Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.
Jeudi 21 mars, 16 heures.
Il n’y a qu’une seule méthode pour dissimuler une arme dans un aéroport.
Les amateurs d’armes à feu pensent en général qu’un pistolet automatique de marque Glock, fabriqué essentiellement en polymères, peut échapper aux rayons X et aux détecteurs de métaux. Erreur : le canon, le ressort récupérateur, le percuteur, la détente, le ressort du chargeur et quelques autres pièces encore sont en métal. Sans parler des balles.
Il n’y a qu’une seule méthode pour dissimuler une arme dans un aéroport.
Et Sema la connaît.
Elle s’en souvient devant les vitrines de la zone commerciale de l’aérogare, alors qu’elle s’apprête à prendre le vol TK 4067, de la Turkish Airlines, en direction d’Istanbul.
Elle achète d’abord quelques vêtements, un sac de voyage — rien de plus suspect qu’un voyageur sans bagage — , puis du matériel photographique. Un boîtier F2 Nikon, deux objectifs, 35–70 et 200 millimètres, ainsi qu’une petite boîte à outils adaptée aux appareils de cette marque, et deux trousses doublées de plomb, qui protègent les pellicules lors des contrôles de sécurité. Elle range soigneusement ces objets dans un sac professionnel Promax, puis se rend dans les toilettes de l’aéroport.
Là, isolée dans une cabine, elle place le canon, le percuteur et les autres pièces métalliques de son Glock 21 parmi les tournevis et pinces de la boîte à outils. Puis elle glisse ses balles en tungstène dans les housses plombées, qui stoppent les rayons X et rendent ainsi leur contenu totalement invisible.
Sema s’émerveille de ses propres réflexes. Ses gestes, ses connaissances : tout cela lui revient d’une manière spontanée. « Mémoire culturelle », aurait dit Ackermann.
A 17 heures, elle prend tranquillement son vol et parvient à Istanbul en fin de journée, sans être inquiétée par les douanes.
Dans le taxi, elle ne s’appesantit pas sur le paysage qui l’entoure. La nuit tombe déjà. Une averse discrète lance des reflets fantomatiques sous les réverbères, qui s’accordent bien avec le flou de sa conscience.
Elle distingue seulement des détails : un marchand ambulant vendant des anneaux de pain ; quelques jeunes femmes, au visage cerné par un foulard se mêlant aux motifs de faïence d’une station de bus ; une haute mosquée, bougonne et sombre, qui semble broyer du noir au-dessus des arbres ; des cages d’oiseaux alignées sur un quai comme des ruches… Tout cela lui murmure un langage à la fois familier et lointain. Elle se détourne de la fenêtre et se pelotonne sur son siège.
Elle choisit un des hôtels les plus chics du centre de la ville, où elle se noie parmi un flot bienvenu de touristes anonymes.
A 20 heures 30, elle verrouille la porte de sa chambre et s’effondre sur son lit, où elle s’endort tout habillée.
Le lendemain, vendredi 22 mars, elle émerge à 10 heures du matin.
Elle allume aussitôt la télévision et cherche un canal français sur le réseau satellite. Elle doit se contenter de TV5, la chaîne internationale des pays francophones. A midi, après un débat sur la chasse en Suisse romande et un documentaire sur les parcs nationaux au Québec, elle capte enfin le journal télévisé de TF1, diffusé la veille au soir en France.
On y évoque la nouvelle qu’elle attend : la découverte du cadavre de Jean-Louis Schiffer dans le cimetière du Père-Lachaise. Mais il y a aussi la nouvelle qu’elle n’attend pas : deux autres corps ont été retrouvés le même jour, dans un hôtel particulier des hauteurs de Saint-Cloud.
Reconnaissant la résidence, Sema augmente le volume sonore. Les victimes ont été identifiées : Frédéric Gruss, chirurgien esthétique, propriétaire des lieux, et Paul Nerteaux, capitaine de police âgé de trente-cinq ans, attaché à la Première DPJ de Paris.
Sema est frappée d’effroi. Le commentateur poursuit :
— « Personne n’explique encore ce double meurtre, mais il pourrait être lié à la mort de Jean-Louis Schiffer. Paul Nerteaux enquêtait sur les assassinats de trois femmes perpétrés ces derniers mois dans le quartier parisien de la Petite Turquie. Dans le cadre de cette enquête, il avait consulté l’inspecteur à la retraite, spécialiste du 10e arrondissement… »
Sema n’avait jamais entendu parler de ce Nerteaux — un jeune type, plutôt beau gosse, aux cheveux de Japonais — mais elle peut déduire l’enchaînement logique des faits. Après avoir tué inutilement trois femmes, les Loups ont enfin trouvé la bonne piste et sont remontés jusqu’à Gruss, le chirurgien qui l’a opérée durant l’été 2001. Parallèlement, le jeune flic a dû suivre la même voie et identifier l’homme de Saint-Cloud. Il s’est rendu chez lui au moment même où les Loups l’interrogeaient. L’affaire s’est achevée à la turque : dans un bain de sang.
D’une manière confuse, Sema l’avait toujours prévu : les Loups allaient finir par découvrir son nouveau visage. Or, à partir de cet instant, ils sauraient exactement où la trouver. Pour une raison simple : leur chef est Monsieur Velours, l’amateur de chocolats fourrés à la pâte d’amandes qui venait régulièrement à la Maison du Chocolat. Elle connaît cette vérité stupéfiante depuis qu’elle a retrouvé la mémoire. Il s’appelle Azer Akarsa. Adolescente, Sema se souvient de l’avoir aperçu dans un foyer d’Idéalistes, à Adana, où il passait déjà pour un héros…
Telle est l’ultime ironie de l’histoire : le tueur qui la cherchait depuis plusieurs mois dans le 10e arrondissement la croisait deux fois par semaine, sans la reconnaître, en achetant ses friandises préférées.
Selon le reportage télévisé, le drame de Saint-Cloud s’est déroulé aux environs de 15 heures, la veille. D’instinct, Sema devine que les Loups auront attendu le jour suivant pour attaquer la Maison du Chocolat.
C’est-à-dire maintenant.
Sema se précipite sur le téléphone et appelle Clothilde, à la boutique. Pas de réponse. Elle consulte sa montre : midi trente à Istanbul, soit une heure de moins à Paris. Déjà trop tard ? A partir de cette minute, elle compose ce numéro toutes les demi-heures. En vain. Impuissante, elle tourne dans sa chambre, inquiète à en devenir cinglée.
En désespoir de cause, elle se rend dans la salle « business center » du palace et débusque un ordinateur. Elle consulte, sur le réseau Internet, l’édition électronique du Monde du jeudi soir, parcourant les articles sur la mort de Jean-Louis Schiffer et le double meurtre de Saint-Cloud.
Machinalement, elle feuillette les autres pages de l’édition et tombe, encore une fois, sur une nouvelle qu’elle n’attendait pas. L’article s’intitule : « Suicide d’un haut fonctionnaire ». C’est l’annonce, noir sur blanc, de la mort de Laurent Heymes. Les lignes tremblent devant ses yeux. Le corps a été découvert jeudi matin, dans son appartement de l’avenue Hoche. Laurent a utilisé son arme de service — un Manhurin 38 millimètres. Sur la question du mobile, l’article rappelle brièvement le suicide de son épouse, un an auparavant, et son état dépressif depuis cette date, confirmé par de nombreux témoignages.
