[1] Très vite les commentateurs, et d’abord la famille du «modèle» ont reconnu Charles-François-Bienvenu de Miollis (1753-1843), évêque de Digne de 1806 à 1838, dans le personnage de Hugo. De fait celui-ci s’était, dès 1834, documenté avec précision sur la famille de ce prélat (en particulier sur son frère, le général Sextus de Miollis) dont la vie et la carrière offrent beaucoup d’analogies avec celles de Mgr Bienvenu. Sans doute l’attention de Hugo avait-elle été attirée sur lui par Montalembert qui, reçu à Digne en octobre 1831 par Mgr de Miollis, était revenu enthousiaste.

[2] Sur un revenu de quinze mille livres, L’évêque ne conserve donc que le dixième: dîme inversée; voir I, 1, 6: «Je paie ma dîme, disait-il».

[3] Hugo ne dit pas à quoi: manière d’inviter le lecteur à s’interroger. L’Église, gênée par cet évêque, évangélique et fort peu épiscopal, attaqua de diverses manières le personnage. Hugo n’avait guère de peine à répondre. Voir, en particulier, «Muse, un nommé Ségur…», Les Quatre Vents de l’esprit, «Le Livre satirique» XXIX (au volume Poésie III) et la lettre ouverte à Mgr de Ségur de décembre 1872 (Actes et Paroles III, Après l’exil, au volume Politique).

[4] J. de Maistre: Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821); César de Beccaria (1738-1794): Traité des délits et des peines (1754).

[5] Trait autobiographique. Il y en a beaucoup d’autres dans le personnage.

[6] Genèse, I, 2.

[7] Cette parenté avec Charles-Louis Hugo (1667-1739), évêque in partibus de Ptolémaïs, historien lorrain, semble romanesque. Elle appartient néanmoins à la légende familiale. V. Hugo à A. Caise, le 20 mars 1867: «La parenté de l’évêque de Ptolémaïs est une tradition dans ma famille, je n’ai jamais su que ce que mon père m’en a dit. […] Les Hugo dont je descends sont, je crois, une branche cadette, et peut-être bâtarde, déchue par indigence et misère.»

[8] Outre que l’exactitude des références témoigne de la lecture assidue de ces textes par Hugo (en 1846 notamment), on notera que Dieu partage ici avec les misérables cette forme d’anonymat qui résulte de la multiplicité des noms.

[9] Ce n’est que lorsque le Christ s’ajoute aux douze apôtres qu’on est treize à table.

[10] Quelque chose comme la salle du conseil municipal. Siège des libertés bourgeoises, hôpital, logis d’un évêque qui est un juste, l’histoire de cette maison, comme celle de la famille de Mgr Bienvenu, résume le côté lumineux de l’histoire des temps modernes. Par antithèse, voir I, 7, 7.

[11] «Ceux-là veillent en vain qui gardent la demeure que Dieu ne garde pas.» Ce psaume 126, traduit par Hugo sur un de ses albums de voyage de 1839, éclaire l’énigme du titre.

[12] Lors de son voyage dans le Midi d’octobre 1839, Hugo passant par les gorges d’Ollioules près de Toulon, avait enregistré ce que la tradition locale disait de Gaspard Bes, bandit exécuté à Aix en 1781. Mais aucun Cravatte n’apparaît dans ses notes.

[13] L’ébauche de ce dialogue, et notamment de cette phrase, a été notée par Hugo sur un album de voyage de 1839.

[14] Pigault-Lcbrun (1753-1835), comédien, dramaturge, militaire, auteur enfin de romans licencieux et antireligieux. A travers ce polygraphe voltairien, Hugo vise le scepticisme médiocre des gens en place après la Révolution. Il sera l’un des auteurs favoris de Thénardier, voir I, 4, 2.

[15] Juxtaposition surprenante de grands penseurs (Pyrrhon, Hobbes) et de deux obscurs «philosophes» du XVIIIe siècle.

[16] Needham (1713-1781), raillé par Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, article Dieu, pour avoir établi et concilié génération spontanée et croyance en Dieu.

[17] «Le favorable et le funeste» ou «le permis et le défendu».

[18] Équivalent, au XIXe siècle, de notre Journal officiel, Le Moniteur publiait les débats des Assemblées mais aussi des articles d’actualité, ou d’idées. Un mixte donc du J.O. et du Monde.

[19] «Entre les coupes», ce qui se comprend soit comme «en buvant», soit «avant et après boire».

[20] Ce chapitre, ajouté en exil, fit scandale dans les milieux catholiques et bien-pensants. J. Seebacher en a donné un brillant commentaire: «Évêques et conventionnels ou La critique en présence d’une lumière inconnue», Centenaire des Misérables - 1862-1962 – Hommage à V. Hugo, Strasbourg, 1962.

[21] Le demi-anonymat de l’initiale accrédite la valeur historique du personnage dont les conventionnels Grégoire et Sergent-Marceau (première initiale choisie par Hugo: S) furent sans doute les modèles, sans l’exposer aux critiques d’inexactitude.

[22] Une loi de janvier 1816, dite d’amnistie, permettait de bannir à perpétuité les anciens conventionnels régicides.

[23] Début de la phrase du Christ: «Sinite parvulos ad me ventre» (Marc, X, 14): «Laissez venir à moi les tout-petits.»

[24] «Je suis un ver» (Psaume 21, 7): «Ego autem sum vermis, et non homo

[25] Allusion à l’attitude de Bossuet qui, après la révocation de l’édit de Nantes (1685), félicitait le roi des «conversions» opérées par l’armée, les «dragons». Après chaque abjuration de ville protestante, on chantait un Te Deum («Toi Seigneur…»: début d’un hymne d’action de grâces) solennel.

[26] Aux violences de la Terreur révolutionnaire (Carrier à Nantes, Fouquier-Tinville, Maillard, le Père Duchêne, Martin Jouve dit Jourdan-Coupe-Tête) le conventionnel oppose les «terroristes» de l’Ancien Régime, dont le célèbre marquis de Louvois qui ordonna l’incendie du Palatinat. Voir déjà la Lettre XXVII du Rhin.

