San-Antonio Des gueules d’enterrement

À Victor Merenda, affectueusement.

S.-A.

Que personne ne cherche de ressemblance entre les personnages de ce livre et d’autres tordus qui auraient le culot de s’intéresser à eux !

S.-A.

Première partie

CHAPITRE PREMIER Faut que je vous fasse rire !

Ce matin-là, Bérurier avait la figure en coin de rue sinistrée. Ses paupières étaient gonflées comme des valises d’ambassadeur au moment d’une rupture diplomatique et avec la couche de mélancolie qui lui couvrait le visage, on aurait pu regoudronner la nationale 7.

Pourtant, m’ayant serré la dextre des cinq saucisses constituant sa main aristocratique, il me dit cette phrase surprenante :

— Il faut que je te fasse rire !

Paroles dangereuses s’il en fut. En général, les gens qui vous font rire se gardent bien de l’annoncer.

— Voilà des années que tu me fais rire, affirmai-je, repose-toi, Gros, j’ai acheté le Vermot pour faire l’intérim…

Mais il serait plus aisé de capturer un V1 avec un filet à papillons que de stopper Béru lorsqu’il est lancé.

Il respira d’un coup de naseau trois mètres cubes d’oxygène, ce qui lui permit d’en dire long avant que ceux-ci fussent transformés en gaz carbonique.

— Figure-toi, me dit-il, que mon neveu s’est marié…

— Le boxeur ?

— Oui…

— Et sa carrière ?

— Il a raccroché les gants…

— Il a eu une indigestion de marrons ?

— Dans un sens, oui. C’était un solide cogneur, bien posé sur les jambes de devant, il faisait penser à Cerdan, si tu te souviens ?

— C’est vrai, reconnus-je, hors du ring, c’était Cerdan tout craché !

— Seulement, poursuivit le Gros, il encaissait mal. Un poing d’acier, mais une mâchoire de verre !

— Toi, lui dis-je, tu n’as pas raté un seul film de Humphrey Bogart !

Béru balaya mes sarcasmes d’un geste auguste.

— Brefle, il s’est marié ! Sa femme est charmante, elle travaille comme petite main chez Martin, le célèbre couturier de La Garenne-Colombes… Quant à mon neveu, il a trouvé une situation d’avenir…

— Ah ?

— Il est huissier…

— Il avait fait son droit ?

— Il est huissier au ministère des Finances. Il peut monter en grade…

— Et devenir ministre, aux Finances, tu parles, on cherche du monde ! Maintenant, on va les enrôler de force, les ministres des Finances, ça sera ça ou les commandos de parachutistes…

Béru, agacé, bâilla d’énervement, m’offrant ainsi une vue panoramique de ses cordes vocales.

— Le mariage a eu lieu hier, m’expliqua-t-il.

Je compris alors la raison de sa mine défaite, de son regard jaune et de cette extériorisation aussi intense de son foie.

— Tu t’es blindé, naturellement ?

— C’était une occasion, non ? Du reste, le champagne était bon. Et y avait de l’apéro à Giono : le frère de la mariée travaille chez Cinzano.

Il sortit de sa poche un flacon douteux qu’il déboucha d’un coup de dents et dont il engloutit le contenu.

— Un petit coup de gnole, m’expliqua-t-il, y a rien de tel pour chasser la gueule de bois.

Il me souffla au visage une bouffée d’alcool de dernière qualité et clapa la langue d’un air satisfait.

Puis il sourit et répéta avec l’obstination qui a toujours fait sa force :

— Faut que je te fasse rire.

Je me demandai, à cet instant, pourquoi personne n’avait eu l’idée de lui flanquer une balle dans le crâne. C’eût été de la légitime défense, pure et simple.

Je fis un signe d’acquiescement :

— D’accord, mais vas-y prudemment, j’ai la rate en rodage.

Le Gros dégrafa la partie supérieure de son pantalon.

— Je fais un peu d’aérophagie, s’excusa-t-il.

— Si encore tu n’avais du vent que dans la brioche, Gros, y aurait demi-mal.

Il joignit ses sourcils broussailleux, ce qui donna instantanément à son altier visage l’expression ravagée du monsieur qui sollicite d’urgence un laxatif. Mais Béru a ceci de bien, c’est qu’il n’est pas rancuneux. Les offenses glissent sur son âme comme une pluie de printemps sur les Établissements CCC.

— Ma femme et moi, me dit-il, le nuage passé, on s’est creusé la tête pour savoir ce qu’on allait offrir aux jeunes époux. J’avais une idée originale : une lampe de chevet. Mais ils en avaient reçu déjà quatorze. Alors, on leur a demandé ce qu’ils avaient envie.

— J’espère que ça n’a pas été d’un cours de grammaire, ai-je soupiré.

— Non, poursuivit Bérurier. Ils voulaient un appareil photographique.

— Aspirations modestes, on en trouve à des prix raisonnables.

— Et comment : j’ai couru aux Puces !

J’étais depuis toujours accoutumé aux fantaisies du Gros, mais j’avoue que cet aveu m’a fait sursauter. Le fait d’aller acheter au marché aux puces un cadeau de noces dénotait une grande pureté de cœur.

— Et tu as trouvé ?

— Tu me croiras si tu veux, mais j’ai mis la main sur un Smelflex absolument neuf ! Et tu sais combien je l’ai payé ?

— Vas-y, je suis prêt à tout.

— Cinq mille balles ! Étui compris…

Je me permis un haussement d’épaules, lequel, vous l’avouerez, venait bien à son heure.

— Pour ce prix-là, dis-je, tu aurais pu leur offrir ta hure en Gevacolor. Elle eût été plus efficace dans les cas de constipation aiguë !

Mais il rêvait à son cadeau. L’appareil jouait la Marche nuptiale avec son soufflet dans le crâne de Béru où il y a tellement de place qu’un cirque pourrait y dresser son chapiteau. Ses yeux ressemblèrent brusquement à deux obturateurs.

— Il était tellement neuf, cet appareil, enchaîna le Gros, que ma femme est allée acheter une boîte de papier à lettres au Printemps…

Je fis un geste de la main pour marquer l’incompréhension. La conversation de Bérurier est à ce point décousue qu’on a toujours l’impression d’écouter la radio anglaise pendant l’Occupation. Chacune de ses phrases boiteuses possède un sens caché.

— Écoute, Einstein, lui ai-je déclaré, si je réalise au premier coup d’œil le rapport existant entre toi et le chiffre zéro, par contre celui qu’il y a entre un appareil photographique d’occasion et une boîte de papier à lettres achetée au Printemps m’est moins perceptible…

Béru sortit sa blague à tabac de sa poche revolver. L’objet était en caoutchouc et sentait l’autobus un jour de pluie. Ses formes s’étaient altérées et il n’était pas sans évoquer un vieux bandage herniaire. Depuis belle lurette la fermeture Éclair initiale ne fonctionnait plus et la poche étanche se fermait au moyen d’une forte épingle de sûreté (ce qui est normal pour une blague de policier).

Un sourire gras comme un tour de chant des Peters Sisters flotta sur les lèvres de Bérurier tout le temps qu’il mit à se confectionner une cigarette.

Ses gros doigts boudinés avaient peine à emprisonner le tabac dans le mince cylindre de papier. Ils y parvinrent pourtant. Le Gros tira alors de sa bouche une langue écœurante comme une traversée de la Manche un jour de grand vent. Il humecta la bande de papier, et la cigarette qui n’avait jusqu’alors aucun aspect déterminé adopta immédiatement celui d’une limace.

— Prends ton temps, lui conseillai-je, je vais me faire une réussite !

Le Gros me toisa de bas en haut, puis de haut en bas.

— Pour un crac de la sourde, tu la fous mal, me dit-il. Je t’ai dit que l’appareil était pratiquement neuf, tu me suis ?

— On n’a aucune difficulté à suivre un rouleau compresseur.

— Bon, réfléchis ; en achetant une boîte de papier à lettres au Printemps, Mme Bérurier a, en supplément, eu droit à un bel emballage. Cet emballage nous a servi pour l’appareil photo… Tu connais la chanson : c’est pas l’objet qu’il faut regarder, c’est la façon de le présenter !

Il rit. Lorsque Béru rit, vous pouvez croire qu’il se passe quelque chose. On se dégrouille de téléphoner à la météo pour voir si aucun cyclone n’est signalé.

— Tu es très astucieux, convins-je. Le jour où je t’offrirai à quelqu’un, je me procurerai une charretée de Persil pour te mettre en valeur…

Estimant la conversation terminée et ayant du travail en souffrance, je m’apprêtais à mettre les adjas, mais Béru saisit mon revers, lequel se fripa comme de la chicorée frisée.

— Attends, je t’ai pas dit le plus beau ! Faut que je te fasse rire !

— Ce n’est pas une nécessité absolue, Gros…

Mais cette enflure ne me lâchait pas. Bérurier est une sorte de bull-dog. Il a les chailles crochetées. Lorsqu’il vous tient comme il me tenait, pour lui faire lâcher prise, il n’est qu’un seul moyen : le chatouiller sous les bras. Les coups le laissent insensible et n’entament jamais sa sérénité. J’eus donc recours à cette ruse innocente. Béru se mit à glousser comme une jeune fille avec un air tellement stupide qu’on avait envie de solliciter pour lui une pension d’invalidité.

Le chatouillis a ceci de commun avec le mal de mer, c’est que ses effets cessent en même temps que la cause. Le Gros reprit très vite la gravité inhérente à ses fonctions.

— En voilà des manières, explosa-t-il. Si le Vieux te voyait !

Je partis et il me suivit à mon bureau. Au moment où j’en refermai la porte, il bredouilla encore :

— Faut que je te fasse rire…

Sa phrase se termina par un bruit d’escalope de veau meurtrie.

— Espèce de brute ! hurla le Gros à travers le chambranle.

Ce matin-là, j’œuvrai sur une affaire de travellers chèques falsifiés pendant deux heures. Ensuite, je montai au labo voir Favier qui avait pris des photocopies des documents douteux… Nous discutâmes de l’affaire et je m’apprêtais à larguer les amarres lorsqu’il sourit.

Chez Favier, un sourire c’est toujours un événement. Ce gars-là est plus triste qu’un cierge. S’il n’en a pas les larmes, il en possède du moins la couleur.

— Bérurier vous a raconté ? me demanda-t-il.

— Raconté quoi ? fis-je distraitement.

— Son aventure avec l’appareil photographique ?

Je me sentis vaciller sur mes fondations — ou, pour le moins, sur mon fondement. Pour que Favier appelât ça une aventure, il fallait que cette suite à l’histoire que j’avais colmatée à coup de vantail de porte dans la gargane de Bérurier représentât un certain intérêt.

— Figurez-vous, poursuivit le gars, que Bérurier a acheté un appareil photographique aux Puces pour l’offrir à son neveu qui se mariait. Comme l’engin était pratiquement neuf, il l’a enveloppé dans un beau papier du Printemps…

Tout cela, je le savais. Même que ça commençait à me court-circuiter la glande de la patience.

— Bon, enchaîna Favier, il donne ça aux jeunes époux… Ces jouvenceaux le congratulent… On déplie le présent ! On pousse des cris devant le somptueux appareil… On l’ouvre… Et…

Je commençais à dresser le bout de l’oreille.

— C’était un appareil photographique lance-eau ? suggérai-je, donnant par cette supposition la bonne mesure de mon esprit farceur.

— Non, s’esclaffa Favier, mais ils ont trouvé un rouleau de pellicule engagé à l’intérieur… Bérurier a eu bonne mine !

En effet, c’était du poilant de la bonne année. Et ça cadrait aux pommes avec l’éminente personnalité du Gravos !

— Je la replacerai, dis-je à Favier. Comment ce tonneau de gélatine s’en est-il sorti ?

Favier haussa les épaules.