Sema se concentre sur ces mailles serrées de mensonges, mais elle ne voit plus les mots. Elle voit à leur place les mains pâles, le regard légèrement effaré, les flammes blondes des cheveux… Elle a aimé cet homme. Un amour étrange, inquiet, bouleversé par ses propres hallucinations. Des larmes affleurent à ses yeux, mais elle les retient.
Elle songe au jeune flic mort dans la villa de Saint-Cloud qui, d’une certaine façon, s’est sacrifié pour elle. Elle n’a pas pleuré sur lui. Elle ne pleurera pas sur Laurent, qui n’a été qu’un manipulateur parmi d’autres.
Le plus intime.
Et, en ce sens, le plus salaud.
A 16 heures, tandis qu’elle fume cigarette sur cigarette dans le « business center », un œil sur la télévision, l’autre sur l’ordinateur, la bombe explose. Dans les pages électroniques de la nouvelle édition du Monde, à la rubrique « France-Société » :
Les forces de police étaient toujours présentes, vendredi 22 mars, en fin de matinée, au 225 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, à la suite de la fusillade survenue dans la boutique « La Maison du Chocolat ». A midi, on ignorait encore les raisons de cet affrontement spectaculaire, qui a fait trois morts et deux blessés, dont trois victimes parmi les rangs de la police.
D’après les premiers témoignages, notamment celui de Clothilde Ceaux, une vendeuse de la boutique, sortie indemne du drame, voilà ce qui a pu être reconstitué. A 10 h 10, peu après l’ouverture, trois hommes ont pénétré dans le magasin. Presque aussitôt, des policiers en civil, postés juste en face, sont intervenus. Les trois hommes ont alors utilisé des armes automatiques et fait feu sur les policiers. La fusillade n’a duré que quelques secondes, de part et d’autre de la rue, mais a été d’une violence extrême. Trois policiers ont été touchés, dont l’un est mort sur le coup. Les deux autres sont dans un état critique. Quant aux agresseurs, deux ont été tués. Le troisième a réussi à s’enfuir.
D’ores et déjà, ces derniers ont été identifiés. Il s’agit de Lüset Yildirim, Kadir Kir et Azer Akarsa, tous trois d’origine turque. Les deux hommes décédés, Lüset Yildirim et Kadir Kir, possédaient des passeports diplomatiques. Il est impossible pour l’instant de connaître leur date d’arrivée en France, et l’ambassade turque s’est refusée à tout commentaire.
Selon les enquêteurs, ces deux hommes étaient connus des services de police turcs. Affiliés au groupe d’extrême droite des « Idéalistes », ou « Loups Gris », ils auraient déjà rempli des « contrats » pour le compte de cartels turcs du crime organisé.
L’identité du troisième homme, celui qui est parvenu à s’enfuir, est plus étonnante. Azer Akarsa est un homme d’affaires qui a connu une réussite exceptionnelle dans le secteur de l’arboriculture en Turquie et qui jouit d’une solide réputation à Istanbul. L’homme est connu pour ses opinions patriotiques mais défend un nationalisme modéré, moderne, compatible avec les valeurs démocratiques. Il n’a jamais eu de problèmes avec la police turque.
L’implication d’une telle personnalité dans cette affaire laisse supposer des enjeux politiques. Mais le mystère reste entier : pourquoi ces hommes se sont-ils rendus ce matin à la Maison du Chocolat, armés de fusils d’assaut et d’armes de poing automatiques ? Pourquoi des policiers en civil, en fait des officiers de la DNAT (Division Nationale Antiterroriste), étaient-ils également présents sur les lieux ? Suivaient-ils la trace des trois criminels ? On sait qu’ils surveillaient le magasin depuis plusieurs jours. Préparaient-ils un guet-apens, afin d’arrêter les ressortissants turcs ? Dès lors, pourquoi prendre tant de risques ? Pourquoi tenter une arrestation en pleine rue, à une heure de grande affluence, alors qu’aucune consigne de sécurité n’avait été donnée ? Le parquet de Paris s’interroge sur ces anomalies et a ordonné une enquête interne.
Selon nos sources, une piste est déjà privilégiée. La fusillade de la rue du Faubourg-Saint-Honoré pourrait être liée aux deux affaires d’homicides évoquées dans notre édition d’hier : la découverte du corps de l’inspecteur à la retraite Jean-Louis Schiffer au Père-Lachaise, dans la matinée du 21 mars, puis celle des corps de Paul Nerteaux, capitaine de police, et de Frédéric Gruss, chirurgien esthétique, le même jour, dans une villa de Saint-Cloud. Le capitaine Nerteaux enquêtait sur les meurtres de trois femmes non identifiées, dans le 10e arrondissement de Paris, survenus durant ces cinq derniers mois. Dans ce cadre, il avait consulté Jean-Louis Schiffer, spécialiste de la communauté turque à Paris.
Cette série d’assassinats pourrait constituer le cœur d’une affaire complexe, à la fois criminelle et politique, qui semble avoir échappé aux supérieurs hiérarchiques de Paul Nerteaux ainsi qu’au juge chargé de l’instruction des homicides, Thierry Bomarzo. Ce rapprochement est encore renforcé par le fait qu’une heure avant sa mort, l’officier de police avait lancé un avis de recherche contre Azer Akarsa et demandé un mandat de perquisition pour les établissements Matak, situés à Bièvres, dont l’un des principaux actionnaires est justement Akarsa. Lorsque les enquêteurs ont soumis son portrait à Clothilde Ceaux, témoin principal de la fusillade, celle-ci l’a formellement reconnu.
L’autre personnage-clé de cette enquête pourrait être Philippe Charlier, l’un des commissaires de la DNAT, qui possède à l’évidence des informations sur les initiateurs de la fusillade. Philippe Charlier, figure majeure de la lutte antiterroriste mais aussi personnage très controversé pour ses méthodes, devrait être entendu aujourd’hui par le juge Bernard Sazin, dans le cadre de l’enquête préliminaire.
Cette affaire confuse survient en pleine campagne électorale, alors même que Lionel Jospin envisage dans son programme la fusion de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) avec la Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG). Ce type de projet de fusion vise sans doute à éviter, dans un avenir proche, la trop forte indépendance de certains policiers ou agents de renseignements.
Sema coupe la connexion et dresse son bilan personnel des événements. Dans la colonne des points positifs, la vie sauve de Clothilde, ainsi que la convocation de Charlier chez le juge. A plus ou moins long terme, le flic antiterroriste devra répondre de tous ces morts, ainsi que du « suicide » de Laurent Heymes…
Dans la colonne négative, Sema ne retient qu’un seul fait, mais il évince tous les autres.
Azer Akarsa court toujours.
Et cette menace la conforte dans sa décision.
Elle doit le retrouver puis découvrir, plus haut encore, qui est le commanditaire de toute l’affaire. Elle ignore son nom, elle l’a toujours ignoré, mais elle sait qu’elle finira par mettre en lumière toute la pyramide.
