THEON

Il épongea le crachat sur sa joue d’un revers de main. « obb t’étripera, Greyjoy ! vociféra Benfred Tallhart. Il fera bouffer par son loup ton cœur de renégat, bout de crotte de bique ! »

Du torrent d’insultes fusa, dure et tranchante comme une épée, la voix d’Aeron Tifs-trempes : « Tue-le.

— J’ai des questions à lui poser, d’abord, dit Theon.

— Peux te les foutre, tes questions ! » Sanglant, dénué de tout, Benfred pendouillait comme une loque entre Stygg et Werlag. « ’étoufferont, que t’auras rien tiré de moi, charogne ! renégat ! poltron ! »

Oncle Aeron n’était pas moins accommodant. « Quand il crache sur toi, c’est sur nous tous qu’il crache. Il crache sur le dieu Noyé. Qu’il meure !

— Ici, c’est à moi que Père a confié le commandement, Oncle.

— Avec moi pour te conseiller. »

Et me surveiller. Avec son oncle, il n’osait pousser trop avant les discussions. A lui le commandement, oui, mais la défiance des hommes à son égard n’avait d’égales que leur foi dans le dieu Noyé et la trouille que leur inspirait Tifs-trempes. Une trouille que je serais mal venu à leur reprocher…

« Te coûtera la tête, Greyjoy ! La gelée de tes yeux gavera les corbeaux. » Benfred voulut cracher, une fois de plus, mais il n’émit qu’une bulle sanguinolente. « Les Autres enculent votre dieu cramouille ! »

Viens là de cracher ton arrêt de mort, Tallhart…, songea Theon. « loue-lui le bec, Stygg », dit-il.

Une fois qu’ils eurent forcé Benfred à s’agenouiller, que, lui arrachant sa ceinture en peau de lapin, Werlag la lui eut fourrée entre les dents pour le faire taire, Stygg apprêta sa hache.

« Non, intervint Aeron. Il faut le donner au dieu. Selon l’Antique Voie. »

A quoi bon ? Un mort est un mort. « Emmenez-le donc.

— Tu viens aussi. Ici, c’est toi qui commandes. L’offrande doit émaner de toi. »

Là, c’était plus que n’en pouvait digérer Theon. « C’est vous le prêtre, Oncle, je vous abandonne le soin du dieu. A titre de revanche gracieuse, abandonnez-moi le soin des batailles. » Il balaya l’air d’un geste, et les sbires entraînèrent le captif vers la mer. Non sans un regard réprobateur à son neveu, Tifs-trempes finit par les suivre. Ç’allait descendre jusqu’à la grève de galets puis, plouf, noierait Benfred Tallhart dans l’eau salée. L’Antique Voie.

Une espèce de faveur, peut-être, se dit Theon en partant dans la direction opposée. Stygg avait des talents de bourreau rien moins qu’exceptionnels, et Benfred la nuque épaisse, grasse et musculeuse d’un sanglier. Je l’en taquinais sans arrêt, juste pour voir jusqu’où je pouvais le faire enrager, se souvint-il. Cela faisait quoi, trois ans ? Emmené par Ned Stark en visite chez ser Helman, il avait passé une quinzaine en compagnie de Benfred, à Quart-Torrhen.

Du crochet que faisait la route et où s’était déroulée la bataille…, si tant est que l’on pût employer ce terme – un carnage de moutons, plutôt –, lui parvenait l’affreux boucan de la victoire. De moutons, certes, à toison d’acier, mais de moutons, n’empêche.

Escaladant quelques rochers, Theon promena son regard sur les hommes morts et les montures agonisantes. Elles auraient mérité mieux. Tandis que Tymor et ses frères regroupaient les chevaux intacts, Urzen et Lorren le Noir achevaient ceux que leurs blessures ne permettaient pas de sauver. Les autres Fer-nés dépouillaient les cadavres. A deux genoux sur le torse d’une victime, Gewin Harloi lui sciait le doigt pour s’en approprier l’anneau. Le seigneur mon père approuverait. Il envisagea de partir en quête des deux adversaires qu’il avait personnellement abattus – peut-être portaient-ils un bijou de valeur ? –, mais l’idée lui emplit la bouche d’amertume. Il imaginait trop ce qu’en aurait dit Eddard Stark. Mais y penser le mit en colère. Crouni, le Stark, en train de pourrir, et il ne m’était rien ! se martela-t-il.

