JON

Ainsi qu’il lui advenait parfois à l’improviste, mais de loin en loin, le sentiment de sa bâtardise enchanta soudain Jon Snow comme il tendait derechef sa coupe à une servante puis reprenait sa place au banc des jeunes écuyers. Aussi la saveur fruitée du liquide sur ses papilles lui mit-elle aux lèvres un sourire de satisfaction.

Malgré la fumée qui, lourde de relents de viandes rôties, de pain chaud, stagnait dans la grand-salle, se discernait sur les parois de verre grise l’éclat des bannières alternées. Or, écarlate, blanc…, le cerf couronné des Baratheon, le lion des Lannister, le loup-garou des Stark. Un rhapsode, là-bas, tout au bout, entonna une ballade aux accords de la grande harpe, mais à peine sa voix passait-elle la clameur du feu, le fracas des plats et des pots d’étain, la rumeur confuse de cent ivresses, car on fêtait déjà depuis plus de trois heures l’arrivée du roi.

Juste au bas de l’estrade où les maîtres de céans régalaient leurs souverains se trouvaient, avec les enfants royaux, les frères et sœurs de Jon. Eu égard à la solennité, Père les autoriserait sans doute à siroter un verre, mais pas davantage. Alors qu’ici, sur les bancs du commun, nul ne se souciait de vous empêcher de boire tout votre saoul.

Or Jon se découvrait précisément une soif d’homme que les « Cul-sec ! » rauques de son entourage émerveillé ne laissaient pas que d’aviver. Et il se délectait d’autant mieux des exploits martiaux, cynégétiques et amoureux que s’assenaient ses compagnons. De joyeux drilles, assurément plus amusants que les princes du sang… La curiosité que lui inspiraient ces derniers, il l’avait rassasiée lors de l’entrée du cortège en les lorgnant tour à tour quasiment sous le nez.

En tête marchait la reine, aussi belle qu’on la réputait, sous la tiare de pierreries qui rehaussait son opulente chevelure d’or, et parée d’émeraudes aussi vertes que ses prunelles. Mais tandis que Père la menait vers l’estrade et l’y installait, elle affectait superbement de l’ignorer, souriant d’un sourire auquel Jon, tout gamin qu’il était, ne se méprit pas.

Lady Stark à son bras venait là-dessus le roi. Pis que décevant. Comment reconnaître jamais, dans ce poussah suant, barbu, cramoisi qui s’entravait dans ses brocarts comme un rustre éméché, l’incomparable Robert Baratheon, le héros du Trident, le prince des guerriers, le géant des princes ressassé par Père ?

Derrière avançait la marmaille. Avec autant de dignité que le comportaient ses trois ans, petit Rickon ouvrait le ban, houspillé par Bran qui devait sans cesse le dissuader de s’arrêter pour des risettes. Sur leurs talons, Robb, aux couleurs des Stark, laine grise émaillée de blanc, conduisait la princesse Myrcella : un brin de fille allant sur ses huit ans, dont les boucles d’or cascadaient sous une résille sertie de joyaux. Surprenant au passage les regards furtifs et les sourires timorés qu’elle dédiait à son frère, Jon la décréta insipide, et l’air béat de celui-ci le convainquit qu’il était trop niais pour la juger stupide.

A ses demi-sœurs étaient échus les princes. A demi perdu sous sa toison platine, le grassouillet Tommen équipait Arya, et Sansa l’héritier du trône. Malgré ses douze ans, Joffrey dominait déjà d’un pouce, au grand dam de Jon, ses aînés du nord. Aussi blond que sa sœur, il avait les yeux vert sombre de sa mère, et sa nuque, ainsi que son écharpe d’or et son grand collet de velours, disparaissait sous ses boucles tumultueuses. Agacé de voir Sansa radieuse en telle compagnie, le bâtard n’apprécia guère non plus la moue d’ennui dédaigneux que le jeune Baratheon promenait sur les aîtres de Winterfell.

