3La Porte Noire est close
Le lendemain avant l’aube, leur voyage vers le Mordor était terminé. Les marais et le désert étaient derrière eux. Devant, sombres sur un ciel blafard, les hautes montagnes dressaient leurs cimes menaçantes.
À la lisière occidentale du Mordor se déployait la lugubre chaîne de l’Ephel Dúath, les Montagnes de l’Ombre, et au nord, les cimes déchiquetées et les crêtes arides des Ered Lithui, d’un gris de cendre. Mais à l’endroit où les deux chaînes se rejoignaient, n’étant en fait que les segments d’une seule et unique muraille autour des mornes plaines de Lithlad et de Gorgoroth, et de la froide mer intérieure de Núrnen au centre du pays, elles étendaient de longs bras vers le nord ; et entre ces deux bras se trouvait un profond défilé. C’était Cirith Gorgor, le Col Hanté, l’entrée du pays de l’Ennemi. De hauts escarpements s’y abaissaient de chaque côté ; et de part et d’autre de l’ouverture s’élevaient deux collines abruptes, à la face noire et nue. Au sommet de chacune se dressaient les Dents du Mordor, deux hautes et fortes tours. Les Hommes du Gondor, dans une démonstration d’orgueil et de suprématie, les y avaient construites en des temps désormais très lointains, après la chute de Sauron et sa fuite, au cas où il tenterait de regagner son ancien royaume. Mais la puissance du Gondor avait fait défaut, les hommes s’étaient assoupis et, pendant de longues années, les tours étaient restées à l’abandon, livrées au délabrement. Sauron était alors revenu. Depuis, elles avaient été remises à neuf, réarmées, et occupées avec une constante vigilance. Leurs faces étaient de pierre, et leurs fenêtres tels des yeux sombres fixant le nord, l’ouest et l’est, chacune d’entre elle abritant une multitude de regards qui ne dormaient jamais.
Devant l’entrée du col, d’un escarpement à l’autre, le Seigneur Sombre avait fait construire un rempart de pierre. Il était percé d’une unique porte de fer, et des sentinelles ne cessaient d’aller et venir derrière ses créneaux. Sous les collines de part et d’autre, la roche était criblée de trous de ver : une centaine de cavernes où se terrait une armée d’orques, prêts à sortir au moindre signal, comme des fourmis partant en guerre. Nul ne pouvait passer les Dents du Mordor sans sentir leur morsure, à moins d’être convoqué par Sauron, ou de connaître les mots de passe secrets qui ouvriraient la Morannon, la porte noire de son pays.
Les deux hobbits contemplèrent les tours et le mur d’un regard consterné. Même à cette distance, la faible lumière leur laissait voir le mouvement des gardes au sommet du mur, et les patrouilles devant la porte. Étendus à plat ventre, ils regardaient furtivement par-dessus le bord d’un espace creux au milieu des rochers, dans l’ombre allongée de l’éperon situé tout au nord de l’Ephel Dúath. Sillonnant l’air lourd en ligne droite, un corbeau n’eût peut-être volé qu’un furlong, depuis leur cachette jusqu’au faîte noir de la tour la plus proche. Une fumée vague et sinueuse en émanait, comme si un feu couvait au pied de la tour, dans la colline même.
Le jour vint, et le soleil fauve clignota au-dessus des mornes crêtes des Ered Lithui. Soudain, on entendit le cri de farouches trompettes : elles retentirent du haut des tours de garde, puis, au loin, de forteresses et d’avant-postes cachés dans les collines, vinrent les sonneries de réponse ; et plus loin encore, distants, mais sinistres et caverneux, résonnèrent, dans le pays de néant qui s’étendait au-delà, les puissants cors et tambours de Barad-dûr. Un autre affreux jour de peur et de labeur se levait au Mordor ; les gardes de nuit étaient appelés à leurs profondes salles et galeries, alors que ceux de jour, aux yeux funestes et impitoyables, s’avançaient à leur poste. Un faible reflet d’acier se voyait sur le rempart.
« Eh bien, on y est ! dit Sam. La Porte est là-devant, et j’ai comme l’impression que c’est ici que ça s’arrête pour nous. Ma parole, l’Ancêtre aurait bien une ou deux choses à dire s’il me voyait ici ! Souvent il disait que je finirais mal, si je faisais pas attention à moi, qu’il disait. Mais maintenant, je crois bien que je le reverrai jamais, le pauvre vieux. Il aura pas droit à son J’te l’avais bien dit, Sam : c’est dommage. Il pourrait bien me le répéter jusqu’à ce qu’il manque d’air, si seulement je pouvais revoir sa vieille fraise. Mais il faudrait d’abord que je me lave, sinon il me reconnaîtrait pas.