— Il a prétendu qu’il avait voulu essayer l’appareil… Il a récupéré la bobine…

— C’est lui qui devait en faire une drôle !

— Et comment…

Le grand cierge s’approcha d’une cuvette de faïence. Des rectangles de pellicule trempaient dans un bain.

— Je lui ai demandé la pellicule en question, dit-il.

— Pourquoi fiche, vous n’avez pas assez de turbin comme ça ?

Il rougit un peu, ce qui le fit ressembler à un cierge allumé.

— Je suis un maniaque de la photo. Pour moi, voyez-vous, une pellicule impressionnée est un mystère en suspens. J’ai besoin de la faire parler, de la faire vivre…

Tout en racontant ses complexes, il tirait les morcifs de négatifs de leur trempette et les mirait.

— Bien entendu, fit-il, cet idiot a ôté le rouleau de telle façon qu’il a pris le jour…

Je me penchai sur les rectangles flous. On ne distinguait que pouic… On eût dit des gros plans de crème fouettée, ou alors une nuit de noces au Spitzberg…

— C’est gagné, ai-je murmuré.

Favier arrivait à la dernière. C’est-à-dire à ce qui avait dû constituer la première photo impressionnée. Elle avait été épargnée.

— Enfin, fit-il, satisfait.

Il posa le négatif contre une plaque de verre, appliqua par-dessus l’énorme lentille d’un appareil grossissant et alluma une ampoule électrique. Nous eûmes alors une vision parfaitement nette et dix fois multipliée de l’image.

— Vous espériez quoi, demandai-je, du porno d’amateur ?

Je vis que j’avais misé juste. Favier se troubla. Ce gars-là devait s’être constitué une gentille collection relative aux nombreuses combinaisons qui permettent d’accrocher quatre jambons à un clou.

En tout cas, il en était pour ses frais de tirage, car le négatif représentait un type entre deux âges.

— C’est sûrement pas la photo d’un nègre, estimai-je.

— Pourquoi ? demanda inconsidérément Favier.

— Parce que le négatif est noir ! Ce type-là doit être pâle comme un zig qui vient de rater soit le prix Goncourt, soit douze marches de son escalier.

Sur cette estimation pittoresque, je quittai le laboratoire et allai, midi sonnant au bracelet-montre de Notre-Dame, écluser le vin blanc de la mi-temps.

Précisément, mon honorable collègue Pinaud était debout devant le comptoir, tel un prêtre officiant. Il avait élu pour vin de messe une petite roussette de Savoie que le taulier d’ici venait de recevoir et qui vous mettait dans le clapoir un parfum délicat.

Tout en dégustant ce sirop de vigne, le vieux salingue faisait de louables efforts pour filer un coup de périscope dans le décolleté de la soubrette. Il usait d’un subterfuge vieux comme mes robes : il réglait au fur et à mesure chaque verre qu’il consommait en s’arrangeant pour laisser tomber une pièce de monnaie en deçà du rade.

Naturellement, la serveuse se baissait pour ramasser le vil argent ! Lors, notre Pinuche insinuait son regard faisandé par l’échancrure du corsage noir, à l’intérieur duquel une paire de roploplos délicats faisaient l’appel au peuple.

Je profitai du panorama à l’aide d’un travelling latéral, puis je sermonnai Pinaud.

— Je sais bien qu’à ton âge on devient un contemplatif, Pinuche… Mais il est des limites qu’on ne doit pas franchir si l’on veut éviter de mettre le pied dans la morale.

Il s’est mis à renauder vilain, le Vieux, comme quoi il avait assez de carat pour se dispenser des sermons d’un blanc-bec et il a terminé en m’affirmant qu’il préférerait mettre le pied sur la partie la plus articulée de mon individu plutôt que sur la morale.

J’ai commandé une tournée et ça l’a calmé.

Il s’est mis à me raconter le drame de son voisin de palier qui ne parvenait pas à procréer. Le malheureux ne savait plus à quels seins se vouer…

— S’il te prend comme manager, je le vois mal parti, ai-je affirmé.

Pinuche a promptement retiré sa petite moustache qui macérait dans son verre de blanc.

— Môssieur San-Antonio, s’est-il rebiffé, puisque vous m’obligez à entrer dans certains détails intimes, laissez-moi vous dire que ma virilité se moque de vos atteintes !

— Te lance pas dans l’abstrait, Pinuche ! Et moule le style Régence, car tu te prendrais les pieds dans des subjonctifs vicelards !

Toutes ces parlotes pour bien vous montrer, les mecs, que ce jour-là, rien ne laissait prévoir l’imminence d’une aventure ahurissante.

L’air n’était pas plus vicié qu’un autre jour. Les gens avaient des tranches de lundi, la bonne du bistrot avait mis ses deux nichons, Bérurier jouissait de sa connerie proverbiale et Pinaud fonçait allégrement dans le gâtisme… Bref, tout n’était qu’harmonie…

Et alors la lourde du troquet s’est ouverte à la volée. Favier est entré. Il n’avait pas pris le temps d’ôter sa blouse blanche.

Sa figure ressemblait au point d’exclamation qui ponctue les titres des Folies-Bergère.

— Je me doutais que vous étiez là ! s’est-il écrié.

Il m’a exposé devant la frime une photographie humide comme un veau nouveau-né.

— Regardez, monsieur le commissaire… Ça n’est pas la photo d’un nègre, en effet, mais c’est celle d’un mort !

CHAPITRE II Éclairage au néant

J’écarquille les carreaux. Il dit vrai, Favier… Le quidam dont la bouille a résisté au jour ne devait plus penser à grand-chose lorsqu’on lui a tiré le portrait. Il est pris de face, mais on aperçoit nettement à sa tempe gauche un trou gros comme la capsule d’une bouteille d’eau minérale. L’orifice est auréolé de noir. J’examine le personnage en détail. Je connais bien ce genre de photo. À la Grande Taule, on en fabrique d’identiques lorsqu’on a dégauchi un macchab dont on ignore l’identité. On fait un brin de toilette au monsieur, on lui nettoie la vitrine, on y colle du Rouge Baiser aux labiales, du noir au-dessus des lampions, on ouvre ceux-ci pour que le zouave paraisse vivant, on rajuste son nœud de cravetouze et roulez les rotatives.

Je me perds dans la contemplation de l’étrange personnage jailli du néant. C’est un bonhomme maigre, d’une soixantaine d’années, au visage anguleux, aux joues creuses, au front bombé.

Il a le cheveu plat, une raie très basse à la démocrate-chrétien et les étiquettes un peu décollées.

Le monsieur en question semble sévère, mais ça doit venir de son regard mort. Ses yeux très clairs sont intégralement vides, et pour cause. Ses lèvres minces sont rentrées, donnant à la bouche ce quelque chose d’effrayé et de féroce qui marque le grand passage.

Favier se caresse le menton, ce qui, chez cet être grave, est un signe de jubilation.

— Que pensez-vous de ça ? me demande-t-il.

Pour l’instant, j’avoue que ça se bouscule un peu sous ma coiffe. « Faut que je vous fasse rire ! » annonçait le gros Bérurier. Elle est bien de lui, celle-là ! Cette émanation hors concours de la stupidité humaine a collé ses grands pinceaux dans un drôle de pastaga. C’est inouï ce que nous avons le chic, nous autres poulets, pour tomber sur des trucs bizarres sans les chercher. Le Béru fait l’emplette d’un cadeau de noces pour son neveu, il l’achète aux Puces et, en supplément du programme, à titre de prime, on lui brade avec l’appareil photo le portrait d’un homme qui, si je ne m’abuse, comme dirait un faucon, a reçu un berlingot dans la mansarde.

— Asseyons-nous, proposé-je.

J’entraîne Favier à l’écart, sans tenir compte des bêlements de Pinaud qui tient à me faire observer que je n’ai pas réglé la tournée.

— Attendez, vieux, dis-je en passant la photo sur le marbre du guéridon, ne nous affolons pas et surtout gardons-nous de faire de la littérature à trois francs.

J’examine le monsieur à la tempe oblitérée.

— Peut-être s’est-il suicidé ? suggéré-je. Quelqu’un de sa famille a voulu garder un souvenir de lui…

— Hum, fait-il. Il faudrait admettre qu’il était gaucher.

— Pourquoi pas ?

— Certes, mais les droitiers sont en majorité. Et puis…

Il extrait de sa poche une loupe qu’il me tend.

— Regardez, le projectile est entré nettement de haut en bas, les lèvres de la plaie ne laissent aucun doute sur ce point…

Je constate la chose.

— On se demande comment il aurait dû tenir le pétard pour se faire ça soi-même, appuie Favier.

Je jette la loupe sur la table. Au bruit, la servante aux roberts avantageux annonce son sourire Colgate.

— Ça sera ? s’informe-t-elle en posant sur moi un regard qui ferait éclore une couvée de crocodiles.

— Une bière ! décrète Favier qui a le sens de l’à-propos.

Je reste fidèle au petit blanc de Savoie.

Je n’arrive pas à cristalliser ma pensée sur cette histoire. Le fait qu’elle soit provoquée pas le gros Béru m’empêche de la prendre au sérieux. Il doit y avoir une explication à ça… Peut-être un journaliste a-t-il photographié le défunt pour son canard et l’a-t-il laissé choir postérieurement pour une affaire plus excitante ?

— Cette bouille ne vous dit rien ? je questionne.

— Non, assure Favier. Je vais la montrer à David, des Sommiers, il a dans l’œil et dans ses fichiers le portrait parlé de tous les gars disparus ou morts de façon violente…

— O.K., je vais bouffer un morceau ici… Dès que vous aurez du nouveau, faites-le moi savoir.

Il écluse son résidu de houblon et je lui en serre cinq à la fois.

Je hèle la vaillante soubrette pour lui dire de me sustenter. Cette jouvencelle, dont la fine moustache ouvre des horizons infinis sur son système pileux, me révèle que le plat du jour se compose de saucisse de Toulouse. J’en sollicite une de sa haute bienveillance et elle me l’apporte en priorité sur le restant de la clientèle. Pour tout vous dire, la charmante enfant a un faible pour moi ; un faible assez fort !

Comme toute peine mérite salaire, j’y vais de la tarte à la crème.

Je lui affirme que ses yeux paraissent découpés dans du velours, que sa bouche est un piège à baisers et que si on mettait en vente ce qui lui remplit le corsage, Boussac devrait bazarder tous ses bourrins pour en douiller la juste valeur.

Après ces salades, la môme se prend pour Sophia Loren et regagne son bac à plonge comme s’il s’agissait d’une salle de bain en marbre noir.

Le gars San-Antonio attaque gaillardement l’estimable saucisse qui repose sur un lit de lentilles pour lesquelles Ésaü ferait de nouvelles bêtises… Dans ce troquet, le menu tiendrait sur un ticket de métro, mais ce qu’on y tortore est de first quality.

J’avale la suprême bouchée lorsque Bérurier paraît. Il est blindé comme un croiseur de bataille. Je comprends qu’il a retravaillé sa biture nuptiale. À force d’avaler des calmants à soixante-dix degrés pour lutter contre la g.d.b., il a ramassé une caisse plus monumentale que celle de la veille. Il tient à peine debout et un regard un peu trop appuyé le ferait tomber.

Le regard noyé, le geste lourd, il s’approche de ma table.

— C’qu’je… commence-t-il.

Il se tait, pensif, cherchant des syllabes à assembler. Mais sa tête ressemble à une cour de récréation. Les idées galopent dans tous les sens…

Je lui désigne la banquette d’un geste péremptoire qui, je l’espère, traversera son brouillard.

— Assieds-toi là, Gros, et oublie que tu existes. Ça n’est pas parce que ta maman a eu des cauchemars en t’attendant que tu dois en supporter les conséquences.

Il s’assied. Son chapeau informe est de traviole et sa barbe pousse à vue d’œil. On croirait visionner un court métrage sur la germination instantanée.