Carré sur son séant, le vieux Botley, dit Barbilles, jouait les cerbères auprès de la pile hétéroclite que ses trois fils continuaient d’enrichir. L’un de ceux-ci frôlait l’empoignade avec un certain Todric, un gros qui, vêtu d’une pelisse de renard blanc point trop éclaboussée par le sang de son propriétaire antérieur, titubait parmi les cadavres en brandissant d’une main une corne à bière, de l’autre une hache. Saoul, conclut Theon, l’œil à ses beuglements. On disait que les Fer-nés, jadis, s’enivraient volontiers de sang durant les batailles et y puisaient une telle fureur qu’ils en devenaient insensibles à la crainte comme à la douleur, mais là, non, le type s’était trivialement enivré de bière.

« Wex ? mon carquois, mon arc. » L’écuyer galopa les lui chercher. Theon ploya l’arc, glissa la corde dans les encoches. Cependant, Todric flanquait par terre d’un coup de poing le jeune Botley et lui lançait sa bière dans les yeux. Barbilles bondit en jurant, mais Theon fut plus prompt. Il visa la main qui tenait la corne, dans le but d’épater son monde par un joli coup, mais Todric gâcha tout par un saut de côté juste au moment où lui-même décochait, si bien que la flèche lui creva la panse.

Les pillards s’immobilisèrent, bouche bée. Theon abaissa son arc. « Pas d’ivrognes, j’ai dit, pas de bagarres pour le butin. » Recroquevillé sur ses genoux, Todric râlait horriblement. « Fais-le taire, Botley. » Il n’en fallut pas davantage à Barbilles et ses fils. L’espace à peine d’un soubresaut, et Todric se voyait trancher la gorge et, tout palpitant, délester de sa pelisse, de ses armes, de ses anneaux.

A présent, ils savent que je ne parle pas en l’air. Il avait beau tenir son autorité de lord Balon en personne, certains des hommes ne l’en considéraient pas moins comme un freluquet amolli par les pays verts. « Pas d’autre soiffard ? » Nul ne moufta. « Bon. » Il décocha un coup de pied à la bannière de Benfred qui, toujours coincée dans le poing de son porteur, traînait à terre. En dessous de la flamme était nouée une peau de lapin. Pourquoi ces peaux de lapin ? L’une des questions qu’il s’était promis de poser, mais toutes avaient sombré sous le crachat. Il jeta son arc à Wex et s’éloigna, pensif, à longues enjambées. Pourquoi n’éprouvait-il rien de l’exaltation ressentie après le Bois-aux-Murmures ? Oh, Tallhart, Tallhart, bougre d’imbécile archi-vaniteux, tu n’avais même pas envoyé d’éclaireurs…

C’est la bouche fleurie de blagues et même de chansons que sous la bannière aux trois arbres ils étaient survenus, leurs lances ornées de ces grotesques peaux de lapin. La nuée de flèches décochée sur eux par les archers planqués dans les ajoncs n’avait pas tardé à le leur couper, le sifflet…, et lui-même, à la tête de ses hommes d’armes, plus eu qu’à parachever le carnage – au poignard, à la hache, à la masse de guerre – non sans ordonner d’épargner le chef – pour interrogatoire.

Lequel s’était trouvé être, contre toute attente, Benfred Tallhart.

Dont on retirait justement des brisants le cadavre flasque au moment où Theon remontait à bord de sa Chienne de mer. Alignés côte à côte le long de la grève, les boutres dressaient leur mâture contre le ciel. Du village de pêcheurs ne subsistaient que des cendres froides et leur puanteur sous la pluie. Tous les hommes, hormis une poignée que Theon avait laissés filer sur Quart-Torrhen pour y répandre la nouvelle, avaient été passés au fil de l’épée ; celles de leurs épouses et de leurs filles qui ne manquaient ni de jeunesse ni de charmes revendiquées pour femmes-sel ; les vieilles et les moches tout bonnement violées puis tuées – ou prises comme esclaves si, joint à quelque talent pratique, leur caractère offrait toute garantie de docilité.

