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Brume sa dressa, dessinant une ligne blanche sur fond noir. Le cobra siffla, oscillant, et Sable lui fit écho en faisant tinter ses sonnettes d’alarme. Alors, Serpent entendit un bruit de sabots assourdi par le désert, et elle en sentit la vibration sur ses paumes. Frappant le sol, elle fit la grimace et inspira fortement. Autour de la double perforation produite par la morsure de la vipère des sables, sa main portait un grand bleu qui allait du poignet aux jointures des doigts, l’ecchymose ne s’étant résorbée que sur les bords. Sa main droite endolorie s’étant réfugiée sur ses genoux, elle frappa deux fois sur le sol avec sa main gauche. Sable se calma, cessant d’agiter ses sonnettes avec frénésie, et le crotale, quittant une plaque chaude de roche noire volcanique, glissa vers sa maîtresse. De nouveau, Serpent frappa deux fois le sol. Apaisée par ces vibrations qui étaient pour elle un signal familier. Brume s’abaissa lentement et referma son capuchon.

Le bruit de sabots cessa. Serpent entendit des voix provenant de la lisière de l’oasis, où se dressaient les masses sombres des tentes cachées par un affleurement rocheux. Sable s’enroula sur son avant-bras et Brume rampa jusqu’à ses épaules. Sève aurait dû être lové autour de son poignet ou autour de sa gorge comme un collier d’émeraudes, mais Sève n’était plus.

Un cheval s’avançait vers Serpent. La faible lueur émanant des lanternes bioluminescentes et de la lune masquée par les nuages luisait sur les menues gouttes d’eau que faisait jaillir le cheval bai en traversant l’étang peu profond de l’oasis. L’animal respirait bruyamment par ses naseaux distendus. Les rênes avaient fait écumer la sueur de son encolure. La lumière du feu faisait danser des flammes écarlates sur l’or de la bride et illuminait le visage que Serpent découvrit.

— Vous êtes guérisseuse ?

— Je m’appelle Serpent.

Peut-être avait-elle perdu le droit de se donner ce nom, mais elle répugnait à reprendre son nom d’enfant.

— Je m’appelle Merideth.

Sautant à terre, Merideth se dirigea vers Serpent, mais s’arrêta en voyant Brume dresser la tête.

— Vous n’avez rien à craindre d’elle.

Merideth s’approcha.

— L’une de mes partenaires est blessée. Voulez-vous venir ?

Serpent dut faire un effort pour répondre sans hésiter.

— Oui, bien sûr.

Elle redoutait d’avoir à assister un mourant sans pouvoir rien faire pour soulager sa peine. Elle s’agenouilla pour remettre Brume et Sable dans la sacoche de cuir. Glissant sur ses mains, leurs écailles fraîches dessinèrent des arabesques sur le bout de ses doigts.

— Mon poney boîte, il faudra que j’emprunte un cheval.


Ecureuil, le poney tigré, était enfermé dans un enclos du camp où Merideth venait de s’arrêter. Serpent n’avait aucun souci à se faire à cet égard : Grum, la caravanière, en prenait grand soin, ses petits enfants le nourrissaient et l’étrillaient princièrement. S’il venait un forgeron en l’absence de Serpent, Grum se chargerait de faire referrer l’animal, et sans doute allait-elle lui prêter un cheval.

— Nous n’avons pas le temps, dit Merideth. Ces petits chevaux du désert sont trop lents. Ma jument nous portera vous et moi.

La monture de Merideth respirait normalement en dépit de la sueur qui séchait sur ses épaules. Tête haute, oreilles dressées, cou cambré, la jument, c’était un fait, avait fière allure. Elle était certes plus racée que les poneys des caravanes du désert, beaucoup plus grande qu’Ecureuil. Son harnachement était aussi surchargé d’ornements que les vêtements de Merideth étaient sobres.

Serpent ferma la sacoche de cuir, puis revêtit la tenue dont on lui avait fait présent chez Arevin, tunique et foulard de tête. Elle était à tout le moins reconnaissante à ces gens-là de lui avoir procuré ces vêtements, car leur tissu, à la fois solide et léger, constituait une excellente protection contre la chaleur, le sable et la poussière.

Merideth sauta à cheval, libéra les étriers et tendit la main à Serpent. Mais à son approche le cheval dilata ses naseaux et fit un écart, indisposé par l’odeur musquée des serpents. De ses mains douces, Merideth l’immobilisa sans réussir à le calmer. Serpent sauta derrière la selle. Les muscles de la jument saillirent et elle se lança au galop en faisant gicler l’eau de l’étang. Serpent en fut éclaboussée, et elle serra les cuisses sur les flancs humides de la jument. Celle-ci passa ensuite au milieu d’arbres délicats, effleurée par leurs frondaisons diaprées d’ombre, et soudain le désert s’ouvrit jusqu’à l’horizon.

