Dix

Il régnait dans la salle de conférence une atmosphère détendue, plus paisible que ne l’aurait imaginé Geary. Mais pourquoi ses commandants n’auraient-ils pas ressenti calme et bonne humeur ? Il se doutait que le moulin à ragots devait avoir déjà colporté la rumeur du traité de paix avec les Syndics dans toute la flotte.

Et il lui fallait désormais leur apprendre que leboulot n’était pas terminé.

Il se leva et tout le monde se retourna pour le regarder en souriant, mais ces sourires se firent moins assurés dès qu’on remarqua sa mine sombre. « Vous savez déjà, j’imagine, que les nouveaux dirigeants des Mondes syndiqués ont consenti à mettre un terme à la guerre et à cesser les hostilités. Nous sommes convenus de procédures de vérification. Ils ont également promis de rapatrier tous les prisonniers de guerre et de nous fournir une liste exhaustive de tous ceux qui sont morts durant leur détention. »

Une onde de joie mâtinée de mélancolie parcourut les rangs d’hommes et de femmes qui lui faisaient face. Ceux qui étaient morts au combat ne reviendraient jamais mais au moins leur nombre ne serait-il accru par de nouvelles batailles. Ceux qu’on croyait à jamais perdus dans les camps de travail syndics retourneraient sans doute chez eux mais beaucoup y étaient morts de vieillesse, ou à la suite de problèmes de santé, en attendant une libération qui arriverait trop tard. Geary entendit d’autres allusions au « chant de la sorcière » quand les officiers se congratulèrent.

« Ça, c’est la bonne nouvelle », poursuivit-il, en entendant sa propre voix se durcir. Bon, elle reflétait précisément la colère qu’il éprouvait à l’idée que cette « fin » ne mettait pas un terme définitif à tout ce qu’elle aurait dû achever. « La mauvaise, c’est que les Mondes syndiqués sont en train de se désintégrer. Nous allons devoir affronter à longue échéance des problèmes de succession, qu’il nous faudra peut-être régler par la force afin d’obliger ces nouveaux États à se plier aux termes du traité. »

Le capitaine Landis, commandant du Vaillant, prit la parole en profitant d’une interruption de Geary : « Mais il ne s’agira que d’interventions mineures comparativement à la guerre, n’est-ce pas, amiral ?

— Relativement mineures, rectifia Geary. Mais, compte tenu de leur nombre, elles risquent de ne pas laisser cette impression à ceux qui y participeront.

— Maintenir l’ordre dans le cadavre pourrissant des Mondes syndiqués », grommela Armus.

Le capitaine Neeson secoua la tête. « Ce “cadavre” pourrait bien engendrer des puissances locales assez fortes pour nous inquiéter. C’est un vrai panier de crabes, mais il fallait s’y attendre, j’imagine. Les Syndics dépendaient de leur flotte pour mettre chacun de leurs systèmes stellaires au pas et nous devions détruire ces vaisseaux pour gagner la guerre. »

Badaya renifla dédaigneusement. « S’ils avaient eu l’intelligence de déclarer forfait beaucoup plus tôt, les Syndics auraient pu conserver leur pouvoir. Mais ils ont poussé le bouchon trop loin et, maintenant, ils n’ont que ce qu’ils méritent.

— Des dizaines de systèmes comme Héradao ? s’enquit le capitaine Vitali, commandant du Risque-tout. Les Syndics vont assurément payer cette paix au prix fort, et pendant très longtemps.

— Sans compter que nous avons gagné et que les menaces que nous devrons désormais affronter militairement sont relativement minimes.

— À une exception près », fit remarquer Geary. Il vit l’étonnement s’afficher sur tous les visages et régla l’hologramme qui flottait au-dessus de la table pour faire apparaître la région frontalière syndic proche du territoire des extraterrestres. « Les Syndics ont reconnu en notre présence l’existence d’une espèce extraterrestre intelligente le long de cette frontière, dans le secteur diamétralement opposé à celui de l’Alliance par rapport à leur territoire. »

Le silence qui s’instaura ensuite fut si profond que Geary se demanda s’il n’était pas subitement devenu sourd. « Qui sont-ils ? demanda le capitaine Duellos comme si lui aussi venait de l’apprendre à l’instant.

— On l’ignore. Ces extraterrestres ont réussi jusque-là à se dissimuler en maintenant une quarantaine si opaque que les Syndics n’ont rien appris de significatif à leur sujet en un siècle, si bien qu’ils ont baptisé cette espèce Énigma. »

Le général Carabali exhala bruyamment. « Laissez-moi deviner… Ils sont hostiles.

— Apparemment. Mais nous ne savons pas jusqu’à quel point. »

Badaya s’en était enfin suffisamment remis pour parler : « Quelles preuves de leur existence les Syndics ont-ils pu vous fournir ?

— Je vous les exposerai, mais nous-mêmes en avons eu au moins une. Vous vous souviendrez sûrement de la découverte, dans les systèmes de la flotte, de logiciels malfaisants fondés sur les probabilités quantiques. De tels virus dépassent de loin nos capacités en la matière et nous avons désormais la confirmation que les Syndics en sont au même point que nous. Autant que nous le sachions, ils sont même restés dans l’ignorance de l’existence de ces vers qui, le général Carabali pourra le corroborer, ont pourtant été décelés récemment dans les systèmes des épaves de leurs vaisseaux. Ces virus, implantés dans les nôtres pour permettre à ces extraterrestres de suivre nos déplacements et nos actions, ne peuvent qu’être leur œuvre.

— Ils ont tenté de nous nuire ou bien se sont-ils contentés de nous surveiller ?

— Ils ont tenté de nous nuire. Ils peuvent provoquer l’effondrement d’un portail au moyen d’une sorte de signal à distance. C’est ce qui s’est produit à Kalixa. Et ici.

— Ils ont cherché à nous éliminer ? demanda Neeson.

— Manifestement. Permettez-moi de vous faire part de tout ce que nous avons pu réévaluer à la lumière de notre connaissance de leur existence et de la situation à la frontière du territoire syndic et du leur. »

Geary poursuivit son exposé, leur montra le S.O.S. du commandant en chef syndic et leur rapporta les rares détails connus sur les aptitudes de l’espèce Énigma. Lorsqu’il se tut enfin, le silence régna durablement.

Ce fut le commandant du Dragon qui se chargea de le rompre : « Serait-il question de nous allier avec les Syndics contre ces extraterrestres ?

— Non. » Geary sentit se dissiper une partie de la tension. « Nul n’a jamais suggéré que nous acceptions de défendre les Mondes syndiqués. Un tel accord serait trop aisément contournable. » De nombreux hochements de tête répondirent à cette déclaration. Personne ne se fiait aux Syndics. « Mais endiguer une invasion, c’est une tout autre affaire. Nous ne savons rien des objectifs de cette espèce Énigma et nous ignorons où elle s’arrêterait si l’ancienne frontière syndic s’effondrait.

— Vous n’êtes pas en train d’évoquer une menace pour l’Alliance, n’est-ce pas ? C’est bien trop éloigné.

— Quatre semaines de trajet de cette frontière à l’Alliance, lâcha Desjani. Par l’hypernet.

— Peuvent-ils emprunter l’hypernet ? s’enquit le commandant de l’Écume de Guerre.

