Chapitre quinze

Je me demande si parfois la mort ne serait pas préférable à la vie. Le Grand Voyage facilite tellement les choses. Qu’il eût été simple de fermer les yeux, de donner dans un dernier effort un petit coup d’index sur une gâchette et de se jeter dans le grand tunnel blanc…

Allongé sur mon lit, le soleil, voilé par la dentelle des cirrus, déclinait dans un panache de rouges annonciateurs des froides journées automnales. Poupette gisait sur le sol, dans une flaque d’huile. On aurait dit qu’elle souffrait, pleurait, se mourait lentement, comme moi. Ce soir-là, je sus que le sommeil ne m’accueillerait plus, que mes nuits allaient porter le visage blême de mes atroces journées.

J’avais peur.

Les images qui défilaient sur l’écran de mes yeux, ouverts ou clos, allaient et venaient jusqu’à me décrocher de la réalité. Sans cesse, il débarquait sur sa monture, l’épée brandie au-dessus de sa tête. L’Ange rouge… Le père Michaelis… Je voyais cette soutane noire vibrer dans l’air, cette capuche abaissée autour d’une forme creuse, comme je visionnais mon propre reflet dans le miroir. Son souffle fétide me taraudait les épaules, ce rire comme vomi de ses entrailles me persécutait au point de me poser les mains sur les oreilles.

Le plus inquiétant, c’était cette substance visqueuse qui engluait mes pensées jusqu’à m’empêcher de m’évader vers des cieux plus doux. Je me sentais persécuté et cette volonté que je rassemblais pour chasser l’être s’appropriant mon âme, consommait toute mon énergie. Je percevais des filaments d’affliction se tisser en moi, emprisonner mon esprit dans le réseau complexe de la folie. Oui… À entendre cette voix, à me trouver incapable de chasser ces images qui me coupaient du monde matériel, je crus que je devenais fou…

Je ne trouvai pas le courage de visualiser les quatre CD ROM sur lesquelles ma femme endurait des tourments que même le plus insensible des animaux ne supporterait pas. Pourtant, je priais pour revoir l’opaline de son visage. Mais la regarder, là, soumise, bafouée, dépouillée de son identité, me tuerait. Le poignard courbe de son regard implorant me démolirait à un point tel que je mettrais un terme à ma vie, sans l’ombre d’une hésitation. J’espérais qu’un jour, Suzanne renaîtrait loin d’ici, de ce monde pourri, entourée d’âmes qui l’aimaient, qui aimaient respirer comme elle l’écorce fraîche des érables des grandes forêts canadiennes…

Sans avoir fermé l’œil, je me traînai au 36 comme un cadavre arraché à sa tombe.

Leclerc m’avait autorisé à poursuivre l’enquête, redoutant ce qui pourrait m’arriver si je restais à l’écart. Il m’avait parlé comme à un ami, lui qui, d’ordinaire, entretenait une distance froide avec ceux qui se hasardaient à l’accoster. Je ne pouvais pas me permettre de ruminer chez moi, dans ce cachot qui respirait à plein nez le parfum de Suzanne. Dans les couloirs, des gens me saluèrent mais je ne leur répondis pas, j’avançais, voilà tout. Je m’installai à mon bureau et m’abandonnai de nouveau à ces images.

Les CD ROM circulaient certainement entre les mains des plus grands spécialistes du traitement d’images, des psychologues, des forces de police, d’Élisabeth Williams. Les uns amplifiaient les gammes de fréquences basses pour révéler des sons jusque-là inaudibles ; les autres notaient les heures des différentes prises de vues, cherchant une corrélation profonde entre les choses, ou déduisant l’état d’esprit de l’assassin au moment de l’acte. Mais aucun d’entre eux ne me rendrait ma femme.

Quatre CD ROM, quatre épisodes… Suzanne enchaînée, le ventre arrondi par le temps, le visage ravagé, les traits implorant qu’on la libérât enfin.

Des films qui retraçaient son indescriptible calvaire. Où se cachaient les autres épisodes, ceux d’août, de septembre ? Entre les mains de quels pourris ?