Davantage l’intéressa le couple que formaient ensuite les fameux Lannister de Castral Roc. Il était impossible de les confondre. Jumeau de la reine Cersei, ser Jaime – le Lion – se distinguait tant par sa stature, sa chevelure d’or et la fulgurance de ses yeux verts que par un sourire aussi acéré qu’une dague. Des cuissardes noires et un manteau de satin noir contrastaient avec sa tunique de soie écarlate. Brodé sur sa poitrine en fils d’or rugissait d’un air de défi l’emblème de sa maison. De là venait le surnom qu’on lui décernait de face, quitte à l’affubler, dans son dos, du sobriquet moins noble de Régicide.

Jon, quant à lui, fut hypnotisé. Voilà à quoi devrait, se dit-il, ressembler un roi.

C’est sur ce seulement qu’à demi dissimulé par le premier lui apparut le dandinement du second, Tyrion. Le Lutin. Hideux benjamin de cette brillante couvée. Autant les dieux s’étaient montrés prodigues envers ses aînés, autant ils l’avaient, lui, mis à la portion congrue. Nabot, il n’arrivait pas à la ceinture de ser Jaime et, pour conserver l’allure, devait désespérément tricoter de ses jambes torses. Outre un crâne démesuré, il avait un faciès écrabouillé de brute qu’empirait la saillie monstrueuse du front. En dégoulinait une tignasse raide, filasse au point de paraître blanche, et entre les mèches de laquelle vous scrutaient si méchamment des yeux dépareillés, l’un vert et l’autre noir, que Jon demeura médusé.

Le défilé du haut parage s’acheva sur Benjen Stark, de la Garde de Nuit, qu’escortait le pupille de Père, Theon Greyjoy. En frôlant Jon, le premier lui décerna un chaleureux sourire, le second l’ignora délibérément, comme à l’accoutumée, d’ailleurs. Et, après que chacun eut gagné sa place, qu’on eut porté les toasts, échangé les compliments de rigueur, débuta le festin.

Depuis lors, Jon n’avait cessé de boire.

Soudain, quelque chose se frotta contre sa jambe, sous la table, et des yeux rouges lui adressèrent une prière muette. « Encore faim ? » demanda-t-il. Un demi-poulet au miel traînait sur la table. Il tendit la main pour y prélever un pilon puis, se ravisant, ficha son couteau dans la carcasse et la laissa choir entière entre ses pieds. A cet égard encore, il était plus chanceux que ses frères et sœurs. Eux n’avaient pas eu la permission d’amener leurs loups. Le roquet pullulant, en revanche, au bas bout de la salle, Fantôme n’offusquait personne.

Tout en maudissant la fumée qui lui piquait affreusement les yeux, Jon s’offrit une nouvelle lampée de vin puis s’amusa de la voracité de son protégé.

Dans le sillage du service, entre les tables, erraient des chiens. Flairant le poulet, une femelle noire de race indécise s’immobilisa tout à coup, patte en l’air, avant de se faufiler sous le banc pour réclamer sa part. Que donnerait la confrontation ? Jon se garda d’esquisser geste. Avec un sourd grondement de gorge, la chienne approchait. Fantôme releva la tête et, en silence, darda sur elle ses prunelles incandescentes. Trois fois plus grosse que lui, l’intruse le défia d’un jappement rageur mais lui, sans bouger d’une ligne, se contenta de défendre son bien en découvrant ses crocs. Elle retroussa ses babines et se hérissa comme pour bondir, mais elle dut juger la partie risquée car, non sans un dernier grognement de pure dignité, elle finit par s’esquiver, tandis que, nullement ému, Fantôme se remettait à manger.

Avec un large sourire, Jon se pencha pour ébouriffer la fourrure blanche de l’animal qui, un instant, s’interrompit pour lui mordiller doucement la main.

« Est-ce là l’un des loups-garous dont tout le monde me bassine ? » dit alors une voix familière.

A la grande joie de Jon, c’était Oncle Ben qui, tout en parlant, l’ébouriffait à son tour. « Oui, répondit-il, et Fantôme est son nom. »

Comme un écuyer suspendait ses contes orduriers pour lui faire place, Benjen Stark déploya ses longues jambes et, sitôt à califourchon sur le banc, saisit la coupe de son neveu : « Hm ! s’extasia-t-il sur une gorgée, du vin d’été…, rien de meilleur. Et tu en as déjà ingurgité beaucoup ? »

L’air malicieux de Jon le fit s’esclaffer : « Je vois…, autant que je craignais. Bravo. Sauf erreur, vois-tu, je n’avais même pas ton âge quand je me suis saoulé pour la première fois – mais, là, saoulé raide, loyalement ! » Là-dessus, il attrapa un oignon grillé tout dégoulinant de graisse juteuse dans lequel ses dents mordirent en crissant.