Favier s’annonce à nouveau. Il est calme, maintenant, sérieux comme un pape.

Il tient un agrandissement de la photo et il me la tend en disant :

— Mystère total… Aucune trace de cet homme nulle part ! Rien aux Sommiers, rien à la Criminelle. Personne ne se souvient de lui… J’ai montré l’image à Morel, le reporter spécialisé dans les affaires criminelles, il est certain de n’avoir jamais vu cet oiseau…

Pendant que je regarde l’homme de la photo, Béru siffle mon verre.

Favier se tourne alors vers lui. Il ne remarque pas sa biture et déclare :

— Vous avez fait du beau !

— C’était la noce à… mon… heu… ne…

C’est tout ce que peut proférer le Gros.

— Qu’a-t-il ? demande le gars du labo, lequel est sobre comme une caravane de chameaux.

D’un geste bref, mais significatif, je lui apprends la nature du mal dont souffre Bérurier. Il a une grimace méprisante.

— Se mettre dans des états pareils ! dit-il. C’est honteux… Abdiquer toute dignité humaine, je vous jure…

Béru, se sentant l’objet de ces sarcasmes, concentre sa lucidité et dit qu’il n’a rien abdiqué du tout et qu’il est prêt à subir un test pour prouver aux esprits malveillants qu’il n’a pas une seule goutte d’alcool dans les veines.

— Qu’on me fasse une prangse de si ! conclut-il avec force.

Favier hausse les épaules.

— Alors ? me demande-t-il. Que faisons-nous ?

J’empoche l’image et je me lève.

— Je vais m’occuper de cette curieuse affaire, dis-je. On peut dire que ce mystère est né du néant !

Je demande à la serveuse un café noir très fort et lui dis d’y laisser tomber quelques gouttes d’ammoniaque.

Lorsque ce breuvage de choc est sur la table, j’exige de Bérurier qu’il l’absorbe. Dans l’état où il se trouve, le Gros avalerait aussi bien un aquarium de poissons exotiques. Il m’obéit et, à son regard, je vois que ce traitement lui a causé la secousse efficiente.

— Allez, en route ! fais-je. Mon bon Favier, je vous tiendrai au courant.

— Où qu’on va ? s’inquiète Béru.

— Chez ton neveu, lui dis-je. Quand ta ligne sera rétablie, je t’expliquerai, Gros. Pour le moment reste aux abonnés absents. Et donne-moi l’adresse du Cerdan des pauvres.

CHAPITRE III Je cherche des crosses… et j’en trouve une !

J’embarque le Gros dans mon carrosse et je ne lui décroche pas une broque. L’air mouillé de Paname entre à plein chapeau par les vitres baissées. Béru claque des chailles et sa frite se décompose dans le vent.

— Nom d’un chien, bredouille-t-il au bout d’un moment, je me sens pâle des genoux.

Prévoyant le pire, je l’arrête à l’orée d’un square et il va s’expliquer avec le pied d’un arbre. Une nourrice sèche qui promène par là un nourrisson humide se met à crier à la garde. Elle se sauve en poussant le chiare dans sa poussette. Voilà comment on file le virus de la vitesse aux mouflets.

Lorsque le Gros s’est suffisamment désintégré, il revient dans ma bagnole. Ses yeux sont rouges comme deux boulets d’anthracite en combustion. Un filet de bave coule aux commissures de ses lèvres, le faisant ainsi ressembler à un boxer que j’ai beaucoup aimé.

— Ça va mieux, avoue-t-il. Je dois avoir le foie dérangé… Ou alors c’est cette sauce tartare d’hier qui n’était pas fraîche !

— Si tu avais un foie, Gros, tu en aurais entendu parler depuis belle lurette… Avec toutes les saloperies que tu te colles dans l’œsophage !

Il est un peu penaud.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande-t-il après son silence contrit. J’ai cru comprendre qu’il y a du rififi dans la strasse ?

— Il se passe que tu nous as branchés sans le vouloir sur un petit problème…

— Moi !

— Toi, oui, mon chérubin… Avec ta foutue manie d’acheter des occasions neuves…

— Je ne pige pas !

— Inutile de le préciser, on le sait ! Tu as pratiquement été conçu et mis au monde pour ne rien piger… Tu es un roseau qui ne pense pas !

Il se rembrunit comme un dos de pin-up en vacances à Cannes.

— Gueule pas si fort, supplie-t-il, ça me résonne dans la tête…

— Elle peut résonner, ta tête, étant donné qu’elle est vide… Tu te rappelles ce rouleau de pellicule qui se trouvait à l’intérieur de l’appareil photographique ?

— Oui…

— Favier te l’a demandé ?

— Oui.

— Il l’a développé…

— Ah ?

— Il n’y avait qu’une photo potable…

Je lui lance le rectangle de carton sur les genoux. Il le cramponne et y concentre son attention.

Tout en pilotant ma tire, je le surveille en coulisse.

— Alors ? interrogé-je, qu’en dis-tu ?

Il hoche la tête.

— On dirait que ce type a morflé une olive dans le plafond, non ?

— Oui, on le dirait…

— Tu ne trouves pas que c’est un curieux sujet à photographier, toi ?

— Si…

Il est abasourdi.

— Alors ce gars-là se trouvait dans l’appareil ?

— Oui, il y était tapi, le sournois… Il n’attendait qu’une occase pour déboucher dans notre vie…

— Et pourquoi que tu veux aller chez mon neveu ?

— Pour récupérer le Smelflex, pardine… Il faut savoir d’où vient l’objet, non ?

Béru connaît suffisamment le métier pour admettre que j’ai raison.

— Les jeunes sont partis en voyage de noces, objecte-t-il.

J’en file un coup de frein brutal. Malédiction ! Je n’avais pas pensé à ça. Nature, ils ont emporté l’appareil, les tourtereaux, manière de mitrailler leur bonheur. Et ils vont se tirer le portrait, entre autre chose, en long, en large et en Agfacolor…

— Oui, admet Bérurier, c’est c…

Tant de précision dans le raccourci de sa pensée me fouette le sang.

— Où sont-ils partis en vadrouille, ces amours joufflus ?

— À Riva-Bella… Un cousin d’une amie de ma femme tient un hôtel là-bas… Il leur a fait des prix, comme ça n’est pas la saison.

Il s’est marida à l’éconocroque, l’ancien boxeur… C’est bien, ça : il l’aura, son frigo… Et, plus tard, sa canne au lancer léger…

L’avenir est aux gens prévoyants, à ceux qui ont un livret de Caisse d’épargne et qui achètent de la choucroute pour huit jours sous prétexte que ça se réchauffe…

Je me gratte le dôme.

— Tu es sur quoi, en ce moment ?

— Sur l’affaire Bugnazet, dit-il. Tu sais, ce commandant qui a oublié des documents intéressant la Défense nationale dans un bosquet du bois de Boulogne…

Je hausse les épaules.

— Alors, rien ne presse, les documents n’intéressent plus personne à cette heure, pas même la Défense nationale. On va aller faire la bise à ton neveu…

— Mais, balbutie-t-il.

— Quoi ?

— C’est loin…

— Riva-Bella ? À peine deux cent cinquante bornes… On peut très bien faire l’aller-retour dans la journée…

Il soupire :

— Ne va pas trop vite…

— Mais non, tu sais bien que ma voiture ne dépasse pas le cent-soixante…

Il gémit comme le fermoir d’un porte-monnaie écossais.

— Tu vas gagner le canard un de ces jours, San-Antonio…

Tel un météore ou un satellite artificiel, notre équipage traverse Mantes, puis Évreux… Le Gros est acagnardé sur sa banquette, cramponné à son bitos… Ses gobilles fixées sur le cadran de vitesse, il annonce d’une voix geignarde :

— Cent quarante ! Cent quarante-cinq…

J’écrase la girole.

— Il y a un virage signalé, crie Bérurier.

— Je sais, merci…

— Ralentis ! C’est de la démence… Tu vas…

À la fin, j’en ai classe de ses jérémiades.

— Écoute, bonhomme, lui dis-je, si tu ne la boucles pas immédiatement, je vais faire de l’excès de vitesse pour de bon et il ne sera pas impossible que ta femme reçoive par paquet-lettre ce que tu possèdes de plus précieux : à savoir tes trois dents en or…

Il la ferme instantanément.

Ensuite, c’est Lisieux, puis Caen… Le Gros me dit qu’il mangerait bien des tripes vu que son malaise est maintenant complètement dissipé.

Cette résurrection me fait sourire.

— Au retour, mon vieux boa, au retour… J’ai hâte de mettre la paluche sur ton cadeau de noces.

Encore une vingtaine de bornes et nous arrivons dans la petite station balnéaire de Riva-Bella. Le coin est charmant comme un terrain vague. Pour corser encore la tristesse ambiante, la mer est tellement démontée que les sardines doivent prendre mal au cœur.

Béru connaît le patelin. Il nous dirige droit à l’hôtel Mes Délices, où les amoureux savourent les leurs. Le gargotier se fait tartir comme une croûte de pain derrière une malle. Pour le quart d’heure, il fait les mots croisés du Hérisson et cherche un mot de trois lettres commençant pas c et finissant par n qui veuille dire « vous en êtes un autre ». Il avise Bérurier et c’est une révélation pour lui. Il note fiévreusement sa trouvaille et s’empresse.

— Quel hasard ! demande-t-il.

Le Gros s’affale sur une banquette qui ne lui avait cependant rien fait.

— Vite, un calva ! mugit-il. La voiture m’a barbouillé…

Le taulier s’empresse. Mon pote engloutit l’alcool de pommes et clape de la menteuse avec conviction.

— À part ça, rien de cassé ? s’inquiète le maître de Mes Délices.

— Non, dit Béru, rien, les jeunes sont là ?

— Oui, dans leur chambre…

— Allons-y, fais-je au Gros.

Nous grimpons un escadrin vertical aux marches luisantes d’encaustique. Bérurier glisse sur l’une d’elles et redescend à plat ventre. Il se dresse, humilié par sa chute, se frotte les genoux, tire sa montre de son gousset et vérifie qu’elle marche encore. C’est un formidable oignon d’un mètre de diamètre qu’il a déjà légué par testament au clocher de sa paroisse.

— Rien de cassé ? demandé-je.

Il secoue la tête. Nous parvenons à l’étage et mon camarade s’arrête pour reprendre souffle. On dirait qu’il vient d’escalader l’Everest…

Je vais frapper à la chambre 12 lorsque des cris retentissent. La jeune épousée est en train d’appeler sa mère à pleine gorge ! Notez qu’elle serait bien emmouscaillée si la vieille radinait à cet instant.

Béru en rosit.

— Ma parole, dit-il, ils remettent le couvert !

— Ils sont là pour ça, non ?

Nous attendons la fin de la séance pour nous manifester.

Un conflit éclate entre les tourtereaux pour une mesquine question de rythme… La petite est pour l’accélération, tandis que le boxeur se déclare partisan d’une allure modérée. Probable qu’il a vu l’écriteau fiché à l’entrée du bled : « Ralentir, chaussée bombée ! » De toute façon, comme c’est lui qui conduit, il fait prévaloir son point de vue. La môme se soumet.

— Tu vois, chuchoté-je à mon compagnon, tout est question d’adaptation dans la vie.

Béru est couleur framboise. Sérieusement émoustillé, le zig ! Je vous parie bien une brosse à dents de scie contre une calvitie de notaire que si je n’étais pas là, il mettrait l’un de ses yeux au niveau de la serrure.

Comme un soupir nous parvient, nous concluons que la représentation est terminée et nous frappons à la porte.

Un silence, puis la voix essoufflée du Bérurier junior retentit :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Tonton ! dit le Gros en dénouant sa cravate.

L’ex-boxeur croit à une calamité familiale et se hâte de délourder. Il est vêtu d’un seul slip et il a des yeux cernés comme l’armée française à Waterloo.