Une opération spéciale avait été ordonnée par le directeur de la police judiciaire de Paris, notre grand patron. Tous les SRPJ étaient sur le coup, avec pour ordre d’arrêter les personnalités incriminées par la fameuse disquette. Ces gens-là seraient interrogés, punis et probablement flanqués en prison. Mais aucun de ces monstres ne savait vraiment qui se cachait derrière l’Ange rouge ou cette réincarnation de je-ne-sais-quoi…

Si j’en avais eu la possibilité, et surtout le droit, je les aurais tous tués, un par un, d’une balle dans la tête. J’aurais enfoncé un projectile dans mon barillet, l’aurais tourné au hasard et appuyé sur la gâchette et, si le coup n’était pas parti, j’aurais recommencé, encore et encore. Et surtout, je leur aurais demandé pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi ?

Je ne m’aperçus de la présence d’Élisabeth Williams que lorsqu’elle me cria presque à l’oreille. Elle traîna une chaise, s’installa à mes côtés. Je me résolus à l’écouter, mais l’Ange rouge continuait à me harceler dans un coin de la tête.

« Franck… Je… Que dire ? Je… pensais que ce n’était qu’une légende… Jamais il n’a été prouvé que cela se produisait… Et aujourd’hui, nous en avons la preuve… Seigneur…

— De quoi parlez-vous ?

— Le snuff film. Ces meurtres filmés pour assouvir les fantasmes d’hommes puissants… »

Images crues se jetant devant mes yeux. Ma femme, enfermée dans un cercueil avec des chairs putréfiées d’animaux… Face à mon absence de réaction, Williams poursuivit. « Je… Je ne sais plus sur quel axe chercher. Notre tueur intervient dans deux dimensions totalement différentes. D’abord, il reproduit les actes du père Michaelis, ce qui, au départ, nous laisse penser que c’est un fanatique se prenant pour un saint chargé d’infliger une punition divine. Ensuite, il y a l’autre aspect, l’aspect snuff movie ce besoin de vendre du meurtre, ce moyen de… gagner de l’argent. Et s’il n’y avait que cela qui l’intéresse depuis le début, l’argent ? Nous serions bien loin de l’Ange rouge réincarné, de ces démons, n’est-ce pas ? Je… Je me suis plantée, Franck, sur toute la ligne ! Je n’ai fait que nous orienter dans de mauvaises directions.

— Vous avez fait de votre mieux, Élisabeth. Quoi que vous en pensiez, vous nous avez été d’un grand secours.

— Mon rôle s’arrête ici, commissaire. On m’a fait comprendre que l’on se dispensait désormais de mes services. Je vais creuser encore la piste un jour ou deux, puis Thornton prendra le relais…

— Mais…

— Chut… Je vais repartir en Floride. Me rendre au bord de mon lac et y passer d’agréables moments. Quand je serai prête, je reviendrai… Et je traquerai de nouveaux criminels, tout comme vous…

— Je ne traquerai plus de criminels, Élisabeth… Je n’en peux plus… Je… Je ne sais pas comment tout cela va finir… Mal, très mal, sûrement…

— Ne dites pas ça commissaire ! Votre femme est vivante, quelque part ! Accrochez-vous à cette image et battez-vous, battez-vous !

— Elle ne l’est peut-être plus ! Il l’a tuée ! Je le sens ! »

Je vis les pupilles d’Élisabeth se répandre dans le blanc de l’œil comme une nappe de pétrole, puis se rétracter à nouveau en tête d’épingle. « Non. Je sais qu’elle est vivante. Je… Je le sens… Écoutez, Franck… Il faut que vous visualisiez les CD ROM. J’ai encore fait un rêve qui n’est pas anodin… Vous devez regarder… »

Je serrai les poings. « Je ne peux pas, Élisabeth !

— C’est le seul moyen de la sauver ! Peut-être que quelque chose vous choquera, vous ? Un détail qui nous aurait échappé ? Faites cet effort, Shark, pour l’amour de votre femme ! Pour attraper l’ordure qui bafoue à un tel point la vie et Dieu ! Faites-le, Shark ! Faites-le ! »

Je sortis mon portefeuille, portai un regard triste sur une photo sépia de ma femme. La puissance même de l’amour m’inonda le cœur d’une pluie de chagrin. Je murmurai : « Je vais le faire, Élisabeth… Je vais visualiser ces CD ROM… »


* *

*


La salle de traitement numérique du laboratoire de la police scientifique ressemblait à un studio d’enregistrement, du genre de celui d’Ecully, mais en beaucoup plus petit.

