tu dis, mais je ne suis pas maître de toutes choses. Nous autres chercheurs, ne possédons pas de vaisseaux comme celui-ci, pas plus que nous ne disposons d’appareillages matériels analogues à ceux des possesseurs de ces vaisseaux.
— Mais comment les chercheurs peuvent-ils ne pas avoir de telles choses, Maître ?
— Parce que nous sommes des Maîtres de ce qui est important. Tous ces progrès matériels dont ils peuvent bénéficier ne sont que broutille. »
Novi fronça les sourcils, plongée dans un abîme de réflexion : « Il me semble que pouvoir aller si vite qu’aucun maître ne peut vous suivre n’est pas de la broutille. Qui sont donc ces gens capables de prodiguer ainsi… enfin, d’avoir de telles merveilles ? »
Gendibal était amusé. « Ils se baptisent la Fondation. As-tu déjà entendu parler de la Fondation ? »
(Il se prit à s’interroger sur l’étendue des connaissances des Hamiens concernant la Galaxie et sur les raisons pour lesquelles les Orateurs n’avaient jamais eu l’idée de se poser ce genre de question – ou bien, était-ce seulement lui qui ne s’était jamais interrogé là-dessus, lui seul qui avait cru les Hamiens tout juste capables de gratter la terre ?)
Novi hocha pensivement la tête. « Je n’en ai jamais entendu parler, Maître. Quand le maître d’école m’a transmis l’art des lettres – m’a appris à écrire, je veux dire –, il m’a expliqué qu’il y avait des tas d’autres mondes et m’a même dit le nom de certains. Il disait que notre monde hamien s’appelait en réalité Trantor et qu’il avait autrefois commandé tous les autres mondes. Que Trantor était recouverte d’acier brillant et qu’elle avait un empereur qui était un grand Maître tout-puissant. »
Elle leva vers Gendibal un regard timidement amusé : « Mais j’en ai parcouru la plupart. Il y a plein d’histoires que les tresse-paroles racontent lors des longues veillées. Quand j’étais petite fille, j’y croyais à toutes mais en grandissant, j’ai découvert que la plupart étaient même pas vraies. J’crois plus à beaucoup à présent ; peut-être même à aucune. Même les maîtres d’école racontent des incroyableries.
— Et pourtant, Novi, cette histoire que t’a racontée ton maître d’école est bien vraie. Mais c’était il y a très longtemps. Trantor était effectivement recouverte de métal et elle avait bien un empereur qui dirigeait toute la Galaxie. Mais maintenant, ce sont les gens de la Fondation qui dirigeront, un jour, toutes les planètes. Ils deviennent chaque jour plus puissants.
— Ils vont tout commander, Maître ?
— Pas tout de suite, Novi. Dans cinq cents ans…
— Et ils seront les Maîtres des Maîtres, aussi ?
— Non, non. Ils dirigeront les planètes. Mais c’est nous qui les dirigerons, eux – pour leur bien et le bien de toutes les planètes… »
Novi fronçait de nouveau les sourcils. Elle demanda : « Maître, est-ce que les gens de la Fondation en ont beaucoup de ces vaisseaux prodigieux ?
— Je l’imagine, oui.
— Et encore plein d’autres choses aussi… étonnantes ?
— Ils ont toutes sortes d’armes puissantes…
— Alors, Maître, ne peuvent-ils pas s’emparer de tous les mondes, tout de suite ?
— Non. Ils ne peuvent pas. Le temps n’est pas encore venu.
— Mais pourquoi ? Est-ce que les Maîtres les arrêteraient ?
— On n’en aurait pas besoin, Novi. Même si on ne faisait rien, ils ne pourraient quand même pas s’emparer de toutes les planètes.
— Mais qu’est-ce qui les arrêterait ?
— Vois-tu, expliqua Gendibal, il existe un Plan, que conçut jadis un homme très sage… »
Il s’arrêta, esquissa un sourire, et hocha la tête : « C’est difficile à expliquer, Novi. Une autre fois, peut-être. En fait, quand tu auras vu ce qui va se passer avant qu’on ait l’occasion de revoir Trantor, il se peut que tu comprennes sans avoir besoin de mes explications.
— Que va-t-il se passer, Maître ?
— Je ne suis pas sûr, Novi. Mais tout se passera bien. »
Il se détourna pour se préparer au contact avec Compor. Et, ce faisant, il ne put empêcher une petite voix intérieure de lui seriner : du moins, je l’espère.
Il en conçut aussitôt de l’irritation car il savait très bien d’où lui venait cette idée stupide et débilitante. C’était à cause de cette image de toute la formidable puissance, de la complexité de la Fondation ramenée aux simples dimensions du vaisseau de Compor, image qui, à son grand chagrin, provoquait néanmoins ouvertement l’admiration de Novi.
Stupide ! Comment pouvait-il se laisser aller à comparer la détention de la force, du pouvoir matériel, avec la détention de la capacité à guider les événements ? C’était ce que des générations d’Orateurs avaient appelé « l’illusion du couteau sous la gorge ».
Et penser qu’il n’était pas encore immunisé contre ses séductions…
Munn Li Compor ne savait pas le moins du monde quelle attitude adopter. Depuis toujours, il avait vécu sur cette vision d’Orateurs existant juste au-delà des limites du cercle de son expérience – d’Orateurs avec lesquels il n’entrait qu’épisodiquement en contact et qui tenaient dans leur étreinte mystérieuse l’ensemble de l’humanité.
Parmi eux tous, c’était vers Stor Gendibal que, ces dernières années, il s’était tourné pour trouver un guide.
Ce n’était même pas de vive voix qu’il était entré en contact avec lui mais par une simple présence dans son esprit – de l’hypercommunication, en somme, sans hyper-relais.
De ce côte-là, la Seconde Fondation était allée bien plus loin qu’eux. Sans l’aide d’aucun dispositif matériel, par la simple maîtrise de la force de l’esprit, ils étaient capables de communiquer à travers les parsecs, d’une manière impossible à espionner, impossible à brouiller. C’était un réseau invisible et indétectable qui maintenait la cohésion de toutes les planètes par l’intermédiaire d’un nombre relativement réduit d’individus dévoués.
Compor avait plus d’une fois éprouvé comme une espèce de fierté à l’idée de son rôle dans ce processus. Si réduite était la petite troupe dont il faisait partie ! Et si énorme pourtant l’influence qu’elle exerçait ! – Et tout cela dans le plus grand secret ! Même sa femme ignorait tout de sa vie cachée.
Et c’étaient les Orateurs qui tiraient les ficelles – et surtout celui-ci, ce Gendibal, qui (estimait Compor) pouvait fort bien être le prochain Premier Orateur, devenant ainsi le plus-qu’Empereur d’un plus-qu’Empire.
Et voilà que Gendibal était là, dans un vaisseau de Trantor, et Compor dut lutter contre sa déception que la rencontre n’eût pas pris place sur Trantor même.
Se pouvait-il que ce machin fût un vaisseau de Trantor ? N’importe lequel de ces Marchands qui jadis sillonnaient une Galaxie hostile en transportant les produits de la Fondation aurait été mieux équipé que ça. Pas étonnant qu’il lui ait fallu si longtemps pour couvrir la distance de Trantor à Seychelle.
