16. FŒTUS IGOR. MOINS 2 MOIS

Donc j'existe.

Je ne discerne pas grand-chose. Rien qu'un environnement rouge orangé. Et je perçois des bruits. Des battements de cœur. Le transit intestinal. La voix de maman. Elle dit des choses que je ne comprends pas.

— Je-ne-veux-pas-garder-ce-bébé.

Du charabia.

Je ressasse les syllabes jusqu'à retrouver une connaissance ancienne qui me permette de les interpréter.

Voix d'homme. Ce doit être papa.

— Tu n'es qu'une sotte. Tu lui as déjà donné un nom, Igor. À partir du moment où l'on désigne les choses, elles commencent à exister.

— Au début, je le voulais, mais maintenant je n'en veux plus de cet enfant.

— Il est trop tard, je te dis. Tu n'avais qu'à réfléchir avant. À présent, plus aucun médecin n'acceptera d'interrompre ta grossesse.

— Il n'est jamais trop tard. Nous n'avons pas les moyens d'entretenir un gosse, autant nous en débarrasser tout de suite.

Ricanements.

— Tu n'es qu'une ordure! crie maman.

— Je t'assure que tu finiras par l'aimer, insiste papa.

Sanglots de femme.

— J'ai l'impression d'avoir dans mon corps une tumeur qui grandit et qui me ronge. Ça me dégoûte.

Raclements de gorge.

— Oh, et puis fais ce que tu veux! s'exclame papa. De toute façon, moi j'en ai assez de tes gémissements perpétuels. Je m'en vais. Je te quitte. Débrouille-toi.

Porte qui claque. Maman pleure, puis hurle.

Un temps. Et puis soudain je reçois une volée de coups de poing! Papa est parti. C'est donc maman qui se frappe ainsi toute seule le ventre.

À l'aide!

Elle ne m'aura pas. Je tente de me venger d'une série de petits coups de pied dérisoires. C'est facile de s'attaquer à plus petit que soi, surtout quand l'autre est coincé et ne peut fuir.

Загрузка...