II
Le docteur en pantoufles
L’inspecteur Leroy, qui avait vingt-cinq ans, ressemblait davantage à ce que l’on appelle un jeune homme bien élevé qu’à un inspecteur de police.
Il sortait de l’école. C’était sa première affaire, et depuis quelques instants il observait Maigret d’un air désolé, essayait d’attirer discrètement son attention. Il finit par lui souffler en rougissant :
— Excusez-moi, commissaire… Mais… les empreintes…
Il dut penser que son chef était de la vieille école et ignorait la valeur des investigations scientifiques car Maigret, tout en tirant une bouffée de sa pipe, laissa tomber :
— Si vous voulez…
On ne vit plus l’inspecteur Leroy, qui porta avec précaution la bouteille et les verres dans sa chambre et passa la soirée à confectionner un emballage modèle, dont il avait le schéma en poche, étudié pour faire voyager les objets sans effacer les empreintes.
Maigret s’était assis dans un coin du café. Le patron, en blouse blanche et bonnet de cuisinier, regardait sa maison du même œil que si elle eût été dévastée par un cyclone.
Le pharmacien avait parlé. On entendait des gens chuchoter dehors. Jean Servières, le premier, mit son chapeau sur sa tête.
— Ce n’est pas tout ça ! Je suis marié, moi, et Mme Servières m’attend !… A tout à l’heure, commissaire…
Le Pommeret interrompit sa promenade.
— Attends-moi ! Je vais dîner aussi… Tu restes, Michoux ?…
Le docteur ne répondit que par un haussement d’épaules. Le pharmacien tenait à jouer un rôle de premier plan. Maigret l’entendit qui disait au patron :
— … et qu’il est nécessaire, bien entendu, d’analyser le contenu de toutes les bouteilles !… Puisqu’il y a ici quelqu’un de la police, il lui suffit de m’en donner l’ordre…
Il y avait plus de soixante bouteilles d’apéritifs divers et de liqueurs dans le placard.
— Qu’est-ce que vous en pensez, commissaire ?…
— C’est une idée… Oui, c’est peut-être prudent…
Le pharmacien était petit, maigre et nerveux. Il s’agitait trois fois plus qu’il n’était nécessaire. On dut lui chercher un panier à bouteilles. Puis il téléphona à un café de la vieille ville afin qu’on aille dire à son commis qu’il avait besoin de lui.
Tête nue, il fit cinq ou six fois le chemin de l’Hôtel de l’Amiral à son officine, affairé, trouvant le temps de lancer quelques mots aux curieux groupés sur le trottoir.
— Qu’est-ce que je vais devenir, moi, si on m’emporte toute la boisson ? gémissait le patron. Et personne ne pense à manger !… Vous ne dînez pas, commissaire ?… Et vous, docteur ?… Vous rentrez chez vous ?…
— Non… Ma mère est à Paris… La servante est en congé…
— Vous couchez ici, alors ?…
Il pleuvait. Les rues étaient pleines d’une boue noire. Le vent agitait les persiennes du premier étage. Maigret avait dîné dans la salle à manger, non loin de la table où le docteur s’était installé, funèbre.
A travers les petits carreaux verts, on devinait dehors des têtes curieuses qui, parfois, se collaient aux vitres. La fille de salle fut une demi-heure absente, le temps de dîner à son tour. Puis elle reprit sa place habituelle à droite de la caisse, un coude sur celle-ci, une serviette à la main.
— Vous me donnerez une bouteille de bière, dit Maigret.
Il sentit très bien que le docteur l’observait tandis qu’il buvait, puis après, comme pour deviner les symptômes de l’empoisonnement.
Jean Servières ne revint pas, ainsi qu’il l’avait annoncé. Le Pommeret non plus. Si bien que le café resta désert, car les gens préféraient ne pas entrer et surtout ne pas boire. Dehors, on affirmait que toutes les bouteilles étaient empoisonnées.
— De quoi tuer la ville entière !…
Le maire, de sa villa des Sables-Blancs, téléphona pour savoir au juste ce qui se passait. Puis ce fut le morne silence. Le docteur Michoux, dans un coin, feuilletait des journaux sans les lire. La fille de salle ne bougeait pas. Maigret fumait, placide, et de temps en temps le patron venait s’assurer d’un coup d’œil qu’il n’y avait pas de nouveau drame.