Il n’était même pas équipé d’un coupleur unidock permettant d’arrimer les deux vaisseaux lorsqu’on avait besoin d’effectuer un transbordement de personnel. Et pourtant, même la minable flotte seychelloise en était dotée. Au lieu de ça, l’Orateur Gendibal était obligé d’abord de faire correspondre la vélocité des deux vaisseaux puis de lancer entre eux une amarre le long de laquelle il pourrait se tracter – comme au bon vieux temps de l’Empire.
Tout juste, songea Compor, lugubre, et incapable de se dissimuler sa déception. Ce vaisseau n’était rien de plus qu’un vieux rafiot impérial – et qui plus est, un petit modèle.
Deux silhouettes progressaient le long du filin – l’une d’elles avec une telle maladresse que ce devait manifestement être sa première sortie dans l’espace.
Enfin elles furent à bord et purent ôter leur scaphandre. L’Orateur Stor Gendibal était de taille modeste et son allure n’avait rien d’impressionnant ; il n’était pas large et imposant, il ne respirait pas non plus l’omniscience. Seul le regard de ses yeux sombres et profondément enfoncés dans les orbites témoignait de sa sagesse. Puis l’Orateur se mit à regarder autour de lui et manifestement, c’était lui le plus intimidé.
Son second visiteur était une femme, aussi grande que lui, d’allure assez quelconque. Et elle aussi regardait autour d’elle, bouche bée.
Le transbordement par le filin n’avait pas été pour Gendibal une opération totalement désagréable. Sans être un homme de l’espace – aucun Second Fondateur ne l’était – il n’était pas non plus complètement un vermisseau rampant – car on ne l’aurait permis à aucun Fondateur : la nécessité de prendre l’espace était une menace toujours présente à leur esprit, même si chacun d’eux espérait secrètement n’avoir à le faire que le moins souvent possible. (Preem Palver – dont l’ampleur des déplacements spatiaux était devenue légendaire – avait dit un jour, non sans regret, que le succès d’un Orateur se mesurait à la rareté des occasions où il était contraint de prendre l’espace aux fins d’assurer la réussite du Plan.)
Gendibal avait déjà dû utiliser un filin trois fois auparavant. C’était donc la quatrième et même s’il avait éprouvé quelque appréhension, elle se serait dissipée derrière ses inquiétudes pour Sura Novi. Il n’était pas besoin de mentalique pour voir que la perspective de marcher ainsi dans le vide l’avait totalement bouleversée.
« Je être toute peurée, Maître », avait-elle dit quand il lui avait expliqué ce qu’ils allaient devoir faire. « C’est-y donc dans le rien que j’allions devoir poser pied. » A elle seule, cette brusque régression dans le plus épais dialecte hamien dénotait à l’envi l’étendue de son trouble.
Gendibal lui expliqua doucement : « Je ne peux pas te laisser à bord, Novi, car je vais devoir monter dans l’autre vaisseau et je tiens à t’avoir auprès de moi. Il n’y a aucun danger puisque tu seras complètement protégée par ta combinaison et tu ne risques absolument pas de tomber. Même si tu lâchais le filin, tu resterais simplement où tu es, de toute manière, je serai à portée de main et je pourrai donc toujours te rattraper. Allons, Novi, montre-moi un peu que tu es assez brave – comme tu t’es montrée assez intelligente – pour devenir un vrai chercheur. »
Elle ne souleva pas d’autre objection et Gendibal, réticent à déranger le calme ordonnancement de son esprit, parvint quand même à lui insuffler en surface une légère touche d’apaisement.
« Tu peux encore me parler », lui dit-il après qu’ils eurent revêtu chacun son scaphandre. « Je peux t’entendre à condition que tu penses bien fort. Pense bien chaque mot, un par un. Tu arrives à m’entendre, n’est-ce pas ?
— Oui, Maître. »
Voyant bouger ses lèvres derrière la visière, il lui dit : « Prononce-les dans ta tête sans bouger les lèvres, Novi. Il n’y a pas de radio dans le genre de scaphandre qu’emploient les chercheurs. Tout passe par l’esprit. »
Les lèvres de Novi restèrent immobiles et son regard devint anxieux : « Et là, vous m’entendez, Maître ?
— Parfaitement bien, pensa Gendibal, les lèvres tout aussi immobiles. Est-ce que tu m’entends ?
— Oui, Maître.
— Alors, viens et fais pareil que moi. »
Ils avancèrent. Gendibal connaissait la théorie du mouvement même s’il n’en maîtrisait que médiocrement la pratique. Le truc consistait à maintenir les jambes serrées et bien tendues et à les projeter par un mouvement des hanches. Cela permettait de garder l’alignement du centre de gravité, en contrebalançant alternativement avec les bras. Il avait expliqué la chose à Sura Novi et sans se retourner pour la regarder, il étudia sa posture à partir de l’examen des aires motrices de son cerveau.
Pour une débutante, elle se débrouillait fort bien, presque aussi bien que Gendibal essayait de le faire. Réprimant ses propres tensions, elle suivait à la lettre ses instructions. Gendibal se sentit, une nouvelle fois, très content d’elle.
Elle fut néanmoins manifestement soulagée de se retrouver à bord d’un vaisseau – tout comme Gendibal, d’ailleurs.
Il regarda autour de lui en ôtant son scaphandre et fut passablement interloqué par le luxe et le style de l’équipement qu’il découvrait. Il ne reconnaissait quasiment rien et se sentit défaillir à l’idée qu’il aurait peut-être bien peu de temps pour apprendre à manipuler tout cela. Il aurait certes pu directement puiser l’expérience nécessaire dans le cerveau de l’homme qui était déjà à bord mais c’était loin d’être aussi satisfaisant que l’apprentissage direct.
Puis il se concentra sur la personne de Compor. Compor était grand et mince, de quelques années plus vieux que lui. Il était plutôt mignon, dans le genre pâlichon, avec des cheveux tout bouclés et d’une étonnante blondeur.
Et il apparut clairement à Gendibal que ce garçon était déçu – une déception qui frisait le mépris – par cet Orateur qu’il voyait pour la première fois. Qui plus est, il était totalement incapable de masquer ses sentiments.
Gendibal ne s’en formalisait pas trop, néanmoins. Compor n’était pas un Trantorien – pas plus qu’il n’était tout à fait membre de la Seconde Fondation – et il entretenait à l’évidence un certain nombre d’illusions. Même le plus superficiel examen de son esprit aurait pu le révéler. Et parmi ces illusions, il y avait celle que la force réelle était nécessairement associée à l’apparence de la force. Il pouvait fort bien les garder, ces illusions, aussi longtemps qu’elles n’entraveraient pas les projets de Gendibal mais, pour l’heure, cette illusion bien précise entravait effectivement ses projets.
Ce que Gendibal lui fit était l’équivalent en mentalique d’un claquement de doigts : Compor vacilla, sous le coup d’une douleur aussi vive que fugace. Comme une impression de concentration qui lui titilla la peau de l’esprit, lui laissant le sentiment d’une force aussi désinvolte qu’impressionnante, et que l’Orateur était capable d’exercer à sa guise.
Compor en conçut un immense respect pour Gendibal.
Ce dernier remarqua sur un ton plaisant : « Je ne fais simplement qu’attirer votre attention, Compor, mon ami. Et maintenant, faites-nous connaître la situation actuelle de votre ami, Golan Trevize, et de son compagnon, Janov Pelorat. »
Compor dit, hésitant : « Puis-je parler en présence de la femme, Orateur ?