Serpent tenait sa sacoche de la main gauche ; la droite ne lui assurait pas encore une prise assez ferme. Une fois disparus les feux et les reflets de l’eau, elle y voyait à peine. Le sable noir absorbait la lumière et la transformait en chaleur. La jument allait son galop. Les décorations intriquées de sa bride tintaient faiblement et le sable crissait sous les sabots. Serpent sentait la sueur imprégner son pantalon, coller à ses genoux et ses cuisses. N’étant plus protégée par les arbres de l’oasis, elle était cinglée par le sable que le vent soulevait. Elle lâcha la taille de Merideth juste le temps de rabattre son foulard sur son nez et sa bouche.

Bientôt le sable fit place à une pente pierreuse. La jument l’escalada et déboucha sur un terrain rocheux plus stable. Merideth mit sa monture au pas.

— Il serait dangereux d’aller trop vite. Nous aurions vite fait de tomber dans une crevasse.

La voix de Merideth trahissait une forte tension nerveuse.

Leur itinéraire croisait de grandes crevasses et fissures de roc fondu transformé en basalte par le refroidissement. Des grains de sable frémissaient sur le sol aride aux douces ondulations, qui sonnait le creux sous les fers de la jument, et ce bruit se répercutait en échos lorsqu’elle se recevait après avoir franchi une fissure.

Plus d’une fois Serpent fut tentée de demander à Merideth ce qui était arrivé à son amie, mais elle s’en abstint. La plaine rocheuse interdisait la conversation, car sa traversée exigeait une attention soutenue.

D’ailleurs c’était une question qu’elle appréhendait de poser : elle craignait de savoir.

La sacoche pesait lourdement sur sa cuisse, ballottant au rythme des longues foulées de la jument. Serpent sentait Sable se retourner dans son logement ; plût au ciel qu’il s’abstînt de faire tinter ses sonnettes de nouveau au risque d’effrayer le cheval.

La coulée de lave ne figurait pas sur la carte de Serpent, qui, au sud, s’arrêtait à l’oasis. Les routes commerciales évitaient ces coulées de lave, car elles mettaient à rude épreuve les animaux comme les hommes. Serpent se demandait s’ils parviendraient à destination avant la fin de la nuit. Sur ce roc noir la chaleur augmenterait rapidement.


Finalement la jument commença à ralentir, en dépit des constantes sollicitations de Merideth.

Bercée par la marche douce de l’animal lors du franchissement d’une large rivière au fond rocheux, Serpent faillit s’assoupir. Elle se réveilla en sursaut lorsque la jument glissa alors qu’elle descendait une longue pente basaltique. Ramenant en avant son arrière-train, faisant feu des quatre fers, projetant sa charge humaine en arrière puis en avant, elle réussit à se rétablir. Serpent agrippait à la fois sa grande sacoche et Merideth tandis qu’elle serrait l’animal entre ses genoux.

Au pied de la colline la pierraille s’amenuisa au point qu’il n’était plus nécessaire d’aller au pas. Serpent sentit les jambes de Merideth faire pression sur la jument épuisée, lui imposant un petit galop soutenu dans un canyon étroit et profond dont les hautes parois étaient formées par deux langues séparées de lave.

Des taches de lumière dansaient sur fond noir d’ébène et Serpent pensa un instant, dans sa somnolence, à des lucioles. Puis elle entendit un hennissement lointain, et les lumières obéirent soudain aux lois de la perspective : c’étaient les lanternes d’un campement. Merideth se pencha sur sa monture pour lui dire quelques mots d’encouragement. Le cheval peinait, enfonçant et trébuchant dans le sable, projetant brutalement Serpent contre le dos de Merideth. Sous le coup de ces secousses, Sable faisait tinter ses sonnettes et les parois du ravin amplifiaient ce bruit. Terrifiée, la jument s’emballa, Merideth lui lâcha la bride et, lorsqu’elle ralentit enfin, le cou ruisselant d’écume, les naseaux ensanglantés, Merideth la talonna.

Le camp semblait s’éloigner comme un mirage. Serpent souffrait à chaque inspiration comme par sympathie pour la jument. Celle-ci s’empêtrait dans le sable, tel un nageur épuisé que chaque plongée dans les hautes vagues fait suffoquer.

Parvenue à la tente, la jument chancela et s’arrêta, jambes écartées, tête basse. Serpent se laissa glisser au sol, baignée de sueur, les genoux tremblants. Merideth mit pied à terre et conduisit la guérisseuse à la tente. Le rabat d’entrée était levé, et les lanternes répandaient à l’intérieur une pâle lueur bleue.

Une fois que l’on se trouvait dans la tente, son éclairage paraissait éclatant. L’amie blessée de Merideth gisait près d’un bas-côté, le visage en feu et luisant de sueur ; ses longs cheveux bouclés d’un ton rouge brique pendaient en désordre. Le mince drap qui la recouvrait était maculé de grandes taches sombres ; mais c’était de la sueur, non du sang. Son compagnon, assis sur le sol à ses côtés, leva la tête, comme saoul de fatigue. Son visage, d’une laideur sympathique, était labouré de rides, avec de lourds sourcils rapprochés au-dessus de ses petits yeux noirs. Ses cheveux bruns hirsutes étaient ébouriffés et emmêlés.

