III



L’armoire aux victuailles

— Ouvrez, Julie !

Pas de réponse, mais le bruit d’un corps se jetant sur un lit.

— Ouvrez !

Rien ! Alors Maigret donna un coup d’épaule dans le panneau, et les vis maintenant la serrure furent arrachées.

— Pourquoi n’avez-vous pas ouvert ?

Elle ne pleurait pas. Elle n’était pas agitée. Au contraire, couchée en chien de fusil, elle regardait droit devant elle, les prunelles immobiles. Lorsque le commissaire fut trop près, elle sauta du lit et se dirigea vers la porte.

— Laissez-moi ! articula-t-elle.

— Alors, remettez-moi le billet, Julie.

— Quel billet ?

Elle était agressive, croyant mieux cacher ainsi son mensonge.

— Le capitaine permettait que votre frère vînt vous voir ?

Pas de réponse.

— Ce qui veut dire qu’il ne le permettait pas ! Votre frère venait quand même ! Il paraît qu’il serait venu dans la nuit de la disparition de Joris…

Un regard dur, presque haineux.

— Le Saint-Michel était dans le port. C’était donc naturel qu’il vous rendît visite. Une question… Quand il vient, il a l’habitude de manger, n’est-ce pas ?…

« Brute ! » gronda-t-elle entre ses dents tandis qu’il poursuivait :

— Il est entré ici hier pendant que vous étiez à Paris. Il ne vous a pas rencontrée et il vous a laissé un billet. Pour être sûr que vous le trouviez, et personne d’autre, il l’a placé dans le placard aux provisions… Donnez-moi ce papier…

— Je ne l’ai plus !

Maigret regarda la cheminée vide, la fenêtre fermée.

— Donnez-le-moi !

Elle était raidie non comme une femme intelligente, mais comme un enfant rageur. Au point que le commissaire, surprenant un de ses regards, grommela avec une pointe d’affection :

— Imbécile !

Le billet était simplement sous l’oreiller, à la place où Julie était couchée un instant plus tôt. Mais, au lieu de désarmer, la servante, obstinée, attaqua à nouveau, tenta d’arracher le feuillet des mains du commissaire que sa colère amusait.

— C’est tout ? menaça-t-il en lui maintenant les mains.

Et il lut ces lignes d’une mauvaise écriture, criblées de fautes :


Si tu reviens avec ton patron, fais bien attention à lui, car il y a des mauvaises gens qui lui en veulent. Je reviendrai dans deux ou trois jours avec le bateau. Ne cherche pas les côtelettes. Je les ai mangées. Ton frère pour la vie.


Maigret baissa la tête, si dérouté qu’il ne s’occupa plus de la jeune fille. Un quart d’heure plus tard, le capitaine du port lui disait que le Saint-Michel devait être à Fécamp, et que si les vents restaient nord-ouest il arriverait la nuit suivante.

— Vous connaissez la position de tous les bateaux ?

Et Maigret, troublé, regarda la mer qui scintillait, marquée, très loin, d’une seule fumée.

— Les ports sont reliés entre eux. Tenez ! voici la liste des navires attendus aujourd’hui.

Il montra au commissaire un tableau noir appliqué au mur du bureau du port, et des noms écrits à la craie.

— Vous avez découvert quelque chose ?… Ne vous fiez pas trop à ce qu’on raconte… Même les gens sérieux !… Si vous saviez ce qu’il peut y avoir de petites jalousies dans le pays !…

Et M. Delcourt saluait de la main le capitaine d’un cargo qui s’éloignait, soupirait en regardant la buvette :

— Vous verrez !

À trois heures, la descente du Parquet était terminée et une dizaine de messieurs sortaient de la maison de Joris, poussaient la petite grille verte, se dirigeaient vers les quatre voitures qui attendaient, entourées de curieux.

— Il doit y avoir du canard en quantité ! disait le substitut à M. Grandmaison en observant les terrains d’alentour.

— L’année est mauvaise. Mais l’an dernier…

Il se précipita vers la première voiture qui démarrait.