— Cette femme, Compor, est un prolongement de moi-même. Il n’y a pas de raison, par conséquent, pour que vous ne puissiez parler ouvertement.
— Comme il vous plaira, Orateur. Trevize et Pelorat approchent en ce moment d’une planète connue sous le nom de Gaïa.
— C’est ce que vous disiez dans votre dernier message de l’autre jour. Sans aucun doute ont-ils déjà atterri sur Gaïa et peut-être même sont-ils repartis. Ils ne sont pas restés longtemps sur Seychelle.
— Ils n’avaient pas encore atterri au moment où je les suivais encore, Orateur. Ils approchaient de la planète avec une extrême prudence, faisant des pauses prolongées entre deux microsauts. Selon moi, il est clair qu’ils n’ont pas d’informations sur la planète qu’ils approchent et par conséquent hésitent.
— Et vous, Compor, avez-vous des informations ?
— Aucune, Orateur. Du moins, mon ordinateur de bord n’en a pas.
— Cet ordinateur ? » L’œil de Gendibal tomba sur le panneau de contrôle et il demanda, pris d’un soudain espoir : « Est-ce qu’il peut aider au pilotage de ce vaisseau ?
— Il est capable de le gouverner intégralement, Orateur. Il suffit simplement de le commander par la pensée. »
Gendibal se sentit soudain mal à l’aise : « La Fondation en est-elle déjà à ce stade ?
— Oui, mais c’est loin d’être parfait. L’ordinateur ne fonctionne pas très bien. Il faut que je répète plusieurs fois mes pensées et même comme ça, je n’obtiens qu’un minimum d’information.
— Je dois être capable de faire mieux que ça, observa Gendibal.
— J’en suis certain, Orateur, dit Compor avec respect.
— Mais laissons tomber pour l’instant. Pourquoi n’a-t-il aucune information sur Gaïa ?
— Je l’ignore, Orateur. Il prétend – pour autant qu’on puisse dire d’un ordinateur qu’il ait des prétentions –, il prétend posséder des données sur toutes les planètes habitées de la Galaxie.
— Il ne peut pas détenir plus d’informations qu’on ne lui en a fait ingurgiter et ceux qui l’ont chargé croyaient, à tort, avoir des données sur toutes les planètes, si bien que l’ordinateur ne fera que répercuter cette même erreur d’interprétation. Correct ?
— Certainement, Orateur.
— Avez-vous enquêté à Seychelle ?
— Orateur, dit Compor, gêné, il y a des gens qui parlent de Gaïa sur Seychelle mais ce qu’ils racontent est sans aucune valeur. Manifestement, de la pure superstition. A en croire leurs fables, Gaïa serait un monde puissant qui aurait même tenu jadis en respect le Mulet.
— Est-ce bien là ce qu’ils disent ? » demanda Gendibal en réprimant son excitation. « Étiez-vous si certain que c’était de la superstition que vous n’avez même pas pris la peine de demander plus de détails ?
— Absolument pas, Orateur. J’ai posé des tas de questions mais je n’ai rien obtenu de plus que ce que je vous ai déjà dit.
— Apparemment, c’est ce que Trevize a entendu, lui aussi, et il se rend à Gaïa pour quelque raison en rapport avec ça – pour tirer profit de cette fameuse puissance, peut-être. Et s’il le fait avec tant de précaution, c’est qu’il doit la craindre, également.
— C’est fort possible, Orateur.
— Et pourtant, vous ne l’avez pas suivi ?
— Je l’ai suivi, si, assez longtemps pour m’assurer qu’il se dirigeait bien vers Gaïa. Je suis revenu ensuite ici, à la lisière du système gaïen.
— Pourquoi ?
— Pour trois raisons, Orateur. Primo, vous étiez sur le point d’arriver et je voulais vous rencontrer au moins à mi-chemin pour vous prendre à bord le plus tôt possible, selon vos instructions. Comme mon vaisseau est doté d’un hyper-relais, je ne pouvais pas trop m’éloigner de Trevize et Pelorat sans éveiller les soupçons de Terminus mais j’ai estimé que je pouvais prendre le risque de m’écarter jusqu’ici. Secundo, quand il fut clair que Trevize approchait de Gaïa très lentement, j’ai jugé que j’avais le temps de venir au-devant de vous pour hâter notre rencontre sans être dépassé par les événements, d’autant que vous seriez plus compétent que moi pour suivre Trevize jusque sur la planète et éventuellement prendre en main la situation en cas de pépin.
— Tout à fait exact. Et la troisième raison ?
— Depuis notre dernier contact, Orateur, il s’est produit une chose aussi inattendue qu’inexplicable. J’ai senti que – pour cette raison, aussi – j’avais intérêt à précipiter autant que possible notre rencontre.
— Et cet événement aussi inattendu qu’inexplicable ?
— Une partie de la flotte de la Fondation approche des frontières de Seychelle. Mon ordinateur a repris la nouvelle d’un bulletin d’information seychellois. Au moins cinq vaisseaux de reconnaissance composent cette flottille et ils sont déjà assez puissants pour écraser Seychelle. »
Gendibal ne répondit pas tout de suite car il eût été inutile de montrer qu’il n’avait pas prévu un tel mouvement – et qu’il ne comprenait pas. Aussi, après un moment, il dit négligemment : « Vous supposez que tout ceci est en rapport avec le mouvement de Trevize vers Gaïa ?
— Cela s’est produit immédiatement après… et si B suit A, il y a pour le moins une possibilité que A soit la cause de B, dit Compor.
— Eh bien, dans ce cas, il semblerait que nous convergions tous vers Gaïa – Trevize, moi, la Première Fondation. Allons, vous avez parfaitement agi, Compor, et voici ce que vous allez faire à présent. Primo, vous allez me montrer comment fonctionne cet ordinateur et grâce à lui, comment piloter ce vaisseau. Je suis sûr que ça ne prendra pas longtemps.
« Après cela, vous passerez à bord de mon vaisseau, vu qu’entre-temps je vous aurai par suggestion appris son maniement. Vous n’aurez aucun mal à le manœuvrer bien que je doive vous prévenir (comme vous l’aurez sans doute déduit de son aspect extérieur) que vous le trouverez assez primitif. Une fois que vous l’aurez en main, vous le maintiendrez ainsi en m’attendant.
— Combien de temps, Orateur ?
— Jusqu’à ce que je revienne. Je ne pense pas être parti assez longtemps pour que vous risquiez d’être à court de vivres mais si jamais je subissais un retard imprévu, vous pourrez toujours gagner quelque planète inhabitée de l’Union seychelloise et m’y attendre. Où que vous soyez, je saurai vous retrouver.
— A vos ordres, Orateur.
— Et ne vous inquiétez pas. Je suis capable de tenir tête à cette mystérieuse Gaïa et si besoin était, à ces cinq vaisseaux de la Fondation. »
Littoral Thoobing était l’ambassadeur de la Fondation sur Seychelle depuis sept ans déjà. Un poste qui ne lui déplaisait pas.