— C’est possible, répondit Geary. De fait, nous avons toutes les raisons de croire que ce sont eux qui ont fourni clandestinement cette technologie à l’Alliance et aux Mondes syndiqués. »

Tous écarquillèrent à nouveau les yeux, puis le capitaine Neeson reprit la parole. « Ça expliquerait tout, marmonna-t-il in petto. Il y a tant de points qui nous restent inconnus dans cette technologie… et ces virus basés sur les probabilités quantiques provenaient bien des clés de l’hypernet, non ?

— Ostensiblement.

— Pourquoi ? demanda Badaya en plissant les yeux d’un air menaçant. Pourquoi la donner aux deux camps ? À quel jeu jouaient-ils ? »

Duellos semblait fixer le néant. « L’hypernet a donné un coup de fouet à l’économie des deux camps au moment précis où les coûts de la guerre la grevaient. Il a aussi simplifié le conflit en améliorant la logistique et en permettant des transferts de troupes et des concentrations de forces plus rapides.

— Ils tenaient à ce que nous continuions de nous battre ? » Badaya se rejeta en arrière en affichant un masque à la fois songeur et furieux. « Pour nous affaiblir. Les uns et les autres. Nous mettre à genoux pour préparer leur invasion.

— C’est peut-être bien ce qui est en train de se passer, convint Geary. Nous avons l’intention de leur montrer qu’une telle ingérence dans les affaires de l’humanité ne sera pas tolérée et que nos luttes intestines ne l’empêcheront nullement de riposter à toute tentative d’invasion de son espace.

— Ce qui exigera probablement un combat, fit remarquer Jane Geary. Un combat contre un ennemi dont nous ignorons la force et les moyens, doté d’armes et de capacités défensives tout aussi inconnues.

— En effet. Mais, si nous ne ripostons pas maintenant, nous devrons le faire plus tard, quand nous serons affaiblis et qu’eux se seront encore renforcés. Nous avons l’occasion de tracer un trait de craie à cette frontière et de leur faire comprendre qu’ils ne peuvent pas contraindre l’humanité à battre en retraite. »

Ce qui passa comme une lettre à la poste. Geary vit distinctement les échines se raidir à la seule perspective d’une reculade. Tous avaient la conviction qu’ils ne s’étaient jamais repliés devant les Syndics. Il était hors de question qu’ils consentent à reculer devant un autre ennemi.

« Vous avez dit qu’ils s’étaient déjà emparés de planètes syndics, laissa tomber le capitaine Parr, commandant de l’Incroyable. Étaient-elles encore occupées par des hommes ? Et, si oui, savons-nous ce qu’ils sont devenus ?

— Non, nous l’ignorons. On n’a jamais eu de nouvelles de ceux qui vivaient dans des secteurs annexés par les extraterrestres. » Geary prit conscience du malaise général. Il ne s’agissait pas uniquement des craintes engendrées par des millénaires de fictions narrant les tentatives d’espèces extraterrestres pour détruire l’humanité ou la réduire en esclavage, histoires qui toutes, au cours des derniers siècles, avaient de plus en plus pris l’allure de purs et simples fantasmes puisqu’on n’avait jamais découvert d’extraterrestres jusqu’à ce jour. Non, songeait Geary, il s’agissait surtout d’abandonner des gens. La flotte ne l’avait jamais fait par choix et, quand elle s’y était résolue, elle avait toujours souhaité retourner chercher ces laissés-pour-compte. Bien sûr, ce vœu n’avait été que très rarement exaucé dans la pratique, mais ça n’en restait pas moins un crève-cœur.

Badaya fixa l’hologramme d’un œil coléreux. « Ce sont des Syndics mais aussi des hommes. Peut-être ne sont-ils même plus des Syndics, d’ailleurs. Ils vont pendre ou abattre leurs chefs et instaurer des gouvernements avec qui nous pourrons traiter. Il faut évacuer ces systèmes stellaires. Les Syndics n’en sont pas capables, n’est-ce pas ?

— Non, reconnut Geary. Ils n’ont ni le temps ni le nombre suffisant de vaisseaux. Vous savez à quel point il est déjà malaisé d’évacuer un seul système stellaire, même en alignant toutes les ressources de l’Alliance. Des millions de gens seront abandonnés sur ces planètes.

— Alors il faut impérativement y aller pour arrêter les extraterrestres ! Peut-être sont-ils en mesure de massacrer des Syndics, mais ils découvriront qu’une flotte de l’Alliance résolue à combattre représente une menace dont ils ne pourront pas venir à bout, en dépit de toutes leurs capacités. »

Un rugissement approbateur accueillit les paroles de Badaya.

À la fin de la réunion, Geary resta planté là à se demander si l’enthousiasme suscité par la perspective d’une offensive contre un nouvel ennemi durerait bien longtemps.

Resté, Duellos secouait la tête en souriant d’un air désabusé. « Le capitaine Badaya conçoit la flotte comme un marteau, le plus gros que l’humanité ait jamais forgé. Dès que le problème lui est apparu sous la forme d’un clou, il n’a eu de cesse d’envoyer la flotte l’enfoncer.

— Ouais, convint Geary. Badaya m’a valu pas mal de migraines par le passé, mais son côté carré peut parfois se révéler très utile. » Rione aurait pu dire la même chose et Geary trouva brusquement cela très perturbant.

Desjani éclata de rire sans prévenir. Constatant que Duellos et Geary la fixaient, elle désigna l’hologramme. « Le commandant en chef de Mitan s’attend à recevoir des secours pour l’aider à repousser des extraterrestres qui risquent incessamment de se pointer et, au lieu de la flottille syndic qui devrait arriver à sa rescousse, il va voir débouler la flotte de l’Alliance par le portail de l’hypernet. Vous imaginez ? Elle va sauter en l’air de stupéfaction, si haut qu’elle en crèvera la stratosphère. »


Réparer au minimum les avaries exigea quelques jours. Dans un monde parfait, Geary aurait sans doute renvoyé à la maison les bâtiments les plus endommagés, mais, si l’Alliance fabriquait d’autres clés de l’hypernet syndic en se basant sur les données de celle que transportait l’indomptable, aucune n’était encore disponible au départ de la flotte. Seuls ceux qui accompagnaient le vaisseau amiral pouvaient emprunter l’hypernet syndic, de sorte que les bâtiments blessés devraient suivre la flotte escortés par les auxiliaires. Ces derniers répartissaient cellules d’énergie, missiles et mitraille entre toutes les unités, ainsi que les pièces détachées et le matériel destiné aux réparations qu’ils avaient usinés.

Geary pouvait soit faire sauter la flotte vers Mandalon, soit lui faire regagner Zevos et partir de ce dernier système puisqu’il était doté d’un portail. Bien que l’Alliance et les Mondes syndiqués fussent désormais officiellement et techniquement en paix, il se sentait encore dans la peau d’un occupant quand il la conduisit vers le point de saut, conscient que tous les hommes, femmes et enfants qui vivaient dans ce système la craignaient et se méfiaient d’elle.

Si le regard malveillant des Syndics dérangeait Desjani, elle ne le montrait pas. « Retour à Zevos par l’espace du saut puis droit à Mitan par l’hypernet. Si l’on se fie aux données syndics, nous pouvons encore la jouer fine et arriver là-bas la veille de l’expiration de l’ultimatum.