A cette heure, elle ne possède qu’une certitude : Akarsa va revenir en Turquie. Sans doute est-il même déjà de retour. A l’abri parmi les siens. Protégé par la police et un pouvoir politique bienveillants.
Elle attrape son manteau et quitte la chambre.
C’est dans sa mémoire qu’elle trouvera la voie qui la mènera à lui.
Sema se rend d’abord sur le pont de Galata, non loin de son hôtel. Elle contemple, longuement, de l’autre côté du canal de la Corne d’Or, la vue la plus célèbre de la ville. Le Bosphore et ses bateaux ; le quartier d’Eminönü et la Nouvelle Mosquée ; ses terrasses de pierre, ses envolées de pigeons ; les dômes, les flèches des minarets, d’où s’élève cinq fois par jour la voix des muezzins.
Cigarette.
Elle ne se sent pas une âme de touriste, mais elle sait que la ville — sa ville — peut lui fournir un indice, une étincelle qui lui permettra de recouvrer toute sa mémoire. Pour l’heure, elle voit s’éloigner le passé d’Anna Heymes, remplacé peu à peu par des impressions vagues, des sensations confuses, liées à son quotidien de trafiquante. Les bribes d’un métier obscur, sans repères, sans le moindre détail personnel qui puisse lui fournir ne serait-ce qu’un signe pour rejoindre ses anciens « frères ».
Elle hèle un taxi et demande au chauffeur de sillonner la ville, au hasard. Elle parle le turc sans accent ni la moindre hésitation. Cette langue a jailli de ses lèvres dès qu’il a fallu l’utiliser — une eau enfouie au fond d’elle-même. Mais alors pourquoi pense-t-elle en français ? Effet du conditionnement psychique ? Non : cette familiarité est antérieure à toute l’histoire. C’est un élément constitutif de sa personnalité. Dans son parcours, sa formation, il y a eu cette greffe étrange…
A travers la vitre, elle observe chaque détail : le rouge du drapeau turc, frappé du croissant et de l’étoile d’or, qui marque la ville comme un sceau de cire ; le bleu des murs et des monuments de pierre, bruni, strié par la pollution ; le vert des toitures et du dôme des mosquées, qui oscille dans la lumière entre jade et émeraude.
Le taxi longe une muraille : Hatun caddesi. Sema lit les noms sur les panneaux : Aksaray, Kücükpazar, Carsamba… Ils résonnent en elle de manière vague, ne suscitent aucune émotion particulière, aucun souvenir distinct.
Pourtant, plus que jamais, elle devine qu’un rien — un monument, une enseigne, le nom d’une rue — suffirait à remuer ces sables mouvants, à désancrer les blocs de mémoire qui reposent en elle. Comme ces épaves des grands fonds qu’il suffit d’effleurer pour qu’elles remontent lentement vers la surface…
Le chauffeur interroge :
— Devam edelim mi[2] ?
— Evet[3].
Haseki. Nisanca. Yenikapi…
Nouvelle cigarette.
Fracas du trafic, roulis des passants. L’agitation urbaine culmine ici. Pourtant, une impression de douceur domine. Le printemps fait trembler ses ombres au-dessus du tumulte. Une lumière pâle resplendit à travers l’air enferraillé. Il plane sur Istanbul une moire argentée, une sorte de patine grise qui a raison de toutes les violences. Même les arbres possèdent quelque chose d’usé, de cendré, qui s’épanche et apaise l’esprit…
Soudain, un mot sur une affiche attire son attention. Quelques syllabes sur un fond rouge et or.
— Emmenez-moi à Galatasaray, ordonne-t-elle au chauffeur.
— Le lycée ?
— Le lycée, oui. A Beyoglu.
Une grande place, aux confins du quartier de Taksim. Des banques, des drapeaux, des hôtels internationaux. Le chauffeur se gare à l’entrée d’une avenue piétonnière.
— Vous aurez plus vite fait à pied, explique-t-il. Prenez l’Istiklal caddesi. Dans une centaine de mètres, vous…
— Je connais.
Trois minutes plus tard, Sema atteint les grandes grilles du lycée qui protègent jalousement des jardins obscurs. Elle franchit le portail et plonge dans une véritable forêt. Sapins, cyprès, platanes d’Orient, tilleuls : des sabres vifs, des nuances feutrées, des bouches d’ombre… Parfois, un pan d’écorce risque du gris, ou même du noir. D’autres fois, une cime, un ramage se fend d’un trait clair — un grand sourire pastel. Ou bien encore, des taillis secs, presque bleus, offrent une transparence de calque. Tout le spectre végétal se déploie ici.
Au-delà des arbres, elle aperçoit des façades jaunes, cernées de terrains de sport et de panneaux de basket : les bâtiments du lycée. Sema reste en retrait, sous les frondaisons, et observe. Les murs couleur de pollen. Les sols de ciment de teinte neutre. Le sigle du lycée, un S enchâssé dans un G, rouge serti dans de l’or, sur le gilet bleu marine des élèves qui déambulent.
Mais surtout, elle écoute le brouhaha qui s’élève. Une rumeur identique sous toutes les latitudes : la joie des enfants libérés de l’école. Il est midi : l’heure de la sortie des classes.
Plus qu’un bruit familier, c’est un appel, un signe de ralliement. Des sensations l’encerclent tout à coup, l’enlacent… Suffoquée par l’émotion, elle s’assoit sur un banc et laisse venir à elle les images du passé.
Son village d’abord, dans l’Anatolie lointaine. Sous un ciel sans limites, sans merci, des baraques de torchis, agrippées aux flancs de la montagne. Des plaines frémissantes, des herbes hautes. Des troupeaux de moutons sur des coteaux escarpés, trottinant à l’oblique, gris comme du papier sale. Puis, dans la vallée, des hommes, des femmes, des enfants, vivant là comme des pierres, brisés par le soleil et le froid…
Plus tard. Un camp d’entraînement — une station thermale désaffectée, entourée de fils barbelés, quelque part dans la région de Kayseri. Un quotidien d’endoctrinement, de formation, d’exercices. Des matinées à lire Les Neuf Lumières d’Alpaslan Türkes, à rabâcher les préceptes nationalistes, à visionner des films muets sur l’histoire turque. Des heures à s’initier aux rudiments de la science balistique, à faire la différence entre explosifs détonants et déflagrants, à tirer au fusil d’assaut, à manier des armes blanches…
Puis, soudain, le lycée français. Tout change. Un environnement suave et raffiné. Mais c’est peut-être pire encore. Elle est la paysanne. La fillette des montagnes parmi les fils de famille. Elle est aussi la fanatique. La nationaliste cramponnée à son identité turque, à ses idéaux, parmi des étudiants bourgeois, gauchistes, rêvant tous de devenir européens…
C’est ici, à Galatasaray, qu’elle s’est passionnée pour le français au point de le substituer, dans son esprit, à sa langue maternelle. Elle entend encore le dialecte de son enfance, syllabes heurtées et nues, peu à peu supplantées par ces mots nouveaux, ces poèmes, ces livres venant nuancer le moindre de ses raisonnements, caractériser chaque nouvelle idée. Le monde, alors, littéralement, est devenu français.
