Произведения 1851–1852 годов

Dédicace*

(A Nicolas Ogareff)

J'avais treize ans lorsque je te rencontrai. Tu étais plus jeune d'une année. Nous entrâmes ensemble dans la vie.

Nous marchions sans crainte, la tête haute, le cœur plein de feu, nous n'étions pas avares de nous-mêmes, nous répondions à chaque appel, nous nous abandonnions avec franchise et en entier à chaque entraînement. La route choisie par nous n'était pas facile, mais nous ne l'avons jamais délaissée; blessés, brisés nous marchions – et nul ne prit les devants sur nous.

Je suis arrivé, moi… non au but, mais là où commence la descente, et je cherche ta main, afin de nous en aller ensemble, comme nous sommes venus, et te souriant avec tristesse, te dire en te pressant cette main: «Ami, voilà tout!», car je n'attends rien pour moi, rien ne m'étonnera, ni me réjouira profondément. L'étonnement et le bonheur sont bridés en moi par les réminiscences du passé, par les craintes de l'avenir. J'ai acquis tant de foice d'indifférence, de résignation, de scepticisme, je veux dire, tant de vieillesse, que je survivrai à tous les coups de fatalité, quoique je n'aie ni le désir de vivre longtemps, ni celui de mourir demain. La fin viendra par hasard sans conscience, ni raison, comme le commencement. Je ne la provoque, ni la fuis – et cela parce que je suis vieux.

En veux tu encore la preuve: je ne trouve en moi ni l'énergie, ni la fraîcheur nécessaires pour entreprendre un nouveau travail et involontairement l'idée senile de rassembler tout ce que j'ai écrit dans un seul livre s'est présentée à moi.

Une partie de ce qui nous soudait si intimement s'est enfouie dans ces feuilles éparses et oubliées et tu l'y retrouveras plus jeune, plus sonore qu'en moi-même.

Je t'offre ces feuilles.

Pour toi elles auront un double sens, comme les tombes que nous rencontrons dans un cimetière et sur lesquelles nous lisons des noms que nous avons connus et aimés.

Alexandre Herzen

10 juin 1851. Paris.

Rue S. Hyacinthe.

Hôtel du Prince Régent.

Посвящение*

(Николаю Огареву)

Мне было тринадцать лет, когда я тебя встретил. Ты был моложе на год. Вместе входили мы в жизнь.

Шли мы безбоязненно, с высоко поднятой головой, с сердцем, полным огня; не скупясь расходовали мы себя, мы отвечали всякому призыву, искренне и безраздельно отдавались мы всякому увлечению. Путь, нами избранный, был не легок, но мы никогда его не покидали; раненные, сломанные, мы шли– и нас никто не обгонял.

Я дошел… не до цели, а до того места, где начинается спуск, и я ищу твоей руки, чтобы вместе выйти, как мы вместе пришли, чтобы пожать ее и сказать тебе, грустно улыбаясь: «Друг, вот и всё!», ибо для себя я больше ничего не жду, ничто не удивит меня, ничто не обрадует глубоко. Удивление и радость обузданы во мне воспоминаниями былого, страхом будущего. Я достиг такой силы безразличия, безропотности, скептицизма, иначе говоря – такой старости, что переживу все удары судьбы, хоть равно не желаю ни долго жить, ни завтра умереть. Конец придет так же случайно, бессознательно и бессмысленно, как начало. Я не тороплю его и не избегаю – и это потому, что я стар.

И если хочешь – вот тебе еще доказательство: я не нахожу в себе ни энергии, ни свежести, нужных для того, чтобы предпринять новый труд, и мне невольно пришла на ум старческая мысль собрать все написанное мною в одну книгу.

Часть того, что соединяло нас так тесно, скрыта в этих разрозненных и позабытых листках, и ты там вновь найдешь все это более юным, более звучным, чем во мне самом. Преподношу тебе эти листки.

Для тебя они будут иметь двойное значение, как те могилы, которые мы встречаем на кладбище и на которых читаем знакомые нам и некогда любимые имена.

Александр Герцен

10 июня 1851 г. Париж.

Улица Св. Гиацинта.

Отель Принца-регента.

Le peuple Russe et le socialisme*

LETTRE À MONSIEUR J. MICHELET, professeur au Collège de France


Cette lettre, imprimée à Nice en 1851, n'a jamais eu de circulation qu'en Piémont et en Suisse. Presque toute l'édition a été saisie à Marseille par la douane, qui a oublié de la renvoyer, sans égard aux réclamations.

Les temps ont changé; pourtant, nous pensons que cette lettre ne sera pas dénuée d'intérêt pour le public.

Le célèbre historien a publié sur cette lettre, dans l'Avènement, un article plein de sentiments de bienveillance et de sentiments d'amitié personnelle pour l'auteur[55].

Monsieur, Vous êtes trop haut placé dans l'estime générale, vos paroles sont accueillies par la démocratie européenne avec trop de confiance que votre noble plume vous a si justement conquise, pour qu'il me soit permis, dans une cause qui touche a mes convictions les plus profondes, de laisser sans réponse la caractéristique du peuple russe que vous faites dans votre beau travail sur Kosciusko[56].

Cette réponse est d'autant plus indispensable, qu'il est temps de faire voir à l'Europe qu'en parlant actuellement de la Russie, ce n'est plus d'un absent, d'un éloigné, d'un muet que l'on parle. Nous sommes présents, nous qui avons quitté la Russie avec le seul but de faire retentir en Europe le libre verbe russe. La parole devient pour nous un devoir, quand un homme, appuyé sur une grande et légitime autorité, vient de nous dire que: «il affirme, qu'il jure, qu'il prouvera que la Russie n'existe pas, que les Russes ne sont pas des hommes, qu'il leur manque le sens moral».

Voulez-vous parler de la Russie officielle, de l'empire des façades, du gouvernement byzantino-allemand? D'accord, nous acquiesçons d'avance à tout ce que vous nous direz; la défense ne nous incombe nullement; le gouvernement russe a assez d'agents littéraires dans la presse parisienne pour que les apologies les plus éloquentes lui fassent jamais défaut.

Mais ce n'est plus de la société officielle seule qu'il s'agit dans votre travail; vous avez agité la question jusque dans ses dernières profondeurs; vous avez parlé du peuple.

Le pauvre peuple russe n'a personne pour élever la voix en sa faveur; je vous le demande, Monsieur, nous serait-il, sans lâcheté, possible en pareille occasion de nous imposer le silence?

Le peuple russe, Monsieur, existe, il vit, il n'est même pas vieux, il est très jeune. On meurt quelquefois jeune, avant d'avoir vécu; cela arrive, mais cela n'est pas normal.

Le passé du peuple russe est obscur; son présent – affreux, il a néanmoins quelques droits à l'avenir; il ne croit pas à son état actuel, il a la témérité d'espérer, et il espère d'autant plus qu'il possède moins.

La période la plus difficile pour le peuple russe s'approche de sa fin. Une lutte terrible l'attend; son ennemi s'y prépare.

La grande question, le to be or not to be de la Russie, sera bientôt décidée. Mais avant le combat on n'a pas le droit de désespérer du résultat.

La question russe acquiert des proportions graves, inquiétantes- on s'en préoccupe vivement dans tous les partis; mais il me semble qu'on s'occupe trop de la Russie du tzar, de la Russie officielle, et trop peu de la Russie du peuple, de la Russie occulte.

Et même en ne considérant la Russie qu'à son point de vue gouvernemental, ne croyez-vous pas qu'il fût utile de faire plus ample connaissance avec ce voisin incommode qui sait placer dans chaque coin de l'Europe ici un espion, là une baïonnette? Le gouvernement russe touche à la Méditerranée par sa protection de la Porte-Ottomane, au Rhin par sa protection des cousins et beaux-frères d'Allemagne, et à l'Atlantique par sa protection de l'ordre en France.

Il faudrait, dis-je, apprécier à sa juste valeur ce protecteur universel, et voir, si cet étrange empire n'eut, en effet, d'autre raison d'existence que cette vocation hideuse que s'est donnée le gouvernement de St.-Pétersbourg, d'être une borne jetée au travers de la route royale de l'humanité.

L'Europe touche à un cataclysme terrible. Le monde du moyen âge finit; le monde féodal se meurt. Les révolutions politiques et religieuses s'affaissent sous le poids de leur impuissance; elles ont accompli de grandes choses, mais elles n'ont pas suffi à leur tâche; elles ont dépouillé le trône et l'autel de leur prestige, sans réaliser la liberté; elles ont allumé dans les cœurs des désirs sans offrir aucun moyen de les satisfaire. Parlementarisme, protestantisme, tout cela n'a été qu'ajournement, salut provisoire, endiguement, qui arrêta pour quelques moments la mort et la naissance. Ce temps est révolu. Depuis 1848, l'on s'aperçoit que ni les réminiscences du droit romain, ni une piètre légalité, ni une maigre philosophie déiste, ni un rationalisme religieux stérile, ne peuvent ajourner l'accomplissement des destinées sociales.

L'orage approche, on ne peut plus s'y méprendre; révolutionnaires et réacteurs en conviennent. Le vertige s'empare de tout le monde; une question lourde, une question de vie et de mort, opprime la Poitrine. On est inquiet, agité; on se demande si l'Europe, vieux Prothée, cet organisme usé, pourra trouver encore assez de force pour opérer sa régénération. On redoute la réponse, on frémit d'incertitude.

La question est grave en effet.

Oui, la vieille Europe, pourra-t-elle changer son sang atrophié et s'élancer à perte de vue dans cet avenir sans bornes qui nous entraîne d'une force irrésistible, passionnée, fatale, vers lequel nous nous précipiterons envers et contre tout, dussions-nous passer sur les ruines de nos maisons paternelles, disperser les trésors des civilisations écoulées et les richesses de la dernière culture?

Des deux côtés la position est également appréciée. L'Europe rentre dans la nuit morne et épaisse qui doit précéder l'aube de cette lutte décisive. Ce n'est plus une existence, c'est une attente, une anxiété. Tout est renversé. Plus de légalité, plus de justice, plus de simulacre de liberté; une inquisition laïque et irréligieuse règne en absolue; les lois sont remplacées par le code soldatesque d'une place assiégée. Une seule force morale préside, dicte et ordonne; c'est la peur; elle suffit. Toutes les questions sont repoussées au second plan devant le grand intérêt réactionnaire. Les gouvernements en apparence les plus opposés de principes se fondent fraternellement dans une seule police œcuménique. L'empereur de Russie, sans cacher sa haine contre les Français, récompense le préfet de la police de Paris; le roi de Naples, de sa main de geôlier, décore le président de la République. Le roi de Berlin, affublé d'un uniforme russe, court à Varsovie'se jeter dans les bras de sonennemi l'empereur d'Autriche sous la bénédiction tutélaire de Nicolas, ce tzar schismatique qui, à son tour, offre ses troupes au Pontife de Rome. Au milieu de ce sabbat, de cette nuit walkyrienne de la réaction, toute sécurité individuelle a disparu; aucune des garanties qui existent même dans les sociétés les moins avancées, en Chine, en Perse, n'est plus respectée dans les capitales du monde ex-civilisé.

On ne se retrouve plus. Est-ce bien là l'Europe que nous avons connue et aimée?

En vérité, s'il n'y avait pas d'Angleterre, libre et fière, si ce diamant enchâssé dans l'argent de la mer, comme dit Shakespeare, cessait de briller; si la Suisse pa'r crainte du César persistait comme l'apôtre Pierre à renier son principe; si le Piémont, ce seul bras libre et fort de l'Italie, si ce refuge, dis-je, de la civilisation chassée du Nord et se repliant derrière les Alpes sans oser nasser les Apennins, venait soudain à se fermer aux sentiments humains; si, en un mot, ces trois pays allaient être infectés du souffle délétère de Paris et de Vienne, l'on pourrait croire que]a dissolution du vieux monde eût déjà été perpétrée par les mains parricides des conservateurs, et que la barbarie eût déjà commencé en France et en Allemagne.

Au milieu de ce chaos, de cette agonie en démence, de cet enfantement douloureux; au milieu de ce monde qui s'écroule putréfié autour d'un berceau, les regards se dirigent involontairement vers l'Orient.

Pareil à une montagne sombre qui se dégage du brouillard, on y distingue un empire menaçant, hostile; on dirait même qu'il s'avance comme une avalanche ou comme un héritier impatient, prêt à accélérer la lenteur des derniers moments du moribond.

Cet empire, inconnu il y a deux siècles, s'est tout à coup présenté grossièrement, et sans invitation, sans droit, il est venu s'asseoir, le verbe haut, au concile des souverains de l'Europe, en réclamant sa part du butin à la conquête duquel il n'avait nullement contribué.

Personne n'osa lui contester ses prétentions de s'immiscer dans les affaires de l'Europe.

Charles XII tenta l'essai, mais son glaive jusque-là invincible se brisa à la tâche; Frédéric II voulut s'opposer aux empiétements de la cour de Pétersbourg; Kœnigsberg et Berlin tombèrent au pouvoir de l'ennemi du Nord. Le tzar Napoléon pénétra a la tête d'un demi-million d'hommes jusqu'au cœur du géant. H en sortit furtivement, seul, dans un misérable traîneau de poste. L'Europe vit avec stupéfaction la fuite de Napoléon, les nuées de Cosaques volant à sa poursuite, les armées russes s'acheminant vers Paris et jetant sur leur chemin, à l'Allemagne, l'aumône de son indépendance nationale. Vampire monstrueux, il ne semble exister que pour guetter les fautes des peuples et des rois. Hier nous l'avons vu presque écraser l'Autriche en l'aidant contre a Hongrie, demain nous le verrons proclamer la Marche de Brandebourg province de l'empire russe, pour donner appui au roi de Berlin.

Et dire que, à la veille du grand combat, l'on sait si peu sur ce nouveau lutteur, arrogant, armé de pied en cap, et prêt à passer la frontière au premier appel de ses amis de la réaction! A peine connaît-on son armure, les couleurs de son drapeau, et l'on se tient à sa parole officielle, à des notions vagues, sans remarquer ce qu'il y a de contradictoire dans tous les récits qui circulent à son sujet.

Les uns ne parlent que de l'omnipotence du tzar, de l'insolence gouvernementale, de la servilité des sujets; les autres disent que l'impérialisme de Pétersbourg n'est point national, que le peuple, courbé sous le double joug du souverain et de la noblesse, souffre l'oppression mais ne l'accepte pas, qu'il n'est pas annihilé mais seulement malheureux. Et pourtant cette même population sert de ciment à ce tout colossal qui l'opprime. D'autres viennent ajouter que le peuple russe est une vile multitude d'ivrognes et d'ilotes, et tels autres encore constatent en Russie une race intelligente et bien douée.

Il y a pour moi quelque chose de tragique dans cette distraction senile, avec laquelle le vieux monde confond toutes les notions concernant son antagoniste.

Dans cet amas d'opinions contradictoires percent tant de connaissances immobiles, une si triste légèreté, des préjugés tellement tenaces, que, malgré nous, notre regard ne trouve d'autre point de comparaison dans l'histoire que celui de la décadence romaine.

Alors aussi, à la veille de la révolution chrétienne, à la veille de la victoire des barbares, l'on proclamait l'éternité de Rome, la folie impuissante de la secte nazaréenne, et la chimère des dangers qu'annonçait le mouvement du monde barbare.

C'est à vous, Monsieur, que revient à juste titre le mérite d'avoir parlé le premier en France de la Russie populaire; vous aviez déjà appliqué la main sur le cœur, sur la source même de la vie; la vérité allait jaillir sous la pression de votre puissant génie, quand, soudain par un mouvement de colère vous avez retiré cette main fraternelle, et la source aussitôt vous a apparu troublée et confuse.

J'ai lu, avec une profonde douleur, vos paroles irritées. Triste, le cœur gros, je cherchais en vain, je l'avoue, l'historien, le philosophe, et plus que tout cela, l'homme aimant que nous onnaissons tous. J'ai hâte de le dire; j'ai parfaitement apprécié la cause de votre indignation: la sympathie pour la malheureuse Pologne a parlé par vous. Nous aussi, nous la connaissons, Monsieur, la sympathie pour nos frères polonais, et chez nous ce n'est pas de la compassion, c'est du remords, c'est de la honte. Aimer la Pologne! Nous l'aimons tous, mais est-ce bien la conséquence inévitable de ce sentiment que de lui victimer un peuple également malheureux, un peuple qui a dû prêter ses mains gar-rotées à un gouvernement féroce pour commettre des crimes? Soyons généreux, et n'oublions pas que nous venons de voir un peuple qui, armé du suffrage universel et de baïonnettes citoyennes, n'en a pas moins consenti au rétablissement de l'ordre de Varsovie à Rome; ne voyons-nous pas aujourd'hui… mais regardez plutôt ce qui se passe sous vos yeux… et pourtant nous ne disons pas que les Français ont cessé d'être hommes; nous attendons.

Il est temps d'oublier cette lutte malheureuse entre des frères; parmi nous, il n'y a pas de vainqueur; la Pologne ainsi que la Russie succombent à un ennemi commun. Le martyr, l'offensé lui-même, se détourne d'un passé également douloureux pour nous tous. L'ami illustre que vous citez, le grand poète Mickiewicz, en est une preuve.

Ne dites pas, Monsieur, en parlant des opinions du barde polonais, que c'est «de la clémence», que «ce sont des erreurs des saints». Non; ce sont là des fruits d'une longue et consciencieuse méditation, d'une intuition profonde des destinées du monde slave. Il est beau de pardonner à ses ennemis, mais il est quelque chose de plus humain encore: c'est de les comprendre, car comprendre c'est déjà absoudre, réhabiliter, se réconcilier.

– Le monde slave tend à s'unir; cette tendance apparaît immédiatement après la période napoléonienne. L'idée d'une fédération slave germait déjà dans les plans révolutionnaires de Pestel et de Mouravioff. Plusieurs Polonais ont pris part à la conspiration russe.

Lorsque la révolution de 1830 éclata à Varsovie, le peuple russe ne manifesta aucune animosité contre les rebelles du tzar;»a jeunesse était, cœur et âme, pour la cause polonaise. Je me rappelle avec quel enthousiasme nous nous précipitions vers les nouvelles de Varsovie; nous avons pleuré comme des enfants au récit du service funèbre célébré dans la capitale de la Pologne, en honneur de nos martyrs de Pétersbourg. La sympathie pour les Polonais nous exposait à des punitions criminelles; il fallait la refouler dans son cœur et se taire.

Il est possible qu'un sentiment d'animosité, sentiment d'ailleurs parfaitement mérité, et celui d'un patriotisme exclusif, avait prédominé encore en Pologne lors de la guerre de 1830. Depuis, Mickiewicz, les travaux philologiques et historiques de plusieurs écrivains slaves, une connaissance plus approfondie des peuples européens acquise pendant le triste pèlerinage de l'émigration, ont donné aux idées une tout autre direction. Les Polonais ont senti que la guerre n'était pas entre eux et le peuple russe; ils ont compris qu'ils ne pouvaient combattre autrement que POUR LEUR LIBERTÉ ET LA NÔTRE, ainsi que le disait l'inscription sublime de leur drapeau révolutionnaire.

L'héroïque émissaire Konarski, qui fut en 1839 torturé et fusillé à Vilna, appelait à la révolte les Russes et les Polonais sans distinction de nationalité. La Russie le remercia d'une manière qui fut aussi tragique que tout ce qu'elle fait depuis qu'une botte à l'allemande foule sa poitrine.

Un jeune homme enthousiaste, ardent, dévoué, officier russe du régiment en garnison à la forteresse, Koravaïeff, résolut de sauver Konarski. Son jour de service arrivait; il avait déjà tout préparé pour la fuite, quand, trahi par un malheureux coaccusé du martyr polonais, il se vit déjoué dans son projet. Le jeune homme fut arrêté; chargé de fers, il est allé expier, aux mines de la Sibérie, le réveil d'un devoir supérieur à sa consigne. On n'a jamais entendu parler de lui.

J'ai passé cinq années en exil, dans les provinces éloignées de l'empire; j'ai eu l'occasion d'y rencontrer une grande quantité de Polonais exilés; il y en a dans chaque ville de district, des familles entières ou des malheureux isolés. Je m'en rapporterais volontiers à leur témoignage; j'en suis convaincu que la sympathie ne leur a pas fait défaut parmi les habitants du pays. Il est bien entendu, Monsieur, que je ne parle ici ni de la police, ni de la haute hiérarchie militaire. Cette dernière ne se distingue nulle part par son amour pour la liberté, et encore moins en Russie Je pourrais aussi vous citer les étudiants polonais envoyés chaque an dans les universités russes, afin d'être tenu loin des écoles polonaises; qu'ils racontent l'accueil que leur faisaient partout leurs nouveaux camarades. Ils nous quittaient les larmes aux yeux.

Vous vous rappelez, Monsieur, qu'en 1847, à Paris, lorsque les émigrés polonais célébraient l'anniversaire de leur révolution, un Russe se présenta à leur tribune pour demander l'amitié et l'oubli du passé. C'était notre malheureux ami Michel Bakou-nine. Au reste je ne veux pas seulement en appeler à l'exemple d'un de mes compatriotes. Je choisis parmi ceux que l'on croit être nos ennemis, un homme que vous-même avez nommé dans votre belle légende sur Kosciusko. Interrogez à ce sujet le Nestor de la démocratie polonaise, demandez des renseignements à M. Biernacki, l'un des ministres de la Pologne révolutionnaire. Je m'en rapporte à cette noble intelligence, que d'ailleurs de longs malheurs auraient certainement pu aigrir contre tout ce qui porte le nom de Russe; il ne démentira pas mes paroles.

La solidarité qui lie la Pologne et la Russie entre elles d'abord et au monde slave ensuite, ne peut plus être contestée; elle apparaît dans toute son évidence. Plusencore; sans la Russie, le monde slave n'a pas d'avenir; sans la Russie, il se fondra, il avortera, il sera absorbé par l'élément germanique; il deviendra autrichien, il ne sera pas lui-même. Or, je ne crois pas que telles soient ni sa mission ni sa destinée.

En suivant le développement successif de votre idée, je dois vous avouer, Monsieur, qu'il m'est impossible d'accepter le raisonnement par lequel vous tâchez de prouver que l'Europe entière ne soit qu'une personne, dont chaque nation forme un organe indispensable.

Il me semble que toutes les nations germano-romaines sont nécessaires au monde européen, parce qu'elles existent, mais qu'il serait difficile de prouver qu'elles existent parce qu'elles étaient nécessaires. Aristote déjà distinguait la nécessité préexistante de la nécessité postérieure. La nature accepte la fatalité des faits accomplis, mais il y a grande fluctuation et variété dans la possibilité des faits réalisables. Ce n'est donc qu'à ce titre que le monde slave a le droit de revendiquer son unité; d'autant plus qu'une même race le compose.

La centralisation est contraire au génie slave; la fédération, en revanche, découle de sa nature. Une fois groupé et lié ensemble dans une association de peuples libres et autonomes, le monde slave pourra enfin commencer sa véritable existence historique. Son passé ne peut être considéré qu'au point de vue d'une préparation, d'une croissance, d'un purgatoire. Les formes historiques de l'Etat ne correspondaient jamais à l'idée nationale des Slaves, idéal vague, instinctif, si vous voulez, mais par là même accusant une singulière vitalité dans l'avenir. Les Slaves apportaient dans tout ce qu'il faisaient, une étrange demi-attention, voire même, une apathie étonnante. Ainsi nous voyons la Russie entière passer de l'idolâtrie au christianisme, sans secousse, sans révolte, uniquement par obéissance passive aux ordres du grand prince Vladimir, et sous l'influence de Kiev. On précipita sans regret les vieilles idoles dans le Volkhov, on se soumit au nouveau dieu comme à une nouvelle idole.

Huit siècles après, une partie de la Russie acceptait également la civilisation commanditée à l'étranger et munie d'estampille allemande.

Le monde slave ressemble à une femme qui n'a pas encore aimé, et qui par là même paraît ne prendre aucun intérêt à tout ce qui se passe autour d'elle; être inutile; oubliée, étrangère. Mais ne préjugeons pas de l'avenir; la femme est jeune, et déjà une agitation inquiète soulève son cœur et le fait tressaillir. Quant à la richesse du génie national, il nous suffit de montrer la Pologne, le seul peuple slave qui avait, en même temps, des périodes de force et de liberté.

Le monde slave ne paraît hétérogène qu'à la surface. Sous la couche supérieure de la Pologne chevaleresque, libérale et catholique, et de la Russie impériale, assujettie et byzantine; sous la domination démocratique du vay vode serbe, sous la bureaucratie autrichienne qui pèse sur l'Illyrie, sur la Dalmatie et sur le Banat; sous le pouvoir patriarcaj des Osmanlis, et sous la bénédiction du Vladicà de Monténégro, il repose un peuple physiologiquement, ethnographiquement homogène.

La grande partie de ces populations slaves n'ont presque jamaiS subi l'esclavage d'une race conquérante. La dépendance dans laquelle se trouvaient divers membres du monde slave, se bornait le plus souvent à la reconnaissance de la souveraineté, et à l'acquittement du tribut. Tel a été par exemple le caractère de la domination mongole en Russie. Les Slaves parvinrent ainsi à garder à travers les siècles leur nationalité, leurs mœurs, leur langue. Or, d'après ce que nous venons de dire, la Russie ne pourrait-elle pas être le noyau de cette cristallisation, le centre vers lequel gravitât le monde slave, et cela d'autant plus que, jusqu'à présent, c'est la seule partie de la grande race qui se trouve provisoirement organisée en un Etat fort et indépendant.

Cette question n'impliquerait aucun doute si le gouvernement de Pétersbourg avait le moindre instinct de sa vocation nationale, si une idée humaine quelconque pouvait s'allier à ce despotisme désespérant et borné. Mais, dans la situation actuelle, quel serait l'homme d'un peu de conscience, d'un peu d'honnê teté, qui oserait proposer aux Slaves occidentaux la réunion avec un empire soumis à un état de siège permanent, où le sceptre n'est qu'un ignoble bâton de caporal assommant par la schlague? Le panslavisme impérial, tel qu'il a été prôné jusqu'aujourd'hui par des hommes vendus ou égarés, n'a, bien entendu, rien de commun avec toute combinaison basée sur le principe de la liberté.

Ici, la logique même nous amène, inévitablement, à la question la plus grave, la plus légitime.

En supposant que le monde slave ait quelque possibilité d'une existence plus développée dans l'avenir, quel serait l'élément assez prononcé dans son état embryonnal, qui aurait le droit à ce développement? Si les Slaves pensent que leur temps soit venu, l'élément dont je viens de parler doit nécessairement correspondre à l'idée révolutionnaire de l'Europe.

Vous l'avez indiqué, vous l'avez touché, Monsieur, mais vous l'avez laissé échapper d'entre vos mains, en essuyant une généreuse larme de compassion pour la Pologne.

Vous prétendez que «la base de l'existence du peuple russe est le communisme», vous affirmez que «sa force lui est donnée par une sorte de loi agraire, par le partage continuel des terres».

Quel terrible Mané-Thékél venez-vous prononcer!.. Communisme pour base! Partage des terres pour force! Gomment, Monsieur, ne vous êtes-vous pas effrayé vous-même en proférant ces paroles?

Ne tallait-il pas s'arrêter, approfondir, ne pas lâcher la question, avant de vous être convaincu si c'était là une vérité ou un rêve?

Gomme s'il y avait d'autres études, d'autres questions sérieuses au XIXe siècle, que la question communiste, que la question du partage des terres!

Entraîné par votre indignation, vous continuez: «Il leur manque (aux Russes) l'attribut essentiel de l'homme, la faculté morale, le sens du bien et du mal. Le vrai et le juste n'ont aucun sens pour eux; parlez-en, ils restent muets, ils sourient, ils ne savent ce que vous voulez dire». Quels sont donc ces Russes, Monsieur, auxquels vous avez parlé; ou bien quelles sont ces notions du juste et du vrai que les Russes ne puissent pas comprendre? Car dans un temps si profondément révolutionnaire, il ne suffit pas seulement de citer les mots du vrai et du juste. Ces mots n'ont plus de sens absolu et également obligatoire pour tous. Le juste et le vrai de la vieille Europe, c'est le faux et l'injuste pour l'Europe naissante.

Les peuples, Monsieur, sont des produits de la nature; l'histoire n'est qu'une continuation progressive du développement animal. Nous n'avançons guère en envisageant la nature au point de vue approbatif ou improbatif; elle ne s'attend ni au prix Month yon, ni à un verdict de culpabilité. Ces catégories étiques ne la saisissent pas; tout cela est trop subjectif pour elle. Il me semble qu'en général les peuples ne sont ni totalement bons, ni foncièrement mauvais; les peuples sont toujours vrais; le peuple-mensonge n'existe pas. La nature ne produit que ce qui est réalisable selon les conditions données; elle pousse en avant ce qui existe, par cette sainte agitation, par cette inquétude créatrice, par cette soif inassouvie de se réaliser; désir continuel et commun à tout ce qui vit.