— Vous vous arrêtez un moment chez moi, n’est-ce pas ? Ma femme nous attend…

Maigret restait le dernier et le maire, juste assez engageant pour être poli, lui dit :

— Montez avec nous. Vous devez en être, naturellement…

Il ne restait que Julie et deux femmes dans la petite maison du capitaine Joris, et le garde champêtre, à la porte, pour attendre le fourgon mortuaire qui emmènerait le corps à Caen.

Déjà, dans les autos, cela ressemblait à certains retours d’enterrement qui, entre bons vivants, finissent le plus gaiement du monde. Le maire expliquait au substitut, tandis que Maigret était mal assis sur le strapontin :

— Si cela ne tenait qu’à moi, je vivrais ici toute l’année. Mais ma femme aime moins la campagne. Si bien que nous vivons surtout dans notre maison de Caen… Pour le moment, ma femme revient de Juan-les-Pins, où elle est restée un mois avec les enfants…

— Quel âge a l’aîné, maintenant ?

— Quinze ans…

Les gens de l’écluse regardaient passer les voitures. Et tout de suite, sur la route de Lion-sur-Mer, ce fut la villa du maire, une grosse villa normande, aux pelouses entourées de barrières blanches et semées d’animaux en porcelaine.

Dans le vestibule, Mme Grandmaison, en robe de soie sombre, recevait ses invités avec un sourire très réservé, très femme du monde. La porte du salon était ouverte. Des cigares étaient prêts, ainsi que des liqueurs, sur la table du fumoir.

Tous se connaissaient. C’était un petit monde de Caen qui se retrouvait. Une domestique en tablier blanc prenait les manteaux et les chapeaux.

— Vraiment, monsieur le juge, vous n’étiez jamais venu à Ouistreham et vous habitez Caen depuis tant d’années ?

— Douze ans, chère madame… Tiens ! mademoiselle Gisèle.

Une gamine de quatorze ans, déjà très jeune fille, surtout par le maintien, très grande bourgeoise, comme sa mère, venait s’incliner devant les invités. Cependant, on oubliait de présenter Maigret à la maîtresse de maison.

— Je suppose qu’après ce que vous venez de voir vous préférez des liqueurs à une tasse de thé… Un peu de fine, monsieur le substitut ? Madame est toujours à Fontainebleau ?…

On parlait de plusieurs côtés à la fois. Maigret attrapait au vol des bribes de phrases.

— Non !… Dix canards en une nuit, c’est un maximum… Je vous jure qu’il ne fait pas froid du tout… Le gabion est chauffé…

Et ailleurs :

— … souffrent beaucoup de la crise du fret ?

— Cela dépend des compagnies. Ici, on ne s’en ressent guère. Aucun bateau n’a été désarmé. Mais les petits armateurs, surtout ceux qui n’ont que des goélettes armées au cabotage, commencent à tirer la langue… On peut dire qu’en principe toutes les goélettes sont à vendre, car elles ne font pas leurs frais…

— Non, madame, murmurait ailleurs le substitut. Il n’y a pas de quoi s’effrayer. Le mystère, si mystère il y a dans cette mort, sera vite découvert. N’est-ce pas, commissaire ?… Mais… Vous a-t-on présenté… Le commissaire Maigret, un des chefs les plus éminents de la Police judiciaire…

Maigret était tout raide, le visage aussi peu avenant que possible. Il regarda drôlement la jeune Gisèle qui lui tendait avec un sourire une assiette de petits fours.

— Merci !

— Vraiment ? Vous n’aimez pas les gâteaux ?

— À votre santé !

— À la santé de notre aimable hôtesse !

Le juge d’instruction, un grand maigre d’une cinquantaine d’années, qui voyait à peine malgré d’épais binocles, prit Maigret à part.