Puis c’est le temps des voyages. L’opium. Les cultures d’Iran, érigées en terrasses au-dessus des mâchoires du désert. Les damiers de pavots, en Afghanistan, alternant avec les champs de légumes et de blé. Elle voit des frontières sans nom, sans ligne définie. Des no man’s land de poussière tapissés de mines, hantés par des contrebandiers farouches. Elle se souvient des guerres. Les chars, les Stinger — et les rebelles afghans jouant au bouskachi avec la tête d’un soldat soviétique.
Elle voit aussi les laboratoires. Baraquements irrespirables, emplis d’hommes et de femmes masqués de toile. Poussière blanche et fumées acides ; morphine-base et héroïne raffinée… Le véritable métier commence.
C’est alors que le visage se précise.
Jusqu’à maintenant, sa mémoire a fonctionné dans une seule direction. Les visages ont joué chaque fois le rôle de détonateur. La tête de Schiffer a suffi pour lui révéler ses derniers mois d’activité — la drogue, la fuite, la planque. Le seul sourire d’Azer Akarsa a fait surgir les foyers, les réunions nationalistes, les hommes brandissant leur poing ajusté, index et auriculaire dressés, hululant des youyous aigus ou hurlant : « Türkes basbug ! » — et lui a soufflé son identité de Louve.
Mais maintenant, dans les jardins de Galatasaray, c’est le phénomène inverse qui se produit. Ses souvenirs révèlent un personnage-leitmotiv traversant chaque fragment de sa mémoire… D’abord un enfant pataud, à l’époque des origines. Puis un adolescent malhabile, au lycée français. Plus tard, un partenaire de trafic. Dans les laboratoires clandestins, c’est bien la même silhouette dodue, vêtue d’une blouse blanche, qui lui sourit.
Au fil des années, un enfant a grandi à ses côtés. Un frère de sang. Un Loup Gris qui a tout partagé avec elle. Maintenant qu’elle se concentre, le visage gagne en netteté. Des traits poupins sous des boucles couleur de miel. Des yeux bleus, comme deux turquoises posées parmi les cailloux du désert.
Brusquement, un nom jaillit : Kürsat Milihit.
Elle se lève et se décide à pénétrer dans le lycée. Il lui faut une confirmation.
Sema se présente au directeur comme une journaliste française et explique son sujet de reportage : les anciens élèves de Galatasaray qui sont devenus des célébrités en Turquie.
Rire d’orgueil du directeur : quoi de plus normal ?
Quelques minutes plus tard, elle se retrouve dans une petite pièce aux murs tapissés de livres. Devant elle, les classeurs des promotions des dernières décennies — noms et portraits des anciens élèves, dates et prix de chaque année. Sans hésiter, elle ouvre le registre de 1988 et s’arrête sur la classe de terminale, la sienne. Elle ne cherche pas son ancien visage, l’idée même de le contempler la met mal à l’aise, comme si elle touchait là un sujet tabou. Non : elle cherche le portrait de Kürsat Milihit.
Lorsqu’elle le découvre, ses souvenirs se précisent encore. L’ami d’enfance. Le compagnon de route. Aujourd’hui, Kürsat est chimiste. Le meilleur de sa catégorie. Capable de transformer n’importe quelle gomme-base, de produire la meilleure morphine, de distiller l’héroïne la plus pure. Des doigts de magicien, qui savent manipuler comme personne l’anhydride acétique.
Depuis des années, c’est avec lui qu’elle organise chacune de ses opérations. C’est lui, lors du dernier convoi, qui a réduit l’héroïne en solution liquide. Une idée de Sema : injecter la drogue dans les alvéoles d’enveloppes à bulles. A raison de cent millilitres par enveloppe, il suffisait de dix conditionnements pour expédier un kilo — deux cents pour le chargement total. Vingt kilos d’héroïne numéro quatre, en solution liquide, à l’abri du rembourrage translucide de simples envois de documentation à récupérer à la zone de fret de Roissy.
Elle regarde encore la photo : ce gros adolescent au front de lait et aux boucles de cuivre n’est pas seulement un fantôme du passé. Il doit jouer maintenant un rôle crucial.
Lui seul peut l’aider à retrouver Azer Akarsa.
Une heure plus tard, Sema traverse en taxi l’immense pont d’acier qui surplombe le Bosphore. L’orage éclate à ce moment-là. En quelques secondes, alors que la voiture atteint la rive asiatique, la pluie marque son territoire avec violence. Ce sont d’abord des aiguilles de lumière frappant les trottoirs, puis de véritables flaques, qui s’étendent, s’étalent, se mettent à crépiter comme sur des toits de tôle. Bientôt, tout le paysage s’alourdit. Des gerbes brunâtres s’élèvent au passage des voitures, les chaussées s’enfoncent et se noient…
Lorsque le taxi parvient dans le quartier de Beylerbeyi, blotti au pied du pont, l’averse s’est transformée en tempête. Une vague grise annule toute visibilité, confondant voitures, trottoirs et maisons en un brouillard mouvant. Le quartier tout entier paraît régresser à l’état liquide — une préhistoire de tourbe et de boue.
Sema se décide à sortir du taxi, rue Yaliboyu. Elle se faufile entre les voitures et se réfugie sous un auvent, le long des boutiques. Elle prend le temps d’acheter un ciré, un poncho vert léger, puis elle cherche ses repères. Ce quartier ressemble à un village — un modèle réduit d’Istanbul, une version de poche. Des trottoirs étroits comme des rubans, des maisons qui se serrent les coudes, des ruelles qui jouent les sentiers en descendant vers la rive.
Elle plonge dans la rue Beylerbeyi, en direction du fleuve. A gauche, des échoppes fermées, des buvettes retranchées sous leur auvent, des étals recouverts de bâches. A droite, un mur aveugle, abritant les jardins d’une mosquée. Une surface de moellon rouge, poreuse, creusée de fissures qui dessinent une géographie mélancolique. En bas, sous les feuillages gris, on devine les eaux du Bosphore qui grondent et roulent comme des timbales dans une fosse d’orchestre.
Sema se sent gagnée par l’élément liquide. Les gouttes clapotent sur sa tête, lui battent les épaules, ruissellent sur son ciré… Ses lèvres prennent une saveur de glaise. Son visage même lui paraît devenir fluide, mouvant, miroitant…
La tourmente redouble sur la berge, comme libérée par l’ouverture du fleuve. La rive semble prête à se détacher et à suivre le détroit jusqu’à la mer. Sema ne peut s’empêcher de vibrer, de sentir, dans ses veines devenues rivières, ces fragments de continent qui oscillent sur leurs bases.
Sema revient sur ses pas puis cherche l’entrée de la mosquée. Elle suit un mur lépreux, percé de grilles rouillées. Au-dessus d’elle, les dômes luisent, les minarets semblent s’élancer entre les gouttes.
A mesure qu’elle avance, de nouveaux souvenirs affluent. On surnomme Kürsat le « Jardinier », parce que sa spécialité est la botanique, tendance pavot. Il cultive ici ses propres espèces sauvages, enfouies dans ces jardins. Chaque soir, il vient à Beylerbeyi pour surveiller ses papavéracées…
Après le portail, elle pénètre dans une cour dallée de marbre, où s’alignent une série d’éviers au ras du sol, destinés aux ablutions avant la prière. Elle traverse le patio, aperçoit un groupe de chats blanc et miel recroquevillés dans les lucarnes. L’un d’eux a un œil crevé, l’autre le museau croûte de sang.