Certains peuples peuvent avoir une existence antéhistorique, d'autres une existence extrahistorique, mais tous, une fois entrés dans le grand courant de l'histoire une et indivisible, appartiennent à l'humanité, et réciproquement tout le passé de l'humaité leur appartient. Dans la grande histoire, c'est-à-dire dans la partie active et progressive de l'humanité, l'aristocratie de l'angle facial s'efface peu à peu comme l'aristocratie del'épiderme. Ce qui n'est pas homme, n'entre pas dans l'histoire, et conséquemment, il ne saurait y avoir ni peuple-troupeau, ni peuple exclusivement élu.

Il n'y a pas d'homme assez aveugle ou assez ingrat pour ne pas comprendre le rôle immense que joue la France dans les destinées du monde européen; mais, permettez-moi, Monsieur, d'avouer qu'il m'est impossible d'admettre avec vous, que la France soit une condition absolue, sine qua non, pour la marche de l'histoire.

La nature ne joue jamais son avoir sur une seule carte. Rome, la ville éternelle, qui avait des titres tout aussi justes à l'hégémonie universelle, pâlit, se décomposa, s'éteignit, et l'humanité inhumaine passa outre.

D'un autre côté, il me serait difficile, sans taxer toute la nature d'absurdité et de démence, d'accepter comme une race maudite, comme un mensonge, comme une juxtaposition d'êtres qui ne sont pas hommes mais qui en ont toute la crapule, une nation qui s'est formée pendant dix siècles, qui a obstinément persisté à sauver sa nationalité, qui s'est soudée en un grand empire, et qui se mêle à l'histoire, beaucoup plus peut-être qu'il ne le faudrait.

Et tout cela m'est d'autant plus incompréhensible que la nation en question n'est nullement stationnaire au dire même de ses ennemis. Ce n'est pas là une population, qui, parvenue à une forme sociale assez correspondante à ses désirs, s'endort dans un semper idem comme la Chine; c'est encore moins une nation qui s'est survécue et qui dépérit actuellement dans un marasme sénil, comme les Hindous. Au contraire, la Russie est un empire tout nouveau, un édifice où tout respire encore l'odeur fraîche de la chaux, où tout travaille, se dégage, où rien n'est encore arrivé à son but, où l'on change continuellement, très souvent de mal en pis, mais enfin où l'on change. C'est là un peuple, en un mot, qui a, d'après votre opinion, un étrange communisme Pour base et le partage des terres pour force…

Après tout, Monsieur, que reprochez-vous au peuple russe? Quel est le fond de votre accusation?

«Le Russe, dites-vous, ment, vole, ment toujours, vole toujours, et cela innocemment; c'est sa nature».

Je ne m'arrête pas, Monsieur, à la trop grande généralité de cette observation, mais je voudrais pouvoir vous poser cette simple question: qui donc est le trompé, le volé, le dupé? Eh, mon Dieu, c'est le seigneur, c'est l'employé de l'Etat, c'est l'intendant, c'est le juge, c'est l'agent de police, en d'autres termes, les ennemis jurés du paysan, qu'il considère comme apostats, comme traîtres, comme demi-Allemands. Dépourvu de tout moyen de défense, il ruse avec ses oppresseurs, il les trompe, et en cela il agit parfaitement bien. La ruse, Monsieur, a dit un grand penseur, c'est l'ironie de la force brutale[57].

Le paysan russe avec son horreur pour la propriété territoriale, comme vous l'avez très bien remarqué, le paysan, dis-je, nonchalant, insouciant par nature, s'est vu, peu à peu et sans bruit, pris dans les filets de la bureaucratie allemande et du pouvoir seigneurial. Il a subi ce joug dégradant, avec une passivité désespérante, j'en conviens, mais il n'a jamais ajouté foi ni aux droits du seigneur, ni à la justice du tribunal, ni à l'équité de l'administration. Depuis bientôt deux siècles, toute son existence n'est qu'une opposition sourde, négative, à l'ordre actuel des choses; il endure l'oppression, il la souffre, mais il ne trempe en rien dans ce qui se fait en dehors des communes rurales.

L'idée du tzar exerce encore un prestige sur les paysans; ce n'est point le tzar Nicolas que le peuple vénère, c'est une idée abstraite, un mythe, c'est une Providence, c'est un vengeur, c'est un représentant de la justice dans l'imagination populaire.

Après le souverain, le clergé seul pourrait avoir une influence morale sur la Russie orthodoxe. Le haut clergé représente uniquement dans le gouvernement la vieille Russie; le clergé ne s'est jamais rasé la barbe; par cela même il est resté du côté populaire. Le peuple a confiance dans les paroles d'un moine. Cependant les moines et le haut clergé, tout voués qu'ils se disent aux intérêts d'outre-tombe, ne se préoccupent guère du peuple. Le «pope» a perdu toute influence à force de cupidité, d'ivrognerie et de iations intimes avec la police. Ici encore, le peuple estime l'idée et non l'homme.

Quant aux sectaires, ceux-là détestent l'idée et l'homme, le tzar et le pope.

En dehors du tzar et du clergé, tous les autres éléments de la société et de l'administration restent complètement étrangers, radicalement hostiles au peuple. Le paysan est mis, littéralement, hors la loi; la justice se garde bien de le protéger, et toute sa participation à l'ordre existant se borne au double impôt qui l'écrase: l'impôt du sang, l'impôt de la sueur. Aussi, pauvre déshérité, comprend-il instinctivement qu'on le gouverne non pour lui mais contre lui, que le problème entier du gouvernement et des seigneurs ne consiste qu'à lui extorquer le plus de travail, et le plus d'argent possible. Comprenant cela, et doué d'un esprit délié, subtil, il les trompe tous et partout. Il n'en saurait être autrement, car s'il leur disait la vérité, cela serait déjà de sa part une sanction, une acceptation de leur pouvoir et s'il ne les volait pas (remarquez bien que l'on accuse le paysan de vol quand il cache une partie du produit de son travail), il reconnaîtrait fatalement la justice de leurs exigences, les droits des propriétaires, et l'équité des juges.

Il faut avoir observé le paysan russe devant un tribunal pour bien apprécier sa position; il faut avoir vu de ses propres yeux son œil morne et consterné, le profond silence de sa bouche, l'expression scrutatrice de son regard, pour comprendre que c'est là un prisonnier de guerre civile devant un conseil militaire, un voyageur devant une bande de brigands. On s'aperçoit tout d'abord, que la victime n'a pas la moindre confiance dans ces êtres hostiles, acharnés, implacables, qui le questionnent, le torturent et le dépouillent. Il sait que s'il a de l'argent, usera acquitté; s'il est pauvre, il sera condamné sans répit.

Le peuple parle un russe un peu ancien; le greffier, le juge écrivent la langue moderne bureaucratique, dépravée et à peine compréhensible. Ils remplissent des in-folios de fautes grammaticales, et les débitent, le plus vite possible au paysan; c'est son affaire à lui de comprendre ce grondement nasillard, sans accentuation, et d'aviser à son salut. Il le sait, aussi se tient-il sur ses gardes; il ne dira jamais un seul mot de trop, rien ne transpire à travers son agitation, il reste là, l'air hébété, comme un nigaud, comme un muet.

Le paysan sort du tribunal aussi triste lorsqu'il est acquitté qu'après sa condamnation. Il ne voit dans les deux cas que l'arbitraire ou le hasard.

C'est ainsi que cité comme témoin à charge, il est parvenu à mentir sous serment, à nier tout, à nier toujours, même lorsque les preuves sont irrécusables. Aux yeux du peuple russe, un homme condamné n'est pas pour cela flétri. Les déportés, les forçats se nomment dans la langue du peuple les malheureux.

Le peuple russe n'a vécu que de la vie communale; il ne comprend ses droits et ses devoirs que par rapport aux communes et à leurs membres. Hors d'elles, il ne reconnaît pas de devoirs et ne voit que de la violence. Le côté funeste de son caractère, c'est qu'il se soumet à ces violences, et non point qu'il les nie à sa manière, et qu'il cherche à s'abriter derrière la ruse. И y a beaucoup plus de franchise à mentir devant un juge que l'on sait être agent d'un pouvoir inique, que de feindre le respect, pour le verdict d'un jury trié par un préfet, dont l'iniquité révoltante est claire comme le jour. Le peuple ne respecte ses institutions que lorsqu'il y retrouve ses propres notions du droit et de la justice.

Il est un fait incontestable pour tout homme qui a observé de près le peuple russe. Entre eux, les paysans se trompent rarement; ils manifestent les uns pour les autres une confiance presque illimitée, ils ne connaissent ni contrats, ni compromis par écrit.

Les questions d'arpentage sont nécessairement très compliquées, grâce à l'éternel partage des terres d'après le nombre d'ouvriers[58], et pourtant la campagne russe ne retentit jamais ni de plaintes ni de procès. Le seigneur, le gouvernement ne demandent qu'à intervenir; l'occasion, les motifs leur manquent. Les petits différends qui surgissent sont promptement terminés par les anciens ou par la commune; tout le monde se soumet franchement à leur décision. La même chose a lieu dans les communes. mobiles des associations ouvrières (artèl). Il existe des associations, maçons, des charpentiers et autres, formées de plusieurs cen-ines d'individus appartenant à des communes différentes, qui groupent pour un temps donné, pour une année par exemple, t forment ainsi l'artèl. L'année révolue, les ouvriers partagent ie produit selon le travail de chacun et d'après la décision de tous les associés. La police n'a jamais la satisfaction d'intervenir dans leurs comptes. J'ajoute encore, que l'association répond presque toujours pour chaque ouvrier.

Les liens entre les paysans d'une même commune se resserrent davantage quand la population se compose non pas d'orthodoxes mais de sectaires. Le gouvernement exécute parfois une sauvage irruption dans quelque commune sectaire; il emprisonne, il déporte, le tout sans plan arrêté, sans suite, sans provocation, sans nécessité aucune, tout simplement pour répondre aux injonctions du clergé ou aux rapports de la police. C'est dans ces chasses aux sectaires qu'il faut voir réellement ce que c'est que le paysan russe, et quelle solidarité le lie à ses frères. Il faut le voir alors, dis-je, déjouant la police, sauvant ses coreligionnaires, cachant les livres et les vases sacrés, subissant les plus inhumaines tortures sans proférer une seule parole. Qu'on me trouve l'exemple d'une commune sectaire, dénoncée par un paysan, même par un orthodoxe?

Ce caractère du Russe rend les enquêtes policières extrêmement difficiles. Je l'en félicite de tout mon cœur. Le paysan russe n'a d'autre moralité que celle qui découle instinctivement, naturellement de son communisme; elle est profondément nationale; le peu qu'il connaît de l'Evangile le soutient; l'iniquité flagrante du gouvernement et du seigneur le lie encore plus à ses coutumes et à sa commune[59].

La commune a sauvé l'homme du peuple de la barbarie mongole et du tzarisme civilisateur, des seigneurs vernis à l'européenne et de la bureaucratie allemande; l'organisme communal a résisté, quoique fortement atteint, aux empiétements dupouvoir; il s'est heureusement conservé jusqu'au développement du socialisme en Europe.

Pour la Russie c'est là un fait providentiel.

L'autocratie russe entre dans une nouvelle phase. Issue d'une révolution antinationale, elle a rempli sa mission; elle a réalisé empire colossal, un armée nombreuse, une centralisation administrative. Dénuée de principes, de traditions, elle n’a plus rien á faire: elle s’est donne, il est vrai, une autre tâche, celle d’importer en Russie la civilisation occidentale, et elle y éussissait assez tant qu'elle faisait semblant de persister dans ce beau rôle de gouvernement civilisateur.

Ce rôle, elle l'a abdiqué aujourd'hui.

Le gouvernement qui avait rompu avec le peuple au nom de la civilisation, se hâta, un siècle après, de rompre avec la civilisation au nom de l'absolutisme.

Il le fit aussitôt qu'il entrevit à travers les tendances civilisatrices, le spectre tricolore du libéralisme: il essaya alors de revenir vers la nationalité, vers le peuple. C'était impossible; le peuple et le gouvernement n'avaient plus entre eux rien de commun; le premier s'était déshabitué de l'autre, tandis que ce dernier croyait voir surgir du fond des masses un spectre beaucoup plus terrible, le spectre rouge. Tout bien pesé, le libéralisme était encore moins dangereux qu'un autre Pougatcheff. La panique et le dégoût des idées libérales devinrent tels, que le gouvernement ne pouvait plus se réconcilier avec la civilisation.

Dès lors le tzarisme n'a pour but que le tzarisme; il gouverne pour gouverner; ce sont là des forces immences qui s'entre-sou-tiennent pour se neutraliser réciproquement, et gagner ainsi un repos factice.

Faire de l'autocratie pour de l'autocratie, c'est impossible à la longue; c'est par trop absurde et trop stérile.

L'on s'en aperçoit, et l'on cherche de l'occupation en Europe. La diplomatie russe est la plus active; partout elle envoie des notes, des agents, des conseils, des menaces, des promesses, des espions. L'empereur se considère comme tuteur naturel des princes allemands; il se mêle aux moindres intrigues de leur petites cours; с'est lui qui règle les différends, morigène les uns, donne desgrandes-duchesses aux autres. Cela ne suffit pas à son activité, il se fait le premier gendarme de la terre, le soutien de toutes les réactions, de toutes les barbaries; il se pose en représentant du principe monarchique en Europe, se donnant des airs aristocratiques, tout comme s'il était un Bourbon ou un Plantagenet, comme si ses courtisans étaient des Cavendish ou pour le moins des Montmorency.

Malheureusement, il n'y a rien de commun entre la monarchy féodale avec son principe prononcé, son passé, son idée sociale et religieuse, et le despotisme napoléonien de Pétersbourg, qUj n'a pour lui qu'une triste nécessité historique, une utilité passagère, et aucun principe.

Et le Palais d'hiver devient, comme la cime d'une montagne à la fin de la saison, de plus en plus couvert de neige et de glace. La sève qu'on y a fait monter artificiellement, se retire de ces sommités sociales; il ne leur reste que la force matérielle et la dureté d'un rocher apte encore à résister quelque temps aux vagues révolutionnaires, qui viennent se briser à leur pied.

Nicolas, entouré de ses généraux, de ministres, d'officiers, de bureaucrates, brave cet isolement, mais il s'assombrit à vue d'œil, il devient triste, préoccupé. Il voit qu'il n'est point aimé, il s'aperçoit du morne silence qui l'entoure et qui donne libre accès aux mugissements lointains qui semblent s'approcher. Le tzar veut s'oublier lui-même; il a proclamé hautement que son but est l'accroissement du pouvoir impérial.

Ces professions de foi n'ont en elles rien de nouveau; il a travaillé vingt-cinq ans sans repos, sans relâche, pour ce seul et unique but; il n'a rien épargné, ni les larmes ni le sang.

Tout lui a réussi; il a détruit la nationalité polonaise; en Russie, il a éteint le libéralisme.

En vérité, qu'a-l-il donc de plus à désirer? pourquoi est-il sombre?

L'empereur sent bien que la Pologne n'est pas morte. A la place du libéralisme qu'il persécutait par une intolérance mesquine, car cette fleur exotique ne pouvait pousser sur le sol russe, n'ayant rien de commun avec le peuple, il voit une autre question s'élever comme un nuage gros de tempêtes.

Le peuple commence à frémir, à s'agiter sous le joug de la noblesse; les révoltes partielles éclatent en permanence; vous-même, Monsieur, en citez un exemple terrible.

Le parti du mouvement, du progrès, demande l'émancipation des paysans; il est prêt à sacrifier ses droits le premier. Le tzar flotte indécis, il perd la tête, il désire l'émancipation et l'empêche.

Il a compris que l'émancipation des paysans équivalait à l'émancipation de la terre; et que l'émancipation de la terre, a son tour, inaugurerait une révolution sociale et consacrerait ainci le communisme rural. Esquiver la question de l'affranchisment me semble impossible; réserver la solution pour le règne suivant, c'est plus facile; mais c'est lâche, et en fin de compte, ce n'est qu'une heure de plus perdue à un mauvais relais de poste sans chevaux…

Maintenant vous pouvez apprécier, Monsieur, quel bonheur c'est pour la Russie, que la commune rurale ne s'est pas dissoute que la propriété individuelle n'a pas brisé la possession communiste; quel bonheur pour le peuple russe d'être resté en dehors de tout mouvement politique, en dehors même de la civilisation européenne, qui, nécessairement, lui aurait miné sa commune, et qui, aujourd'hui, elle-même arrive par le socialisme à sa propre négation.

L'Europe, je l'ai dit ailleurs, n'a pas résolu l'antinomie entre l'individu et l'Etat, mais elle en a posé le problème; la Russie, elle non plus, n'a pas trouvé la solution. C'est en présence de cette question que commence notre égalité.

L'Europe, à son premier pas dans la révolution sociale, rencontre ce peuple qui lui apporte une réalisation rudimentaire, demi-sauvage, mais enfin une réalisation quelconque du partage continuel des terres parmi les ouvriers agricoles. Et notez, Monsieur, que ce grand exemple ne vient point de la Russie civilisée, mais bien du peuple lui-même, de sa vie intérieure. Nous autres Russes passés par la civilisation occidentale, nous ne sommes tout au plus qu'un moyen, qu'un levain, que des truchements entre le peuple russe et l'Europe révolutionnaire. L'homme delà Russie future, c'est le moujik, comme l'homme de la France régénérée sera l'ouvrier.

Mais s'il en est ainsi, le peuple russe n'aura-t-il pas droit à un Peu plus d'indulgence de votre part, Monsieur?

Pauvre paysan! Si intelligent, si simple de mœurs, se contentant de si peu; on l'a choisi pour point de mire à toutes les iniquités; empereur le décime par les conscriptions; le seigneur lui vole sou troisième jour; le tchinovnik lui soutire son dernier rouble; le paysan se tait, il souffre, mais il ne désespère pas; il garde sa commune On en arrache un membre – la commune se referme et se resserre davantage; le sort de ce malheureux est digne de pitié, et cependant il n'émeut pas; au lieu de le plaindre, on l'accuse.

Vous lui niez, Monsieur, le dernier refuge qui lui reste, où il se sent homme, où il aime et ne craint pas; vous dites: «Sa commune n'est pas une commune, sa famille n'est pas une famille sa femme n'est pas sa femme; avant lui, elle appartient au seigneur; ses enfants ne sont pas ses enfants; qui en connaît le père?»

Et c'est ainsi que vous livrez ce pauvre peuple, non pas à l'appréciation de la science, mais au mépris des autres peuples, qui liront avec confiance et amour vos belles légendes.

Il est de mon devoir de dire quelques mots à ce sujet.

La famille, chez tous les Slaves, est fortement développée: c'est là peut-être le grain de conservatisme de cette race, la limite de leur négation.

La famille possédant en commun est le prototype de la commune.

La famille rurale n'aime pas à se diviser en plusieurs foyers; l'on voit souvent trois, quatre générations vivant sous le même toit, et dirigées patriarcalement par un grand-père ou un grand-oncle. La femme, généralement opprimée, ainsi qu'on le voit partout dans la classe agricole, commence en Russie à être respectée lorsqu'elle est veuve de l'ancien de la famille.

Il n'est point rare de voir toute la gestion des affaires confiée à l'autorité d'une grand'mère aux cheveux blancs. Est-ce bien là une preuve que la famille n'existe pas en Russie?

Passons aux seigneurs dans leurs rapports avec la famille serve.

Mais pour la clarté du récit, distinguons la norme des abus, les droits des crimes.

Le droit du seigneur n'a jamais existé chez les Slaves.

Le propriétaire ne peut légalement exiger ni les prémices d'un mariage, ni l'infidélité aux liens conjugaux. Si la loi était exécutée en Russie, il serait puni également pour le viol d'une femme serve, comme pour un attentat contre une femme libre; c'est-à-dire qu'il encourrait les travaux forcés ou l'exil en Sibérie, avec perte de tous ses droits, selon la gravité des circonstances. Telle est la loi; regardons les faits.

Je ne prétends point contester qu'avec la position sociale que le gouvernement a faite aux seigneurs, il ne leur soit très facile

De débaucher les filles et les femmes de leurs serfs. A force я'oppression, de punitions, le seigneur trouvera toujours des maris qui lui céderont leurs femmes, des pères qui lui amèneront burs filles, tout comme ce brave gentilhomme français, des Mémoires de Peuchot, qui implorait, en plein dix-huitième siècle, la grâce spéciale de placer sa fille dans le Parc-aux-Cerfs.

Il n'est pas étonnant non plus que le père et le mari les plus honnêtes nepuissent trouver justice contre le seigneur, grâce à la belle organisation judiciaire en Russie; tous les deux se verront alors dans la position de M. Tiercelin, auquel Louis XV fit voler, par M. Berryer, sa fille âgée de onze ans. Toutes ces sales infamies sont parfaitement possibles, je l'avoue; il suffit d'en appeler au souvenir de ceux qui connaissent les mœurs grossières et dépravées d'une partie de la noblesse russe; mais quant au paysan, celui-ci est bien loin d'être indifférent au dévergondage de ses maîtres.

Permettez-moi de vous en citer une preuve:

La moitié des seigneurs assassinés par leurs paysans (les documents statistiques en portent le chiffre de soixante à soixante-dix par an) tombent victimes de leurs exploits erotiques. Les procès sont rares; le paysan sait que le tribunal reste invariablement, sourd à ses plaintes; mais il a une hache, il la manie d'une manière admirable, et il le sait.

Gela dit sur les paysans, je vous demanderai, Monsieur, de vouloir bien me suivre dans quelques réflexions au sujet de la Russie civilisée.

Vous n'avez pas été plus indulgent pour le mouvement intellectuel que pour le caractère populaire; d'un seul trait de plume vous en avez effacé tout le travail, un travail produit par des mains enchaînées.

Un des personnages de Shakespeare ne sachant comment humilier un adversaire méprisé, lui dit: «Je doute même si tu existes!» Vous êtes allé plus loin, Monsieur; vous ne doutez même de la non-existence de la littérature russe.

Je cite textuellement vos paroles:

«Nous ne nous amusons pas à regarder en haut, si quelques gens d'esprit de Pétersbourg, s'exerçant dans la langue russe, comme dans une langue savante, ont amusé l'Europe de la pâle représentation d'une prétendue littérature russe. Sans m0ll respect pour Mickiewicz, pour les erreurs des saints, j'accuserais volontiers la facilité (disons même la clémence) avec laquelle il a bien voulu parler sérieusement de cette plaisanterie».

Je cherche en vain, Monsieur, la raison de cet accueil de dédain avec lequel vous recevez le premier cri de douleur d'un peuple qui se réveille en prison, élan que la main du geôlier s'efforce d'étouffer déjà à sa naissance.

Pourquoi n'avez-vous pas voulu prêter l'oreille aux accents déchirants de notre poésie si triste, de nos chants qui ne sont que des larmes sonores? Quel est le voile qui est venu vous dérober la vue de notre rire convulsif, de cette ironie perpétuelle qui cache notre cœur profondément ulcéré, et qui n'est au fond que la conscience fatale de notre impuissance?

Ah, que je voudrais pouvoir traduire dignement pour vous quelques pièces lyriques de Pouchkine, de Lermontoff, ou quelques chansons populaires de Koltzoff! Vous nous tendriez une main cordiale, Monsieur, vous seriez alors le premier à nous demander l'oubli de vos affirmations précédentes.

Après le communisme moujique, rien ne caractérise plus la Russie, rien ne présage autant son avenir, que son mouvement littéraire.

Entre le paysan et la littérature, se dresse le monstre de la Russie officielle, de la «Russie-mensonge», de la «Russie-choléra», ainsi que vous l'avez parfaitement nommée.

Cette Russie commence par l'empereur et continue de soldat à soldat, de greffier à greffier, jusqu'au plus petit adjoint d'un commissaire de police dans le district le plus éloigné de l'empire. C'est ainsi qu'elle se déroule et qu'elle gagne à chaque degré, comme dans les Bolgi de Dante, une nouvelle puissance de mal, une plus grande intensité de dépravation et de tyrannie. Pyramide vivante de crimes, d'abus, de concussions, de bâtons de police, d'administrateurs allemands sans cœur et toujours affamés, de juges ignorants et toujours ivres, d'aristocrates toujours laquais; le tout soudé par la complicité, parle partage du butin, et appuyé enfin sur six cent mille machines organiques à baïonnette.

Le paysan ne se souille jamais par le contact avec ce monde de cynisme gouvernemental; il l'endure, voilà sa seule complicité.

Le camp opposé à la Russie officielle se forme d'une poignée d’hommes résignés, qui protestent, qui la combattent, qui la dévoilent, qui la minent.

Lutteurs isolés de temps à autre ils se voient traînés aux casemates, torturés, déportés en Sibérie, mais les postes ne restent oas longtemps vacants; de nouveaux combattants s'avancent; c'est là notre tradition, c'est là notre majorat à nous.

Les conséquences terribles de la parole humaine en Russie, en augmentent nécessairement la force. La voix de l'homme libre est recueillie avec sympathie et vénération, car pour l'élever chez nous, il faut absolument avoir quelque chose à dire. On ne se décide pas trop légèrement à publier ses pensées, lorsque au bout de chaque feuille, l'on voit poindre le gendarme, la troïka, la kibitka, et en perspective Tobolsk ou Irkoutsk.

J'ai assez parlé dans ma présente brochure de la littérature russe; je n'ajouterai ici que quelques réflexions générales.

Tristesse, scepticisme, ironie, telles sont les trois cordes de la lyre russe.

Lorsque Pouchkine commence un de ses meilleurs poèmes par ces mots calmes et lugubres: «Il n'y a pas de justice sur la terre… mais encore il n'y en a pas là-haut! C'est clair comme une simple gamme musicale!»[60] Ne croiriez-vous pas, Monsieur, sentir votre cœur glacé, entrevoir derrière cette apparente tranquillité, une existence brisée, deviner un homme qui s'habitue déjà à souffrir?

Lermontoff, accablé du dégoût de la société au milieu de laquelle il vivait, adresse, à peine âgé de 30 ans, à ses contemporains les paroles suivantes:

«Je contemple avec douleur notre génération; son avenir est vide et sombre; elle vieillira dans l'inaction, elle s'affaissera sous le poids du doute et d'une science stérile.

La vie nous fatigue comme un long voyage sans but.

Nous sommes comme ces fruits précoces qui s'égarent parfois, orphelins étrangers parmi les fleurs; ils ne charment ni l'oeil ni le goût; ils tombent au moment de mûrir…

Nous nous précipitons vers la tombe, sans bonheur, sans gloire, et nous jetons avant le trépas un regard d'amer dédain sur notre passé.

Nous passerons inaperçus sur cette terre, foule morne, silencieuse et bientôt oubliée.

Nous ne léguerons rien à nos descendants, ni une idée féconde ni aucune œuvre de génie, et ils insulteront nos cendres par un vers dédaigneux ou par le sarcasme qu'adresse un fils ruiné à un père dissipateur».

Je ne connais qu'un seul poète moderne qui ait fait vibrer avec autant de force les cordes sombres de l'âme humaine. Ce poète naquit aussi esclave, et mourut également avant le réveil de sa patrie. C'est l'apologiste de la mort, le célèbre Léopardi, lui qui se représentait le monde comme une ligue de malfaiteurs faisant une guerre acharnée à quelques fous vertueux.

La Russie n'a eu qu'un peintre généralement connu: Bruloff. Quel est donc le sujet où l'artiste a cherché l'inspiration, quel est, dis-je, le sujet de son tableau chef-d'œuvre, qui lui a valu quelque réputation en Italie?

Regardez cette étrange production.

Sur une immense toile vous voyez des groupes d'hommes stupéfaits, effrayés; ils s'efforcent de se sauver; ils périssent au milieu d'un tremblement de terre, d'une éruption volcanique, d'un véritable orage de cataclysme; ils succombent à une force sauvage, stupide, inique, contre laquelle toute résistance serait inutile. Telle est l'inspiration puisée dans l'atmosphère de Pétersbourg.

Le roman russe n'est que de l'anatomie pathologique; ce n'est qu'une constatation du mal qui nous ronge, une accusation continuelle de soi-même, accusation sans répit ni miséricorde. Ici l'on n'entend point la voix douce descendue des ci eux, et qui annonce à Faust le pardon de la jeune fille coupable. Ici l'on ne cherche pas de consolation; le doute, la malédiction, seuls élèvent ici la parole. Et pourtant, si la Russie peut être sauvée, elle le sera par ce sentiment profond de notre situation, et par le peu de soin que nous mettons à le cacher devant le monde.

«Celui qui avoue franchement ses défauts, sent qu'il y a en l ii quelque chose qui échappe et résiste à la chute; il comprend qu'il peut racheter son passé, et non seulement relever la tête, mais devenir, comme dans la tragédie de Byron, Sardanapale le héros, de Sardanapale l'efféminé».

Le peuple russe ne lit pas. Vous le savez bien, Monsieur, ce n'était pas non plus le peuple dés campagnes qui lisait les Voltaire et les Diderot; c'étaient la noblesse et une partie du tiers état. La partie éclairée du tiers état appartient en Russie à la noblesse. Cette dernière se constitue de tout ce qui a cessé d'être peuple; elle a même un prolétariat nobiliaire, qui se fond en partie dans l'élément populaire, et un autre prolétariat affranchi qui remonte vers le haut et s'ennoblit. Cette fluctuation, ce va-et-vient continuel, imprime à la noblesse russe un caractère que vous ne trouverez pas dans les classes privilégiées du reste de l'Europe. En un mot, toute l'histoire russe, depuis Pierre Ier n'est que l'histoire de la noblesse et de l'influence que la civilisation européenne a exercée sur cette dernière. J'ajouterai ici que le-nombre de la noblesse en Russie, égale au moins la moitié du chiffre des électeurs en France, après la loi du 31 mai.