On entendait l’horloge de la vieille ville sonner les heures et les demies. Les piétinements et les conciliabules cessèrent sur le trottoir, et il n’y eut plus que la plainte monotone du vent, la pluie qui battait les vitres.
— Vous dormez ici ? demanda Maigret au docteur.
Le silence était tel que le seul fait de parler à haute voix jeta un trouble.
— Oui… Cela m’arrive quelquefois… Je vis avec ma mère, à trois kilomètres de la ville… Une villa énorme… Ma mère est allée passer quelques jours à Paris et la domestique m’a demandé congé pour assister au mariage de son frère…
Il se leva, hésita, dit assez vite :
— Bonsoir…
Et il disparut dans l’escalier. On l’entendit qui enlevait ses chaussures, au premier, juste au-dessus de la tête de Maigret. Il ne resta plus dans le café que la fille de salle et le commissaire.
— Viens ici ! lui dit-il en se renversant sur sa chaise.
Et il ajouta, comme elle restait debout dans une attitude compassée :
— Assieds-toi !… Quel âge as-tu ?…
— Vingt-quatre ans…
Il y avait en elle une humilité exagérée. Ses yeux battus, sa façon de se glisser sans bruit, sans rien heurter, de frémir avec inquiétude au moindre mot, cadraient assez bien avec l’idée qu’on se fait du souillon habitué à toutes les duretés. Et pourtant on sentait sous ces apparences comme des pointes d’orgueil qu’elle s’efforçait de ne pas laisser percer.
Elle était anémique. Sa poitrine plate n’était pas faite pour éveiller la sensualité. Néanmoins elle attirait, par ce qu’il y avait de trouble en elle, de découragé, de maladif.
— Que faisais-tu avant de travailler ici ?…
— Je suis orpheline. Mon père et mon frère ont péri en mer, sur le dundee Trois-Mages… Ma mère est déjà morte depuis longtemps… J’ai été d’abord vendeuse à la papeterie, place de la Poste…
Que cherchait son regard inquiet ?
— Tu as un amant ?
Elle détourna la tête sans rien dire, et Maigret, les yeux rivés à son visage, fuma plus lentement, but une gorgée de bière.
— Il y a des clients qui doivent te faire la cour !… Ceux qui étaient tout à l’heure ici sont des habitués… Ils viennent chaque soir… Ils aiment les belles filles… Allons ! Lequel d’entre eux ?…
Plus pâle, elle articula avec une moue de lassitude :
— Surtout le docteur…
— Tu es sa maîtresse ?
Elle le regarda avec des velléités de confiance.
— Il en a d’autres… Quelquefois moi, quand ça lui prend… Il couche ici… Il me dit de le rejoindre dans sa chambre…
Rarement Maigret avait recueilli confession aussi plate.
— Il te donne quelque chose ?…
— Oui… Pas toujours… Deux ou trois fois, quand c’est mon jour de sortie, il m’a fait aller chez lui… Encore avant-hier… Il profite de ce que sa mère est en voyage… Mais il a d’autres filles…
— Et M. Le Pommeret ?…
— C’est la même chose… Sauf que je ne suis allée qu’une fois chez lui, il y a longtemps… Il y avait là une ouvrière de la sardinerie et… et je n’ai pas voulu ! Ils en ont de nouvelles toutes les semaines…
— M. Servières aussi ?…
— Ce n’est pas la même chose… Il est marié… Il paraît qu’il va faire la noce à Brest… Ici, il se contente de plaisanter, de me pincer au passage…
Il pleuvait toujours. Très loin hululait la corne de brume d’un bateau qui devait chercher l’entrée du port.
— Et c’est toute l’année ainsi ?…
— Pas toute l’année… L’hiver, ils sont seuls… Quelquefois ils boivent une bouteille avec un voyageur de commerce… Mais l’été il y a du monde… L’hôtel est plein… Le soir, ils sont toujours dix ou quinze à boire le champagne ou à faire la bombe dans les villas… Il y a des autos, des jolies femmes… Nous, on a du travail… L’été, ce n’est pas moi qui sers, mais des garçons… Alors je suis en bas, à la plonge…
Que cherchait-elle donc autour d’elle ? Elle était mal d’aplomb sur le bord de sa chaise et elle semblait prête à se dresser d’une détente.