Encore un nouveau seuil et, enfin, les jardins.
Cette vision l’attrape au cœur. Des arbres, des buissons, des broussailles en désordre. Des terres retournées ; des branches aussi noires que des bâtons de réglisse ; des bosquets bombés de petites feuilles, serrés comme des buissons de gui. Tout un monde luxuriant, animé, cajolé par l’averse.
Elle s’avance, grisée par les parfums des fleurs, les odeurs sourdes de la terre. Le martèlement de la pluie se fait ici feutré. Les gouttes rebondissent sur les feuilles en pizzicati mats, des volées d’eau glissent sur les frondaisons en cordes de harpe. Sema pense : « Le corps répond à la musique par la danse. La terre répond à la pluie par ses jardins. »
Ecartant des branches, elle découvre un grand potager, enfoui sous les arbres. Des tuteurs de bambou se dressent ; des bidons tronqués sont remplis d’humus ; des bocaux retournés protègent de jeunes pousses. Sema songe à une serre à ciel ouvert. Mieux : à une crèche végétale. Elle esquisse encore quelques pas et s’arrête : le Jardinier est là.
Un genou au sol, il est penché sur une rangée de pavots, protégés par des enveloppes de plastique transparent. Il est en train de glisser un drain à l’intérieur d’un pistil, là où se trouve la capsule d’alcaloïde. Sema ne reconnaît pas l’espèce qu’il manipule. Sans doute un nouvel hybride, en avance sur la saison de floraison. Du pavot expérimental, en pleine capitale turque…
Comme s’il avait senti sa présence, le chimiste lève les yeux. Sa capuche lui barre le front, révélant à peine ses traits lourds. Un sourire naît sur ses lèvres, plus rapide que l’étonnement de son regard :
— Les yeux. Je t’aurais reconnue aux yeux.
Il a parlé en français. C’était un jeu, jadis, entre eux — une complicité supplémentaire. Elle ne répond pas. Elle imagine ce qu’il voit : une silhouette décharnée, sous une capuche vert thé, des traits émaciés, méconnaissables. Pourtant, Kürsat ne marque aucun étonnement : il sait donc pour le nouveau visage. L’avait-elle prévenue ? Ou bien les Loups s’en sont-ils chargés ? Ami ou ennemi ? Elle n’a que quelques secondes pour se décider. L’homme était son confident, son complice. C’est donc elle qui lui a révélé les détails de sa fuite.
Ses gestes sont empruntés, mal assurés. Il est à peine plus grand que Sema. Il porte une blouse de toile, sous un large tablier de plastique. Kürsat Milihit se relève.
— Pourquoi t’es revenue ?
Elle ne dit rien, laissant l’averse marquer les secondes. Puis, la voix assourdie par le ciré, elle répond en français aussi :
— Je veux savoir qui je suis. J’ai perdu la mémoire.
— Quoi ?
— A Paris, j’ai été arrêtée par la police. J’ai subi un conditionnement mental. Je suis amnésique.
— C’est impossible.
— Tout est possible dans notre monde, tu le sais comme moi.
— Tu… Tu te souviens de rien ?
— Ce que je sais, je l’ai appris par ma propre enquête.
— Mais pourquoi revenir ? Pourquoi ne pas disparaître ?
— Il est trop tard pour disparaître. Les Loups sont à mes trousses. Ils connaissent mon nouveau visage. Je veux négocier.
Il pose avec précaution la fleur coiffée de plastique parmi les demi-jerricans et les sacs de terreau. Il lui lance un regard furtif :
— Tu l’as toujours ?
Sema ne répond pas. Kürsat insiste :
— La drogue, tu l’as toujours ?
— Les questions, c’est moi, réplique-t-elle. Qui était le commanditaire de l’opération ?
— Nous ne connaissons jamais son nom. C’est la règle.
— Il n’y a plus de règle. Ma fuite a tout bouleversé. Ils ont dû venir t’interroger. Des noms ont dû circuler. Qui a ordonné ce convoi ?
Kürsat hésite. La pluie claque sur sa capuche, coule sur son visage.
— Ismaïl Kudseyi.
Le nom frappe sa mémoire — Kudseyi, le maître absolu — mais elle simule encore l’oubli :
— Qui est-ce ?
— J’peux pas croire que tu aies perdu la boule à ce point.
— Qui est-ce ? répète-t-elle.
— Le baba le plus important d’Istanbul. (Il baisse d’un ton, comme au diapason de l’averse.) Il prépare une alliance avec les Ouzbeks et les Russes. Le chargement était un convoi-pilote. Un test. Un symbole. Envolé avec toi.
Elle sourit dans le cristal des gouttes.
— L’atmosphère doit être au beau fixe entre les partenaires.
— La guerre est imminente. Mais Kudseyi s’en fout. Ce qui l’obsède, c’est toi. Te retrouver. C’est pas une question d’argent, c’est une question d’honneur. Il peut pas avoir été trahi par l’un des siens. On est ses Loups, ses créatures.
— Ses créatures ?
— Les instruments de la Cause. On a été formés, endoctrinés, élevés par les Loups. A ta naissance, tu n’étais personne. Une pouilleuse qui élevait des brebis. Comme moi. Comme les autres. Les foyers nous ont tout donné. La foi. Le pouvoir. La connaissance.
Sema devrait aller à l’essentiel, mais elle veut entendre d’autres faits, d’autres détails :
— Pourquoi parlons-nous le français ?
Un sourire s’insinue sur la face ronde de Kürsat. Un sourire de fierté :
— On a été choisis. Dans les années 80, les « reïs », les chefs, ont voulu créer une armée clandestine, avec des officiers, des figures d’élite. Des Loups qui pourraient s’immiscer dans les couches les plus élevées de la société turque.
— C’était un projet de Kudseyi ?
— Un projet initié par lui, mais approuvé par tous. Des émissaires de sa fondation ont visité les foyers d’Anatolie centrale. Ils ont cherché les enfants les plus doués, les plus prometteurs. Leur idée était de leur offrir une scolarité de haut niveau. Un projet patriotique : le savoir et le pouvoir rendus aux vrais Turcs, aux enfants d’Anatolie, pas aux bâtards bourgeois d’Istanbul…
— Et nous avons été sélectionnés ?
Le ton d’orgueil gonfle encore :
— Envoyés au lycée Galatasaray, avec quelques autres, grâce aux bourses de la fondation. Comment peux-tu avoir oublié tout ça ?
Sema ne répond pas. Kürsat poursuit, d’une voix de plus en plus exaltée :
— On avait douze ans. On était déjà des petits « baskans », des chefs dans nos régions. On a d’abord passé une année dans un camp d’entraînement. Quand on est arrivés à Galatasaray, on savait déjà se servir d’un fusil d’assaut. On connaissait par cœur des passages des Neuf Lumières. Et on était tout à coup entourés de décadents, qui écoutaient du rock, fumaient du cannabis, imitaient les Européens. Des fils de pute, des communistes… Face à eux, on se serrait les coudes, Sema. Comme un frère et une sœur. Les deux bouseux d’Anatolie, les deux misérables avec leur pauvre bourse… Mais personne ne savait à quel point on était dangereux. On était déjà des Loups. Des combattants. Infiltrés dans un monde qui nous était interdit. Pour mieux lutter contre ces salauds de Rouges ! Tanri türk’ü korusun[4] !