Merideth s’agenouilla à côté de lui.

— Comment va-t-elle ?

— Elle a fini par s’endormir. Son état n’a pas changé. En tout cas, elle ne souffre pas.

Merideth prit la main du jeune homme dans la sienne et donna à la malade un baiser léger. Elle ne réagit pas. Serpent déposa sa sacoche de cuir et s’approcha ; Merideth et le jeune homme se regardaient avec des yeux sans expression, conscients de l’épuisement qui les envahissait. Le jeune homme se pencha soudain sur Merideth, et ils s’étreignirent longuement en silence.

Merideth se redressa, comme à contrecœur.

— Guérisseuse, je vous présente mes partenaires : Alex, Jesse.

Serpent prit le poignet de la malade. Son pouls était faible, un peu irrégulier. Elle avait le front fortement contusionné, mais aucune de ses pupilles n’était dilatée : elle avait peut-être eu la chance de s’en tirer avec un traumatisme bénin. Serpent écarta le drap. Les meurtrissures provenaient d’une chute sévère : acromion, paume de main, hanche, genou.

— Vous dites qu’elle s’est endormie… A-t-elle repris pleinement conscience après sa chute ?

— Nous l’avons trouvée inconsciente mais elle a repris connaissance.

Serpent acquiesça d’un signe de tête.

La malade avait tout un côté profondément écorché, et une cuisse bandée. Serpent s’efforça d’ôter le pansement avec toute la douceur possible, mais le sang séché collait à la peau.

Jesse resta immobile lorsque Serpent palpa la longue estafilade le long de sa cuisse ; elle ne changea même pas de position comme lorsqu’on est gêné dans son sommeil. La douleur ne la réveilla pas. Serpent lui passa la main sur la plante des pieds sans obtenir de réaction. Les réflexes étaient abolis.

— Elle a fait une chute de cheval, dit Alex.

— Elle ne tombe jamais de cheval, coupa Merideth, c’est le poulain qui est tombé sur elle.

Serpent fit appel au courage qui lentement l’avait abandonnée depuis la mort de Sève. Le mal paraissait irrémédiable. Elle savait de quoi Jesse souffrait ; tout ce qui lui restait à faire était de constater l’étendue du mal. Mais elle ne dit rien. Elle s’inclina pour tâter le front de la patiente. Il était froid sous la sueur ; cette grande femme était encore en état de choc.

Si elle a des lésions internes, pensa la guérisseuse, si elle est mourante…

Jesse tourna la tête, gémissant faiblement dans son sommeil.

Elle a besoin de toute l’aide que tu peux lui apporter, pensa Serpent avec colère. Et plus tu t’apitoieras sur toi-même, plus tu risqueras de lui faire du mal.

Elle avait l’impression que deux personnes distinctes et dont aucune n’était elle-même dialoguaient dans son esprit. Témoin passif de cette discussion, elle éprouva un vague soulagement lorsque la voix du devoir l’emporta en elle sur celle de la peur.

— J’ai besoin d’aide pour la retourner.

Merideth souleva les épaules de Jesse et Alex ses hanches, et ils la maintinrent sur le flanc en prenant soin, suivant les instructions de Serpent, d’éviter toute torsion de la colonne vertébrale. Une ecchymose noire s’étalait en éventail sur le bas du dos de part et d’autre des vertèbres. À l’endroit le plus sombre, l’os était broyé. La violence de la chute avait presque cisaillé la surface lisse de l’épine dorsale. Serpent sentait les esquilles qui s’étaient enfoncées dans les muscles.

— Remettez-la sur le dos, dit-elle, envahie par un sentiment d’impuissance.

Ils s’exécutèrent, puis attendirent en silence, les yeux fixés sur elle. Elle s’assit sur les talons.

Si Jesse meurt, pensa-t-elle, elle ne souffrira guère. Qu’elle meure ou qu’elle vive. Sève n’aurait pu l’aider.

— Guérisseuse… ? dit Alex.

Il devait avoir à peine vingt ans ; il était trop jeune pour être accablé de chagrin, même sur cette terre cruelle. Merideth semblait sans âge, avec sa peau basanée, ses yeux noirs, son air tantôt compréhensif, tantôt amer. Serpent regarda tour à tour les deux partenaires de la malade.

— Fracture de la colonne vertébrale, dit-elle, s’adressant plutôt à Merideth.

Merideth ploya sous ce coup de massue.

— Mais elle est vivante, cria Alex. Si elle est vivante, comment… ?

— Vous êtes sûre de ne pas vous tromper ? demanda Merideth. Pouvez-vous faire quelque chose ?

— Hélas, non ! Elle a eu de la chance de survivre. Il est impossible que les nerfs ne soient pas sectionnés. L’os n’est pas seulement fracturé, il est broyé et tordu. J’aimerais pouvoir vous dire autre chose, vous laisser espérer que les os guériront, que les nerfs sont intacts. Mais je vous mentirais.