Pendant le XVIIIe siècle, la littérature néo-russe poursuivait le procès de l'élaboration de cette langue riche, sonore et magnifique que nous écrivons aujourd'hui, langage souple, énergique, apte à exprimer les idées les plus abstraites de la métaphysique allemande, et la phrase légère, pétillante d'esprit, de la conversation française. Cette littérature, éclose sous l'inspiration du génie de Pierre Ier, présentait un caractère gouvernemental, il est vrai, mais gouvernemental alors signifiait réformateur, presque révolutionnaire.

Le trône impérial, jusqu'au moment de la grande Révolution de 89, se drapait majestueusement dans les plus beaux plis de la civilisation et de la philosophie européennes. Catherine II méritait qu'on lui représentât des villages en carton et des palais en planches fraîchement badigeonnées; personne ne. connaissait mieux qu'elle l'art de la mise en scène. Au palais de l'Ermitage s'étalaient à l'envi Voltaire, Montesquieu, Beccaria. Vous connaissez, Monsieur, le revers de la médaille.

Cependant, un accent inattendu, étrange, commençait à troubler le concert triomphal des apologies pindariques de la cour. Ce son, vibrant d'une ironie sarcastique, d'une tendance fortement prononcée vers la critique, vers le scepticisme, ce son, dis-je, était le seul susceptible de vitalité, de développement ultérieur. Le reste, temporaire et exotique, devait nécessairement périr.

Le véritable caractère de la pensée russe poétique ou spéculative, se développe dans toute sa force depuis l'avènement au trône de Nicolas. Le trait distinctif de ce mouvement, c'est une émancipation tragique de la conscience, une négation implacable, une ironie amère, un malheureux retour sur soi-même. Un rire fou l'accompagne parfois, mais ce rire n'a en lui rien de gai.

Jeté dans un milieu accablant, doué d'une grande sagacité, d'une logique fatale, le Russe s'affranchit brusquement de la religion et des mœurs de ses pères.

Le Russe émancipé est l'homme le plus indépendant de l'Europe. Qui est-ce qui pourrait l'arrêter? Serait ce le respect pour son passé?.. Mais l'histoire de la Russie nouvelle ne commen-ce-t-elle pas par une négation absolue de la nationalité et de la tradition?

Serait-ce cet autre passé indéfini, la période de Pétersbourg peut-être? Ah, celui-là ne nous oblige à rien; «ce cinquième acte d'une tragédie sanguinaire jouée dans un lupanar»[61] nous émancipe, mais il ne nous impose aucune croyance.

D'un autre côté, votre passé à vous, occidentaux, nous sert d'instruction, et voilà tout; nous ne nous considérons nullement comme exécuteurs testamentaires de votre histoire.

Vos doutes, nous les acceptons; votre foi ne nous émeut pas. Vous êtes pour nous trop religieux. Vos haines, nous les partageons; votre attachement pour l'héritage de vos ancêtres, nous ne le comprenons pas; nous sommes trop opprimés, trop malheureux pour nous contenter d'une demi-liberté. Vous avez des ménagements à garder; des scrupules vous retiennent; nous autres, nous n'avons ni ménagements, ni scrupules, mais la force nous manque pour le moment…

C'est de là, Monsieur, que nous vient cette ironie, cette rage qui nous exaspère, qui nous mine, qui nous pousse en avant, qui nouS conduit quelquefois en Sibérie, à la torture, en exil, à une mort précoce. L'on se dévoue sans aucun espoir; par dégoût, parrinui… Il y a vraiment quelque chose d'insensé dans notre vie, mais rien de banal, rien de stationnaire, rien de bourgeois.

Ne nous accusez pas d'immoralité parce que nous ne respectons pas ce que vous respectez. Depuis quand reproche-t-on aux enfants trouvés de ne pas vénérer leur parents? Nous sommes libres, car nous commençons par nous-mêmes. Le traditionnel en nous, c'est notre organisme, c'est notre nationalité; ils sont inhérents à tout notre être; c'est là notre sang, notre instinct, et nullement une autorité obligatoire. Nous sommes indépendants, car nous ne possédons rien; nous n'avons presque rien à aimer; il y a de l'amertume, de l'offense dans chacun de nos souvenirs. La civilisation, la science, on nous les a tendues au bout d'un knout.

Qu'avons-nous donc à démêler avec vos devoirs traditionnels, nous, les mineurs, les déshérités? Et comment pourrions-nous franchement accepter une morale fanée, une morale ni chrétienne ni humaine, existant seulement dans les exercices de rhétorique, et dans les réquisitoires des procureurs? Quelle vénération voudrait-on nous inspirer pour ce prétoire de votre justice barbaro-romaine, pour ces voûtes lourdes, écrasantes, sans air, sans lumière, rebâties au moyen âge, et replâtrées par les affranchis du tiers état? Ce n'est peut-être pas là le guet-apens des tribunaux russes, mais qui pourrait nous prouver que c'est de la justice? Nous voyons clairement que la distinction entre vos lois et les oukases gît principalement dans la légende du préambule. Les oukases commencent par une vérité accablante: «Le tzar l'ordonne»; vos lois portent en tête le mensonge offensant de la triple devise républicaine, l'invocation ironique du nom du Peuple français. Le Code-Nicolas est dirigé exclusivement contre les hommes et en faveur de l'autorité. Le Code-Napoléon ne nous paraît pas avoir d'autre caractère. Nous traînons assez de chaînes que la force nous a imposées pour les alourdir encore d'autres, dues à notre Propre choix. Sous ce rapport nous nous trouvons parfaitement egaux à nos paysans. Nous obéissons à la force brutale; nous sommes esclaves parce que nous n'avons pas le moyen de nous affranchir-toutefois du camp ennemi, nous n'accepterons rien.

La Russie ne sera jamais protestante.

La Russie ne sera jamais juste-milieu.

La Russie ne fera pas de révolution, dans le seul but de se défaire du tzar Nicolas et d'obtenir, pour prix de sa victoire, des représentants-tzars, des tribunaux-tzars, une police-tzare, des lois-tzares.

Nous demandons trop peut-être, et nous ne parviendrons à rien. C'est possible, mais nous ne désespérons pas; la Russie avant 1848 ne pouvait, ne devait entrer dans la phase révolutionnaire: elle n'avait qu'à faire son éducation, et elle Га fait en ce moment. Le tzar lui-même s'en aperçoit; aussi assomme-t-il à coup de massue les universités, les idées, les sciences; il s'efforce d'isoler la Russie de l'Europe, de tuer la civilisation; il fait son métier.

Réussira-t-il?

Je l'ai dit ailleurs: il ne faut pas se fier aveuglément à l'avenir; chaque fœtus a droit au développement, mais chaque fœtus ne se développe pas pour cela. L'avenir de la Russie ne dépend pas d'elle seule; il est lié à celui de l'Europe entière. Qui pourrait prédire le sort du monde slave, lorsque la réaction et l'absolutisme auront vaincu la Révolution en Europe?

Il périra peut-être, qui le sait?

Mais alors l'Europe périra aussi…

Et l'histoire continuera en Amérique…

J'en étais là, Monsieur, lorsque j'ai reçu les deux derniers feuilletons de votre légende. Mon premier mouvement à cette lecture, fut de jeter mon travail au feu. Pour un cœur aussi noble, aussi sincère que le vôtre, il ne fallait pas attendre la justice d'une réclamation du dehors, en faveur d'un peuple méconnu. Votre âme sympathique, aimante, a pris le dessus sur le rôle de juge inexorable, de vengeur d'un peuple martyr. Vous vous êtes contredit, mais de pareilles contradictions sont sublimes.

J'ai cependant pensé en relisant ma lettre, que vous pourriez y trouver quelques nouveaux aperçus sur la Russie, et sur le monde slave; je me suis décidé à vous l'envoyer. J'ai pleine confiance que vous me pardonnerez de bon cœur les endroits où j'ai pu me laisser emporter par une fougue barbare; on n'a pas pour rien du sang cosaque dans les veines. Je tenais tant, Monsieur, à modifier vos opinions sur le peuple russe; il m'était si triste, si pénible de nous voir accablés par votre main; je n'ai pu étouffer toujours la douleur de mes émotions; j'ai laissé courir ma plume jusqu'au bout. Je vois maintenant que vous ne désespérez pas de nous, je vois que sous le cafetan grossier du paysan russe vous avez retrouvé l'nomme, je le vois, et à mon tour je vous confesse que nous comprenons parfaitement l'impression que le nom seul de la Russie doit éveiller dans l'âme de tout homme libre. Nous la maudissons souvent nous-mêmes, cette triste patrie. Vous le savez, Monsieur, sans quoi vous n'auriez pas écrit ces remarquables paroles: «Tout ce que nous avons dit sur le néant moral de la Russie, est faible en comparaison de ce que les Russes en ont dit eux-mêmes».

Nous aussi, nous sommes revenus de nos oraisons funèbres sur la Russie, et avec vous nous disons: «Sous la tombe est une étincelle». Vous l'avez devinée par l'intuition de l'amour; nous autres, nous l'avons vue, nous l'avons sentie. Cette étincelle ne s'est pas éteinte dans le sang, ni dans les glaces de la Sibérie, ni dans les profondeurs des mines et des cachots. Ah, puisse-t-elle couver sous la cendre! La bise âpre, sauvage, qui souffle de l'Europe, serait de force à l'anéantir. La Russie se trouve serrée entre deux Sibéries; l'une blanche de neige, l'autre blanche d'opinion.

L'heure de notre action n'a pas sonné; la France se prévaut encore à juste titre de l'honneur du premier pas; elle aura même toutes les difficultés du choix, et cela jusqu'en 1852. L'Europe nous précédera sans faute dans la tombe ou dans la vie nouvelle, non seulement en vertu de son droit d'aînesse, mais à cause du rapport général de la révolution sociale au monde slave, ainsi que j'ai tâché de le démontrer. Le jour de notre action peut être éloigné; le jour de la conscience, de la pensée, de la parole s'est déjà levé. Nous avons assez vécu dans le silence et dans le sommeil; il est temps de raconter nos rêves et les fruits de nos méditations.

Et en effet, à qui la faute, s'il a fallu attendre jusqu'en 1847 Pour «qu'un Allemand (Haxthausen) eût découvert, comme vous le dites, la Russie populaire, que l'on ne connaissait pas plus que l'Amérique avant Colomb».

La faute en est à nous, je l'avoue, Monsieur, à nous, pauvres muets, à notre pusillanimité, à notre parole paralysée par la crainte, à notre imagination frappée par la terreur. Nous craignons même de confesser hors de nos frontières l'horreur que nous inspirent nos chaînes. Forçats nés et condamnés à traîner le boulet jusqu'à la tombe, nous nous offensons chaque fois que l'on parle de nous comme d'esclaves volontaires, comme de nègres gelés, et cependant nous nous gardons de protester publiquement.

Il faudrait se décider enfin à subir ces accusations, ou bien à leur mettre un terme, et à faire retentir la libre parole russe. Mieux vaut périr suspectés d'être hommes que de porter sur son front la marque éternelle du servage, et de plier sous le dur reproche d'être esclaves par goût.

Malheureusement, en Russie, la parole libre étonne; elle fait peur. J'ai essayé seulement de soulever un coin du voile épais qui nous dérobe aux regards de l'Europe; je n'ai parlé que de tendances théoriques, d'espérances lointaines, d'éléments organiques pour l'avenir; et pourtant ma brochure, sur le compte de laquelle vous avez bien voulu vous exprimer en termes si flatteurs, a produit en Russie une douloureuse impression. Des voix amies, que je respecte, l'ont condamnée. On l'a taxée d'aveu de culpabilité. Aveu!.. Et de quel crime? Du crime de notre malheur, de nos souffrances, de notre désir de briser cette-odieuse position… Pauvres et chers amis! Qu'ils me pardonnent ce forfait; je le répète encore.

Ah, Monsieur, il est lourd, il est atroce, le joug d'un long esclavage, sans lutte et sans espoir à court terme! Il finit par user les âmes les plus généreuses, les plus nobles, les plus dévouées. Où est le héros qui ne tomberait à la longue de lassitude, de désespoir, préférant à tous ces rêves un peu de repos avant sa mort?

Non, je ne me tairai pas. Ma parole vengera ces existences infortunées, brisées sous la pression de l'absolutisme russe, de ce régime infernal qui frappe l'homme de prostration morale et d'atonie mortuaire.

Nous sommes forcés de parler, autrement l'on ne se douterait jamais de ce que ces hommes généreux enterrent de beau et de sublime au fond de leur poitrine, de ce qu'ils vont ensevelir sous les neiges de l'exil où leur tombe même ne portera pas leur nom criminel, que leurs amis sauront garder au fond de leur cœur, mais qu'ils n'oseront jamais proférer à haute voix.

Comment! A peine avons-nous ouvert la bouche, à peine avons-nous épelé quelques mots de nos désirs et de nos espérances, que déjà l'on nous impose le silence, que déjà l'on voudrait fermer le cercueil sur le berceau de notre parole? C'est impossible.

Il y a pour la pensée un degré de maturité, où elle ne peut plus se laisser garrotter ni par les liens de la censure, ni par des considérations de prudence. La propagande devient alors passion; et suffit-il de chuchoter à l'oreille, là où l'on n'est pas sûr de briser la léthargie à coups de tocsin?

Depuis l'insurrection des strélitz jusqu'à la conjuration du 14 décembre, il n'y a pas eu en Russie de révolte politique sérieuse. La raison en est bien simple; il n'existait pas dans le peuple de tendances émancipatrices fortement prononcées; en plusieurs choses l'on se mettait d'accord avec le gouvernement, en beaucoup d'autres le gouvernement avait devancé la nation. Les paysans seuls, exclus des avantages du régime impérial, opprimés plus que jamais, essayèrent un soulèvement. La Russie, depuis l'Oural jusqu'à Penza, Simbirsk et Kazan, tomba, pour quelques mois, au pouvoir de Pougatcheff. L'armée impériale se vit repoussée, battue par les Cosaques, et le général Bibikoff envoyé de Pétersbourg pour prendre le commandement, écrivait, si je ne me trompe, de Nijni, les paroles suivantes: «Les affaires vont très mal; ce que je redoute le plus ce ne sont pas les hordes armées des insurgés, c'est l'esprit du peuple qui est mauvais, très mauvais».

Après des efforts inouïs, l'insurrection finit par être écrasée. Le peuple tomba dans un abattement sans bornes; il se tut et laissa faire.

La noblesse en attendant se développait pendant ce triste sommeil du peuple; la civilisation commençait à pénétrer plus avant dans les intelligences, et comme preuve vivante de cette maturité politique du développement moral, impliquant nécessairement l'action, parurent ces hommes admirables, ces héros, ainsi que vous les nommez à juste titre, qui «seuls, dans la gueule même du dragon, tentèrent le coup hardi du 14 décembre».

Leur défaite, la terreur du règne actuel, firent rentrer au fond de l'âme toute idée expansive, refoulèrent toute tentative précoce. Des questions d'un autre genre surgirent; l'on ne voulait plus exposer sa vie pour l'espoir d'une constitution, l'on s'apercevait qu'une Charte conquise à Pétersbourg se briserait sous Je parjure du souverain; le sort de la constitution polonaise servait d'exemple.

Pendant une dizaine d'années, l'on poursuivait un travail intellectuel sans énoncer une seule parole, et l'on est arrivé enfin à un tel malaise, à une telle inquiétude, «que l'on payait par sa vie entière le bonheur d'être libre un instant» et de pouvoir dire à haute voix une partie de sa pensée.

Les uns jetèrent leur fortune avec cette légèreté, cette insouciance, qui n'appartiennent qu'aux Polonais et à nous, et s'en allèrent demander ailleurs une distraction à leur affaissement; d'autres incapables de surmonter le dégoût du régime de Pétersbourg, s'enterrèrent au fond de leurs campagnes. La jeunesse donna tête baissée, qui dans le panslavisme, qui dans la philosophie allemande, qui dans l'histoire ou dans l'économie politique; en un mot, personne de ceux qui étaient appelés à la vie intellectuelle en Russie, n'a pu ni voulu rester tranquille et sta-tionnaire.

L'affaire récente de Pétrachefski envoyé aux mines à perpétuité, et de ses amis déportés en 1849, qui, à deux pas du Palais d'hiver, formèrent plusieurs clubs révolutionnaires, ne prouve-t-elle pas suffisamment par l'audacieuse imprudence des victimes, par l'improbabilité évidente du succès, que le temps des méditations passe, que l'agitation déborde l'âme, que l'on aime mieux courir la chance d'une perte certaine, que de rester témoin muet, impassible, de l'ordre de Pétersbourg?

Une légende fort populaire en Russie raconte qu'un tzar, soupçonnant la fidélité de son épouse, ordonna de l'enfermer avec son fils dans un tonneau. Le monarque fit ensuite goudronner le tonneau et le fit jeter à la mer.

Durant de longues années le tonneau flottait sur les vagues.

Cependant, le tzarévitch grandissait et commençait, de sa tête et de ses pieds, à toucher les deux fonds du tonneau. Le manque d'espace le gênait chaque jour davantage. Un jour il dit à sa mère: «Souveraine ma mère, permets-moi de m'étendre de toute la longueur de mes membres».

«Tzarévitch, mon fils, – répondit la mère, – prends garde défaire ce que tu dis; le tonneau crèverait et tu périrais dans les ondes salées». Le tzarévitch se tut pour un moment; puis, après avoir bien réfléchi, il reprit encore: «Je m'étendrai, ma mère; mieux vaut s'étendre une fois librement et périr ensuite».

Je viens de vous raconter, Monsieur, notre histoire.

Malheur à la Russie, si elle ne trouve plus de ces hommes téméraires, qui commettront des imprudences au risque de payer d'une perte imminente le plaisir de s'étendre une fois librement.

Nous sommes loin de cette crainte…

Le nom de Michel Bakounine me vient involontairement à l'esprit. Bakounine a fourni à l'Europe un témoignage de la pratique révolutionnaire d'un Russe.

Je me suis senti profondément ému, Monsieur, des belles paroles que vous lui adressez; malheureusement ces paroles ne lui parviendront plus.

Le crime international a été consommé; la Saxe a livré la victime à l'Autriche, le Habsbourg Га repassée à Nicolas. Bakounine, on me l'écrit de Pétersbourg, se trouve entre les mains de la Russie. Il est à Shlusselbourg[62], dans cette forteresse d'horrible mémoire où l'on tenait jadis enfermé comme une bête fauve l'enfant royal Jean, petit-fils du tzar Alexis, assassiné par Catherine II, cette femme qui, les mains teintes encore du sang de son époux, tua le prisonnier, et fit décapiter ensuite le malheureux officier, exécuteur fidèle de sa consigne.

Dans cette forteresse humide, baignée par les eaux glacées du Ladoga, point d'illusion, point d'espérance!

Qu'il s'endorme donc du dernier sommeil, qu'il meure, car il est impossible de le sauver. Martyr trahi par deux gouvernements traîtres, et dont chacun conserve dans ses mains sanglantes des ambeaux de sa chair…

Que son nom soit béni, vengé… et par qui?.

…Nous aussi, nous tomberons au milieu de notre route; mais alors, de votre voix austère, grave et sonore, vous rappellerez encore une fois à nos enfants qu'ils ont une dette a payer…

Je m'arrête au souvenir de ce martyr. C'est en son nom et au a mien que je vous serre affectueusement la main.

Nice Maritime, 22 septembre 1851.

Русский народ и социализм*

Письмо к И. Мишле

Перевод с французского


Милостивый государь,

Вы стоите слишком высоко в мнении всех мыслящих людей, каждое слово, вытекающее из вашего благородного пера, принимается европейскою демократиею с слишком полным и заслуженным доверием, чтобы в деле, касающемся самых глубоких моих убеждений, мне было возможно молчать и оставить без ответа характеристику русского народа, помещенную вами в вашей легенде о Костюшке[63].

Этот ответ необходим и по другой причине; пора показать Европе, что, говоря о России, говорят не об отсутствующем, не о безответном, не о глухонемом.

Мы, оставившие Россию только для того, чтобы свободное русское слово раздалось, наконец, в Европе, – мы тут налицо и считаем долгом подать свой голос, когда человек, вооруженный огромным и заслуженным авторитетом, утверждает, что «Россия не существует, что русские не люди, что они лишены нравственного смысла».

Если вы разумеете Россию официальную, царство-фасад, византийско-немецкое правительство, то вам и книги в руки. Мы соглашаемся вперед со всем, что вы нам скажете. Не нам тут играть роль заступника. У русского правительства так много агентов в прессе, что в красноречивых апологиях его действий никогда не будет недостатка.

Но не об одном официальном обществе идет речь в нашем труде; вы затрагиваете вопрос более глубокий; вы говорите о самом народе.

Бедный русский народ! Некому возвысить голос в его защиту! Посудите сами, могу ли я, по совести, молчать.

Русский народ, милостивый государь, жив, здоров и даже не стар, – напротив того, очень молод. Умирают люди и в молодости, это бывает, но это не нормально.

Прошлое русского народа темно; его настоящее ужасно, но у него есть права на будущее. Он не верит в свое настоящее положение, он имеет дерзость тем более ожидать от временно, чем менее оно дало ему до сих пор.

Самый трудный для русского народа период приближается к концу. Его ожидает страшная борьба; к ней готовятся его враги.

Великий вопрос: to be or not to be[64] – скоро будет решен для России. Но грешно перед борьбою отчаиваться в успехе.

Русский вопрос принимает огромные страшные размеры; он сильно озабочивает все партии; но мне кажется, что слишком много занимаются в Россиею императорскою, Россиею официальной и слишком мало Россиею народной, Россиею безгласной.

Даже смотря на Россию только с правительственной точки зрения, не думаете ли вы, что не мешало бы познакомиться поближе с этим неудобным соседом, который дает чувствовать себя во всей Европе, – тут штыками, там шпионами? Русское правительство простирается до Средиземного моря своим покровительством Оттоманской Порте, до Рейна своим покровительством немецким своякам и дядям, до Атлантического океана своим покровительством порядку во Франции.

Не мешало бы, говорю я, оценить по достоинству этого всемирного покровителя, исследовать, не имеет ли это странное государство другого призвания, кроме отвратительной роли, принятой петербургским правительством, – роли преграды беспрестанно вырастающей на пути человечества. Европа приближается к страшному катаклизму. Средневековый мир рушится. Мир феодальный кончается. Политические и религиозные революции изнемогают под бременем своего бессилия; они совершили великие дела, но не исполнили своей задачи. Они разрушили веру в престол и в алтарь, не осуществили свободу; они зажгли в сердцах желания которых они не в силах исполнить. Парламентаризм, протестантизм – все это были лишь отсрочки, временное спасение, бессильные оплоты против смерти и возрождения. Их время минуло. С 1848 года стали понимать, что ни окостенелое римское право, ни хитрая казуистика, ни тощая деистическая философия, ни бесплодный религиозный рационализм не в силах отодвинуть совершение судеб общества.

Гроза приближается, этого отвергать невозможно. В этом соглашаются люди революции и люди реакции. У всех закружилась голова; тяжелый, жизненный вопрос лежит у всех на сердце и сдавливает дыхание. С возрастающим беспокойствием все задают себе вопрос, достанет ли силы на возрождение старой Европе, этому дряхлому Протею, этому разрушающемуся организму? Со страхом ждут ответа, и это ожидание ужасно.

Действительно, вопрос страшный!

Сможет ли старая Европа обновить свою остывающую кровь и броситься стремглав в это необозримое будущее, куда увлекает ее необоримая сила, к которому она несется без оглядки, к которому путь идет, может быть, через развалины отцовского Дома, через обломки минувших цивилизаций, через попранные богатства новейшего образования?

С обеих сторон верно поняли всю важность настоящей минуты. Европа погружена в глухой, душный мрак накануне решительной битвы. Это не жизнь, а тяжкое, тревожное томление. Ни законности, ни правды, ни даже личины свободы; везде неограниченное господство светской инквизиции; вместо законного порядка – осадное положение. Один нравственный двигатель управляет всем – страх, и его достаточно. Все вопросы отступают на второй план перед всепоглощающим интересом реакции. Правительства, по видимому самые враждебные, сливаются в единую, вселенскую полицию. Русский император, не скрывая своей ненависти к французам, награждает парижского префекта полиции; король неаполитанский жалует орден президенту республики. Берлинский король надев русский мундир, спешит в Варшаву обнимать своего врага, императора австрийского, в благодатном присутствии Николая, в то время как он, отщепенец от единой спасающей церкви, предлагает свою помощь римскому владыке. Среди этих сатурналий, среди этого шабаша реакции, ничто не охраняет более личности от произвола. Даже те гарантии, которые существуют в неразвитых обществах, в Китае, в Персии, не уважаются более в столицах так называемого образованного мира. Едва веришь глазам. Неужели это та самая Европа, которую мы когда-то знали и любили?

Право, если бы не было свободной и гордой Англии, «этого алмаза, оправленного в серебро морей», как называет ее Шекспир, если б Швейцария, как Петр, убоявшись кесаря, отреклась от своего начала, если б Пиэмонт, эта уцелевшая ветка Италии, это последнее убежище свободы, загнанной за Альпы и не перешедшей Апеннины, если б и они увлеклись примером соседей, если б и эти три страны заразились мертвящим духом, веющим из Парижа и Вены, – можно было бы подумать, что консерваторам уже удалось довести старый мир до конечного разложения, что во Франции и Германии уже наступили времена варварства.

Среди этого хаоса, среди этого предсмертного томления и мучительного возрождения, среди этого мира, распадающегося в прах вокруг колыбели, взоры невольно обращаются к востоку.

Там, как темная гора, вырезывающаяся из-за тумана, виднеется враждебное, грозное царство; порою кажется, оно идет, как лавина, на Европу, что оно, как нетерпеливый наследник, готово ускорить ее медленную смерть.

Это царство, совершенно неизвестное двести лет тому назад, явилось вдруг, без всяких прав, без всякого приглашения, грубо и громко заговорило в совете европейских держав и потребовало себе доли в добыче, собранной без его содействия.

Никто не посмел восстать против его притязаний на вмешательство во все дела Европы. Карл XII попытался, но его до тех пор непобедимый меч сломился; Фридрих II захотел воспротивиться посягательствам петербургского двора; Кёнигсберг и Берлин сделались добычею северного врага. Наполеон проник с полумиллионом войска в самое сердце исполина и уехал один украдкою, в первых попавшихся пошевнях. Европа с удивлением смотрела а бегство Наполеона, на несущиеся за ним в погоню тучи казаков, на русские войска, идущие в Париж и подающие по пороге немцам милостыню – их национальной независимости. С тех пор Россия налегла, как вампир, на судьбу Европы и стережет ошибки царей и народов. Вчера она чуть не раздавила Австрию, помогая ей против Венгрии, завтра она провозгласит Бранденбург русскою губерниею, чтобы успокоить берлинского короля.

Вероятно ли, что накануне борьбы об этом бойце ничего не знают? А между тем он уже стоит, грозный, в полном вооружении, готовый переступить границу по первому зову реакции. И при всем том едва знают его оружие, цвет его знамени и довольствуются его официальными речами и неопределенными разногласными рассказами о нем.

Иные говорят только о всемогуществе царя, о правительственном произволе, о рабском духе подданных; другие утверждают, напротив, что петербургский империализм не народен, что народ, раздавленный двойным деспотизмом правительства и помещиков, несет ярмо, но не мирится с ним, что он не уничтожен, а только несчастен, и в то же время говорят, что этот самый народ придает единство и силу колоссальному царству, которое давит его. Иные прибавляют, что русский народ – презренный сброд пьяниц и плутов; другие же уверяют, что Россия населена способною и богато одаренною породою людей.

Мне кажется, есть что-то трагическое в старческой рассеянности, с которою старый мир спутывает все сведения об своем противнике.

В этом сброде противуречащих мнений проглядывает столько бессмысленных повторений, такая печальная поверхностность, такая закоснелость в предрассудках, что мы поневоле обращаемся за сравнением к временам падения Рима. Тогда, также накануне переворота, накануне победы варваров, провозглашали вечность Рима, бессильное безумие назареев и ничтожность движения, начинавшегося в варварском мире.

Вам принадлежит великая заслуга: вы первый во Франции заговорили о русском народе, вы невзначай коснулись самого сердца, самого источника жизни. Истина сейчас бы обнаружилась вашему взору, если б в минуту гнева вы не отдернула протянутой руки, если б вы не отвернулись от источника потому что он показался мутным.