— Je ne crois pas que les Syndics s’en plaindront.

— Ils n’ont pas intérêt. »

Geary appela Carabali. « Général, je voudrais m’assurer que nous avons bien débarqué tous nos invités syndics récupérés par vos fusiliers sur leurs épaves.

— Tous ont été escortés vers des capsules de survie remises en état et larguées vers des sites sûrs, affirma Carabali. La base de données de la flotte rapporte qu’il restait un Syndic à bord de l’Indomptable, mais j’ai cru comprendre qu’il s’agissait d’un cas particulier.

— En effet, général. Nous ramenons chez lui le commandant en chef Boyens.

— Qu’en est-il de nos prisonniers de guerre dans ce système, amiral ? Eux aussi veulent certainement rentrer chez eux.

— Je ne veux pas les embarquer maintenant, expliqua Geary. Nos bâtiments seraient surpeuplés et, si nous devions combattre les extraterrestres, il serait stupide de leur faire courir les risques d’une bataille. Dès que nous en aurons fini avec eux à Mitan, nous repasserons par ici pour reprendre nos prisonniers de guerre aux Syndics et les ramener chez nous. Je me suis entretenu avec leurs plus hauts gradés pour leur expliquer ma démarche, et les nouveaux dirigeants syndics savent qu’ils ont tout intérêt à choyer nos gens avant notre retour. » Geary sourit. « Je leur ai personnellement promis qu’en cas de mauvais traitements ils recevraient individuellement la visite des fusiliers de l’Alliance. »

Carabali éclata de rire, pour la première fois depuis que Geary la connaissait.


Deux semaines et demie plus tard, la flotte de l’Alliance surgissait du portail de l’hypernet de Mitan ; jamais un de ses vaisseaux ne s’était aventuré aussi loin. Certes, ils disposaient de cartes de cette région de l’espace, mais aucun ne s’était attendu à croiser dans ces confins.

Les interminables files de transports de passagers équipés de modules de survie supplémentaires furent les toutes premières choses que repérèrent les senseurs de la flotte ; elles s’étiraient en longues paraboles depuis les planètes habitées jusqu’au portail de l’hypernet et aux points de saut menant à d’autres systèmes colonisés par l’homme. Mais tous les signes en provenance de ces planètes semblaient confirmer que la majeure partie de leur population y restait confinée, infoutue qu’elle était de les évacuer avant la date d’expiration de l’ultimatum extraterrestre.

On apercevait aussi des bâtiments de guerre syndics, mais ils n’étaient guère nombreux. Une petite flottille orbitait à cinq heures-lumière de la flotte. « Six croiseurs lourds, quatre croiseurs légers et quinze avisos, annonça Desjani. C’est sans doute tout ce qu’ils ont réussi à gratter dans cette région.

— Capitaine ? appela la vigie des opérations. Quelques-uns de ces vaisseaux montrent par certains signes qu’ils ne sont pas entièrement équipés. À croire qu’ils étaient encore en chantier quand on les a envoyés ici précipitamment, avant même qu’ils soient achevés.

— En ce cas, leur équipage ne vaudra sans doute pas un pet de lapin. Sous-entraîné et inexpérimenté. » Desjani lança à Geary un regard implorant. « Les dégommer serait un jeu d’enfant. »

Il arqua un sourcil. « Je croyais que vous préfériez les combats à la loyale ?

— Euh… oui. Peu importe, d’ailleurs. Nous ne pourrions jamais les rattraper, sauf s’ils nous chargeaient, et je doute qu’ils soient à ce point inexpérimentés.

— Ou suicidaires. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas venus pour ça. » À mesure que la lumière annonçant l’irruption de la flotte se répandrait dans le système stellaire, la panique gagnerait presque aussi vite les files de transports de passagers désarmés et leur cargaison humaine. Geary se composa une contenance puis tapa sur une touche de communication. « Population du système de Mitan, ici l’amiral Geary, commandant en chef de la flotte de l’Alliance. Un traité de paix vient d’être signé entre l’Alliance et les Mondes syndiqués. La guerre est finie. Nous ne sommes pas venus vous attaquer. Mais, à la requête des dirigeants actuels des Mondes syndiqués, pour riposter à toute tentative d’imposer une évacuation de ce système par la force. Je répète, nous sommes là pour repousser toute agression contre ce système. Nous n’entreprendrons aucune action offensive contre des vaisseaux, installations, possessions ou personnes humaines, sauf si l’on nous attaque, auquel cas nous n’agirons que par légitime défense. En l’honneur de nos ancêtres. »

Il mit fin à la transmission puis en activa une autre, un étroit faisceau dirigé sur le centre syndic de contrôle et de commande de la principale planète habitée, là où l’avaient situé les renseignements de Boyens. « Commandant en chef Iceni, ici l’amiral Geary, de la flotte de l’Alliance. Nous sommes ici à la demande de vos nouveaux dirigeants pour vous aider à repousser l’attaque de l’espèce Énigma. Veuillez nous faire parvenir sur-le-champ une réactualisation de la situation et toute information relative à cette espèce dont vous auriez des raisons de croire qu’elle ne nous serait pas déjà accessible. »

Il fit signe à Boyens et celui-ci entra dans le cadre de la transmission. « Vous me connaissez, Gwen. J’ai été capturé lors de la destruction de la flottille de réserve. Elle ne reviendra plus. Elle a été anéantie. Les Mondes syndiqués n’ont rigoureusement rien à vous envoyer, mais ce que vient de dire l’amiral Geary est la stricte vérité. La guerre est finie et l’Alliance a consenti à défendre ce système. L’amiral Geary est un homme d’honneur. On peut lui faire confiance. Travaillez avec lui la main dans la main, je vous prie. Il reste notre seul espoir de sauver ce système et les nombreux autres qu’il nous faudrait évacuer s’il tombait sous la coupe de l’espèce Énigma. »

Boyens recula d’un pas et Geary reprit la parole. « Nous vous prions d’ordonner à votre flottille et vos autres moyens de défense de n’entreprendre aucune action offensive contre nous et, encore une fois, de nous fournir toutes les informations susceptibles de nous aider à défendre ce système. En l’honneur de nos ancêtres. Geary. Terminé. »

Desjani fixait son écran en fronçant les sourcils. « Nous sommes là pour l’instant. Où allons-nous ?

— Je vous recommanderais de prendre cette direction, déclara Boyens en indiquant un secteur de l’hologramme. C’est le côté de l’étoile qui fait face au territoire des extraterrestres. S’ils viennent, ils arriveront de quelque part par là.

— Merci », répondit Geary. Il attendit que Boyens eût été de nouveau raccompagné dans sa cellule pour ordonner à la flotte d’adopter une trajectoire menant à la région suggérée par l’officier syndic.

Il leur fallut encore patienter, pendant que l’équipage des vaisseaux endommagés poursuivait les réparations et que la flotte dépassait en trombe les transports de passagers syndics bourrés de personnes déplacées qui, sans nul doute, regardaient passer la flotte de l’Alliance partagées entre espoir et crainte.