Grand et plutôt massif, il portait une épaisse moustache brune quand la mode – dans la Fondation comme à Seychelle – était plutôt aux visages imberbes. Les traits accusés, bien qu’âgé de cinquante-quatre ans seulement, il aimait à cultiver une apparente indifférence. Son attitude envers son travail n’était pas facile à cerner.
En tous les cas, il aimait assez sa fonction. Elle lui permettait de se tenir à l’écart des intrigues politiques de Terminus – ce qu’il appréciait – et lui donnait la possibilité de vivre une vie de sybarite seychellois et d’entretenir son épouse et sa fille avec un luxe auquel ils s’étaient très bien faits. Il n’avait pas du tout envie de voir son existence bouleversée.
En outre, il n’aimait pas spécialement Liono Kodell, peut-être parce que Kodell portait lui aussi la moustache, même si la sienne était plus petite, plus courte, et grisonnante. Dans le temps, ils avaient été les deux seuls personnages importants de la vie politique à arborer cet ornement pileux, ce qui avait donné matière entre eux à une espèce de rivalité. Aujourd’hui (estimait Thoobing), il n’y en avait plus ; la moustache de Kodell était minable.
Kodell était devenu directeur de la sécurité quand Thoobing était encore sur Terminus, rêvant de s’opposer à Branno dans la course pour la Mairie jusqu’au moment où sa nomination au poste d’ambassadeur l’avait mis forfait. Branno l’avait fait bien entendu par intérêt personnel mais il avait fini par lui en être reconnaissant.
Il n’avait en revanche aucune bienveillance à l’égard de Kodell. Peut-être à cause de cette amabilité outrée du personnage – cette façon qu’il avait d’être toujours si amical – même s’il venait juste de décider de quelle manière il convenait de vous trancher la gorge.
Et voilà qu’il était assis devant lui, par transmission hyperspatiale, plus chaleureux que jamais, rayonnant de bonhomie. Sa personne réelle était bien évidemment restée sur Terminus, ce qui épargna à Thoobing la nécessité de lui témoigner le moindre signe physique d’hospitalité.
« Kodell, lança-t-il, je veux qu’on fasse se retirer ces vaisseaux. »
Sourire radieux de Kodell : « Eh bien, je le voudrais autant que vous, mais la vieille a arrêté sa décision.
— On connaît vos dons de persuasion à son égard.
— Occasionnellement, peut-être. Quand elle veut bien se laisser persuader. Cette fois, pas question… Thoobing, faites votre boulot. Apaisez Seychelle.
— Je ne songe pas à Seychelle, Kodell. Je songe à la Fondation.
— Comme nous tous.
— Kodell, n’esquivez pas. Je veux que vous m’écoutiez.
— Volontiers. Mais nous sommes très débordés sur Terminus en ce moment et je ne vais pas vous écouter éternellement.
— Je serai aussi bref qu’il est possible – quand il s’agit de discuter de l’éventualité de la destruction de la Fondation. Si cette liaison hyperspatiale n’est pas sur écoute, je vous parlerai franchement.
— Elle n’est pas sur écoute.
— Alors laissez-moi poursuivre : j’ai reçu il y a quelques jours un message d’un certain Golan Trevize. J’ai souvenance d’un Trevize, dans ma jeunesse, un secrétaire d’État aux Transports.
— L’oncle du jeune homme, précisa Kodell.
— Ah ! vous connaissez donc le Trevize qui m’a envoyé ce message. D’après les renseignements que depuis j’ai pu recueillir, il s’agit d’un conseiller qui, après la résolution d’une crise Seldon, a été arrêté et envoyé en exil.
— Exactement.
— Je n’en crois rien.
— Qu’est-ce que vous ne croyez pas ?
— Qu’il ait été envoyé en exil.
— Pourquoi pas ?
— Quand, dans toute l’histoire de la Fondation, un de ses citoyens a-t-il été exilé ? demanda Thoobing. Il est arrêté ou il ne l’est pas. S’il est arrêté, il est jugé ou il ne l’est pas. S’il est jugé, il est condamné ou il ne l’est pas. S’il l’est, il est condamné à une amende, ou bien rétrogradé, disgracié, emprisonné ou exécuté. Mais on n’exile jamais personne.
— Il y a toujours une première fois.
— Non-sens. Exilé dans un vaisseau de reconnaissance militaire ? Le premier idiot venu verrait sans mal qu’il est en mission spéciale pour le compte de la vieille. Qui croit-elle pouvoir berner ?
— Et quel serait l’objet de la mission ?
— Mettons de trouver la planète Gaïa… »
Le visage de Kodell perdit quelque peu de sa bonne humeur. Une dureté inhabituelle envahit son regard. « Je sais que vous n’êtes pas outre mesure porté à croire mes déclarations, monsieur l’ambassadeur, mais je vous enjoins de me croire dans ce cas bien précis. Ni madame le Maire ni moi-même n’avions jamais entendu parler de Gaïa au moment où Trevize a été condamné à l’exil. Nous avons entendu ce nom pour la première fois l’autre jour seulement. Si vous voulez bien me croire, cette conversation pourra se poursuivre.
— Je vais tâcher d’oublier assez longtemps ma tendance au scepticisme pour accepter cela, directeur, bien que ce me soit difficile.
— C’est absolument vrai, monsieur l’ambassadeur, et si j’ai cru bon soudain d’adopter un ton officiel, c’est parce qu’une fois ces faits exposés, vous allez vous trouver face à un certain nombre de questions peut-être pas spécialement plaisantes pour vous. Vous parlez de Gaïa comme si ce monde vous était familier. Comment se fait-il que vous sachiez quelque chose que nous ignorions ? N’est-il pas de votre devoir de nous transmettre tout ce que vous pouvez apprendre dans la zone politique à laquelle vous avez été assigné ?
— Gaïa ne fait pas partie de l’Union seychelloise, répondit doucement Thoobing. En fait, elle n’existe probablement pas. Dois-je transmettre à Terminus tous les contes de fées que peuvent colporter les classes inférieures de Seychelle au sujet de Gaïa ? D’aucuns racontent que Gaïa est située dans l’hyperespace. A en croire d’autres, c’est un monde qui protège surnaturellement Seychelle. Pour d’autres encore, c’est Gaïa qui aurait envoyé le Mulet conquérir la Galaxie. Si vous avez l’intention de raconter au gouvernement de Seychelle qu’on a envoyé Trevize chercher Gaïa et que cinq vaisseaux de reconnaissance de la marine de la Fondation lui ont été dépêchés en renfort, jamais ils ne vous croiront. Le peuple peut bien croire à des contes de fées sur Gaïa mais pas le gouvernement – et ils ne seront pas convaincus que la Fondation y croit non plus. Ils auront plutôt l’impression que vous cherchez à intégrer de force Seychelle dans la Fédération de la Fondation.
— Et si c’était effectivement notre plan ?
— Ce serait une erreur fatale. Enfin, Kodell, en cinq siècles d’histoire, quand la Fondation a-t-elle mené une guerre de conquête ? Nous avons combattu pour éviter nous-mêmes d’être conquis – et nous avons perdu une fois – mais jamais aucune guerre ne s’est soldée par une extension de notre territoire. Les intégrations dans la Fédération ont toujours été l’aboutissement de négociations pacifiques. Nous ont ralliés ceux qui y trouvaient leur intérêt.
— N’est-il pas possible que Seychelle pût trouver intérêt à se rallier ?