Я с глубоким прискорбием прочел ваши озлобленные слова Печальный, с тоскою в сердце, я, признаюсь, напрасно искал в них историка, философа и прежде всего любящего человека, которого мы все знаем и любим. Спешу оговориться; я вполне понял причину вашего негодования: в вас заговорила симпатия к несчастной Польше. Мы также глубоко испытываем это чувство к нашим братьям-полякам, и у нас это чувство – не только жалость, а также стыд и угрызение совести. Любовь к Польше! Мы все ее любим, но разве с этим чувством необходимо сопрягать ненависть к другому народу, столь же несчастному, – народу, который принужден был своими связанными руками помогать злодействам свирепого правительства? Будем великодушны, не забудем, что на наших глазах народ, вооруженный всеми трофеями недавней революции, согласился на восстановление варшавского порядка в Риме; а сегодня… взгляните сами, что происходит вокруг вас… а ведь мы не говорим еще, чтобы французы перестали быть людьми.

Пора забыть эту несчастную борьбу между братьями. Между нами нет победителя. Польша и Россия подавлены общим врагом. Жертвы, мученики – и те отворачиваются от прошлого, равно печального для них и для нас. Ссылаюсь, как вы, на вашего друга, на великого поэта Мицкевича.

Не говорите о мнениях польского певца, что «это милосердие, святое заблуждение». Нет, это плоды долгой и добросовестной думы, глубокого понимания судеб славянского мира. Прощение врагов – прекрасный подвиг; но есть подвиг еще более прекрасный, еще больше человеческий: это понимание врагов, потому что понимание – разом прощение, оправдание, примирение!

Славянский мир стремится к единству; это стремление обнаружилось тотчас после наполеоновского периода. Мысль о славянской федерации уже зарождалась в революционных планах Пестеля и Муравьева. Многие поляки участвовали в тогдашнем русском заговоре.

Когда вспыхнула в Варшаве революция 1830 года, русский народ не обнаружил ни малейшей вражды против ослушников воли царской. Молодежь всем сердцем сочувствовала полякам. Я помню, с каким нетерпением ждали мы известия из Варшавы; мы плакали, как дети, при вести о поминках, справленных в столице Польши по нашим петербургским мученикам. Сочувствие к полякам подвергало нас жестоким наказаниям; поневоле надобно было скрывать его в сердце и молчать.

Очень может быть, что во время войны 1830 года в Польше преобладало чувство исключительной национальности и весьма понятной вражды. Но с тех пор деятельность Мицкевича, исторические и филологические труды многих славян, более глубокое знание европейских народов, купленное тяжелою ценою изгнания, дали мыслям совсем другое направление. Поляки почувствовали, что борьба идет не между русским народом и ими, они поняли, что им впредь можно сражаться не иначе, как ЗА ИХ И НАШУ СВОБОДУ, как было написано на их революционном знамени.

Конарский, измученный и застреленный Николаем в Вильне, призывал к восстанию русских и поляков, без различия племени. Россия отблагодарила его одною из тех едва известных трагедий, которыми окончивается у нас всякое героическое проявление воли под давлением немецких ботфортов. Армейский офицер Короваев решился спасти Конарского. День его дежурства приближался; все было приготовлено для бегства, когда предательство одного из товарищей польского мученика разрушило его планы. Молодого человека арестовали, отправили в Сибирь, и с тех пор об нем не было никогда слухов.

Я провел пять лет в ссылке в отдаленных губерниях империи; много встречал я там ссыльных поляков. Почти в каждом уездном городе живет либо целое семейство, либо один из несчастных воинов независимости. Я охотно сослался бы на их свидетельство; конечно, они не могут пожаловаться на недостаток симпатии со стороны местных жителей. Разумеется тут речь идет не о полиции и не о высшей военной иерархии. Они нигде не отличаются любовью к свободе, тем паче в России. Я мог бы сослаться также на польских студентов, посылаемых ежегодно в русские университеты для удаления от родных влияний; пусть они расскажут, как принимали их русские товарищи. Они расставались с нами со слезами на глазах.

Вы помните, что в 1847 году в Париже, когда польские эмигранты праздновали годовщину своей революции, на трибуне явился русский, чтобы просить о дружбе и о забвении прошлого. Это был наш несчастный друг Бакунин… Впрочем, чтоб не ссылаться на соотечественников, выбираю между теми, которых считают нашими врагами, человека, которого вы сами назвали в вашей легенде о Костюшке. Обратитесь за сведениями об этом предмете к одному из старейшин польской демократии, к Бернацкому, одному из министров революционной Польши; я смело ссылаюсь на него, – долгое горе, конечно, могло бы ожесточить его против всего русского. Я убежден, что он подтвердит все сказанное мною.

Солидарность, связывающая Россию и Польшу между собою и со всем славянским миром, не может быть отвергнута; она очевидна. Еще более: вне России нет будущности для славянского мира; без России он не разовьется, он расплывается и будет поглощен германским элементом; он сделается австрийским и потеряет свою самостоятельность. Но не такова, по нашему мнению, его судьба, его назначение.

Следуя за постепенным развитием вашей мысли, я должен вам признаться, что мне невозможно согласиться с вашим взглядом, по которому вся Европа представляет одну личность, в которой каждая народность играет роль необходимого органа.

Мне кажется, что все германо-романские народности необходимы в европейском мире, потому что они существуют, но что трудно было бы доказать, что они существуют в нем вследствие какой-нибудь необходимости. Уже Аристотель отличал предсуществующую необходимость от необходимости, вносимой в последствии фактов. Природа покоряется необходимости совершившихся событий, но колебание между разобранными возможностями очень велико. На том же основании славянский мир может предъявлять свои права на единство тем более что он состоит из единого племени.

Централизация противна славянскому духу; федерализация гораздо свойственнее его характеру. Только сгруппировавшись в союз свободных и самобытных народов, славянский мир вступит, наконец, в истинно историческое существование. На его прошлое можно смотреть только как на рост, на приготовление на очищение. Исторические государственные формы, в которых жили славяне, не соответствовали внутренней национальной потребности их, потребности неопределенной, инстинктивной, если хотите, но тем самым заявляющей необыкновенную жизненность и много обещающей в будущем. Славяне до сих пор во всех фазах своей истории обнаруживали странное полувнимание – даже удивительную симпатию. Так Россия перешла из язычества в христианство без потрясений, без возмущений, единственно из покорности великому князю Владимиру, из подражания Киеву. Старых идолов без сожаления бросили в Волхов и покорились новому богу, как новому идолу.

Восемьсот лет спустя часть России точно так же покорилась выписной из-за границы цивилизации.

Славянский мир похож на женщину, никогда не любившую и по этому самому, повидимому, не принимающую никакого участия во всем происходящем вокруг нее. Она везде не нужна, всем чужая. Но за будущее отвечать нельзя; она еще молода, и уже странное томление овладело ее сердцем и заставляет его биться скорее.

Что касается до богатства народного духа, то нам достаточно указать на поляков, единственный славянский народ, который бывал разом и силен и свободен.

Славянский мир, в сущности, не так разнороден, как кажется. Под внешним слоем рыцарской, либеральной и католической Польши, императорской, порабощенной, византийской России, под демократическим правлением сербского воеводы, под бюрократическим ярмом, которым Австрия подавляет Иллирию, Далмацию и Ванат, под патриархальною властию Османлисов и под благословением черногорского владыки живет народ, физиологически и этнографически тождественный.

Большая часть этих славянских племен почти никогда не подвергалась порабощению вследствие завоевания. Зависимость, в которой так часто находились они, большею частию выражалась только в признании чужого владычества и во взносе дани. Таков, например, был характер монгольского владычества в России. Таким образом, славяне сквозь длинный ряд столетий сохранили свою национальность, свои нравы, свой язык.

По всему вышесказанному не имеем ли мы право считать Россию зерном кристаллизации, тем центром, к которому тяготеет стремящийся к единству славянский мир, и это тем более, что Россия покуда единственная часть великого племени, сложившаяся в сильное и независимое государство?

Ответ на этот вопрос был бы совершенно ясен, если бы петербургское правительство сколько-нибудь догадывалось бы о своем национальном призвании, если б этот тупой и мертвящий деспотизм мог ужиться с какою-нибудь человеческою мыслию. Но при настоящем положении дел какой добросовестный человек решится предложить западным славянам соединение с империею, находящеюся постоянно в осадном положении, – империею, где скипетр превратился в заколачивающую насмерть палку?

Императорский панславизм, восхваляемый от времени до времени людьми купленными или заблуждающимися, разумеется, не имеет ничего общего с союзом, основанным на началах свободы.

Здесь логика необходимо приводит нас к вопросу первостепенной важности.

Предположив, что славянский мир может надеяться в будущем на более полное развитие, нельзя не спросить, который из элементов, выразившихся в его зародышном состоянии, дает ему право на такую надежду? Если славяне считают, что их время пришло, то этот элемент должен соответствовать революционной идее в Европе. Вы указали на этот элемент, вы коснулись его, но он ускользнул от вас, потому что благородное сострадание к Польше отвлекло ваше внимание.

Вы говорите, что «основание жизни русского народа есть коммунизм», вы утверждаете, что «его сила лежит в аграрном законе, в постоянном дележе земли».

Какое страшное Мане-фекел вылетело из ваших уст!.. Коммунизм в основании! Сила, основанная на разделе земель! И вы не испугались ваших собственных слов?

Не следовало ли тут остановиться, подумать, углубиться в этот вопрос, оставить его не прежде, чем убедившись, мечта это или истина?

Разве в XIX столетии есть какой-нибудь серьезный интерес, лежащий вне вопроса о коммунизме, вне вопроса о разделе земель?

Увлеченный вашим негодованием, вы продолжаете: «У них (у русских) недостает существенного признака человечности – нравственного чутья, чувства добра и зла. Истина и правда не имеют для них смысла; заговорите о них – они молчат, улыбаются и не знают, что значат эти слова». Кто же те русские, с которыми вы говорили? Какие понятия о правде и истине оказались для них недоступными? Этот вопрос не лишний. В наше глубоко революционное время слова правда и истина утратили свое абсолютное, тождественное для всех значение.

Истина и правда старой Европы в глазах Европы рождающейся – неправда и ложь.

Народы – произведения природы; история – прогрессивное продолжение животного развития. Прилагая наш нравственный масштаб к природе, мы далеко не уйдем. Ей дела нет ни до нашей хулы, ни до нашего одобрения. Для нее не существуют приговоры и Монтионовские премии. Она не подпадает под этические категории, созданные нашим личным произволом. Мне кажется, что народ нельзя назвать ни дурным, ни хорошим. В народе всегда выражается истина. Жизнь народа не может быть ложью. Природа производит лишь то, что осуществимо при данных условиях: она увлекает вперед все существующее своим творческим брожением, своею неутомимой жаждой осуществления, этою жаждой, общей всему живущему. Есть народы, жившие жизнью доисторической; другие – живущие жизнью внеисторическою; но, раз вступивши в широкий поток единой и нераздельной истории, они принадлежат человечеству, и, с другой стороны, им принадлежит все прошлое человечества. В истории, Т. е. в деятельной и прогрессивной части человечества, мало-помалу сглаживается аристократия лицевого угла, цвета кожи и других различий. То, что не очеловечилось, не может вступить в историю; поэтому нет народа, взошедшего в историю, которого можно было бы считать стадом животных, как нет народа, заслуживающего именоваться сонмом избранных.

Нет человека довольно смелого или довольно неблагодарного, чтобы отвергать огромное значение Франции в судьбах европейского мира; но позвольте мне откровенно признаться, что я не могу согласиться с вашим мнением, по которому участие Франции – условие sine qua non[65] дальнейшего хода истории.

Природа никогда не кладет весь свой капитал на одну карту. Рим, вечный город, имевший не меньше прав на всемирную гегемонию, пошатнулся, разрушился, исчез, и безжалостное человечество шагнуло вперед через его могилу.

С другой стороны, трудно было бы, не считая природу за осуществленное безумие, видеть лишь отверженное племя, лишь громадную ложь, лишь случайный сбор существ человеческих только по порокам – в народе, разраставшемся в течение десяти столетий, упорно хранившем свою национальность, сплотившемся в огромное государство, вмешивающемся в историю гораздо более, может быть, чем бы следовало.

И все это тем труднее принять, что занимающий нас народ, даже по словам его врагов, нисколько не находится в застое. Это вовсе не племя, дошедшее до общественных форм, приблизительно соответствующих его желаниям, и уснувшее в них, как китайцы, еще менее народ, переживший себя и угасающий в старческой немощи, как индусы. Напротив того, Россия государство совершенно новое – неконченое здание, где все еще пахнет свежей известью, где все работает и вырабатывается, где ничто еще не достигло цели, где все изменяется, – часто к худшему, но все-таки изменяется. Одним словом, это народ по вашему мнению, имеющий основным началом коммунизм, сильный разделом земель…

В чем, наконец, упрекаете вы русский народ? В чем состоит сущность вашего обвинения?

«Русский, – говорите вы, – лжет и крадет; постоянно крадет, постоянно лжет, и это совершенно невинно; это в его природе».

Я не останавливаюсь на чрезмерном обобщении вашего приговора, но обращаюсь к вам с простым вопросом: кого обманывает, кого обкрадывает русский человек? Кого, как не помещика, не чиновника, не управляющего, не полицейского, одним словом, заклятых врагов крестьянина, которых он считает за басурманов, за отступников, за полунемцев? Лишенный всякой возможности защиты, он хитрит с своими мучителями, он их обманывает и в этом совершенно прав. Хитрость, милостивый государь, по словам великого мыслителя[66],– ирония грубой власти.

Русский крестьянин, при своем отвращении от личной поземельной собственности, так верно подмеченном вами, при своей беззаботной и ленивой природе, мало-помалу и незаметно запутался в сети немецкой бюрократии и помещичьей власти. Он подвергся этому унижающему злу с страдательною покорностию, но он не поверил ни правам помещика, ни правде судов, ни законности исполнительной власти. Вот уже почти двести лет, как все его существование стало глухою, отрицательною оппозициею против существующего порядка вещей. Он покоряется притеснению, он терпит, но не причастен ничему, что происходит вне сельской общины.

Имя царя еще возбуждает в народе суеверное сочувствие; не перед царем Николаем благоговеет народ, но перед отвлеченной идеею, перед мифом; в народном воображении царь представляется грозным мстителем, осуществлением правды, земным провидением. После царя одно духовенство могло бы иметь влияние на православную Россию. Оно одно представляет в правительственных сферах старую Русь; духовенство не бреет бороды и тем самым осталось на стороне народа. Народ с доверием слушает монахов. Но монахи и высшее духовенство, исключительно занятые жизнию загробной, нимало не заботятся об народе Попы же утратили всякое влияние вследствие жадности, пьянства и близких сношений с полицией. И здесь народ уважает идею, но не личности.

Что до раскольников, то они ненавидят и лицо и идею, и попа и царя.

Кроме царя и духовенства, все элементы правительства и общества совершенно чужды, существенно враждебны народу. Крестьянин находится, в буквальном смысле слова, вне закона. Суд ему не заступник, и все его участие в существующем порядке дел ограничивается двойным налогом, тяготеющим на нем и который он взносит трудом и кровью. Отверженный всеми, он понял инстинктивно, что все управление устроено не в его пользу, а ему в ущерб, и что задача правительства я помещиков состоит в том, как бы вымучить из него побольше труда, побольше рекрут, побольше денег. Понявши это и одаренный сметливым и гибким умом, он обманывает их везде и во всем. Иначе и быть не может: если б он говорил правду, он тем самым признавал бы над собою их власть; если б он их не обкрадывал (заметьте, что со стороны крестьянина считают покражею утайку части произведений собственного труда), он тем самым признавал бы законность их требований, права помещиков и справедливость судей.

Надобно видеть русского крестьянина перед судом, чтобы вполне попять его положение; надобно видеть его убитое лицо, его пугливый, испытующий взор, чтобы понять, что это военнопленный перед военным советом, путник перед шайкою разбойников. С первого взгляда заметно, что жертва не имеет ни малейшего доверия к этим враждебным, безжалостным, ненасытным грабителям, которые допрашивают, терзают и обирают его. Он знает, что если у него есть деньги, то он будет прав, если нет – виноват. Русский народ говорит своим старым языком; судьи и подьячие пишут новым бюрократическим языком, уродливым и едва понятным, – они наполняют целые in-folio грамматическими необразностями и скороговоркой отчитывают крестьянину эту чепуху. Понимай как знаешь и выпутывайся как умеешь. Крестьянин видит, к чему это клонится, и держит себя осторожно. Он не скажет лишнего слова, он скрывает свою тревогу и стоит молча, прикидываясь дураком. Крестьянин, оправданный судом, плетется домой такой же печальный, как после приговора. В обоих случаях решение кажется ему делом произвола или случайности.

Таким образом, когда его призывают в свидетели, он упорно отзывается неведением, даже против самой неопровержимой очевидности. Приговор суда не марает человека в глазах русского народа. Ссыльные, каторжные слывут у него несчастными.

Жизнь русского народа до сих пор ограничивалась общиною; только в отношении к общине и ее членам признает он за собою права и обязанности. Вне общины все ему кажется основанным на насилии. Роковая сторона его характера состоит в том, что он покоряется этому насилию, а не в том, что он отрицает его по-своему и старается оградить себя хитростию. Ложь перед судьею, поставленным незаконною властию, гораздо откровеннее, чем лицемерное уважение к присяжным, подтасованным купленным префектом. Народ уважает только те установления, в которых отразились присущие ему понятия о законе и праве.

Есть факт, несомненный для всякого, кто близко познакомится с русским народом. Крестьяне редко обманывают друг друга; между ними господствует почти неограниченное доверие, они не знают контрактов и письменных условий. Вопросы о размежевании полос по необходимости бывают очень сложны при беспрестанных разделах земель по числу тягол; между тем дело обходится без жалоб и процессов. Помещики и правительство жадно ищут случая для вмешательства; но этот случай не представляется. Мелкие несогласия повергаются на суд старикам или миру, и их решение беспрекословно принимается всеми. Точно так же в артелях. Артели составляются часто из нескольких сотен работников, соединяющихся на определенное время, например – на год. По прошествии года работники делят между собою заработки по трудам каждого и по общему соглашению. Полиция никогда не имеет удовольствия вмешиваться в их счеты. Почти всегда артель отвечает за каждого из артельщиков.

Еще теснее становится связь между крестьянами одной общины, когда они не православные, а раскольники. От времени до времени правительство устроивает дикий набег на какую-нибудь раскольничью деревню. Крестьян сажают в тюрьму, ссылают, все это без всякого плана, без последовательности, без всякого повода и нужды, единственно для того чтобы удовлетворить требованиям духовенства и дать занятие полиции. При этих-то охотах по раскольникам обнаруживается вновь характер русских крестьян – солидарность, связывающая их между собою. Тогда-то надобно видеть, как они успевают обманывать полицию, спасать своих братьев, скрывать священные книги и сосуды, как они претерпевают, не проговариваясь, самые ужасные муки. Пусть укажут мне хоть один случай, в котором бы раскольничья община была выдана крестьянином, хотя бы и православным?

Это свойство русского характера делает полицейские следствия чрезвычайно затруднительными. Нельзя этому не порадоваться от души. У русского крестьянина нет нравственности, кроме вытекающей инстинктивно, естественно из его коммунизма; эта нравственность глубоко народная; немногое, что известно ему из евангелия, поддерживает ее; явная несправедливость помещиков привязывает его еще более к его правам и к общинному устройству.[67]

Община спасла русский народ от монгольского варварства и от императорской цивилизации, от выкрашенных по-европейски помещиков и от немецкой бюрократии. Общинная организация, хоть и сильно потрясенная, устояла против вмешательств власти; она благополучно дожила до развития социализма в Европе.

Это обстоятельство бесконечно важно для России.

Русское самодержавие вступает в новый фазис. Выросшее из антинациональной революции, оно исполнило свое назначение; оно осуществило громадную империю, грозное войско, правительственную централизацию. Лишенное действительных корней, лишенное преданий, оно обречено на бездействие; правда, оно возложило было на себя новую задачу – внести в Россию западную цивилизацию, и оно до некоторой степени успевало в этом, пока еще играло роль просвещенного правительства. Эта роль теперь оставлена им.

Правительство, распавшееся с народом во имя цивилизации, не замедлило отречься от образования во имя самодержавия.

Оно отреклось от цивилизации, как скоро сквозь ее стремления стал проглядывать трехцветный призрак либерализма; оно попыталось вернуться к национальности, к народу. Это было невозможно. Народ и правительство не имели ничего общего между собою; первый отвык от последнего, а правительству чудился в глубине масс новый призрак, еще более страшный призрак – красного петуха. Конечно, либерализм был менее опасен, чем новая пугачевщина, но страх и отвращение от либеральных идей стали так сильны, что правительство не могло более примириться с цивилизациею.

С тех пор единственной целью царизма остался царизм. Он властвует, чтоб властвовать. Громадные силы употребляются на взаимное уничтожение, на сохранение искусственного покоя. Но самодержавие для самодержавия напоследок становится невозможным; это слишком нелепо, слишком бесплодно. Оно почувствовало это и стало искать занятия в Европе. Деятельность русской дипломации неутомима; повсюду сыплются ноты, советы, угрозы, обещания, снуют агенты и шпионы. Император считает себя естественным покровителем немецких принцев; он вмешивается во все мелкие интриги мелких германских дворов; он решает все споры; то побранит одного, то наградит другого великой княжной. Но этого недостаточно для его деятельности. Он принимает на себя обязанность первого жандарма вселенной, он опора всех реакций, всех гонений. Он играет роль представителя монархического начала в Европе, позволяет себе аристократические замашки, словно он Бурбон или Плантагенет, словно его царедворцы – Глостеры или Монморанси.

К сожалению, нет ничего общего между феодальным монархизмом с его определенным началом, с его прошлым, с его социальной и религиозной идеею, и наполеоновским деспотизмом петербургского царя, имеющим за себя лишь печальную историческую необходимость, преходящую пользу, не опирающимся ни на каком нравственном начале. И Зимний дворец, как вершина горы под конец осени, покрывается все более и более снегом и льдом. Жизненные соки искусственно поднятые до этих правительственных вершин мало-помалу застывают; остается одна материальная сила и твердость скалы, еще выдерживающей напор революционных волн.

Николай, окруженный генералами, министрами, бюрократами, старается забыть свое одиночество, но становится час от часу мрачнее, печальнее, тревожнее. Он видит, что его не любят; он замечает мертвое молчание, царствующее вокруг него, по явственно доходящему гулу далекой бури, которая как будто к нему приближается. Царь хочет забыться. Он громко провозгласил, что его цель – увеличение императорской власти.

Это признание – не новость вот уже двадцать лет, как он без устали, без отдыха трудится для этой единственной цели; для нее он не пожалел ни слез, ни крови своих подданных.

Все ему удалось; он раздавил польскую народность. В России он подавил либерализм.

Чего, в самом деле, еще хочется ему? отчего он так мрачен? Император чувствует, что Польша еще не умерла. На место либерализма, который он гнал с ожесточением совершенно напрасным, потому что этот экзотический цветок не может укорениться на русской почве, встает другой вопрос, грозный, как громовая туча.

Народ начинает роптать под игом помещиков; беспрестанно вспыхивают местные восстания; вы сами приводите тому страшный пример.

Партия движения, прогресса требует освобождения крестьян; она готова принести в жертву свои права. Царь колеблется и мешает; он хочет освобождения и препятствует ему.

Он понял, что освобождение крестьян сопряжено с освобождением земли; что освобождение земли, в свою очередь, – начало социальной революции, провозглашение сельского коммунизма. Обойти вопрос об освобождении невозможно – отодвинуть его решение до следующего царствования, конечно, легче, но это малодушно, и, в сущности, это только несколько часов, потерянных на скверной почтовой станции без лошадей… Из всего этого вы видите, какое счастие для России, что сельская община не погибла, что личная собственность не раздробила собственности общинной; какое это счастие для русского народа, что он остался вне всех политически движений, вне европейской цивилизации, которая, без сомнения подкопала бы общину и которая ныне сама дошла в социализме до самоотрицания.

Европа, – я это сказал в другом месте, – не разрешила антиномии между личностию и государством, но она поставила себе задачею это разрешение. Россия также не нашла этого решения. Перед этим вопросом начинается наше равенство.

Европа, на первом шагу к социальной революции, встречается с этим народом, который представляет ей осуществление, полудикое, неустроенное, – но все-таки осуществление постоянного дележа земель между земледельцами. И заметьте, что этот великий пример дает нам не образованная Россия, но сам народ, его жизненный процесс. Мы, русские, прошедшие через западную цивилизацию, мы не больше, как средство, как закваска, как посредники между русским народом и революционной Европою. Человек будущего в России – мужик, точно так же, как во Франции работник.

Но если так, не имеет ли русский народ некоторое право на снисхождение с вашей стороны, милостивый государь?

Бедный крестьянин! На него обрушиваются все возможные несправедливости. Император преследует его рекрутскими наборами, помещик крадет у него труд, чиновник – последний рубль. Крестьянин молчит, терпит, но не отчаивается, у него остается община. Вырвут ли из нее член, община сдвигается еще теснее; кажется, эта участь достойна сожаления; а между тем она никого не трогает. Вместо того, чтобы заступаться за крестьянина, его обвиняют.

Вы не оставляете ему даже последнего убежища, где он еще чувствует себя человеком, где он любит и не боится; вы говорите: «Его община – не община, его семейство – не семейство, его жена – не жена: прежде чем ему, она принадлежит помещику; его дети – не его дети; кто знает, кто их отец?»

Так вы подвергаете этот несчастный народ не научному разбору, но презрению других народов, которые с доверием внимают вашим легендам.

Я считаю долгом сказать несколько слов по этому поводу.

Семейный быт у всех славян чрезвычайно сильно развит: может быть, единственный консервативный элемент их характера, предел их отрицанья.

Сельская семья неохотно дробится; нередко три, четыре поколения проживают под одним кровом, вокруг патриархально властвующего деда. Женщина, обыкновенно угнетенная, как это бывает везде в земледельческом сословии, пользуется уважением и почетом, когда она вдова старшего в роде.

Нередко вся семья управляется седою бабушкой… Можно ли же сказать, что семья в России не существует?

Перейдем к отношениям помещика к крепостному семейству.

Но для большей ясности отличим норму от злоупотреблений, права от преступлений.

Jus primae noctis[68] никогда не существовало в России.

Помещик не может законно требовать нарушения супружеской верности. Если б закон исполнялся в России, изнасилование крепостной женщины наказывалось бы точно так же, как если бы она была вольная, Т. е. каторжною работою или ссылкою в Сибирь с лишением всех прав. Таков закон, обратимся к фактам.

Я не думаю отвергать, что при власти, данной правительством помещикам, им очень легко насиловать дочерей и жен своих крепостных. Притеснениями и наказаниями помещик всегда добьется того, что найдутся отцы и мужья, которые будут предоставлять ему дочерей и жен, точно так же, как тот достойный французский дворянин в «Записках Пёшо», который в XVIII столетии просил, как об особенной милости, о помещении своей дочери в Parc aux cerfs[69].

Не удивительно также, что честные отцы и мужья не наводят суда на помещика благодаря прекрасному судебному устройству в России; они большею частию находятся в положении того господина Тьерселен, у которого Берье украл по поручению Людовика XV, одиннадцатилетнюю дочь. Все эти грязные гадости возможны: стоит только вспомнить грубые и развращенные нравы части русского дворянства, чтобы в этом убедиться. Но что касается до крестьян, то они далеко не равнодушно переносят разврат своих господ. Позвольте мне привести этому доказательство. Половина из помещиков, убиваемых своими крепостными (по статистическим данным, их число простирается от шестидесяти до семидесяти в год), погибает вследствие своих эротических подвигов. Процессы по таким поводам редки; крестьянин знает, что суды не уважат его жалоб; но у него есть топор; он им владеет мастерски и знает это тоже.

Ограничиваюсь этими намеками о крестьянах и прошу вас выслушать еще несколько слов о России образованной. Вы смотрите так же не снисходительно на умственное движение России, как и на народный характер; одним почерком пера вы вычеркиваете все труды, совершенные до сих пор нашими скованными руками.

Одно из лиц Шекспира, не зная, чем унизить презренного противника, говорит ему: «Я сомневаюсь даже в твоем существовании!» Вы пошли далее, для вас несомненно, что русская литература не существует.

Привожу ваши собственные слова:

«Мы не станем придавать важности опытам тех немногих умных людей, которые вздумали упражняться в русском языке и обманывать Европу бледным призраком будто бы русской литературы. Если б не мое глубокое уважение к Мицкевичу и к его заблуждениям святого, я бы, право, обвинил его за снисхождение (можно даже сказать за милость), с которою он говорит об этой шутке».

Я напрасно доискиваюсь, милостивый государь, причин этого презрения, с которым вы встречаете первый болезненный крик народа, проснувшегося в тюрьме, этот стон, сдавленный рукою тюремщика.

Отчего не захотели вы прислушаться к потрясающим звукам нашей грустной поэзии, к нашим напевам, в которых слышатся рыдания? Что скрыло от вашего взора наш судорожный смех, эту беспрестанную иронию, под которой скрывается глубоко измученное сердце, которая, в сущности, – лишь роковое признание нашего бессилия?

О как я хотел бы достойным образом перевести вам несколько стихотворений Пушкина и Лермонтова, несколько песен Кольцова! Вы бы тогда нам тотчас протянули дружескую руку, вы бы первый попросили нас забыть сказанное вами!