Une sonnerie grêle retentit. Elle regarda Maigret, puis le tableau électrique placé derrière la caisse.
— Vous permettez ?…
Elle monta. Le commissaire entendit des pas, un murmure confus de voix au premier, dans la chambre du docteur.
Le pharmacien entra, un peu ivre.
— C’est fait, commissaire ! Quarante-huit bouteilles analysées ! Et sérieusement, je vous jure ! Aucune trace de poison ailleurs que dans le pernod et le calvados… Le patron n’aura qu’à faire reprendre son matériel… Dites donc, votre avis, entre nous ? Des anarchistes, pas vrai ?…
Emma revenait, gagnait la rue pour poser les volets, attendait de pouvoir fermer la porte.
— Eh bien ?… fit Maigret quand ils furent à nouveau seuls.
Elle détourna la tête sans répondre, avec une pudeur inattendue, et le commissaire eut l’impression que s’il la poussait un peu elle fondrait en larmes.
— Bonne nuit, mon petit !… lui dit-il.
Quand le commissaire descendit, il se croyait le premier levé, tant le ciel était obscurci par les nuages. De sa fenêtre, il avait aperçu le port désert, où une grue solitaire déchargeait un bateau de sable. Dans les rues, quelques parapluies, des cirés fuyant au ras des maisons.
Au milieu de l’escalier, il croisa un voyageur de commerce qui arrivait et dont un homme de peine portait la malle.
Emma balayait la salle du bas. Sur une table de marbre, il y avait une tasse où stagnait un fond de café.
— C’est mon inspecteur ? questionna Maigret.
— Il y a longtemps qu’il m’a demandé le chemin de la gare pour y porter un gros paquet.
— Le docteur ?…
— Je lui ai monté son petit déjeuner… Il est malade… Il ne veut pas sortir.
Et le balai continuait à soulever la poussière mêlée de sciure de bois.
— Qu’est-ce que vous prenez ?
— Du café noir…
Elle dut passer tout près de lui pour gagner la cuisine.
A ce moment, il lui prit les épaules dans ses grosses pattes, la regarda dans les yeux, d’une façon à la fois bourrue et cordiale.
— Dis donc, Emma…
Elle ne tenta qu’un mouvement timide pour se dégager, resta immobile, tremblante, à se faire aussi petite que possible.
— Entre nous, là, qu’est-ce que tu sais ?… Tais-toi !… Tu vas mentir !… Tu es une pauvre petite fille et je n’ai pas envie de te chercher des misères… Regarde-moi !… La bouteille… Hein ?… Parle, maintenant…
— Je vous jure…
— Pas la peine de jurer…
— Ce n’est pas moi !…
— Je le sais bien, parbleu, que ce n’est pas toi ! Mais qui est-ce ?…
Les paupières se gonflèrent, tout d’un coup. Des larmes jaillirent. La lèvre inférieure se souleva spasmodiquement, et la fille de salle, ainsi, était tellement émouvante, que Maigret cessa de la tenir.
— Le docteur… cette nuit ?…
— Non !… Ce n’était pas pour ce que vous croyez…
— Qu’est-ce qu’il voulait ?
— Il m’a demandé la même chose que vous… Il m’a menacée… Il voulait que je lui dise qui a touché à la bouteille… Il m’a presque battue… Et je ne sais pas ! Sur la tête de ma mère, je jure que…
— Apporte-moi mon café…
Il était huit heures du matin. Maigret alla acheter du tabac, fit un tour dans la ville. Quand il revint, vers dix heures, le docteur était dans le café, en pantoufles, un foulard passé autour du cou en guise de faux col. Ses traits étaient tirés, ses cheveux roux mal peignés.
— Vous n’avez pas l’air d’être dans votre assiette…
— Je suis malade… Je devais m’y attendre… Ce sont les reins… Dès qu’il m’arrive la moindre chose, une contrariété, une émotion, c’est ainsi que ça se traduit… Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit…
Il ne quittait pas la porte du regard.
