François poussa à la fin le barreau de la porte et voilà qu’il vit devant lui, au lieu de Madeleine, une belle et jolie jeune fille, vermeille comme une aube de printemps et réveillée comme une linotte qui lui dit d’un air avenant:
– Qu’est-ce que vous demandez, jeune homme?
François ne la regarda pas longtemps, tant bonne fût-elle à regarder, et il jeta ses yeux tout autour de la chambre pour chercher la meunière. Et tout ce qu’il vit, c’est que les courtines de son lit étaient closes et que, pour sûr, elle était dedans. Il ne pensa du tout répondre à la jolie fille qui était la sœur cadette du défunt meunier et avait nom Mariette Blanchet. Il s’en fut tout droit au lit jaune et il écarta subtilement la courtine, sans faire noise ni question; et là il vit Madeleine Blanchet tout étendue, toute blême, tout assoupie et écrasée par la fièvre.
Il la regarda et l’examina longtemps sans remuer et sans mot dire; et malgré son chagrin de la trouver malade, malgré sa peur de la voir mourir, il était heureux d’avoir sa figure devant lui et de se dire: Je vois Madeleine.
Mais Mariette Blanchet le poussa tout doucement d’auprès le lit, referma la courtine et, lui faisant signe d’aller avec elle auprès du foyer:
– Ah çà, le jeune homme, fit-elle, qui êtes-vous et que demandez-vous? Je ne vous connais point et vous n’êtes pas d’ici. Qu’y a-t-il pour vous obliger?
Mais François n’entendit point ce qu’elle lui demandait et, en lieu de lui donner une réponse, il lui fit des questions: Combien de temps madame Blanchet était malade? si elle était en danger et si on soignait bien sa maladie?
À quoi la Mariette lui répondit qu’elle était malade depuis la mort de son mari, par la trop grande fatigue qu’elle avait eue de le soigner et de l’assister jour et nuit; qu’on n’avait pas fait venir encore le médecin et qu’on irait le quérir si elle empirait; et que, quant à la bien soigner, elle qui parlait ne s’y épargnait point, comme c’était son devoir de le faire.
À cette parole, le champi l’envisagea entre les deux yeux, et il n’eut besoin de lui demander son nom, car, outre qu’il savait que, vers le temps de son départ, M. Blanchet avait mis sa sœur auprès de sa femme, il surprit dans la mignonne figure de cette mignonne jeunesse une retirance assez marquée de la figure chagrinante du défunt meunier. Il se rencontre bien des museaux fins comme cela, qui ressemblent à des museaux fâcheux, sans qu’on puisse dire comment la chose est. Et malgré que Mariette Blanchet fût réjouissante à voir autant que son frère avait eu coutume d’être déplaisant, il lui restait un air de famille qui ne trompe point. Seulement, cet air-là avait été bourru et colérique dans la mine du défunt, et l’air de Mariette était plutôt d’une personne qui se moque que d’une qui se fâche, et d’une qui ne craint rien plutôt que d’une qui veut se faire craindre.
Tant il y a que François ne se sentit ni tout à fait en peine, ni tout à fait en repos sur l’assistance que Madeleine pouvait recevoir de cette jeunesse. Sa coiffe était bien fine, bien plissée et bien épinglée; ses cheveux, qu’elle portait un peu à la mode des artisanes, étaient bien reluisants, bien peignés, bien tirés en alignement; ses mains étaient bien blanches et son tablier pareillement pour une garde-malade. Parfin elle était beaucoup jeune, pimpante et dégagée pour penser jour et nuit à une personne hors d’état de s’aider elle-même.
Cela fit que François, sans rien plus demander, s’assit dans le quart de la cheminée, bien décidé à ne se point départir de l’endroit qu’il n’eût vu comment tournerait à bien ou à mal l’affliction de sa chère Madeleine.
Et Mariette fut bien étonnée de le voir faire si peu de façon et prendre possession du feu, comme s’il entrait à son propre logis. Il baissa le nez sur les tisons, et comme il ne paraissait pas en humeur de causer, elle n’osa point s’informer plus au long de ce qu’il était et requérait.
Mais au bout d’un moment entra Catherine, la servante de la maison depuis tantôt dix-huit ou vingt ans; et, sans faire attention à lui, elle approcha du lit de sa maîtresse, l’avisa avec précaution et vint à la cheminée pour voir comment la Mariette gouvernait la tisane. Elle montrait dans tout son comportement une idée de grand intérêt pour Madeleine et François, qui sentit la vérité de la chose, en une secousse eut envie de lui dire bonjour d’ami; mais…
– Mais, dit la servante du curé, interrompant le chanvreur, vous dites un mot qui ne convient pas. Une secousse ne dit pas un moment, une minute.
– Et moi je vous dis, repartit le chanvreur, qu’un moment ne veut rien dire, et qu’une minute c’est bien trop long pour qu’une idée nous pousse dans la tête. Je ne sais pas à combien de millions de choses on pourrait songer en une minute. Au lieu que, pour voir et entendre une chose qui arrive, il ne faut que le temps d’une secousse. Je dirai une petite secousse, si vous voulez.
– Mais une secousse de temps! dit la vieille puriste.
– Ah! une secousse de temps! Ça vous embarrasse, mère Monique? Est-ce que tout ne va pas par secousses? Le soleil quand on le voit monter en bouffées de feu à son lever, et vos yeux qui clignent en le regardant? le sang qui nous saute dans les veines, l’horloge de l’église qui nous épluche le temps miette à miette comme le blutoir le grain, votre chapelet quand vous le dites, votre cœur quand monsieur le curé tarde à rentrer, la pluie tombant goutte à goutte, et mêmement, à ce qu’on dit, la terre qui tourne comme une roue de moulin? Vous n’en sentez pas le galop ni moi non plus; c’est que la machine est bien graissée; mais il faut bien qu’il y ait de la secousse, puisque nous virons un si grand tour dans les vingt-quatre heures. Et pour cela, nous disons aussi un tour de temps, pour dire un certain temps. Je dis donc une secousse, et je n’en démordrai pas. Çà, ne me coupez plus la parole, si vous ne voulez me la prendre.
– Non, non; votre machine est trop bien graissée aussi, répondit la vieille. Donnez encore un peu de secousse à votre langue.