[27] Hugo réécrit ici une scène de supplice racontée par Michelet (Louis XIV et la Révocation de l’édit de Nantes, chap. XX): «On liait la mère qui allaitait, et on lui tenait à distance son nourrisson qui pleurait, languissait, se mourait. Rien ne fut plus terrible; toute la nature se soulevait; la douleur, la pléthore du sein qui brûlait d’allaiter, le violent transport au cerveau qui se faisait, c’était trop. […] la tête échappait. Elle ne se connaissait plus et disait tout ce qu’on voulait pour être déliée, aller à lui et le nourrir. Mais dans ce bonheur, quels regrets! L’enfant, avec le lait, recevait des torrents de larmes.»

[28] On nomme urbanistes les clarisses qui ont adopté la règle mitigée du pape Urbain IV (1263). Sainte Claire avait fondé les clarisses en 1212.

[29] Ce synode, que Napoléon appelait le «concile d’Occident», fut ouvert le 17 juin 1811. Mgr Miollis, en manifestant son ultramontanisme, s*y trouva en opposition avec la plupart des évêques présents.

[30] C’est, presque mot pour mot, ce que Royer-Collard dit à Hugo qui sollicitait sa voix pour l’Académie française en 1836: «Nous sommes là sept ou huit vieilles gens du même âge, nous causons de notre passé. En entrant à l’Académie, vous, jeune homme, vous y apporteriez de l’air extérieur, et vous changeriez la température. Nous autres vieux, vous le savez, nous n’aimons pas les changements de température.» (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Plon, 1985, p. 618.)

[31] Ce détail est emprunté à la biographie de Mgr de Miollis.

[32] Loi du 9 novembre 1815, votée par la Chambre «introuvable», qui réprimait sévèrement les cris, discours et écrits «séditieux».

[33] Sous la Restauration, les républicains et bonapartistes appelaient la fleur de lys «crapaud» et «salsifis» la mèche nouée de la perruque réapparue en 1815.

[34] Pallium: bande de laine blanche, garnie de croix, insigne des archevêques. Rote: tribunal du Saint-Siège, composé de douze auditeurs.

[35] Tragédie jouée en 1691 de Campistron («faux Corneille»), déjà raillé par Hugo dans Les Contemplations (I, 5, Réponse à un acte d’accusation):

Sur le Racine mort le campistron pullule.

[36] Valet de Porthos dans Les Trois Mousquetaires. Sous toutes ces gloires de carton doré on reconnaît Napoléon-le-Petit.

[37] «Parce qu’elle – ou il – a beaucoup aimé.» C’est pour cette raison et en ces termes que le Christ pardonne à Marie-Madeleine (Luc, VII, 47). Appliquée ici à Myriel, la parole du Christ vaut, à plus forte raison, pour M. Madeleine et pour Fantine.

[38] Motif visuel et philosophique cher à Hugo et particulièrement important dans Les Misérables, l’ange est la figure exacte de l’homme qui aime ou est aimé. «O mon doux ange, écrit Hugo dans le Livre de l’Anniversaire pour Juliette, nous serons dans une lumière plus grande, nous ne serons pas dans un plus grand amour.

Dès ici bas, à travers l’ombre, à travers l’imperfection, à travers la matière, l’homme aime comme l’ange, il n’a pas la vie complète mais il a l’amour complet. […] Nous serons plus heureux, non plus aimants. Nos âmes auront plus de clarté, nos cœurs n’auront pas plus de flamme. Que Dieu soit béni de donner à l’homme imparfait l’amour parfait.»

[39] Le néant et l’être.

[40] Auteur d’un des livres sacrés du brahmanisme: Les Lois de Manou. Hugo possédait et avait lu la traduction des Lois de Manou publiée en 1840.

[41] Après la sainteté adamique de Mgr Bienvenu – son jardin est un Éden -, ce titre assimile le livre à une Bible et l’aventure de Jean Valjean à une Histoire Sainte.

[42] Avec le motif biblique se tisse le motif napoléonien. En cet automne 1815, Jean Valjean recommence à l’envers le «vol de l’aigle»: les hôtes empressés de l’Empereur rejettent le bagnard et l’éyêque dissident l’accueille.

[43] Le héros est donc né entre 1769 – naissance de Napoléon – et 1772 – naissance de Sophie Trébuchet, mère de V. Hugo. L’incertitude sera levée à la fin de I, 2, 3. Sur toutes les questions de chronologie – personnelle et historique – voir l’étude de Y. Gohin, «Une histoire qui date», Lire LES MISÉRABLES, J. Corti, 1985.

[44] Ici se confirme le parallélisme inverse des trajets de Napoléon Ier et de Jean Valjean.

[45] Patois des Alpes françaises. Chat de maraude.

[46] On sait qu’en 1832, Hugo avait reçu d’un inconnu un Sommaire de l’exposition de la doctrine renfermée dans les Saintes Écritures, définie par les Conciles, expliquée par les Saints Pères (Les Misérables, édition de l’Imprimerie Nationale, «Historique», t II, p. 594). C’est dans ce Sommaire que V. Hugo a coché et repris les titres et les références du traité du Mgr Bienvenu.

[47] Voir Rom., XIII, 1-7; I Pierre, II, 13; III, 7; Eph., V, 21; VI, 9; Hébr., XII, 14; XIII, 17; I Cor., VII, 25-35.

[48] Peu avant le coup d’État de 1851, une circulaire avait défini l’obéissance passive exigée de l’armée. Un poème de Châtiments intitulé A l’obéissance passive stigmatise la chose et le mot, entendu ici par antiphrase.

[49] Mauves en Vivarais, canton de Tournon (Ardèche), non loin du clos de l’Hermitage.

[50] Ce nom rappelle celui du village de Lucenay, traversé par les Hugo et les Nodier lors du voyage aux Alpes de l’été 1825, où les touristes ne trouvèrent à dévorer qu’une minuscule omelette restée légendaire dans la famille. Voir Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, ouv. cit., p. 398.

[51] Le socialiste Fourier avait donné les fromageries de Pontarlier comme modèle des associations ouvrières de l’avenir. Hugo en fait un exemple d’industrie «patriarcale», considérant depuis longtemps les propositions des socialistes utopiques comme régressives.

[52] Cette peau a existé. Victor l’avait achetée à Tüttlingen et offerte à Juliette lors de leur voyage en Forêt-Noire, en octobre 1840. «Je suis ravie de votre idée, mon Toto, de mettre votre peau de chevreuil sur le lit. Je tiens à conserver le souvenir de notre charmant petit voyage à travers la Forêt-Noire.» (Lettres de Juliette, Har Po, 1985.)