— Vous ne rentrez pas chez vous ?
— Il n’y a personne… Je suis mieux soigné ici…
Il avait fait chercher tous les journaux du matin, qui étaient sur sa table.
— Vous n’avez pas vu mes amis ?… Servières ?… Le Pommeret ?… C’est drôle qu’ils ne soient pas venus aux nouvelles…
— Bah ! Sans doute dorment-ils toujours ! soupira Maigret. Au fait ! Je n’ai pas aperçu cet affreux chien jaune… Emma !… Avez-vous revu le chien, vous ?… Non ?… Voici Leroy, qui l’a peut-être rencontré dans la rue… Quoi de neuf, Leroy ?…
— Les flacons et les verres sont expédiés au laboratoire… Je suis passé à la gendarmerie et à la mairie… Vous parliez du chien, je crois ?… Il paraît qu’un paysan l’a vu ce matin dans le jardin de M. Michoux…
— Dans mon jardin ?…
Le docteur s’était levé. Ses mains pâles tremblaient.
— Qu’est-ce qu’il faisait dans mon jardin ?…
— A ce qu’on m’a dit, il était couché sur le seuil de la villa et, quand le paysan s’est approché, il a grogné de telle façon que l’homme a préféré prendre le large…
Maigret observait les visages du coin de l’œil.
— Dites donc, docteur, si nous allions ensemble jusque chez vous ?…
Un sourire contraint :
— Dans cette pluie ?… Avec ma crise ?… Cela me vaudrait au moins huit jours de lit… Qu’importe ce chien !… Un vulgaire chien errant, sans doute…
Maigret mit son chapeau, son manteau.
— Où allez-vous ?…
— Je ne sais pas… Respirer l’air… Vous m’accompagnez, Leroy ?
Quand ils furent dehors, ils purent voir encore la longue tête du docteur que les vitraux déformaient, rendaient plus longue tout en lui donnant une teinte verdâtre.
— Où allons-nous ? questionna l’inspecteur.
Maigret haussa les épaules, erra un quart d’heure durant autour des bassins, en homme qui s’intéresse aux bateaux. Arrivé près de la jetée, il tourna à droite, prit un chemin qu’un écriteau désignait comme la route des Sables Blancs.
— Si on avait analysé les cendres de cigarette trouvées dans le corridor de la maison vide… commença Leroy après un toussotement.
— Que pensez-vous d’Emma ? l’interrompit Maigret.
— Je… je pense… La difficulté, à mon avis, surtout dans un pays comme celui-ci, où tout le monde se connaît, doit être de se procurer une telle quantité de strychnine…
— Je ne vous demande pas cela… Est-ce que, par exemple, vous deviendriez volontiers son amant ?…
Le pauvre inspecteur ne trouva rien à répondre. Et Maigret l’obligea à s’arrêter et à ouvrir son manteau pour lui permettre d’allumer sa pipe à l’abri du vent.
La plage des Sables-Blancs, bordée de quelques villas et, entre autres, d’une somptueuse demeure méritant le nom de château et appartenant au maire de la ville, s’étire entre deux pointes rocheuses, à trois kilomètres de Concarneau.
Maigret et son compagnon pataugèrent dans le sable couvert de goémon, regardèrent à peine les maisons vides, aux volets clos.
Au-delà de la plage, le terrain s’élève. Des roches à pic couronnées de sapins plongent dans la mer.
Un grand panneau : Lotissement des Sables-Blancs. Un plan, avec, en teintes différentes, les parcelles déjà vendues et les parcelles disponibles. Un kiosque en bois : Bureau de vente des terrains.
Enfin la mention : En cas d’absence, s’adresser à M. Ernest Michoux, administrateur.
L’été, tout cela doit être riant, repeint à neuf. Dans la pluie et la boue, dans le tintamarre du ressac, c’était plutôt sinistre.
Au centre, une grande villa neuve, en pierres grises, avec terrasse, pièce d’eau et parterres non encore fleuris.
