IV


GQG

Maigret ne broncha pas une seule fois, n’esquissa pas le moindre geste de protestation, ni d’impatience.

Le visage grave, les traits tirés, il écouta jusqu’au bout, avec déférence et humilité. Peut-être seulement arriva-t-il à sa pomme d’Adam de tressaillir soudain, aux instants où M. Coméliau se montrait le plus dur, le plus véhément.

Mince, nerveux, crispé, le juge d’instruction allait et venait dans son cabinet, parlait si haut que les prévenus qui attendaient dans le couloir devaient entendre des bribes de phrases.

Parfois il saisissait un objet, qu’il maniait quelques instants et qu’il replaçait d’un geste violent sur le bureau.

Le greffier, gêné, regardait ailleurs. Et Maigret, debout, attendait, dominant le juge de toute la tête.

Ce dernier, après un dernier reproche, guetta le visage de son interlocuteur, détourna la tête parce que, quand même, Maigret était un homme de quarante-cinq ans qui, pendant vingt ans, s’était occupé des affaires policières les plus diverses et les plus délicates.

C’était surtout un homme !

— Mais enfin, vous ne dites rien ?

— J’ai annoncé tout à l’heure à mes chefs qu’ils recevront ma démission dans dix jours, si je n’ai pas réussi à leur livrer le coupable…

— Autrement dit à remettre la main sur Joseph Heurtin…

— A leur livrer le coupable, répéta Maigret très simplement.

Et le juge bondit comme un diable.

— Alors, vous croyez encore ?…

Maigret ne dit rien. Et M. Coméliau, faisant claquer ses doigts, prononça avec précipitation :

— Restons-en là, voulez-vous ?… Vous finiriez par me mettre hors de moi… Lorsque vous aurez du nouveau, téléphonez-moi…

Le commissaire salua, longea les couloirs qui lui étaient familiers. Mais au lieu de descendre vers la rue, il se dirigea vers les combles du Palais de Justice, où il poussa la porte du laboratoire de police scientifique.

Un des experts, qui le vit soudain en face, fut frappé de son aspect, questionna en tendant la main :

— Cela ne va pas ?

— Très bien, merci…

Ses yeux ne regardaient nulle part. Il gardait son gros pardessus noir sur le corps, ses mains dans les poches. Il ressemblait à quelqu’un qui, après un long voyage, revoit avec des yeux nouveaux des lieux qui lui furent familiers.

C’est ainsi qu’il mania des photographies prises la veille dans un appartement cambriolé, lut des fiches qu’un de ses collègues avait fait demander.

Dans un coin, un jeune homme glabre, long et maigre, aux yeux de myope protégés par d’épais lorgnons, le guettait avec un étonnement ému.

Sur sa table, il y avait des loupes de toutes les grosseurs, des grattoirs, des pinces, des flacons d’encres, de réactifs, ainsi qu’un écran de verre éclairé par une forte lampe électrique.

C’était Moers, qui s’était spécialisé dans l’étude des papiers, des encres et des écritures.

Il savait que c’était lui que Maigret venait voir. Et pourtant le commissaire ne le regardait même pas, allait et venait comme sans but.

Enfin il tira une pipe de sa poche, l’alluma, lança d’une voix fausse :

— Et voilà !… Au travail !…

Moers, qui savait d’où sortait le commissaire, comprit, mais feignit de n’avoir rien remarqué.

Maigret retirait son manteau, bâillait, faisait jouer les muscles de son visage, comme pour redevenir lui-même. Il saisit une chaise par le dossier, l’amena près du jeune homme, s’installa à califourchon et prononça sur un ton affectueux :

— Alors, mon petit Moers ?…

C’était fini. Il avait enfin débarqué le poids qu’il avait sur les épaules.