[53] Comme dans le conte du Petit Poucet. Ces sept petits enfants, abandonnés et perdus eux aussi, se retrouvent dans le Victor Hugo raconté par Adèle Hugo (ouv. cit., p. 124) pour caractériser cette fois l’abandon des enfants Hugo par leur père, en Italie: «Un soir, comme le petit Poucet entendant la détermination de ses parents de le perdre lui et ses frères, ils avaient entendu leur père, causant d’eux, exiger de leur mère qu’on mît Abel, son aîné, dans un lycée et les deux plus petits dans une école.»

[54] Actuelle rue Madame. C’est le quartier de Paris où Hugo a passé sa jeunesse, notamment rue Mézières, aboutissement de la rue du Geindre. Le nom de cette rue désigne métonymiquement la souffrance du petit. A cause du cri étouffé qui accompagne l’effort du pétrin, on nommait enfin «geindre» un apprenti boulanger.

[55] Héros-titre de la nouvelle de Hugo publiée en 1834 – voir le volume Roman I.

[56] En totale infraction aux lois du genre romanesque, cette intervention directe de l’écrivain, opposant brutalement la vérité numérique à la vraisemblance et au grief de redite ou de lieu commun, dénonce l’un par l’autre le savoir romanesque – truqué – et le savoir sociologique – abstrait: qui s’est jamais ému d’une statistique? Le texte est désigné comme le moyen nécessaire d’une connaissance véridique: exacte et efficace.

[57] La prison

[58] La conduite de l’entrepreneur de Grasse inverse la parabole des ouvriers de la dernière heure (Matthieu, XX, 1-16).

[59] Ce chandelier sera au chapitre 12 métamorphosé en chandelier d’argent, mais retrouvera sa vocation primitive dans Les mines et les mineurs (III, 7, 1).

[60] Ce tesson bleu, en rappelant La Conscience (La Légende des siècles, Première série, I, 2) évoque un œil ouvert, avant que la pièce de quarante sous ne devienne explicitement «un œil ouvert fixé sur lui» et ne rende la vue à Jean Valjean aveugle.

[61] Singulier jeu avec le mythe de la caverne – que suffit à désigner la chouette emblématique. Car Hugo conclut tout au contraire de Platon: au lieu de l’éclaircissement progressif des prisonniers philosophiques, Jean Valjean ne retrouve la vue qu’au terme des commotions alternées de la nuit noire et de l’éblouissement.

[62] L’exactitude locale des faits, que Hugo pouvait connaître par le Lesur et à laquelle E. Biré consacra tout un livre vétilleux (L’Année 1817, Champion, 1895), importe moins que leur sens. Il s’établit dans le rapport de ce livre avec Waterloo (II, 1), avec la jeunesse de Marius (III, 3 et 4) et l’évocation des années 1830-1832 (IV, 1 et 10) et avec celle des journées de juin 1848 (V, 1, 1). Il s’établit aussi dans sa valeur autobiographique puisque c’est en 1817 que débuta la carrière de Hugo. Vis-à-vis de l’histoire comme de l’œuvre du poète, l’époque reçoit ici l’aspect qui convient à l’épisode qui va suivre: celui d’une farce. Pour Hugo, toujours la poussière des faits dément apparemment le sens de l’histoire, mais ici son progrès ne parvient pas à émerger de l’«éternelle présence du passé».

[63] La précision de ce profil est peut-être l’effet d’un souvenir personnel; avec les autres élèves de la pension Cordier, Victor Hugo entendait la messe à Saint-Germain-des-Prés.

[64] Spectaculaire cérémonie, militaire et civique tenue le 1er juin 1815 au champ de Mars, pour recenser et proclamer les votes ratifiant l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire.

[65] Léger anachronisme ici. Le colonel Touquet ne publia en effet les œuvres choisies de Voltaire qu’en 1820. Les fameuses tabatières contenant le texte gravé de la Charte de 1814 ne furent vendues, elles aussi, qu’en 1820.

[66] L’Hôtel de Cluny, vendu aux enchères en 1807, était devenu la propriété d’un éditeur-imprimeur, M. Moutard.

[67] Ourika ne fut écrite qu’à partir de 1820. Son auteur, la duchesse de Duras, animait de célèbres soirées où Chateaubriand côtoyait Fontanes, Villemain, Cuvier ou Arago.

[68] V. Hugo, âgé de 15 ans alors, concourut en cachette de ses maîtres à ce prix. Son poème obtint une mention; un accessit fut attribué à Charles Loyson – voir note 80.

[69] Angoulême était en effet, pour honorer son duc, siège d’une école de marine, transférée à Brest en 1830. En novembre 1817, Hugo dédia au «héros du Midi» le poème La France au duc d’Angoulême, Grand Amiral, en tournée dans les ports de France (voir V. Hugo, Œuvres Complètes, édition chronologique sous la direction de J. Massin, t. I, p. 185).

[70] Il s’agit de Marie Caroline de Naples.

[71] Ce périodique ne commença à paraître qu’en 1818, mais la faute d’orthographe est authentique.

[72] Comme David, banni en 1816, et Carnot, proscrit après les Cent Jours et qui devait mourir en exil à Magdebourg, Arnault est une des gloires tombées de l’Empire qui avait fait de ce dramaturge un administrateur. C’est le 22 mars 1817 que la tragédie Germanicus tomba, plus, semble-t-il, sous les coups de canne que sous les sifflets. Hugo écrivit à ce sujet, le 29 mars 1817, un court poème intitulé Sur la tragédie de Germanicus – voir éd. J. Massin, t. I, p. 159.

[73] Redivivus: ressuscité. La statue rut rétablie en août 1818. Victor Hugo avait consacré une ode à cet événement qui était le sujet imposé du grand prix des Jeux Floraux, le lys d’or, qu’il remporta. Il avait assisté au transport de la statue, et y avait participé: «Victor, présent à l’opération, n’y put tenir et il fallut que sa petite main s’attelât au colosse.» (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, ouv. cit., p. 319.)