La réponse syndic leur parvint finalement aussi vite que le permettaient les délais de transmission. « Le commandant en chef Iceni est toujours là », fit observer Rione, de retour sur la passerelle ; elle avait de nouveau minuté son tour de garde alterné avec Costa et Sakaï de manière à être sur place en cas d’événement important. « On peut lui accorder ce mérite, au lieu de s’être trouvé une bonne raison de se faire évacuer la première. »

Desjani marmonna quelques paroles indistinctes. Quelque chose comme : « Pas de cet avis. »

Iceni semblait tout à la fois désorientée et stupéfaite. « Ici le plus haut responsable des Mondes syndiqués présent dans ce système stellaire. Nous n’étions pas informés de la signature d’un traité de paix, mais les documents que vous nous avez transmis et leur authentification semblent incontestables. Rien ne nous avait préparés à votre arrivée. C’est… sans précédent. Mais… nous vous sommes… reconnaissants de votre assistance. Nous n’espérions pas vaincre ni même survivre. Mon état-major est en train de réunir tous les renseignements qui pourraient vous être utiles. Et, avant tout, que les vaisseaux d’Énigma émergeront probablement au point de saut menant à l’étoile que nous connaissons sous le nom de Pelé. J’ai envoyé au commandant en chef de la flottille syndic présente dans ce système l’ordre de vous contacter directement et de n’entreprendre aucune action offensive contre votre flotte à moins que vous ne l’attaquiez. Tous les moyens de défense des Mondes syndiqués ont reçu l’ordre de ne pas engager le combat avec vos bâtiments.

» Je vous serais reconnaissante d’accorder au commandant en chef Boyens la permission de communiquer séparément avec moi.

— Tu peux courir ! » grommela Desjani. Puis son visage s’éclaira : « Nous pourrons surveiller tout ce qu’ils se diront.

— En effet, dit Geary. Pouvez-vous arranger cela, capitaine Desjani ? Veillez à ce que le lieutenant Iger soit bien dans le circuit, je vous prie. »

Il se passa encore près de trois heures avant qu’ils ne reçoivent enfin un message du commandant de la flottille. « Ici le commandant en chef de quatrième classe Kolani, commandant la flottille 734 des Mondes syndiqués. » La voix et l’attitude de Kolani étaient d’une raideur inusuelle, exempte toutefois de l’habituel sourire hypocrite et de l’authentique arrogance des officiers supérieurs syndics. Elle faisait relativement jeune pour son grade, mais il fallait dire que les commandants en chef syndics les plus expérimentés avaient déjà trouvé la mort en combattant l’Alliance. Son uniforme était pourtant taillé avec élégance et elle était coiffée à la perfection. Visiblement, une crise de cette envergure ne suffisait pas à exercer un effet négatif sur la tenue correcte des jeunes officiers syndics. « On m’a ordonné de vous contacter pour organiser la défense de ce système.

— Et elle n’apprécie pas du tout, fit allègrement remarquer Desjani.

— Je vous prie de… (Kolani donna quasiment l’impression de s’étouffer en articulant ce dernier mot) de me soumettre vos… suggestions concernant le redéploiement dans ce système des… (elle dut encore s’interrompre une seconde) forces mobiles des Mondes syndiqués et de l’Alliance. » Ses yeux flamboyèrent et sa posture se fit encore plus rigide. « Nous sommes prêts à mourir pour défendre notre peuple. Kolani. Terminé. »

La joie mauvaise de Desjani s’était muée en un sourire narquois. « Coriace, la gamine ! Ce serait sûrement amusant d’échanger des horions avec elle !

— Sans aucun doute, convint Geary.

— Comptez-vous leur demander de combattre à nos côtés ? »

Il se tourna vers elle. « Ça ne me semble pas une très bonne idée. Qu’en dites-vous ?

— Une idée atroce, affirma Desjani. Aller au feu avec des vaisseaux syndics à portée de tir ? Peu me chaut ce que dit le traité de paix ; et que nous soyons censés combattre ici la main dans la main. De nombreux vaisseaux de l’Alliance auraient encore de bonnes chances de cibler ces Syndics “ par inadvertance”. » Elle rumina un instant puis haussa les épaules. « De fait, dans le feu de l’action, ils pourraient bien les viser par la force de l’habitude, sans même chercher délibérément à frapper des gens avec qui nous sommes censés avoir fait la paix. Nous avons passé notre entière existence à voir en eux des ennemis et des cibles. Ça ne changera pas du jour au lendemain. »

Elle soutint un instant le regard de Geary et il déchiffra aisément le message qui se lisait dans ses yeux : Si l’Indomptable se trouvait à portée d’engagement d’un de ces vaisseaux syndics, je serais parfaitement capable de le faire dans le feu de l’action ; de le viser parce qu’ils ont toujours été l’ennemi. Pas exprès, sans doute, mais sans regrets ni remords non plus après coup.

Si bien que Geary opina de manière à bien lui faire comprendre qu’il avait parfaitement saisi tant ce qu’elle avait dit que ce qu’elle avait passé sous silence. « Merci pour votre franchise. Il est essentiel que je continue à entendre ce genre de discours. Hormis les craintes que vous venez de soulever, je ne crois pas qu’œuvrer à l’unisson avec les Syndics donnerait des résultats satisfaisants. Nous n’avons pas encore établi de procédure commune à cet effet, rien qui nous permettrait, ni aux Syndics ni à nous-mêmes, de certifier qu’un camp saurait suivre les ordres de l’autre.

— Autre inconvénient, en effet. Allez-vous l’exhorter à se tenir à l’écart… Très loin de nous ?

— Pas aussi directement. » Geary s’efforça de s’exprimer d’une voix égale et de conserver un visage neutre pour envoyer sa réponse au commandant de la flottille syndic. « Merci pour votre offre d’assistance, mais, compte tenu des rapports hostiles qu’entretenaient encore récemment nos deux peuples et de l’absence de procédures tactiques communes, il me semble que les risques de méprise ou de mauvaise interprétation seraient par trop élevés. Nous prions donc votre flottille d’adopter une position au tiers environ de la distance séparant la principale planète habitée de ce système du point d’émergence probable des extraterrestres. La flotte de l’Alliance, quant à elle, se placera en orbite aux deux tiers environ de la même distance. En l’honneur de nos ancêtres. Geary. Terminé. »

Desjani secoua la tête avec une ostensible incrédulité. « Je me demande comment vous faites pour leur parler.

— Comment j’arrive à former mes phrases, voulez-vous dire ? J’ai croisé des vaisseaux syndics durant ma carrière, voilà plus d’un siècle, quand nous étions encore en paix. J’ai dû apprendre à communiquer avec eux à l’époque.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. » Desjani serra les dents et ses yeux se perdirent dans de lointains souvenirs. « Je ne sais pas comment vous pouvez leur parler sans menacer ni exiger. J’en serais incapable. Je ne jurerais pas qu’un autre officier de la flotte le puisse. » Elle reporta sur lui un regard de nouveau approbateur. « Les vivantes étoiles en savent plus long que nous ne l’imaginons. Elles savaient que nous avions besoin de vous pour sauver cette flotte et gagner la guerre, et que nous aurions encore besoin de vous ensuite, de quelqu’un qui ne serait pas comme nous rongé par l’amertume et la colère pour avoir combattu ces salauds depuis notre naissance. De quelqu’un qui saurait reparler aux Syndics. »

De nouveau sa « mission sacrée ». Geary avait nourri l’espoir qu’une fois la guerre finie l’illusion selon laquelle les vivantes étoiles l’auraient fait revenir du passé se dissiperait vite. Mais Desjani s’était toujours cramponnée à cette fable et elle n’était pas la seule, loin de là, à voir dans le déroulement des événements la main de puissances supérieures. De sorte qu’il s’efforça de ne pas faire la grimace.