On y retravaillait les différentes vidéos et bandes sonores fournies dans les procédures judiciaires, en quête de vérité. Les possibilités d’analyse des ordinateurs défiaient sans conteste l’imagination…

Je m’installai dans une petite salle où s’empilaient plusieurs magnétoscopes, un téléviseur, un ordinateur et d’autres appareils dont je ne connaissais pas l’usage. Un ingénieur, Pascal Artemis, m’y rejoignit et posa quatre CD ROM au-dessus du poste de télévision. « Monsieur Sharko, vous pourrez regarder les films dans leur intégralité si vous le souhaitez, mais j’ai dupliqué certains passages sur ce cinquième CD, des passages que j’ai retravaillés numériquement pour essayer d’en tirer quelque chose… Des morceaux où l’on constate des changements de lieux, d’attitudes…

— Comment ça ? Je ne comprends pas bien.

— Vous allez voir… »

Il glissa le montage dans un lecteur de CD ROM, puis désigna l’ordinateur.

« Les images vont apparaître sur l’écran de l’ordinateur et non pas sur le téléviseur. Installez-vous face à l’écran. »

Je m’exécutai. Le CD diffusa une première séquence. Suzanne, assise sur une chaise, les mains ligotées dans le dos et les chevilles attachées aux pieds de bois… La porcelaine fragile de son corps se décrochait de l’arrière-plan très sombre. Une lumière aveuglante lui éclairait le visage et la forçait presque à fermer les yeux. Ces images firent couler dans mes veines la sève de l’impuissance, de la désolation et il me prit l’envie de me lever et de m’enfuir. Mais une voix intérieure m’ordonna de rester assis.

Le technicien cala l’appareil sur pause. Il ouvrit un fichier, une reconstitution qu’il avait préalablement enregistrée sur l’ordinateur. « Sur le premier CD, votre femme a été filmée sous plusieurs angles distincts. Nous disposons d’un logiciel d’extrapolation très puissant. À partir des différentes images, d’un algorithme de prédiction et en retravaillant le contraste, la luminosité et d’autres paramètres, nous pouvons reconstruire quasiment la totalité de l’endroit où elle est enfermée. Regardez… »

Il lança l’animation. La salle apparut comme en plein jour. Une sorte de caméra virtuelle donnait un rendu tel que l’on avait l’impression de se retrouver à l’intérieur de la cavité.

« On dirait une espèce de tunnel aménagé », remarquai-je.

« En effet. Au vu des poutres soutenant les parois, de la terre sur le sol et de l’humidité parfois sur l’objectif, on dirait qu’elle se trouve sous terre. Une grotte… »

L’animation tournait toujours sur elle-même, inlassablement, dévoilant un lit, un pot de chambre, une table, une chaise et un petit crucifix accroché au-dessus du lit. Une solide porte de métal cloisonnait l’entrée de la pièce. L’enfer sous terre, le Tartare… « Autre scène », dit Artemis. « … Assez insupportable… Ça va aller ? »

J’opinai de la tête et il cliqua sur un bouton. Suzanne apparut encore une fois les mains entravées, debout dans un coin. Une balle en plastique transpercée par une sangle de cuir empêchait de remuer les lèvres. Son corps croqué par les morsures du froid, fragilisé par les coups répétés, racontait l’histoire écrite de son calvaire. Ses cheveux étaient pourtant propres, les draps de son lit aussi. Une puissante torche l’éclairait et, contrairement à la scène précédente, l’image tremblotait, il devait tenir la caméra en main. De sa voix trafiquée, métallique et froide, il lui ordonna d’avancer. « Avance ! Avance ! Pute ! » Elle obéit, pantelée d’une telle terreur qu’elle s’étouffait derrière son bâillon. Ils franchirent la porte et un boyau sombre à la gueule dévorée par l’obscurité se déploya devant eux. Ils évoluèrent dans le dédale, elle devant, lui derrière à filmer le martyre de mon épouse. L’ingénieur, de la même façon que précédemment, appela une image stockée sur ordinateur qui révéla des détails invisibles à l’œil nu. « Ça va aller, commissaire ?

— Oui. Continuez.