« Je suppose qu’on doit pas demander : “Par où on va maintenant ?” On peut pas continuer – à moins de demander aux Orques de nous déposer quelque part. »
« Non, non ! Pas d’espoir. On ne peut pas continuer. Sméagol l’a dit. Il a dit : allons à la Porte et puis on verra. Et on voit bien. Oh oui, mon trésor, on voit bien. Sméagol savait que les hobbits ne pourraient pas continuer. Oh oui, Sméagol savait. »
« Alors pourquoi diantre est-ce que tu nous as emmenés ici ? » dit Sam, peu d’humeur à se montrer juste ou à tout le moins raisonnable.
« Le maître l’a dit. Le maître dit : “Conduis-nous à la Porte.” Alors bon Sméagol obéit. Le maître l’a dit, sage maître. »
« C’est vrai », dit Frodo. Ses traits étaient sombres et crispés, mais résolus. Il était crotté, hagard, l’air creusé par la fatigue ; mais la peur ne le courbait plus, et ses yeux étaient clairs. « Je l’ai dit, car j’ai l’intention d’entrer au Mordor, et je ne connais pas d’autre chemin. Je passerai donc par ici. Je ne demande à personne de me suivre. »
« Non, non, maître ! » gémit Gollum, le caressant. Il semblait éprouver une grande détresse. « Pas d’espoir de ce côté ! Pas d’espoir ! N’amenez pas le Trésor à Lui ! Il va nous dévorer tous, s’Il l’obtient, dévorer le monde entier. Gardez-le, bon maître, et soyez gentil avec Sméagol. Ne le laissez pas tomber entre Ses mains. Ou partez d’ici, allez dans de jolis endroits, et redonnez-le au petit Sméagol. Oui, oui, maître, redonnez-le, hein ? Sméagol le gardera en sécurité ; il fera beaucoup de bien, surtout aux gentils hobbits. Les hobbits rentrent chez eux. N’allez pas à la Porte ! »
« J’ai ordre d’aller au pays de Mordor, et par conséquent, j’irai, dit Frodo. S’il n’y a qu’un seul chemin, je devrai le suivre. Advienne que pourra. »
Sam ne dit rien. Ce qu’il voyait sur le visage de Frodo lui suffisait ; il savait que toute intervention de sa part était inutile. Et puis après tout, il n’avait jamais vraiment eu d’espoir, lui, depuis le tout début de l’affaire ; mais, en bon hobbit, il n’avait pas eu besoin d’espoir, tant que le désespoir pouvait être remis à plus tard. Maintenant, ils étaient arrivés au bout du bout. Mais il était toujours demeuré aux côtés de son maître ; c’était avant tout pour cette raison qu’il était venu, et il resterait à ses côtés. Son maître n’entrerait pas seul au Mordor. Sam irait avec lui – et au moins, ils seraient débarrassés de Gollum.
Gollum, toutefois, ne l’entendait pas de cette oreille, du moins pour le moment. Agenouillé aux pieds de Frodo, il geignait en se tordant les mains. « Pas par là, maître ! implora-t-il. Il y a un autre chemin. Oh oui, que oui, il y en a un. Un autre chemin, plus sombre, plus difficile à trouver, plus secret. Mais Sméagol le connaît. Laissez Sméagol vous montrer ! »
« Un autre chemin ! » répéta Frodo d’un ton dubitatif, abaissant sur Gollum un regard scrutateur.
« Ssi ! Ssi, c’est vrai ! Un autre chemin, oui, il y en avait bien un. Sméagol l’a trouvé. Allons voir s’il est encore là ! »
« Tu n’en avais encore jamais parlé. »
« Non. Le maître n’avait pas demandé. Le maître n’avait pas dit ce qu’il entendait faire. Il ne dit rien au pauvre Sméagol. Il dit : “Sméagol, conduis-moi à la Porte… et puis au revoir ! Sméagol n’a qu’à s’enfuir et être sage.” Mais maintenant, il dit : “J’ai l’intention d’entrer au Mordor par ici.” Alors Sméagol a très peur. Il ne veut pas perdre le gentil maître. Et il a promis, le maître l’a fait promettre de sauver le Trésor. Mais le maître va le Lui apporter, tout droit à la Main Noire, si le maître passe par ici. Alors Sméagol doit les sauver tous deux, et il pense à un chemin qui était là, autrefois. Gentil maître. Sméagol très gentil, toujours prêt à aider. »
Sam plissa le front. S’il avait pu transpercer Gollum de son regard, il l’aurait fait. Il était assailli de doutes. Selon toute apparence, Gollum était réellement bouleversé et désireux d’aider Frodo. Mais Sam, se rappelant le débat qu’il avait surpris, avait peine à croire que Sméagol en était sorti gagnant, lui qui avait été si longtemps enseveli ; sa voix, à tout le moins, n’avait pas eu le dernier mot lors du débat. Sam supposait que les deux moitiés, Sméagol et Gollum (Fouineur et Chlingueur, disait-il en lui-même), avaient conclu une trêve, une alliance provisoire : aucun ne souhaitait que l’Ennemi s’empare de l’Anneau ; les deux voulaient éviter que Frodo soit capturé, mais aussi le tenir à l’œil, aussi longtemps que possible – tant que Chlingueur aurait encore la possibilité de mettre la main sur son « Trésor ». Sam doutait qu’il y eût réellement un autre chemin pour entrer en Mordor.