Elle n’en surprit pas moins sa réaction. « Pardonnez-moi. Je sais que ce sujet vous met mal à l’aise.

— Je ne suis qu’un homme, lui rappela-t-il.

— Rien qu’un homme ? » Elle sourit. « À vos ordres, amiral. » Geary savait d’expérience, depuis un bon moment, que lorsque Desjani répondait par un simple « À vos ordres ! » elle n’était pas réellement d’accord. Mais son sourire s’effaça aussi vite qu’il était venu. « Le hic, c’est qu’on a encore besoin de vous.

— Je ne suis certainement pas le seul à pouvoir faire cela, Tanya. D’autres devront apprendre, parce que je ne peux pas être partout à la fois et que je ne serai pas toujours là non plus.

— Je vous l’accorde. » Elle fit la grimace. « J’essaierai.

— Vous avez fait bien plus qu’essayer, capitaine Desjani, et je vous en suis reconnaissant. Bon, encore environ six heures et nous saurons ce que la flottille syndic compte faire. Nous aurons adopté notre position bien avant. Si ces extraterrestres se montrent, nous serons prêts à les recevoir.

— Et sinon ?

— Nous improviserons, capitaine Desjani. »

Elle sourit derechef. « Absolument. »

La flotte attendait déjà en orbite quand une réponse lui parvint de la flottille syndic. Son commandant en chef affichait la même expression constipée que lors de sa dernière transmission, et elle récitait sa réplique comme si elle l’avait apprise par cœur : « Les forces mobiles syndics de ce système stellaire répondent affirmativement à votre requête. Elles vont gagner une orbite d’où elles pourront si besoin réagir aux événements. Au nom du peuple syndic. Kolani, terminé. »

Le sénateur Sakaï se pencha dans son fauteuil, l’air intrigué. « Elle a choisi la formule de courtoisie officielle pour mettre fin à sa transmission. Les Syndics ont cessé de le faire depuis plus d’une génération. Je ne la connais que pour l’avoir entendue dans des archives enregistrées. Peut-être faut-il y voir le signe qu’ils sont disposés à nous parler de nouveau de manière rationnelle.

— Pas avant nous, affirma Desjani d’une voix inquiète mais résolue. Ils ne réapprendront pas à nous parler avant que nous n’ayons appris à leur reparler. »


Et ce ne fut plus qu’une question de patience. La flotte de l’Alliance avait assumé une orbite qui la maintenait relativement immobile par rapport au point de saut pour Pelé. Celle de la flottille syndic, plus proche d’environ une heure-lumière de la principale planète habitée, lui était parallèle. Les transports de passagers syndics continuaient de fuir avec leur cargaison de réfugiés, les planètes et astéroïdes de graviter autour de leur étoile comme ils le faisaient depuis des lustres, mais les vaisseaux, eux, attendaient. Les Syndics n’adressaient plus de messages à la flotte, et Geary remarqua que ses officiers feignaient délibérément d’ignorer leur présence, comme s’ils préféraient défendre un système stellaire désert plutôt qu’occupé par des gens en qui ils voyaient encore des ennemis.

À nouveau gagné par la fébrilité, Geary se livra à l’une de ses déambulations dans les coursives de l’Indomptable en échangeant quelques mots avec des officiers et matelots sur le qui-vive. Un de ses interlocuteurs, un premier maître, lui posa la question que devaient ruminer tous les spatiaux de la flotte : « Qui sont-ils, amiral ? Qui sont ces extraterrestres ?

— Nul n’en sait rien, répondit Geary. C’est pour une grande part la raison de notre présence ici, chef. Découvrir ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent.

— Le bruit court sur les ponts qu’ils guignent un bon nombre de systèmes syndics, amiral.

— Ça y ressemble, chef. Mais nous ignorons où s’arrêtera leur ambition, ni quand ils viendront cogner à la porte de l’Alliance. S’ils sont réellement hostiles, nous préférons les arrêter sur place avant qu’ils ne frappent nos propres planètes. »

Le premier maître et les spatiaux qui l’entouraient opinèrent du bonnet. Le raisonnement leur semblait logique. « Ils sont pour quelque chose dans ce qui est arrivé à Kalixa ?

— C’est ce que nous croyons. »

Tous firent la grimace. « Une véritable horreur ! affirma le premier maître, résumant l’opinion générale. On ne peut pas leur permettre de faire subir cela à un système de l’Alliance.

— En effet, opina Geary. Ni même de leur laisser croire qu’ils pourraient s’en tirer impunément.

— Un peu comme à Grendel, hein, amiral ? avança le premier maître. Sauf que, cette fois, ce ne sont plus les Syndics qui essaient de nous prendre par surprise. Nous pouvons être reconnaissants aux vivantes étoiles de vous avoir avec nous, ici comme là-bas, amiral.

— Merci. Et je leur suis reconnaissant, moi, de vous avoir tous à mes côtés aujourd’hui. » Geary ne savait jamais trop comment il devait réagir aux propos semblables à ceux que venait de tenir le premier maître, mais, pourvu qu’elle fût sincère, une réponse simple lui semblait toujours préférable, et les spatiaux parurent au demeurant tous s’en satisfaire lorsqu’il les quitta.

Mais il n’en réfléchit pas moins à ce qu’avait dit le premier maître en poursuivant son chemin. D’une certaine façon ça ressemblait bel et bien à Grendel. De fait, la taille de la flottille syndic était assez proche de celle qu’il y avait affrontée avec les officiers et spatiaux du Merlon, son croiseur lourd. Mais ici c’étaient les vaisseaux de l’Alliance qui avaient fait irruption sans prévenir dans un système syndic, et cela pour affirmer leurs intentions pacifiques, soit exactement le contraire de ce qui s’était produit à Grendel. Et, cette fois aussi, la supériorité numérique jouait en faveur des forces de l’Alliance ; celle-ci, en outre, avait été invitée à se rendre dans ce système stellaire et n’avait nullement l’intention de menacer ses propriétaires légitimes. Comme Grendel, oui, mais en même temps complètement différent.

Les gens d’aujourd’hui croyaient avec ferveur qu’il avait gagné à Grendel, bien que son Merlon y eût été détruit. Il se demanda ce qu’auraient pensé ceux de sa propre époque, un siècle plus tôt, de l’affrontement imminent et du prix que l’humanité devrait payer.

Geary finit par remonter sur la passerelle de l’Indomptable et fixer un écran sur lequel pratiquement rien n’avait changé, alors que l’ultimatum des extraterrestres avait expiré depuis des heures. Desjani, toujours assise dans son fauteuil de commandement, tendue telle une panthère s’apprêtant à bondir sur sa proie, semblait n’avoir pas bougé d’un pouce. La même tension vigilante habitait ses officiers de quart, écartelés entre la confiance qu’ils vouaient à leurs chefs et à leurs capacités personnelles et la peur de l’inconnu. Derrière Geary, la sénatrice Costa céda à contrecœur sa place dans le fauteuil de l’observateur à Rione, qui s’y installa sans mot dire, imperturbable en apparence.