— Jamais ils n’y consentiront tant que nos vaisseaux restent à leurs frontières. Retirez-les.
— C’est impossible.
— Kodell, Seychelle est une merveilleuse publicité pour la bienveillance de notre Fédération. Elle est quasiment enkystée dans notre territoire, sa position est totalement vulnérable et jusqu’à maintenant elle est restée libre, a pu suivre sa voie propre, allant même jusqu’à poursuivre sans encombre une politique étrangère ouvertement hostile à la Fondation. Comment pourrions-nous mieux montrer à la Galaxie que nous ne contraignons personne, que nous n’avons pour tous que des intentions amicales… Si nous nous emparons de Seychelle, on ne fera jamais que s’approprier ce qui nous appartient déjà. Après tout, nous les dominons économiquement – même si c’est une domination pacifique. Mais si nous les conquérons par les armes, cela veut dire que nous proclamons devant toute la Galaxie que nous sommes devenus expansionnistes.
— Et si je vous dis que seule Gaïa nous intéresse ?
— Alors, je ne le croirai pas plus que ne nous croira l’Union seychelloise. Cet homme, Trevize, m’envoie un message pour m’annoncer qu’il est en route pour Gaïa et me demande de le transmettre à Terminus. A mon grand regret, j’obtempère, parce que j’y suis obligé et je n’ai pas coupé la liaison hyperspatiale que la Flotte de la Fédération est déjà en mouvement… Comment comptez-vous rejoindre Gaïa sans pénétrer dans l’espace de Seychelle ?
— Mon cher Thoobing, vous ne devez sûrement pas vous écouter : ne venez-vous pas de me dire il y a seulement quelques minutes que Gaïa, si jamais elle existait, ne faisait pas partie de l’Union seychelloise ? Et je présume que vous savez que l’hyperespace est entièrement libre et ne fait partie d’aucun territoire planétaire ? Comment dans ce cas Seychelle pourrait-elle protester si nous passons du territoire de la Fondation (où nos vaisseaux se trouvent en ce moment précis) au territoire gaïen, via l’hyperespace, sans jamais, dans le processus, occuper un seul centimètre cube du territoire seychellois ?
— Seychelle n’interprétera jamais ainsi les choses, Kodell. Gaïa, si elle existe bien, est totalement englobée par l’Union seychelloise même si elle n’en fait pas politiquement partie et il y a des précédents pour estimer que de telles enclaves sont virtuellement incluses dans le territoire qui les englobe, dès lors que des vaisseaux ennemis sont impliqués.
— Nos vaisseaux ne sont pas ennemis. Nous sommes en paix avec Seychelle.
— Je vous préviens simplement que Seychelle pourrait nous déclarer la guerre. Ils ne s’attendront pas à la gagner par leur supériorité militaire, certes, mais le fait demeure que ce conflit déclenchera une vague d’activisme anti-Fondation dans toute la Galaxie. La nouvelle politique impérialiste de la Fédération encouragera le développement d’alliances contre nous. Certains membres de la Fédération commenceront à remettre en question leurs liens avec nous. Il est fort possible que l’on perde la guerre à la suite de désordres internes et il est en tout cas certain que nous renverserons le processus de croissance qui a si bien servi la Fondation depuis cinq cents ans.
— Allons, allons, Thoobing », dit Kodell, indifférent. « Vous parlez comme si cinq cents ans ne comptaient pour rien, comme si nous étions encore la Fondation du temps de Salvor Hardin en lutte contre le royaume de poche d’Anacréon. Nous sommes aujourd’hui bien plus puissants que ne le fut jamais l’Empire Galactique, même à son apogée. Une seule escadre de nos nefs serait capable de défaire toute la marine galactique, d’occuper n’importe quel secteur de la Galaxie, sans même se rendre compte qu’elle a sorti ses armes.
— Il ne s’agit pas de se battre contre l’Empire Galactique mais contre des planètes et des secteurs de notre époque.
— … Qui n’ont pas fait les mêmes progrès que nous. Nous pourrions réunir toute la Galaxie, aujourd’hui.
— D’après le Plan Seldon, nous ne pouvons pas le faire avant cinq cents ans encore.
— Le Plan Seldon sous-estime la vitesse du progrès technique. On peut le faire maintenant ! – comprenez-moi, je ne dis pas que nous allons le faire tout de suite, ni que nous devrions le faire. Je dis simplement que nous pouvons le faire.
— Kodell, vous avez passé toute votre vie sur Terminus. Vous ne connaissez pas la Galaxie. Notre flotte et notre technologie sont tout à fait capables d’écraser les forces armées de n’importe quelle autre planète, mais nous ne poumons pas gouverner une Galaxie en rébellion, complètement montée contre nous – or, c’est bien ce qui va se produire si nous nous lançons dans une conquête par la force. Retirez les vaisseaux !
— Impossible, Thoobing. Imaginez… si Gaïa n’est pas un mythe ? »
Thoobing marqua une pause, scrutant le visage de l’autre, comme avide de lire dans son esprit. « Un monde dans l’hyperespace qui ne soit pas un mythe ?
— Un monde dans l’hyperespace relève de la superstition mais même les superstitions peuvent avoir un fond de vérité. Ce type qu’on a exilé, Trevize, en parle comme si c’était une planète bien réelle dans l’espace réel. Et s’il a raison ?
— Non-sens. Je n’y crois pas.
— Non ? Essayez de me croire, rien que quelques instants. Une planète bien réelle qui accorde à Seychelle sa protection contre le Mulet et contre la Fondation !
— Mais vous êtes en pleine contradiction : comment Gaïa protège-t-elle Seychelle contre la Fondation ? Est-ce que nous ne sommes pas en train d’envoyer une flotte contre Seychelle ?
— Non. Pas contre Seychelle : contre Gaïa qui reste si mystérieuse et inconnue, qui prend un tel soin à ne pas se faire remarquer que, bien que située dans l’espace réel, elle parvient toutefois à convaincre ses voisines qu’elle se trouve dans l’hyperespace – et parvient même à éviter d’être recensée dans les mémoires du meilleur et du plus complet des atlas galactiques !
— Ce doit être un monde peu commun, donc, car il faut qu’il soit capable de manipuler les esprits.
— Et n’avez-vous pas dit il y a un moment qu’à Seychelle on racontait que Gaïa avait envoyé le Mulet conquérir la Galaxie ? Et le Mulet n’était-il pas capable de manipuler les esprits ?
— Gaïa serait-elle un monde de Mulets, par hasard ?
— Êtes-vous bien sûr que ça ne pourrait pas être le cas ?
— Pourquoi pas le siège de la renaissance d’une Seconde Fondation, tant qu’on y est ?
— Oui, pourquoi pas ? Ne devrait-on pas aller y enquêter ? »
Thoobing se dégrisa. Il avait gardé un sourire méprisant tout au long des dernières répliques mais cette fois il baissa la tête et lui lança un regard par en dessous. « Mettons que vous parliez sérieusement… une telle enquête n’est-elle pas dangereuse ?
— A votre avis ?