« Et c’est une chance qu’aucune des deux moitiés du vieux scélérat soit au courant de ce que le maître a l’intention de faire, pensa-t-il. S’il se doutait que M. Frodo entend mettre fin à son Trésor une bonne fois pour toutes, il y aurait des ennuis assez vite, je parie. De toute façon, le vieux Chlingueur a tellement peur de l’Ennemi – et il est sous des ordres à lui, ou l’était – qu’il préférait nous dénoncer plutôt que d’être pris à nous aider ; et plutôt que de laisser son Trésor être fondu, peut-être. Du moins c’est mon idée. Et j’espère que le maître y pensera comme il faut. Il est aussi sage qu’un autre, mais il a le cœur tendre, voilà ce qu’il a. Y a pas un Gamgie qui pourrait dire ce qu’il va décider de faire. »
Frodo ne répondit pas tout de suite à Gollum. Pendant que Sam retournait ses doutes dans son esprit lent mais perspicace, Frodo se tint là, les yeux fixés sur l’escarpement noir de Cirith Gorgor. Le creux dans lequel ils s’étaient réfugiés s’ouvrait au flanc d’une colline basse : celle-ci dominait une longue vallée encaissée qui s’étendait entre eux et les premiers éperons de la muraille montagneuse. Au fond de la vallée, s’élevaient les fondations noires de la tour de garde ouest. À la lumière du matin, les routes qui convergeaient vers la Porte du Mordor étaient nettement visibles, pâles et poussiéreuses : l’une remontait tortueusement vers le nord, une autre s’amenuisait vers l’est, parmi les brumes qui s’accrochaient aux pieds des Ered Lithui ; une autre encore courait vers eux. Contournant brusquement la tour, elle s’engageait dans un étroit défilé et passait non loin en dessous de l’endroit où ils se tenaient. À l’ouest, sur sa droite, elle longeait les épaulements des montagnes et tournait vers le sud, passant dans l’ombre profonde qui enveloppait tout le versant occidental de l’Ephel Dúath ; échappant au regard de Frodo, elle poursuivait sa course dans le pays étroit situé entre les montagnes et le Grand Fleuve.
Tandis qu’il regardait, Frodo prit conscience d’un formidable grouillement sur la plaine. C’était comme si des armées entières étaient en mouvement, bien que la plupart eussent été voilées par la fumée et les vapeurs venues des landes et des marais au-delà. Mais par endroits, il distinguait des reflets de lances et de heaumes ; et sur le plat en bordure des routes, des cavaliers s’avançaient en de nombreuses compagnies. Il se rappela la vision lointaine qu’il avait eue sur l’Amon Hen, à peine quelques jours auparavant ; même si à présent, cela lui semblait faire des années. Il sut alors que le fol espoir né en son cœur, l’espace d’un instant, était vain. Les trompettes n’avaient pas sonné en manière de défi, mais d’accueil. Ce n’était pas un assaut lancé contre le Seigneur Sombre par les Hommes du Gondor, resurgis comme des spectres vengeurs du tombeau des braves emportés de longtemps. C’étaient des Hommes d’autre origine, issus des vastes Terres de l’Est, appelés par leur Suzerain à se rassembler sous sa bannière ; des armées ayant campé devant sa Porte et qui, l’aube venue, passaient à l’intérieur pour aller encore grossir ses forces. Comme s’il s’avisait tout à coup du péril de leur situation, seuls dans la lumière du jour croissant, si proches de cette menace incommensurable, Frodo ramena vivement son mince capuchon gris sur sa tête et redescendit dans le vallon. Puis il se tourna vers Gollum.
