62. VENUS. 8 ANS

J'ai des crises de somnambulisme. Je me lève la nuit et je me promène sur le toit. Je déteste lorsque mon corps m'échappe. C'est comme si l'Autre, le prisonnier en moi, était pris d'une envie de bouger.

Au réveil, la migraine me tourmente. L'Autre n'a peut-être pas suffisamment marché à son gré et il continue à me ronger de l'intérieur…

Après mes premières apparitions comme mannequin, les propositions se sont multipliées. On me réclame de plus en plus. Maman s'occupe des formalités avec les agences et traite en mon nom.

J'ai huit ans et je gagne ma vie. Normalement, nous devrions tous être au comble du bonheur, et pourtant papa et maman n'arrêtent pas de se disputer. Ils parlent de «l'oseille de la petite». Ils font sans doute allusion à moi, encore un de ces mots d'adultes que je ne comprends pas. Maman dit que c'est elle qui négocie et qu'il est donc normal qu'elle ait droit à son pourcentage en tant qu'agent. Papa rétorque que «cette enfant, nous l'avons faite à deux, non?», et il ajoute: «En plus, elle ressemble davantage à ma mère qu'à toi.»

J'aime bien que mes parents revendiquent chacun ma beauté comme leur apport personnel. Mais maman crie de plus en plus fort. Elle annonce qu'elle a engagé un détective privé pour qu'il suive papa et elle lui lance à la figure des photos de lui, «nu avec sa poule».

Papa a dit à maman:

— De toute façon, tu vieillis, ma pauvre, il faut bien que je songe à te remplacer.

Maman a dit à papa qu'il ne sait pas faire l'amour. C'est faux. J'adore quand papa me couvre de bisous et m'assure qu'il m'aime. Papa a dit à maman qu'il n'existe pas d'hommes impuissants, il n'y a que des femmes maladroites.

Maman lui a envoyé une gifle.

Papa la lui a rendue.

Maman a dit que, si c'est comme ça, elle retourne chez sa mère. Elle s'est emparée d'une statuette et l'a lancée dans sa direction. Alors ils ont prononcé leur phrase rituelle: «Pas devant la petite.» Ils sont allés dans leur chambre, ils ont hurlé de plus belle, puis il y a eu un silence et maman a gémi des «oui», des «non» et des «oh, oh, oh», et puis encore des «oui, oui» et des «non, non» comme si elle était incapable de se décider.

Personne n'est venu m'embrasser dans mon lit ou me raconter une histoire pour m'endormir. J'ai pleuré toute seule dans ma chambre et puis j'ai fait une prière. Je veux que mes parents se disputent moins et s'occupent plus de moi.

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