Une heure encore s’écoula, pendant laquelle les pensées de Geary vagabondèrent, allant des batailles qu’il avait livrées aux hommes, femmes et bâtiments qui y avaient ou n’y avaient pas survécu ; ses décisions, ses responsabilités. Les paroles du colonel des fusiliers Carabali lui revinrent en mémoire. Je suis lasse de décider qui doit vivre ou mourir.

Et, brusquement, ils furent là, l’arrachant en sursaut à ses souvenirs. Désert un instant plus tôt, l’espace était maintenant rempli de vaisseaux.

De très nombreux vaisseaux.

Il sentit la tension grimper en flèche sur la passerelle et s’efforça de conserver au moins une apparence de sang-froid. « On dirait qu’ils ont la supériorité numérique.

— À environ deux contre un », confirma Desjani sur un ton tout aussi contrôlé. Il se demanda si, comme lui, elle simulait le calme. La sérénité de Desjani semblait toujours croître à mesure que se rapprochait l’imminence du combat. « Ils sont à peu près à deux heures-lumière et demie de nous et à une distance du point de saut qui paraît assez inhabituelle. Que disent les systèmes du vaisseau, lieutenant Kosti ? »

Visiblement tout content qu’on lui offrît l’occasion de se concentrer sur un autre sujet que le nombre des bâtiments extraterrestres, Kosti étudia ses écrans. « Ils ont émergé beaucoup plus loin du point que ne l’auraient fait nos vaisseaux. Les systèmes sont incapables de dire s’ils se servent d’un mode de propulsion totalement différent du nôtre pour exploiter le phénomène du saut ou bien du même avec des résultats différents. »

Desjani hocha la tête. « Merci. Ça signifie qu’ils pourraient aussi sauter à plus longue portée ?

— Oui, commandant. Voire beaucoup plus loin. Mais nous ne pouvons pas le certifier. »

Geary concentra de nouveau son attention sur les extraterrestres, dont l’armada était disposée en six sous-formations discoïdales, groupées trois par trois en deux V, dont une légèrement au-dessus des deux autres. Un des deux V surplombait l’autre et le dépassait d’une courte tête. « Je vois mal comment cette configuration leur permettrait de combattre. Ne pourrait-on pas obtenir une meilleure définition de chacun de leurs vaisseaux ? » Les senseurs affichaient au mieux des blocs flous.

« Non, amiral, répondit le lieutenant Kosti. C’est tout ce que nous captons. Nous pouvons tout juste affirmer qu’un bâtiment se trouve à un emplacement donné mais rien d’autre, pas même sa taille. Je n’ai aucune idée de la manière dont ils se débrouillent pour dissimuler aussi bien des objets de la dimension d’un vaisseau.

— Activez le canal de communication avec Boyens. Je veux qu’il voie ces images, mais sans rien entendre à moins qu’on ne s’adresse directement à lui.

— Je vous avais dit qu’ils disposaient d’époustouflantes capacités en matière de furtivité », triompha Boyens dès que sa présence virtuelle se manifesta et eut pris connaissance des données de l’hologramme. Normalement, elle n’aurait pas dû être autorisée sur la passerelle quand la bataille menaçait. « Cette image est la meilleure que nous ayons jamais obtenue des extraterrestres. Ils restent parfois totalement invisibles jusqu’au moment où ils se désoccultent.

— Avez-vous déjà vu un si grand nombre de vaisseaux ? lui demanda Geary.

— Non. Loin de là. » Le visage de l’officier syndic se plissait d’étonnement. « Pourquoi autant ? Ils ne pouvaient pas s’attendre à nous voir leur opposer des forces bien puissantes. Les Mondes syndiqués, je veux dire.

— Donnent-ils l’impression de toujours vouloir disposer d’un avantage écrasant sur nous ? s’enquit Rione.

— Difficile à dire. Les contacts se sont plutôt raréfiés au cours des dernières décennies et, autant que je le sache, nous ne les avons pas combattus depuis le début de cette même période.

— Nous allons voir ce qu’il en est aujourd’hui », déclara Geary. Bien que des politiciens de l’Alliance fussent présents sur l’Indomptable, il lui semblait qu’il devait s’adresser en personne aux extraterrestres. L’affaire prenait davantage la tournure d’un affrontement militaire que d’un règlement diplomatique. « Ici l’amiral Geary, commandant en chef de la flotte de l’Alliance. Je m’adresse aux spationefs inconnus qui viennent d’entrer dans ce système stellaire. Veuillez vous identifier et renoncer à vous enfoncer plus avant à l’intérieur de ce système. Nous ne désirons pas ouvrir les hostilités, mais la flotte de l’Alliance est prête à entreprendre toute action nécessaire pour repousser une agression contre Mitan. »

Rione fixait son écran, le visage blême. « Il va donc y avoir un combat. Une nouvelle guerre.

— Peut-être. Je vais m’efforcer de l’éviter.

— J’en suis persuadée, mais ils ont dû nous voir peu après leur émergence, n’empêche qu’ils continuent de progresser vers l’étoile. J’espérais que nous pourrions communiquer, mais, compte tenu de leur supériorité numérique, ils n’en éprouveront peut-être pas le besoin. » Sur les écrans, les vaisseaux extraterrestres viraient vers l’intérieur du système et se rapprochaient de la flotte.

« Ils ne recevront pas mon message avant deux heures et demie. Nous verrons bien comment ils y réagiront.

— Mais ils connaissent déjà notre présence et continuent pourtant d’avancer.

— Ouais. » Geary voyait mal ce qu’il aurait pu ajouter.

Rione se rapprocha de lui. « Pourrez-vous vaincre une armada de cette taille, amiral Geary ? s’enquit-elle en chuchotant quasiment.

— Je n’en sais rien. Nous ignorons trop de choses sur eux. »

Desjani prit la parole, d’une voix plus sonore que Rione : « Si quelqu’un peut les vaincre, c’est l’amiral Geary. »

Rione fixait toujours Geary. « Me voilà de nouveau d’accord avec elle. Désolée.

— Tâchez de ne pas en faire une habitude. C’est très déconcertant.

— M’est avis que vous n’avez pas à vous en inquiéter », répondit sèchement Rione. À quoi Desjani, le regard toujours rivé sur son écran, répondit d’un simple hochement de tête.

La réponse des extraterrestres leur parvint un peu plus de cinq heures plus tard, laissant entendre qu’ils avaient mis un certain temps à la concocter. Les trois sénateurs étaient présents, avides de se trouver sur la passerelle quand arriverait ce message historique. Mais, dans la mesure où ils se tenaient tranquilles, Geary s’abstint de les exhorter à quitter les lieux.

La transmission montrait une passerelle identique à celle d’un bâtiment syndic, occupée par des silhouettes d’aspect humain vêtues de tenues parfaitement quelconques. Boyens pointa l’index. « Vous voyez ? C’est complètement bidon. Les premières transmissions que nous leur avons adressées étaient en vidéo, bien entendu, mais ils ne nous ont d’abord répondu qu’en audio, quasiment par monosyllabes au début. Puis nous avons commencé à recevoir des images identiques à celles-ci. Nous avons procédé à l’analyse des passerelles qu’on nous montrait et reconnu les composants logiciels de celles de bâtiments syndics ayant communiqué avec eux. Pareil pour ces “humains”. Ce sont des objets composites numérisés, des images de synthèse copiées sur le personnel des Mondes syndiqués. »

Geary étudia la représentation de la passerelle syndic puis hocha la tête. « Tout cela est vétuste, n’est-ce pas ? Il me semble reconnaître dans cette fausse passerelle certains éléments des vaisseaux de guerre syndics du siècle dernier. Ils n’ont jamais réactualisé leurs images.