« Sméagol, dit-il, je vais t’accorder ma confiance une fois de plus. Il semble en fait que je n’aie pas le choix, que ce soit mon destin de recevoir de l’aide de toi, où j’en attendais le moins, et que ton destin soit de m’aider, moi que tu as longtemps poursuivi avec de mauvaises intentions. Jusqu’à présent, tu as bien mérité de moi, et tu es resté fidèle à ta promesse. Oui, fidèle, je le dis et je le pense, ajouta-t-il avec un coup d’œil vers Sam ; car voici deux fois que nous sommes laissés à ta merci, et tu ne nous as fait aucun mal. Pas plus que tu n’as tenté de me prendre ce que tu recherchais naguère. Que la troisième fois soit la plus probante ! Mais je t’avertis, Sméagol, tu es en danger. »
« Oui, oui, maître ! dit Gollum. Terrible danger ! Les os de Sméagol en tremblent rien que d’y penser, mais il ne se sauve pas. Il doit aider le gentil maître. »
« Je ne parlais pas du danger que nous courons tous, dit Frodo. Je parle d’un danger qui ne guette que toi. Tu as juré ta promesse sur ce que tu nommes le Trésor. Souviens-t’en ! Il t’obligera à la tenir ; mais il cherchera à la déformer pour mieux te perdre, toi. Déjà, tu te fais mener par lui. Tu t’es révélé à moi, là, stupidement. Redonnez-le à Sméagol, as-tu dit. Ne répète jamais cela ! Ne laisse pas cette pensée grandir en toi ! Tu ne le recouvreras jamais. Mais le désir que tu en conçois pourrait te conduire à une fin amère. Tu ne le recouvreras jamais. En dernière nécessité, Sméagol, je mettrais moi-même le Trésor ; et le Trésor est maître de toi depuis longtemps. Si, le portant, je te commandais, tu obéirais, même si je t’ordonnais de sauter d’un précipice ou de te jeter au feu. Et tel serait mon commandement. Alors prends garde, Sméagol ! »
Sam regarda son maître avec approbation, mais aussi avec surprise : il y avait sur son visage une expression qu’il ne lui connaissait pas, et le ton de sa voix était différent. Il avait toujours considéré que son cher M. Frodo était d’une gentillesse telle qu’elle devait supposer une bonne part d’aveuglement. Bien sûr, il avait en même temps l’intime et inconciliable conviction que M. Frodo était la personne la plus sage du monde (en dehors, peut-être, du Vieux M. Bilbo et de Gandalf). Gollum, à sa façon (et de manière beaucoup plus excusable, puisqu’il le connaissait depuis bien moins longtemps), faisait peut-être la même erreur, prenant sa gentillesse pour de l’aveuglement. Quoi qu’il en soit, son discours le confondit et le terrifia. Il se traîna sur le sol, et rien d’autre ne sortit clairement de sa bouche que les mots gentil maître.
Frodo attendit patiemment et, quelques instants plus tard, il reprit d’un ton moins sévère. « Allons, Gollum, ou Sméagol si tu préfères, parle-moi de cet autre chemin, et montre-moi, si tu peux, en quoi il y a là suffisamment d’espoir pour que je me détourne de ma route. J’ai grand’hâte. »
Mais Gollum se trouvait dans un état pitoyable ; la menace de Frodo l’avait grandement perturbé. Obtenir de lui une explication claire fut loin d’être aisé, entre ses marmottements et ses couinements, et les fréquentes interruptions au cours desquelles il se trouvait à ramper par terre ou à les supplier d’être gentils avec le « pauvre petit Sméagol ». Au bout d’un moment, il se calma un peu, et Frodo comprit bribe par bribe qu’en suivant la route qui descendait à l’ouest de l’Ephel Dúath, un voyageur finirait par arriver à un croisement au milieu d’un cercle d’arbres sombres. À droite, une route partait vers Osgiliath et les ponts de l’Anduin ; au milieu, la route continuait vers le sud.
« Plus loin, toujours plus loin, dit Gollum. On n’est jamais allés de ce côté, mais on a entendu dire qu’en une centaine de lieues, elle mène au bord de la Grande Eau qui ne se repose jamais. Il y a beaucoup de poissons là-bas, et des gros oiseaux qui en mangent, bons oiseaux ; mais on n’y est jamais allés, hélas non ! on n’en a jamais eu la chance. Et plus loin encore, il y a d’autres terres, à ce qu’on dit, mais la Face Jaune là-bas est très chaude, et il y a très peu de nuages, et les hommes sont féroces et ils ont la face sombre. On ne veut pas voir ce pays-là. »
« Non ! dit Frodo. Mais ne t’écarte pas de ta voie. Qu’en est-il du troisième chemin ? »
« Oh oui, oh oui, il y en a un troisième, dit Gollum. C’est celui de gauche. Il commence tout de suite à grimper, grimper, et il monte en zigzag vers les grandes ombres. Et au moment de contourner le rocher noir, vous la verrez, soudain vous la verrez au-dessus de vous, et vous voudrez vous cacher. »
« La voir, la voir ? Que va-t-on voir ? »
« L’ancienne forteresse, très vieille, très horrible de nos jours. On avait coutume d’entendre des contes venus du Sud, quand Sméagol était jeune, il y a longtemps. Oh oui, on avait coutume de raconter bien des histoires, le soir, assis sur les rives du Grand Fleuve, dans les saulaies, quand le Fleuve était plus jeune lui aussi, gollum, gollum. » Il se mit à pleurnicher et à murmurer. Les hobbits attendirent patiemment.