Kürsat a brandi le poing, l’index et l’auriculaire levés. Il se donne beaucoup de mal pour avoir l’air d’un fanatique mais il ressemble surtout à ce qu’il n’a jamais cessé d’être : un enfant doux, maladroit, conditionné à la violence et à la haine.
Elle le questionne encore, immobile parmi les tuteurs et les feuillages :
— Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
— Pour moi, la faculté des sciences. Pour toi, l’université de Bogazici où on enseigne les langues. A la fin des années 80, les Loups s’imposaient sur le marché de la drogue. Ils avaient besoin de spécialistes. Nos rôles étaient déjà écrits. La chimie pour moi, le transport pour toi. Il y en avait d’autres. Des Loups infiltrés. Des diplomates, des chefs d’entreprise, des…
— Comme Azer Akarsa.
Kürsat tressaille :
— Tu connais ce nom ?
— C’est l’homme qui m’a prise en chasse, à Paris.
Il s’ébroue sous la pluie, comme un hippopotame.
— Ils ont lâché le pire de tous. S’il te cherche, il te trouvera.
— C’est moi qui le cherche. Où est-il ?
— Comment je le saurais ?
La voix du Jardinier sonne faux. A ce moment, un soupçon revient la tarauder. Elle avait presque oublié ce versant de l’histoire : qui l’a trahie ? Qui a révélé à Akarsa qu’elle se cachait dans le hammam de Gurdilek ? Elle réserve cette question pour plus tard…
Le chimiste reprend, d’une manière trop précipitée :
— Tu l’as toujours ? Où est la drogue ?
— Je te répète que j’ai perdu la mémoire.
— Si tu veux négocier, tu peux pas revenir les mains vides. C’est ta seule chance de…
Elle demande tout à coup :
— Pourquoi j’ai fait ça ? Pourquoi avoir voulu doubler tout le monde ?
— Il y a que toi qui le saches.
— Je t’ai impliqué dans ma fuite. Je t’ai mis en danger. Je t’ai forcément donné mes raisons.
Il esquisse un geste vague :
— T’as jamais accepté notre destin. Tu disais qu’on avait été enrôlés de force. Qu’on nous avait pas donné le choix. Mais quel choix ? Sans eux, on serait toujours des bergers. Des culs-terreux du fin fond de l’Anatolie.
— Si je suis une trafiquante, j’ai de l’argent. Pourquoi n’avoir pas disparu, tout simplement ? Pourquoi avoir volé l’héroïne ?
Kürsat ricane :
— Il te fallait plus. Foutre le bordel. Dresser les clans les uns contre les autres. Avec cette mission, tu tenais ta vengeance. Quand les Ouzbeks et les Russes seront ici, ce sera l’hécatombe.
La pluie décroît, la nuit tombe. Kürsat se résorbe lentement dans les ténèbres, comme s’il s’éteignait. Au-dessus d’eux, les dômes de la mosquée semblent fluorescents.
L’idée de la trahison revient en force, elle doit aller maintenant jusqu’au bout, achever sa sale besogne.
— Et toi, demande-t-elle d’une voix glacée, comment se fait-il que tu sois encore vivant ? Ils ne sont pas venus t’interroger ?
— Si, bien sûr.
— Tu n’as rien dit ?
Le chimiste semble parcouru d’un frisson.
— J’avais rien à dire. Je savais rien. J’ai juste transformé l’héroïne à Paris et je suis rentré au pays. T’as plus donné aucune nouvelle. Personne savait où t’étais. Et surtout pas moi.
Sa voix tremble. Sema est soudain prise de pitié. Kürsat, mon Kürsat, comment as-tu pu survivre aussi longtemps ? Le gros homme ajoute d’un trait :
— Y m’ont fait confiance, Sema. J’te jure. J’avais fait ma part de boulot. J’avais plus de nouvelles de toi. A partir du moment où t’étais planquée chez Gurdilek, j’ai pensé…
— Qui a parlé de Gurdilek ? J’ai parlé de Gurdilek ?
Elle vient de comprendre : Kürsat savait tout, mais il n’a révélé qu’une partie de la vérité à Akarsa. Il s’en est sorti en livrant son adresse parisienne mais il a passé sous silence son nouveau visage. Voilà comment son « frère de sang » a négocié avec sa propre conscience.
Le chimiste demeure une seconde bouche ouverte, comme entraîné par le poids de son menton. L’instant d’après, il plonge sa main sous une toile plastique. Sema pointe son Glock sous son poncho et tire. Le Jardinier se fracasse parmi les pousses et les bocaux.
Sema s’agenouille : c’est son deuxième meurtre après celui de Schiffer. Mais d’après la sûreté de son geste, elle comprend qu’elle a déjà tué. Et de cette façon, à l’arme de poing, à bout portant. Quand ? Combien de fois ? Aucun souvenir. Sur ce point, sa mémoire joue les chambres stériles.
Elle observe un instant Kürsat, immobile parmi les pavots. La mort apaise déjà sa figure ; l’innocence remonte lentement à la surface de ses traits, enfin libérée.
Elle fouille le cadavre. Sous la blouse, elle débusque un téléphone portable. Un des numéros en mémoire porte la mention « Azer ».
Elle fourre l’appareil dans sa poche puis se relève. La pluie s’est arrêtée. L’obscurité a pris possession des lieux. Les jardins respirent enfin. Elle lève les yeux vers la mosquée : les dômes trempés ont l’air en céramique verte, les minarets prêts à décoller vers les étoiles.
Sema demeure encore quelques secondes auprès du corps. Inexplicablement, quelque chose de net, de précis, se détache d’elle-même.
Elle sait maintenant pourquoi elle a agi. Pourquoi elle a fui avec la drogue.
Pour la liberté, bien sûr.
Mais aussi pour se venger d’un fait très précis.
Avant d’agir plus avant, il lui faut vérifier cela.
Il lui faut trouver un hôpital. Et un gynécologue.
Toute la nuit à écrire. Une lettre de douze pages, adressée à Mathilde Wilcrau, rue Le Goff, Paris, 5e arrondissement. Elle y explique son histoire en détail. Ses origines. Sa formation. Son métier. Et le dernier convoi.
Elle livre aussi les noms. Kürsat Milihit. Azer Akarsa. Ismaïl Kudseyi. Elle place chaque patronyme, chaque pion sur l’échiquier. Décrivant avec minutie leur rôle et leur position. Reconstituant chaque fragment de la fresque…
Sema lui doit ces explications.
Elle les lui a promises dans la crypte du Père-Lachaise, mais surtout, elle souhaite rendre intelligible cette histoire dans laquelle la psychiatre a risqué sa vie sans contrepartie.