— Raconte…

— J’ai passé la nuit à étudier le billet… Dommage qu’il ait été tripoté par des tas de gens… Car il est inutile d’y chercher maintenant des empreintes digitales…

— Je n’y comptais pas…

— Je suis passé ce matin de bonne heure à la Coupole… J’ai examiné tous les encriers… Vous connaissez l’établissement ?… Il y a plusieurs salles distinctes : la grande brasserie d’abord, dont une partie devient restaurant à l’heure des repas… Puis la salle du premier… Puis la terrasse… Enfin un petit bar américain, à gauche, où se réunissent les habitués…

— Connais…

— C’est l’encre du bar qui a servi à écrire le billet… Les caractères ont été tracés de la main gauche, non par un gaucher, mais par quelqu’un qui sait que presque toutes les écritures de la main gauche se ressemblent…

La lettre adressée au Sifflet se trouvait encore sur l’écran de verre posé devant Moers.

— Une chose est certaine : l’expéditeur est un intellectuel, et je jurerais qu’il parle et écrit couramment plusieurs langues. Maintenant, si je tente de faire de la graphologie - Mais nous sortons du domaine des sciences exactes…

— Allez-y…

— Eh bien ! ou je me trompe fort, ou nous nous trouvons en présence d’un individu d’exception… D’abord une intelligence très au-dessus de la moyenne. Mais le plus troublant, c’est le mélange de volonté et de faiblesse, de froideur et d’émotivité. L’écriture est d’un homme… Et pourtant j’y relève des traits de caractère nettement féminins…

Moers était sur son terrain favori. Il devenait rose de plaisir. Malgré lui, Maigret sourit légèrement et le jeune homme se troubla :

— Je sais que tout cela n’est pas très clair et qu’un juge d’instruction ne m’écouterait pas jusqu’au bout… Et pourtant… Tenez, je parierais, commissaire, que l’homme qui a écrit cette lettre est atteint d’une maladie grave et le sait… S’il s’était servi de la main droite, je pourrais vous en dire davantage… Ah ! j’oubliais un détail… Il y avait des taches sur le papier… Mais peut-être ont-elles été faites à l’imprimerie… L’une d’elles, en tout cas, est une tache de café crème… Pour couper le haut de la feuille, enfin, on ne s’est pas servi d’un couteau, mais d’un objet arrondi, comme une cuiller…

— Autrement dit, le billet a été écrit hier matin, au bar de la Coupole, par un consommateur qui prenait un café crème et qui parle couramment plusieurs langues…

Maigret se leva, tendit la main en murmurant :

— Merci, mon petit… Voulez-vous me rendre la lettre ?…

Il sortit avec un grognement pour saluer tout le monde et, la porte refermée, quelqu’un dit avec une certaine admiration :

— Quand même ! Pour un coup dur…

Mais Moers, dont le culte pour Maigret était connu, le regarda de telle sorte que l’homme se tut et poursuivit l’analyse qu’il était en train de faire.


Paris avait son aspect morne des vilains jours d’octobre : une lumière crue tombait du ciel pareil à un plafond sale. Sur les trottoirs subsistaient des traces des pluies de la nuit.

Et les passants eux-mêmes avaient l’air renfrogné de gens qui ne se sont pas encore adaptés à l’hiver.

Durant toute la nuit, des ordres de service avaient été tapés à la Préfecture, transportés par des plantons dans les divers commissariats, expédiés télégraphiquement à toutes les gendarmeries, aux postes de douane et à la police des gares.

Si bien que tous les agents que la foule coudoyait, aussi bien les sergents de ville en tenue que les inspecteurs de la voie publique, de la Mondaine, des Garnis ou des Mœurs, avaient en tête un même signalement, dévisageaient les gens dans l’espoir de retrouver un même homme.

Et il en était ainsi d’un bout de Paris à l’autre. Il en allait de même en banlieue. Les gendarmes, sur les grand-routes, demandaient leurs papiers à tous les chemineaux.

Dans les trains, aux frontières, les gens s’étonnaient d’être questionnés plus minutieusement que d’habitude.

On cherchait Joseph Heurtin, condamné à mort par la Cour d’assises de la Seine, évadé de la Santé, disparu à la suite d’une rixe avec l’inspecteur Dufour dans la salle de la Citanguette.

« Au moment de sa fuite, il lui restait environ vingt-deux francs en poche », disaient les notes de service rédigées par Maigret.

Et celui-ci, tout seul, quittait le Palais de Justice sans même passer par son bureau du quai des Orfèvres, prenait un autobus pour la Bastille, sonnait au troisième étage d’un immeuble de la rue du Chemin-Vert.