« Des contes du Sud, poursuivit Gollum, sur les grands Hommes aux yeux brillants, et leurs maisons comme des montagnes de pierre, et leur Roi à la couronne d’argent, et son Arbre Blanc : des merveilleux contes. Ils construisaient des tours très hautes, et il y en avait une, blanche et argent. Et dedans, il y avait une pierre pareille comme la Lune, et autour, des grands murs blancs. Oh oui, il y avait bien des contes sur la Tour de la Lune. »
« Tu veux parler de Minas Ithil, bâtie par Isildur, le fils d’Elendil, dit Frodo. C’est Isildur qui a coupé le doigt de l’Ennemi. »
« Oui, Il n’a que quatre doigts sur la Main Noire, mais c’est suffisant, dit Gollum avec un frisson. Et Il détestait la cité d’Isildur. »
« Est-il une chose qu’il ne déteste pas ? dit Frodo. Mais qu’est-ce que la Tour de la Lune a à voir avec nous ? »
« Eh bien, maître, elle était là et elle y est encore : la haute tour et les maisons blanches, et le mur ; mais pas plaisante, de nos jours, pas belle. Ça fait longtemps qu’Il l’a conquise. C’est un terrible endroit maintenant, très horrible. Les voyageurs frémissent en la voyant, ils se glissent hors de vue, ils évitent son ombre. Mais le maître va devoir passer par là. C’est le seul autre chemin. Car là-bas, les montagnes sont plus basses, et la vieille route monte et monte, jusqu’à un couloir sombre tout en haut, puis elle redescend, elle redescend – vers le Gorgoroth. » Sa voix se réduisit à un murmure, et il frémit.
« Mais en quoi est-ce que ça nous aide ? demanda Sam. Assurément, l’Ennemi connaît tous les recoins de ses montagnes, et cette route-là sera aussi bien gardée que celle-ci ? La tour est pas vide, quand même ? »
« Oh non, pas vide ! murmura Gollum. Elle en a l’air, mais elle ne l’est pas, oh non ! Des choses très redoutables vivent là-bas. Des Orques, oui, toujours des Orques ; mais il y a pire, oui, de pires choses y vivent aussi. La route grimpe juste dans l’ombre des murs et passe devant la porte. Rien ne se déplace sur la route sans qu’ils le sachent. Ceux qui sont en dedans, ils savent : les Guetteurs Silencieux. »
« Alors c’est ce que tu nous conseilles, hein ? dit Sam. Faire encore une longue marche vers le sud pour nous retrouver dans le même pétrin, ou pire encore, une fois arrivés, si on y arrive un jour ? »
« Non, mais non, dit Gollum. Il faut que les hobbits voient, il faut qu’ils essaient de comprendre. Il ne s’attend pas à être attaqué de ce côté. Son Œil regarde tout alentour, mais il s’attarde plus souvent à certains endroits qu’à d’autres. Il ne peut pas tout voir d’un seul coup, pas encore. Il a conquis tout le pays à l’ouest des Montagnes Ombreuses, voyez, jusqu’au Fleuve, et c’est maintenant Lui qui tient les ponts. Il croit que personne ne peut arriver à la Tour-lune sans avoir à livrer une grande bataille aux ponts, ou prendre tout un tas de bateaux qu’ils ne pourront cacher, et que Lui va voir arriver. »
« Tu m’as l’air d’en savoir un bout sur ce qu’Il fait et ce qu’Il pense, dit Sam. Tu lui as parlé récemment ? Ou bien tu fais seulement que frayer avec des Orques ? »
« Pas gentil hobbit, pas raisonnable, dit Gollum, jetant à Sam un regard hargneux et se tournant vers Frodo. Sméagol a parlé aux Orques, oui, bien sûr, avant de rencontrer le maître, et à bien des gensses : il a marché très loin. Et ce qu’il dit maintenant, il y a bien des gensses qui le disent. C’est ici dans le Nord qu’est le plus grand danger pour Lui, et pour nous. Un jour, il va sortir par la Porte Noire, un jour pas si lointain. C’est le seul chemin possible pour les grandes armées. Mais là-bas à l’ouest, il n’a pas peur, et il y a les Guetteurs Silencieux. »
« Exact ! dit Sam, refusant de lâcher prise. On doit donc aller frapper à leur porte et leur demander si c’est le bon chemin pour aller au Mordor ? Ou bien ils sont trop silencieux pour répondre ? C’est contraire au bon sens. Autant le faire ici, ça nous éviterait une longue marche. »
« Faut pas faire de blagues là-dessus, siffla Gollum. Ça n’a rien de drôle, oh non ! Pas amusant. Ce qui est contraire au bon sens, c’est de vouloir entrer au Mordor. Mais si le maître dit Je dois y aller ou Je vais y aller, alors il doit prendre un chemin ou un autre. Mais il ne doit pas aller dans la terrible cité, oh non, bien sûr que non. C’est ici que Sméagol vient en aide, gentil Sméagol, même si personne ne lui dit à quoi ça rime. Sméagol aide encore. Il l’a trouvé. Il le connaît. »
« Qu’as-tu trouvé ? » demanda Frodo.
