II

Si Narcisse se retournait, il verrait, je pense, quelque verte berge, le ciel peut-être, l’Arbre, la Fleur – quelque chose de stable enfin, et qui dure, mais dont le reflet tombant sur l’eau se brise et que la fugacité des flots diversifie.


Quand donc cette eau cessera-t-elle sa fuite? et résignée enfin, stagnant miroir, dira-t-elle en la pureté pareille de l’image, – pareille enfin, jusqu’à se confondre avec elles – les lignes de ces formes fatales, – jusqu’à les devenir, enfin.


Quand donc le temps, cessant sa fuite, laissera-t-il que cet écoulement se repose? Formes, formes divines et pérennelles! qui n’attendez que le repos pour reparaître, oh! quand, dans quelle nuit, dans quel silence, vous recristalliserez-vous?


Le Paradis est toujours à refaire; il n’est point en quelque lointaine Thulé. Il demeure sous l’apparence. Chaque chose détient, virtuelle, l’intime harmonie de son être, comme chaque sel, en lui, l’archétype de son cristal; – et vienne un temps de nuit tacite, où les eaux plus denses descendent: dans les abîmes imperturbés fleuriront les trémies secrètes…


Tout s’efforce vers sa forme perdue; elle transparaît mais salie, gauchie, et qui ne se satisfait pas, car toujours elle recommence; pressée, gênée par les formes voisines qui s’efforcent aussi chacune de paraître, – car, être ne suffit plus: il faut que l’on se prouve, – et l’orgueil infatue chacune. L’heure qui passe bouleverse tout.


Comme le temps ne fuit que par la fuite des choses, chaque chose s’accroche et se crispe pour ralentir un peu cette course et pouvoir apparaître mieux. Il est des époques alors, où les choses se font plus lentes, où le temps repose, – l’on croit; – et comme le bruit, avec le mouvement, cesse, – tout se tait. On attend; on comprend que l’instant est tragique et qu’il ne faut pas bouger.


«Il se fit dans le ciel un silence»; prélude des apocalypses. – Oui tragiques, tragiques époques, où commencent des ères nouvelles, où le ciel et la terre se recueillent, où le livre aux sept sceaux va s’ouvrir, où tout va se fixer dans une posture éternelle… mais surgit quelque clameur importune; sur les plateaux élus où l’on croit que le temps va finir, – toujours quelques avides soldats qui se partagent des vêtements, et qui jouent aux dés des tuniques, – lorsque l’extase immobilise les saintes femmes, et que le voile qui se déchire va livrer les secrets du temple; quand toute la création contemple le Christ enfin qui se fige en la croix suprême, disant les dernières paroles: «Tout est consommé…»


… Et puis, non! tout est à refaire, à refaire éternellement – parce qu’un joueur de dés n’avait pas arrêté son vain geste, parce qu’un soldat voulait gagner une tunique, parce que quelqu’un ne regardait pas.


Car la faute est toujours la même et qui reperd toujours le Paradis: l’individu qui songe à soi tandis que la Passion s’ordonne, et, comparse orgueilleux, ne se subordonne pas [1].


Inépuisables messes, chaque jour, pour remettre le Christ en agonie, et le public en position de prière… un public! – quand il faudrait prosterner l’humanité entière: – alors une messe suffirait.


Si nous savions être attentifs et regarder…

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