[74] Conspiration royaliste qui réunissait, dans l’été 1818, quelques officiers sur la terrasse des Tuileries en bordure de Seine. Elle visait à contraindre Louis XVIII d’abdiquer en faveur de son frère, le comte d’Artois, futur Charles X.

[75] Société secrète bonapartiste, poursuivie, jugée et acquittée en 1817.

[76] Hugo condense ici un souvenir historique – La Monarchie selon la Charte est bien de 1817 – et le souvenir personnel de ses premières visites, en mars 1820, au grand homme. Ce récit est très proche de celui, fait par Adèle, de la seconde visite: «M. de Chateaubriand se déshabilla entièrement, enleva son gilet de flanelle, son pantalon de molleton gris, ses pantoufles de maroquin vert, et dénouant de sa tête un madras, se plongea dans l’eau […]. La toilette des dents vint après. M. de Chateaubriand les avait fort belles; il avait à leur usage une trousse de dentiste, et tout en travaillant la mâchoire, il continuait la conversation.» (ouv. cit., p. 336.)

[77] Dans cet alphabet des critiques de l’époque, Hugo distingue le journaliste français Hoffman qui signait «H» en 1817, mais bien «Z» en 1824 au bas d’un article peu aimable pour les Odes du jeune poète Hugo qui échangea avec «Z», d’abord dans Le Journal des Débats puis dans La Gazette de France, toute une série d’articles, de juin à août 1824.

[78] Ces deux frères, le premier abbé, le second député, semblent bien avoir été autant de droite l’un que l’autre.

[79] Ce Pelicier, s’il n’a jamais édité Voltaire, a en revanche été le premier éditeur des Odes de V. Hugo, sans y mettre d’enthousiasme à en croire Adèle Hugo (voir le Victor Hugo raconté…, ouv. cit., p. 358).

[80] Ce lauréat de l’accessit académique – voir note 68 -, piètre albatros, incarne pour Hugo ce que la Restauration est à la société après la Révolution et l’Empire: une parodie. De même le vers qui suit inverse les termes de celui de Lemierre: «Même quand l’oiseau marche on sent qu’il a des ailes». (Voir Victor Hugo raconté…, p. 302.)

[81] Le cardinal Fesch, oncle de Napoléon, réfugié à Rome après 1815, avait refusé de se démettre de son archiépiscopat.

[82] Déjà connu en effet par quelques articles littéraires français et quelques traductions. Mais sa vraie vogue est plus tardive.

[83] Un peu plus âgé que Hugo, ce sculpteur qui fut son ami avait 28 ans en 1817 et exposait pour la première fois. Il entre dans la série – Fourier, Saint-Simon, Byron, Lamennais, le bateau à vapeur, Hugo lui-même – des signes annonciateurs, encore ignorés, du siècle qui vient.

[84] Autre souvenir recueilli par le Victor Hugo raconté… (ouv. cit., p. 128), c’est en 1821 que Hugo, introduit par le duc de Rohan, revint sur les lieux de son enfance pour y rencontrer Lamennais.

L’Institut des nobles orphelins dirigé par l’abbé Caron, qui était installé lui aussi aux Feuillantines, offre, ne serait-ce que par son nom, un singulier maillon entre le collège des Nobles, la maison d’enfance de Hugo et le couvent qui recueillera Cosette orpheline.

[85] Lancée sur la Seine en août 1816, cette invention de Jouffroy semble n’avoir rencontré qu’indifférence et se solda par un échec financier. Ce thème sera repris très largement par Hugo dans Les Travailleurs de la mer.

[86] «M. de Vaublanc, alors ministre, qui avait fait des académiciens par ordonnance, voulut être académicien par l’Académie. Il avait publié un gros lourd poème qu’il appelait Le Dernier des Césars. Il se présenta, fit des visites, etc. Au premier tour du scrutin, il n’eut que quatorze voix contre seize. M. de Roquelaure, qui avait voté pour lui, dit à haute voix: Donnez-moi un autre nom. Un ministre qui ne passe pas au premier tour ne passe pas du tout.» (Choses vues, édité par H. Juin, Gallimard, «Folio»› 1830-1846, p. 483).

[87] Métaphore désignant le locataire: le comte d’Artois, comme plus tard le «château» désignera le roi Louis-Philippe et son entourage.

[88] Le Victor Hugo raconté… a consigné l’entrevue, très encourageante et fleurie de vers, que cet académicien accorda au jeune Hugo (p. 303). Comme on sait, cette tendresse protectrice aboutit à une «collaboration» de V. Hugo aux œuvres de M. de Neuchâteau, ici reportée sur Marius (III, 6, 4).

[89] C’est en fait comme «indigne», et non «infâme», que l’élection de l’abbé Grégoire à la Chambre en 1819 fut annulée par le ministère.

[90] Royer-Collard ne sera élu à l’Académie qu’en 1827. En 1817, il est plus célèbre comme orateur à la Chambre que comme grammairien puriste.

[91] Cet établissement réapparaîtra dans Mille Francs de récompense sous le nom de «Bal des Neuf Muses, ancien Tripot Sauvage», orné, au grand plaisir de Glapieu, du buste de Napoléon, chose étonnante sous la Restauration.

[92] Village voisin de Nivelles, un des lieux de Waterloo, voir II, 1.

[93] «Prière de boutonner votre culotte avant de sortir.»

[94] Chanson anonyme, dans le goût oriental:

Chantez, enfants du rivage d’Asie.

Des mains d’Oscar j’ai reçu le mouchoir;

Brûlez pour lui les.parfums d’Arabie,

Oscar s’avance, Oscar, je vais le voir.

Autre signe de la vogue de ce prénom, Glapieu, dans Mille Francs de récompense, pour se faire ouvrir par Cyprienne, lance d’abord «Alfred», puis «Oscar». Oscar est aussi un des personnages de La Forêt mouillée.

[95] D’abord prénommée Marguerite Louet (voir plus loin «marguerite ou perle», en latin margarita signifie perle – texte annoté 62), Fantine semble l’écho décapité de «enfantine». Hugo se souvient peut-être aussi de ces fées protectrices de l’enfance, nommées Fantine par les Vaudois d’Arras, ainsi qu’aurait pu le lui apprendre, par Michelet interposé, un livre du pasteur Muston, paru en 1834, selon une hypothèse soutenue par J. Gaulmier. Sur l’onomastique des Misérables, voir d’Anne Ubersfeld, «Nommer la misère», Revue des Sciences Humaines, oct.-déc. 1974.