Il régnait une odeur d’iodoforme et de poule au pot. Une femme qui n’avait pas encore eu le temps de faire sa toilette disait :

— Ah ! Il va être bien content de vous voir…

Dans sa chambre, l’inspecteur Dufour était couché, l’air attristé et inquiet.

— Ça va, vieux ?

— Si on peut dire… Il paraît que les cheveux ne repousseront pas sur la cicatrice et que je devrai porter perruque…

Comme il l’avait fait au laboratoire, Maigret tourna en rond dans la chambre, en homme qui ne sait où se poser. Enfin il grommela :

— Tu m’en veux ?…

La femme de Dufour, qui était encore jeune et jolie, se tenait dans l’encadrement de la porte.

— Lui, vous en vouloir ?… Depuis ce matin, il me répète qu’il se demande comment vous allez vous en tirer. Il voulait que j’aille vous téléphoner du bureau de poste…

— Allons !… A un de ces jours… prononça le commissaire. Il faudra bien que ça aille…

Il ne rentra pas chez lui, alors pourtant qu’il habitait à cinq cents mètres de là, boulevard Richard-Lenoir. Il marcha, parce qu’il avait besoin de marcher, de se sentir au milieu de la foule qui le frôlait, indifférente.

Et à mesure qu’il avançait de la sorte dans Paris, il perdait cet air équivoque d’écolier pris en faute qu’il avait le matin. Ses traits se durcissaient. Il fumait pipe après pipe, comme dans ses bons jours.

M. Coméliau eût été fort étonné, et sans doute indigné, s’il se fût douté que le moindre des soucis du commissaire était de retrouver Joseph Heurtin.

Pour Maigret, c’était une question accessoire. Le condamné à mort était quelque part, mêlé à plusieurs millions d’individus. Mais il avait la conviction que le jour où il aurait besoin de lui il mettrait presque aussitôt la main dessus.

Non ! Il pensait à la lettre écrite à la Coupole. Et aussi, peut-être davantage encore, à une question qu’il s’en voulait d’avoir négligée lors de la première enquête.

Mais, en juillet, tout le monde était tellement sûr de la culpabilité de Heurtin ! Le juge d’instruction avait tout de suite pris l’affaire en main, éliminant ainsi la police.

— Le crime a été commis à Saint-Cloud vers deux heures et demie du matin… Heurtin était de retour rue Monsieur-le-Prince avant quatre heures… Il n’a pas pris le train, ni le tramway, ni aucun moyen de transport en commun… Il n’a pas pris de taxi non plus… Son triporteur est resté chez son patron, rue de Sèvres…

Et il ne pouvait pas être rentré à pied ! Ou alors il eût été forcé de courir sans arrêt !

Au carrefour Montparnasse, la vie battait son plein. Il était midi et demi. Malgré l’automne, les terrasses des quatre grands cafés qui s’alignent à proximité du boulevard Raspail regorgeaient de consommateurs, parmi lesquels il y avait une proportion de quatre-vingts pour cent d’étrangers.

Maigret marcha jusqu’à la Coupole, avisa l’entrée du bar américain, où il pénétra.

Il n’y avait que cinq tables, toutes occupées. La plupart des clients étaient juchés sur les hauts tabourets du bar, ou debout autour de celui-ci.

Le commissaire entendit quelqu’un qui commandait :

— Un Manhattan…

Et il laissa tomber :

— La même chose…

Il était, lui, de la génération des brasseries et des bocks. Le barman poussa devant lui un plateau d’olives qu’il ne toucha pas.

— Vous permettez… fit une petite Suédoise aux cheveux plus jaunes que blonds.

Cela grouillait. Un guichet pratiqué dans le fond de la pièce s’ouvrait et se refermait sans cesse tandis que de l’office on envoyait des olives, des chips, des sandwiches et des boissons chaudes.

Quatre garçons criaient à la fois, dans un bruit d’assiettes et de verres remués, tandis que les clients s’interpellaient dans des langues différentes.

Et l’impression dominante était que consommateurs, barmen, garçons, décor formaient un tout bien homogène.