— Vous avez raison, dit Boyens. Nous nous sommes demandé s’ils les laissaient en l’état parce qu’ils se moquent éperdument de dévoiler leur jeu ou bien parce qu’ils ne se rendent pas compte que ces images datées les trahissent. »

« L’homme » assis dans le fauteuil de commandement sur la passerelle du vaisseau extraterrestre affichait le sourire mielleux, parfaitement imité, d’un commandant en chef syndic. « Sont-ils au moins conscients que ce sourire est visiblement frelaté ? se demanda Rione à voix basse.

— Que je sois pendu si je le sais ! répondit Boyens. Ils ont l’air plus doués pour singer les émotions humaines factices que les sentiments sincères.

— Vaisseaux de l’Alliance », commença l’avatar, dont l’expression s’altéra légèrement sans pour autant tout à fait s’accorder à son ton. Comme l’avait dit Boyens, le décalage était infime mais indubitablement sensible. « Votre flotte ne possède pas cette étoile et n’a rien à faire ici. Nous traiterons avec ceux qui occupaient ce système stellaire sans le posséder. Quittez cette étoile et vous aurez la paix. La destruction sera infligée à ceux qui resteront. Cette étoile nous revient de par un très ancien accord. »

Geary jeta un regard vers l’image de Boyens, qui secoua la tête. « Les Mondes syndiqués n’ont signé aucun traité avec eux.

— Peut-être veulent-ils dire qu’elle leur appartient de droit divin ou quelque chose d’approchant, avança Rione. Ou bien qu’ils ont revendiqué la possession de ce territoire voilà très longtemps, bien avant d’avoir les moyens de le contrôler. » Elle se tourna vers les deux autres sénateurs. « Ils prétendent ne pas souhaiter combattre mais assortissent leur “pacifisme” de menaces en cas de refus d’obéissance. »

Costa avait l’air furax. « Ils veulent la paix mais à condition que nous nous pliions à toutes leurs exigences.

— Tout à fait d’accord, déclara Sakaï. Mais il ne s’agit peut-être que d’une démonstration d’agressivité destinée à ouvrir la discussion.

— Peut-être. Les croyez-vous décontenancés par notre présence ? » demanda Geary.

Les trois sénateurs y réfléchirent puis Rione hocha la tête. « Peut-être pas décontenancés, mais ils ont l’air de ne vouloir traiter qu’avec les Syndics.

— À cause des virus plantés dans les systèmes des vaisseaux syndics, ils ont dû prendre l’habitude de pouvoir suivre les bâtiments humains à la trace. Peut-être sont-ils réellement surpris de nous voir et tentent-ils de nous contraindre à partir en bluffant. Continuons de parlementer et voyons déjà s’ils reculent quand nous refusons d’obtempérer. Ça ne mange pas de pain. » Geary réfléchit un instant puis tapa sur ses contrôles. « Ici l’amiral John Geary de la flotte de l’Alliance. La guerre entre l’Alliance et les Mondes syndiqués est finie. On nous a priés d’aider à endiguer une menace contre ce système stellaire. Vous n’avez jamais passé aucun accord vous le livrant. Nous récusons la légitimité de votre ultimatum. Nous ne cherchons pas à engager un conflit avec vous, mais nous repousserons les agressions contre ce système et tout autre système occupé par l’humanité, ou prenant place à l’intérieur des frontières de son territoire. Ordonnez à vos forces de se replier, afin que nous puissions discuter de l’envoi de parlementaires pour entamer des négociations et instaurer les conditions d’une coexistence pacifique. En l’honneur de nos ancêtres. Geary. Terminé.

— Aucune chance qu’ils se retirent, marmonna Desjani.

— Ouais. Mais je devais tenter le coup. »

L’armada extraterrestre continuant de progresser sur la même trajectoire à une vélocité de 0,1 c, la réponse leur parvint en moins de quatre heures. Mais, cette fois, elle prenait la forme d’une démonstration de leurs capacités.

Les formations extraterrestres piquèrent brusquement vers le haut puis latéralement avant de reprendre leur trajectoire originelle, tous leurs vaisseaux se déplaçant dans un parfait synchronisme. La célérité des manœuvres et décrochages était impressionnante sinon terrifiante. Geary fixait son écran en clignant des yeux. « Viennent-ils réellement de faire cela ?

— Oui, répondit Desjani, les yeux rivés sur son propre écran et les mâchoires à ce point crispées que Geary en voyait saillir les muscles.

— Commandant, souffla la vigie de l’ingénierie, les astronefs extraterrestres semblent dotés de systèmes de propulsion dont le rapport masse/poussée est bien plus élevé que le nôtre. Leurs compensateurs d’inertie doivent aussi être capables de performances d’une amplitude nettement supérieure aux nôtres. »

Les autres vigies fixaient leur écran dans la même posture que Desjani, en affichant la même expression interdite.

Cette dernière se détendit, prenant sur elle dans un effort de volonté que Geary ne trouva pas moins admirable que les capacités de manœuvre des vaisseaux extraterrestres, puis se tourna nonchalamment vers la vigie de l’armement. « Pouvons-nous les frapper ?

— Commandant ? » La vigie mit un moment à digérer la question puis consulta hâtivement ses systèmes. « Oui, commandant. Nos systèmes de visée peuvent se verrouiller sur des cibles manœuvrant comme viennent de le faire ces bâtiments.

— Et nos missiles spectres ?

— Pareillement, commandant. À condition de les tirer à l’intérieur d’une enveloppe correcte. » À mesure que la vigie répondait, elle donnait l’impression de recouvrer son sang-froid, tout comme, d’ailleurs, le reste du personnel de quart sur la passerelle.

« Ils ne peuvent donc pas distancer nos spectres ni nos lances de l’enfer ?

— Non, commandant, convint en souriant la vigie de l’armement.

— Alors ils peuvent bien danser autant que ça leur chante », conclut Desjani en décochant subrepticement un clin d’œil à Geary, tandis que les vigies retrouvaient leur sourire et se retournaient avec détermination vers leur écran.

Geary répondit à son clin d’œil par un regard rempli d’admiration et se pencha sur elle : « Vous êtes un sacré officier, capitaine Desjani. Encore bravo ! Voulez-vous diffuser cette information à toute la flotte ? »

Elle sourit. « Pas besoin. Mon officier s’en charge en ce moment même. Il arrive parfois aux réseaux parallèles de fonctionner à notre avantage. »

Conscient que tous les regards étaient braqués sur lui, Geary se rejeta en arrière en s’efforçant d’afficher la même désinvolture que Desjani. Il se demandait jusqu’à quel point les extraterrestres étaient capables de sonder les sentiments humains. Y verraient-ils sang-froid et assurance, arrogance et inconscience, ou bien strictement rien d’intelligible ?