— Bien. Voyez-vous ces encoches le long de la paroi ? Selon d’autres images, elles sont espacées d’environ cinq mètres. Elles servaient probablement, dans l’ancien temps, à fixer des flambeaux afin d’éclairer les voûtes. L’expert en géologie nous affirme que les parois ne sont pas en craie, mais d’une roche d’un étage immédiatement supérieur à la craie, appartenant probablement aux couches des coquilles pétrifiées ou nummulitiques. Sur certains plans où l’éclairage est plus fort, il est presque catégorique. Il se souvient d’un fait intéressant, relaté dans des archives de topographie. Dans le village de Droizelle, pas très loin de Paris, une cave s’est affaissée, provoquant un trou de six mètres de profondeur. Le même jour, une poissonnerie et une maison voisine se fissuraient également. On crut que des nappes souterraines en étaient la cause. Un ingénieur des travaux publics entreprit des fouilles. Les sondes ne donnèrent rien, alors il fut décidé de creuser un puits profond, étayé, cloisonné et, après des semaines, on découvrit, à quatorze mètres de profondeur, un vaste souterrain composé de caves voûtées. Creusées au XIIe siècle, révèlent certains écrits. Par des communautés juives pour y stocker leurs objets précieux, parce qu’elles étaient soumises à des restrictions très sévères des pouvoirs publics et qu’il leur était interdit de commercer. Ces souterrains présentent les mêmes caractéristiques que celui où est enfermée votre femme. » D’un coup de reins, je fis rouler ma chaise vers l’arrière de la pièce. « Combien a-t-on recensé de réseaux de galeries ?

— Plus d’une vingtaine éparpillés dans le Bassin parisien. On en découvre de nouveaux tous les ans. Votre divisionnaire a déjà lancé une opération de fouilles en coordination avec les différents services de police. Mais il est fort probable que celui-ci soit encore inconnu, car les galeries recensées sont gardées et protégées.

— Bon sang… Ma femme sous terre… »

Je me remémorai les visions de Doudou Camélia, cette humidité, ce lieu pourrissant où il retenait Suzanne. Depuis le début, les pressentiments de la Guyanaise se vérifiaient…

« Commissaire ?

— Oui.

— Je vais continuer, si vous le permettez. L’analyse phonique n’a rien révélé. Aucun son ou bruit nous permettant de localiser l’endroit. Ce qui confirme la profondeur et l’isolation des galeries. »

Il but un verre d’eau et m’en proposa un que je refusai. Il plia ensuite le gobelet et le jeta dans une corbeille. « Chacun des films dure une demi-heure. D’après les dates au bas de l’écran, les prises de vues sont espacées d’environ un mois, ce, à partir d’avril 2002. Normalement, vous auriez dû découvrir six films, votre femme ayant été enlevée voilà plus de six mois. Soit ce Dulac les dissimulait ailleurs, soit, pour une raison ou une autre, les derniers épisodes ne lui sont pas parvenus.

— Nous les retrouverons chez les autres salauds… Ces hommes respectables… aux noms inscrits sur la disquette…

— Heu… En fait, d’autres images indiquent, à en juger par les marques sur les bras de votre femme, qu’il la drogue régulièrement. Sur la plupart des scènes, elle est bâillonnée et attachée, ce qui l’empêche d’émettre le moindre signe. Cependant, nous avons remarqué deux faits particulièrement troublants. Premier point, voyez-vous ce petit crucifix, situé au-dessus du lit ? »

J’acquiesçai. Artemis changea de photo. « Et maintenant, que constatez-vous ?

— On dirait qu’il a été retourné… On ne voit plus la gravure du Christ, contrairement à l’image précédente. La gravure se trouve désormais côté mur.

— Exact. Et ça continue de cette façon sur une bonne partie du premier film. Sur les autres vidéos, cette croix a disparu, ce qui tend à prouver que le tueur s’en est aperçu.

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— Nous l’ignorons… C’est pour cette raison que nous comptions sur votre présence. Cherchait-elle, par ces inversions, à représenter un symbole, une certaine dualité ? Nuit et jour ? Lune et soleil ? Noir et blanc ?

— Je ne comprends pas, désolé… Vous aviez dit qu’il y avait un deuxième point ? »

Il se leva et s’empara du premier épisode. « Sur ce CD, le regard de votre femme, de temps en temps, devient fuyant.

— Comment ça ?

— Ses pupilles partent d’un coup sur la gauche et se remettent en place, un peu comme une maladie des muscles oculaires que l’on appelle nystagmus. »

Je me levai de ma chaise et lui arrachai le CD ROM des mains avant de l’enfoncer dans le lecteur. « Montrez-moi ! »

Il cliqua sur avance rapide avec la souris, fit marche arrière et se cala sur une scène où la caméra, posée sur un pied, filmait ma femme en train d’uriner dans un pot métallique. Le tressaillement de l’œil fut très bref, presque imperceptible. L’ingénieur accéléra… Lecture… Nouveau mouvement des yeux.