— Mon Dieu ! fait-il en nous apercevant.

Nous entrons dans la pièce. Ça renifle l’amour et le renfermé. La jeune épousée se cache derrière un drap. Elle n’est pas jolie, mais gentille, et il y a dans son regard surpris autant d’intelligence que dans le trou d’écoulement d’un évier.

Béru calme les inquiétudes du couple en louchant sur un bout de sein de sa nièce qui se barre par-dessus la carrante.

— Je viens chercher l’appareil photographique que je vous ai offert, dit-il.

Ils en sont comme deux ronds de flan à la vanille.

— Le… l’ap… l’appareil ! bredouille le boxeur.

Béru est emmouscaillé. Je lui viens en aide.

— Il l’avait montré à quelqu’un qui se trouvait dans notre bureau, ce quelqu’un l’a touché et nous voudrions récupérer les empreintes… Dès demain nous vous le renverrons par colis postal…

Le neveu, qui croyait déjà que sa bonne veille maman avait passé sous un autobus, est soulagé. Il va chercher l’appareil et nous le tend. Nous remercions, nous nous excusons et laissons les jeunes mariés à leurs ébats.

Le taulier nous guette au bas de l’escadrin.

— Ça marche, là-haut ? s’inquiète-t-il.

— Très bien, le rassuré-je, du train où vont les choses, non seulement on peut espérer un garçon, mais il est probable que ce sera un cosaque !

Nous bombons jusqu’à Caen où Béru, suivant la promesse que je lui ai faite, se cogne une casserolée de tripes. Les amours de son neveu auxquelles nous avons assisté de façon auditive l’ont plongé dans une sorte de tendre euphorie. Il est attendri, ce cher homme.

La bouche pleine, la trogne congestionnée, le gilet déboutonné, le chapeau redressé, il me confie :

— Vois-tu, San-A., les Bérurier sont de solides amoureux. Je me souviens de ma nuit de noces…

Je hausse les épaules.

— C’est si loin tout ça, Béru…

La sauce des tripes lui dégouline aux commissures.

— Tu peux être certain que cette nuit-là Mme Bérurier a eu les doigts de pied en bouquet de violettes !

— Pourquoi, tu lui as fait une frayeur ?

Il se marre.

— Une drôle !

La nostalgie lui va bien. Sa cravate traîne dans l’assiette de tripes, il la pique avec un paquet d’entrailles et, par inadvertance, l’enfourne dans son clapoir.

Je m’apprête à lui faire observer combien une cravate, même à pois, est indigeste, mais un autre spectacle sollicite mon attention.

Notre bagnole est stoppée juste devant les troènes limitant la terrasse du restaurant. Et je m’aperçois qu’un type fringué d’un pardeusse marron et d’un chapeau noir est en train d’ouvrir la portière sans la moindre façon.

Je me lève avec une telle hâte que l’assiette de Bérurier bascule et qu’il prend le reliquat des tripes sur sa braguette qui en a vu bien d’autres — et des moins bonnes.

En quatre enjambées et demie, me voici dehors. Le bonhomme repéré depuis l’intérieur de l’usine à intestins vient de se saisir de l’appareil photo posé sur la banquette. Il fait volte-face pour se tailler, se trouve nez à nez avec moi et il est tellement sidéré qu’il en ouvre le bec autant que l’articulation de sa mâchoire le lui permet. Histoire de supprimer les courants d’air possibles, je le lui ferme d’un crochet au menton. Je vois alors ses yeux se brouiller comme un jeu de cartes renversé. Il titube, s’adosse au capot de la bagnole et reste les bras ballants, attendant une seconde pêche dont je lui fais grâce…

Vous connaissez les humains ? Illico, nous sommes cernés par une tripotée de quidams. Deux hommes qui se pitrognent, ça fait toujours recette ! Et voici messieurs les agents, à vélo, s’il vous plaît, l’air angélique, qui commencent par nous alpaguer au collet. Je n’ai que le temps de leur montrer mes fafs avant l’hécatombe. Lors, ils esquissent un salut et me proposent d’embastiller le voleur d’appareil photographique.

J’accepte d’autant plus volontiers que j’ai des questions multiples à poser au gars et qu’il me serait pénible de l’interroger devant tout le monde.

En route pour le poste !

Comme nous nous éloignons, Béru se met à gueuler depuis la lourde qu’il n’a pas d’oseille sur lui pour cigler ses tripes. Le patron, un grand chauve rébarbatif, lui barre le chemin.

— Fais la plonge pour payer ! lancé-je avant de disparaître.

Au commissariat, on met à ma disposition une petite pièce flétrie, chichement meublée d’une table en bois blanc et de deux chaises. Pour unique décoration : la photographie du président Coty, constellée de fientes de mouches.

Le type qui voulait secouer le Smelflex des Bérurier reste immobile, avec, à la pointe du menton, une mignonne tache jaune qui bleuira avant longtemps.

Je le défrime. C’est un grand gnace maigre comme un fakir, avec une figure de lavement mal digéré et des paupières bombées comme celles d’une grenouille ou de M. Daniel-Rops (de l’Académie française par Jésus interposé).

Je ferme la lourde et lui désigne une chaise.

— Assieds-toi !

Il obéit. Il semble rêveur…

— Aboule tes papiers !

Il met la main à sa poche intérieure, mais au lieu d’en sortir son larfouillet, il exhibe un très joli pétard de 9 mm.

— Il est à vendre ? demandé-je.

In petto, je songe que j’ai été une véritable crème d’andouille. J’ai négligé de fouiller le zig, faisant confiance à son air abattu. Et maintenant, s’il en a envie, il peut me coller dans la brioche autant de pralines qu’en contient son magasin.

D’un petit geste bref du canon, il me fait signe de lever les pognes. J’obéis. Croyez-moi, cet aimable farceur a sous ses paupières à demi-baissées une étrange lueur qui ne trompe pas un homme averti.

— Je vous parie une éclipse de lune contre la ligne bleue des Vosges qu’il serait fort capable de me flinguer en tout bien tout honneur.

Je hisse mes ustensiles à faire mouvoir les marionnettes à la hauteur de mes épaules.

— Mince de carte de visite ! apprécié-je. Sur simple présentation de ces papiers-là, on a droit à une place assise dans le métro, même les mutilés se flanquent au garde-à-vous…

Jusque-là, je tiens à vous le faire observer, je n’ai pas oui le son de sa voix. Il est peut-être muet, le chouraveur de Smelflex ?

Ou alors, il a un fusible qui a pété dans sa menteuse ?

Le voilà qui me fait signe à nouveau. Il a l’éloquence du geste, mon petit camarade. De façon on ne peut plus explicite, il m’enjoint de faire face au mur.

J’hésite, tiraillé entre ma dignité et mon trouillomètre qui flotte dans des régions minima, mais la dignité n’a jamais permis à un homme de devenir centenaire. Voyant le doigt du type se crisper sur la gâchette, je me décide à me coller au piquet. Mon naze est à quatre centimètres du papier de la tapisserie. Deux mouches en délire sont en train d’y faire ce que faisaient naguère les Bérurier Partners à l’hôtel Mes Délices. Elles ne se gaffent pas du critique de ma situation. Leur accouplement est intense. Je n’assiste pas à la fin du zizi-panpan car, brusquement, je déguste à la base du crâne une de ces infusions de matraque qui donnerait le goût de l’astrologie à un ver de terre.

Le mur se met à danser le rock and roll et je prends un billet de parterre.

Je ne perds pas conscience, pourtant, pendant un laps de temps que je ne suis pas en mesure d’évaluer, la réalité part en vacances au pays de l’abstrait. Un turboréacteur sauce mayonnaise mugit dans mes manettes… Je perçois vaguement un bruit de fenêtre ouverte et j’essaie de me mettre à quatre pattes… Au début, mon crâne en plomb m’entraîne en avant, pourtant j’arrive à me mettre droit.

L’homme au chapeau noir n’est plus là… Je me dirige vers la croisée à pas prudents. Elle donne sur une ruelle déserte… Bon, le zig s’est emmené promener sans attendre mon réveil.

Inutile de galoper… Je porte deux doigts prudents à ma nuque et j’ai envie de dire : « Excusez-moi, monsieur », car la protubérance que je caresse ne peut m’appartenir… Parole, ma tronche a doublé de volume ! J’agrandis mon stade en vue du match Toulouse-Lautrec !

La porte s’entrouvre et le visage d’un archer paraît. Il me contemple, réalise que je suis seul, aperçoit la bosse qui agrémente mon cirque d’hiver et extériorise son impression dominante de la façon la plus saisissante qui soit, la plus concise, la plus ramassée :

— Merde !

Et de se mettre à meugler comme un bœuf qui a sa crise de nerfs (de bœuf).

Les aminches du patelin se foutent carrément de moi lorsqu’ils apprennent mon aventure. Je dois reconnaître que pour un champion toutes catégories de la police, j’ai bonne mine. Il n’y a pas grande différence entre moi (dit mézigue) et deux kilos d’andouille pliés dans de la toile émeri.

Furieux comme un producteur de cinéma qui vient de signer par mégarde un chèque approvisionné, je quitte le commissariat.

C’est alors, et alors seulement, que je repense à Bérurier. Le Gravos doit renauder sauvagement. Peut-être qu’il s’est filé une toise avec le marchand de tripes ! Il est temps que j’aille payer son orgie…

Je regagne le restau en mâchouillant des insultes à l’endroit (et même à l’envers) de mon agresseur. Son coup de crosse m’a ouvert une perspective intéressante, non seulement sur la Voie lactée, mais aussi sur l’affaire scabreuse du mort photographié.

Les rues titubent un peu autour de moi, comme si elles étaient chlasses, mais je feins de ne pas m’en apercevoir pour ne pas les humilier.

Je pénètre dans le restaurant et j’avise le Gros affalé devant un verre de fine.

— T’en as mis du temps ! soupire-t-il. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Un escogriffe chouravait l’appareil photo.

— Pas possible !

— Si. Je l’ai embarqué à la maison Parapluie d’ici, mais figure-toi qu’au moment de l’interroger il m’a offert un voyage interplanétaire…

Je découvre ma bosse à mon pote. Il siffle d’admiration.

— Je n’ai jamais vu une aubergine pareille, assure-t-il. Fais-la photographier avant qu’elle désenfle, ça intéressera le musée de l’Homme !

Je hausse les épaules et sors mon crapaud pour casquer le gargotier.

Béru a un geste noble.

— Inutile !

— Tu as retrouvé ton pognozoff ?

— Non, j’ai gagné mon écot au 421. Le taulier est un minable à ce jeu, il ne sait pas tricher…

Là-dessus, nous quittons l’établissement.

— Tu peux conduire malgré ta bosse ? demande mon valeureux camarade de combat.

— Merveilleusement, lui dis-je, l’aérodynamisme est un des principaux facteurs de la vitesse.

CHAPITRE IV Le petit écureuil… et le vieux gland

Retour sans encombre à Paris (Seine).

J’éjecte Bérurier devant sa lourde. Il fronce le sourcil en voyant le coiffeur du coin sortir de son immeuble. Les merlans sont bouclés le lundi et celui-ci, au lieu d’aller pêcher au pont de Suresnes, vient pécher avec Mme Bérurier. Le Gros est au courant, comme on dit à l’EDF. Il ronge son frein et ferme les yeux : l’infortune vient en dormant !

Je le vois rentrer un peu sa grosse tronche dans les épaules et saluer le pommadin d’un geste aimable.

Après tout, il vaut mieux que Mme Bérurier joue avec l’honneur de son mari plutôt qu’avec les rasoirs du coiffeur, comme ça elle ne craint pas de se couper.

J’embraye et regagne mon domicile. Félicie, ma brave femme de mère, m’attend en changeant le col d’une de mes chemises. Elle fabrique des cols et des manchettes dans les pans de ladite limace, si bien qu’après ce rodage de soupapes, la chemise m’arrive dix centimètres au-dessus du nombril.