[96] Ce qualificatif anticipa sur 1830. C ’est en effet à la première d’Hernani que fut jeté le fameux cri: «à la guillotine, les genoux». Voir Th. Gautier, Le Gilet rouge. Ce portrait peu séduisant se complète par l’étymologie grecque du nom de Tholomyès où l’on peut lire «initié – ou initiateur – à la merde».

[97] Célèbre empoisonneur, déjà cité dans Le Dernier Jour d’un condamné (chap. XI et XII) et qui se retrouvera, parmi d’autres criminels connus, en III, 1, 7.

[98] Sur le même thème, le poème XXIII des Feuilles d’automne commence par les mêmes mots. Mais la nostalgie n’est plus ce qu’elle était car l’avenir réservé à Fantine, et la «fin» choisie par Tholomyès et ses amis, enlèvent de leur innocence à ces souvenirs.

[99] Voir, dans La Foret mouillée (1854):

BALMINETTE

Bigre de bigre!

Je me mouille les pieds! Nous sommes embourbés.

Mes brodequins tout neufs de dix francs sont flambés.

[100] Recueils de textes souvent sentimentaux, précieux par la reliure et les gravures. Madame Bovary stigmatise l’effet dévastateur sur la sensibilité féminine, et sur le goût, de cette mode venue d’Angleterre.

[101] Ce professeur de droit (1784-1854) servira encore en III, 4, 2: Oraison funèbre de Blondeau, par Bossuet, texte annoté 17.

[102] Châle fabriqué en France par la maison Ternaux, imitant le cachemire. «Boiteux»: qui n’a de palmes que d’un côté. Pour leur mariage, Victor offrit à Adèle un «cachemire français». Était-ce un «ternaux boiteux»?

[103] Il faut peut-être rapprocher ce mot de celui de Gavroche appelant Cosette «mamselle Chosette» (IV, 15, 2).

[104] «Je suis de Badajoz; l’amour m’appelle. Toute mon âme est dans mes yeux parce que tu montres tes jambes.» On ignore si cette chanson est authentique ou l’oeuvre de Hugo: indécision qui est l’effet volontaire du texte.

[105] Cet épisode rappelle à la fois l’été 1819 où les Hugo rendaient visite aux Foucher alors en villégiature à Issy, et la balançoire des Feuillantines. Double image d’Adèle qui, comme Fantine, n’aimait pas trop être balancée (voir Victor Hugo raconté…, ouv. cit., p. 134).

[106] Le jardin Beaujon, ancienne propriété du financier Beaujon, était une sorte de Luna-Park, et les «montagnes russes» y furent inaugurées le 8 juillet 1817.

[107] Molière dit, plus exactement:

… Vous faisiez sous la table

Un bruit, un triquetrac de pieds épouvantable.

(L’Étourdi, IV, 4.)

[108] Les trois fils Hugo avaient été décorés du Lys d’argent en avril 1814, peut-être en remerciement indirect à Sophie pour son rôle dans la conspiration Malet. Le Victor Hugo raconté… mentionne ce «lys d’argent suspendu à un ruban de moire blanche» (p. 259).

[109] Rue joignant la rue Saint-Martin à la rue Montorgueil, où Blanqui et Barbes résistèrent héroïquement lors de l’insurrection de la Société des Saisons, en mai 1839.

[110] Lointaine annonce du personnage de Gavroche.

[111] On croirait entendre Juliette, inspiratrice d’une bonne part du discours féminin chez Hugo. Ainsi cette lettre du 13 juillet 1835: «Homme! prenez garde à vous d’abord. Avec cela que mes nombreux couteaux sont aiguisés à frais, il pourrait bien y avoir un carnage atroce de votre chère petite personne si je découvrais la moindre infraction à la fidélité que vous me devez.» (ouv. cit., p. 23.)

La dernière phrase fait rêver quand on songe au «flagrant délit» de 1845.

[112] «Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église.» Pour la suite: Isaac signifie «qui rit» et son père, Abraham, fut pris de rire en entendant Dieu lui annoncer cette naissance; le nom du héros batailleur de la tragédie Les Sept contre Thèbes est pris par Eschyle au sens étymologique: «qui a beaucoup de querelles»; Cléopâtre répond à Antoine inquiet de voir Octave à Toryne que le nom de cette ville («cuillère à pot») montre un ennemi inoffensif.

[113] Devin argien qui combattit et mourut lors de l’expédition des «Sept contre Thèbes». Le temple élevé à sa mémoire était célèbre pour la qualité des oracles qui y étaient rendus.

[114] «Il faut de la mesure en toutes choses», disait, en fait, Horace (Satires, I. 1).

[115] Gula: la gueule; gulax signifierait «le glouton» au prix d’un barbarisme.

[116] Le questeur du parricide est le juge d’instruction dans les affaires d’homicides. Quant à Munatius Demens, jusqu’à preuve du contraire, comprenons Munatius «déraillé», comme le sera Javert.

[117] Sylla renonça au pouvoir et Origène, en se faisant émasculer, à l’amour. Tholomyès choisit d’imiter Origène plutôt que Sylla.

[118] Le père de Cosette, homme «prospère», est le seul personnage, avec Marius, à bénéficier d’un prénom romain, – comme Victor.

[119] «Et maintenant c’est toi, Bacchus [Dieu du vin] que je vais chanter»: début d’une «géorgique» de Virgile (II, 2) proche du «Nunc est bibendum»: «Maintenant, il faut boire», d’Horace.

[120] L’aphorisme latin dit: «Errare humanum est, perseverare diabolicum»: «L’erreur est humaine, y persister vient du diable.»

[121] Ce terme «franglais» de Guernesey est attesté dans les carnets de l’exil (scrober, scrobeuse, scrobage) où Hugo notait les journées de travail des servantes venues récurer et frotter escaliers et parquets.

[122] Peintre grec; mais peut-être s’appelait-il plutôt Euphronios.

[123] Voir la note 95 de ce livre. Tholomyès connaît sans doute aussi l’expression latine: «margaritas ante porcos»: «donner des perles aux cochons».

[124] Comme Léonie Biard.

[125] Épisode scolairement très connu de la légende romaine. Guillaume: le Conquérant.

