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Cantonné depuis une demi-heure dans mon réduit, derrière le massif de plantes, j’étais occupé à écouter la conversation du petit garçon et de la fillette à trois cent mille roubles de dot, quand, soudain, je vis entrer Julian Mastakovitch. Celui-ci, profitant de la bataille qui venait d’éclater entre les enfants dans le grand salon, s’était, lui aussi, réfugié dans le petit. Je venais de l’apercevoir causant longuement avec le papa du futur riche parti et il restait songeur, ayant l’air de compter sur ses doigts.


– Trois cents… trois cents, murmurait-il. Onze… douze… treize… etc… Seize! cela fait cinq ans. Admettons quatre du cent… cinq fois douze cela ferait soixante… de ces soixante, admettons que dans cinq ans tout cela fasse quatre cent mille, oui… mais cette canaille ne prête certainement pas à quatre du cent! Huit et même dix, s’il vous plaît! Donc, cinq cent mille au bas mot… le restant en chiffons.


Ayant terminé ses comptes, le dignitaire se moucha et voulut déjà quitter la pièce quand soudain son regard tomba sur la petite fille. J’étais sans doute bien dissimulé par les plantes car il ne me vit point, mais je vis aussitôt une singulière agitation se peindre sur ses traits. Était-ce le calcul qui agissait ou bien autre chose? mais il se frotta les mains avec satisfaction et au moment où il lançait un regard décisif sur la future fiancée, son agitation grandit encore.


Avant de se diriger vers l’endroit où se trouvaient les deux enfants, il inspecta les alentours d’un rapide coup d’œil. Puis, marchant sur la pointe des pieds, comme s’il s’était senti en faute, Julian Mastakovitch s’approcha du petit couple. Un sourire doucereux fleurissant sa figure ronde, il se baissa pour déposer un tendre baiser sur la tête de la fillette.


Celle-ci, qui ne s’attendait pas à cette attaque brusquée, poussa un cri de surprise.


– Et que faites-vous donc ici, charmante enfant? chuchota-t-il.


Tout en se retournant encore une fois il tapota la joue de l’enfant.


– Nous jouons…


Julian Mastakovitch lança au garçonnet un coup d’œil dépourvu d’aménité.


– Avec lui?


Puis s’adressant au petit chevalier servant:


– Tu devrais aller au salon, mon petit, dit-il d’un ton sévère.


Voyant que, silencieux, le garçonnet ne le quittait pas des yeux, de guerre lasse, Julian Mastakovitch inspecta à nouveau les alentours et s’inclinant vers la petite fille:


– C’est une poupée que vous avez là, n’est-ce pas, chère petite enfant?


– Une poupée, répondit la fillette qui, visiblement se sentait mal à son aise.


– Et savez-vous, chère enfant, avec quoi est faite votre poupée?


– Non, je ne sais pas, répondit-elle la tête baissée.


– Avec des chiffons, petite chérie…


Ici, Julian Mastakovitch lança de nouveau au petit garçon un dur regard.


– Tu devrais aller voir tes camarades, dit-il.


Les deux enfants se serrèrent l’un contre l’autre: ils ne voulaient certes pas se séparer.


– Et savez-vous pourquoi on vous a fait cadeau de cette poupée? questionna Julian Mastakovitch d’une voix plus basse.


– Je ne sais pas.


– C’est parce que vous êtes une enfant très gentille.


Ce disant, le dignitaire, dont l’émoi n’était plus à dissimuler, regarda tout autour de lui et, baissant de plus en plus la voix qui maintenant tremblait:


– M’aimerez-vous, chère petite fille, si je viens rendre visite à vos parents?


Julian Mastakovitch voulut encore une fois embrasser la fillette, mais le petit garçon roussâtre, voyant que celle-ci était sur le point de pleurer, la prit par le bras et se mit lui-même à sangloter comme par compassion.


Mon personnage devint rouge de colère.


– Va-t’en d’ici, garnement, cria-t-il. Va-t’en rejoindre tes camarades.


– Non, il ne faut pas qu’il s’en aille! Partez vous-même, s’écria la petite à travers ses larmes. Laissez-le, laissez-le.

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