— Vous répondez à mes questions par d’autres questions parce que vous êtes incapable de me donner des réponses valables. A quoi serviraient des astronefs face à des Mulets ou des membres de la Seconde Fondation ? N’est-il pas plutôt probable, s’ils existent, qu’ils vous attirent dans un piège dans le but de vous détruire ? Écoutez, vous me dites que la Fondation est capable d’instaurer dès maintenant son Empire, alors que le Plan Seldon n’en est qu’à mi-parcours, et que je vous ai mis en garde contre votre précipitation en vous rappelant que les complications du Plan vous retarderaient de force au bout du compte. Peut-être que si Gaïa existe et qu’elle est bien telle que vous la décrivez, tout ceci n’est en fait qu’un moyen de provoquer ce coup de frein. Alors, faites de plein gré ce que vous serez peut-être bientôt contraint de faire. Accomplissez pacifiquement et sans effusion de sang ce que vous serez peut-être contraint d’accomplir au prix d’un lamentable désastre. Retirez vos vaisseaux.
— C’est impossible. En fait, Thoobing, madame le Maire compte en personne rejoindre la flotte, et des vaisseaux éclaireurs se sont déjà lancés dans l’hyperespace vers ce qui est censément le territoire gaïen. »
Thoobing le regarda les yeux ronds : « Alors, ça va être la guerre, moi je vous le dis.
— Vous êtes ambassadeur : à vous de l’éviter. Donnez aux Seychellois toutes les garanties qu’ils veulent. Niez toute intention belliqueuse de notre part. Dites-leur même, s’il le faut, qu’ils gagneront de toute manière à se tenir tranquilles, en attendant que Gaïa nous liquide. Vous pouvez leur raconter tout ce que vous voulez mais faites-les tenir tranquilles. »
Il se tut, scrutant le visage ébahi de Thoobing, puis dit : « Franchement, c’est tout ce que je peux vous dire. Pour autant que je sache, pas un vaisseau de la Fondation ne se posera sur une quelconque planète de l’Union seychelloise ni ne pénétrera en un point quelconque dans l’espace réel appartenant à l’Union. Toutefois, tout vaisseau de Seychelle qui s’avisera de nous défier en dehors de ses frontières – et donc à l’intérieur du territoire de la Fondation – se verra promptement réduit en poussière. Faites-leur également bien comprendre ça et tâchez qu’ils se tiennent tranquilles. En cas d’échec, vous serez personnellement tenu pour responsable. Vous avez eu jusqu’à présent une sinécure, Thoobing, mais la rigolade est terminée et les prochaines semaines se montreront décisives. Décevez-nous, et vous ne trouverez plus un seul refuge dans toute la Galaxie. »
Il n’y avait plus ni sourire ni amitié sur les traits de Kodell lorsque fut rompu le contact et que disparut son image.
Thoobing resta à regarder bouche bée l’endroit où il s’était tenu.
Golan Trevize se prit les cheveux à pleines mains, comme s’il voulait estimer au toucher l’état de ses capacités intellectuelles. Abruptement, il demanda à Pelorat : « Quel est votre état d’esprit ?
— Mon état d’esprit ? répéta Pelorat, interdit.
— Oui. Nous voilà piégés, avec notre vaisseau passé sous le contrôle de l’extérieur, et inexorablement attiré vers une planète dont on ne sait trop rien. Ressentez-vous une quelconque panique ? »
Le visage allongé de Pelorat traduisait une certaine mélancolie. « Non, dit-il, d’accord, je ne suis pas radieux. Je ressens même une certaine appréhension, c’est vrai. Mais aucune panique.
— Moi non plus. Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Pourquoi ne sommes-nous pas plus troublés que ça ?
— On s’y attendait plus ou moins, Golan. A quelque chose comme ça. »
Trevize se tourna vers l’écran. L’image demeurait en permanence fixée sur la station spatiale. Elle apparaissait plus grosse à présent. Preuve qu’ils s’en étaient rapprochés.
Par son aspect, elle ne lui parut pas spécialement impressionnante. Rien extérieurement ne révélait une superscience. A vrai dire, elle paraissait même quelque peu primitive. Et pourtant, elle s’était bel et bien emparée de leur vaisseau.
Trevize reprit : « Je suis très analytique, Janov. Très froid. Je me plais à penser que je ne suis pas un couard et que je sais me tenir sous la contrainte, mais j’avoue avoir tendance à me flatter. Comme tout un chacun. En ce moment, je devrais grimper aux murs et transpirer quelque peu… On s’attendait peut-être à quelque chose, mais ça ne change rien au fait que nous sommes impuissants et qu’on va peut-être se faire tuer…
— Je ne le pense pas, Golan. Si les Gaïens peuvent s’emparer à distance de notre vaisseau, ne pourraient-ils pas également nous liquider à distance ? Si nous sommes encore en vie…
— En vie, mais pas tout à fait intouchés : nous sommes trop calmes, je vous dis. Je pense qu’ils nous ont anesthésiés.
— Pourquoi ?
— Pour nous maintenir en bonne forme mentale, je pense. Il est possible qu’ils désirent nous interroger. Après, ils pourront toujours nous liquider…
— S’ils ont assez de jugeote pour vouloir nous interroger, ils en ont peut-être également assez pour ne pas nous tuer sans de bonnes raisons. »
Trevize se carra dans son fauteuil (qui se moula sous son poids – au moins n’avaient-ils pas empêché les sièges anatomiques de fonctionner) et posa les pieds sur le plateau du bureau où en temps normal il posait les mains pour établir le contact avec l’ordinateur. « Ils sont peut-être assez astucieux pour s’inventer ce qu’ils considéreront comme une bonne raison. Toujours est-il que s’ils ont touché à notre esprit, ce n’est que fort discrètement. Si ç’avait été le Mulet, par exemple, il nous aurait rendus avides de nous précipiter – exaltés, exultant, brûlant de toutes nos fibres de nous ruer là-bas » il indiqua la station spatiale. « Ça vous fait cet effet, Janov ?
— Certainement pas.
— Vous voyez que je suis encore en état de me livrer à un froid raisonnement analytique. Très bizarre ! Ou puis-je vraiment dire ça ? Ne suis-je pas plutôt complètement paniqué, incohérent, fou – au point d’être sous l’emprise de l’illusion que je me livre à un froid raisonnement analytique ? »
Pelorat haussa les épaules. « Vous me paraissez tout à fait sain d’esprit. Peut-être suis-je aussi fou que vous et victime de la même illusion mais ce genre d’argument ne nous mènera nulle part. Toute l’humanité pourrait très bien partager une folie commune, se trouver immergée dans une illusion commune et vivre dans un chaos commun. Il est impossible de prouver le contraire mais on n’a pas d’autre choix que de se fier à ses sens. » Et puis brusquement, il ajouta : « En fait, je me suis livré moi aussi à quelques réflexions de mon côté…
— Oui ?
— Eh bien, nous parlons de Gaïa comme si c’était peut-être un monde de Mulets – ou la renaissance de la Seconde Fondation. Ne vous est-il pas venu à l’esprit qu’une troisième solution existe, et celle-ci bien plus raisonnable que les deux premières ?