После крестьянского коммунизма ничего так глубоко не характеризует Россию, ничто не предвещает ей столь великой будущности, как ее литературное движение.

Между крестьянином и литературою подымается чудовище официальной России – «Россия-ложь, Россия-холера», как вы ее назвали.

Эта Россия начинается с императора и идет от жандарма-до жандарма, от чиновника до чиновника, до последнего полицейского в самом отдаленном закоулке империи. Каждая ступень этой лестницы приобретает, как в дантовских bolgi[70], новую силу зла, новую степень разврата и жестокости. Это живая пирамида из преступлений, злоупотреблений, подкупов, полицейских, негодяев, немецких бездушных администраторов, вечно голодных; невеж-судей, вечно пьяных; аристократов, вечно подлых: все это связано сообществом грабительства и добычи и опирается на шестьсот тысяч органических машин с штыками.

Крестьянин никогда не марается об этот мир правительственного цинизма; он терпит его существование – в этом его единственная вина.

Стан, враждебный России официальной, состоит из горсти людей, на все готовых, протестующих против нее, борющихся 0 нею, обличающих, подкапывающих ее. Этих одиноких бойцов от времени до времени запирают в казематы, терзают, ссылают

Сибирь, но их место не долго остается пустым; новые борцы выступают вперед; это наше предание, наш майорат.

Страшные последствия человеческой речи в России по необходимости придают ей особенную силу. С любовью и благоговением прислушиваются к вольному слову, потому что у нас его произносят только те, у которых есть что сказать. Не вдруг решаешься передавать свои мысли печати, когда в конце каждой страницы мерещится жандарм, тройка, кибитка и в перспективе Тобольск или Иркутск.

В последней моей брошюре[71] я достаточно говорил об русской литературе; ограничусь здесь некоторыми общими замечаниями.

Грусть, скептицизм, ирония – вот три главные струны русской лиры.

Когда Пушкин начинает одно из своих лучших творений этими страшными словами:

Все говорят – нет правды на земле…

Но правды нет – и выше!

Мне это ясно, как простая гамма… –

не сжимается ли у вас сердце, не угадываете ли вы, сквозь это видимое спокойствие, разбитое существование человека, уже привыкшего к страданию?

Лермонтов, в своем глубоком отвращении к окружавшему его обществу, обращается на тридцатом году к своим современникам со своим страшным

Печально я гляжу на наше поколенье:

Его грядущее иль пусто, иль темно.

Я знаю только одного современного поэта, с такою же мощью затрагивающего мрачные струны души человеческой. Это также поэт, родившийся в рабстве и умерший прежде возрождения отечества. Это певец смерти, Леопарди, которому мир казался громадным союзом преступников, безжалостно преследующих горсть праведных безумцев.

Россия имеет только одного живописца, приобретшего общую известность, – Брюллова. Что же изображает его лучшее произведение, доставившее ему славу в Италии?

Взгляните на это странное произведение. На огромном полотне теснятся в беспорядке испуганные группы; они напрасно ищут спасения. Они погибнут от землетрясения, вулканического извержения, среди целой бури катаклизмов. Их уничтожает дикая, бессмысленная, беспощадная сила, против которой всякое сопротивление невозможно. Это вдохновения, навеянные петербургскою атмосферою.

Русский роман обращается исключительно в области патологической анатомии; в нем постоянное указание на грызущее нас зло, постоянное, безжалостное, самобытное. Здесь не услышите голоса с неба, возвещающего Фаусту прощение юной грешнице, – здесь возвышают голос только сомнение и проклятие. А между тем, если для России есть спасение, она будет спасена именно этим глубоким сознанием нашего положения, правдивостию, с которою она обнаруживает это положение перед всеми.

Тот, кто смело признается в своих недостатках, чувствует, что в нем есть нечто сохранившееся среди отступлений и падений; он знает, что может искупить свое прошлое и не только поднять голову, но сделаться из «Сарданапала-гуляки – Сарданапалом-героем».

Русский народ не читает. Вы знаете, что также Вольтера и Данте читали не поселяне, а дворяне и часть среднего сословия. В России образованная часть среднего сословия примыкает к дворянству, которое состоит из всего того, что перестало быть народом. Существует даже дворянский пролетариат, сливающийся с народом, и пролетариат вольноотпущенный, подымающийся к дворянству. Эта флуктуация, это беспрестанное обновление придает русскому дворянству характер, которого вы не найдете в привилегированных классах отсталой Европы. Одним словом, вся история России со времен Петра I есть только история дворянства и влияний просвещения на него. Прибавлю, что русское дворянство числом равняется избирателям во Франции по закону 31 мая.

В продолжение XVIII века новорусская литература вырабатывала тот звучный, богатый язык, которым мы обладаем теперь, – язык гибкий и могучий, способный выражать и самые отвлеченные идеи германской метафизики и легкую, сверкающую игру французского остроумия. Эта литература, возникшая по гениальному мановению Петра I, имела, это правда, характер правительственный, но тогда знамя правительства был прогресс, почти революция. До 1789 года императорский трон самодовольно драпировался в величественные складки просвещения и философии. Екатерина II заслуживала, чтобы ее обманывали картонными деревнями и дворцами из раскрашенных досок… Никто, как она, не умел ослеплять зрителей величественной обстановкой. В Эрмитаже только и слышно было, что о Вольтере, о Монтескье о Беккарии. Вам известен, милостивый государь, оборот медали. Однакож среди триумфального хора придворных песнопений уже звучала одна странная, неожидаемая нота. Это был звук той скептической, грозно насмешливой струны, перед которым должны были скоро умолкнуть все прочие, искусственные напевы.

Настоящий характер русской мысли, поэтической и спекулятивной, развивается в полной силе по восшествии на престол Николая. Отличительная черта этого направления – трагическое освобождение совести, безжалостное отрицание, горькая ирония, мучительное углубление в самого себя. Иногда все это разражается безумным смехом, но в этом смехе нет ничего веселого.

Брошенный в гнетущую среду, вооруженный ясным взглядом и неподкупной логикой, русский быстро освобождается от веры и от нравов своих отцов.

Мыслящий русский – самый независимый человек в свете. Что может его остановить? Уважение к прошлому?.. Но что служит исходной точкой новой истории России, если не отрицание народности и предания?

Или, может быть, предание петербургского периода? Это предание не обязывает нас ни к чему; этот «пятый акт кровавой драмы, происходящий в публичном доме»[72], напротив, развязывает нас окончательно.

С другой стороны, прошлое западных народов служит нам научением, и только; мы нисколько не считаем себя душеприказчиками их исторических завещаний.

Мы разделяем ваши сомнения, – но ваша вера не согревает нас. Мы разделяем вашу ненависть, но не понимаем вашей привязанности к завещанному предками; мы слишком угнетены, слишком несчастны, чтобы довольствоваться полусвободой. Вас связывают скрупулы[73], вас удерживают задние мысли. У нас нет ни задних мыслей, ни скрупулов; у нас только недостает силы…

Вот откуда в нас эта ирония, эта тоска, которая нас точит, поводит нас до бешенства, толкает нас вперед, пока добьемся мы Сибири, истязания, ссылки, преждевременной смерти. Мы жертвуем собою без всякой надежды; от желчи; от скуки… В нашей жизни в самом деле есть что-то безумное – но нет ничего пошлого, ничего косного, ничего мещанского.

Не обвиняйте нас в безнравственности, потому что мы не уважаем того, что вы уважаете. Можно ли упрекать найденыша за то, что он не уважает своих родителей? Мы независимы, потому что начинаем жизнь сызнова. У нас нет ничего законного, кроме нашего организма, нашей народности; это наша сущность, наша плоть и кровь, но отнюдь не связывающий авторитет. Мы независимы, потому что ничего не имеем. Нам почти нечего любить. Все наши воспоминания исполнены горечи и злобы. Образование, науку подали нам на конце кнута. Какое же нам дело до ваших заветных обязанностей, нам, младшим братьям, лишенным наследства? И можем ли мы по совести довольствоваться вашею изношенной нравственностию, не христианскою и не человеческою, существующею только в риторических упражнениях и в прокурорских докладах! Какое уважение может внушать нам ваша римско-варварская законность, это глухое, неуклюжее здание без света и воздуха, подновленное в средние века, подбеленное вольноотпущенным мещанством? Согласен, что дневной разбой в русских судах еще хуже, но из этого не следует, что у вас есть справедливость в законах и судах.

Различие между вашими законами и нашими указами заключается только в заглавной формуле. Указы начинаются подавляющей истиною: «Царь соизволил повелеть»; ваши законы начинаются возмутительною ложью – ироническим злоупотреблением имени французского народа и словами «свобода, братство и равенство». Николаевский свод рассчитан против подданных и в пользу самодержавия. Наполеоновский свод имеет решительно тот же характер. На нас лежит слишком много цепей, чтобы мы добровольно надели на себя еще новых. В этом отношении мы стоим совершенно наряду с нашими крестьянами. Мы покоряемся грубой силе. Мы рабы потому что не имеем возможности освободиться; но мы не принимаем ничего от наших врагов.

Россия никогда не будет протестантскою.

Россия никогда не будет juste-milieu[74].

Россия никогда не сделает революции с целью отделаться от царя Николая и заменить его царями-представителями, царями-судьями, царями-полицейскими.

Мы, может быть, требуем слишком много и ничего не достигнем. Может быть, так, но мы все-таки не отчаиваемся; прежде 1848 года России не должно, невозможно было вступать в революционное поприще, ей следовало доучиться, и теперь она доучилась. Сам царь это замечает и свирепствует против университетов, против идей, против науки; он старается отрезать Россию от Европы, убить просвещение. Он делает свое дело.

Успеет ли он в нем?

Я уже сказал это прежде. Не следует слепо верить в будущее; каждый зародыш имеет право на развитие, но не каждый развивается. Будущее России зависит не от нее одной. Оно связано с будущим Европы. Кто может предсказать судьбу славянского мира в случае, если реакция и абсолютизм окончательно победят революцию в Европе?

Быть может, он погибнет?

Но в таком случае погибнет и Европа…

И история перенесется в Америку…

Написавши предыдущее, я получил последние два фельетона вашей легенды. Прочитавши их, первым моим движением было бросить в огонь написанное мною. Ваше теплое благородное сердце не дождалось, чтобы кто-нибудь другой поднял голос в пользу непризнанного русского народа. Ваша любящая душа взяла верх над принятою вами ролью неумолимого судьи мстителя за измученный польский народ. Вы впали противоречие, но такие противоречия благородны.

Перечитывая мое письмо, я однако подумал, что вы можете найти в нем новые взгляды на Россию и на славянский мир; и я решился послать его вам. Я вполне надеюсь, что вы простите те места, где я увлекся своею скифскою горячностию. Кровь варваров недаром течет в моих жилах. Мне так хотелось изменить ваше мнение о русском народе; мне было так грустно, так тяжело видеть, что вы против нас, что не мог скрыть своей горести, своего волнения – и дал волю перу. Но теперь я вижу, что вы в нас не отчаиваетесь, что под грубым армяком русского крестьянина вы узнали человека, я это вижу и, в свою очередь, признаюсь вам, что вполне понимаю то впечатление, которое должно производить одно имя России на всякого свободного человека. Мы часто сами проклинаем наше несчастное отечество. Вы это знаете, вы сами говорите, что все, что вы сказали о нравственном ничтожестве России, – слабо в сравнении с тем, что говорят сами русские.

Но и для нас проходит время надгробных речей по России, и мы говорим с вами: «В этой мысли таится искра жизни». Вы угадали ее, эту искру, силою вашей любви; во мы, мы ее видим, мы ее чувствуем. Эту искру не потушат ни потоки крови, ни сибирские льды, ни духота рудников и тюрем. Пусть разгорается она под золою! Холодное, мертвящее дуновение, которым веет от Европы, может ее погасить.

Для нас час действия еще не настал; Франция еще по справедливости гордится своим передовым положением. Ей до 1852 года принадлежит трудное право. Европа, без сомнения, прежде нас достигнет гроба или новой жизни. День Действия, может быть, еще далеко для нас; день сознания, мысли, слова уже пришел. Довольно жили мы во сне и молчании; пора нам рассказывать, что нам снилось, до чего мы додумались.

И в самом деле, кто виноват в том, что надобно было дожить до 1847 года, чтобы «немец (Гакстгаузен) открыл, как вы выражаетесь, народную Россию, столь же неизвестную до него как Америка до Колумба»?

Виноваты, конечно, мы – мы, бедные, немые, с нашим, малодушием, с нашею боязливою речью, с нашим запуганным воображением. Мы даже за границею боимся признаваться в ненависти, с которою мы смотрим на наши оковы. Каторжники от рождения, обреченные влачить до смерти ядро, прикованное к нашим ногам, мы обижаемся, когда об нас говорят как о добровольных рабах, как о мерзлых неграх, а между тем мы не протестуем открыто.

Следует ли смиренно покориться этим нареканиям, или решиться остановить их, возвысив голос для свободной русской речи? Лучше погибнуть подозреваемыми в человеческом достоинстве, чем жить с позорным знаком рабства на лбу, чем слушать, как нас обвиняют в добровольном порабощении.

К несчастию, в России свободная речь удивляет, пугает. Я попытался приподнять только край тяжелой завесы, скрывающей нас от Европы, я указал только на теоретические стремления, на отдаленные надежды, на органические элементы будущего развития; а между тем моя книга, о которой вы выразились так лестно, произвела в России неблагоприятное впечатление. Дружеские голоса, уважаемые мною, порицают ее. В ней видят обвинение на Россию! Обвинение!. в чем же? В наших страданиях, в наших бедствиях, в нашем желании вырваться из этого ненавистного состояния… Бедные, дорогие друзья, простите мне это преступление; я снова впадаю в него.

Тяжко, ужасно ярмо долгого рабства, без борьбы, без близкой надежды! Оно напоследок подавляет самое благородное, самое сильное сердце. Где герой, которого наконец не сломила бы усталь, который не предпочел бы на старости лет покой вечной тревоге бесплодных усилий?

Нет, я не умолкну! Мое слово отомстит за эти несчастные существования, разбитые русским самовластьем, доводящим людей до нравственного уничтожения, до духовной смерти.

Мы обязаны говорить; без этого никто не узнает, сколько прекрасного и высокого эти страдальцы навсегда замыкают в груди своей, и оно гибнет с ними в снегах Сибири, где даже на их могиле не начертится их преступное имя, которое их друзья будут хранить в сердце своем, не смея произносить его.

Едва мы открыли рот, едва пролепетали два-три слова о наших желаниях, о наших надеждах, и уже хотят его зажать, хотят заглушить в колыбели наше свободное слово! Это невозможно.

Для мысли настает время зрелости, в которое ее не могут более сковать ни цензурные меры, ни осторожность. Тут пропаганда делается страстью; можно ли довольствоваться шептанием на ухо, когда сон так глубок, что едва ли рассеешь набатом?

От восстания стрельцов до заговора 14 декабря в России не было серьезного политического движения. Причина тому понятна: в народе не было ясно определившихся стремлений к независимости. Во многом он соглашался с правительством, во многом правительство опережало народ. Одни крестьяне, не причастные к выгодам императорским, более чем когда-нибудь угнетенные, попытались восстать. Россия, от Урала до Пензы и Казани, на три месяца подпала власти Пугачева. Императорское войско было отражено, разбито казаками, и генерал Бибиков, посланный из Петербурга, чтобы принять команду войска, писал, если я не ошибаюсь, из Нижнего: «Дела идут очень плохо; более всего надобно бояться не вооруженных полчищ бунтовщиков, а духа народного, который опасен, очень опасен».

После неслыханных усилий восстание наконец было подавлено. Народ впал в оцепенение, умолк и покорился…

Между тем дворянство развивалось, образование начинало оплодотворять умы, и, как живое доказательство этой политической зрелости нравственного развития, необходимо выражающейся в деятельности, явились эти дивные личности, эти герои, как вы справедливо называете их, которые «одни, в самой пасти дракона отважились на смелый удар 14 декабря».

Их поражение, террор нынешнего царствования подавили всякую мысль об успехе, всякую преждевременную попытку. Возникли другие вопросы; никто не хотел более рисковать жизнию в надежде на конституцию; было слишком ясно, что хартия, завоеванная в Петербурге, разбилась бы о вероломство царя: участь польской конституции была перед глазами. В продолжение десяти лет умственная деятельность Не могла обнаружиться ни одним словом, и томительная тоска дошла до того, что «отдавали жизнь за счастие быть свободным одно мгновенье» и высказать вслух хоть часть своей мысли.

Иные отказались от своих богатств с тою ветреною беззаботностию, которая встречается лишь у нас да у поляков и отправились на чужбину искать себе рассеяния; другие не способные переносить духоту петербургского воздуха закопали себя в деревнях. Молодежь вдалась кто в панславизм, кто в немецкую философию, кто в историю или в политическую экономию; одним словом, никто из тех русских, которые были призваны к умственной деятельности, не мог, не захотел покориться застою.

История Петрашевского, приговоренного к вечной каторге, и его друзей, сосланных в 1849 году за то, что они в двух шагах от Зимнего дворца образовали несколько политических обществ, не доказывает ли достаточно, по безумной неосторожности, по очевидной невозможности успеха, что время размышлений прошло, что волнения в душе не сдержишь, что верная гибель стала казаться легче, чем немая страдательная покорность петербургскому порядку?

Очень распространенная в России сказка гласит, что царь, подозревая жену в неверности, запер ее с сыном в бочку, потом велел засмолить бочку и бросить в море.

Много лет плавала бочка по морю.

Между тем царевич рос не по дням, а по часам и уже стал упираться ногами и головой в донья бочки. С каждым днем становилось ему теснее да теснее. Однажды сказал он матери:

– Государыня-матушка, позволь протянуться вволюшку.

– Светик мой царевич, – отвечала мать, – не протягивайся. Бочка лопнет, и ты утонешь в соленой воде.

Царевич смолк и, подумавши, сказал:

– Протянусь, матушка; лучше раз протянуться вволюшку да умереть.

В этой сказке, милостивый государь, вся наша история.

Горе России, если в ней переведутся смелые люди, рискующие всем, чтобы хоть раз протянуться вволюшку.

Но этого бояться нечего… Невольно приходит мне при этих словах на мысль М. Бакунин. Бакунин дал Европе образчик вольного русского человека.

Я был глубоко тронут прекрасными словами, с которыми вы обращаетесь к нему. К несчастию, эти слова до него не дойдут.

Международное преступление совершилось, Саксония выдала свою жертву Австрии, Австрия – Николаю. Он в Шлиссельбурге, в этой крепости зловещей памяти, где некогда держался взаперти, как дикий зверь, Иван Антонович, внук царя Алексея, убитый Екатериною II, этою женщиною, которая, еще покрытая кровью мужа, приказала сперва заколоть узника, а потом казнить несчастного офицера, исполнившего это приказание.

В сыром каземате, у ледяных вод Ладожского озера, нет места ни для мечтаний, ни для надежды!

Пусть же он спокойно заснет последним сном, мученик, преданный двумя правительствами, у которых на пальцах осталась его кровь…

Слава имени его и мщение!.. Но где же мститель?.. И мы также погибнем на полпути, как он; но тогда вашим строгим и величавым голосом скажите еще раз нашим детям, что за ними остается долг…

Останавливаюсь на воспоминании об Бакунине и жму вам крепко руку, и за него и за себя.

Ницца, 22 сентября 1851.

Michel Bakounine*

Monsieur, Vous avez désiré connaîtie quelques détails biographiques sur Bakounine. Je suis profondément sensible à l'honneur que vous me faites en vous adressant à moi et en me donnant l'occasion de parler de cet homme héroïque avec lequel j'ai été très lié.

Puissent ces notes, écrites à la hâte, vous servir à lui faire une couronne de martyr; il est digne, Monsieur, d'en avoir une, tressée par vos mains.

Vous avez aussi exprimé le désir d'avoir son portrait; avec le temps je parviendrai peut-être à faire venir celui qui a été fait en Allemagne en 1843 et que j'ai vu en Russie. Il est assez ressemblant. En attendant, pour vous donner une idée des traits de Bakounine, je vous recommande les vieux portraits de Spinoza, qu'on trouve dans quelques éditions allemandes de ses écrits; il y a beaucoup de ressemblance entre ces deux têtes.

Michel Bakounine est maintenant âgé de 37 à 38 ans.

Il est né d'une vieille famille aristocratique et dans une position également éloignée d'une grande richesse et d'une indigence gênante. C'est le milieu dans lequel il y a le plus de lumière et de mouvement en Russie. Pour vous donner, Monsieur, une idée de ce qui s'agite et fermente au fond de ces familles» si tranquilles à la surface, il me suffira d'énumérer le sort des oncles de Bakounine, des Mouravioff, auxquels il ressemblait beaucoup par sa haute taille un peu voûtée, par ses yeux bleu-clair, par son front large et carré, et même par sa bouche assez grande.

Une seule génération de la famille des Mouravioff donna trois individus magnifiques à l'insurrection du 14 décembre (deux étaient parmi les membres les plus influents; l'un fut pendu par Nicolas, l'autre périt en Sibérie), un bourreau aux Polonais, un procureur général au Saint-Synode et, enfin, une épouse à l'un des ministres de S. M.

On peut se figurer l'harmonie et l'unité qui régnent dans des familles composées d'éléments aussi hétérogènes.

Michel Mouravioff, le gouverneur militaire de Vilna, aimait à répéter: «Je n'appartiens pas aux Mouravioff que l'on pend, mais à ceux qui font pendre».

Bakounine a passé son enfance dans la maison paternelle, à Tver, et près de cette ville dans les possessions seigneuriales de son père. Celui-ci qui passait pour un homme d'esprit et même pour un vieux conspirateur du temps d'Alexandre, ne l'aimait pas trop et se débarrassa de lui, dès qu'il l'a pu. 11 le plaça dans une école d'artillerie à Pétersbourg.

Les écoles militaires en Russie sont atroces, c'est là que l'on forme, sous les yeux mêmes de l'empereur, les officiers pour son armée. C'est là qu'on «brise l'âme» aux enfants et qu'on les dresse à l'obéissance passive. L'esprit vigoureux et le corps robuste de Bakounine passèrent heureusement à travers cette rude épreuve. Il finit ses études et fut admis au service, comme officier d'artillerie. Son père voulant l'éloigner, fit, par l'intermédiaire des généraux avec lesquels il était lié, passer son fils de Pétersbourg dans un parc cantonné dans le triste pays de la

Russie Blanche.

Le jeune homme dépérissait dans cette existence ennuyeuse; il devint triste, mélancolique, au point que ses supérieurs commençaient à avoir des craintes sérieuses sur l'état de sa santé, et grâce à cela, on ne s'opposa pas, lorsqu'une année plus tard il donna sa démission. Libre du service, contre le désir de son Père, sans liaisons, sans appui, sans argent, il vint à Moscou. C'était en 1836. Il était comme perdu dans cette ville qui lui était inconnue; il cherchait à donner des leçons de mathématiques, seule science qu'il connaissait un peu, et n'en trouvait pas. Heureusement, quelque temps après, on le présenta à une dame que toute la jeunesse littéraire d'alors aimait et estimait beaucoup, à Mme C. Lévachoff (on peut bien nommer cette sainte femme; il y a plus de dix ans qu'elle n'existe plus). C'était une de ces existences pures, dévouées, pleines de sympathies éle, vées et de chaleur d'âme, qui font rayonner autour d'elles l'amour et l'amitié, qui réchauffent et consolent tout ce qui s'approche d'elles. Dans les salons de Mme Lévachoff on rencontrait les hommes les plus éminents de la Russie, Pouchkine, Michel Orloff (non le ministre de la police, mais son frère, le conspirateur), enfin, Tchaadaïeff, son ami le plus intime et qui lui a adressé ses célèbres lettres sur la Russie.

Mme Lévachoff devina par cette intuition sagace, particulière aux femmes douées d'un grand cœur, la forte trempe du caractère et les facultés extraordinaires de l'ex-artilleur. Elle l'introduisit dans le cercle de ses amis. C'est alors qu'il rencontra Stankévitch et Bélinnski, avec lesquels il se lia intimement.

Stankévitch[75] le poussa à l'étude de la philosophie. La rapidité avec laquelle Bakounine, qui ne connaissait alors que très peu la langue allemande, s'assimilait les idées de Kant et de Hegel et se rendait maître et de la méthode dialectique, et du contenu spéculatif de leurs écrits, a été étonnante. Deux années après son arrivée à Moscou, ses amis étaient tellement devancés par lui, qu'ils s'adressaient ordinairement à lui, lorsqu'ils trouvaient quelques difficultés. Bakounine avait un don magnifique pour développer les thèses les plus abstraites, avec une lucidité qui les mettait à la portée de chacun et sans rien perdre de leur profondeur idéaliste. C'est précisément le rôle que je prétends être celui qui est dévolu au génie slave par rapport à la philosophie; nous avons de grandes sympathies pour la spéculation allemande, mais nous aspirons encore plus vers la clarté française.

Bakounine pouvait parler des heures entières, disputer depuis le soir jusqu'au matin sans se fatiguer, sans perdre ni le fil dialectique de l'entretien, ni Г ardeur de la persuasion. Et il était toujours prêt à commenter, éclaircir, répéter, sans le moindre dogmatisme. Cet homme était né missionnaire, propagandiste, prêtre. L'indépendance, l'autonomie de la raison, telle était sa bannière alors, et, pour émanciper la pensée, 1 faisait la guerre à la religion, la guerre à toutes les autorités. Et comme chez lui l'ardeur de la propagande s'alliait à un très grand courage personnel, on pouvait dès lors prévoir que, dans e époque telle que la nôtre, il deviendrait un révolutionnaire fougueux, ardent, héroïque. Toute, son existence n'était qu'une œuvre de propagande. Moine de l'église militante de la révolution, il allait par le monde prêchant la négation du christianisme, l'approche du dernier jugement de ce monde féodal et bourgeois, prêchant le socialisme à tous et la réconciliation aux Russes et aux Polonais. Il n'avait pas d'autre vocation dans sa vie, ni d'autre intérêt; il était complètement indifférent aux conditions extérieures de son existence.

Quittant sa patrie, Bakounine ne s'est jamais soucié de ce qu'il abandonnait son héritage. Il n'a jamais pensé comment il ferait pour dîner le lendemain. Avait-il un peu d'argent – il le dépensait, sans compter, follement; il le donnait à d'autres. N'en avait-il pas? Cela n'abattait pas son courage, il en riait avec ses amis, il savait réduire sa vie à presque rien, il se refusait tout, et non seulement il ne s'en plaignait pas beaucoup, mais en effet il souffrait moins que les autres, il acceptait le manque d'argent, comme une maladie.

Il était jeune, beau, il aimait faire des prosélytes parmi les femmes, beaucoup étaient enthousiasmées de lui, et pourtant aucune femme n'a joué un grand rôle dans la vie de cet ascète révolutionnaire; son amour, sa passion étaient aillieurs.

J'ai fait la connaissance de Bakounine en 1839. Je revenais alors à Moscou d'un premier exil et commençais à travailler dans des écrits périodiques, dirigés par Bélinnski, ami intime de Bakounine. Nous passâmes ensemble une année. Bakounine me poussait de plus en plus dans l'étude de Hegel, je tâchais d'importer plus d'éléments révolutionnaires dans sa science austère.

L'automne de 1840 Bakounine quitta la Russie; il se rendit a Berlin pour terminer ses études. Seul de ses amis, j'allais le reconduire jusqu'à Gronstadt. A peine le bateau à vapeur fut-il sorti de la Neva, qu'un de ces ouragans baltiques, accompagnes de torrents d'une pluie froide, se déchaîna contre nous.

Force fut au capitaine de retourner. Ce retour fit une impression extrêmement pénible sur nous deux. Bakounine regardait tristement comment le rivage de Pétersbourg, qu'il pensait avoir quitté pour des années, s'approchait de nouveau avec ses quais parsemés de sinistres figures de soldats, de douaniers d'officiers de police et de mouchards, grelottant sous leurs parapluies usés.

Etait-ce un signe, un avis providentiel?.. Une circonstance semblable retint Cromwell, lorsqu'il voulait s'embarquer pour J'Amérique. Mais Cromwell quittait l'Old England et il était au fond enchanté d'avoir trouvé un prétexte pour y rester. Bakounine quittait la nouvelle cité des tzars. Ah! Monsieur, il faut voir l'enthousiasme sans bornes, la joie, les larmes aux yeux, chaque fois qu'un Russe passe la frontière de sa patrie et pense qu'il se trouve maintenant hors du pouvoir de son tzar!