Par un singulier contraste avec ses traits émaciés, ravinés comme un éboulement rocheux, les yeux gris-bleu d’Oncle abritaient en permanence l’ombre d’une hilarité. Il avait troqué pour la fête l’austère tenue de la Garde de Nuit contre une riche tunique de velours noir, une large ceinture à boucle d’argent et de hautes bottes de cuir. Une lourde chaîne d’argent pendait à son cou. Tout en croquant dans son oignon, il examinait Fantôme d’un air amusé. « Terriblement paisible…, lâcha-t-il enfin.

— Il ne ressemble nullement aux autres, expliqua Jon. On ne l’entend jamais. C’est pour ça que je l’ai baptisé Fantôme. Et aussi parce qu’il est blanc. Alors que les autres ont un pelage sombre, du gris au noir.

— On en trouve encore, au-delà du Mur. Nous les entendons hurler, durant nos expéditions. Mais, dis-moi… » Son regard s’appesantit sur lui. « Tu ne manges pas, d’habitude, à la table de tes frères ?

— Si, répondit Jon d’un ton neutre. Mais, ce soir, lady Stark a craint d’offenser la famille royale en mêlant un bâtard aux princes.

— C’est donc ça… » Par-dessus l’épaule, Oncle jeta un regard vers l’estrade, tout au bout. « Mon frère n’a pas l’air d’avoir le cœur à la fête, aujourd’hui. »

Jon l’avait également remarqué. Sa position scabreuse l’obligeait à deviner le dessous des choses, à déceler les vérités que les gens camouflent au fond de leurs yeux. Si Père déployait tous ses trésors decourtoisie, Jon discernait en lui comme une roideur inconnue. Il parlait peu, promenait sur la salle des regards couverts et qui ne voyaient rien. A deux sièges de lui, le roi n’avait cessé de boire depuis des heures, et sa large face prenait, derrière le poil noir, un ton violacé. Il portait santé sur santé, riait à gorge déployée pour la moindre blague, se précipitait sur tous les mets tel un homme affamé, tandis qu’à ses côtés Cersei semblait sculptée dans un bloc de glace. « La reine est furieuse, observa Jon d’un air détaché. Père a emmené le roi dans les cryptes, cet après-midi, bien qu’elle s’y opposât. »

Benjen le jaugea d’un regard appuyé : « Il ne t’échappe pas grand-chose, n’est-ce pas, Jon ? Nous aurions besoin d’hommes de ta trempe, au Mur… »

Jon se rengorgea. « Robb manie mieux la lance, mais je le domine à l’épée. Et Hullen me prétend aussi sûr cavalier que quiconque dans le château.

— Pas mal…

— Emmène-moi quand tu repartiras, supplia Jon, brusquement, Père m’accordera la permission, je le sais, si tu l’en pries toi-même. »

Après l’avoir considéré quelque temps, Oncle repartit : « Le Mur n’est pas un lieu de tout repos, Jon. Pour un garçon de ton âge…

— Mais je suis presque un homme fait ! l’interrompit-il. Je vais sur mes quinze ans, et mestre Luwin assure que les bâtards sont plus précoces que les enfants ordinaires.

— Ce n’est pas faux… », convint Benjen, non sans une moue dubitative, tout en empoignant un pichet pour remplir la coupe, avant de s’offrir une bonne lampée.

Jon insista : « Daeren Targaryen – l’un de ses héros favoris – n’avait que quatorze ans lorsqu’il conquit Dorne.