— Elle est infirme.

— Oui, dit Serpent.

— Non ! cria Alex, saisissant le bras de Serpent. Non, pas Jesse… Je ne veux pas…

— Tais-toi, Alex, murmura Merideth.

— Je suis désolée, dit Serpent. J’aurais pu vous le cacher, mais pas bien longtemps.

Merideth dégagea le front de Jesse d’une boucle de cheveux roux.

— Non, mieux vaut savoir à quoi s’en tenir… et en prendre son parti.

— Quelle existence pour Jesse ! Elle nous en voudra.

— Tais-toi, Alex ! Aurais-tu préféré qu’elle soit tuée ?

— Non ! dit-il d’une voix douce, les yeux à terre. Mais elle, oui peut-être. Et tu le sais.

Merideth fixa Jesse silencieusement, et dit :

— Tu as raison.

Serpent vit son poing gauche se crisper et trembler.

— Alex, veux-tu t’occuper de ma jument ? Nous l’avons mise à rude épreuve.

Alex hésita, mais ce n’était pas, pensa Serpent, parce qu’il répugnait à faire ce que Merideth lui demandait.

— Très bien, Merry, dit-il et il sortit.

Serpent attendit. On entendit les pas d’Alex sur le sable, puis la marche lente du cheval.

Jesse remua et soupira dans son sommeil. Merideth fit une grimace, inspira profondément puis, malgré ses efforts pour se maîtriser, éclata soudain en violents sanglots. Ses larmes luisaient comme une rangée de diamants. Serpent lui prit la main en gage de sympathie ; enfin son poing serré se détendit.

— Je ne voulais pas qu’Alex soit témoin…

— Je sais, dit Serpent.

Alex aussi, pensa-t-elle. Ces gens savaient se préserver l’un l’autre.

— Merideth, Jesse supportera-t-elle de savoir ? Je déteste cacher quelque chose, mais…

— Elle est forte. Et trop perspicace pour être dupe.

— Très bien. Il faut que je la réveille. Elle ne doit pas dormir plus de quelques heures de suite avec cette blessure à la tête. Et il faut la retourner toutes les deux heures pour éviter l’ulcération de la peau.

— Je vais la réveiller.

Merideth se pencha sur Jesse et posa un baiser sur ses lèvres, puis, lui tenant la main, murmura son nom. Jesse mit longtemps à s’éveiller, marmonnant et repoussant Merideth.

— Ne peut-on la laisser dormir encore un peu ?

— Il est plus prudent de la réveiller un moment.

Jesse gémit, protesta faiblement, et ouvrit les yeux. Elle fixa un instant le toit de la tente, puis tourna la tête et vit Merideth.

— Merry… Je suis contente de te revoir.

Ses yeux étaient d’un brun presque noir, qui contrastait étrangement avec ses cheveux roux et son teint coloré.

— Pauvre Alex, ajouta-t-elle.

— Je sais.

— Une guérisseuse ? dit Jesse, voyant Serpent.

— Oui.

Jesse la fixa calmement et lui dit d’une voix ferme :

— J’ai la colonne fracturée ?

Merideth sursauta. Serpent hésita, mais elle ne pouvait éluder, fût-ce un court instant, une question aussi directe. À contrecœur elle acquiesça d’un signe.

Jesse se détendit d’un seul coup laissant sa tête retomber en arrière le regard fixé vers le plafond.

Merideth se pencha sur elle pour la serrer dans ses bras.

— Jesse, Jesse, ma chérie, c’est…

Mais à quoi bon en dire davantage. Merideth se blottit contre l’épaule de Jesse, étreignant son amie en silence. Jesse fixa Serpent.

— Je suis paralysée. Je ne guérirai pas.

— Je regrette, dit Serpent. Non, je ne puis vous laisser d’espoir.

Jesse ne changea pas d’expression ; peut-être avait-elle espéré être rassurée, mais son visage ne trahit aucune déception.

— Je savais que c’était une mauvaise chute. J’ai entendu des os se briser. Et le poulain ? dit-elle, s’adressant avec douceur à Merideth.

— Il était mort quand nous t’avons trouvée. Il s’est rompu le cou.

La voix de Jesse exprima un mélange de soulagement, de regret et de peur.

— Ç’a été rapide. Pour lui.

Une âcre odeur d’urine flottait dans la tente. Jesse la sentit et devint cramoisie de honte.

— Ça ne fait rien, dit Merideth, qui alla chercher un linge.

Tandis qu’on la nettoyait, Jesse détournait les yeux et restait muette.

Alex fit une rentrée circonspecte.

— La jument va bien, dit-il.

Mais son esprit était ailleurs. Il regardait Jesse, qui était encore tournée vers le bas-côté de la tente, un bras sur les yeux.

— Jesse s’y connaît pour choisir un bon cheval, dit Merideth.