— Salut, M’man, ça va…

Nous échangeons un baiser furtif mais solide. Le front de ma Félicie sent le cheveu gris et le savon de Marseille.

— Il y a un pigeon dans le Frigidaire, c’est le voisin d’à côté qui me l’a donné, je vais te le faire cuire…

Elle s’active.

Je pose mes lattes, ma veste et je me carre dans un fauteuil à bascule.

Le beurre crépite dans une cocotte… La radio joue en sourdine une valse anglaise triste comme un dimanche londonien… Je suis bien. J’aime notre pavillon, sa douceur, le trottinement de Félicie, l’odeur de terre mouillée du jardinet… J’aime nos meubles rococo, les perles de l’abat-jour, le chemin de table. La vie s’arrête à notre grille. Lorsque j’ai franchi celle-ci, je me trouve dans un univers suave, sucré, tiède…

La voix de M’man s’élève, tendre et préoccupée :

— Je t’ouvre une petite bouteille de bordeaux ?

— Eh, dis donc, M’man, c’est gala aujourd’hui ?

— Puisqu’il y a un pigeonneau…

— En quel honneur il t’a donné ça, le gâteaux d’à côté ?

— Ne crie pas si fort, Antoine, la voix porte !

— Il ne te ferait pas la cour, au moins ?

J’aime la faire rougir. Elle marche à tous les coups.

— Oh ! Antoine…

La voici qui revient, le ventre ceint d’un tablier blanc.

On entend toujours le floflottement du beurre et tout l’appartement renifle le pigeon en train de mijoter.

— Écoute un peu, M’man…

Elle sait que, dans mes instants de graves préoccupations, je lui narre mes tracas… Elle sait aussi que j’agis ainsi plus pour me permettre de penser tout haut que pour solliciter son avis. Elle s’assied.

— Alors ?

Je lui déballe le paquet, minutieusement. Lorsque j’ai terminé, elle se précipite sur ma bosse. Mais l’aubergine s’est dégonflée, ce qui calme instantanément ses angoisses.

— Bon, que penses-tu de ça, M’man ?

Elle essuie ses mains propres à son tablier.

— Je ne sais pas, avoue-t-elle. Et toi ?

— Moi non plus, je ne sais pas… Tout est tellement filandreux là-dedans. Lorsqu’on photographie un homme assassiné, on doit certainement se préoccuper de la pellicule, hein ?

— Il me semble…

— Pourtant un brocanteur a acheté l’appareil contenant cette image compromettante… Admettons… Il y a toujours une explication à tout. Mettons aussi que le type ayant tiré les photos du mort ait voulu récupérer l’appareil…

Je me tais. Ma pensée, à cette phase de l’histoire, est ténue comme une toile d’araignée. Un courant d’air la déchirerait… Félicie respecte mon silence. Elle voudrait bien aller retourner le pigeon, mais elle n’ose pas rompre le charme.

Je soupire…

— C’est ça, au fond, le plus inouï de l’affaire : ce type qui, à Caen, a tenté de reprendre l’appareil photographique… Comment a-t-il pu remonter la filière jusqu’à cet instant, hein ? Cela sous-entend qu’il avait retrouvé la trace de Bérurier… Qu’il avait su que le Gros avait offert l’engin à son neveu, qu’il avait suivi le couple… Oh non, je te jure que j’y perds mon latin, M’man…

Félicie va secouer la casserole dans la cuisine. Moi, je suis emberlificoté dans mon raisonnement comme un jeune chaton dans un écheveau de laine.

Réapparition de Félicie.

Elle est satisfaite, probable que le pigeon du voisin prend bonne mine.

— L’homme qui t’a assommé était peut-être un simple voleur de voiture, un… un… comment appelles-tu ces gens-là, déjà ?

— Des roulottiers, M’man.

— Oui. C’en était peut-être un, tu ne crois pas ?

— On ne menace pas un flic d’un pétard, on ne l’assomme pas pour une inculpation aussi vénielle, objecté-je.

— Il avait peut-être d’autres choses plus sérieuses à se reprocher ?

— C’est possible…

Je chausse mes pantoufles et je vais à mon garage récupérer l’appareil.

Je le pose sur la table et le sors de son étui pour l’examiner attentivement. C’est du truc à dix sacs, neuf, étui compris. Il n’a absolument rien de particulier, pas même un numéro de série. Rien de plus banal, de plus anonyme… Rien qui fasse davantage congés payés que ce 6 × 9 noir à boutons chromés.

Après l’avoir tourné dans mes paluches pendant la cuisson du pigeonneau, je suis d’accord avec Félicie : le type de Caen ne pouvait être qu’un roulottier. Je n’avais pas fermé la lourde de ma guinde et il a voulu sucrer le truc posé bien en vue sur la banquette. Au commissariat, il s’est donné peur. Sans doute a-t-il un pedigree déplorable ?

Bon, cette seconde question est classée. Je donnerai un coup d’œil aux Sommiers, demain, histoire de vérifier si mon agresseur y figure. En attendant, monsieur le poulet va se taper le pigeon. Et le plus pigeon de nous deux, croyez-moi, c’est le poulet !

Il n’est pas sept heures du mat lorsque je joue Parlez-moi d’amour sur la sonnette de Bérurier. En le quittant, je lui ai annoncé que je viendrais le tirer des bras de l’orfèvre et je tiens ma promesse.

Il vient m’ouvrir, tout gluant d’un sommeil réparateur. Il s’est glissé dans un pyjama à rayures qui le fait ressembler à un vieux zèbre malade.

— Tu joues Prison sans barreaux, mec ? lui demandé-je avec entrain. Je tapote son ventre épanoui dans le pyjama.

— Tu devrais faire vérifier le gonflage, un éclatement est si vite arrivé !

Il se marre et ouvre la veste du vêtement de nuit. Je découvre alors une poitrine velue comme une marchande de poissons napolitaine. Il se gratte lentement, ce qui fait pleuvoir des miettes de pain sur le tapis élimé.

— C’est une manie que j’ai prise de bouffer au lit, m’explique-t-il. Alors ça démange, s’pas ?

Tout en m’initiant à sa vie privée, il fait sa toilette sur l’évier de la cuisine. Ses ablutions sont toujours extrêmement sommaires. Il se rase, se donne un coup de peigne et frotte ses battoirs sur un linge humide qu’il ne se donne même pas la peine de décrocher. Ensuite de quoi il amène au milieu de la pièce une chose immense et flasque percée de deux trous. Il pose un pied dans chacun des orifices, puis remonte la chose qui s’avère être un pantalon.

Il se débarrasse de sa veste de pyjama, la remplace par une chemise dont il oublie de rentrer le pan arrière dans le futal et enfile par-dessus sa hure une espèce de nœud coulant qu’il serre sur son col et baptise cravate.

— Alors, on va aux Puces ? fait-il.

— Si c’est un effet de ta bonté ?

— D’accord…

Il passe sa veste en ahanant, car cela constitue sa culture physique matinale, ensuite il sort deux verres d’un placard et un litre de rouge de sous l’évier.

— Un petit coup de pousse-au-crime ? me propose-t-il.

— Non, sans façon…

— Tu as tort, c’est du vin de pays… Je ne prends que ça en guise de petit déjeuner…

Il en consomme deux grands verres et s’essuie les lèvres.

— Bon, je suis ton homme !

Je me file en boule, soudain.

— Écoute, Gros, m’écrié-je, je n’ai jamais compris pourquoi tu t’es lancé dans la flicaille au lieu de choisir la diplomatie. Je te verrais si bien en train de te moucher dans les rideaux de Buckingham Palace…

Il hausse les épaules. Il voudrait répondre, mais pour l’instant il se racle le gosier et crache par la portière. Le résultat de son expulsion se plaque contre la vitre. C’en est trop.

— Tu n’es qu’un répugnant personnage ! lui dis-je. Je préférerais organiser des excursions pour fosses d’aisance plutôt que de te trimballer !

— Excuse, fait-il, je croyais la vitre baissée !

Puis, soucieux de se justifier pleinement, il explique :

— Le matin, y a une mise en route de l’organisme à faire, faut comprendre…

— Tu aurais pu la faire chez toi, hé, poubelle !

Je planque ma charrette le long d’une palissade et nous pénétrons sur le marché.

Y a des gnards qui raffolent des Puces et qui y passent leurs loisirs ; moi, je veux bien… Mais en ce qui me concerne, je suis réfractaire à leur poésie. Toutes ces vieilleries accumulées, ces objets incroyables, ravagés, fanés, meurtris, brisés, dont l’utilité n’est pas toujours perceptible me font mal à l’âme. Leur poussière et l’histoire qu’elle recouvre éveille tout au fond de mon être une tristesse déprimante…

Les Puces, c’est une espèce d’abdication collective, c’est l’aveu général d’une faillite humaine…

Nous pénétrons sur ce champ de foire et je change ma façon de respirer afin de renifler le moins possible ce remugle écœurant.

Béru, lui, est à son affaire. C’est un adepte ! Il va d’une allure lente, l’œil aux aguets, prêt à saisir une occasion par les cheveux lorsqu’elle n’est pas chauve.

Il tombe en arrêt devant le modeste étalage d’un sidi frileux.

— C’est lui qui t’a vendu l’appareil ? interrogé-je.

— Non, mais attends un instant… Il y a là quelque chose qui m’intéresse.

Je le vois se pencher et se saisir d’un petit écureuil empaillé, à la queue mitée. La bestiole ressemble à Pinaud.

— Tu ne crois pas que ce serait charmant dans ma salle à manger ? me demande-t-il.

— Merveilleux, affirmé-je. Et toi, tu ferais le gland, t’es doué pour.

Le marchand s’empresse. Il demande un prix que j’avoue raisonnable.

— Tu vas laisser cette saloperie où elle est ! hurlé-je dans les trompes d’Eustache de Béru. Crois-tu que je t’ai amené ici pour acheter des écureuils !

Lorsqu’une idée le tient, impossible de l’en faire démordre. Il marchande, se met d’accord avec le sidi et extrait de sa chaussette un billet de cinq cents francs.

C’est à trois que nous poursuivons notre chemin.

Le Gros, son rongeur sous le bras, me conduit enfin au marchand qui lui a soldé l’appareil photographique.

C’est un petit vieux à lunettes cerclées de fer qui ressemble à un instituteur en retraite. Il est poussiéreux, comme les choses qu’il vend, et plus triste qu’elles. Il est emmitouflé dans un cache-nez de grosse laine, un béret lui emboîte la tête, sommé d’une petite couette agressive. Cet embryon de tige lui donne vaguement l’aspect d’une poire.

Béru change son écureuil de bras.

— Salut, fait-il, vous me reconnaissez ?

L’autre le considère calmement.

— Il me semble, admet-il, je vous ai vendu quelque chose il n’y a pas très longtemps… N’est-ce pas un appareil photographique ?

Ce démarrage me fait bien augurer de la suite. Le vieux a donc de la mémoire, et je ne lui en demande pas plus.

— C’est ça, fait Bérurier : un appareil… C’est à ce sujet qu’on vient, mon pote et moi-même…

Le marchand lâche l’effigie du Gravos pour capter la mienne. Je lui montre mes fafs. Il fronce un tantinet les sourcils parce que, dans son job, on n’aime pas beaucoup les archers.

— N’ayez pas peur, m’empressé-je, nous sommes juste venus vous demander un renseignement…

Je lui produis l’appareil.

— Examinez bien cet engin et tâchez de nous dire qui vous l’a vendu…

Le bonhomme médite un instant. Il ne bigle même pas la boîte à images… Nous n’avions pas besoin de nous farcir le voyage à Riva-Bella pour la récupérer… Il réfléchit sec, non pas pour rappeler ses souvenirs, j’en suis persuadé, mais plutôt pour décider s’il l’ouvre ou non.