— Quelle troisième solution ? »
Pelorat sembla s’abîmer dans une réflexion intérieure. Il ne regardait pas Trevize et sa voix était basse et songeuse lorsqu’il expliqua : « Nous avons un monde – Gaïa – qui a fait de son mieux, sur une période de temps indéfinie, pour préserver un strict isolationnisme ; il n’a absolument rien fait pour établir le moindre contact avec un autre monde – pas même avec ses voisins de l’Union seychelloise. Ils possèdent une science avancée, en un sens, s’il faut ajouter foi à ces récits de destructions de flottes entières… et il est certain que leur capacité à nous contrôler en ce moment même en témoigne – et malgré tout, ils n’ont jamais fait la moindre tentative pour accroître leur puissance. Tout ce qu’ils demandent, c’est qu’on leur fiche la paix. » Trevize cligna des yeux. « Et alors ?
— Alors, tout cela est fort peu humain. Les vingt mille ans et plus de l’histoire de l’homme dans l’espace n’ont été qu’une suite ininterrompue de conquêtes et de tentatives de conquête. A peu près tous les mondes connus susceptibles d’être habités le sont effectivement. Presque tous ont dans le processus fait l’objet de dispute et tous, quasiment, ont eu, à un moment ou à un autre, l’occasion de se frotter à chacun de leurs voisins. Si Gaïa est assez inhumaine pour se montrer différente sous cet aspect, c’est peut-être qu’elle est réellement… inhumaine. »
Trevize hocha la tête : « Impossible.
— Pourquoi impossible ? » rétorqua Pelorat avec chaleur. « Je vous ai déjà dit quelle énigme posait le fait que la race humaine soit la seule intelligence évoluée de la Galaxie. Et si ce n’était pas le cas ? Ne pourrait-il pas en exister une autre – sur une seule planète – qui fût dépourvue des pulsions expansionnistes propres à l’homme ? En fait », et Pelorat s’excitait de plus en plus, « s’il y avait un million d’intelligences dans la Galaxie, mais une seule à être expansionniste – la nôtre ? Alors que toutes les autres resteraient discrètement chez elles, bien cachées…
— Ridicule ! dit Trevize. Nous aurions fini par tomber dessus. Nous aurions débarqué sur leurs mondes. Toutes ces races représenteraient tous les types et tous les stades d’avancement technique, et la plupart auraient été incapables de nous résister. Or, nous n’en avons jamais rencontré. Par l’Espace ! Nous n’avons jamais trouvé de ruines ou de débris d’une civilisation non humaine, n’est-ce pas ? Vous êtes historien, alors dites-moi ? En avons-nous trouvé ? »
Pelorat hocha la tête : « Non… Mais Golan, il pourrait en exister une ! Celle-ci !
— Je ne le crois pas. Vous dites que le nom de cette planète est Gaïa, ce qui est plus ou moins une ancienne forme dialectale du mot Terre. Comment pourrait-elle être non humaine ?
— Ce nom, Gaïa, est donné à la planète par des êtres humains – et qui sait pourquoi ? La ressemblance avec un terme ancien pourrait n’être que fortuite… Et si l’on y réfléchit, le fait même que nous ayons été attirés par Gaïa – comme vous l’avez expliqué avec force détails tout à l’heure – et que nous soyons en ce moment attirés vers elle contre notre gré, est un argument en faveur de la non-humanité des Gaïens.
— Pourquoi ? Quel rapport avec la non-humanité ?
— Leur curiosité, à notre égard – à l’égard des humains !
— Janov, vous êtes fou. Ils vivent dans une Galaxie envahie par les hommes depuis des milliers d’années. Pourquoi deviendraient-ils curieux aujourd’hui ? Pourquoi pas bien plus tôt ? Et si c’est aujourd’hui, pourquoi cet intérêt pour nous ? S’ils veulent étudier les hommes et leur culture, pourquoi ne pas étudier les mondes de Seychelle ? Pourquoi seraient-ils venus nous pêcher jusqu’à Terminus ?
— C’est peut-être la Fondation qui les intéresse.
— Absurde, dit avec violence Trevize. Janov, vous avez envie de rencontrer une intelligence non humaine et vous finirez bien par en trouver une. Mais en ce moment, j’ai bien l’impression que si on vous disait que vous alliez rencontrer des êtres non humains, peu vous importerait d’avoir été capturé, d’être réduit à l’impuissance et, qui sait, d’être promis à la mort, pourvu que ces non-humains vous laissent un petit répit, le temps de rassasier votre curiosité… »
Pelorat commença de bégayer une dénégation outrée, puis s’arrêta, prit une profonde inspiration, et dit : « Eh bien, vous avez peut-être raison, Golan, mais je persisterai tout de même encore quelque temps dans mes convictions. D’ailleurs, je ne crois pas que nous aurons longtemps à attendre pour savoir qui de nous a raison… Regardez ! »
Il indiqua l’écran. Trevize qui, dans son emportement, avait cessé de le surveiller, tourna les yeux : « Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Ne serait-ce pas un vaisseau qui décolle de la station ?
— En tout cas, c’est quelque chose, admit à contrecœur Trevize. Je n’arrive pas encore à distinguer de détails, et je ne peux pas agrandir la vue : on est au grossissement maximal. » Après un instant de pause, il reprit : « Ça m’a tout l’air d’approcher et je suppose que c’est effectivement un vaisseau. Allons-nous parier ?
— Quel genre de pari ?
— Si jamais on devait revoir Terminus, dit Trevize, sardonique, on se fait un grand dîner en invitant chacun qui l’on veut – jusqu’à concurrence, disons, de quatre convives – et l’addition sera pour moi si le vaisseau qui approche est occupé par des non-humains et pour vous, si ce sont des hommes.
— Je veux bien.
— Topez là ! » et Trevize scruta l’écran, cherchant à distinguer sur le vaisseau quelque détail significatif tout en se demandant si on pouvait raisonnablement attendre que tel détail ou tel autre pût trahir, sans discussion aucune, l’origine humaine (ou non humaine) des êtres qui étaient à son bord.
La chevelure gris acier de madame Branno était impeccablement coiffée et, à voir sa sérénité, on aurait pu la croire encore dans le palais de la Mairie. Rien en elle ne révélait qu’elle se trouvait dans l’espace lointain pour la seconde fois seulement de son existence (et la première, pour accompagner ses parents lors d’une croisière vers Kalgan, ne comptait guère : elle n’avait que trois ans à l’époque).
Elle se tourna vers Kodell : « C’est le boulot de Thoobing, après tout », dit-elle avec une insistance un peu lasse, « d’exprimer son opinion et de m’avertir. Il m’a avertie, très bien. Je ne lui reproche rien. »
Kodell (qui était monté à bord du vaisseau de Branno pour pouvoir lui parler sans les difficultés psychologiques de la représentation imagée) observa : « Il est en poste depuis trop longtemps. Il commence à penser comme un Seychellois.
— C’est le risque professionnel de la fonction d’ambassadeur, Liono. Attendons que tout ceci soit réglé et nous lui offrirons de longues vacances avant de lui redonner un poste ailleurs. C’est un homme capable – après tout, il a eu la présence d’esprit de transmettre sans retard le message de Trevize. »
Kodell esquissa un sourire : » Oui, il m’a dit l’avoir fait à contrecœur : “ Je l’ai fait parce qu’il le fallait ”, m’a-t-il avoué. Voyez-vous, madame, il était bien obligé de le faire, même contre son gré, vu que, à peine Trevize était-il entré dans l’espace seychellois, j’informais monsieur l’ambassadeur Thoobing de la nécessité de transmettre sans délai toute information le concernant.
— Oh ? » Branno se retourna sur son siège pour le dévisager plus nettement. « Et qu’est-ce qui vous a poussé à faire ça ?