Les gens se coudoyaient familièrement et, qu’il s’agît d’une petite femme, d’un industriel qui descendait de sa limousine en compagnie de joyeux amis ou d’un rapin estonien, tout le monde appelait le barman en chef : Bob…

On s’adressait la parole, sans présentation, comme des camarades. Un Allemand parlait anglais avec un Yankee et un Norvégien mélangeait au moins trois langues pour se faire comprendre d’un Espagnol.

Il y avait deux femmes que chacun connaissait, que chacun saluait, et en l’une d’elles, Maigret reconnut, épaissie, vieillie, mais vêtue maintenant de fourrure, une gamine qu’il avait été appelé jadis à conduire à Saint-Lazare à la suite d’une rafle rue de la Roquette.

Elle avait la voix cassée, les yeux las, et on lui serrait la main en passant. Elle trônait, derrière sa table, comme si elle eût incarné à elle seule tout ce trouble mélange qui s’agitait.

— Vous avez de quoi écrire ? questionna Maigret en s’adressant à un barman.

— Pas à l’heure de l’apéritif… Ou alors il faut aller à la brasserie…

Entre les groupes bruyants, il y avait quelques isolés. Et c’était peut-être la caractéristique la plus pittoresque du lieu.

D’une part, des gens qui parlaient-haut, s’agitaient, commandaient tournée sur tournée et affichaient des vêtements aussi luxueux qu’excentriques.

D’autre part, de-ci de-là, des êtres qui ne semblaient être venus des quatre coins du monde que pour s’incruster dans cette foule brillante.

Il y avait, par exemple, une jeune femme qui n’avait certainement pas vingt-deux ans et qui portait un petit tailleur noir, bien coupé, confortable, mais qu’on avait dû repasser cent fois.

Une drôle de figure lasse et nerveuse. A côté d’elle, elle avait posé un carnet de croquis. Et, au milieu des gens prenant des apéritifs à dix francs pièce, elle buvait un verre de lait et mangeait un croissant.

A une heure ! C’était évidemment son déjeuner. Elle en profitait pour lire un journal russe mis à la disposition des clients par l’établissement.

Elle n’entendait rien, ne voyait rien. Elle grignotait lentement son croissant, buvait parfois une gorgée de lait, indifférente à un groupe qui, à sa propre table, en était à son quatrième cocktail.

Non moins frappant était un homme dont la chevelure à elle seule ne pouvait manquer d’attirer les regards. Elle était rousse, crépue, et d’une longueur exceptionnelle.

Il portait un complet sombre, lustré, fatigué, et une chemise bleue sans cravate, au col ouvert sur la poitrine.

Il était installé au fond du bar, dans la pose d’un vieil habitué que nul n’oserait déranger, et il mangeait, cuiller par cuiller, un pot de yogourt.

Est-ce qu’il avait cinq francs en poche ? D’où venait-il ? Où allait-il ? Et comment se procurait-il les quelques sous de ce yogourt qui devait être son seul repas quotidien ?

Comme la Russe, il avait un regard ardent, des paupières usées, mais quelque chose d’infiniment méprisant, de hautain, dans la physionomie.

Personne ne venait lui serrer la main, lui adresser la parole.

La porte tournante livra soudain passage à un couple, et Maigret, dans la glace, reconnut les Crosby qui descendaient d’une voiture américaine valant au bas mot deux cent cinquante mille francs.

On pouvait la voir au bord du trottoir, d’autant plus remarquable que la carrosserie était entièrement nickelée.

Et William Crosby tendait la main par-dessus le bar d’acajou, entre deux clients qui se rangeaient, prononçait en serrant les doigts du barman :

— Ça va, Bob ?…

Mme Crosby, elle, se précipitait vers la petite Suédoise blonde, qu’elle embrassait et à qui elle se mettait à parler en anglais, avec volubilité.

Ceux-là n’avaient même pas besoin de commander. Bob poussait vers Crosby un whisky and soda, confectionnait un rose pour la jeune femme, questionnait :

— Déjà revenus de Biarritz ?…

— Nous ne sommes restés que trois jours… Il pleut encore plus qu’ici…

Crosby aperçut Maigret, à qui il adressa un signe de tête.

C’était un grand garçon d’une trentaine d’années, aux cheveux bruns, à la démarche souple.