Plus loin, les ébauches d’autres villas : quelques pans de mur surgissant du sol et dessinant déjà les pièces…
Il manquait des vitres au kiosque. Des tas de sable attendaient d’être étalés sur la nouvelle route, qu’un rouleau compresseur barrait à moitié. Au sommet de la falaise, un hôtel, ou plutôt un futur hôtel, inachevé, aux murs d’un blanc cru, aux fenêtres closes à l’aide de planches et de carton.
Maigret s’avança tranquillement, poussa la barrière donnant accès à la villa du docteur Michoux. Quand il fut sur le seuil et qu’il tendit la main vers le bouton de la porte, l’inspecteur Leroy murmura :
— Nous n’avons pas de mandat !… Ne croyez-vous pas que…
Une fois de plus, son chef haussa les épaules. Dans les allées, on voyait les traces profondes laissées par les pattes du chien jaune. Il y avait d’autres empreintes : celle de pieds énormes, chaussés de souliers à clous. Du quarante-six pour le moins !
Le bouton tourna. La porte s’ouvrit comme par enchantement et l’on put relever sur le tapis les mêmes traces boueuses : celles du chien et des fameux souliers.
La villa, d’une architecture compliquée, était meublée d’une façon prétentieuse. Ce n’était partout que recoins, avec des divans, des bibliothèques basses, des lits clos bretons transformés en vitrines, des petites tables turques ou chinoises. Beaucoup de tapis, de tentures !
La volonté manifeste de réaliser, avec de vieilles choses, un ensemble rustico-moderne.
Quelques paysages bretons. Des nus signés, dédicacés : Au bon ami Michoux… Voire : A l’ami des artistes…
Le commissaire regardait ce bric-à-brac d’un air grognon, tandis que l’inspecteur Leroy n’était pas sans se laisser impressionner par cette fausse distinction.
Et Maigret ouvrait les portes, jetait un coup d’œil dans les chambres. Certaines n’étaient pas meublées. Le plâtre des murs était à peine sec.
Il finit par pousser une porte du pied et il eut un murmure de satisfaction en apercevant la cuisine. Sur la table de bois blanc, il y avait deux bouteilles à bordeaux vides.
Une dizaine de boîtes de conserve avaient été ouvertes grossièrement, avec un couteau quelconque. La table était sale, graisseuse. On avait mangé, à même les boîtes, des harengs au vin blanc, du cassoulet froid, des cèpes et des abricots.
Le sol était maculé. Il y traînait des restes de viande. Une bouteille de fine champagne était cassée et l’odeur d’alcool se mêlait à celle des aliments.
Maigret regarda son compagnon avec un drôle de sourire.
— Vous croyez, Leroy, que c’est le docteur qui a fait ce repas de cochon ?…
Et comme l’autre, sidéré, ne répondait pas :
— Sa maman non plus, je l’espère !… Ni même la domestique !… Tenez !… Vous qui aimez les empreintes… Ce sont plutôt des croûtes de boue, qui dessinent une semelle… Pointure quarante-cinq ou quarante-six… Et les traces du chien !…
Il bourra une nouvelle pipe, prit les allumettes au soufre sur une étagère.
— Relevez-moi tout ce qu’il y a à relever ici dedans !… Ce n’est pas la besogne qui manque… A tout à l’heure !…
Il s’en alla les deux mains dans les poches, le col du pardessus relevé, le long de la plage des Sables-Blancs.
Quand il pénétra à l’Hôtel de l’Amiral, la première personne qu’il aperçut fut, dans son coin, le docteur Michoux, toujours en pantoufles, non rasé, son foulard autour du cou.
Le Pommeret, aussi correct que la veille, était assis à côté de lui, et les deux hommes laissèrent avancer le commissaire sans mot dire.
Ce fut le docteur qui articula enfin d’une voix mal timbrée :
— Vous savez ce qu’on m’annonce ?… Servières a disparu… Sa femme est à moitié folle… Il nous a quittés hier au soir… Depuis lors, on ne l’a pas revu…
Maigret eut un haut-le-corps, non pas à cause de ce qu’on lui disait, mais parce qu’il venait d’apercevoir le chien jaune, couché aux pieds d’Emma.