Lorsqu’elle écrit « Mathilde » sur le papier clair de l’hôtel, lorsqu’elle serre son stylo sur ce prénom, Sema se dit qu’elle n’a peut-être jamais tenu quelque chose d’aussi solide que ces quelques syllabes.
Elle allume une cigarette et prend le temps de se souvenir. Mathilde Wilcrau. Une grande et forte femme éclaboussée de cheveux noirs. La première fois qu’elle a contemplé son sourire trop rouge, une image lui est venue à l’esprit : ces tiges de coquelicots qu’elle brûlait pour préserver leur couleur.
La comparaison revêt tout son sens aujourd’hui, alors qu’elle a retrouvé la mémoire de ses origines. Les paysages de sable n’appartenaient pas aux landes françaises, comme elle le croyait, mais aux déserts d’Anatolie. Les coquelicots étaient des pavots sauvages — l’ombre de l’opium, déjà… Sema éprouvait un frémissement, une excitation mêlée de crainte en brûlant les tiges. Elle sentait un lien secret, inexplicable, entre la flamme noire et l’éclosion colorée des pétales.
Le même mystère scintille chez Mathilde Wilcrau.
Une région brûlée en elle renforce le rouge absolu de son sourire.
Sema achève sa lettre. Elle hésite un instant : doit-elle écrire ce qu’elle a appris à l’hôpital quelques heures plus tôt ? Non. Cela ne regarde qu’elle-même. Elle signe et glisse la feuille dans l’enveloppe.
4 heures s’affichent sur le radio-réveil de la chambre.
Elle réfléchit une dernière fois à son plan. « Tu peux pas revenir les mains vides… », a dit Kürsat. Ni les éditions du Monde ni les journaux télévisés n’ont mentionné la drogue éparpillée dans la crypte. Il existe donc une forte probabilité pour que Azer Akarsa et Ismaïl Kudseyi ignorent que l’héroïne est perdue. Sema possède, virtuellement, un objet de négociation…
Elle dépose l’enveloppe devant la porte puis gagne la salle de bains.
Elle laisse couler un filet d’eau dans le lavabo et attrape le paquet cartonné, acheté tout à l’heure dans une droguerie de Beylerbeyi.
Elle verse le pigment dans l’évier et contemple les méandres rougeâtres qui s’étiolent, se figent dans l’eau en boue brune.
Durant quelques instants, elle s’observe dans le miroir. Visage fracassé, os broyés et peau couturée : sous la beauté apparente, un mensonge de plus…
Elle sourit à son reflet et murmure :
— Il n’y a plus le choix.
Puis plonge avec précaution son index droit dans le henné.
Cinq heures.
La gare d’Haydarpasa.
Un point de départ et d’arrivée à la fois ferroviaire et maritime. Tout est exactement comme dans son souvenir. Le bâtiment central, un U cerné par deux tours massives, ouvert sur le détroit comme une accolade, une invite face à la mer. Puis, tout autour, les digues. Dessinant des axes de pierre, creusant entre elles un labyrinthe d’eau. Sur la deuxième, au bout de la jetée, un phare se dresse. Une tour isolée, comme posée sur les canaux.
A cette heure, tout est sombre, froid, éteint. Seule une lumière palpite faiblement dans la gare, à travers ses vitres embuées une lueur rousse, hésitante.
Le kiosque de « l’iskele » — l’embarcadère — brille lui aussi, se réfléchissant dans l’eau en une tache bleu mordoré, plus faible encore, presque violette.
Epaules hautes, col relevé, Sema longe l’édifice puis remonte la berge. Ce spectacle sinistre lui convient : elle comptait sur ce désert inerte, silencieux, engourdi de givre. Elle se dirige vers l’embarcadère des bateaux de plaisance. Les câbles et les voiles la suivent de près, dans un cliquetis incessant.
Sema scrute chaque barque, chaque esquif. Enfin, elle repère une embarcation dont le propriétaire dort, en chien de fusil, enfoui sous une bâche. Elle le réveille et négocie aussitôt. Hagard, l’homme accepte la somme proposée : une fortune. Elle lui assure qu’elle ne s’éloignera pas au-delà de la seconde digue, qu’il ne quittera jamais son bateau des yeux. Le marin accepte, démarre le moteur sans un mot puis met pied à terre.
Sema prend la barre. Elle manœuvre parmi les autres embarcations et quitte le quai. Elle suit la première digue, contourne l’extrémité du remblai puis longe le second quai, jusqu’au phare. Autour d’elle, pas un bruit. Seul, très loin, le pont éclairé d’un cargo se découpe dans les ténèbres. Sous la lumière des projecteurs, perlées d’embruns, des ombres s’agitent. Un bref instant, elle se sent complice, solidaire de ces fantômes dorés.
Elle accoste les rochers. Amarre son embarcation et rejoint le phare. Sans difficulté, elle force la porte. L’intérieur est étroit, glacé, hostile à toute présence humaine. Le phare est automatisé et paraît n’avoir besoin de personne. Au sommet de la tour, l’énorme projecteur tourne sur son pivot avec lenteur, en longs gémissements.
Sema allume sa torche électrique. Le mur circulaire, tout proche, est sale, humide. Le sol creusé de flaques. Un escalier de fer, en colimaçon, occupe tout l’espace. Sema perçoit le bruissement des flots sous ses pieds. Elle songe à quelque point d’interrogation en pierre, aux confins du monde. Un lieu de solitude radicale. L’endroit idéal.
Elle attrape le téléphone de Kürsat et compose le numéro d’Azer Akarsa.
La sonnerie retentit. On décroche. Silence. Après tout, il est à peine 5 heures…
Elle dit en turc :
— C’est Sema.
Le silence persiste. Puis la voix d’Azer Akarsa retentit, toute proche :
— Où es-tu ?
— Istanbul.
— Qu’est-ce que tu proposes ?
— Un rendez-vous. Seul à seule. En territoire neutre.
— Où ?
— La gare d’Haydarpasa. Sur la deuxième digue, il y a un phare.
— Quelle heure ?
— Maintenant. Tu viens seul. En barque.
Sourire dans la voix :
— Pour me faire tirer comme un lapin ?
— Ça ne résoudrait pas mes problèmes.
— Je ne vois pas ce qui résoudrait tes problèmes.
— Tu sauras si tu viens.
— Où est Kürsat ?
Le numéro doit s’afficher sur l’écran de son téléphone. A quoi bon mentir ?
— Il est mort. Je t’attends. Haydarpasa. Seul. Et à la rame.
Elle coupe et regarde au-dehors, à travers la fenêtre grillagée. La gare maritime s’anime. Un trafic lent, poissé d’aube, se met en branle. Un navire glisse sur des rails et s’arrache aux flots jusqu’à pénétrer sous les arches des entrepôts éclairés.
Son poste d’observation est parfait. D’ici, elle peut surveiller à la fois la gare et ses embarcadères, le quai et la première digue : impossible de s’approcher à couvert.
Elle s’assoit sur les marches en grelottant.
Cigarette.
Ses pensées dérivent ; un souvenir surgit, sans rime ni raison. La chaleur du plâtre sur sa peau. Les mailles de gaze collées sur ses chairs meurtries. Les démangeaisons insupportables sous les pansements. Elle se souvient de sa convalescence, entre veille et sommeil, abrutie de sédatifs. Et surtout de son effroi devant son nouveau visage, gonflé à crever, bleui d’hématomes, couvert de croûtes séchées…
Ils paieront aussi pour ça.