Egalement conçue, tout comme l’accostage au plus froid de la nuit, par Theon et conduite en tapinois, hache au poing, par lui, l’attaque, furtive en diable, avait évidemment surpris les villageois en plein sommeil. Rien là cependant qui fut de son goût, mais avait-il le choix des procédés ?

En cet instant même, sa trois fois maudite de sœur devait, à bord de son maudit Vent noir, cingler vers le nord, trop assurée de s’y offrir le château de ses rêves… ! et, grâce à l’ignorance totale où se trouvait le continent de l’appareillage en douce des flottes fer-nées, le sale boulot de diversion qu’il se tapait, lui, du côté des Roches, au profit de la garce, nul n’y verrait effectivement que du feu : raids anodins de pillards vulgaires…, avant de découvrir la gravité de la situation, quand Moat Cailin et Motte-la-Forêt seraient à leur tour pilonnés. Et, lorsqu’une cinglante victoire aura couronné le tout, c’est cette salope d’Asha que célébreront les chansons, sans seulement se souvenir que j’étais ici, moi… ! S’il se laissait faire.

Dagmer Gueule-en-deux se dressait sur la proue sculptée de L’Ecumeur, son boutre personnel ; de peur de lui voir attribuer son propre triomphe, Theon lui avait assigné la tâche subalterne de garder les bateaux ; le dernier des fats s’en fut offensé, lui s’était doucement contenté de rigoler.

« Jour faste, lança-t-il de son perchoir, et tu ne souris pas, mon gars ? Faudrait sourire, quand on est vivant, les morts en sont bien empêchés. » Il s’épanouit lui-même, comme à fin de démonstration, résultat hideux. Sous sa crinière d’un blanc de neige, il offrait en effet la cicatrice la plus dégueulasse qu’eût jamais contemplée Theon. Il devait au coup de hache qui l’avait, gamin, mis à deux doigts de la mort en lui fendant la mâchoire et fracassant les dents de devant de posséder non pas deux, comme un chacun, mais quatre lèvres. Et si une barbe hirsute lui couvrait les joues et le col, jamais le poil n’avait consenti à pousser sur les bourrelets de bidoche qui, boursouflés, luisants, froncés, lui fendaient la pêche comme une crevasse en plein névé. « On les entendait chanter, reprit-il. Une jolie chanson, et ils la chantaient bravement.

— Ils chantaient mieux qu’ils ne se battaient. Des harpes ne les auraient pas moins mal défendus que leurs lances.

— Quelles pertes ?

— De notre côté ? » Il haussa les épaules. « Todric. Moi qui l’ai descendu, pour s’être saoulé puis bagarré quant au butin.

— Des types, comme ça, qui naissent pour être tués. » Le dernier des ploucs aurait rechigné à vous terrifier d’un pareil sourire, mais lui vous le tartinait plus large et plus généreux que personne – à commencer par lord Balon.

Si abominable fût-il, ce sourire suffisait à ressusciter des centaines de souvenirs. Que de fois Theon l’avait vu fleurir quand, môme, il sautait à cheval un muret moussu, lançait la hache et mettait carrément au but ! Vu fleurir quand il parvenait à parer une botte de Dagmer, à percer d’une flèche l’aile d’une mouette, ou encore quand, s’emparant de la barre, il guidait fermement un boutre au travers des meutes d’écueils enragés. Il m’a donné plus de sourires qu’Eddard Stark et Père réunis. Et Robb lui-même…, tiens, il ne pouvait pas, au lieu de l’engueuler comme un marmiton qui a laissé cramer son ragoût, le récompenser d’un sourire, le jour où il avait sauvé Bran des sauvageons ?

« Il faut que nous causions, vous et moi, Oncle. » Il l’avait toujours appelé ainsi, bien que Dagmer fût un simple vassal – avec, à la rigueur, quelques gouttes de sang Greyjoy, mais de la main gauche, et délayées par quatre ou cinq générations.

« Viens à mon bord, alors. » Les m’sire n’étaient pas son genre, surtout s’il se trouvait sur son propre bateau. Chaque capitaine fer-né se considérait d’ailleurs comme un roi dès lors qu’il foulait son pont personnel.