Gollum s’accroupit, et sa voix fut de nouveau réduite à un murmure. « Un petit sentier qui monte dans les montagnes ; puis un escalier, un escalier étroit, oh oui, très long et très étroit. Puis encore des escaliers. Et ensuite… – sa voix descendit encore plus bas – un tunnel, un tunnel sombre ; enfin une petite crevasse, et un chemin loin au-dessus du grand col. C’est par là que Sméagol est sorti des ténèbres. Mais ça fait des années. Le chemin peut avoir disparu aujourd’hui ; mais peut-être pas, peut-être pas. »
« Tout ça ne me dit rien qui vaille, dit Sam. Ça semble beaucoup trop facile, en tout cas, dit comme ça. S’il est encore là, ce chemin sera gardé aussi. Est-ce qu’il était pas gardé, Gollum ? » Ce disant, il entrevit, ou crut entrevoir une lueur verte dans l’œil de Gollum. Celui-ci marmonna mais ne répondit pas.
« N’est-il pas gardé ? demanda sévèrement Frodo. Et puis, t’es-tu bien échappé des ténèbres, Sméagol ? Est-ce qu’on ne t’aurait pas plutôt autorisé à partir – en mission ? C’est du moins ce que pensait Aragorn, qui t’a trouvé près des Marais Morts il y a quelques années. »
« C’est un mensonge ! siffla Gollum, et une lueur malveillante parut dans ses yeux à la mention d’Aragorn. Il a menti sur mon compte, oui, menti. Je me suis vraiment échappé, moi tout seul, oui, pauvre de moi. On m’a dit de chercher le Trésor, c’est vrai ; et j’ai cherché et cherché, bien sûr que si. Mais pas pour le Noir. Le Trésor était à nous, il était à moi, que je vous dis. Je me suis échappé pour de vrai. »
Frodo avait l’étrange certitude que, pour une fois, Gollum n’était pas aussi loin de la vérité qu’on aurait pu le croire ; qu’il avait réussi à trouver un chemin d’évasion d’une manière ou d’une autre, convaincu de s’être sauvé du Mordor grâce à sa propre ruse. Et puis, il remarquait que Gollum parlait au je, ce qui semblait indiquer la plupart du temps, les rares fois où cela survenait, qu’un reste de vérité et de sincérité anciennes avait momentanément pris le dessus. Mais s’il était tenté de faire confiance à Gollum sur ce point, Frodo n’oubliait pas les ruses de l’Ennemi. L’« évasion » avait pu être autorisée ou planifiée, au vu et au su de la Tour Sombre. Et de toute manière, il était évident que Gollum savait encore bien des choses qu’il ne disait pas.
« Je te pose à nouveau la question, dit-il : ce chemin secret n’est-il pas gardé ? » Mais depuis la mention d’Aragorn, Gollum boudait. Il avait tout l’air d’un menteur qui se vexe quand on l’accuse, alors que pour une fois il dit la vérité, ou une partie de la vérité. Il ne répondit pas.
« N’est-il pas gardé ? » répéta Frodo.
« Oui, oui, peut-être. Pas d’endroits sûrs dans ce pays, dit Gollum d’un air renfrogné. Pas d’endroits sûrs. Mais le maître doit l’essayer ou s’en retourner chez lui. Pas d’autre chemin. » Ils ne purent tirer autre chose de lui. Le nom de cet endroit périlleux, et celui du haut col, il n’était pas en mesure de le dire, ou ne voulait pas.
Son nom était Cirith Ungol, un lieu de funeste réputation. Aragorn aurait sans doute pu leur donner ce nom et sa signification ; Gandalf les aurait mis en garde. Mais ils étaient seuls : Aragorn se trouvait bien loin, et Gandalf se tenait dans la dévastation d’Isengard et débattait avec Saruman, retenu par les agissements d’un traître. Mais tandis même qu’il lui donnait son congé et que le palantír s’écrasait avec des flammèches sur les marches d’Orthanc, sa pensée ne quittait jamais Frodo et Samsaget ; son esprit les recherchait à travers les longues lieues avec espoir et commisération.
Peut-être Frodo le sentait-il à son insu, comme cela s’était produit sur l’Amon Hen, lui qui pourtant croyait Gandalf disparu, disparu à jamais dans l’ombre de la lointaine Moria. Il resta longuement assis sur le sol, la tête penchée, en silence, cherchant désespérément à se souvenir de tout ce que Gandalf lui avait dit. Mais pour le choix qui se présentait à lui, il ne se rappelait aucun conseil. Assurément, le soutien de Gandalf leur avait été retiré trop tôt, beaucoup trop tôt, alors que la Terre Sombre était encore loin. De quelle manière ils devaient finir par y pénétrer, Gandalf ne l’avait jamais dit. Peut-être ne pouvait-il le dire. Dans la place forte de l’Ennemi au nord, à Dol Guldur, il s’était aventuré une fois. Mais au Mordor, à la Montagne du Feu et à Barad-dûr, depuis le retour en force du Seigneur Sombre, y avait-il jamais voyagé ? Frodo ne le pensait pas. Et voici que lui, simple demi-homme du Comté, hobbit de la tranquille campagne, devait trouver moyen d’aller là où les grands ne pouvaient, ou n’osaient, aller. Funeste destin. Mais il l’avait accepté, chez lui, dans son propre salon, par un lointain printemps d’une autre année, si reculé à présent qu’on eût dit un chapitre d’une histoire de la jeunesse du monde, alors que les Arbres d’Argent et d’Or étaient encore en fleur. Le choix était funeste. Quel chemin devait-il prendre ? Et si les deux menaient à la terreur et à la mort, à quoi bon un tel choix ?