— Bien entendu, je vous donne carte blanche. Mais téléphonez-moi chaque soir pour me tenir au courant. Votre avis ? Un crime crapuleux, n’est-ce pas ?…

Et, comme M. Grandmaison s’approchait, il poursuivit plus haut :

— Vous avez d’ailleurs de la chance de tomber sur un maire comme celui de Ouistreham, qui vous facilitera votre tâche… N’est-ce pas, cher ami ?… Je disais au commissaire…

— S’il le désire, cette maison sera la sienne. Je suppose que vous êtes descendu à l’hôtel ?

— Oui ! Je vous remercie de votre invitation, mais, là-bas, je suis plus près du port…

— Et vous croyez que c’est à la buvette que vous trouverez quelque chose ?… Attention, commissaire !… Vous ne connaissez pas Ouistreham !… Pensez à ce que peut être l’imagination de gens qui passent leur vie dans une buvette. Ils accuseraient père et mère rien que pour avoir une bonne histoire à raconter…

— Si on ne parlait plus de tout cela ? proposa Mme Grandmaison avec un sourire engageant. Un gâteau, commissaire ?… Vraiment ?… Vous n’aimez pas les sucreries ?…

Deux fois ! C’était trop ! Et Maigret faillit, par protestation, tirer sa grosse pipe de sa poche.

— Vous permettez… Il faut que j’aille m’occuper de certains détails…

On n’essaya pas de le retenir et, somme toute, on ne tenait pas plus à sa présence qu’il ne tenait à être là. Dehors, il bourra sa pipe, marcha lentement vers le port. On le connaissait déjà. On savait qu’il avait trinqué avec le groupe de la buvette et on le saluait avec un rien de familiarité.

Comme il arrivait en vue du quai, la voiture qui emmenait le corps du capitaine Joris s’éloignait dans la direction de Caen et, derrière une fenêtre du rez-de-chaussée, on apercevait le visage de Julie que des femmes essayaient d’entraîner vers la cuisine.

Des gens étaient groupés autour d’une barque de pêche qui venait de rentrer et dont les deux marins triaient le poisson. Les douaniers, appuyés au parapet du pont, laissaient couler les lentes heures de garde.

— Je viens d’avoir confirmation de l’arrivée du Saint-Michel pour demain ! dit le capitaine en s’approchant de Maigret. Il est resté trois jours à Fécamp pour réparer son beaupré…

— Dites donc… Est-ce qu’il lui arrive de transporter de la rogue de morue ?…

— De la rogue ?… Non ! La rogue norvégienne arrive par des goélettes scandinaves ou par des petits vapeurs.

— Mais ils ne relâchent pas à Caen… Ils déchargent directement dans les ports sardiniers, comme Concarneau, Les Sables-d’Olonne, Saint-Jean-de-Luz…

— Et de l’huile de phoque ?

Cette fois, le capitaine ouvrit des yeux ronds.

— Pour quoi faire ?

— Je ne sais pas…

— Non ! Les caboteurs ont presque toujours les mêmes chargements : des légumes et surtout de l’oignon pour l’Angleterre, du charbon pour les ports bretons, de la pierre, du ciment, des ardoises… Au fait, je me suis renseigné près des éclusiers sur le dernier passage du Saint-Michel. Le 16 septembre, il est arrivé de Caen juste à la fin de la marée. On allait cesser le service. Joris a fait remarquer qu’il n’y avait pas assez d’eau dans le chenal pour prendre la mer, surtout par brouillard. Le patron a insisté pour franchir le sas quand même, afin de partir le lendemain à la première heure. Ils ont couché ici, tenez, dans l’avant-port, amarrés aux pilotis. À marée basse, ils étaient à sec. Ce n’est que vers neuf heures, le matin, qu’ils ont pu partir…

— Et le frère de Julie était à bord ?

— Sans doute ! Ils ne sont que trois : le patron, qui est en même temps propriétaire du bateau, et deux hommes. Grand-Louis…

— C’est le nom du forçat ?

— Oui. On dit Grand-Louis, parce qu’il est plus grand que vous et capable de vous étrangler d’une seule main…

— Un mauvais bougre ?