En dépit de cet humour de commande, l’atmosphère était tendue à se rompre. Sous le regard fixe de ses deux partenaires, Jesse était immobile.

— Laissez-la dormir, dit Serpent, sans savoir si la malade était encore éveillée. Elle aura faim à son réveil. J’espère que vous aurez quelque chose à lui donner qui puisse lui convenir.

Leur attention figée fit place à une activité fébrile ; c’était un soulagement pour eux. Merideth fouilla dans des sacs petits et grands et en sortit de la viande séchée, des fruits secs, une gourde de cuir.

— C’est du vin… Est-ce permis ?

— Elle n’est pas gravement commotionnée, dit Serpent, donc ça ne devrait pas lui faire de mal.

Peut-être même l’alcool pourrait-il lui faire du bien, pensa-t-elle, à moins qu’elle ait le vin triste.

— Mais cette viande séchée…

— Je ferai du bouillon, dit Alex.

Sortant une marmite métallique de leur batterie de cuisine, il tira son couteau de son ceinturon et se mit à tailler un morceau de viande. Merideth versa du vin sur des morceaux de fruits ratatinés. Un parfum aigre-doux s’éleva et Serpent se rendit compte qu’elle avait soif, et aussi une faim dévorante. Les gens du désert semblaient sauter des repas sans même s’en apercevoir, mais Serpent, qui était parvenue à l’oasis deux jours auparavant – où était-ce trois ? – n’avait guère mangé depuis lors : elle dormait pour faire passer les effets de sa réaction au venin de vipère. Il était contraire aux usages de demander de la nourriture ou de l’eau dans cette région parce qu’il était encore plus impoli de n’en pas offrir. Mais on pouvait, en pareille circonstance, oublier les bonnes manières. Serpent tremblait de faim.

— Je meurs de faim, dit Merideth avec étonnement, ayant lu, semblait-il, la pensée de Serpent. Pas vous ?

— Eh bien, oui, dit Alex à contrecœur.

— Et puisque nous sommes vos hôtes…

Comme en s’excusant, Merideth tendit la gourde à Serpent sortit des bols et des fruits. Serpent but le vin épicé à la fois frais et brûlant ; elle en avala d’abord une trop grande gorgée et s’étouffa, car c’était une boisson forte. Elle en reprit et rendit la gourde à Merideth, qui but à son tour. Puis Alex versa une portion généreuse de vin dans la marmite, en avala une gorgée rapide, et sortit avec le bouillon pour le faire chauffer dehors, sur un petit réchaud à pétrole. La chaleur du désert était si oppressante qu’on ne sentait même pas celle de la flamme ; elle vacillait comme un mirage transparent sur un fond de sable noir, et de nouveau Serpent sentit la sueur lui couler sur les tempes et entre les seins. Elle s’essuya le front avec sa manche.

Ils déjeunèrent de viande séchée et de fruits, et le vin eut sur eux un effet brutal. Alex se mit à bâiller presque instantanément, mais chaque fois qu’il allait s’assoupir, il se levait en titubant et sortait pour aller remuer le bouillon de Jesse.

— Alex, va te coucher, dit enfin Merideth.

— Non, je ne suis pas fatigué.

Il remua le bouillon, le goûta, retira la marmite du feu et rentra pour laisser refroidir.

Merideth lui prit la main, l’attira vers la carpette ornée de motifs et lui dit :

— Si elle nous appelle, nous l’entendrons. Si elle remue nous irons à elle. Nous ne serons bons à rien si nous sommes trop fatigués pour tenir sur nos pieds.

— Mais je… je… Et toi ?

Alex faisait non de la tête, mais il était terrassé par la fatigue et l’alcool.

— Ta nuit a été plus dure que mon parcours à cheval. J’ai besoin de me détendre encore quelques minutes, et puis je me coucherai.

Se faisant une douce violence, Alex se coucha tout près. Merideth lui caressa les cheveux et, comme il ne tarda pas à ronfler, adressa à Serpent un regard complice et un sourire.

— Lorsqu’il s’est joint à nous, nous nous demandions, Jesse et moi-même, si nous pourrions jamais dormir avec un bruit pareil. Et maintenant ce bruit nous manquerait.

Le ronflement d’Alex était sonore et grave, interrompu par de brusques hoquets et reniflements. Serpent sourit.

— Je suppose qu’on s’habitue à tout, dit-elle.

Elle prit une dernière petite gorgée de vin et rendit la bouteille à Merideth, qui tendit la main, eut un hoquet soudain et, en rougissant, reboucha la gourde au lieu de boire.

— Je supporte mal le vin et je ne devrais jamais en prendre.

— En tout cas vous le savez. Vous êtes sans doute de ceux qui ne se donnent jamais en spectacle.

— Dans ma jeunesse… dit Merideth, que ces souvenirs égayaient, j’étais un peu braque, et pauvre par-dessus le marché. Ça ne fait pas bon ménage.

— En effet.

— Maintenant, nous sommes riches, et je suis peut-être un peu moins braque. Mais à quoi bon être riche ? L’argent ne peut sauver Jesse. Ni la sagesse.