[126] Jeu de mots: le Digeste est le code de l’empereur Justinien.

[127] Chanteur d’opéra comique renommé et très cher – d’où le «gratis» -, qui venait alors de se retirer.

[128] Voir, dans Les Contemplations, «Melancholia» (III, 2), mais aussi l’histoire comparable de la charrette Fauchelevent (I, 5, 6). Par image et par solidarité symbolique, cette mort d’une jument anticipe l’exécution de Fantine, seule à plaindre ce cheval mourant et assimilée à lui par Dahlia: «fichue bête».

[129] Hugo, encore adolescent, y avait participé avec Abel et Eugène à des «dîners littéraires» en 1818. Il y lut la nouvelle Bug-Jargal. Voir le Victor Hugo raconté.,, p. 311 et suiv.

[130] Dans les premières pages de L’Ane d’or, Apulée décrit un certain nombre d’auberges.

[131] «Il n’y a rien de nouveau sous le soleil.» (L’Ecclésiaste.)

[132] «L’amour est le même pour tous.» (Géorgiques, III, 244.)

[133] L’équarisseur abattait les animaux impropres à la consommation et en tirait tout ce qui pouvait être employé: os, peau, graisse, corne.

[134] Parodie du texte de Malherbe, Consolation à M. du Perier, qui peut s’appliquer aussi à Fantine:

Elle était de ce monde où les plus belles choses

Ont le pire destin

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,

L’espace d’un matin.

[135] En septembre 1845, Hugo y était passé, peut-être en compagnie de Léonie Biard, lors d’une brève et mystérieuse excursion à l’est de Paris. Dès 1827, Paul de Kock y avait situé l’action de son roman, La Laitière de Montfermeil.

[136] La source probable de la présence étrange du fardier est une chose vue, un souvenir du retour d’Espagne, l’un de très rares conservés par V. Hugo. Supprimé du Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie publié en 1863, il est connu seulement par le manuscrit de Mme Hugo: «Des auberges où il passa alors, il ne se souvient que d’une, ou, du moins, d’une cour où était une immense voiture de roulier dételée, avec des chaînes qui pendaient. Pourquoi, dans un voyage long, accidenté, où à coup sûr il se trouvait des choses curieuses et frappantes, se souvenir de cette insignifiance? N’est-ce pas là un mystère?» (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, ouv. cit., p. 243.)

[137] Romance genre troubadour Imogine et Alonzo en dix couplets, dont le premier dit:

Il le faut disait un guerrier

A la belle et tendre Imogine

Il le faut, je suis chevalier

Et je pars pour la Palestine.

Tu me pleures en ce moment,

Que ces pleurs ont pour moi de charmes!

Mais il viendra quelque autre amant

Et sa main essuiera tes larmes

Cette chanson n’est pas sans analogie avec une autre romance troubadour devenue hymne du Second Empire, Partant pour la Syrie.

[138] Hugo avait songé, et sagement renoncé à faire réapparaître le personnage. A la cérémonie de ses noces, une petite fille s’avançait – Cosette – et lui disait: «Papa!» Voir le dossier des Misérables au tome Océan-Chantier.

[139] Inventé dès la première rédaction, ce nom a peut-être été construit par dérivation sur celui de Mlle Thénard qui tenait un second rôle à la création d’Hernani. Mais voir aussi V, 9 et la note 1.

[140] Cette Pépita est un souvenir du palais Masserano, en Espagne, évoqué dans le Victor Hugo raconté… (p. 216): «Il se trouvait là une nommée Pépita, encore petite fille […]. Il y eut des idylles, me disait mon mari, dans ces grandes pièces […]». Cette jeune fille réapparaîtra dans Le Dernier Jour d’un condamné (chap. XXXIII) et dans L’Art d’être grand-père (IX, 1, Les Fredaines du grand-père enfant):

Et c’était presque une femme

Que Pépita mes amours,

L’indolente avait mon âme

Sous son coude de velours.

[141] La Thénardier dévore ce que Hugo enfant savourait chez le libraire Royol – voir III, 5, note 3.

[142] Jusqu’en 1860, elles s’appelaient Palmyre et Malvina. Plusieurs réminiscences ont pu concourir à l’adoption d’Éponine: le titre d’un livre de Delisle de Sales, Éponine ou la République , un vers des Petites Vieilles de Baudelaire évoquant la déchéance des courtisanes: «Ces monstres disloqués furent jadis des femmes, / Éponine ou Laîs…», l’histoire héroïque de cette gauloise qui – comme le demande Dona Sol – partagea le sort de son mari, Julius Sabinus, traqué par les Romains après l’échec d’une révolte, et que désigne un titre noté, par Hugo en 1860: «Éponine et Sabinus ou la généreuse épouse, roman héroïde». Ajoutons que la rime et le sens apparentent Eponine à Fantine, deux noms qui font écho à celui de Léopoldine.

[143] Arthur comme Wellington, Alfred comme de Vigny, Alphonse comme Lamartine.

[144] Ce surnom a peut-être été suggéré à Hugo par le premier nom donné à la fille de Fantine (Marguerite Louet): Anna Louet.

[145] Pourquoi cette petite ville du Pas-de-Calais? Peut-être parce que le jour que Hugo y passa, en 1837, était un 4 septembre, devenu, lorsqu’il écrit Les Misérables, l’anniversaire de la mort de Léopoldine. La veille au soir, il écrit à sa fille: «Je viens de me promener au bord de la mer en pensant à toi, mon pauvre petit ange. J’ai cueilli pour toi cette fleur dans la dune. […] Et puis, mon ange, j’ai tracé ton nom sur le sable: Didi. La vague de la haute mer l’effacera cette nuit, mais ce que rien n’effacera, c’est l’amour que ton père a pour toi.» C’est aussi à Montreuil qu’il songea, une lettre le dit, à cette loi de l’unité de la création qui deviendra un des grands thèmes de son œuvre et, fondant une universelle métaphore, un des principes de sa poétique: «Toute chose se reflète, en haut dans une plus parfaite, en bas dans une plus grossière qui lui ressemble.»

[146] Hugo s’était documenté sur cette industrie dès 1829-1830. Voir l’Historique de l’édition de l’Imprimerie nationale (t. II, p. 601).

[147] On compta 1 662 exposants à cette première des trois expositions nationales des produits de l’industrie organisées à Paris pendant la Restauration.