— Si vous le demandez au maire, ou à un bourgeois de l’endroit, il vous répondra que oui. Moi, je ne l’ai pas connu avant qu’il aille au bagne. Il n’est pas souvent ici. Tout ce que je sais, c’est qu’il n’a jamais fait de bêtises à Ouistreham. Il boit, bien sûr… Ou plutôt… C’est difficile à savoir… Il a toujours une demi-cuite… Il va… Il vient… Il traîne la patte, tient les épaules et la tête de travers, ce qui ne lui donne pas l’air franc… N’empêche que le patron du Saint-Michel en est content…

— Il est venu hier ici, en l’absence de sa sœur.

Le capitaine Delcourt détourna la tête, n’osant pas nier. Et Maigret comprit, à ce moment, qu’on ne lui dirait jamais tout, qu’entre ces hommes de la mer il existait une sorte de franc-maçonnerie.

— Il n’y a pas que lui…

— Que voulez-vous dire ?

— Rien… J’ai entendu parler d’un étranger qu’on a vu rôder… Mais c’est vague…

— Qui l’a vu ?…

— Je ne sais pas… On parle, comme ça… Vous ne prenez rien ?…

Pour la seconde fois, Maigret s’installa à la buvette, où les mains se tendirent.

— Dites donc ! Ils ont vite expédié leur besogne, les messieurs du Parquet…

— Qu’est-ce que vous buvez ?

— De la bière.

Le soleil ne s’était pas caché de la journée. Mais voilà que des écharpes de brume s’étiraient entre les arbres et que l’eau du canal commençait à fumer.

— Encore une nuit dans le coton ! soupira le capitaine.

Et, au même moment, on entendait la sirène hurler.

— C’est la bouée lumineuse, là-bas, à l’entrée de la passe.

— Le capitaine Joris allait souvent en Norvège ? demanda Maigret à brûle-pourpoint.

— Quand il naviguait pour l’Anglo-Normande, oui ! Surtout tout de suite après la guerre, parce qu’on manquait de bois. Du vilain chargement, qui ne laisse pas de place pour manœuvrer…

— Vous apparteniez à la même compagnie ?

— Pas longtemps. J’ai surtout navigué pour Worms, de Bordeaux. Je faisais le « tramway », comme on dit, c’est-à-dire toujours la même route : Bordeaux-Nantes et Nantes-Bordeaux… Pendant dix-huit ans !

— D’où sort Julie ?

— D’une famille de pêcheurs de Port-en-Bessin… Si l’on peut dire des pêcheurs !… Lui n’a jamais fait grand-chose… Il est mort pendant la guerre… La mère doit toujours vendre du poisson dans les rues, et surtout boire du vin rouge dans les bistrots.

Maigret, pour la deuxième fois en pensant à Julie, eut un drôle de sourire. Il la revoyait arrivant dans son bureau, à Paris, bien nette dans son tailleur bleu, avec un petit air volontaire.

Puis le matin même, quand elle luttait si maladroitement, comme une petite fille, pour ne pas lui donner le billet de son frère.

La maison de Joris s’estompait déjà dans la brume. Il n’y avait plus de lumière au premier étage, d’où le cadavre avait disparu, ni dans la salle à manger ! Rien que dans le corridor et, sans doute, derrière, dans la cuisine, où les deux voisines tenaient compagnie à la jeune fille.

Les aides-éclusiers entraient à leur tour à la buvette, mais, sensibles aux nuances, allaient s’asseoir à une table du fond et entamaient une partie de dominos. Le phare s’alluma.

— Vous nous remettrez ça ! dit le capitaine en montrant les verres. C’est ma tournée !

Ce fut d’une voix étrangement feutrée que Maigret questionna :

— À cette heure-ci, si Joris vivait, où serait-il ? Ici ?…

— Non ! chez lui ! avec des pantoufles aux pieds !

— Dans la salle à manger ? Dans sa chambre ?

— Dans la cuisine… à lire le journal, puis à lire un bouquin d’horticulture… Il lui était venu la passion des fleurs… Tenez ! malgré la saison son jardin en est encore plein…

Les autres riaient, mais ils étaient un peu gênés de n’avoir pas la passion des fleurs, de préférer le sempiternel bistrot.