— C’est vrai. Ni l’argent ni la sagesse ne peuvent la sauver. Ni moi non plus. Seuls, vous et Alex pouvez faire quelque chose pour elle.

— Je sais, dit Merideth d’une voix douce et triste. Mais il faudra longtemps à Jesse pour s’y habituer.

— Elle est vivante, Merideth, vivante ! Et elle a bien failli être tuée… ne devez-vous pas vous estimer heureux qu’elle soit vivante ?

— Moi, oui… Mais tu ne connais pas Jesse, dit Merideth, commençant à bredouiller. Tu ne sais pas d’où elle vient ni pourquoi elle est ici…

Merideth fixa Serpent d’un œil trouble, hésita, puis se décida à parler.

— Elle est ici parce qu’elle ne supporte pas d’être emprisonnée. Avant de vivre avec moi, elle était riche, puissante, à l’abri du danger. Mais toute son existence et tout son travail étaient organisés, programmés. Elle aurait fait partie de l’équipe dirigeante du Centre…

— La grande cité !

— Oui. Voilà ce qu’elle aurait pu être si elle avait voulu. Mais elle ne voulait pas vivre sous un ciel de pierre. Elle est sortie de la cité les mains vides. Pour forger son propre destin. Pour être libre. Et maintenant elle va se voir privée de ce qu’elle appréciait le plus. Comment pourrais-je lui dire d’être heureuse de se trouver en vie alors qu’elle sait qu’elle ne foulera plus le sable du désert, qu’elle ne pourra plus ni me trouver un diamant pour faire une boucle d’oreille à une cliente, ni flatter un cheval, ni faire l’amour ?

— Je ne sais pas, dit Serpent. Mais si vous voyez sa vie comme une tragédie, vous et Alex, c’est le plus sûr moyen d’en faire une tragédie.


Juste avant l’aube, la chaleur fléchissait, puis, avec la venue du jour, attaquait de plus belle. Le camp était en pleine ombre, mais malgré la protection de la muraille rocheuse, la chaleur pesait sur les corps.

Alex ronflait et Merideth dormait paisiblement à côté de lui, insensible à ce bruit familier, une main nerveuse repliée sur la taille d’Alex. Serpent reposait sur le sol à plat ventre, les bras écartés. Les minces poils du tapis picotaient sa joue humide de sueur. La main lui élançait. Elle ne pouvait ni dormir ni trouver le courage de se secouer.

Enfin elle succomba au sommeil et fit un rêve. Arevin apparut, plus clairement qu’à l’état de veille. C’était un rêve curieux ; avec la chasteté de l’enfance, elle toucha le bout des doigts d’Arevin, et son image commença à s’évanouir. Elle tendit les mains vers lui, désespérément. Elle se réveilla, palpitant d’excitation sexuelle, son cœur battant la chamade.

Jesse remua. Serpent resta immobile un moment, puis se leva à contrecœur. Elle jeta un regard sur les partenaires de la malade. Alex dormait profondément, oublieux de tout comme on peut l’être à son âge, mais une extrême lassitude sillonnait de rides le visage de Merideth, et la sueur collait à son visage ses brillantes boucles noires. Serpent alla s’agenouiller auprès de Jesse, qui était toujours à plat ventre, une joue sur une de ses mains, se protégeant les yeux de l’autre main.

Elle fait semblant de dormir, pensa Serpent, car son bras et ses doigts recourbés semblaient tendus plutôt que relaxés. Ou peut-être voudrait-elle, comme moi-même, dormir, dormir et oublier.

— Jesse, dit Serpent d’une voix douce. Jesse, je vous en prie.

Jesse soupira et laissa sa main tomber sur le drap.

— Il y a du bouillon pour vous lorsque vous vous sentirez la force de boire. Et du vin si vous voulez.

Jesse ébaucha un signe de tête négatif, et pourtant elle avait les lèvres sèches. Serpent voulait éviter qu’elle se déshydrate, mais elle répugnait à insister pour la faire manger.

— À quoi bon ? dit Jesse.

— Jesse…

La malade posa la main sur celle de Serpent.

— Non, c’est inutile. J’ai pensé à ce qui est arrivé. J’y ai rêvé.

Serpent remarqua que ses yeux brun foncé étaient pailletés d’or. Les pupilles étaient toutes petites.

— Je ne pourrai pas vivre ainsi. Eux non plus. Ils essaieraient… Mais alors ils se détruiraient. Guérisseuse…

— Je t’en supplie, murmura Serpent, reprise par la peur, une peur telle qu’elle n’en avait jamais éprouvée.

— Ne peux-tu m’aider ?

— À mourir, non. Ne me demande pas de t’aider à mourir !

Elle se leva d’un bond et sortit. Brutalement assaillie par la chaleur, elle ne pouvait la fuir. Les parois du canyon et des chaos rocheux s’élevaient autour d’elle.