5 h 15.
Le froid devient une morsure, presque une brûlure. Sema se lève, bat des pieds, des bras, luttant contre l’engourdissement. Ses souvenirs d’opération la ramènent directement à sa dernière découverte, quelques heures auparavant, à l’hôpital central d’Istanbul. En fait, cela n’a été qu’une confirmation. Elle se rappelle maintenant avec précision ce jour de mars 1999, à Londres. Un banal problème de colite, qui l’avait obligée à effectuer une radiographie. Et à accepter la vérité.
Comment ont-ils pu lui infliger cela ?
La mutiler à jamais ?
Voilà pourquoi elle a fui.
Voilà pourquoi elle les tuera tous.
5 heures 30.
Le froid lui cloue les os. Son sang afflue vers ses organes vitaux, abandonnant peu à peu les extrémités aux engelures et à la mort glacée. Dans quelques minutes, elle sera paralysée.
D’un pas mécanique, elle marche jusqu’à la porte. Elle sort du phare, percluse, et s’efforce de dégourdir ses jambes sur la digue. La seule source de chaleur ne peut être que son propre sang, il faut le faire circuler, le répartir à nouveau dans son corps…
Des voix retentissent, dans le lointain. Sema lève les yeux. Des pêcheurs accostent la première digue. Elle n’avait pas prévu cela. Pas si tôt, du moins.
Dans l’obscurité, elle discerne leurs lignes qui fouettent déjà la surface de l’eau.
Sont-ils vraiment des pêcheurs ?
Elle regarde sa montre : 5 h 45.
Dans quelques minutes, elle partira. Elle ne peut attendre plus longtemps Azer Akarsa. D’instinct, elle sait que, où qu’il soit à Istanbul, une demi-heure lui suffit pour rejoindre la gare. S’il a besoin de plus de temps, c’est qu’il s’est organisé, qu’il a préparé un piège.
Un clapotis. Dans les ténèbres, le sillage d’une barque s’ouvre sur l’eau. La chaloupe dépasse la première digue. Une silhouette s’arc-boute sur ses rames. Mouvements lents, amples, assidus. Un rai de lune flatte les épaules de velours.
Enfin, sa barque touche les rochers.
Il se lève, s’empare de l’amarre. Les gestes, les bruits sont si ordinaires qu’ils en deviennent presque irréels. Sema ne peut se convaincre que l’homme qui ne vit que pour sa mort se tient à deux mètres d’elle. Malgré le manque de lumière, elle distingue sa veste en velours, olivâtre et élimée, sa grosse écharpe, sa tignasse hirsute… Lorsqu’il se penche pour lui lancer la corde, elle aperçoit même, une fraction de seconde, l’éclat mauve de ses pupilles.
Elle attrape l’amarre et la noue à son propre cordage. Azer s’apprête à mettre pied à terre mais Sema l’arrête, brandissant son Glock.
— Les bâches, souffle-t-elle.
Il jette un regard aux vieilles toiles qui s’entassent dans la barque.
— Soulève-les.
Il s’exécute : le fond du bateau est vide.
— Approche. Très lentement.
Elle recule, afin de le laisser monter sur la digue. D’un geste, elle l’exhorte à lever les bras. De la main gauche, elle le fouille : pas d’arme.
— Je joue le jeu dans les règles, marmonne-t-il.
Elle le pousse vers l’embrasure de la porte, puis lui emboîte le pas. A peine est-elle entrée qu’il est déjà assis sur les marches de fer.
Un sachet transparent s’est matérialisé entre ses mains :
— Un chocolat ?
Sema ne répond pas. Il attrape une friandise et la porte à sa bouche.
— Diabète, prononce-t-il sur un ton d’excuse. Mon traitement à l’insuline provoque des baisses de sucre dans mon sang. Impossible de trouver le bon dosage. Plusieurs fois par semaine, j’ai de violentes crises d’hypoglycémie. Qui s’aggravent en cas d’émotion. J’ai alors besoin de sucre rapide.
Le papier cristal brille entre ses doigts. Sema songe à la Maison du Chocolat, à Paris, à Clothilde. Un autre monde.
— A Istanbul, j’achète des pâtes d’amandes enrobées de cacao. La spécialité d’un confiseur, à Beyoglu. A Paris, j’ai trouvé les Jikola…
Il pose le sachet avec délicatesse sur la structure de ferraille. Feinte ou réelle, sa décontraction est impressionnante. Le phare s’emplit lentement de plomb bleu. Le jour est en train de se lever, alors que le pivot, dans les hauteurs de la tour, ne cesse de gémir.
— Sans ces chocolats, ajoute-t-il, je ne t’aurais jamais retrouvée.
— Tu ne m’as pas retrouvée.
Sourire. Il glisse à nouveau sa main sous sa veste. Sema braque son arme. Azer ralentit son geste puis sort une photographie en noir et blanc. Un simple instantané : un groupe sur un campus.
— L’université de Bogazici, avril 1993, commente-t-il. La seule photo qui existe de toi. De ton ancien visage, je veux dire…
Tout à coup, entre ses doigts apparaît un briquet. La flamme écorche l’obscurité, puis mord lentement le papier glacé, dégageant une forte odeur chimique.
— Rares sont ceux qui peuvent se vanter de t’avoir rencontrée après cette période, Sema. Sans compter que tu ne cessais de changer de nom, d’apparence, de pays…
Il tient toujours le cliché crépitant entre ses doigts. Des flammes d’un rose étincelant ruissellent sur ses traits. Elle croit voir passer une de ses hallucinations. Peut-être le début d’une crise… Mais non : le visage du tueur boit simplement le feu.
— Un mystère complet, reprend-il. D’une certaine façon, c’est ce qui a coûté la vie aux trois autres femmes. (Il contemple la flambée entre ses doigts.) Elles se sont tordues sous la douleur Longtemps. Très longtemps…
Il lâche enfin le tirage, qui tombe dans une flaque d’eau :
— J’aurais dû penser à l’intervention chirurgicale. C’était dans ta logique. L’ultime métamorphose…
Il fixe la flaque noire, encore fumante :
— Nous sommes les meilleurs, Sema. Chacun dans notre domaine. Qu’est-ce que tu proposes ?
Elle devine que l’homme ne la considère pas comme une ennemie, mais comme une rivale. Mieux : comme un double. Cette chasse était beaucoup plus qu’un simple contrat. Un défi intime. Une traversée du miroir… Sur une impulsion, elle le provoque :
— Nous ne sommes que des instruments, des jouets entre les mains des babas.
Azer fronce les sourcils. Son visage se contracte.
— C’est le contraire, souffle-t-il. Je les utilise pour servir notre Cause. Leur argent ne…
— Nous sommes leurs esclaves.
Une nuance d’irritation perce dans sa voix :
— Qu’est-ce que tu cherches ? (Il hurle d’un coup, balançant les chocolats à terre.) Qu’est-ce que tu proposes ?
— A toi, rien. Je ne parlerai qu’à Dieu en personne.