— Il n’allait pas à la chasse ?

— Rarement… Quelquefois, quand on l’invitait…

— Avec le maire ?

— C’est arrivé… Quand il y avait du canard, ils allaient ensemble au gabion…

La buvette était trop peu éclairée, au point qu’on voyait mal, à travers la fumée, les joueurs de dominos. Un gros poêle alourdissait l’atmosphère. Et dehors c’était presque l’obscurité, mais une obscurité rendue plus trouble et comme malsaine par le brouillard. La sirène hurlait toujours. La pipe de Maigret grésillait.

Et, renversé sur sa chaise, il fermait à demi les yeux, dans un effort pour assembler tous les éléments épars qui formaient une masse sans cohésion.

— Joris a disparu pendant six semaines et est revenu le crâne fendu et réparé ! dit-il sans savoir qu’il pensait tout haut.

» Le jour de son arrivée le poison l’attendait.

Et ce n’est que le lendemain que Julie avait trouvé dans le placard l’avertissement de son frère !

Maigret poussa un long soupir et murmura en guise de conclusion :

— En somme, on a essayé de le tuer ! Puis on l’a guéri ! Puis on l’a tué pour de bon ! À moins…

Car ces trois propositions n’allaient pas ensemble. Et une pensée baroque naissait, si baroque qu’elle en était effrayante.

— À moins qu’on n’ait pas essayé de le tuer la première fois ? Qu’on n’ait voulu que lui enlever la raison !…

Les médecins de Paris n’affirmaient-ils pas que l’opération n’avait pu être faite que par un grand chirurgien ?

Mais fend-on le crâne d’un homme pour lui voler sa raison ?

Et puis ! qu’est-ce qui prouvait que Joris l’avait vraiment perdue ?

On regardait Maigret en observant un silence respectueux. Il n’y eut qu’un geste du douanier pour signifier à la serveuse :

— La même chose…

Et chacun était enfoncé dans son coin, dans l’atmosphère chaude, dans une rêverie moite que l’alcool rendait imprécise.

On entendit passer trois autos : le Parquet, qui regagnait Caen après la réception chez M. et Mme Grandmaison. À cette heure, le corps du capitaine Joris était déjà dans une armoire frigorifique de l’Institut médico-légal.

On ne parlait plus. Les dominos bougeaient sur la table dévernie, du côté des éclusiers. Et on sentait que le problème, peu à peu, s’était imposé à tous les esprits, qu’il pesait à tous, qu’il était là, presque palpable, en suspension dans l’air. Les visages se renfrognaient. Le plus jeune des douaniers, impressionné, se leva en balbutiant :

— Il est temps que j’aille retrouver ma femme.

Maigret tendit sa blague à son voisin, qui bourra une pipe et passa le tabac au suivant. Alors une voix, celle de Delcourt, s’éleva.

Il se levait à son tour pour échapper à cette ambiance écrasante qui s’était créée.

— Je vous dois combien, Marthe ?

— Les deux tournées ?… Neuf soixante-quinze… Plus trois francs dix d’hier…

Tout le monde était debout. Un air humide pénétrait par la porte ouverte. Les mains se tendirent.

Dehors, chacun fonçait de son côté, dans le brouillard. On entendait résonner les pas et, par-dessus tout, vibrait la clameur de la sirène.

Maigret, immobile, resta un moment à écouter tous ces pas qui s’éloignaient en étoile autour de lui. Des pas lourds, avec des hésitations, des précipitations soudaines…

Et il comprit que, sans qu’on pût dire comment cela s’était fait, la peur était née.

Ils avaient peur, tous ceux qui s’en allaient, peur de rien, de tout, d’un danger imprécis, d’une catastrophe insoupçonnable, de l’obscurité et des lumières.

— Si ce n’était pas fini ?…

Maigret secoua la cendre de sa pipe et boutonna son pardessus.


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