Tête basse, tremblante, les yeux picotés par la sueur, elle s’arrêta et reprit son sang-froid. Elle avait agi sottement et elle avait honte de sa panique. Elle avait dû effrayer Jesse, mais elle n’avait pas le courage de rentrer dans la tente pour se trouver face à face avec la malade. Elle s’éloigna donc, non pas en direction du désert, où le soleil et le sable trembloteraient comme dans un rêve, mais vers une anfractuosité de la paroi du canyon qui, fermée par une palissade, formait un enclos.

Il n’était guère nécessaire, pensa Serpent, de parquer les chevaux, car ils se tenaient immobiles, tête baissée, oreilles pendantes, couverts de poussière. Ils n’agitaient même pas la queue ; il n’existait pas d’insectes dans le désert noir. Serpent se demanda où pouvait être la belle jument baie de Merideth. Elle trouvait plutôt minables les animaux de l’enclos. Suspendus à la palissade ou entassés sur le sol en désordre, leurs harnais scintillaient de métal précieux et de joyaux. Serpent posa les mains sur un des pieux joints par des cordes et appuya le menton sur ses poings.

Un bruit d’eau la fit sursauter. À l’autre bout de l’enclos, Merideth remplissait une auge de cuir soutenue par une armature de bois. Les chevaux s’animèrent, levant la tête, dressant les oreilles. Ils se mirent à courir sur le sable, au trot puis au petit galop, en un carrousel endiablé, poussant des hennissements et se lançant des ruades. Ils étaient transformés. Ils étaient beaux.

Merideth s’arrêta, tenant encore l’outre vide, les yeux sur la petite troupe de chevaux.

— Jesse est douée pour les chevaux. Pour les choisir, les dresser… Mais qu’as-tu ?

— Je regrette. J’ai dû lui faire du mal. Je n’avais pas le droit…

— De lui dire de vivre ? Quoi que tu en penses, ça me fait plaisir que tu l’aies fait.

— Peu importe ce que je lui dis. C’est à elle de décider si elle veut vivre.

Merideth fit un vague geste de la main et bâilla. Les chevaux proches de l’abreuvoir s’en écartèrent, laissant la place à d’autres. Ils se bousculèrent, vidèrent l’auge, puis restèrent à côté d’elle comme s’ils espéraient un supplément d’eau.

— Je regrette, dit Merideth. C’est tout pour l’instant.

— Vous devez avoir à transporter pour eux de grandes quantités d’eau.

— Oui, mais nous avons besoin de tous ces chevaux. Nous apportons de l’eau et nous emportons le minerai et les pierreries trouvés par Jesse.

La jument baie passa la tête au-dessus de la clôture de corde et fourra son nez sur la manche de Merideth, tendant le cou pour être grattée derrière les oreilles et sous la mâchoire.

— Depuis qu’Alex est avec nous, nous portons sur nous, en voyage, plus de… d’objets de luxe. Alex voit là un moyen d’impressionner les gens pour s’assurer leur clientèle.

— Et ça prend ?

— Oui, apparemment. Nous vivons bien maintenant. Je peux fixer le montant de mes commissions.

Serpent regardait les chevaux qui gagnaient un par un l’extrémité ombragée de l’enclos. La lueur rouge diffuse du soleil avait franchi lentement la crête de la muraille rocheuse, et Serpent sentait sa chaleur lui brûler le visage.

— À quoi penses-tu ? demanda Merideth.

— Je me demande comment donner à Jesse la volonté de vivre.

— Elle ne voudra pas d’une vie inutile. Alex et moi, nous l’aimons. Nous prendrions soin d’elle quoi qu’il nous en coûte. Mais cela ne peut lui suffire.

— Ne peut-elle se rendre utile sans avoir à marcher ?

— Son rôle est de prospecter pour nous, dit Merideth, regardant Serpent tristement. Elle a essayé de m’apprendre comment chercher et où chercher. Je comprends ce qu’elle m’explique, mais tout ce que me rapportent mes recherches ce n’est le plus souvent que du verre fondu ou de l’or qui n’en est pas.

— L’as-tu initiée à ton travail ?

— Bien sûr. Elle et moi nous faisons respectivement un peu du travail de l’autre. Mais nous avons nos talents personnels. Elle est plus douée pour ma spécialité que moi pour la sienne et j’ai plus d’aptitude pour la sienne que nous n’en avons, elle et moi, pour le travail d’Alex. Mais les gens ne comprennent pas ses motifs décoratifs, ils sont trop bizarres. Ils sont beaux.

Merideth soupira et tendit un bracelet à Serpent, sa seule parure. Il était en argent, sans pierres précieuses, fait de spires multiples, géométriques, mais sans être massif. Merideth avait raison : c’était beau, mais bizarre.

— Personne ne lui achèterait ça. Elle le sait. Je ferais n’importe quoi. Mentir s’il le faut. Mais elle ne serait pas dupe. Guérisseuse… dit Merideth en jetant son outre sur le sable. Peux-tu faire quelque chose ?