[148] Ces «recettes» ont quelque parenté avec les secrets, impopulaires eux, de Gilliatt dans Les Travailleurs de la mer. Les «petits ouvrages de paille» rappellent l’habileté avec laquelle Hugo lui-même fabriquait cette sorte de jouets pour ses enfants. Plus loin l’anecdote de l’ortie est une reprise, et une transformation, des deux paraboles évangéliques du grain semé (Matthieu, XIII, 1-30). Enfin un poème des Contemplations, «J’aime l’araignée et l’ortie…» (III, 27), dit le même amour pour la misérable des plantes et la misérable des bêtes.

[149] Myriel meurt la même année que Napoléon (mai 1821) et que Sophie (juin 1821).

[150] La cécité est un fantasme personnel à Hugo. Milton dans Cromwell, le poème XX du premier livre des Contemplations» «A un poète aveugle», écrit en 1842,. plus tard le personnage de Dea dans L’Homme qui rit, montrent quelle importance il faut lui donner.

[151] L’information a été notée par Hugo le 29 octobre 1846 dans le Journal de ce que j’apprends chaque jour (Choses vues, ouv. cit., 1830-1846, p. 449): «Dans certaines provinces, les paysans sont convaincus que, dans toute portée de louve il y a un chien-loup, lequel est tué par la mère, afin qu’en grandissant il ne dévore pas les autres petits.»

[152] Cette école voit dans la Révolution le châtiment providentiel de la décadence de la société au XVIIIe siècle, rachetée dans le sang. Elle propose une conception théocratique de l’État où la figure du bourreau, héroïsée, incarne le droit de tuer exercé par le Roi au nom de Dieu.

[153] Ce geste est également symbolique. Jean Valjean s’agenouille ici comme à Digne, dans la nuit suivant le vol de Petit-Gervais, devant la maison de l’évêque (I, 2, 13). Dans cette scène il est probable que Hugo investit un souvenir d’enfance: celui des grenadiers hollandais, sur la route d’Espagne, redressant la berline de Mme Hugo arrêtée au bord d’un précipice et prête à verser. (Voir le Victor Hugo raconté…, ouv. cité, p. 197.)

[154] Encore une allusion à l’épisode du «flagrant délit» de 1845?

[155] Variation sur les deux expressions: «rester de glace» et «cœur de pierre».

[156] Le portrait de Fantine en I, 3, 2 – «Elle avait de l’or et des perles pour dot, mais son or était sur sa tête et ses perles étaient dans sa bouche» – donne le prix exact de ce sacrifice: les misérables, ne possédant que leur corps, n’ont rien d’autre à vendre, ni à donner.

[157] Maladie éruptive, aussi appelée «suette miliaire», souvent mortelle, comme lors de la grave épidémie de 1821, date correspondant en effet à la maladie prétendue de Cosette.

[158] Cette formule souligne l’analogie de l’histoire de Fantine avec la «descente» décrite dans le récit de Jules Janin, Elle se vend au détail, publié en 1832.

[159] «Le Christ nous a libérés.» L’antiphrase terrible de ce titre tiré de saint Paul (Gal., V, 1) ne dit rien du Christ, mais beaucoup sur son Église.

[160] Cette description évoque un souvenir et une leçon retranscrits ainsi par Adèle: «Un nommé Gilé, un imprimeur, représentait l’élégant. C’était le temps des habits en queue de morue. Les boutons, toujours de métal, montaient jusqu’aux épaules, et la queue jusqu’à la nuque; la couleur de mode était l’olive. Les pantalons, de nankin l’été, étaient très serrés aux genoux et se terminaient en pied d’éléphant; avec cela le chapeau relevé sur l’oreille et une touffe de cheveux qui sortait du côté relevé.

«Le degré de fashion se calculait comme les quartiers de noblesse, par le nombre des passepoils du pantalon. Un seul sentait la roture. Gilé en portait quinze.

«Victor trouvait Gilé bien habillé. Il eut une pointe de coquetterie, la seule de sa jeunesse. […] Il s’aventura un jour et dit timidement à sa mère qu’il pourrait être mieux habillé. Sa mère lui dit: «Est-ce que tu vas t’occuper de cela maintenant? Quelle importance ont les habits? N’oublie pas cela: l’homme ne compte que par sa valeur morale, par l’intérieur, il n’est rien par l’extérieur.» (Victor Hugo raconté…, ouv. cit., p. 311.)

Il fallait que le sentiment de culpabilité du jeune Victor fût bien grand pour que la coquetterie soit le trait commun de trois personnages infâmes des Misérables, Tholomyès, Bamatabois et Montparnasse, entre lesquels se répartissent tous les éléments de la description de Gilé.

[161] Hugo situe à cette date de janvier 1823 une aventure dont il fut témoin et acteur le 9 janvier 1841 à Paris, aventure recueillie par sa femme qui en rédigea le récit, à tort intégré dans Choses vues (ouv. cit., 1830-1846, p. 204-208).

[162] L’épisode est d’une telle importance dans le roman qu’on est tenté d’y voir une des origines de l’invention de l’intrigue et du mouvement qui détermine, en novembre 1845, le début de la rédaction du livre. Dans cette hypothèse, on prendra garde, dans le texte de Choses vues, au fait que l’incident a lieu le lendemain de la réception de Hugo à l’Académie, à la sortie d’un dîner où elle était fêtée, chez Mme de Girardin. A deux reprises sont notés les motifs que Hugo a de demeurer à l’écart: «Il se dit qu’il était bien connu, que justement les journaux étaient pleins de son nom depuis deux jours et que se mêler à une semblable affaire, c’était prêter le flanc à toutes sortes de plaisanteries.» La plus acide aurait peut-être brodé sur cette récidive après Juliette, en se demandant jusqu’où irait l’Académicien dans son goût des «femmes tombées». Quant à la calomnie, le commissaire la suggère lui-même: «Monsieur, votre déposition, plus ou moins intéressée, ne sera d’aucune valeur…» Demandons-nous donc quels durent être les sentiments de Hugo lorsqu’il vit, quatre ans plus tard, Mme Léonie Biard mise à Saint-Lazare, comme les prostituées, après le flagrant délit de son adultère avec lui, l’ancien sauveur des femmes perdues. Il venait de retourner en mal tout ce qu’il avait fait de meilleur. La même chose – et l’inverse aussi – arrivera à Jean Valjean.