— Des considérations élémentaires, pour tout dire : Trevize utilisait un astronef de la Fondation du tout dernier modèle et les Seychellois allaient fatalement le remarquer. D’autre part, c’est un jeune crétin sans aucun sens de la diplomatie et, cela aussi, ils ne manqueraient pas de le remarquer. Par conséquent, il risquait fort de s’attirer des ennuis… et s’il est une chose dont un Fondateur peut être sûr, c’est que s’il a des pépins quelconques où que ce soit dans la Galaxie, il peut toujours aller pleurer auprès du représentant local de la Fondation. Personnellement, je n’aurais vu aucun inconvénient à ce que Trevize soit dans la panade – ça lui aurait toujours mis du plomb dans la tête, pour son plus grand bien – mais vous en avez fait votre paratonnerre et, comme je voulais que vous restiez en mesure d’analyser tout éclair susceptible de le frapper, je me suis simplement assuré que le plus proche représentant de la Fondation l’aurait bien à l’œil, voilà tout.
— Je vois ! Eh bien, je comprends maintenant pourquoi Thoobing a réagi si énergiquement. Je lui avais envoyé de mon côté un avertissement similaire. Après ce concours d’interventions non concertées de notre part, on peut difficilement lui reprocher d’avoir estimé que l’approche de quelques malheureux vaisseaux de la Fondation devait signifier beaucoup plus qu’elle ne signifie en réalité… Mais comment se fait-il, Liono, que vous ne m’ayez pas consultée avant d’envoyer votre mise en garde ?
— Si je devais vous faire part de toutes mes initiatives, dit tranquillement Kodell, vous n’auriez plus le temps d’être Maire. Comment se fait-il que vous ne m’ayez pas, vous, informé de votre intention ?
— Si je vous informais de toutes mes intentions, Liono, répondit aigrement Branno, vous en sauriez beaucoup trop… Mais tout cela n’a guère d’importance, pas plus que les inquiétudes de Thoobing ou, en l’espèce, les éventuelles réactions de Seychelle. C’est surtout Trevize qui m’intéresse.
— Nos éclaireurs ont repéré Compor. Il suit Trevize et l’un comme l’autre font prudemment mouvement vers Gaïa.
— J’ai déjà les rapports complets de ces éclaireurs, Liono. Apparemment, Trevize comme Compor semblent prendre Gaïa au sérieux.
— Tout le monde ricane des superstitions concernant Gaïa, Madame, mais chacun pense quand même : “ Oui mais, si… ? ” Jusqu’à l’ambassadeur Thoobing que ça rend légèrement mal à l’aise. Ce pourrait être une astuce politique de la part de Seychelle. Une espèce de camouflage protecteur : si l’on propage ces histoires d’un monde invisible et mystérieux, les gens non seulement vont s’écarter de ce monde mais même de toutes les planètes avoisinantes – telles que celles de l’Union seychelloise.
— Vous pensez que c’est la raison pour laquelle le Mulet s’est détourné de Seychelle ?
— C’est possible.
— Vous ne croyez quand même pas que la Fondation s’est gardée de mettre la main sur Seychelle à cause de Gaïa, quand rien n’indique qu’on ait jusqu’à présent entendu parler de Gaïa ?
— J’admets qu’on ne trouve pas mention de Gaïa dans nos archives, mais il n’y a pas non plus d’autre explication à la modération dont on a pu faire preuve à l’égard de l’Union seychelloise.
— Alors, espérons que le gouvernement de Seychelle, malgré l’opinion contraire de Thoobing, s’est convaincu – au moins un minimum – de la puissance de Gaïa et de sa nature mortelle.
— Pourquoi ça ?
— Parce que dans ce cas, l’Union ne fera aucune objection à notre mouvement vers Gaïa. Moins ils apprécieront notre manœuvre et plus ils se persuaderont qu’il faut nous laisser opérer, histoire de nous voir finir dans la gueule de Gaïa. La leçon, imaginent-ils, se montrera salutaire et ne sera pas perdue pour d’éventuels envahisseurs futurs.
— S’ils avaient malgré tout raison de le croire, madame ? Si Gaïa était effectivement une menace mortelle ? »
Branno sourit. « Vous soulevez à votre tour le “ Et si ? ”, Liono, pas vrai ?
— Je dois envisager toutes les possibilités, madame, c’est mon boulot.
— Et si Gaïa est un piège mortel, Trevize s’y fera prendre. C’est son boulot, en tant que paratonnerre. Et Compor avec lui, peut-être. J’espère.
— Vous l’espérez ? Pourquoi ?
— Parce que ça les rendra trop confiants, ce qui devrait nous être utile : ils sous-estimeront notre puissance, ce qui les rendra d’autant plus faciles à manier.
— Mais si c’est nous qui sommes trop confiants ?
— Ce n’est pas le cas, dit Branno, catégorique.
— Ces Gaïens, quels qu’ils soient, représentent peut-être une chose dont on n’a aucune idée, si bien que nous sommes incapables d’estimer le danger qu’ils représentent. Je me permets simplement cette suggestion, madame, parce que même cette possibilité devrait être prise en compte.
— Vraiment ? Pourquoi une telle idée vous est-elle entrée dans la tête, Liono ?
— Parce que je crois que vous pensez que, dans le pire des cas, Gaïa est la Seconde Fondation. Je vous soupçonne de croire effectivement qu’ils sont la Seconde Fondation. Pourtant, Seychelle a une histoire intéressante, même sous l’Empire : Seychelle était la seule, déjà à l’époque, à bénéficier de mesures d’exception. Seychelle a été la seule à passer au travers des plus lourdes taxes décrétées sous le règne des prétendus mauvais empereurs. En bref, Seychelle semble avoir eu la protection de Gaïa, même à l’époque impériale.
— Bon, et alors ?
— Mais la Seconde Fondation a été créée par Hari Seldon au même moment que notre Fondation voyait le jour. La Seconde Fondation n’existait pas sous l’Empire – Gaïa, si. Par conséquent, Gaïa ne peut pas être la Seconde Fondation. C’est quelque chose d’autre – et il est bien possible que ce soit quelque chose de pire.
— Je ne compte pas me laisser terrifier par l’inconnu, Liono. Il n’y a que deux sources possibles de danger : les armes physiques, et les armes mentales. Et nous savons parfaitement nous prémunir contre les unes et les autres… Vous allez regagner votre vaisseau et maintenir vos unités stationnées aux frontières de Seychelle. Ce vaisseau fera seul mouvement vers Gaïa mais restera en contact permanent avec vous ; et je compte vous voir nous rejoindre en un seul saut, si nécessaire.
« Allez, Liono, et ne faites pas cette tête-là.
— Une dernière question… Êtes-vous bien sûre de savoir ce que vous faites ?
— Oui. » Sa voix était résolue. « Moi aussi, j’ai étudié l’histoire de Seychelle et j’ai pu voir tout comme vous que Gaïa ne pouvait pas être la Seconde Fondation mais, comme je vous l’ai dit, je dispose des rapports intégraux de nos éclaireurs et, à leur lumière…
— Oui ?
— Eh bien, j’ai pu localiser la Seconde Fondation et nous allons nous occuper des deux, Liono. D’abord de Gaïa. Ensuite, de Trantor. »