« Nouveau message entrant, annonça l’officier des transmissions. Tous semblent provenir de leur sous-formation de tête inférieure. »

Le visage des avatars affichait cette fois une expression plus sévère et leur posture semblait s’être raidie. « Partez. Quittez cette étoile. Elle n’est pas à vous, amiral Geary. Nous ne traiterons qu’avec ceux des Mondes syndiqués. Votre flotte doit partir. Si vous combattez elle sera anéantie. Les négociations pourront reprendre quand notre propriété aura été abandonnée par les Mondes syndiqués.

— Amiral ? appela l’officier des transmissions. Autre message du commandant en chef syndic responsable de ce système. »

Iceni apparut à l’écran. Elle s’efforçait manifestement de donner l’impression de la sérénité. « Amiral Geary, l’espèce Énigma vient de nous informer qu’elle refuse d’avoir affaire à vous et exige la reddition immédiate de ce système stellaire. J’ai opté pour ne pas répondre. Étant donné la teneur de ses messages et le nombre de ses vaisseaux, il semble qu’elle soit décidée à combattre pour s’assurer le contrôle de ce système stellaire. J’ignore sous quelles conditions vous avez accepté de venir défendre Mitan mais, en affrontant l’espèce Énigma, vous avez satisfait à l’honneur. Nous n’exigerons pas de vous que vous livriez en notre nom un combat perdu d’avance. Si vous choisissiez de vous retirer maintenant, nul ne pourrait vous en blâmer. Nous vous prions simplement de faire tout ce que vous pourrez durant ce repli pour retenir l’attention des extraterrestres, afin que le plus grand nombre possible de nos vaisseaux d’évacuation puissent s’échapper. »

Desjani brisa le silence qui s’ensuivit : « Elle s’imagine que nous allons fuir ? » La fureur unanime régnant sur la passerelle semblait au moins l’égale de la sienne.

Mais Geary avait compris. « Les extraterrestres ont dû lui envoyer ce message en même temps qu’ils nous adressaient leur première transmission. Elle n’a aucune raison de penser que nous serions prêts à mourir pour défendre la population d’un système syndic, mais elle ne nous le reproche pas.

— Pour qui nous prend-elle ? demanda Desjani. Cette flotte ne bat pas en retraite. »

Elle l’avait pourtant fait, au moins sous le commandement de Geary : lors du premier traquenard syndic dans leur système mère et de nouveau par la suite. Mais Geary savait ce qu’elle voulait dire, et la conviction que l’attitude de tout le personnel de la flotte se conformerait à celle de Desjani lorsqu’il apprendrait que les Syndics leur avaient proposé de se replier honorablement ne pouvait que lui réchauffer le cœur. Sans doute la perspective de défendre des Syndics ne l’enthousiasmerait-elle pas, mais, s’il fallait choisir entre le combat et la fuite, il opterait pour le combat.

Rione fixa Desjani en fronçant les sourcils de surprise, s’absorba un instant dans ses réflexions puis s’adressa à voix basse aux autres sénateurs.

Geary décocha un sourire lugubre à son capitaine de pavillon. « Non. Nous n’allons pas fuir. » C’était insensé, assurément. La supériorité numérique d’Énigma était ridiculement écrasante, et, si les capacités de ses vaisseaux restaient inconnues, elles seraient probablement supérieures à celles des vaisseaux humains, ainsi que leurs manœuvres venaient d’en apporter la preuve. Mais ce serait vraisemblablement le cas partout ailleurs. Au contraire, ce rapport de forces risquait de devenir de plus en plus défavorable à mesure que les extraterrestres feraient main basse sur d’autres systèmes stellaires humains, de plus en plus nombreux, et qu’ils se renforceraient en même temps qu’ils affaibliraient l’humanité. Autant voir ici et maintenant si nous sommes capables de leur nuire suffisamment pour les arrêter. Mais comment savoir ce que signifie exactement ce « suffisamment » ?

Il rappela d’abord Iceni. « Nous avons pris bonne note de votre sollicitude pour le sort de notre personnel et nous vous en remercions, mais nous avons pris l’engagement de repousser l’agression contre ce système stellaire et nous ne nous y soustrairons pas. Nous combattrons si nécessaire et nous comptons bien l’emporter. J’ai l’expérience de situations similaires, apparemment désespérées, et je peux vous certifier qu’elles ne le sont pas toujours autant qu’elles le laissent croire. Je répète : la flotte de l’Alliance combattra ici s’il le faut. En l’honneur de nos ancêtres. Geary, terminé. » Aux extraterrestres, maintenant. « La flotte de l’Alliance ne quittera ce système que lorsque vos vaisseaux s’en seront retirés. Soit vous traitez avec nous, soit vous nous combattez. Nous ne vous céderons pas ce système stellaire. Vos vaisseaux ne seront pas autorisés à passer outre. Nous préférerions parlementer mais nous nous battrons si besoin. » Geary s’interrompit puis enfonça de nouveau quelques touches. « À toutes les unités de l’Alliance, nos transmissions aux vaisseaux de l’espèce extraterrestre n’ont encore produit aucun résultat. Préparez-vous au combat. Quels qu’ils soient, ces êtres regretteront d’avoir eu maille à partir avec notre flotte. »

Les sénateurs discutaient toujours, à mi-voix mais l’air visiblement très excités, et jetaient de temps en temps vers Desjani et les officiers de la passerelle des regards agacés. « Ne voudriez-vous pas poursuivre ailleurs votre discussion ? leur demanda Geary.

— Peu importe, répondit Rione en fixant aigrement ses deux interlocuteurs. Nous n’avons pas plus que vous de réponse à cette situation.

— Devons-nous absolument les combattre ? demanda Sakaï.

— Sénateur, compte tenu du rapport de forces, je n’ai aucune envie de combattre ces êtres. Mais je vois mal ce que je pourrais faire d’autre s’ils continuaient d’avancer. Il faut leur démontrer que l’humanité est prête à se battre pour interdire d’autres atrocités comme celle de Kalixa.

— L’anéantissement de votre flotte ne fera pas progresser les intérêts de l’Alliance », répondit Sakaï. Costa hocha énergiquement la tête pour exprimer son approbation. « Cette espèce Énigma ne semble pas se laisser pas facilement intimider. »

Geary cherchait encore la réponse adéquate quand Desjani plissa pensivement le front : « La flottille de réserve. »

Il la dévisagea en s’efforçant de comprendre ce qu’elle voulait dire, puis ça le frappa : « Les extraterrestres n’ont pas tenté d’attaquer ce système ni de le revendiquer quand la flottille de réserve syndic défendait encore la région. La zone frontalière est restée stable pendant des décennies.

— Et cette flottille était beaucoup moins forte que la flotte », renchérit Desjani.

Costa et Sakaï la regardaient fixement, mais Rione hocha la tête. « On peut donc les intimider, à ce qu’il semble. Mais pourquoi, s’ils disposaient d’autant de vaisseaux pour l’attaquer ? »

Des alarmes retentirent brusquement et Geary releva la tête, cette fois pour scruter son écran où d’autres vaisseaux extraterrestres venaient subitement d’apparaître, non pas près du point de saut mais à côté de l’armada : trois autres sous-formations en V au-dessus des deux premières et légèrement en avant.

D’une seconde à l’autre, le rapport de forces était passé de deux à trois contre un en faveur d’Énigma.

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