— Je peux traiter les infections, les maladies, les tumeurs. Je peux même faire les opérations que me permettent mes instruments. Mais je ne puis forcer un corps à se guérir.

— Quelqu’un le peut-il ?

— Non… Personne à ma connaissance. Personne sur cette terre.

— Tu n’es pas une mystique. Tu ne penses pas à un miracle qu’un esprit quelconque pourrait opérer. Veux-tu dire que les gens d’outreciel pourraient faire quelque chose !

— Oui, dit Serpent, lentement et comme à regret.

Elle n’avait pas cru que Merideth percevrait son amertume, en quoi elle avait eu tort. La grande cité exerçait autour d’elle son rayonnement ; c’était comme le centre d’un tourbillon mystérieux, fascinant. C’était là qu’atterrissaient parfois les gens d’outreciel. Merideth devait sans doute à Jesse d’en savoir bien davantage que Serpent sur eux et sur le Centre. La guérisseuse, quant à elle, avait dû jusque-là prendre pour argent comptant ce qu’on racontait à cet égard ; il était malaisé d’accepter le concept même de civilisation d’outreciel, lorsqu’on vivait sur une terre où il était rare de voir les étoiles.

— Peut-être pourrait-on même la guérir dans la cité, dit Serpent. Comment pourrais-je le savoir ? Ses habitants ne veulent pas nous connaître. Ils mettent une barrière entre eux et nous… et quant aux êtres d’outreciel je n’ai jamais rencontré personne qui affirme en avoir jamais vu un.

— Jesse oui.

— Pourraient-ils lui venir en aide ?

— Sa famille est puissante. Elle obtiendrait peut-être des gens d’outreciel qu’ils la transportent à un endroit où on pourrait la guérir.

— Les gens du Centre et les gens d’outreciel sont jaloux de leur science, Merideth. En tout cas ils n’ont jamais proposé de nous en faire profiler le moindrement.

Merideth, l’air sombre, tourna la tête.

— Je ne dis pas qu’il ne faut pas essayer. Cela pourrait lui donner un espoir.

— Et s’ils refusent, cet espoir sera brisé.

— Il lui faudra du temps.

Merideth réfléchit, puis répondit finalement :

— Et tu viendras, pour nous aider ?

Ce fut au tour de Serpent d’hésiter. Elle avait pris la décision de regagner son centre d’études et était prête à accepter le verdict de ses maîtres lorsqu’elle confesserait ses fautes. Elle s’était préparée à regagner la vallée. Mais elle entrevoyait maintenant la possibilité d’un autre voyage et appréhendait la difficulté de la tâche que lui proposait Merideth. Ils avaient grand besoin de quelqu’un qui sût quels soins dispenser à Jesse.

— Alors ?

— C’est entendu, je viens.

— Demandons à Jesse son avis.

Ils retournèrent à la tente. Serpent fut surprise de se sentir gagnée par l’optimisme ; elle souriait, retrouvant, lui semblait-il, un courage qui l’avait abandonnée depuis longtemps.

Dans la tente, Alex était assis auprès de Jesse. En voyant entrer Serpent, il lui lança un regard dur.

— Jesse, dit Merideth, nous avons un projet.

La malade avait été, une fois de plus, retournée avec précaution suivant les instructions de Serpent. Jesse leva les yeux avec lassitude, vieillie par les rides qui sillonnaient son front et les coins de sa bouche.

Merideth exposa son plan avec des gestes excités. Jesse écoutait, impassible. Le visage d’Alex se durcit, exprimant l’incrédulité.

— Tu perds la tête, dit-il lorsque Merideth eut terminé.

— Pas du tout ! Pourquoi dis-tu ça puisque c’est une chance à courir ?

— Qu’en pensez-vous ? dit Serpent à la malade.

— Je suis de l’avis d’Alex, dit Jesse, lentement, pesant ses mots.

— Si nous pouvons vous amener au Centre, dit Serpent, votre famille pourrait-elle vous aider ?

Jesse hésita.

— Mes cousins maîtrisent certaines techniques. Ils seraient capables de guérir une personne très gravement blessée. Mais une fracture de la colonne vertébrale ? C’est possible. Je ne sais pas. Et ils n’ont aucune raison de m’aider. Plus maintenant.

— Tu m’as toujours dit que les liens du sang sont d’une grande importance dans la cité, dit Merideth. Et tu as ta famille là-bas.

— Je les ai quittés. J’ai pris l’initiative de rompre nos liens. Pourquoi me reprendraient-ils ? Tu veux que j’aille les supplier ?

— Oui.

Jesse regarda ses longues jambes puissantes désormais inutiles. Le regard indigné d’Alex se porta d’abord sur Merideth, puis sur la guérisseuse.

— Jesse, dit Merideth, je ne puis supporter que tu veuilles te laisser mourir.

— Ma famille est très fière et j’ai blessé son orgueil en la reniant.

— Alors elle comprendra combien il t’en a coûté de faire appel à elle.

— Nous serions fous d’essayer, dit Jesse.

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