Dans ces cas-là il ne faut jamais faire le méchant, il y a des tempéraments qui ne peuvent se plier…

— Alors, insiste le Gros en se grattant la nuque avec la patte droite de son bestiau.

L’autre a une forte envie de biaiser.

— Vous comprenez, murmure-t-il d’une petite voix qui rappelle un gond de porte mal huilé, j’achète à tellement de gens…

C’est le moment pour le gars bibi d’intervenir.

— Vous achetez à des tas de gens et vous vendez à des tas de gens, cher monsieur. Vous nous avez prouvé, à l’instant, que vous aviez la mémoire de vos clients, je suis persuadé que vous possédez aussi celle de vos fournisseurs…

Ses lèvres minces se pincent. Il ôte ses bésicles et se met à ressembler à un rat myope. Tandis qu’il essuie ses verres, il dit :

— Attendez… Cet appareil… Oui, oui… C’est une femme qui me l’a cédé…

— Une femme comment ? s’inquiète l’homme à l’écureuil.

Le brocanteur se caresse le menton. Brusquement, mon renifleur se déclenche. En bon poulet, je suis doué d’un sixième sens qui m’avertit lorsque quelque chose ne tourne pas rond. Et c’est le cas en ce moment. Je me dis qu’une solution énergique doit être prise.

— Suivez-nous ! fais-je avec une telle brusquerie que le Gros lui-même en a les éponges paralysées.

Le petit vieux pousse un cri de roquet dont on vient de coincer la queue dans une porte.

— Quoi ?

— Je vous dis de nous suivre, et en vitesse encore ! Vous avez tort de nous prendre pour deux patates… Mon petit bonhomme, l’affaire est mille et une fois plus grave que vous ne la supposez et il se pourrait que ça barde pour vos vieux ans si vous nous collez des bâtons dans les roues…

Il se met à sucrer les fraises vilain. Il claquerait des dents s’il en avait encore. Mais il ne lui reste que deux molaires tenaces au fond du damier. Avec ça, il peut juste manger des glaces à la vanille et boire des Vérigoudes avec une paille !

— Messieurs ! Je… Je ne demande qu’à vous être utile et…

— O.K., alors le nom et l’adresse de la souris qui vous a fourgué cet appareil photo, et que ça saute, sinon vous irez vendre à Fresnes vos candélabres ébréchés, mon vieux !

— Je suis un honnête commerçant ! glapit le monsieur. J’ai fait la guerre… Je… je vote, monsieur !

— Alors votez pour la vérité, et accouchez !

Il rosit.

— Comment voulez-vous que je vous fournisse l’identité de cette femme ? Dans notre métier, on achète à qui vous propose, on…

Je l’interromps du geste et de la voix.

— C’est vrai, pourtant je sais que vous connaissez la personne qui vous a vendu ça…

Là, les mecs, je peux vous dire que j’y vais au culot. Je marche à l’impression personnelle, ce qui est parfois un meilleur carburant que l’essence.

Il se trouble.

— Mais…

Bérurier, qui a flairé enfin du louche, devient mauvais. Et lorsque cette grosse gonfle tourne au vinaigre, il y a de la perturbation sur le secteur.

Il se saisit d’un vase de Sèvres posé à côté d’un casque de cuirassier et se met à jongler avec, ce qui fait frémir le petit vieux.

— On l’amène à la Grande Caverne ! dit Béru. Je vais y causer de la météo, j’te jure !

Lors, le fossile s’émiette.

— Je crois me souvenir en effet du nom de la personne qui m’a cédé l’appareil… C’est une certaine Marthe Bonvin…

Je jubile !

— Marthe Bonvin, dite Martha Vol-au-Vent ! Eh bé, mon cher électeur, vous travaillez avec du beau monde ! C’est plus du commerce que vous faites, mais du recel…

L’édenté se liquéfie. Il dit qu’il a soixante-douze berges, des plaies variqueuses, une femme paralysée et le brevet élémentaire ! Il ignore le curriculum de Martha… Il…

— Viens, dis-je au dresseur d’écureuil empaillé, je sais où l’on peut trouver Martha…

Avant de m’éloigner, je cramponne le petit vieux par son cache-nez.

— Si vous commettez l’imprudence de la prévenir de notre visite, menacé-je, je vous donne ma parole de perdreau qu’on vous passera votre petit déjeuner de demain à travers un guichet.

Il fait un signe affirmatif qui amène ses lunettes à la pointe extrême de son nez.

Là-dessus nous partons, bras dessus, bras dessous, avec l’écureuil.

CHAPITRE V Diplomatie autour d’une valise qui n’est pourtant pas diplomatique

Je n’ai pas menti en disant que je connaissais Marthe Bonvin, dite Martha Vol-au-Vent. Lorsque j’étais simple inspecteur, j’ai eu maille à partir avec elle plusieurs fois. Cette digne personne s’était spécialisée dans le vol à la tire. Elle « faisait » les usagers du métro, ou, du moins, leurs poches. Sa station préférée c’était Sentier, peut-être que le mot évoquait en elle une enfance vagabonde ? Depuis quelques années, elle semble s’être un peu assagie. J’ai eu de ses nouvelles incidemment par un collègue de la Mondaine qui a fait une descente récemment dans un petit hôtel des Halles où elle crèche : l’Hôtel de la Coquille et de l’Escargot Réunis.

C’est sur cet établissement d’ultime zone que nous mettons le cap. Il occupe trois étages d’un immeuble étampé avec des madriers, plus ventru que Bérurier, plus noir que le col de sa chemise, plus fétide que son haleine, plus disloqué que son écureuil.

Le taulier n’a plus d’âge, plus d’ambition et un nom réduit au maximum : Dudu ! Il porte une vieille casquette dont il ne se départ jamais et qui nécessiterait l’emploi d’un chalumeau oxhydrique si on tenait absolument à la lui ôter.

Il a un gros nez, des yeux vagues, une moustache commanditée par les cycles La Perle et l’air déprimant de quelqu’un qui n’attend plus qu’une épidémie de choléra pour faire une fin.

Je le connais de vue car ça fait un sacré bout de moment qu’il tient des hôtels craspects et qu’il donne asile aux plus effarants triquards de ce département.

En nous voyant, il lève un sourcil surpris. Non à cause de notre intrusion, mais à la vue de l’écureuil. En général, les chaussette à clous qui lui rendent visite brandissent de préférence un outil à effeuiller les bulletins de naissance.

Sa stupeur est de courte durée. Ce gars-là en a vu tellement au cours de sa vie de cloporte que si un éléphant rose habillé en mandarin chinois venait lui demander une chambre, il se contenterait de lui filer la clé du 6 parce que c’est sa plus grande carrée !

Il est huit plombes et je sais que Martha Vol-au-Vent est en plein sommeil. Elle se poivre régulièrement le naze jusqu’à deux heures du morning, la grosse truie, alors elle en écrase jusqu’à midi… Elle aime gratter en début de l’après-midi. Les gens, à cet instant, se débattent avec la digestion et ils sont moins sensibles aux contacts extérieurs.

— On vient voir Martha, fais-je gentiment à cette émanation du néant.

Il fait la moue :

— A ronfle !

— Tant mieux, j’ai toujours rêvé de la regarder dormir. Ça et les chutes du Niagara, c’est mon désir farouche… À quel numéro est-elle ?

— Au 22 !

— C’est pas une piaule, c’est un chemin de ronde, non ?

Je me gondole[1], comme disent les Vénitiens. Et je pousse Bérurier vers l’escalier au tapis crevé. Nous nous encordons, lui, moi et l’écureuil afin d’entreprendre l’une des plus téméraires ascensions du siècle.

Le 22 se situe, vous l’avez deviné, au second étage. Je frappe à la porte de cette chambre, mais ne reçois, en guise de réponse, qu’un ronflement pareil à un coup de frein brutal.

J’essaie d’actionner le loquet et j’ai le plaisir de voir s’ouvrir le battant.

Nous découvrons alors une chambre invraisemblable. Le plancher descend en pente douce jusqu’à une fenêtre aux vitres brisées. Il ne reste que des lambeaux de papier au mur. Le pageot est un tas de ferraille innommable supportant de la literie souillée, déchirée, grise de crasse.

Sur ce monticule repose Martha Vol-au-Vent. Imaginez une dame pesant dans les cent dix kilogrammes et ne mesurant pas un mètre cinquante. Elle est mafflue, poilue, couperosée, avec les crins coiffés à l’ange, naturliche, et des lèvres pareilles à deux limaces en conversation. Elle est presque complètement déloquée, because la touffeur de la chambrette. Une vraie nature morte ! C’est pas la turne de Mimi Pinson, mais celle de Mimi Pince-Fesses.

Bérurier en laisse choir son écureuil.

— Tu parles d’un strip-tease ! murmure-t-il. Mince de décarpillage, gars !

Cette réflexion, cependant formulée à voix basse, tire la vachasse de son sommeil. Elle délourde ses vasistas et file sur nous un coup de saveur sans joie. Ses gobilles sont voilées par de récentes vapeurs d’alcool. Elle se met à claper de la menteuse et tire sur sa nudité un drap qu’une autre vache refuserait énergiquement comme litière.

Puis elle se file en pétard.

— Messieurs les poulardins qui se rincent les châsses à c’t’heure !

— Si t’appelles ça se rincer l’œil, Martha, c’est que tu ne t’es jamais rencontrée en tête à tête avec un miroir… Voile-nous le reste de ta triperie qu’on reprenne un peu goût à la vie !

Elle éructe :

— En v’là des giries ! C’est-y des manières de s’introduire dans les chambres des dames, comme deux malpropres !

Bérurier a une sainte et louable horreur des insultes. Une soudaine crispation de son masque m’annonce du vilain.

Il s’approche du lit, empoigne le bord du matelas à deux pognes et fait basculer le chargement. La môme Martha choit sur les carreaux fêlés avec un bruit de benne basculante déchargeant des gravats. Elle essaie de se dépêtrer de ses couvertures et se dresse, vêtue d’une arachnéenne chemise de Nylon transparent.

— Bande de vaches ! hurle-t-elle. Je vous défends de maltraiter une pauvre femme sans défense…

Le gros Béru chope le broc de faïence destiné aux ablutions de la dame et lui propulse le contenu en pleine poire. Martha produit un gargouillis du genre lamentable et se met à pleurer, montrant par là qu’elle est femme malgré tout.

— Ça suffit comme ça, dis-je à mon vaillant coéquipier. Je suis persuadé que notre pin-up va nous raconter sa vie…

Je pousse Martha Vol-au-Vent vers un fauteuil bancal et elle s’y assoit après avoir raflé au passage une serviette nid d’abeille pour s’essuyer la ruche.

Elle a cessé de rouscailler. C’est un vieux bourrin de retour. Elle sait pertinemment que lorsque deux huiles de la police emploient des moyens aussi audacieux, c’est qu’ils sont à cran. Et quand les poulets sont à cran les caves volent bas.

Martha nous détronche avec un œil mauvais et un œil prudent, ce qui l’afflige d’un passager strabisme divergent.

— Ma chérie, attaqué-je, on est venu te poser une question. Si tu n’y réponds pas, tu peux faire ta valoche pour un bout de temps car l’État t’offrira un chouette séjour dans une pension de famille réputée…

Elle devient soucieuse et ne pense plus à son ressentiment.

— Qu’est-ce que c’est encore ? grommelle la donzelle.

J’extrais de ma poche l’appareil photographique.

— Où as-tu piqué ça, Martha ?

Sa réponse est un cri d’autodéfense.

— Jamais vu ça…

Bérurier va pour lui assener une mandale, mais je lui retiens la manche.

— Écoute, Martha, tu ne vas pas nous jouer l’acte trois de Vierge et grand-mère, c’est pas dans tes emplois. Je te le dis tout de suite, je me fous que tu aies griffé ce machin-là, mon turbin ne consiste pas à te le reprocher… Seulement, il faut absolument que nous en retrouvions le proprio, tu piges ?