« Nous ne l’avons pas remarqué tout de suite, pensant que votre femme avait effectivement ce handicap. Mais sur le deuxième CD, il se produit une coupure. Sur la prise de vue suivante, on revoit votre femme avec… un hématome sous la pommette gauche… et le mouvement n’existe plus. Il a dû s’en apercevoir, tout comme des retournements de croix. Cette agitation des yeux vous dit-elle quelque chose ? »

Je lui demandai la souris et repassai la scène. Fuite des yeux sur la gauche… Encore et toujours… « Je… ne comprends pas bien… Son frère schizophrène souffre de divergence oculaire, de nystagmus. Ses yeux partent très souvent sur la gauche, de la même façon, avant de se remettre en place d’eux-mêmes. Mais… Pourquoi nous fournirait-elle cette indication ?

— À l’évidence, votre femme voulait vous faire penser à un fait important, peut-être en rapport avec son frère. Possible qu’il ait quelque chose à voir là-dedans ?

— Ça m’étonnerait beaucoup, il est interné depuis plus de six mois… Seigneur, Suzanne, qu’est-ce que tu essaies de me dire ? » Je considérai longuement le plafond, avant de reprendre. « Vous avez découvert d’autres indices ?

— J’ai une équipe sur les CD ROM. C’est un travail de fourmi. Une copie de tous les enregistrements est au centre de police scientifique d’Écully afin qu’ils nous apportent leur aide. Ils planchent dessus jour et nuit. Les informations remonteront jusqu’à votre service en temps réel au fur et à mesure des investigations. S’il a commis la moindre erreur, nous la découvrirons. À présent, vous pouvez visualiser les CD ROM si vous le souhaitez. Ne perdez jamais de vue que votre femme vous fait confiance et qu’elle a très certainement cherché, à l’image des yeux et du crucifix, à nous signaler quelque chose.

— Très bien… J’aimerais rester seul dans la pièce, si cela ne vous dérange pas…

— Je comprends, commissaire. Prenez le temps qu’il faudra… Je serai dans la salle voisine, si vous avez besoin d’un quelconque soutien. »

Et j’engloutis le premier CD ROM dans le lecteur. Et je m’assis sur la chaise. Et je priai Dieu de me pardonner pour ce que j’allais visionner… Et je le suppliai de m’apporter du courage. Beaucoup de courage… Et je sus, dès lors, que jamais, plus jamais, je ne pourrais fermer les yeux sans ma femme à mes côtés.

Parce que si cela devait encore arriver, alors, je préférerais mourir…


* *

*


La brusque impulsion des yeux se reliait au frère de Suzanne, mais j’avais beau me griller les neurones, je ne comprenais pas. Dès lors, je me convainquis que le seul moyen de découvrir la vérité était d’aller à la rencontre de Karl, son frère.

Je me lançai sur l’A3 puis l’A1, la pédale plaquée au plancher de ma berline. Mais la vérité m’attendait-elle vraiment à l’autre bout de ces voies d’asphalte ? L’hôpital psychiatrique retenait Karl depuis plus de six mois. Je débarquerais là-bas, et ensuite, quoi ? Je lui montrerais le film ? Je le perturberais plus qu’il ne l’était déjà ?

Après une trentaine de kilomètres, je bifurquai sur la première aire de repos que je croisai et partis me rafraîchir le visage sous un robinet d’eau.

Devant mes yeux, au-delà du ballet de tôle et de métal des camions, se dressait le regard implorant de ma femme, cette expression destinée à me mener quelque part, nulle part.

Quel rapport pouvait bien se nouer entre l’Ange rouge et Karl ? Pourquoi insister sur cette maladie nerveuse des yeux ? Pourquoi cherchait-elle à me rapprocher de la schizophrénie ? Et cette croix retournée, positionnée à l’envers, puis à l’endroit ? Cette dualité… Envers, endroit… Pile, face… Rouge, noir… Zéro, un… Zéro… Un… Zéro… Un… Des zéros et des uns…

Souvent, pour passer d’un problème à une solution, il suffit d’inverser quelques zéros et quelques uns…

L’idée me fulgura l’esprit comme un déchirement du ciel. La solution se décocha du fond de mon âme en lettres de feu. Dire qu’elle se cachait en moi depuis le début…

Je regagnai l’autoroute à toute allure, la quittai à la sortie suivante pour m’y réengager sur la voie opposée, explosant la limite de vitesse autorisée.

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