[163] Sous la Restauration, être propriétaire est une dignité sociale qui confère, selon la loi du suffrage censitaire, le droit de vote. Il fallait alors avoir trente ans et payer 45 € de contributions directes pour être électeur. L’éligibilité exigeait quarante ans et mille francs de cens. Le corps électoral ne dépassait pas 100 000 électeurs. Cette qualité, qui donne au moins trente ans à Bamatabois, confirme sa ressemblance avec Tholomyès.

[164] Il y a là une sorte d’imitation de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui pécheurs et pécheresses demandent, dans l’Évangile, leur pardon avec le même geste.

[165] Forme francisée du latin ambubaiae: joueuses de flûte, courtisanes, citées par Horace (Satires, I, 2, 1): équivalent romain des geishas japonaises.

[166] Son nom fut et reste le symbole des progrès accomplis dans le diagnostic – par auscultation au stéthoscope – et le soin de la tuberculose, fléau du prolétariat urbain au XIXe siècle et jusqu’à la moitié du nôtre.

[167] Ancien forçat

[168] L’attestation de la fiction se double ici de la bizarrerie pertinente qu’il y a à invoquer le témoignage d’un spécialiste de l’éducation des sourds-muets à propos d’un personnage dont il vient d’être dit: «Il y avait du silence dans sa parole.»

[169] Capitale de Satan, réunion de tous les vicieux et de tous les vices.

[170] A la porte de l’enfer (Dante, L’Enfer, III).

[171] Voir plus haut l’hypothèse d’une réelle confession, et se souvenir que Hugo ne s’est jamais confessé, pas même à Lamennais qui signa le «billet de confession» nécessaire à son mariage.

[172] Albin est dans Claude Gueux l’ami, fraternel et amoureux, du criminel. Dans ces noms, Albin et Romainville, se Usent aussi Albe et Rome dont la guerre devint fratricide lorsque le duel des Horaces et des Curiaces dut y mettre fin. Sur les résonances personnelles de ces noms, voir aussi plus loin les notes 176 et 177.

[173] C’est par cette phrase même que Pierre renie le Christ dans l’Évangile (Matthieu, XXVI, 72).

[174] Les couverts eux, comme l’évêque l’a conseillé, ont été vendus.

[175] C’était une habitude de Hugo que de noter ses rêves les plus marquants ainsi qu’en témoignent ses carnets et les textes de Choses vues.

[176] La présence obsédante d’un frère – dont l’histoire de Jean Valjean ne faisait pas mention en I, 2, 6 et qui ne réapparaîtra plus jamais – est déjà implicitement inscrite plus haut: voir note 172. Elle évoque bien sûr Eugène, le frère perdu, rival en amour et en poésie, devenu fou, et mort en 1837.

[177] Cette parenthèse est de la main de Jean Valjean.

Le frère est ici directement lié au père – Léopold recueillit Eugène à Blois – dans le nom de Romainville où s’inscrivent à la fois Thionville, dont le général Hugo fut le défenseur en 1814 et 1815, et Romorantin, à côté d’où le général en demi-solde avait acquis une propriété et où Victor, en 1815, avait retrouvé un père qu’il croyait perdu. (Sur ceci, voir l’annotation de ce texte par Y. Gohin, dans l’édition Gallimard, «Folio», des Misérables.)

[178] C’est en I, 2, 1.

[179] Comment ce document révolutionnaire et cette date peuvent-ils être affichés sous la Restauration dans un bâtiment officiel? Hugo, en dépit de la vraisemblance, les a sans doute insérés parce que Pache fut l’auteur de la formule: «Liberté, Égalité, Fraternité, ou la mort».

[180] «Ecce homo»: c’est ainsi que le Christ est présenté par Ponce Pilate à la foule. Cette expression sera reprise, en latin cette fois, au titre de III, I, 10.

[181] Ce nom rappelle celui de Pierre, déjà indirectement évoqué – voir la note 173. Le vol de fruit recoupe étrangement deux anecdotes analogues: l’une dans Choses vues concerne deux enfants, accusés d’avoir volé des pêches dans un jardin à Montreuil. Ils sont incarcérés à la Conciergerie et Hugo les interroge: «Vous avez donc escaladé un mur?

– Non, Monsieur, les pêches étaient par terre, sur le chemin.

– Vous n’avez fait que vous baisser?

– Oui monsieur.

– Et les ramasser?

– Oui, monsieur.» (ouv. cit., 1830-1846, p. 426.)

L’autre est un dialogue comparable, avec un enfant également, que Hugo rapporte dans une lettre à sa femme. La scène se passe en 1837, à Montreuil également, mais Montreuil-sur-Mer!

[182] L’exemple n’est pas choisi au hasard puisque Bossuet, figure antithétique de Mgr Bienvenu, incarne non seulement le classicisme littéraire, mais aussi la monarchie de droit divin et la religion entendue comme principe d’ordre social – voir note 25 du livre I.

[183] En contrepoint, peut-être, de la première nuit de Juliette et de Victor. Ils étaient invités ce soir-là au Bal des Artistes du Mardi gras et n’y allèrent pas, pas plus que Mari us et Cosette le soir de leurs noces (V, 6, 1).

[184] Les députés de la droite éclateront de rire de la même façon au discours de Hugo sur la misère (9 juillet 1849). De même les dieux de l’Olympe à l’apparition du Satyre (La Légende des siècles) et les lords devant Gwynplaine (L’Homme qui rit). Quasimodo déjà scrutait les rires de la foule qui prenait son visage pour une grimace.

[185] Première évocation de ce qui sera un lieu commun des misérables – voir II, 4 et III, 5 et 8.

[186] Dans cette brève et lumineuse communion des consciences s’ébauche une théorie de la vertu moralisatrice de l’art, et de l’effet civilisateur spécifique au théâtre, qui sera développée dans William Shakespeare (I, 4, 2 et II, 5, 7).

[187] Voici Javert pieuvre. Motif largement développé dans Les Travailleurs de la mer, mais aussi dans le personnage du wapentake de L’Homme qui rit.

[188] Cette scène du bras passant par une ouverture répète très étrangement la scène du vol de pain (I, 2, 6).

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