La journée avançait. Un profond silence tomba sur le petit recoin gris où ils étaient tapis, si près des frontières du pays de la peur : un silence qui se sentait, comme un épais voile qui les coupait du vaste monde alentour. Au-dessus d’eux, le ciel pâle formait un dôme strié de fumées fugitives ; mais il paraissait haut et distant, comme vu à travers de grandes épaisseurs d’air alourdies de sombres réflexions.
Pas même un aigle planant à contre-jour n’aurait remarqué les hobbits alors qu’ils étaient assis là, sous le poids du destin, silencieux, immobiles, enveloppés de leurs minces capes grises. Il aurait pu s’arrêter un moment à examiner la maigre forme de Gollum étalée au sol : sans doute la dépouille famélique de quelque progéniture des Hommes, ses haillons encore accrochés à sa carcasse, ses longs bras et jambes d’un blanc osseux et d’une maigreur squelettique – rien qui méritât le moindre coup de bec.
Frodo avait la tête penchée sur les genoux, mais Sam était adossé à une pierre, les mains derrière la tête : de sous son capuchon, il contemplait le ciel vide. Et pendant un long moment, le ciel demeura vide. Puis Sam crut voir tourbillonner dans son champ de vision une forme d’oiseau sombre ; elle y flotta un moment et repartit en tournoyant. Deux autres la suivirent, puis une quatrième. À l’œil, elles paraissaient minuscules, mais sans savoir pourquoi, Sam était convaincu qu’elles étaient immenses, d’une grande envergure, volant à haute altitude. Il se couvrit les yeux et se recroquevilla sur lui-même, apeuré. Il ressentait cette même appréhension qui lui avait glacé le sang en présence des Cavaliers Noirs, cette horreur irrépressible que lui avait inspiré le cri dans le vent et l’ombre devant la lune, quoiqu’elle ne fût pas aussi écrasante ou implacable que cette fois-là : la menace était plus lointaine. Mais elle n’en était pas moins une menace. Frodo la sentit également. Le fil de sa pensée en fut rompu. Il remua et frissonna, sans toutefois lever les yeux. Gollum se ramassa sur lui-même comme une araignée prise au piège. Les formes ailées virèrent et plongèrent brusquement, regagnant le Mordor en toute hâte.
Sam inspira profondément. « Les Cavaliers sont ressortis, dit-il en un souffle rauque. Je les ai vus, haut dans les airs. Croyez-vous qu’ils nous ont vus ? Ils étaient très haut. Et si c’étaient des Cavaliers Noirs, les mêmes qu’avant, ils peuvent pas voir grand-chose à la lumière du jour, pas vrai ? »
« Non, peut-être pas, dit Frodo. Mais leurs coursiers voyaient, eux. Et ces créatures ailées qui leur servent à présent de montures, elles voient sans doute mieux que tout autre être vivant. Elles ressemblent à de grands charognards. Elles cherchent quelque chose : l’Ennemi est sur ses gardes, j’en ai peur. »
Le sentiment d’épouvante passa, mais le silence enveloppant était brisé. Pendant un temps, ils avaient été coupés du monde, comme sur une île invisible ; à présent, ils étaient de nouveau exposés, le danger était revenu. Mais Frodo tardait encore à répondre à Gollum ou à se décider. Ses yeux étaient clos, comme s’il rêvait ou regardait en dedans, dans son cœur et dans sa mémoire. Enfin, il remua et se leva, et on aurait dit qu’il était sur le point de parler et de faire un choix. Mais : « Écoutez ! dit-il. Qu’est-ce que cela ? »
Une nouvelle peur les envahit. Ils entendaient des chants et des cris éraillés. Au début, la rumeur paraissait lointaine, mais elle augmentait : elle venait dans leur direction. La même pensée les assaillit tous : les Ailes Noires les avaient repérés, et on envoyait des soldats armés pour les saisir ; rien ne semblait trop rapide pour les terribles serviteurs de Sauron. Ils s’accroupirent, dressant l’oreille. Les voix et les cliquetis d’armes et de harnais étaient très proches. Frodo et Sam dégagèrent leurs petites épées dans leur fourreau. Toute fuite était impossible.
Gollum se releva lentement et rampa comme un insecte jusqu’au bord du vallon. Très précautionneusement, il se dressa petit à petit, de manière à glisser un œil entre deux pointes rocheuses. Il se tint là quelque temps, sans bouger, sans faire de bruit. Bientôt, les voix recommencèrent à s’éloigner, puis elles s’éteignirent lentement. Une sonnerie de cor retentit sur les remparts de la Morannon. Puis, tout doucement, Gollum se détourna et redescendit au creux du vallon.