Il gravit en quatre enjambées la passerelle de L’Ecumeur et, se laissant entraîner vers la poupe, entra dans la cabine exiguë du vieillard. Après s’être servi de cervoise, celui-ci lui en proposa une corne, mais il refusa. « Nous n’avons pas assez capturé de chevaux. Enfin…, je ferai avec le peu que j’ai. Moins d’hommes, plus de gloire, n’est-ce pas ?

— Qu’avons-nous à faire de chevaux ? » A l’instar de la plupart des insulaires, il préférait se battre à pied, sur le plancher des vaches comme sur son pont. « Ça ne sert qu’à te conchier les navires et t’y encombrer.

— En mer, oui, concéda Theon. J’ai un autre plan. » Il le tenait à l’œil, guettant sa réaction. Sans l’appui de Dagmer, il courait à l’échec. Chef ou pas, les hommes refuseraient de le suivre si ses deux mentors s’opposaient à lui. Et il ne se flattait pas de jamais convaincre ce lugubre éteignoir d’Aeron.

« Messire ton père nous a ordonné de saccager la côte, et c’est tout. » Sous la broussaille des sourcils blancs le scrutaient les yeux pâles comme de l’écume.

Qu’y déchiffrer, le blâme ou l’intérêt ? Une once d’intérêt, crut-il…, tant il l’espérait… « Tu es l’homme de mon père.

— Son meilleur homme, et depuis toujours. »

Orgueil , songea Theon. Il est orgueilleux. A moi d’utiliser la clef de son orgueil. « Aucun Fer-né ne t’arrive à la cheville pour le maniement de la pique ou de l’épée.

— Tu as été trop longtemps absent, mon gars. Tes éloges, je les méritais à l’époque où tu es parti, mais je me suis fait vieux, depuis, au service de lord Greyjoy. Maintenant, c’est à Andrik que les chanteurs décernent la palme. Andrik l’Insouriant, qu’ils l’appellent. Un colosse. Il est au service de lord Timbal de Vieux-Wyk. Et presque aussi redoutables sont Lorren le Noir et Qarl Pucelle.

— Cet Andrik peut bien être un combattant d’élite, on le craint moins que toi.

— Mouais, c’est vrai, ça. » Ses doigts reployés autour de la corne à boire étaient surchargés de bagues d’or, d’argent, de bronze où chatoyaient saphirs, grenats, verredragon – chacune évidemment payée au fer-prix.

« Eh bien, moi, si j’avais un type de ta trempe à mon service, je ne le bousillerais pas à ces amusettes puériles de piratage et d’incendie. Elles sont indignes du meilleur homme de lord Balon… »

Le hideux sourire s’élargit, tordit les lèvres et les crevassa sur un chaos de chicots brunâtres. « Et de son fils légitime, hein ? hou hou… ! Je te connais trop bien, Theon. J’ai assisté à tes premiers pas, ton premier arc, c’est avec moi que tu l’as bandé. Qui se sent bousillé, dis, moi ?

— Ma sœur a eu ce qui me revenait, confessa-t-il d’un ton geignard qui acheva de le consterner.

— Tu le prends trop mal, mon gars. C’est pourtant tout simple, messire ton père ne te connaît pas. Entre la mort de tes frères et ta captivité chez les loups, il n’a eu que sa fille pour se consoler. Il a pris l’habitude de se reposer sur elle et jamais n’a eu sujet de s’en plaindre.

— Ni de moi. Les Stark reconnaissaient ma valeur. Je faisais partie des éclaireurs sélectionnés par Brynden Silure et, au Bois-aux-Murmures, j’ai chargé avec la première vague. Même, il s’en est fallu de ça (ses mains marquèrent un intervalle de deux pieds) que je ne croise le fer avec le Régicide en personne… ! Et Daryn Corbois est mort de s’être jeté entre nous.

— Pourquoi me dire cela ? C’est moi qui t’ai mis au poing ta première épée. Je sais que tu n’es pas un lâche.

— Père le sait-il, lui ? »

Une grimace bizarre lui répondit. On aurait dit que le vieux guerrier venait de mordre dans quelque chose de répugnant. « Le seul ennui, Theon, c’est que… le Jeune Loup est ton ami, et ces Stark t’ont gardé dix ans.

— Je ne suis pas un Stark. » Lord Eddard y a bien paré. « Je suis un Greyjoy. Et j’entends être l’héritier de mon père, mais comment y parviendrai-je si je ne fais mes preuves en m’illustrant par de grands exploits ?