Je montrai à Bakounine l'aspect lugubre de Pétersbourg et je lui citai ces vers magnifiques de Pouchkine, où il jette les mots comme des pierres, sans les lier entre eux, en parlant de Pétersbourg: «Cité splendide, cité pauvre, air de contrainte, aspect régulier, la voûte des cieux grisâtre et verte… Ennui, bise et granit». Bakounine ne voulut pas descendre sur le rivage, il préféra attendre dans la cabine du bateau l'heure du départ. Je le quittai et me rappelle encore sa haute et grande figure, enveloppée dans un manteau noir et battue par une pluie inexorable, comme il se tenait sur le devant du bateau et me saluait pour la dernière fois avec son chapeau, lorsque je m'enfonçais dans une rue de traverse…

Bakounine étonna d'abord par sa fougue, par ses talents et par la hardiesse des conséquences qu'il osait accepter, les professeurs de Berlin; mais bientôt il s'ennuya et rompit avec le quiétisme de la science allemande. Bakounine ne voyait d'autre moyen de résoudre l'antinomieentre la pensée et le fait, que la lutte, et il devint de plus en plus révolutionnaire. Il fut au nombre des jeunes littérateurs qui protestèrent dans les Annales de Halle, dirigées par Arnold Rüge, contre la manière stérile, aristocratique et inhumaine des professeurs allemands de comprendre la science, contre leur fuite dans les sphères de l'absolu, contre leur abstention sans cœur qui ne voulait participer en rien aux fatigues de l'homme contemporain

Les articles de Bakounine, écrits avec beaucoup de verve et de hardiesse, étaient signés Jules Elysard. Au reste il écriait très peu et travaillait difficilement quand il fallait recourir à la plume.

En 1843 Bakounine, poursuivi par les réactionnaires suisses, fut dénoncé par l'un d'eux, Blüntchli, et reçut aussitôt la sommation de rentrer en Russie. Blüntchli, journaliste et membre du gouvernement à Zurich, lors de l'affaire du communiste Weitling, compromit une quantité de personnes. Ayant entre ses mains les dossiers de Weitling et de ses amis, il fit une brochure, où il rendit public tout ce qu'il devait garder secretr comme magistrat. Il n'y avait aucune lettre adressée à Bakounine ou adressée par lui à Weitling, mais dans je ne sais quel billet Weitling parlait de Bakounine, socialiste russe. Cela a suffi à Blüntchli. Après cette dénonciation il était impossible de rentrer; Bakounine refusa par conséquent d'obtempérer à l'ordre impérial. Alors le tzar le fit juger par son Sénat; on le condamna à la perte de tous ses titres et à la déportation perpétuelle des qu'il rentrerait «pour avoir désobéi aux ordres de S. M. et pour avoir tenu une conduite inconvenante à un officier russe». Bakounine remercia l'empereur par une lettre qu'il fit insérer dans les journaux de Paris, où il vint se fixer, de lui avoir retiré ses titres de noblesse.

Exilé une seconde fois après le départ de Bakounine, je n'ai trouvé les moyens et la possibilité de quitter la Russie qu'au commencement de l'année 1847, et c'est alors que je l'ai revu a Paris. Il menait une vie retirée, ne voyait que quelques amis russes et polonais; il fréquentait Proudhon et allait parfois chez Mme George Sand. Il était fatigué, plus triste qu'en Russie, mais était bien loin du désespoir; le temps était lourd en 1847. „Expulsé de Paris après son discours à l'anniversaire de la ^volution polonaise en 1847, il alla à Bruxelles. Le 24 février i ouvrit les portes de la France, d'une grande carrière et de la prison éternelle. Bakounine rajeunit et se sentit pour la pre-»ere fois dans la possibilité de développer toutes ses forces et toute son activité énergique.

Il quitta Paris au mois de mars 1848 pour porter ses conseil sa parole aux Slaves autrichiens. Chemin faisant, il rencontra' dans la Forêt Noire, une commune de paysans en pleine insurection, allant prendre le château. Bakounine se souviem de son état d'artilleur, leur enseigne les mouvements et les dispositions nécessaires pour prendre le château, leur donne des instructions et remonte dans la voiture pour continuer sa route.

Lorsque Bakounine vint à Prague, il y trouva le congrès slave déjà réuni. Présenté par un député de la Galicie, il fU[invité à prendre part aux travaux de ce premier concile d'une nationalité qui se réveillait enfin, après des siècles de léthargie. On y parlait toutes les langues slaves, il ne manquait qu'une seule, la langue russe. Personne au monde ne pouvait mieux représenter l'idée révolutionnaire de la petite minorité de sa patrie que Bakounine, lui Russe, ami des Polonais, armé de tout ce que la science allemande pouvait donner, et socialiste, comme les hommes les plus avancés de la France. Bakounine, dès son apparition, acquit une influence immense et très populaire. Son extérieur noble et tout à fait slave, son énergie, son caractère ouvert, sa parole claire et profonde, rallièrent autour de lui les hommes effectivement révolutionnaires de la Bohème et les Slaves autrichiens.

Vous connaissez, Monsieur, l'histoire de la révolution de Prague. C'est l'histoire typique de toutes les révolutions, écloses à la suite du 24 février. Victoires faciles au commencement, les vainqueurs se sentant profondément indignes d'être vainqueurs, une foi aveugle aux concessions hypocrites du pouvoir, discussions oiseuses et formalités, perte de temps, prise d'armes inopportune et défaite complète.

Windichgraetz était enchanté des barricades à Prague, tout comme Marrast et Cavaignac l'ont été le 22 juin 1848 à Paris. Il bombarda la ville pendant six jours. Dès le commencement du combat Bakounine descendit dans la rue, mais à la fin il u У avait rien à faire. Windichgraetz devait écraser par les canons et les masses. La population montrait des sympathies autrichiennes. Bakounine abandonna la ville, lorsque la défaite était consommée et alla attendre de meilleurs jours à Dessau.

Jamais dans aucun pays on n'a vu un spectacle plus ignoble, lâche, que celui que donnaient au peuple allemand leurs gouvermants en 1849. Louis-Napoléon, Pie IX sont des héros de Dité de franchise et de loyauté à côté de ces misérables Habsburg et Hohenzollern avec leurs collègues de Saxe, Wurtemberg, Hesse, Bade, etc. Le spectacle de ces trahisons, de ces parjures, petites cruautés à la fois sanguinaires et mesquines, qui indignèrent Paskévitch en Hongrie, rendit furieux les derniers hommes libres en Allemagne, qui n'avaient pas fléchi devant la réaction; on était plus qu'indigné: le cœur se remplissait d'un désir insurmontable de vengeance et de représailles. Les monstruosités commises par les Prussiens dans le duché de Bade, par exemple, étaient telles, que j'ai entendu de braves bourgeois allemands, qui, leur vie entière, n'ont jamais osé penser à contester les droits des rois et des grands, me dire, pâles et tremblants de rage: «Ah! si un jour nous pouvions étrangler de nos mains un officier prussien!» Le parti révolutionnaire, sous cette influence nerveuse et fébrile, avec l'exaltation du désespoir et de l'offense, tenta un suprême effort à Dresde.

Bakounine était là, triste, irrité; il n'en pouvait plus, comme le montrait une lettre qu'il adressa à un de ses amis de Ko then avant la révolution de Dresde. Dès que le mouvement se prononça à Dresde, il apparut sur les barricades, on l'y connaissait et on l'y aimait beaucoup.

Un gouvernement provisoire fut constitué. Il vint lui offrir ses services. Plus énergique que ses amis, sans être investi d’un commandement formel, il devint le chef militaire de la ville assiégée. C'est là qu'il manifesta non seulement un courage, mais aussi une présence d'esprit héroïques, imperturbables.

Lorsqu'il apprit que les soldats du roi n'étaient pas bien decidés à massacrer leurs frères, qu'ils avaient des scrupules,qu’ils ménageaient même les édifices, Bakounine proposa de mettre les chefs-d'œuvre de la galerie de Dresde sur les murs et barricades. Cela aurait effectivement arrêté les assiégeants. «Et s'ils tirent?» – répliquèrent les membres de la municipalite. «Tant mieux, laissez-leur l'infamie de cette barbarie. La municipalité esthétique ne le voulut pas. C'est ainsi qu'une série de mesures révolutionnaires et terroristes, prposées par Bakounine, fut rejetée.

Quand il n'y eut plus rien à faire, Bakounine proposa d'incendier les maisons des aristocrates et de faire sauter en l'air l'Hôtel de Ville avec tous les membres du gouvernement y compris lui-même. En disant cela, il tenait en main un pistolet armé.

Vous connaissez le reste, Monsieur. Arrêté quelques iours après la prise de Dresde, Bakounine fut jugé par une cour militaire et condamné à mort avec ses deux braves collègues, Heub-ner et Reitchel. Lorsqu'on lut la sentence qui ne pouvait pas être exécutée, parce que la peine de mort, abolie par la diète de Francfort pour les délits politiques, n'avait pas encore été rétablie, on trompa les condamnés en leur proposant de se pourvoir en grâce. Bakounine refusa et dit que la seule chose qu'il craignait, c'était de retomber dans les mains du gouvernement russe, mais, puisqu'on se proposait de le guillotiner, qu'il n'avait rien contre cela, bien qu'il eût aimé mieux être fusillé! L'avocat lui représenta qu'un de ses collègues avait une femme et des enfants, et qu'il était fort probable qu'il consentirait à se pourvoir en grâce, mais qu'il renonçait, depuis qu'il connaissait le refus de Bakounine. «Dites-lui donc, – répliqua aussitôt Bakounine, – que je consens, que je signerai la pétition». On n'insista pas davantage et l'on fit semblant que la commutation de la peine avait été un acte spontané de la clémence royale[76].

C'est alors que le gouvernement autrichien demanda qu'on lui livre Bakounine. On l'envoya les fers aux pieds. On le fit juger, juger un homme condamné à mort et puis à la détention perpétuelle, pour des faits antérieurs à sa condamnation!

Lorsqu'on pressa à Dresde Bakounine de dire quelle avait été la cause de ce qu'il prit une part si active à la révolution allemande, il répondit: «Je continuais ici ce que j'ai fait toute-ma vie; je servais ici la cause de la révolution slave». Il n'en fallait pas davantage pour commencer l'horrible torture qu'il a subie.

Parmi les belles lois qui régissent l'Autriche, il y en a une: permet au juge d'une cour martiale d'appliquer la bastonnade dans les cas où tous les juges ont la conviction que le prévenu dit pas toute la vérité. Ces ignobles barbares ont appliaué cette loi à Bakounine. 11 faut vous dire qu'il ne cachait absolument rien de ce qui le concernait personnellement, mais il ne voulait pas parler d'autrui. Après chaque séance Bakounine subissait la schlague.

Il ne lui manquait encore que la schlague morale. La Gazette d'Augsbourg, organe volontaire du cabinet de Vienne, insérait des correspondances de Prague, dans lesquelles on disait que beaucoup de personnes étaient arrêtées par suite des révélations graves faites par Bakounine. Cela me rappelle l'histoire qu'Andryane raconte dans ses Mémoires d'un prisonnier d'Etat.

Salvotti, l'inquisiteur impérial de Milan, disait au comte Confalonieri: «Vous vous obstinez à ne rien dire, à jouer l'héroïsme, c'est bien; mais demain je ferai insérer dans les journaux que vous avez dénoncé vos amis, et vous n'aurez aucun moyen de donner un démenti». Ce noble Salvotti est maintenant membre du Conseil d'Etat à Vienne et s'occupe des affaires de l'Italie.

C'est avec répugnance que je toucherai maintenant une réminiscence douloureuse. Il y avait des Allemands, et malheureusement aussi des Polonais, qui répandirent le bruit infâme que Bakounine était un agent du gouvernement russe. Cette calomnie l'a poursuivi jusqu'à la prison, grâce à un folliculaire de la Gazette Rhenane. Ce dernier racontait que Mme G. Sand avait dit qu'elle tenait pour sûr de M. Ledru-Rollin, lorsqu'il était ministre de l'Intérieur, que Bakounine était un employé de l'ambassade russe. Un des amis de Bakounine s'adressa directement à Mme Sand, qui donna le démenti le plus complet et écrivit une lettre qu'on envoya immédiatement à la rédaction e Journal de Marx. Mais ce n'est que lorsque les os du pauvre martyr craquèrent sous les instruments de torture, qu'on est revenu de cette infâme calomnie.

Je ne sais comment cela se fait, mais dès qu'on voit un Russe evolutionnaire, on le prend pour un agent du tzar; tantôt on ne trouve pas comment concilier l'origine aristocratique avec les convictions d'un démocrate, tantôt on s'étonne de ce que les hommes riches sont des socialistes. Notre habitude de jeter, l'argent, notre radicalisme franc choquent le monde burgeois J'ai entendu plus d'une fois l'observation suivante: «Comment faisait Bakounine pour avoir de l'argent? Sa famille ne lui envoyait rien, et pourtant il en avait quelquefois, on a au moins le droit de soupçonner que cet argent lui venait du gouvernement russe».

En terminant, je dois vous dire, Monsieur, que tous les détails sur Bakounine depuis 1848, je ne les connais que d'après les récits de quelques Allemands et d'après les journaux. La dernière lettre que j'ai vue de lui, était écrite au commencement de 1850 du Hradschin (forteresse de Prague). Depuis son départ pour Olmiitz, rien n'a transpiré. Un chambellan du roi de Prusse s'est vanté à une table d'hôte, à Genève qu'il était allé voir Bakounine à Olmiitz (non par sympathie, mais comme une rareté); il disait qu'il l'a trouvé enchaîné à un mur, dans une petite cellule obscure, qu'il était faible, souffrant et que sa voix était éteinte.

Bakounine a été transféré d'Olmiitz dans une prison humide, en Hongrie, et de là, comme on nous écrit, à Schlusselbourg. On dit qu'il y a été torturé.

Alexandre Herzen (Iskander)


P. S. – Etant à Kœnigstein, Bakounine a publié, en allemand, une petite brochure très énergique sur la Russie sous le titre: Russische Zustände.

<1851>

Михаил Бакунин*

Милостивый государь,

Вы пожелали ознакомиться с некоторыми подробностями биографии Бакунина. Я глубоко тронут честью, какую вы мне оказываете, обращаясь ко мне и предоставляя мне возможность поговорить об этом герое, с которым я был очень близок. Пусть эти наспех сделанные заметки помогут вам создать ему мученический венец! – он достоин, милостивый государь, венца, сплетенного вашими руками.

Вы выразили также желание получить его портрет; со временем мне, быть может, удастся достать тот, который был сделан в Германии в 1843 году и который я видел в России. Он довольно похож. Пока же, чтобы дать вам хоть какое-нибудь представление о внешности Бакунина, рекомендую вам старые портреты Спинозы, которые можно найти в нескольких немецких изданиях его произведений; между обоими этими лицами большое сходство.

Михаилу Бакунину теперь лет 37–38.

Он родился в старинной аристократической семье и в состоянии, равно удаленном как от большого богатства, так и от стеснительной бедности. Это наиболее просвещенная и прогрессивная среда в России. Чтобы дать вам, милостивый государь, представление о том, что волнуется и бродит в недрах этих семей, столь безмятежных с виду, мне достаточно будет рассказать о судьбах дядей Бакунина, Муравьевых, на которых он сильно походил своей высокой сутуловатой фигурой, светлоголубыми глазами, широким и квадратным лбом и даже довольно большим ртом. Одно только поколение из рода Муравьевых дало трех блестящих своих представителей восстанию 14 декабря (двое и них принадлежали к наиболее влиятельным его участникам; один был повешен Николаем, другой погиб в Сибири), палача – полякам, обер-прокурора – святейшему синоду и, наконец, супругу – одному из министров его величества.

Можно себе представить, какая гармония и какое единство царят в семействах, составленных из столь разнородных элементов.

Михаил Муравьев, виленский генерал-губернатор, любил повторять: «Я не принадлежу к тем Муравьевым, которых вешают, а к тем, которые вешают».

Детство Бакунин провел в родительском доме в Твери и невдалеке от этого города, в поместье своего отца. Последний, слывший за человека весьма умного и даже старого заговорщика времен Александра, не особенно любил сына и отделался от него при первой же возможности. Он определил Бакунина в артиллерийское училище в Петербурге.

Военные училища в России ужасны, именно там, на глазах у самого императора, выращивают офицеров для его армии. Именно там «сокрушают душу» детям и приучают их к беспрекословному повиновению. Мощный дух и могучее тело Бакунина счастливо прошли через это суровое испытание. Он закончил свое обучение и был зачислен на службу артиллерийским офицером. Желая удалить его, отец воспользовался содействием знакомых генералов и услал своего сына из Петербурга в артиллерийский парк, расположенный в унылой Белоруссии.

Молодой человек погибал там от скуки; он до такой степени загрустил и впал в меланхолию, что у начальников его появились серьезные опасения насчет его здоровья, и поэтому никто не возражал, когда год спустя он подал в отставку. Освободившись от службы против воли своего отца, без связей, без поддержки, без денег, он приехал в Москву. Это было в 1836 году. Бакунин был словно затерян в незнакомом ему городе; он искал уроков по математике – единственной науке, с которой был немножко знаком, – но не находил их. К счастью, несколько времени спустя, его представили одной даме, которую вся литературная молодежь того времени любила и глубоко уважала, – г-же Е. Левашовой (эту святую женщину можно смело назвать по имени; уже более десяти лет ее нет на свете). То было одно из тех чистых, самоотверженных, полных возвышенных стремлений и душевной теплоты существ, которые излучают округ себя любовь и дружбу, которые согревают и утешают все что к ним приближается. В гостиных г-жи Левашовой можно было встретить самых выдающихся людей России – Пушкина, Михаила Орлова (не министра полиции, а его брата, заговорщика), наконец, Чаадаева, ее самого задушевного друга, адресовавшего ей свои знаменитые письма о России.

Г-жа Левашова разгадала своей прозорливой интуицией, свойственной женщинам, наделенным великим сердцем, непоколебимый характер и необыкновенные способности бывшего артиллериста. Она ввела его в круг своих друзей. Тогда-то и встретил Станкевича и Белинского и тесно сблизился с ними

Станкевич[77] побудил его изучать философию. Быстрота, с которой Бакунин, тогда еще очень плохо знавший немецкий язык, усвоил идеи Канта и Гегеля и овладел как диалектическим методом, так и умозрительным содержанием их сочинений, – была поразительна. Через два года после приезда в Москву он настолько опередил своих друзей, что они уже обыкновенно обращались к нему, когда встречались с какими-либо трудностями. Бакунин обладал великолепной способностью развивать самые абстрактные понятия с ясностью, делавшей их доступными каждому, причем они нисколько не теряли в своей идеалистической глубине. Именно эта роль предназначена, по моему мнению, славянскому гению в отношении философии; мы питаем глубокое сочувствие к немецкой умозрительности, но еще более влечет нас к себе французская ясность.

Бакунин мог говорить целыми часами, спорить без устали с вечера до утра, не теряя ни диалектической нити разговора, ни страстной силы убеждения. И он всегда готов был разъяснять, объяснять, повторять, без малейшего догматизма. Этот человек рожден был миссионером, пропагандистом, священнослужителем. Независимость, автономия разума – вот что бы тогда его знаменем, и для освобождения мысли он вел войну с религией, войну со всеми авторитетами. А так как в нем пыл, пропаганды сочетался с огромным личным мужеством, то можно было уже тогда предвидеть, что в такую эпоху, как наша, станет революционером, пылким, страстным, героическим Вся жизнь его была посвящена одной лишь пропаганде. Монах воинствующей церкви революции, он бродил по свету проповедуя отрицание христианства, приближение страшного суда над этим феодальным и буржуазным миром, проповедуя социализм всем и примирение – русским и полякам. Он не имел ни другого призвания в жизни, ни других интересов; к внешним условиям существования он был совершенно равнодушен. Он напоминает нам прозелитов первых веков христианства или, еще больше, тех неутомимо деятельных людей эпохи возрождения наук, которые, как Кардан, Бруно, Пьер Раме, переходили из страны в страну, распространяя свои идеи, поучая, убеждая, борясь с предрассудками, рискуя жизнью ради свободы слова, – этих всюду гонимых и преследуемых людей, которые после долгих лишений самоотверженной жизни не знали, где преклонить голову, если смерть не приходила им на помощь, – смерть на костре или в мрачной тюрьме.

Покидая родину, Бакунин нисколько не был озабочен тем, что оставляет там свое наследственное имущество. Он никогда не задумывался над тем, удастся ли ему завтра пообедать. Когда у него случалось немного денег – он тратил их без счета, безрассудно; он раздавал их другим. Оставался он без денег – и это не лишало его бодрости, он смеялся над этим со своими друзьями, он умел сводить свои потребности чуть ли не к нулю, он отказывал себе во всем и не только почти не жаловался, но и в самом деле страдал менее, чем другие, – отсутствие денег он воспринимал как болезнь.

Он был молод, красив, он любил создавать себе прозелитов среди женщин, многие были в восторге от него, и однако ни одна женщина не сыграла большой роли в жизни этого революционного аскета; его любовь, его страсть были устремлены к иному. Познакомился я с Бакуниным в 1839 году. Я возвратился тогда в Москву из первой ссылки и начинал работать в периодических изданиях, руководимых Белинским, близким другом Бакунина. Мы провели вместе год. Бакунин все более и более возбуждал меня к изучению Гегеля; я же пытался внести в его суровую науку побольше революционных элементов.

Осенью 1840 года Бакунин покинул Россию; он поехал в Берлин для завершения своего образования. Из всех друзей Бакунина один лишь я отправился проводить его до Кронштадта. Едва только пароход вышел из устья Невы, как на нас обрушилась одна из обычных балтийских бурь, сопровождаемых потоками холодного дождя. Капитан был вынужден повернуть обратно. Это возвращение произвело на нас обоих крайне удручающее впечатление. Бакунин с грустью смотрел на то, как петербургский берег, который он воображал себе уже покинутым на долгие годы, снова приближался со своими набережными, усеянными зловещими фигурами солдат, таможенных чиновников, полицейских офицеров и шпиков, дрожавших под своими потертыми зонтиками. Являлось ли это предзнаменованием, голосом провидения?.. Подобное же обстоятельство задержало Кромвеля, когда он готовился отплыть в Америку. Но Кромвель покидал свою Old England[78], и в глубине души он был в восторге, что нашел предлог, чтобы там остаться. Бакунин же покидал новый город царей. Ах, милостивый государь, нужно видеть безграничный восторг, упоение, слезы на глазах каждый раз, когда русский переезжает границу своей родины и думает, что находится теперь вне власти своего царя!

Я указал Бакунину на мрачный облик Петербурга и процитировал ему те великолепные стихи Пушкина, в которых он, говоря о Петербурге, бросает слова словно камни, не связывая их меж собой: «Город пышный, город бедный, дух неволи, стройный вид, свод небес зелено-бледный… Скука, холод и гранит» Бакунин не захотел сойти на берег, он предпочел дожидаться часа отъезда в каюте. Я расстался с ним, и до сих пор еще в моей памяти сохранилась его высокая и крупная фигура, закутанная в черный плащ и яростно поливаемая неумолимы дождем; помню, как он стоял на передней палубе парохода и в последний раз приветствовал меня, махая мне шляпой когда я устремился на поперечную улицу…

Бакунин вначале поразил берлинских профессоров своим воодушевлением, талантами и смелостью выводов, на которые решался; но вскоре он соскучился и порвал с квиетизмом немецкой науки. Бакунин не видел другого средства разрешить антиномию между мышлением и действительностью, кроме борьбы, я он все более и более становился революционером. Он принадлежал к числу тех молодых литераторов, которые протестовали в «Галльских летописях», руководимых Арнольдом Руге, против бесплодного, аристократического и бесчеловечного понимания науки немецкими профессорами, против их бегства в области абсолюта, против их бездушного воздержания, мешавшего им принимать какое-либо участие в горестях и трудах современного человечества

Статьи Бакунина, написанные с огромным увлечением и смелостью, были подписаны Жюль Элизар. Впрочем, он писал очень мало и работал с трудом, когда ему приходилось браться за перо.

В 1843 году Бакунин, преследуемый швейцарскими реакционерами, был выдан одним из них, Блюнчли, и тотчас же получил приказание возвратиться в Россию. Блюнчли, журналист и член цюрихского правительства, во время дела коммуниста Вейтлинга скомпрометировал множество людей. Имея в своих руках досье Вейтлинга и его друзей, он написал брошюру, в которой предал гласности то, что, как должностное лицо, должен был сохранять в тайне. Там не было ни одного письма к Бакунину или от него к Вейтлингу, но в какой-то записке Вейтлинг упоминал о русском социалисте Бакунине. Этого было достаточно для Блюнчли. После его доноса возвращение на родину стало невозможным; вследствие этого Бакунин отказался подчиниться императорскому приказу. Тогда царь подверг его суду своего сената; Бакунина приговорили к лишению всех прав состояния и к вечной ссылке, как только он возвратится, «за неповиновение приказу его величества и за поведение, не достойное русского офицера». Бакунин в письме, напечатанном несколькими газетами в Париже, куда он переселился, выразил благодарность императору за лишение его дворянского достоинства

Вторично отправленный в ссылку после отъезда Бакунина, я только в начале 1847 года нашел средства и возможность покинуть Россию, и тогда-то я снова встретился с ним в Париже.

Он жил уединенно, виделся только с несколькими русскими и польскими друзьями; он часто посещал Прудона и иногда бывал у г-жи Жорж Санд. Он выглядел более усталым, более грустным, чем в России, но был далек от отчаяния; трудно жилось в 1847 году.

Изгнанный из Парижа после речи, произнесенной им на праздновании годовщины польской революции в 1847 году, он переехал в Брюссель. 24 февраля открыло для него двери Франции, широкого политического поприща и вечного заточения. Бакунин помолодел и в первый раз почувствовал возможность полностью проявить все свои силы и всю свою энергию. Он покинул Париж в марте 1848 года, чтобы помочь своим советом, словом австрийским славянам. По пути, в Шварцвальде, он встретил восставшую крестьянскую общину, готовую взять приступом замок. Бакунин вспоминает о том, что он артиллерист, обучает крестьян маршу и диспозициям, необходимым для захвата замка, дает им указания и снова садится в повозку, чтобы продолжать свой путь.

Когда Бакунин приехал в Прагу, он застал там уже славянский конгресс в полном сборе. Представленный одним галицийским депутатом, он был приглашен принять участие в работе этого первого вселенского собора нации, которая, наконец, стала пробуждаться после многовекового летаргического сна. Там говорили на всех славянских языках, недоставало только одного – русского. Никто в мире не мог бы лучше представлять революционную идею небольшого меньшинства его родины, чем Бакунин, – русский, друг поляков, вооруженный всем, могла только дать немецкая наука, и социалист, как наиболее передовые люди Франции. Бакунин с самого своего появления приобрел огромное влияние и популярность. Его благородная и чисто славянская наружность, энергия, открытый характер, ясность и глубина его слова сплотили вокруг него всех истинных революционеров Богемии и австрийских славян.

Вам известна, милостивый государь, история пражской революции. Это типичная история всех революций, вспыхнувших после 24 февраля. Легкие победы вначале; победители чувствующие, что они совершенно не достойны быть победителями; слепая вера в лицемерные уступки властей; пустые споры и формальности, трата времени, несвоевременное вооруженное восстание и полнейшее поражение.

Виндишгрец был в восторге от баррикад в Праге, совсем как Марраст и Каваньяк 22 июня 1848 года в Париже. В течение шести дней он бомбардировал город. Едва лишь началось сражение, Бакунин вышел на улицу, но под конец там уже нечего было делать. Виндишгрец не мог не подавить восстание пушками и численным превосходством. Население проявляло симпатию к австрийцам. Бакунин покинул город, когда поражение было уже несомненным, и отправился в Дессау – ожидать лучших дней.

Никогда и ни в одной стране нельзя было видеть зрелища более гнусного, более низкого, чем то, которое явили немецкому народу его правители в 1849 году. Людовик-Наполеон, Пий IX – герои честности, чистосердечия и прямодушия рядом с этими презренными Габсбургами и Гогенцоллернами с их саксонскими, вюртембергскими, гессенскими, баденскими и прочими коллегами. Зрелище предательств, клятвопреступлений, мелких жестокостей, кровожадных и жалких одновременно, которые возмутили Паскевича в Венгрии, приводило в ярость последних свободных людей Германии, не склонившихся перед реакцией; все были более чем возмущены: сердца наполнялись непреодолимой жаждой мщения и возмездия. Чудовищные преступления, совершенные пруссаками в герцогстве Баденском, например, были таковы, что я слышал, как честные немецкие мещане, которые в течение всей своей жизни никогда не осмеливались даже и подумать о том, чтоб оспаривать права королей и вельмож, говорили мне, бледнея и дрожа от бешенства: «Ах, если б нам когда-нибудь удалось задушить собственными руками прусского офицера!» Революционная партия, под воздействием этого нервного и лихорадочного возбуждения, охваченная экзальтацией отчаяния и оскорбленных чувств, решилась на последнюю попытку в Дрездене.

Бакунин находился там, грустный, раздраженный; он выбился сил, как это видно из письма, адресованного им одному из его кетенских друзей, перед дрезденской революцией. Едва лишь революция разразилась в Дрездене, он появился на баррикадах; его уже там знали и горячо любили.

Образовалось временное правительство. Бакунин предложил ему свои услуги. Обладая большей энергией, чем его друзья, не облеченный формальными полномочиями, он сделался военным вождем осаждаемого города. Он обнаружил при этом не только мужество, но и героическое, невозмутимое присутствие духа.