— Une conquête sans lendemain, objecta Ben. Ton blanc-bec perdit dix mille hommes pour s’emparer de la ville et cinquante mille autres pour tenter de la conserver l’espace d’un été. On aurait dû le prévenir que la guerre n’était pas un jeu. » Il déglutit une nouvelle gorgée, s’essuya la bouche et reprit : « Sans compter qu’il mourut à dix-huit ans. Tu sembles oublier ce détail…

— Je n’oublie rien ! fanfaronna Jon que l’alcool rendait effronté et qui, pour se grandir, essayait de se tenir très droit. Je veux entrer dans la Garde de Nuit. »

Ce projet, il l’avait ruminé, mûri sans complaisance au long des longues insomnies qui, dans le noir, l’isolaient de ses frères endormis. Un jour, Robb hériterait de Winterfell et, en tant que gouverneur du Nord, commanderait des armées puissantes. Bran et Rickon lui serviraient de bannerets, tiendraient en son nom chacun des places fortes. Arya et Sansa épouseraient quelque aîné de grande maison et iraient dans le sud régner sur leurs propres terres. Mais le bâtard, lui, que pouvait-il se flatter d’obtenir ?

« Tu ne sais de quoi tu parles, Jon. La Garde de Nuit se compose de frères assermentés. Nous n’avons pas defamille. Nul d’entre nous n’engendrera de fils. Le devoir nous tient lieu d’épouse, l’honneur de maîtresse.

— Un bâtard aussi peut être homme d’honneur ! Je suis prêt à prononcer vos vœux.

— Tu n’as que quatorze ans, tu n’es pas un homme. Pas encore. Aussi longtemps que tu n’auras pas connu de femme, tu seras incapable de concevoir à quoi tu renoncerais.

— Mais je m’en soucie comme d’une guigne !

— Parce que tu en ignores tout. Si tu évaluais exactement de quel prix se paie ce serment, tu serais peut-être moins chaud, mon fils.

— Je ne suis pas ton fils ! explosa Jon, sans plus pouvoir maîtriser son exaspération.

— Je le déplore bien assez », soupira Ben en se dressant. Puis il lui posa la main sur l’épaule et ajouta : « Ecoute…, reviens me trouver quand tu auras quelques bâtards à ton actif. Alors, nous verrons comment tu t’en portes.

— Je n’aurai jamais de bâtard, répliqua Jon d’une voix tremblante, tu m’entends ? jamais ! » répéta-t-il, venimeux. Au même instant, il prit conscience du silence qui s’était brusquement fait autour de la table, des regards tous posés sur lui. Au bord des larmes, il se leva gauchement. « Veuillez m’excuser », hoqueta-t-il en se composant vaille que vaille un air digne, puis une pirouette lui permit de se sauver dans l’espoir de cacher ses larmes. Mais il avait dû boire à son insu plus que de raison, car ses pieds s’emmêlaient sous lui et, comme il tentait de gagner la sortie, son roulis lui fît heurter une servante et envoya se fracasser au sol, dans un éclat de rire général, un flacon de vin épicé. A ce nouveau coup, il sentit des gouttes chaudes rouler sur ses joues et une main secourable le soutenir. Alors, il se dégagea violemment et se mit à courir presque en aveugle, Fantôme contre ses chevilles, vers la délivrance, la nuit…

Il trouva la cour paisible et déserte. Seule, aux créneaux du premier rempart, là-haut, veillait, frileusement enveloppée dans son manteau, une sentinelle à qui son attitude lasse et pelotonnée, son isolementdonnaient un aspect misérable, mais Jon eût volontiers pris sa place à l’instant. Hormis cela, ténèbres, ténèbres et silence tels que, subitement, Winterfell lui remémora l’image funèbre d’une forteresse abandonnée visitée jadis. Rien n’animait celle-ci que la bise, et ses pierres demeuraient obstinément muettes sur ses anciens habitants…

Parles baies ouvertes se déversaient derrière lui des flots de musique, des chants. La dernière des choses dont il eût envie. D’un revers de manche, il se torcha le nez, furieux de s’être ainsi laissé aller, et il se disposait à prendre le large quand un appel : « Hé, toi ! » le fit se retourner.

Assis sur la corniche qui surplombait la porte de la grand-salle et aussi laid qu’une gargouille, Tyrion Lannister lui grimaçait un sourire affable, qui s’enquit : « C’est un loup ?

— Un loup-garou. Il s’appelle Fantôme. » La vue du gnome avait instantanément dissipé sa détresse. « Que faites-vous donc, perché là ? Vous boudez la fête ?