— Tu es jeune. Il surviendra d’autres guerres, et, tes grands exploits, tu les accompliras. Pour l’heure, notre consigne est de dévaster les Roches.

— Qu’Oncle Aeron s’en charge. Je lui donnerai tous les boutres, sauf L’Ecumeur et La Chienne de mer, et il pourra repaître son dieu de noyades et se régaler d’incendies.

— C’est à toi et non pas à Tifs-trempes qu’a été confié le commandement.

— Quelle importance, pourvu qu’ait lieu la dévastation désirée ? Aucun prêtre ne pourrait réaliser ce que je projette ni ce que je réclame de toi. Seul Dagmer Gueule-en-deux est à la hauteur de cette tâche-là. »

Le vieux s’offrit une longue lampée de bière. « A savoir ? »

Il est tenté, se dit Theon. Il n’aime pas plus que moi ce boulot de brigand. « Si ma sœur peut prendre un château, moi aussi.

— Elle a quatre ou cinq fois plus d’hommes que nous. »

Theon s’accorda le plaisir d’un sourire espiègle. « Mais nous avons quatre fois plus d’esprit et cinq fois plus de courage.

— Ton père…

— … me remerciera quand je lui présenterai son royaume sur un plateau. Je veux accomplir un exploit que les chanteurs chanteront mille ans. »

De quoi rendre Dagmer attentif, il le savait. La chanson composée sur le coup de hache qui lui avait fendu la gueule en deux, le vieux adorait l’entendre. Et il ne manquait jamais, lorsqu’il s’adonnait à la boisson, de réclamer telle rhapsodie fracassante où pillage, rage, orage et sauvage rimaient les prouesses de héros mythiques. Malgré ses cheveux blancs et ses dents gâtées, la passion de la gloire le possède encore.

« Et quel serait mon rôle dans tes projets, mon gars ? » demanda Dagmer après un long silence.

Partie gagnée. « D’imprimer la terreur au cœur de l’adversaire comme seul peut l’y imprimer un nom fameux comme le tien. Tu prendras la majorité de nos forces et marcheras sur Quart-Torrhen. Helman Tallhart a emmené ses meilleurs hommes dans le sud, et leurs fils viennent de périr ici avec Benfred. Son frère, Leobald, n’aura qu’une modeste garnison. » Que n’ai-je été capable d’interroger Benfred, j’en connaîtrais exactement la modestie. « Ne fais nul mystère de ton approche. Chante autant de braves chansons qu’il te plaira. Je veux les voir fermer leurs portes.

— Ce Quart-Torrhen est une place forte ?

— Assez forte. Murs de pierre, trente pieds de haut, quatre tours d’angle carrées, donjon carré au centre de l’enceinte.

— Des murs de pierre, on n’y peut mettre le feu. Comment nous en emparer ? En si petit nombre, nous ne prendrions pas même un petit château…

— Tu dresseras le camp sous leur nez et entreprendras de construire des catapultes et des engins de siège.

— C’est contraire à l’Antique Voie, l’aurais-tu oublié ? Les Fer-nés combattent avec des haches et des épées, pas en lançant des pierres. Et il n’y a pas de gloire à affamer un adversaire.

— Leobald ne le saura pas. Te voir dresser des tours de siège glacera son sang de vieillard, et il bêlera à l’aide. Retiens tes archers, Oncle, et laisse filer son corbeau. Le gouverneur de Winterfell est un brave, mais l’âge lui ankylose la jugeote comme les membres. En apprenant qu’un des bannerets de son roi subit les assauts du redoutable Dagmer Gueule-en-deux, le temps de rassembler ses forces, et il volera au secours de Tallhart. Son devoir l’y oblige, et ser Rodrik n’est rien qu’un homme de devoir.

— Mais, si minces soient-elles, ses forces seront toujours supérieures aux miennes, objecta Dagmer, et ces vieux chevaliers sont plus astucieux que tu n’imagines, ou ils n’auraient pas assez vécu pour voir leur premier cheveu gris. Tu nous apprêtes une bataille que nous n’avons aucune chance de gagner, Theon. Ton Quart-Torrhen ne tombera jamais. »

Theon sourit. « Ce n’est pas Quart-Torrhen que je compte prendre. »

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