Узнав, что королевские солдаты еще не решились на избиение своих братьев, что в них не умолкла еще совесть, что они щадят даже здания, Бакунин предложил развесить лучшие произведения Дрезденской галереи на стенах и баррикадах. Это могло бы действительно остановить осаждающих. «А если они будут стрелять?» – возразили члены муниципалитета. – «Тем лучше, пусть на них падет позор этого варварства». Эстетичный муниципалитет не согласился. И таким же образом целый ряд революционных и террористических мер, предложенных Бакуниным, был отклонен.

Когда уже больше ничего не оставалось делать, Бакунин предложил поджечь дома аристократов и взорвать ратушу вместе со всеми членами правительства, не исключая и его самого. Говоря это, он держал в руке заряженный пистолет.

Остальное вам известно, милостивый государь. Арестованный через несколько дней после взятия Дрездена, Бакунин был подвергнут военному суду и приговорен к смертной казни вместе с двумя своими храбрыми сотоварищами, Гюбнером и Реккелем. По оглашении приговора, который не мог быть приведен в исполнение, ибо смертная казнь за политические преступления, уничтоженная франкфуртской диетой, еще не была восстановлена, приговоренных обманули, предложив им обратиться с просьбой о помиловании. Бакунин отказался и заявил, что единственное, чего он боится, – это снова попасть в руки русского правительства, но поскольку его собираются гильотинировать он ничего против не имеет, хотя предпочел бы лучше быть расстрелянным! Адвокат сообщил ему, что у одного из его сотоварщей остаются жена и дети и что тот, возможно, согласился бы подать просьбу о помиловании, но не решается, узнав об отказе Бакунина. «Скажите же ему, – тотчас отвечал Бакунин, – что я согласен, что я подпишу петицию». Но на этом уже более не настаивали и сделали вид, что смягчение наказания явилось добровольным актом королевского милосердия[79].

И тогда австрийское правительство потребовало, чтобы ему выдали Бакунина. Он был отправлен в Австрию с оковами на ногах. Его подвергли суду – подвергли суду человека, приговоренного к смерти и вслед за тем к вечному заточению, – за поступки, совершенные до его осуждения!

Когда в Дрездене у Бакунина вымогали ответ – какова причина его столь деятельного участия в германской революции, он отвечал: «Я продолжал здесь делать то, что делал всю свою жизнь: я служил здесь славянской революции». И этого было достаточно для начала ужаснейшей пытки, которую он претерпел.

Среди милых законов, управляющих Австрией, есть один закон, который дозволяет судье военного трибунала применять битье палками в случаях, когда все судьи убеждены в том, что подсудимый говорит не всю правду. И гнусные варвары применили этот закон к Бакунину. Должно сказать вам, что он не скрывал ничего касавшегося его лично, но не желал говорить о других. После каждого судебного заседания Бакунина подвергали экзекуции.

Ему не хватало лишь нравственной экзекуции. «Аугсбургская газета», орган, добровольно поддерживающий венский кабинет, поместила корреспонденции из Праги, в которых говорилось, что множество людей подверглось аресту вследствие важных разоблачений, сделанных Бакуниным. Это мне напоминает историю, которую Андриане рассказывает в своих «Записках государственного преступника». Сальвотти, имперский инквизитор в Милане, сказал графу Конфалоньери: «Вы упорствуете в молчании, в игре в героизм, – прекрасно, но завтра же я прикажу напечатать в газетах, что вы донесли на своих друзей, – и вы не найдете никакого средства опровергнуть это». Благородный этот Сальвотти теперь член государственного совета в Вене и занимается итальянскими делами.

С отвращением коснусь я теперь одного мучительного воспоминания. Нашлись немцы и, к несчастью, также и поляки, которые распространили гнусный слух, будто Бакунин был агентом русского правительства. Клевета эта преследовала его до самой тюрьмы, благодаря одному пасквилянту из «Рейнской газеты». Этот субъект рассказывал, что г-жа Ж. Санд передавала как несомненный факт, сообщенный ей Ледрю-Ролленом, когда он был министром внутренних дел, будто Бакунин состоял на службе у русского посольства. Один из друзей Бакунина обратился непосредственно к г-же Санд, которая полностью опровергла этот слух и написала письмо, немедленно отправленное в редакцию газеты Маркса. Но эта отвратительная клевета была отброшена лишь тогда, когда кости несчастного мученика затрещали под орудиями пытки.

Не знаю, как это получается, но всякий раз, когда видят русского революционера, его принимают за царского агента; одни не знают, как примирить аристократическое происхождение с убеждениями демократа, другие удивляются тому, что богатые люди могут быть социалистами. Наша привычка сорить деньгами, наш откровенный радикализм шокируют буржуазный мир. Я слышал неоднократно следующее замечание: «Где же Доставал Бакунин деньги? Семья его ничего ему не присылала, и однако он бывал иногда при деньгах; по крайней мере мы имеем право подозревать, что эти деньги он получал от русского правительства».

В заключение должен сказать вам, милостивый государь, что все подробности биографии Бакунина, начиная с 1848 года, я знаю только по рассказам нескольких немцев и по газетам. Последнее виденное мною письмо от него было написано в начале 1850 года в Градчине (крепость в Праге). Со времени его отправления в Ольмюц ничто не могло просочиться. Один из камергеров прусского короля хвалился как-то за табльдотом в Женеве, что он пошел посмотреть на Бакунина в Ольмюце (не из сочувствия, а как на достопримечательность); он говорил что нашел его прикованным к стене, в маленькой темной камере что Бакунин был слаб, болен и что голос его казался угасшим.

Из Ольмюца Бакунин был перевезен в сырую тюрьму в Венгрии и оттуда, как нам пишут, в Шлиссельбург. Говорят что там его подвергли пытке.

Александр Герцен (Искандер).


P. S. Находясь в Кенигштейне, Бакунин выпустил в свет на немецком языке маленькую, очень энергичную брошюру о России под названием «Russische Zustände».

<1851>

Поврежденный*

Повесть
I

…В одну очень тяжелую эпоху моей жизни, после бурь и утрат и перед еще большими бурями и утратами, встретил я одно странное лицо, которого слова и суждения мне сделались больше понятны спустя некоторое время.

Человек этот попался мне на дороге, точно как эти мистические лица чернокнижников, пилигримов, пустынников являются в средневековых рассказах для того, чтобы приготовить героя к печальным событиям, к страшным ударам, вперед примиряя с судьбой, вооружая терпением, укрепляя думами. Дело было на Корниче.

Я приплыл на лодке из Ниццы в небольшой городок; оттуда я собирался ехать сухим путем, но лошади единственного ветурина только что воротились, надобно было им дать отдохнуть, по его словам, «два маленьких часа», что значило по крайней мере четыре очень больших. Мне было некуда торопиться и совершенно все равно, днем позже или раньше приеду в Геную. Я заказал себе завтрак и пошел бродить по берегу.

Какое счастье, что есть на свете полоса земли, где природа так удивительно хороша и где можно еще жить до поры до времени свободному человеку!

Когда душа носит в себе великую печаль, когда человек не настолько сладил с собою, чтобы примириться с прошедшим, чтобы успокоиться на понимании, – ему нужна и даль, и горы, и море, и теплый, кроткий воздух; нужны для того, чтобы грусть не превращалась в ожесточение, в отчаяние, чтобы он не зачерствел. Хороший край нужнее хороших людей. Люди готовы сострадать, но почти никогда не умеют; от их сострадания становится хуже, они бередят раны, они неловки. Сверх того люди бесят или рассеивают; к чему еще беситься, к чему, с другой стороны, бежать от печали, это так же робко и слабо как глупо бежать он наслаждений, когда они еще веселят.

Досадно, что я не пишу стихов. Речи об этом крае необходим ритм, так, как он необходим морю, которое мерными стопами вовеки нескончаемых гексаметров плещет в пышный карниз Италии. Стихами легко рассказывается именно то, чего не уловишь прозой… едва очерченная и замеченная форма, чуть слышный звук, не совсем пробужденное чувство, еще не мысль… в прозе просто совестно повторять этот лепет сердца и шепот фантазии.

День был удивительный, жар только что начинался, яркое утреннее солнце освещало маленький городок, померанцевую рощу и море. Пригорок был покрыт лесом маслин. Я лег под старой, тенистой оливой, недалеко от берега, и долго смотрел, как одна волна за другой шла длинной, выгнутой линией, подымалась, хмурилась, начинала закипать и разливалась, пропадая струями и пеной, в то время как следующая с тем же важным и стройным видом хмурилась и закипала, чтобы разлиться. Нам так чуждо все бескорыстное, так дешево все настоящее, что и в вечном колыхании природы человек невольно ждет чего-то – следующей волны, развязки… вот теперь, кажется, что-то да выйдет… кажется, что теперь, а волна опять разлилась и шумит, шурстя камнями, которые утягивает с собой в глубь, чтобы при первом ветре выбросить их снова на берег.

Волна моей жизни, думалось мне, тоже перегнулась и течет вспять, я чувствую, как она отступает, касается каменьев, дна и берега, как увлекает меня назад, не обращая внимания ни на ушибы, ни на усталь и нашептывая в утешение:

Погоди немного,

Отдохнешь и ты!

…Наша жизнь вовсе не наша, все делается помимо нас.

Человек растет, растет, складывается и прежде, нежели замечает, идет уж под гору. Вдруг какой-нибудь удар будит его и он с удивлением видит, что жизнь не только сложилась, но и прошла. Он тут только замечает тягость в членах, седые волосы, усталь в сердце, вялость в чувствах. Помочь нечем. Узел, которым организм связан и затянут – личность – слабеет. Жгучие страсти выдыхаются в успокоивающие рассуждения, дикие порывы – в благоразумные отметки, сердце холодеет, привыкает ко всему, мало требует, мало дает, химическое сродство, где может, утягивает составные части в минеральный мир и заменяет их чем-то мертвым, каменным. Безличная мысль и безличная природа одолевают мало-помалу человеком и влекут его безостановочно на свои вечные, неотвратимые кладбища логики и стихийного бытия…

II

…Когда я пришел в гостиницу, на дворе уже было очень жарко, я сел на балконе. Перед глазами тянулась длинной ниткой обожженная солнцем дорога, она шла у самого моря, по узенькой нарезке, огибавшей гору. Мулы, звоня бубенчиками и украшенные красными кисточками, везли бочонки вина, осторожно переступая с ноги на ногу; медленное шествие их нарушилось дорожной каретой, почтальон хлопал бичом и кричал, мулы жались к скалистой стене, возчики бранились, карета, покрытая густыми слоями пыли, приближалась больше и больше и остановилась под балконом, на котором я сидел.

Почтальон соскочил с лошади и стал откладывать, толстый трактирщик в фуражке Национальной гвардии отворил дверцы и два раза приветствовал княжеским титулом сидевших в карете, прежде нежели слуга, спавший на козлах, пришел в себя и, потягиваясь, сошел на землю.

«Так спят на козлах и так аппетитно тянутся только русские слуги», – подумал я и пристально посмотрел на его лицо; Русые усы, сделавшиеся светлобурыми от пыли, широкий нос, бакенбарды, пущенные прямо в усы на половине лица, и особый национальный характер всех его приемов убедили меня окончательно, что почтенный незнакомец был родом из какой-нибудь тамбовской, пензенской или симбирской передней. Как ни философствуй и ни клевещи на себя, но есть что-то шевелящееся в сердце, когда вдруг неожиданно встречаешь в дальней дали своих соотечественников. Между тем из кареты выскочил человек лет тридцати, с сытым, здоровым и веселым видом, который дает беззаботность, славное пищеварение и не излишне развитые нервы. Он посадил на нос верховые очки, висевшие на шнурке, посмотрел направо, посмотрел налево и с детским простодушием закричал спутнику в карете:

– Чудо, какое место, ей-богу, прелесть, вот Италия так Италия, небо-то, небо синее, яхонт! Отсюда начинается Италия!

– Вы это шестой раз говорите с Авиньона, – заметил его товарищ усталым и нервным голосом, медленно выходя из кареты.

Это был худощавый, высокий человек, гораздо постарше первого; он почти весь был одного цвета, на нем был светло-зеленый пальто, фуражка из небеленого батиста, под цвет белокурым волосам, покрытым пылью, слабые глаза его оттенялись светлыми ресницами и, наконец, лицо, завялое и болезненное, было больше изжелта-зеленоватое, нежели бледное.

Печальная фигура посмотрела молча в ту сторону, в которую показывал его товарищ, не выражая ни удивления, ни удовольствия.

– Ведь это всё оливы, всё оливы, – продолжал молодой человек.

– Оливовая зелень прескучная, однообразная, – возразил светлозеленый товарищ, – наши березовые рощи красивее.

«Ба, – подумал я, – да это старые знакомые, это Ноздрев и Мижуев, переложенные на новые нравы и едущие не в Заманиловку, а в Сан-Ремо».

Молодой человек покачал головой, как будто хотел сказать «Неисправим, хоть брось!» – и взглянул наверх. Лицо его показалось мне знакомо, но сколько я ни старался, я не мог припомнить, где я его видел. Русских вообще трудно узнавать в чужих краях, они в России ходят по-немецки, без бороды, а в Европе – по-русски, отращивая с невероятной скоростью бороду.

Мне не пришлось долго ломать головы. Молодой человек с тем добродушием и с той беззаботной сытостью в выражении, с которыми радовался оливам, бежал ко мне и кричал по-русски:

– Вот не думал, не гадал, – истинно говорят, гора с горой сходится, – да вы меня, кажется, не узнаете? Старых знакомых забывать стали?

– Теперь-то очень узнаю, вы ужасно переменились – и борода, и растолстели, и похорошели, такие стали – кровь с молоком.

– In corpore sano mens sana[80],– отвечал он, от души смеясь и показывая ряд зубов, которому бы позавидовал волк. – И вы переменились, постарели – а что? Жизнь-то кладет-с вои нарезки? Впрочем, мы четыре года не видались; много воды утекло с тех пор.

– Не мало. Как вы сюда попали?

– Еду с больным…

Это был лекарь Московского университета, исправлявший некогда должность прозектора; лет пять перед тем я занимался анатомией и тогда познакомился с ним. Он был добрый, услужливый малый, необыкновенно прилежный, усердно занимавшийся наукою à livre ouvert[81], Т. е. никогда не ломая себе головы ни над одним вопросом, который не был разрешен другими, но отлично знавший все разрешенные вопросы.

– А! Так этот зеленый товарищ ваш больной; куда же вы его дели?

– Это такой экземпляр, что и в Италии у вас не скоро сыщешь. Вот чудак-то. Машина была хороша, да немного повредилась (при этом он показал пальцем на лоб), я и чиню ее теперь. Он шел сюда, да черт меня дернул сказать, что я вас знаю, он перепугался; ипохондрия, доходящая до мании; иногда он целые дни молчит, а иногда говорит, говорит – такие вещи, ну, просто волос дыбом становится, все отвергает, все – оно уж эдак через край; я сам, знаете, не очень бабьим сказкам верю, однакож все же есть что-то. Впрочем, он претихий и предобрый. Ему ехать за границу вовсе не хотелось. Родные уговорили, знаете, с рук долой, ну, да и языка-то ею побаивались – лакеи, дворники, все на откупу у полиции – поди там, оправдывайся. Ему хотелось в деревню, а имение у него с сестрой неделеное, та и перепугалась – коммунизм, говорит, будет мужикам проповедовать, тут и собирай недоимку. Наконец он согласился ехать, только непременно в южную Италию, Magna Graecia![82] Отправляется в Калабрию и ваш покорный слуга с ним в качестве лейб-медика. Помилуйте, что за место, там, кроме бандитов да попов, человека не найдешь; я вот проездом в Марселе купил себе пистолет-револьвер знаете, четыре ствола так повертываются.

– Знаю. Однакож должность ваша не из самых веселых – быть беспрестанно с сумасшедшим.

– Ведь он не в самом деле на стену лезет или кусается. Он меня даже любит по-своему, хотя и не даст слова сказать, чтобы не возразить. Я, впрочем, совершенно доволен; получаю тысячу серебром в год на всем готовом, даже сигарок не покупаю. Он очень деликатен, что до этого касается. Чего-нибудь стоит и то, что на свет посмотришь. Да, послушайте, надобно вам показать моего чудака.

– Бог с ним совсем. Кстати, вы не только других не знакомьте, но и сами будьте осторожны, со мной верноподданным дозволяется только грубить, а не то вас, пожалуй, после возвращения из Италии в такую Калабрию пошлют, где ни попов, ни разбойников нет. А, может быть, и peggio – такое зададут arpeggio[83].

– Ха, ха, ха – эк язык-то, язык, все тот же, все с ядом, все бы кусаться, вот, небось, этого не забыли – arpeggio. Не боимся мы, наше дело медицинское; ну, позовут к Леонтию Васильевичу, что же? Я скажу откровенно: «Помилуйте, генерал, на дороге встретил человека, без живота лежит, не может дальше ехать, ну, я ему лауданума с мятой дал, это обязанность звания, долг человечества». Он ведь и поймет, что это вздор, ну, да умный человек, надоело же все в Сибирь да в Сибирь, скажет: «Ну, вперед будьте осторожны, я говорю для вашего собственного блага, это отеческий совет». Так и отпустит. Нынче у нас как-то меньше смотрят за этим, ей-богу. у Излера «Пресса» лежит так, как «Петербургские ведомости», просто на столе лежит.

* * *

И притом еще отборные нумера, не так, как здесь, – сплошь да рядом.

– Смейтесь, смейтесь, много, небось, вы здесь выиграли февральской революцией?

– У… у… да вы преопасный человек, вы уж разрешили эдак о мятежах и злоумышленниках говорить, смотрите – до добра это не доведет.

– Я притащу моего пациента – ну что вам в самом деле, через час разъедетесь; он предобрейший человек и был бы преумный.

– Если б не сошел с ума.

– Это несчастье… вам, ей-богу, все равно, а ему рассеяние и нужно и полезно.

– Вы уже меня начинаете употреблять с фармацевтическими целями, – заметил я, но лекарь уже летел по коридору.

Я не подчинился бы его желанию и его русской распорядительности чужою волею, но меня, наконец, интересовал светлозеленый коммунист-помещик, и я остался его ждать.

Он взошел робко и застенчиво, кланялся мне как-то больше, нежели нужно, и нервно улыбался. Чрезвычайно подвижные мускулы лица придавали странное и неуловимое колебание его чертам, которые беспрерывно менялись и переходили из грустно-печального в насмешливое, а иногда даже в простоватое выражение. В его глазах, по большей части никуда не смотревших, была заметна привычка сосредоточенности и большая внутренняя работа, подтверждавшаяся морщинами на лбу, которые все были сдвинуты над бровями. Недаром и не в один год мозг выдавил через костяную оболочку свою такой лоб и с такими морщинами, недаром и мускулы лица сделались такими подвижными.

– Евгений Николаевич, – говорил ему лекарь, – позвольте вас познакомить; представьте, какой странный случай, вот где встретился – старый приятель, с которым вместе кошек и собак резали. Евгений Николаевич улыбался и бормотал:

– Очень рад – случай – так неожиданно – вы извините.

– А помните, – продолжал лекарь, – как мы собачонке сторожа Сычова перерезали пневмогастрический нерв – закашляла голубушка.

Евгений Николаевич сделал гримасу, посмотрел в окно и, откашлянув раза два, спросил меня:

– Вы давно изволили оставить Россию?

– Пятый год.

– И ничего, привыкаете к здешней жизни? – спросил Евгений Николаевич и покраснел.

– Ничего.

– Да-с, но очень неприятная, скучная жизнь за границей.

– И в границах, – прибавил развязный лекарь.

Вдруг, чего я никак не ожидал, мой Евгений Николаевич покатился со смеху и наконец, после долгих усилий, успел настолько успокоиться, чтобы сказать прерывающимся голосом:

– Вот Филипп Данилович все со мной спорит, ха, ха, ха, – я говорю, что земной шар или неудавшаяся планета или больная, а он говорит, что это пустяки; как же после этого объяснить, что за границей и дома жить скучно, противно?

И он опять расхохотался до того, что жилы на лбу налились кровью. Лекарь лукаво подмигнул мне с таким видом превосходства, что мне стало его ужасно жаль.

– Отчего же не быть больным планетам? – спросил пресерьезно Евгений Николаевич, – если есть больные люди?

– Оттого, – отвечал лекарь за меня, – что планета не чувствует; где нет нервов, там нет и боли.

– А мы с вами что? Да для болезни нервов и не нужно, бывает же виноград болен и картофель? Я того и смотрю, что земной шар или лопнет или сорвется с орбиты и полетит. Как это будет странно: и Калабрия, и Николай Павлович с Зимним дворцом, и мы с вами, Филипп Данилович, – все полетит, и вашего пистолета не нужно будет. – Он снова расхохотался и в ту же минуту продолжал с страстной настойчивостью, обращаясь ко мне:

– Так жить нельзя, ведь это очевидно надобно, чтобы что-нибудь да сделалось; лучше планете сызнова начать; настоящее развитие очень неудачно, есть какой-то фаут[84]. При составе, что ли, или, когда месяц отделялся, что-то не сладилось, все идет с тех пор не так, как следует. Сначала болезни были острые; каков был жар внутренний во время геологических переворотов! Жизнь взяла верх, но болезнь оставила следы. Равновесие потеряно, планета мечется из стороны в сторону. Сначала ударилась в количественную нелепость; ну, пошли ящерицы с дом величины, папоротники такие, что одним листом экзерциргауз покрыть можно, ну, разумеется, все это перемерло, как же таким нелепостям жить. Теперь в качественную сторону пошло – еще хуже – мозг, мозг, нервы, развивались, развивались, до того, что ум за разум зашел. История сгубит человека, вы что хотите говорите, а увидите – сгубит.

После этой выходки Евгений Николаевич замолчал. Подали завтрак, он очень мало ел, очень мало пил и во все время ничего не говорил, кроме «да» и «нет». Перед концом завтрака он спросил бордо, налил рюмку, отведал и поставил ее с отвращением.

– Что, – спросил лекарь, – видно, скверное?

– Скверное, – отвечал пациент, и лекарь принялся стыдить трактирщика, бранить слугу, удивляться корыстолюбию людей, их эгоизму, упрекал в том, что трактирщики берут 35 процентов и все-таки обманывают.

Евгений Николаевич равнодушно заметил, что он не понимает, за что сердится лекарь, что он с своей стороны не видит, отчего трактирщику не брать 65 процентов – если он может, и что он очень умно делает, продавая скверное вино – пока его покупают.

Этим нравственным замечанием кончился наш завтрак.

III

Поврежденный с самого первого разговора удивил меня независимою отвагой своего больного ума. Он был явным образом «надломлен», и хотя лекарь уверял меня, что он во всю жизнь не имел ни большого несчастья, ни больших потрясений, я плохо верил в психологию моего доброго прозектора. Мы поехали вместе в Геную и остановились в одном из дворцов, разжалованных в наш мещанский век в отели. Евгений Николаевич не показывал ни особенного интереса к моим беседам, ни особенного отвращения от них. С доктором он беспрестанно спорил.

Когда темные минуты ипохондрии подавляли его, он удалялся, запирался в комнате, редко выходил, был желто-бледен, дрожал, как в ознобе, а иногда, казалось, глаза его были заплаканы. Лекарь побаивался за его жизнь, брал глупые предосторожности, удалял бритвы и пистолеты, мучил больного разводящими и ослабляющими нервы лекарствами, сажал его в теплую ванну с ароматической травой. Тот слушался с желчной и озлобленной страдательностью, возражая на все и все исполняя, как избалованное дитя.

В светлые минуты он был тих, мало говорил, но вдруг речь его неслась, как из прорвавшейся плотины, перерываемая спазматическим смехом и нервным сжатием горла, и потом, скошенная середь дороги, она останавливалась, оставляя слушавшего в тоскливом раздумье. Его странные парадоксальные выходки казались ему легкими, как таблица умножения. Взгляд его действительно был верен и последователен тем произвольным началам, которые он брал за основу.

Он много знал, но авторитеты на него не имели ни малейшего на него влияния, это всего более оскорбляло хорошо учившегося лекаря, который ссылался как на окончательный суд на Кювье или на Гумбольдта.

– Да отчего мне, – возражал Евгений Николаевич, – так думать, как Гумбольдт? Он умный человек, много ездил, интересно знать, что он видел и что он думает, но меня-то это не обязывает думать, как он. Гумбольдт носит синий фрак – что же и мне носить синий фрак? Вот, небось, Моисею так вы не верите.

– Знаете ли, – говорил глубоко уязвленный доктор, обращая речь ко мне, – что Евгений Николаевич не видит разницы между религией и наукой, – что скажете?

– Разницы нет, – прибавил тот утвердительно, – разве то, что они одно и то же говорят на двух наречиях.

– Да еще то, что одна основана на чудесах, а другая на уме, одна требует веры, а другая знания.

– Ну, чудеса-то там и тут, все равно, только что религия идет от них, а наука к ним приходит. Религия так уж откровенно и говорит, что умом не поймешь, а есть, говорит, другой ум поумнее, тот, мол, сказывал вот так итак. А наука обманывает, воображая, что понимает как… а в сущности и та и другая доказывают одно, что человек неспособен знать всего, а так кое-что таки понимает; в этом сознаться не хочется, ну, по слабости человеческой, люди и верят, одни Моисею, другие Кювье; какая поверка тут? Один рассказывает, как бог создавал зверей и траву, а другой – как их создавала жизненная сила. Противуположность не между знанием и откровением в самом деле, а между сомнением и принятием на веру.

– Да на что же мне принимать на веру какие-нибудь патологические истины, когда я их умом вывожу из законов организма?

– Конечно, было бы не нужно, да ведь ни вы и ни кто другой не знает этих законов, ну, так оно и приходится верить да помнить.

В мире не было человека, менее способного ладить с нашим чудаком, как лекарь; он вовсе не был глуп, но принадлежали числу тех светлых, практических умов, – умов подкожных, так сказать, которые дальше рассудочных категорий и общепринятых мнений не только не идут, но и не могут идти. Он удивлялся, как я мог иной раз артистически наслаждаться разговорами Евгения Николаевича и брать его сторону; я утешал его, говоря: «Свой своему поневоле брат».

– Однако некоторые законы организма нам известны, – возражал защитник наук.

– Какие же, например?

– Мало ли – я не знаю – Да чтобы далеко не искать – вот вам общий закон: все родившееся должно умереть.

– Зачем же? – возразил Евгений Николаевич, – что за долг умирать? Да это и не закон, это так, факт; внутренней необходимости никакой нет в смерти; неужели вы думаете, что медицина не дойдет до того, чтобы продолжить жизнь до бесконечности?

При этом вопросе и я, грешный человек, взглянул на него почти так же, как доктор.

– Я много встречал людей, – заметил я в свою очередь, – верящих и не верящих в бессмертие души, но вы первый, который не верите в смертность тела.

– Как не верить, я не то говорю, я только не вижу никакой серьезной необходимости в смерти. Жить значит есть окружающее; если пища будет поддерживать химический процесс, они продолжится. Если пища будет мешать костям каменеть, хрящу делаться костью, крови становиться гуще или жиже, нежели надобно, на что же умирать? Родившееся должно жить; оно умирает не потому, что родилось, а потому, что не ту пищу нужно. Следует ли теперь из того, что мы плохие повара, что смерть нельзя удалить на бесконечное время? Жизнь лучше не просит, как продолжаться.

– Со стороны послушать, точно будто и дело, – сказал Филипп Данилович. – А вот как нам быть с этим, если медицина дойдет до того, что людей будут лечить от смерти; а планета, которая, по-вашему, сильно хиреет, совсем зачахнет и умрет; странное будет положение – переезжать придется на Луну или прямо на Венеру.

Вопрос этот несколько смутил Евгения Николаевича, он задумался, походил по комнате и потом с видом человека, доискавшегося до важного разрешения, ответил:

– Tout bien pris[85], болезнь не так глубока, я, может, ошибался; во-первых, уж то хорошо, что болезнь специальная – один только род человеческий ею поражен. Да и род-то человеческий не весь болен. Это местная болезнь, эндемическая в одной Европе. Так, как холера идет с берегов Инда, чума с берегов Нила, желтая лихорадка с устьев Миссисипи, так болезнь исторического развития идет из Европы. Как только люди коснутся этой проклятой земли, так их мозг и поражается болезнию. С пелазгов, с греков начиная и до нашего времени. Англия разнесла заразу по всему земному шару. Чего Австралия – совсем негодный материк, и тот не оставляют в покое. В Африке жить нельзя европейцу – так по закраине поселились: вот вам за холеру да за чуму; это уж не зуб за зуб, а челюсть за зуб.

– Вы так рассуждаете, – сказал я ему шутя и взяв его за обе руки, – что я нисколько не удивлюсь, если после вашего возвращения Николай Павлович сделает вас министром народного просвещения.

– Не обвиняйте меня, пожалуйста, не обвиняйте, – возразил он с чувством, – и не шутите над моими мыслями. Я сам шутил над Руссо и знаю, как Вольтер ему писал, что учиться ходить на четвереньках поздно. Трудом тяжелыми мученическим дошел я до того, что понял, откуда все зло, – понял, и сам оробел; я никому не говорил, молчал, но когда страдания и плач людей становились громче и громче, зло очевиднее и очевиднее, тогда я перестал прятать истину. Мы погибшие люди, мы жертвы вековых отклонений и платим за грехи наших праотцев, где нас лечить! Будущие-то поколения, может, опомнятся.

