[1] La Porte Étroite a paru d’abord, en 1909, dans les premiers numéros de La Nouvelle Revue Française.
Il est une longue page que le romancier avait d’abord placée en tête du chapitre VIII, et qu’il décida au dernier moment de supprimer. Ce passage inédit a été publié pour la première fois par M. Pierre Mazars, dans le numéro du 21 février 1959 du Figaro Littéraire, à l’occasion du cinquantenaire de La Nouvelle Revue Française:
Mon histoire est près de sa fin. Car du récit de ma propre vie, qu’ai-je à faire? Pourquoi raconterais-je ici l’effort que, sous un nouveau ciel, je tentai pour me reprendre enfin au bonheur… Parfois, tant je m’évertuais, oubliant brusquement mon but, il me semblait encore que je ne m’efforçais que vers elle, tant j’imaginais mal un acte de vertu qui ne me rapprochât pas d’Alissa. Hélas! N’avais-je pas fait d’elle la forme même de ma vertu? C’était contre ma vertu même que, pour m’écarter d’elle, il fallait enfin me tourner. Et je me plongeais alors dans la plus absurde débauche, m’abandonnais jusqu’à l’illusion de supprimer en moi tout vouloir. Mais c’est vers le versant du souvenir qu’abandonnée retombait toujours ma pensée; et je restais alors des heures, des journées, ne m’en pouvant plus ressaisir.
Puis un affreux sursaut de nouveau m’arrachait à ma léthargie. Je reprenais élan. J’appliquais mon esprit à ruiner en moi ce qui naguère avait été l’édifice de mon bonheur, à dévaster mon amour et ma foi. Je peinais.
Dance travail s ce chaos, que pouvait valoir mon travail! Comme auparavant mon amour, le désespoir à présent semblait être l’unique lieu de mes pensées et je n’en reconnaissais aucune que ne me la présentât mon ennui. Aujourd’hui que je hais et sens que ma valeur s’est perdue, je doute si c’est par l’amour… non! mais pour avoir douté de l’amour.