Ça la rassure un peu.

Elle me regarde pour s’assurer que je ne bluffe pas. Mon expression doit lui fournir la garantie voulue car elle hausse les épaules.

— Il m’en est arrivée une bonne, fait-elle, radieuse.

— Raconte !

— Figurez-vous que je m’ai gouré de valoche à la gare de l’Est, un jour…

— Ce que t’es distraite, Martha !

— Parole ! dit-elle. Je ligotais le tableau des départs. J’avais posé ma valoche à côté de moi… Et puis, quand je l’ai reprise, je m’ai trompée, quoi ! C’est idiot, mais c’est commak…

— Et y avait quoi dans ta valoche ? interroge Béru.

— Mon porte-monnaie, mes bijoux…

J’interviens :

— Ça n’est pas ta valise qui m’intéresse, Martha… C’est l’autre. Voudrais-tu me dire s’il y avait cet appareil dedans ?

— Tout juste, Auguste ! répond-elle, ravie de voir que son historiette nous satisfait.

— Et alors, pour te dédommager de la perte importante que tu as subie, tu t’es dégrouillée de brader le contenu de l’autre valoche, hein ?

— Voilà…

La chambre pue la crasse, la sueur, l’alcool… Dans l’immeuble, des couples ravagent les sommiers à la brutale.

Je pose un pied sur l’accoudoir du fauteuil. La gravosse retire vivement son bras.

— Si on laissait tomber la poésie, dis-je ?

— Comment ?

— Moule-nous avec ta pudeur, Martha… Je le sais que ton histoire de confusion de valise est mauvaise.

Saisi d’une idée subite, je vais ouvrir la porte du placard mural qui supplée à l’absence de la classique armoire d’hôtel…

Je n’ai pas à inventorier longtemps. Écartant quelques hardes accrochées à des pitons, j’ai tôt fait de découvrir une valise-piège.

Vous connaissez le coup. On a dû vous le montrer au cinoche…

Il s’agit d’une valise bidon. Elle n’a pas de fond et elle est vide. Deux lames de ressort sont fixées contre les parois, à l’intérieur. Avec cet appareil, on peut cravater les valises plus petites. Il suffit de poser celle-ci par-dessus celles dont les propriétaires ont le dos tourné… C’est astucieux, propre et sans bavure…

Elle ne cherche plus à ergoter.

— C’est pour aller à la pêche, ce machin-là, Martha…

— Oh, bon, ça va, dit-elle. Oui, je fais quéquefois les gares…

— Je t’en veux pas, affirmé-je, je sais que la vie est dure pour ceux qui n’ont plus leurs parents… Faut bien que tu croques…

— D’autant, renchérit Bérurier, qu’avec la g… qu’elle a, elle peut même pas faire le trottoir !

Elle le foudroie du regard.

— Voyons, Béru, fais-je, sévère, sois galant avec les dames du beau sexe.

Et puis, soudain, le vertigo me chope. J’en ai classe de toutes ces salades, de ces préambules…

— À qui as-tu fauché la valise contenant cet appareil, Martha ?…

— J’en sais rien…

— Décris-nous ta victime… Je te garantis que tu n’entendras plus parler de l’historiette et que ça restera entre nous !

— Mais, enfin, pourquoi diantre…

— Cherche pas à comprendre. Tout ce que je peux te dire, c’est que c’est grave !

— Voyez-vous !

— Il était comment, le type à qui tu as volé la valise ? Tu préfères peut-être que nous discutions de ça chez Plumeau ? Si tu veux, on y va ?

Ça lui colle le traczir.

— Mais non, pas la peine, fait la grosse morue. Bon, puisque vous y tenez tellement, c’était une jeune femme… habillée de noir… blonde, jolie… Elle attendait le dur pour Strasbourg… C’était sur le quai. Elle a voulu se filer du rouge à lèvres… J’en ai profité, voilà…

— Qu’as-tu fait de la valise fauchée ?

— Ben… je l’ai fourguée ! Je suis pas collectionneuse !

— Et qu’y avait-il dedans ?

— Pff… De la lingerie de femme, une trousse de toilette, des babioles…

— Tu n’as rien gardé ?

— Non, rien…

— Tu as bradé le tout au vieux mironton des Puces ?

— Ouais.

— Rappelle-toi, Barbara, il n’y avait pas de nom sur cette valise, pas d’initiales ?

— Que dalle !

— Et à l’intérieur ? Dis, n’existait-il pas un indice quelconque, permettant de se faire une idée de sa propriétaire ?

Elle réfléchit.

— Non.

Bérurier pose son écureuil sur la table de chevet et s’avance, très déterminé. Je les laisse s’expliquer. Entre obèses, on se comprend mieux !

Il est terrible, le Gros, quand il joue les bulldozers enragés.

— Je peux pas piffer les morues comme toi quand elles font leurs crâneuses, affirme-t-il. J’ai envie de les mettre au pas, c’est plus fort que moi !

Il chope Martha par la tignasse et lui administre une baffe qui lui fait trembler les bajoues. La grosse se met à braire ; ses cris d’orfèvre stoppent net les bruits de sommiers de l’hôtel.

— Pousse pas ton contre-ut, grince Béru, tu vas te faire sauter les amygdales…

Martha, c’est pas le genre de tas de viande à servir de punching-ball sans râler. Elle regimbe.

— Nom de Dieu… hurle-t-elle, vous commencez à me courir, tous les deux, avec vos questions insistantes ! Je vous l’ai cassée mon histoire, alors ça va, hein ? Si vous en voulez encore, allez acheter Paris-Match, moi j’ai plus rien à bonir ! Je préfère que vous me colliez au placard, j’y suis t’été déjà… Je préfère la frite des rats à la vôtre ! Si vous me touchez encore j’hurle, et quand j’hurle on peut se fourrer de l’hydrophile dans les étagères à mégots, parole !

Pour prouver qu’elle ne bluffe pas, la voilà qui se met à pousser une clameur à côté de laquelle un exercice d’alerte ressemble à un murmure de source…

Béru s’apprête à lui casser le broc de faïence vide sur la coupole, je le retiens…

— Laisse-la piquer sa crise, Gros, et viens, je pense à quelque chose…

Il cramponne son écureuil par une patte et nous voilà barrés. Dans l’escadrin, nous croisons Dudu qui s’amène aux nouvelles. De sa voix neutre, il questionne :

— Et alors, vous la dépecez ou quoi ?

— Y a de ça, admets-je. Si jamais on y parvient, tu parles d’une toile de tente !

* * *

— Tu crois qu’elle nous a vidé son sac ? demande Béru.

— Ça ne fait pas de doute, lui dis-je. Elle a ratissé la valise dans les conditions décrites par elle. Elle l’a rapidement inventoriée, puis elle est allée fourguer le blaud au zigoto des Puces. Elle doit en secouer tellement qu’elle ne se rappelle plus très bien ce que contenait ce bagage… C’est au vieux mironton qu’on va demander un supplément d’information. J’ai idée que cet honnête receleur en sait plus long qu’il n’en a dit…

Peu contrariant, Bérurier hoche la tête.

— Qu’est-ce que je pourrais lui mettre autour de la queue ? demande-t-il.

Je sursaute.

— Hein ?

Il brandit son écureuil.

— Mords la came, San-A. Il a la couette qui se barre, le pauvre chéri…

Je ricane.

— Ce que tu es bonnard pour les animaux. Même empaillés faut que tu les dorlotes…

— J’ai toujours eu un faible pour les écureuils, avoue-t-il. Quand j’étais mouflet, à la cambrousse, on en attrapait et on les mettait dans une cage ronde… Ils tournaient pendant des jours… après on les bouffait. Tu peux pas savoir ce que la chair est délicate…

— Je reconnais là ta profonde sensibilité, Béru. Tu as une âme d’artiste, faut te secouer…

Béru est ému. Il essuie une humidité imaginaire dans ses yeux.

— Que veux-tu, murmure-t-il, on ne se refait pas !

CHAPITRE VI Dis-moi tout !

Lorsque nous parvenons sur l’emplacement occupé par le vieux marchand d’ordures, nous ne trouvons que le vide. Mettant à profit notre heure d’absence, il a ramassé son concentré de poubelles et a fichu le camp.

Cette fuite rapide fortifie ma certitude concernant une certaine culpabilité du mironton.

Pour qu’il ait mis les adjas avec tant de précipitation, il faut qu’il ait le trouillomètre perturbé. S’il a peur, c’est qu’il a quelque chose à se reprocher : C.Q.F.D.

— Nous devons lui mettre la main dessus presto, dis-je à Bérurier. Il faut questionner ses collègues pour obtenir son adresse dare-dare.

Nous voilà en chasse… Nous interviewons tous les pignoufes d’alentour et c’est le sidi à l’écureuil qui nous rancarde. Un jour, il a donné un coup de paluche au vieux pour l’aider à coltiner une collection de la Revue des Deux Mondes reliée chagrin.

Il pioge rue de Lappe, au fond d’une cour… Le crouille ignore le numéro, mais précise que c’est à côté d’un marchand de meubles pour cafés.

Nous décarrons en voltige.

Maintenant, Paris est en plein boum. Il fait un temps honnête, du genre faibles ondées le matin, mais avec la promesse de beau temps pour l’après-midi si l’anticyclone en provenance des Açores ne s’amuse pas en route.

Je coupe par Barbès, je vais rejoindre la Bastille dont le génie semble se plaindre d’une mauvaise crampe consécutive à sa fausse position, et enfin c’est la rue de Lappe, avec ses bals, ses petites boutiques et son atmosphère de province encanaillée.

La première personne que nous apercevons, par un heureux hasard, c’est précisément notre homme. Il est attelé dans les brancards d’une voiture à bras et il s’évertue à faire passer son chargement de détritus par un porche assez étroit.

— Le v’là ! mugit le Gros.

— J’avais remarqué, dis-je.

Et je range ma pompe en bordure du trottoir. Lorsque nous en descendons, le brocanteur a réussi à passer. Nous lui emboîtons le pas.

La cour où il a son capharnaüm est une cour des miracles. Imaginez de petites constructions lépreuses, noires, aux vitres brisées. C’est obscur, fétide… Il y a des mômes cradingues qui jouent, des types saouls qui gueulent, des femmes pas peignées qui chialent… Et par-dessus le toutim, Europe 1 qui nous file du trio Raisner comme s’il en pleuvait.

Les closets sont collectifs, dans cette cour des miracles. Justement un gros type en sort en remontant son grimpant. Notez que ça fait plus intime…

Le père la brocante stoppe son attelage sous un maigre hangar couvert de carton goudronné. Il ouvre une porte basse et crie :

— C’est moi.

Une voix de femme geignarde s’exclame :

— Déjà !

— Oui, fait-il, j’ai ma crise de rhumatismes qui commence…

La voix off se lamente, comme quoi la vie est déjà compliquée quand on travaille, et ceci et cela…

C’est l’instant que nous choisissons pour intervenir.

Nous filons les panards dans une cahute infâme… Elle se compose d’une pièce coupée en deux par un galandage. La première sert de cuisine, l’autre de chambre.

— Coucou ! lancé-je joyeusement.

Le vieux fait un saut de côté. Il nous voit et son regard devient aussi inexpressif que celui d’un adjudant-chef décoré sur l’esplanade des Invalides.

— Vous ! murmure-t-il.

Je ne sais pas ce qu’il pensait de la rousse, le fossile, en tout cas rien de bon pour se croire à l’abri de nos visites…

— Qu’est-ce que c’est ? gronde la mégère d’à côté.

Un drôle de père Fouettard, sa bergère. Ça se comprend à l’intonation. C’est le genre de nana-malade-qui-en-fait-baver-de-sévères-à-son-camarade-de-vie-avant-de-canner.