— Trop chaud, trop de bruit. Puis j’avais trop bu et, si j’en crois mes éducateurs, il est malséant de dégobiller sur son frère. Tu permets que je voie ta bête de plus près ? »

Après une seconde d’hésitation, Jon opina gravement. « Dois-je aller vous chercher une échelle ?

— Du diable, l’échelle ! » ricana l’autre, et il se jeta dans le vide. Avec une stupeur mêlée d’angoisse, Jon le vit alors tournoyer comme une balle, atterrir sur les mains, rebondir vers l’arrière et s’immobiliser, pieds joints. Fantôme, lui, recula, méfiant.

Tout en s’époussetant, le nain se mit à glousser : « Désolé, je crois que je lui ai fait peur.

— Du tout », bougonna Jon qui, s’agenouillant, prit sa voix câline : « Fantôme…, viens. Allons… Là. »

A pas feutrés, le chiot s’était rapproché jusqu’à lui lécher la figure, mais son œil ne lâchait pas Tyrion et, lorsque celui-ci prétendit le caresser, ses babines se retroussèrent sur un avertissement muet. « Hou ! farouche…, commenta l’autre.

— Assis, Fantôme, commanda Jon. Bien. Calme, maintenant, calme… Vous pouvez le toucher, à présent, il ne bronchera pas. Je l’ai dressé à m’obéir au doigt et à l’œil.

— Je vois, dit le nain, qui se mit à flatter la bête entre les oreilles. Gentil petit loup.

— En mon absence, il vous sauterait à la gorge, affirma Jon, quoique l’assertion fut pour le moins prématurée.

— Dans ce cas, tu fais bien de te trouver là, rétorqua le nain en inclinant son énorme tête pour lui décocher un regard louche de ses yeux vairons. Je suis Tyrion Lannister.

— Je sais », dit Jon en se relevant. Une fois debout, il dépassait le nain, et ce constat lui fit un effet bizarre.

« Quant à toi, tu es le bâtard de Ned, n’est-ce pas ? »

Brusquement glacé jusqu’aux moelles, Jon semordit les lèvres sans répondre.

« Navré si je t’ai fâché, mais les nains sont dispensés de tact. Des générations de bouffons qui cabriolent en livrée bigarrée m’ont valu le droit de m’accoutrer à la diable et de proférer toutes les horreurs qui me traversent la cervelle. » Un large sourire l’illumina. « Tu n’en es pas moins le bâtard.

— Lord Eddard Stark est en effet mon père », admit-il sèchement.

Avec effronterie, l’autre le dévisagea. « Oui, dit-il, et ça se voit. Tu tiens du nord plus que tes frères.

— Demi-frères, rectifia Jon qui, secrètement ravi de l’observation, préférait n’en rien montrer.

— Laisse-moi te donner un conseil, reprit Tyrion. N’oublie jamais ce que tu es, car le monde ne l’oubliera pas. Puise là ta force, ou tu t’en repentiras comme d’une faiblesse. Fais-t’en une armure, et nul ne pourra l’utiliser pour te blesser. »

Mais Jon n’était pas d’humeur à supporter les conseilleurs. Il maugréa : « Comme si vous saviez ce qu’est la bâtardise !

— Aux yeux de leur père, les nains sont toujours bâtards.

— Mais vous êtes par votre mère un Lannister légitime…

— Ça…, riposta Tyrion d’un air sardonique, va en persuader le seigneur mon père. Comme ma mère est morte en me donnant le jour, il n’a jamais pu obtenir de confirmation.

— Moi, j’ignore même qui fut ma mère.

— Une femme, je présume. Il n’y a guère d’exceptions. » Il gratifia le garçon d’un sourire sinistre. « Souviens-toi de ceci, mon garçon : tous les nains peuvent être bâtards, mais tous les bâtards ne sont pas forcés d’être nains. »

A ces mots, il tourna les talons et, sans se presser, repartit festoyer tout en sifflotant. Mais, au moment où il poussa la porte, la lumière en provenance de l’intérieur déginganda sa silhouette en travers de la cour et, quelques secondes, lui décerna une prestance véritablement royale.

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