– Итак, à la îin des fins[86], выздоровление человека начнется тогда, когда, вместо прогресса, люди пойдут вспять с целью зачислиться со временем в орангутанги, – сказал лекарь, закуривая свежую сигару.

– Приблизиться к животным не мешает после неудачных опытов сделаться ангелами. Все звери рассчитаны по среде, в которой жить должны, перестановки почти всегда гибельны. Речная вода для нас приятнее и чище морской, а пустите в нее какого-нибудь морского моллюска – он умрет. Человек вовсе не так богато одарен природой, как воображает; болезненное развитие его нервов и мозга увлекает его в жизнь ему не свойственную, высшую, в ней он гибнет, чахнет, мучится. Где люди переломили эту болезнь, там они успокоились, там они довольны и были бы счастливы, если бы их оставляли в покое. Посмотрите на эти ряды поколений где-нибудь в Индии: природа им дала все с избытком, язва государственной и политической жизни прошла, болезненное преобладание ума над другими отправлениями организма утихло; всемирная история их забыла, и они жили так, как людям хорошо живется, так, как людям возможно жить до проклятой Ост-индской компании которая все перепортила.

– Впрочем, – заметил лекарь, – толпа почти так и у нас живет.

– Это было бы важнейшее доказательство в мою пользу; то что вы называете толпой, это-то и есть человеческий род; но толпе не дают жить так, как она хочет, – вот беда-то в чем. Просвещение страшно дорого стоит; государство, религия, солдаты морят с голоду нижние слои; да чтобы окончательно их сгубить, развешивают перед их глазами свои богатства, они развивают в них неестественные вкусы, ненужные потребностии отнимают средства удовлетворения даже необходимых; какое печальное, раздирающее душу положение! Снизу кишит задавленное работой, изнуренное голодом население, сверху вянет и выбивается из сил другое население, задавленное мыслью, изнуренное стремлениями, на которые так же мало ответа, как мало хлеба на голод бедных. А между этими двумя болезнями, двумя страданиями, между лихорадкой от другой <трудной?> жизни и чахоткой от сумасшедших нерв, между ним и лучший цвет цивилизации, ее балованные дети, единственные люди, кое-как наслаждающиеся, кто же они? – Наши помещики средней руки и здешние лавочники. Но природа себя в обиду не дает… она клеймит за измену не хуже всякого палача… – продолжал он, ходя по комнате, и вдруг остановился перед зеркалом – Ну, посмотрите на эту рожу – ха, ха, ха, ведь это ужасно, сравните любого крестьянина нашего со мной, новая varietas[87], которую Блуменбах проглядел, «кавказско-городская», к ней принадлежат чиновники и лавочники, ученые, дворяне и все эти альбиносы и кретины, которые населяют образованный мир, – племя слабое, без мышц, в ревматизме, и притом глупое, злое, мелкое, безобразное, неуклюжее – точь-в-точь я, старик в тридцать пять лет, беспомощный, ненужный, который провел всю жизнь, как кресс-салат, выращенный зимой между двух войлоков – фу, какая гадость! Нет, нет, так продолжаться не может, это слишком нелепо, слишком гнило. К природе…, к природе на покой, – полно строить и перестроивать вавилонскую башню общественного устройства; оставить ее, да и кончено, полно домогаться невозможных вещей. Это хорошо влюбленным девочкам мечтать о крыльях, von einer besseren Natur, von einem andern Sonnenlichte[88]. Пора домой на мягкое ложе, приготовленное природой, на свежий воздух, на дикую волю самоуправства, на могучую свободу безначалия.

– Так это уже просто врассыпную по лесам? – заметил Филипп Данилович.

– Люди всегда будут жить стадами, – отвечал докторально наш чудак.

– Евгений Николаевич, – прибавил я, – а ведь как люди-то надуют философию истории и учение о совершенствовании, когда они вылечатся от хронической болезни historia morbus[89] и начнут жить мирными стадами?

– Да, да, – с восторгом подхватил он, – Кондорсе-то с своей книжкой, ха, ха!

И Евгений Николаевич, раскрасневшийся в лице, с жилами, налившимися кровью, на лбу, вдруг сморщился, сделал серьезный вид и упорно замолчал.

IV

– Вы там что ни толкуйте, Филипп Данилович, а в истории вашего больного есть какие-нибудь странные события, – сказал я раз доктору, гуляя с ним по мраморной террасе у моря.

– Ну, да как не быть чего-нибудь, кто же до тридцати пяти лет доживал без каких-нибудь неприятностей?

– Какие же однако были у него неприятности?

– Я важного ничего не знаю. Вы сами видите, какой организм, нервы почти наружи, всякая всячина его раздражает, крови нет, от природы слаб, пищеварение скверное, матери было за сорок лет, когда он родился, да еще по смерти отца форсепсом полуживого достали. А тут петербургский климат, богатство, английская болезнь, глупое холенье довоспитали. С родными он никогда особенно близок не бывал; оно и немудрёно, он давно уже занимается болезнию земного шара и излечением рода человеческого от истории, а те думают, как бы побольше денег слупить с крестьян. Разумеется, хозяйство шло у него через пень-колоду; сестра жила на его счет и теперь на его счет всю семью содержит, да это его и не заботит, благо конца нет деньгам. Сначала, говорят, он жил покойно, занимался науками, не выходил почти никогда из своей половины, пристрастился к музыке, читал всякую всячину, только на службу никак не хотел. Потом, говорили, какая-то девчонка обманула его и обобрала. Он все становился пасмурнее, тяжелее для окружающих, ипохондрия развивалась, они его и спровадили.

– Какая же это девчонка его обманула?

– У вас так уж в голове и вертятся Вертер и Шарлотта, письма, пистолеты – мечтатели и вы страшные; успокойтесь, история эта очень проста. Шарлотта была сестрина горничная. Он презастенчивый и отроду не подходил близко к женщине, не знаю уж, как там их бог свел, только, говорят, он ее любил, воображал, что чудо открыл, кантатрису[90], а она, как-то сговорившись с любовником, обокрала его – вот вам и весь роман. Я видел ее перед отъездом, так, неважная, а впрочем недурна; если б мы дольше остались в Петербурге, я, так и быть, приволокнулся бы за ней.

Больше я не мог ничего добиться от моего патолога, мне было досадно, что он так, играя, скользит по жизни, досадно, а может, и завидно…

Стройная, высокая генуэзка в черном платье и покрытая белым, длинным, прикрепленным к косе вуалем, шмыгнула мимо нас, незаметно улыбнулась, прищурила глаза и быстро прошла. «Ah, che belezza, che belezza![91] – закричал лекарь. Она обернулась и поблагодарила его тем грациозным, легким, чисто итальянским движением руки, которым они кланяются и, как будто этого было мало, кивнула своей прекрасной головкой. Лекарь бросился за ней.

Я оставил его и пошел в Stabilimento della Concordia[92]

Это самое изящное, самое красивое кафе во всей Европе. Там, бродя между фонтанами, цветами, при гремящей музыке и ослепительном освещении, переходя из мраморных зал в сад из сада в залы, раскрытые al fresco[93], середь энергических вороных голов римских изгнанников, середь бесконечных савойских усов и генуэзских породистых красавиц, я продолжал думать о поврежденном.

Вспоминая его речи и рассказ лекаря, я пошел к одному из маленьких столиков в саду и спросил граниту[94]. Увидя меня, человек, сидевший за ближним столом, поспешно встал, выпил наскоро свою рюмку росолио[95] и собрался уйти. Это был слуга Евгения Николаевича, который так по-русски тянулся на козлах.

– Для чего ж вы это идете? Я вам не мешаю, ни вы мне,

– Помилуйте-с, – отвечал Спиридон, снявши шляпу, – оно нашему брату не приходится то есть с господами.

– Ведь вы теперь не в Петербурге и не в Москве. Пожалуйста, наденьте вашу шляпу и останьтесь – или я уйду.

Он остался и надел шляпу, но садиться не хотел никак.

– Да вы ведь сидели же прежде меня, почем вы знаете, кто были ваши соседи, может, князья какие-нибудь, – спросил я.

– Это точно-с. Но ведь вы русские, а те что же – итальянцы-с.

«Voilà mon homme»[96],– подумал я и потребовал у камерьера5 графинчик марсалы и две рюмки.

– Что это ваш Евгений-то Николаевич здоровьем эдак расстроен; жаль его, такой, кажется, хороший человек.

– Это-с, позвольте вам доложить, таких господ на редкость, самый душевный-с характер. Как же не жаль-с, оченно даже жаль; мыслями все расстраиваются… такой нрав-с. Все изволят к сердцу брать и никакой отрады не имеют. Бывало, когда им на душе нехорошо сделается, сядут за клавикорд – то есть так играли, что не уступят любому музыканту в александрынском оркестре. Господа, прекрасно одетые, барыни настоящие останавливались иной раз на улице. Бывало, в передней сидишь, сердце радуется, каково наш-то отличается. Иногда так жалобно играет, что даже истома возьмет, – отменно играли. Ну, впрочем, как оставили музыку, так больше стали сбиваться, по нашему замечанию.

– Да разве он совсем не играл дома последнее время?

– Больше двух годов-с. Раз София Николаевна, сестрица их, бымши в их комнате, отворили клавикорд и так взяли одну аккорду: «Вечерком красна девица». А Евгений Николаевич только глухо сказали: «Зачем это вы, сестрица, боже мой». Да так, как пласт и упали, потом сделались спазмы, слезы и смех-с – с полчаса продолжалось. Дохтур говорит – нервы у них так расстроены, не могут слышать музыки. Так с тех пор наш дом и замолк-с. А им все хуже; в лице много перемены, стареют… так жаль, что сказать нельзя, больше все молчат, а иногда слово одно скажут: «Ты устал, чай, Спиридон, поди-ка да ляг», таким трогательным голосом, и взгляд такой добрый у них сделается, и видно, самим-то им плохо, наболело на сердце; вот те и богатства и всё, – иной раз, доложить вам откровенно, слеза прошибет.

– Мне Филипп Данилович говорил, что у Евгения Николаевича какая-то история была с горничной.

– Дело точно было-с. И она, эта самая Ульяна, доводится мне сродни, племянница, сестрина дочь. Наварила каши чего сама не стоит – а добрейшая душа была, ей-богу-с. Жаль, что барин тогда так к сердцу приняли и огорчились. Просто дуру следовало проучить и все тут; и она благодарить стала бы потом, ей всего было лет восемнадцать, какой ум в эти лета, к тому же баловство-с.

– Да в чем же дело-то?

– Извольте видеть, Ульяна эта у Софии Николаевны при комнате находилась, и барыня ее жаловали, умница такая была. Был у нас тоже-с человек, Федор, человек пьющий, но, впрочем, играл на скрыпке отменно; только рука уж очень дрожала от горячих напитков, а чести был примерной. Вот Федор этот возьми и обучи песни петь Ульяну, голосом она брала-с и на музыку препонятливая. Так это шло, год, другой, и никто подумать не мог, что за катавасия выйдет. Барин наш слышали несколько раз, как Ульяна поет, и говорят сестрице: «Ведь это клад, дайте ей, мол, вольную, а я ее певицей сделаю». Вот извольте заметить, какая душа, не хотели, чтобы, обучимшись, крепостной осталась. Сестрица им в глаза смотрели: «Сейчас, мол, Енюша», и отпускную совершила. Учитель ходил из немцев, иной раз с нами вступал в разговор, шинель когда подаешь или что, приостановится, не гордый был, простой, – вот как вы теперь изволите, примером, со мной разговаривать. – «Ну, говорил он, а помещик ваш в музыке собаку съел, мне у него учиться приходится, и голос у фрейлен Юльхен оченно прекрасен; да и глаза-то у нее недурны, философ-то ваш знает, где раки зимуют». Ну, так, бывало, посмеемся для балагурства, а то в самом-то деле он у нас вел себя, как красная девица, только к церкви не был прибежен и постов не соблюдал. Однако мы стали замечать уж и промеж себя, что Евгений Николаевич очень руководствуются Ульяной. Уж и сестрица-то перепужалась, что, мол, много воли заберет. Но только она никому вреда никогда не делала и смысла не имела о том; так, детский, пустой нрав, безосновательный – поет себе, бывало, день-деньской да конфет накупит, а грубого слова никто не слыхал, со всеми преласковая была.

К тому случаю у Евгения Николаевича будь камердинером Архип. С детства при них состоял, только был года четыре помоложе, казачком так поступил с малолетства к Евгению Николаевичу на половину. И кто его знает, какой человек, не то что дурной, а безалаберный и нерегулярный. Пить пойдет, весь дом поит до положения риз и с себя все спустит – часы, жилетку, исподнее. Барин его жаловали очень, с детства, например, росли вместе, а что ему давали – невероятно, они же забывчивы. Евгений Николаевич ему верили, как самому себе. Вот этот самый Архип и сбил с толку Ульяну. Мудрено ли глупую девку с ума свести, а уж это до добра в доме никогда не доводит; на стороне разве мало есть, слава богу, этого снадобья Довольно, Петербург не клином сошелся. Сначала все шло благополучно, вдруг только случись такая беда, что у нас в доме отродясь не бывало; у барина из шкатунки пропало две тысячи рублев. Евгений Николаевич, изволите видеть сами, какой человек, самый бессчетный, они бы, может, и не догадались, но деньги-то следовало сестрице отдать, они их и приготовила с вечера, утром хвать-похвать, а денег нет. Поднялся в доме гвалт, Архип наш суетится, ищет, платья швыряет, волосы на себе рвет – денег нет. Барин-то и ничего, словно не его дело, но София Николаевна расходилась, говорит – это дело Федьки-музыканта, он все пьян, откуда деньги берет. Так-с, женское рассуждение, видите, – на вино эдакий куш украл. Взял я смелость и говорю: «Вы меня простите, барыня, а только Федор человек слабый, точно, но вором не будет, я его с малолетства знаю». – «Ты, говорит, молчи, да за себя отвечай» – и Федора отправили при записке во Вторую адмиралтейскую. Жаль мне стало старика, так, мочи нет, сошел я в людскую да и говорю: «Ребята, если вор дома, следует его сыскать и выдать, а старого человека и невинного не приходится отдать на терзание, хоша на то и барская воля, но мы в очистку себя и его вора поймать должны». Все наши говорят в одно слово: «Как не сыскать вора, коли дома». Ну, думаю, постой, не уйдешь ты, голубчик, от нашего глаза, а сам пошел наверх и присматриваюсь часок, другой, так, как будто не мое дело. Вижу я-с эдак в Архипе перемену. Э, брат, это немадель, суетится слишком Архип, ищет после обеда за диваном, изволите знать, у нас что называются турецким диваном, подушки по стене. «Что, мол, ты это, Архип, хлопочешь?» –» Да что, говорит, всё эти проклятые деньги, такая беда». – «Да как же, мол, деньгам попасть за диван?» А он мне в ответ: «Да вот, мол, подите, с полоумного спрашивайте отчет; все побросает, а потом ищи за ним, да еще, чего доброго, скажут, что кто-нибудь украл».

Посмотрел я ему в глаза, вижу – взгляд нехорош, ну, думаю, была не была – то есть Федора мне было смерть жаль, да и на дом похула нехороша, – я-таки, не говоря худого слова, хвать его в грудь да и на пол, тут я его коленкой прижал да и говорю: «Ну, признавайся, мошенник, твое это дело, а других не марай и за себя не губи». Он так оторопел, что ни слова. На этот шум выходит барин. Я ему докладываю: «Батюшка, мол, Евгений Николаевич, извольте меня на поселение послать, как угодно, а деньгам вашим вор не кто иной, как Архип». – «Да ты, братец, пьян, – барин-то мне в ответ, – оставь его, как вором называть?» – «Нет-с, говорю, воля ваша, а я не пьян и до квартального надзирателя его не пущу. Что Федора, невинного человека, сестрица ваша отправила в часть, это бог рассудит. А вор ваших денег вот».

Барин эдак приостановился, подумал и таким тихим и грустным голосом сказал: «Архип, неужели в самом деле?» Не выдержал Архип, в три ручья залился, рванулся от меня и барину в ноги: «Виноват, говорит, кругом-виноват и запираться не намерен. Запутался я в одном нечистом деле, мне приходилось в острог идти или выкупиться, ну, лукавый подтолкнул меня. Готов я всякое наказание принять, а деньги ваши, Евгений Николаевич, еще целы». При этом он в азарте, расплаканный, вытащил из кармана ассигнации, завернутые в бумажку, и подал.

Барин все время не говорили ни слова, только, взявши деньги, они вздрогнули и вышли вон. А Архип так и взвыл: «Посажу себе пулю в лоб, не хочу больше горе мыкать, лучшего я не достоин; господи, что я наделал, ведь деньги-то были завернуты в Ульянино письмо – сгубил я себя и ее!»

«Спиридон», – позвал барин из кабинета, – я взошел. А Архип так и остался на коленях расплаканный, инда самому мне жаль его стало. Барин стояли близ дверей, прислонимшись к стене, такой страшный, будто неживой, губы посинели; они два раза хотели что-то сказать – и не могли, голоса не было, – потом они так ручку приложили ко лбу – плохо с им было. Собрались с силами, наконец, и говорят таким глухим голосом: «Спиридон, никто в доме не знает, что было. Так вот поди сюда, вот отпускная Архипа и еще отпускная, – тут они остановились, однако так и не сказали, – так ты им отдай да устрой, чтобы сейчас из дому переехали, только сейчас, не мешкая, возьми сколько надобно денег из тех. Да ты, Спиридон, сделай это все помягче, понимаешь; ну, да хорошо, ступай», – прибавил он, видя, что слова-то не выходят.

Ну, уж как бедная Ульяна плакала, у меня сердце надорвалось. И взять ничего не хотела своего: «У меня ничего, говорит, нет собственного. Хоть бы взглянуть еще раз на него, прощенья бы попросить, руку бы поцаловать. Ведь как добр-то он был ко мне, как ласково смотрел – пусть бы, кажется, побил меня, все лучше бы было». – «Ну, я говорю, послушай, Уля, о том надобно было думать прежде, а теперь убирай-ка свои пожитки». Пока я с ней хлопотал, привел полицейский Федора, и комиссар с ним, говорит: «Сколько мы его ни принимались сечь, не признается; видно, деньги не он украл». Я посмотрел – Федор в лице нехорош. Комиссар говорит барыне: «Следует допросить других, на кого есть подозрение». Она пошла к братцу, что-то по-французски потолковали, вдруг она выходит в зал и говорит комиссару: «Представьте, какой случай, брат мой нашел деньги, мне, право, совестно, что вас даром обеспокоили». – «Помилуйте, это наша обязанность», – говорит комиссар, а она ему красненькую да Федора приказала чаем напоить.

Я вечером взошел с докладом, барин сидел за столом, опершись на обе руки. Увидевши меня, он как с испуга, вскочил, поднял руку и сказал: «Не нужно». С тех пор и помину не было об этой истории. Тем дело, почитай, и кончилось. Ну, только Федор слег в постель да месяца через два и помер. Невинную душу загубила София Николаевна. Наше крепостное дело, не приведи бог!

– Я не понимаю в этой истории одного: как же Ульяна могла так сблизиться с Архипом – из ваших слов видно, что она Евгения Николаевича любила.

– Да еще как-с. Вот теперь третий год пошел, как она выбыла из дома. Без слез ни разу не говорила о барине, и Архип ей совсем опостылел; он, впрочем, ушел в солдаты охотником, мы об нем не слыхали после. Все ветреность-с и баловство. Понашему простому рассуждению, извольте видеть, Ульяна и не подумала, ей и в голову не приходило, что она барину в самом деле что-нибудь значит. Ведь все же он был барин, не могла же она его не бояться, быть его ровной, не могла, эдак, вольный дух иметь с ним, как с Архипом, они же по характеру всегда серьезны бывали. Изволите сами знать, молодость кипит, все бы смехи да дурачества. Ну, Архип мелким бесом, бывало, рассыпается – и пляшет, и на торбане играет, и кроновским пивом потчует, и мороженым угощает, – всякий под богом ходит, оно нехорошо потачку давать, но так, к слову, по человечеству рассудить, так оно и понятно. В самый день нашего отъезда, утром, из ресторации с Сучка, где мы обыкновенно чай пивали, прибегает за мной половой, говорит: «Барыня вас требует какая-то»; что, думаю, за пропасть, однако пошел. Смотрю – Ульяна сидит и опять заливается слезами. «Дяденька, говорит, уладьте как хотите, мне хоть бы взглянуть на Евгения Николаевича, и что у них за сердце за жесткое, что гневаются так долго; меня, говорит, в театр в хористки взяли, ему ведь я обязана, что петь обучил. Хоть бы поблагодарить, слово одно сказать, камень точно на сердце. Да еще Василиса говорит, что и болезнь их все через меня – жизнь мне не мила». Не хотелось мне долго барина беспокоить, но вижу – она никакого интереса не имеет, а сильно кручинится; думаю, что же, головы не снимет. Вхожу в кабинет, Евгений Николаевич, как обыкновенно, сидят в задумчивости, вид ничего, добрый. Я, эдак, немного позамямшись, говорю: «Да вот еще, Евгений Николаевич, я осмелюсь доложить, так уж оченно меня просила»; вдруг у них глаза так сверкнули, лицо переменилось. Я поскорее за чемодан. Она потом, бедняжка, в людской спряталась, чтобы в окно взглянуть, когда мы поедем; тут я Филиппу Даниловичу ее показывал…

– Я вам очень, очень благо дарен, – сказал я Спиридону, – ну пойдемте-ка в наше Croce di Malta[97] да выпьемте последнюю рюмку марсалы за здоровье бедной Ульяны. Мне ее жаль, несмотря ни на что.

– Точно-с, не наше дело чужие грехи судить, и за ваше, сударь, здоровье с тем вместе, – прибавил Спиридон…


С. Елен, возле Ниццы. Зимой 1851.

*

Je vous prends pour juges.

J'ai refusé un duel.

Un duel avec le sieur Herwegh.

Pourquoi?

Je le dirai hautement. La trahison, l'hypocrisie, la lâcheté, l'exploitation sont des crimes. Les crimes doivent être punis ou expiés.

Le duel n'est ni une expiation, ni un châtiment.

Le duel est une réparation.

Pour condamner et flétrir des crimes qui, par leur hauteur même, échappent à la procédure de nos ennemis officiels, je me suis adressé au seul tribunal que je reconnaisse, à un jury de coreligionnaires, attendant de sa justice contre l'infâme que je lui dénonçai, une sentence d'autant plus solennelle et plus terrible qu'elle aurait pour exécutrice la conscience de tous les hommes de bien.

Nos frères de la démocratie européenne, répondant sponta nément à mon appel, unanimes dans leur réprobation, se sor déclarés prêts à flétrir publiquement un homme qui a forfait à l'honneur.

Les choses en étaient là.

Cependant quelques-uns de mes amis, exécuteurs fidèles des volontés dernières d'une sœur respectée, allaient confondre le misérable jusque dans son domicile.

Après l'avoir moralement contraint au silence, ils lui lisaient la lettre que lui avait écrite sur son lit de douleur la femme dont il a creusé la tombe

Cette lettre qu'il avait renvoyée à son auteur, en l'accompagnant d'un commentaire odieux, qu'il disait n'avoir pas voulu lire et qu'il avait ouverte lue, elle contenait sa suprême condamnation.

Le coupable, frappé de stupeur, en écoutant l'arrêt authentique qui le condamnait sans appel, n'a retrouvé quelque semblant de courage que pour fuir et invoquer à grands cris le secours de la police.

Ernst Haug, alors, transporté d'une juste indignation, a puni le lâche, en lui imprimant sur le visage le cachet de son mépris.

Le sieur Herwegh n'a protesté contre la flétrissure, dont il garde l'empreinte, qu'en m'envoyant un second cartel.

Cette protestation était facile à prévoir.

Quant à moi, loin qu'elle me fasse dévier de ma route, elle m'y maintient plus ferme que jamais.

Que le verdict soit donc prononcé et que pour la première t'ois justice soit faite, sans procureur ni gendarmes, au nom de la solidarité des peuples et de l'autonomie des individus.


<1852>

<Беру вас в судьи…>*

Беру вас в судьи.

Я отказался от дуэли.

От дуэли с неким Гервегом.

Почему?

Скажу об этом во всеуслышание. Предательство, лицемерие, подлость, эксплуатация – это преступления. Преступления должны быть либо наказаны, либо искуплены. Дуэль – не искупление, не кара. Дуэль – это удовлетворение.

Чтоб осудить и заклеймить преступления, кои, по самой своей тяжести, оказываются вне судебной процедуры наших официальных врагов, я обратился к единственному признаваемому мною суду, – к суду единоверцев, ожидая от него правосудия против бесчестного человека, которого я пред ним изобличил, – приговора, тем более значительного и грозного, что исполнителем его должна явиться совесть всех порядочных людей.

Наши братья из европейской демократии, добровольно откликнувшиеся на мой призыв, единодушные в своем порицании, объявили, что готовы публично заклеймить человека, поступившего бесчестно.

Так обстояло с этим делом.

Между тем несколько моих друзей, верных исполнителей последней воли уважаемой ими сестры, отправились пристыдить негодяя в собственном его жилище.

Принудив его нравственными мерами к молчанию, они прочли ему вслух письмо, написанное ему на ложе болезни женщиной, могилу которой вырыл он. Это было письмо, которое он отослал обратно автору в сопровождении гнусного комментария, утверждая, что не захотел прочесть письмо, которое он однако вскрыл <и> прочел; оно содержало в себе безвозвратное его осуждение.

Преступник, пораженный неожиданностью, прослушав подлинный приговор, осуждавший его без права обжалованья, нашел в себе лишь настолько смелости, чтоб обратиться в бегство и громко призывать на помощь полицию.

Тогда Эрнест Гауг, охваченный справедливым негодованием, наказал подлеца, наложив на его лицо печать своего презрения.

Упомянутый Гервег выразил свой протест против этого клейма, след которого он хранит и сейчас, только тем, что послал мне второй вызов.

Этот протест легко было предвидеть.

Но меня этот протест не только не заставит отклониться от своего пути, а еще более утвердит на нем.

Да будет же произнесен приговор и да свершится в первый раз правосудие, без прокурора и жандармов, во имя солидарности народов и независимости личностей.


<1852>

An die Redaktion der «Neuen Zürcher Zeitung»*

Ich ersuche Sie nachstehende Erklärung in Ihrer nächsten Nummer zu veröffentlichen. Hochachtungsvoll


Lucern, A. Herzen

Den 25. Juli 1852

ERKLÄRUNG

Ich habe mich geweigert, mich mit Georg Herwegh zu schlagen – ich werde mich auch fernerhin weigern.

Die Gründe, weshalb ich G. Herwegh nicht für ehrenfähig halte, gehören nicht hierher. Ich habe sie einigen bekannten europäischen Demokraten mitgeteilt, deren Ausspruch bald erfolgen wird.

Ich würde über den Artikel, welchen G. Herwegh in Ihrem Blatte veröffentlicht hat, kein Wort verloren haben. Da er aber meine liebsten und vertrautesten Freunde als «elende Spadassins» bezeichnet, die mit «russischen Subsidien einen grand coup gegen ihn zu führen trachten», so bin ich – nicht ihm, sondern den Lesern Ihres Journals – eine Erklärung schuldig.

Ich erkläre also, auf Ehrenwort, dap Niemand von mir jemals «Gold bezogen» oder «Subsidien empfangen» hat, mit alleiniger Ausnahme meines Gesindes und des Georg Herwegh selbst, welcher noch heute ein Kapital von zehntausend Franken von mir in Händen hat, das ich ihm vor zwei Jahren ohne Zinsen lieh. Die jährliche Unterstützung, welche derselbe demnach noch in diesem Augenblicke durch mich erhält, kann jeder leicht nach dem landesüblichen Zinsfüße berechnen.

A. Herzen Lucern, den 25 Juli 1852

В редакцию «Neue Zürcher Zeitung»*

Прошу Вас опубликовать в следующем номере Вашей газеты нижеследующее разъяснение. С совершеннейшим почтением


А. Герцен

Люцерн,

25 июля 1852 г.

РАЗЪЯСНЕНИЕ

Я отказался драться с Георгом Гервегом – буду отказываться и в дальнейшем.

Причины, но которым я считаю г. Гервега недостойным, не относятся к делу. Я сообщил их нескольким известным европейским демократам, приговор которых скоро последует

Я не стал бы тратить слов по поводу статьи, напечатанной г. Гервегом в Вашей газете. Но поскольку он изображает моих лучших и задушевных друзей как «жалких spadassins»[98] которые при помощи «русских субсидий стараются нанести ему grand coup»[99] –, то я обязан представить разъяснение – не ему, а читателям Вашей газеты.

Итак, я ручаюсь своим честным словом, что никто никогда не «получал золота» или «субсидии», за исключением моего слуги и самого Георга Гервеса, в руках у которого и сейчас еще находится капитал в 10 000 франков, одолженный ему мною два года тому назад без процентов. Размер годового пособия, которое он таким образом получает от меня еще в данное время, каждый легко может сам вычислить по местному процентному расчету.

А. Герцен

Люцерн, 25 июля 1852 г.

Загрузка...