Sûrement que ça ne va plus tarder, le Grand Départ. Alors elle met le pacson, cette peau ! Elle sait bien que les bonnes femmes clabotent longtemps après leurs jules d’ordinaire. Cette entorse aux convenances, elle la fait casquer chérot au marchand de déchets.

— Qu’est-ce que c’est, Émile ? glapit l’ogresse sur un ton qui n’admet pas de réticences.

Le vieux est éperdu. Il nous regarde d’un œil implorant et met un doigt sur sa bouche pour nous demander de ne pas révéler nos professions.

— C’est des clients, Germaine… Je vais m’occuper d’eux…

Se tournant vers nous avec un air entendu, il dit :

— Messieurs, si vous voulez bien me suivre à la réserve…

Bérurier me pousse du coude.

— J’ai idée qu’on a mis dans le mille en venant ici, fait-il. Il a tellement la pétoche de son os qu’il dira ce qu’on voudra !

Le vieux nous entraîne sous le hangar où il a remisé sa voiture à bras.

Il tremble comme s’il venait de passer le week-end dans la chambre froide d’un louchébem.

Chose curieuse, il nous fait des reproches ; ainsi les faibles ont-ils de ces réactions imprévisibles.

— Pourquoi êtes-vous venus ici ? dit-il.

Probable qu’il devait se croire tabou dans son piège à rats.

Je le pousse contre la roue de sa charrette.

— Parce que vous ne nous avez pas dit la vérité, mon cher monsieur.

— Mais…

— Inutile de bêler…

Il regarde Bérurier qui fut son client avant de devenir son tourmenteur et l’implore du regard. Mais il aurait meilleur compte d’attendrir un tigre affamé en lui jouant du Mozart à la clarinette baveuse.

— Si vous ne déballez pas tout le paquet immédiatement, fais-je, je vous arrête pour recel devant votre digne épouse.

Il porte la main à son cœur, comme on le fait au Théâtre-Français pour montrer combien on est emmouscaillé.

— Vous allez nous tuer…

— Dégrouillez-vous de parler, mon vieux, nous avons perdu assez de temps comme ça…

Il respire profondément. Un grand calme inonde son visage, car il vient de prendre le parti de dire la vérité.

— Eh bien, voilà, commence-t-il. Marthe Bonvin m’a amené un jour une valise.

— Parlez-nous un peu de ce bagage ?

— C’était une valise en porc.

— Elle contenait ?

Il réfléchit.

— Eh bien… Cet appareil photographique…

— Et puis ?

— Une trousse de toilette…

— Ensuite ? Allez, déballez, mon petit père, ou on va prendre les forceps.

— Il y avait aussi une trousse médicale…

Là, nous entrons dans du détail captivant.

— Qu’appelez-vous une trousse médicale ?

— Enfin, dans une pochette en matière plastique, il y avait une seringue de Pravaz avec des aiguilles… Un stéthoscope… Un thermomètre…

— Ah ! Bon, et puis ?

— À part ça, de la lingerie féminine : combinaisons, slips, corsage… C’est tout !

Il se tait, troublé, et me fixe avec des châsses qui attendriraient un tombereau de cailloux.

La voix de la vioque jaillit du trou.

— Émile ! Tu en as pour longtemps ! Pourquoi ne venez-vous pas discuter ici ?

Le pauvre gars s’avance vers la lourde.

— Je… Je montre des choses à ces messieurs, Germaine…

Elle rouscaille encore et profère des choses peu amènes sur les clients qui viennent vous relancer à domicile.

— Voilà, murmure le vieil homme.

Je lui mets mes deux mains sur les épaules et je plante mon regard en acier bleui droit dans les carreaux.

— Ça n’est pas tout, mon vieux, vous oubliez le meilleur…

— Qu… quoi ?

Je laisse aller mon inspiration. Je sais qu’elle va à la rencontre de la vérité.

— Voulez-vous que je vous dise ce que vous nous cachez, mon petit père Laconique ?

Il n’a plus la force d’émettre un son.

Béru me regarde avec attention, le bada rejeté derrière la citrouille.

— Les gens à qui on a chouravé la valtouze sont allés aux Puces dans l’espoir de la retrouver… Ils savent, comme tout un chacun, que la plupart des objets volés échouent là-haut… Ils ont inventorié le marka et ont fini par vous sauter sur le poil… Ils vous ont cramponné par la cravate en vous disant votre : « Qu’est-ce que Dieu. » Vous avez restitué la valise, les trousses, la lingerie… Mais pas l’appareil que vous veniez de brader à cet inestimable individu que voici !

Béru produit un bruit nasal et réprobateur. Il fait un pas en avant.

— Or, poursuis-je, c’était précisément l’appareil photographique qui intéressait ces gens. Ils vous ont interviewé… Vous leur avez fourni moult détails, ça n’était pas duraille car mon pote est bavard comme douze perroquets dans un salon d’attente !

— Je t’en prie ! proteste Béru.

La vieille de la cambuse remet ça depuis sa couche de douleurs.

— Émile ! Viens ici tout de suite, je veux te parler…

Je me tourne vers le Gros.

— Va dire à cette vieille saucisse qu’elle nous foute la paix…

Mais Béru n’a pas à se déranger car la vioque a entendu mes paroles. La v’là qui meugle tout ce qu’elle peut.

Béru va fermer la porte et nous reprenons l’entretien.

— En vous achetant l’appareil photo, mon ami vous a raconté sa vie. Il aime ça… Il a la vie la plus morne qui soit, mais il croit qu’elle devient dorée lorsqu’il la déverse dans les tympans d’autrui.

— Tu vas mal, renaude Béru… Alors là, tu vas mal…

Je ne tiens pas compte de ses protestations faiblardes.

— Il vous a dit que cet appareil était destiné à son valeureux neveu qui se mariait. Il vous a dit que le neveu en question avait fait de la boxe et vous a demandé si vous le connaissiez : Bérurier ! Poids coq…

— Moyen ! proteste Bérurier.

— Très moyen, rectifié-je. Oui, il vous a dit tout ça en marchandant, n’est-ce pas, monsieur Émile ?

L’autre est abasourdi.

— Mais oui, fait-il ça s’est bien passé comme vous dites… Il n’y avait pas une heure que j’avais vendu l’appareil lorsque cet homme est arrivé…

— Un homme avec un pardessus brun, un chapeau noir, et des paupières bombées comme des coquilles de noix ?

— Mais oui… Comment diantre ! Vous êtes le diable pour savoir tout cela !

— Non, simplement un flic qui connaît son boulot…

Bérurier aussi est sidéré. Pourtant, il a l’habitude de mes déductions pertinentes. Il a passé la main dans l’ouverture de devant de son bénard et il gratte les miettes de pain prisonnières de son système pileux.

— Y a pas, souligne-t-il, t’es pas empêché de la pensarde !

Je m’essuie le front. Un gros effort mental a toujours pour conséquence une forte sudation, chez moi du moins.

Je dis au vieux :

— À vous de jouer, maintenant. Parlez-moi de l’homme…

Le père la brocante y va carrément.

— Il a examiné les éventaires de mes voisins, puis le mien. J’avais cédé la lingerie à un collègue, car ça n’est pas mon rayon… Quant à la trousse médicale, je l’ai gardée… J’avais donc mis en vente la valise et la trousse de toilette. Il est tombé en arrêt devant. Il m’a alors pris entre quatre yeux. Il avait un revolver et me l’a montré en me disant que si je ne lui remettais pas l’appareil photographique illico, il me descendait comme un chien…

— C’est un impulsif, décidément, murmure le Gros.

Je lui enjoins de la boucler à double tour.

— J’ai pris peur, poursuit le vieux. Je lui ai dit que j’avais vendu un instant auparavant l’appareil. J’ai cru qu’il me bouffait. Il m’a demandé à qui… Alors je lui ai donné en effet tous les détails que m’avait fournis monsieur…

Je secoue la tête :

— Bérurier, boxeur… Tu parles, il n’a eu qu’à courir dans les salles d’entraînement pour trouver l’adresse. Il a dû assister à la noce, ce mec, sans que tu te doutes de rien, hé ! enflure ! Ah ! on peut dire que tu es un malin, toi, mon gars ! Dans ton genre, on ne peut trouver mieux…

« Il n’a pu évidemment cambrioler la maison le jour de la noce. Conclusion : il a suivi les amoureux à Riva-Bella, attendant la belle occase… Elle a un peu tardé. En cours de route, ton neveu n’a pas dû quitter son compartiment, trop occupé qu’il était à brouter le mufle de sa jeune femme. Un boxeur, tu parles, le gars n’a pas osé employer la force. Il est descendu à l’hôtel Mes Délices. Manque de bol, les petits, qui avaient le pétrousquin survolté, ont couru se barricader dans leur piaule pour jouer à papa-maman ! Il devait patienter. Nous sommes arrivés sur ces entrefaites… Il nous a vus repartir avec l’appareil, nous a suivis… Et voilà le turbin ! Maintenant, ils savent que nous sommes au courant pour la photo du mort…

Bérurier hoche la tête.

— Oui, dit-il, tout a dû se passer comme ça…

Un fantôme apparaît derrière la porte vitrée du logement. Vision dantesque s’il en est… C’est une vieille femme jaune comme un coing, maigre comme une arête de sole, le cheveu défait, l’œil charbonneux, la bouche en coup de serpe.

Elle frappe à la vitre pour attirer notre attention.

— Germaine ! balbutie le vieux.

Elle a un geste impératif pour lui ordonner de rentrer. Il nous regarde.

— Messieurs, murmure-t-il, je vous en supplie, ne dites rien… L’homme m’a juré que si je parlais il viendrait me descendre…

Il louche vers la porte où la femme cogne plus impérieusement.

— Vous cassez pas le bol, mon petit père, promets-je. Et allez filer un peu de mort-aux-rats à cette emmerdeuse.

Nous le regardons entrer chez lui, le dos courbé par l’âge, le malheur et la culpabilité.

— Ce type-là, murmure Bérurier, dans le fond c’est une pauv’cloche !

— C’est pire, rectifié-je. C’est un martyre…

Nous sortons de la cour.

— On pourrait boire un petit gorgeon de blanc ? suggère Bérurier. Toutes ces vieilleries m’ont donné soif.

— C’est faisable, gars…

Justement, à proximité du porche moussu se tient un petit troquet de bougnat. On y vend du fromage d’Auvergne et du brouilly de la bonne année.

Béru demande un casse-vin et du blanc.

— Que penses-tu de ça ? s’informe-t-il.

— L’affaire est plus sérieuse qu’on ne l’imaginait.

— Je te parle du fromage ! dit-il.

— Il est comme toi, fais-je. Il est trop fait…

Le Gros hausse les épaules et se met à mastiquer fortement en poussant les bouchées qu’il engloutit avec de grosses rasades de blanc.

— C’est curieux, hein ? demande-t-il en reposant son verre.

— Très, lui dis-je. Il est fruité et a un petit goût de…

— Je te parle pas du picrate ! Je te parle de l’affaire… Tu parles d’un écheveau ! Qu’est-ce que tu vas fiche ?

— Ferme ça, je pense…

Il en profite pour finir le fromagat et faire renouveler les consos.

— Écoute, Gros, tu vas aller dire au Vieux que nous sommes sur un coup bizarre. Tu lui demanderas si tu peux t’en occuper avec moi. Je retourne à Riva-Bella. L’homme aux coquilles proéminentes a certainement passé la nuit à l’hôtel s’il a suivi ton neveu… Peut-être y trouverai-je un indice quelconque ?

— Pourquoi pas ?

— Pendant ce temps, tu vas enquêter dans les milieux médicaux avec la photo du mort… On ne sait jamais…

— D’accord…

Nous partons.

Je laisse Béru près de la maison Pébroque. Au moment où il descend de la tire, le Gros pousse un barrissement :

— M… !

— Qu’est-ce qui t’arrive, bonhomme ?

— J’ai oublié mon écureuil chez le brocanteur !

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