De tous ceux qui étaient réunis au bar à cet instant, il était certes celui dont l’élégance était la plus exempte de mauvais goût.

Il serrait des mains, mollement. Il demandait à des amis :

— Qu’est-ce que vous prenez ?…

Il était riche. Il avait à la porte une voiture de grand sport dont il se servait pour courir à Nice, à Biarritz, à Deauville ou à Berlin selon sa fantaisie.

Il habitait un palace de l’avenue George-V depuis plusieurs années et il avait hérité de sa tante, outre la villa de Saint-Cloud, quinze ou vingt millions de francs.

Mme Crosby était toute menue, mais trépidante, et elle parlait sans répit, mélangeant l’anglais et le français avec un accent inimitable et une voix de tête qui suffisait à l’identifier sans la voir.

Des consommateurs les séparaient de Maigret. Un député que celui-ci connaissait entra et serra affectueusement la main du jeune Américain.

— On déjeune ensemble ?

— Pas aujourd’hui… Nous sommes invités en ville…

— Demain ?

— Entendu… Rendez-vous ici…

— On demande M. Valachine au téléphone ! vint crier un chasseur.

Et quelqu’un se leva, se dirigea vers les cabines.

— Deux roses, deux !…

Des bruits d’assiettes. Une rumeur qui allait croissant.

— Vous pouvez me changer des dollars ?…

— Voyez le cours dans le journal…

— Suzy n’est pas ici ?

— Elle vient de sortir… Elle doit déjeuner chez Maxim…

Maigret, lui, pensait au garçon à la tête d’hydrocéphale, aux longs bras, qui était plongé dans la cohue de Paris, avec un peu plus de vingt francs en poche, et que toute la police de France, au même instant, était occupée à traquer.

Il se souvenait du visage blafard qu’il avait vu monter insensiblement le long du mur sombre de la Santé.

Puis des coups de téléphone de Dufour…

— Il dort…

Il avait dormi une journée entière !

Où était-il maintenant ? Et pourquoi, oui, pourquoi eût-il tué cette Mme Henderson qu’il ne connaissait pas et à qui il n’avait rien volé ?

— Vous prenez parfois l’apéritif ici ?

C’était William Crosby qui parlait. Il s’était approché de Maigret, à qui il tendait son étui à cigarettes.

— Merci… Rien que la pipe…

— Vous buvez quelque chose ?… Un whisky ?

— Je suis servi, vous voyez !

Crosby eut l’air contrarié.

— Vous comprenez l’anglais, le russe et l’allemand ?

— Le français, un point c’est tout…

— Alors, la Coupole doit être pour vous une tour de Babel… Je ne vous y ai jamais aperçu… A propos, c’est vrai, ce qu’on raconte ?…

— Que voulez-vous dire ?

— L’assassin… vous savez…

— Bah ! Il n’y a pas de quoi s’inquiéter…

Un instant, Crosby laissa peser sur lui son regard.

— Allons ! Faites-nous le plaisir de prendre un verre avec nous… Ma femme sera ravie… Je vous présente miss Edna Reichberg, la fille du fabricant de papier de Stockholm… Championne du patinage l’an dernier à Chamonix… Le commissaire Maigret, Edna…

La Russe en noir était toujours plongée dans la lecture de son journal et l’homme aux cheveux roux rêvait, les yeux mi-clos, devant le pot de grès qu’il avait gratté pour en extraire jusqu’à la dernière parcelle de yogourt.

Edna disait du bout des lèvres :

— Enchantée…

Elle serrait vigoureusement la main de Maigret puis poursuivait, en anglais, sa conversation avec Mme Crosby, tandis que William s’excusait :

— Vous permettez… On me demande au téléphone… Deux whiskies, Bob… Vous m’excusez, n’est-ce pas…

Dehors, la voiture nickelée étincelait dans la lumière grise et une silhouette lamentable la contournait, s’approchait de la Coupole en traînant la jambe, s’arrêtait un instant devant la porte tournante du bar.

Des yeux rougeâtres scrutaient l’intérieur tandis qu’un garçon s’approchait déjà pour faire circuler le miséreux.

La police, à Paris et ailleurs, cherchait toujours l’évadé de la Santé.

Il était là, à portée de voix du commissaire !

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