« Encore des Hommes qui vont au Mordor, dit-il à voix basse. Des visages sombres. On n’avait jamais vu des Hommes comme ça avant, non, Sméagol n’en avait jamais vu. Ils ont l’air féroce. Ils ont des yeux noirs et des longs cheveux noirs, et des anneaux d’or aux oreilles ; oui, beaucoup de bel or. Et certains ont les joues peintes en rouge, et ils portent des capes rouges ; et leurs drapeaux sont rouges, et le bout de leurs lances ; et ils ont des boucliers ronds, jaunes et noirs, avec des gros piquants. Pas gentils ; des Hommes cruels et méchants, qu’ils ont l’air. Presque aussi mauvais que des Orques, et bien plus gros. Sméagol pense qu’ils viennent du Sud, plus bas que le Grand Fleuve : ils venaient de cette route. Ils ont continué vers la Porte Noire ; mais il pourrait en venir d’autres. Toujours plus de gens qui viennent au Mordor. Un jour, tous les gensses vont être au-dedans. »
« Y avait-il des oliphants ? » demanda Sam, oubliant la peur dans sa soif de nouvelles de pays lointains.
« Non, pas d’oliphants. Qu’est-ce que c’est les oliphants ? » dit Gollum.
Sam se leva, mit ses mains derrière son dos (comme à son habitude quand il « disait de la poésie ») et commença ainsi :
Gris comme un chaton,
Grand comme une maison,
Nez tel un boa,
Le sol tremble sous moi ;
Partout où je passe,
Tous les arbres cassent.
Grandes oreilles et peau rude,
Je marche dans le Sud ;
Vieux comme le monde,
Toujours, je vagabonde.
Des cornes à la bouche,
Jamais je ne me couche,
Pas même pour mourir.
M’entends-tu barrir ?
C’est moi, l’Oliphant,
Géant des géants,
Vieux, gros et grand.
Si jamais tu me vois,
Tu ne m’oublieras pas ;
Si tu ne me vois jamais,
Tu ne me croiras pas vrai.
Mais je suis l’Oliphant
Et jamais je ne mens.
« Ça, dit Sam lorsqu’il eut fini de réciter, c’est un poème à nous dans le Comté. Des fariboles, peut-être, mais peut-être pas. Mais on a aussi nos contes à nous, et on reçoit des nouvelles du Sud, nous aussi. Autrefois, il y avait des hobbits qui allaient en voyage, de temps en temps. Pas qu’ils aient été nombreux à revenir, et pas qu’on ait cru tout ce qu’ils racontaient : des nouvelles de Brie, et non sûr comme parole du Comté, pour dire comme on dit. Mais j’ai entendu des histoires au sujet des grandes gens qui vivent par là-bas, dans les Terres du Soleil. Les Bistrés, qu’on les appelle dans nos contes ; et ils montent des oliphants, qu’on dit, quand ils vont au combat. Ils mettent des maisons et des tours sur le dos des oliphants et tout, et puis les oliphants, ils se lancent des rochers et des arbres. Alors quand je t’ai entendu dire : “des Hommes du Sud tout en rouge et or”, j’ai dit : “Est-ce qu’il y avait des oliphants ?” Parce que s’il y en avait eu, j’aurais voulu les voir, peu importe le danger. Mais maintenant, je suppose que j’en verrai jamais, des oliphants. Peut-être qu’elles existent pas, ces bêtes. » Il soupira.
« Non, pas d’oliphants, répéta Gollum. Sméagol n’en a pas entendu parler. Il ne veut pas en voir. Il ne veut pas qu’ils existent. Sméagol veut partir d’ici et se cacher ailleurs, dans un endroit plus sûr. Gentil maître, pourquoi il ne vient pas avec Sméagol ? »
Frodo se leva. Malgré tous ses tiraillements, il avait ri quand Sam s’était mis à réciter les vers d’Oliphant, une vieille comptine du coin du feu ; et le rire l’avait libéré de toute hésitation. « Je voudrais qu’on ait mille oliphants avec Gandalf à leur tête, sur un oliphant blanc, dit-il. Alors, on réussirait peut-être à forcer un chemin dans ce maudit pays. Mais nous n’avons rien de tout cela ; seulement nos vieilles jambes fatiguées. Eh bien, Sméagol, la troisième fois sera peut-être la meilleure. Je vais te suivre. »
« Bon maître, sage maître, gentil maître ! s’écria Gollum, fou de joie, tapotant les genoux de Frodo. Bon maître ! Alors reposez-vous maintenant, gentils hobbits, dans l’ombre des pierres, tout collés contre elles ! Reposez-vous et restez tranquilles, jusqu’à ce que la Face Jaune s’en aille. Alors on pourra s’en aller très vite. Très doux et très vite, comme des ombres, il faudra se sauver ! »