[2] L’enfance nous suit dans tous les temps de la vie; si quelqu’un paraît sage, c’est seulement parce que ses folies sont proportionnées à son âge et à sa fortune (max. 207, I 219).
[3] L’orgueil a bien plus de part que la charité aux remontrances que nous faisons à ceux qui commettent des fautes, et nous les en reprenons bien moins pour les en corriger que pour persuader que nous en sommes exempts (max. 37, I 41).
[4] Nous sommes préoccupés de telle sorte en notre faveur que ce que nous prenons le plus souvent pour des vertus ne sont en effet que des vices qui leur ressemblent et que l’orgueil et l’amour-propre nous ont déguisés (épigraphe de 1678, I 181).
[5] Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes (max. 38, I 42).
[6] Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui (max. 19, I 22).
[7] Ce qui rend nos amitiés si légères et si changeantes, c’est qu’il est aisé de connaître les qualités de l’esprit, et difficile de connaître celles de l’âme (max. 80, I 93).
[8] Nous nous persuadons souvent d’aimer les gens plus puissants que nous; l’intérêt seul produit notre amitié, et nous ne leur promettons pas selon ce que nous leur voulons donner, mais selon ce que nous voulons qu’ils nous donnent (max. 85, I 98).
[9] Les Français ne sont pas seulement sujets, comme la plupart des hommes, à perdre également le souvenir des bienfaits et des injures, mais ils haïssent ceux qui les ont obligés; l’orgueil et l’intérêt produit partout l’ingratitude; l’application à récompenser le bien et à se venger du mal leur paraît une servitude à laquelle ils ont peine de s’assujettir (max. 14, I 14).
[10] Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent la corruption de leur cœur aux autres et à eux-mêmes; les vrais honnêtes gens sont ceux qui la connaissent parfaitement et la confessent aux autres (max. 202, I 214).
[11] On est au désespoir d’être trompé par ses ennemis et trahi par ses amis, et on est toujours satisfait de l’être par soi-même (max. 114, I 119).
[12] Les plus sages le sont dans les choses indifférentes, mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sérieuses affaires (MS 22, I 132).
[13] L’amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde (max. 4, I 4).
[14] Il est aussi aisé de se tromper soi-même sans s’en apercevoir qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent (max. 115, I 120).
[15] Rien n’est impossible de soi; il y a des voies qui conduisent à toutes choses, et si nous avions assez de volonté, nous aurions toujours assez de moyens (max. 243, I 265 et 272 1er état).
[16] L’intérêt fait jouer toute sorte de personnages, et même celui de désintéressé (max. 39, I 43).
[17] La constance des sages n’est qu’un art avec lequel ils savent enfermer dans leur cœur leur agitation (max. 20, I 23).
[18] Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n’est que l’intérêt et la vanité qui les causent (max. 232, I 246).
[19] C’est plutôt par l’estime de nos sentiments que nous exagérons les bonnes qualités des autres que par leur mérite, et nous nous louons en effet lorsqu’il semble que nous leur donnons des louanges (max. 143, I 146).
[20] L’homme est conduit lorsqu’il croit se conduire, et pendant que par son esprit il vise à un endroit, son cœur l’achemine insensiblement à un autre (max. 43, I 47).
[21] La modestie, qui semble refuser les louanges, n’est en effet qu’un désir d’en avoir de plus délicates (MS 27, I 147).
[22] L’orgueil se dédommage toujours, et il ne perd rien lors même qu’il renonce à la vanité (max. 33, I 36).
[23] L’amitié la plus sainte et la plus sacrée n’est qu’un trafic où nous croyons toujours gagner quelque chose (max. 83, I 94).
[24] La félicité est dans le goût, et non pas dans les choses, et c’est par avoir ce qu’on aime qu’on est heureux, et non pas par avoir ce que les autres trouvent aimable (max. 48, I 54).
[25] Quand on ne trouve point son repos en soi-même, il est inutile de le chercher ailleurs (MS 61, I 55).
[26] On ne fait point de distinction dans la colère, bien qu’il y en ait une légère et quasi innocente, qui vient de l’ardeur de la complexion, et une autre très criminelle, qui est à proprement parler la fureur de l’orgueil et de l’amour-propre (MS 30, I 159).
[27] Quoique toutes les passions se dussent cacher, elles ne craignent pas néanmoins le jour; la seule envie est une passion timide et honteuse qu’on ne peut jamais avouer (max. 27, I 30).
[28] La jalousie est raisonnable en quelque manière puisqu’elle ne cherche qu’à conserver un bien qui nous appartient, ou que nous croyons nous devoir appartenir, au lieu que l’envie est une fureur qui nous fait toujours souhaiter la ruine du bien des autres (max. 28, I 31).
[29] Quelque différence qu’il y ait entre les fortunes, il y a pourtant une certaine proportion de biens et de maux qui les rend égales (max. 52, I 61).
[30] On n’aime point à louer, et on ne loue jamais personne sans intérêt; la louange est une flatterie habile, cachée et délicate qui satisfait différemment celui qui la donne et celui qui la reçoit. L’un la prend comme la récompense de son mérite, l’autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées qui découvrent par contre-coup des défauts en nos amis, que nous n’osons divulguer. Nous élevons même la gloire des uns pour abaisser par là celle des autres, et on louerait moins Monsieur le Prince et Monsieur de Turenne si on ne voulait pas les blâmer tous les deux (max. 144, 145 et 198, I 148 et 149, 2e état).
[31] Il est malaisé de définir l’amour, et tout ce qu’on en peut dire c’est que dans l’âme c’est une passion de régner, dans les esprits c’est une sympathie, et dans le corps ce n’est qu’une envie cachée et délicate de jouir de ce que l’on aime après beaucoup de mystères (max. 68, I 78).
[32] Quelques grands avantages que la nature donne, ce n’est pas elle, mais la fortune, qui fait les héros (max. 53, I 62).
[33] Il n’y a point de libéralité et ce n’est que la vanité de donner que nous aimons mieux que ce que nous donnons (max. 263, I 286).
[34] L’amour de la gloire et plus encore la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable et l’envie d’abaisser les autres font cette valeur qui est si célèbre parmi les hommes (max. 213. I 226).
[35] On pourrait dire qu’il n’y a point d’heureux ni de malheureux accidents parce que les habiles gens savent profiter des mauvais, et que les imprudents tournent bien souvent les plus avantageux à leur préjudice (max. 59. I 68).
[36] On ne veut point perdre la vie, et on veut acquérir de la gloire; de là vient que, quelque chicane qu’on remarque dans la justice, elle n’est point égale à la chicane des braves (max. 221, I 235).
[37] La valeur dans les simples soldats est un métier périlleux qu’ils ont pris pour gagner leur vie (max. 214, I 227).
[38] Les crimes deviennent innocents et même glorieux par leur nombre et par leur excès; de là vient que les voleries publiques sont des habiletés, et que les massacres des provinces entières sont des conquêtes (MS 68, I 192).
[39] Comme la plus heureuse personne du monde est celle à qui peu de choses suffit, les grands et les ambitieux sont en ce point les plus misérables qu’il leur faut l’assemblage d’une infinité de biens pour les rendre heureux (MP I).
[40] Le vrai honnête homme c’est celui qui ne se pique de rien (max. 203, I 215).
[41] La générosité c’est un désir de briller par des actions extraordinaires, c’est un habile et industrieux emploi du désintéressement, de la fermeté en amitié, et de la magnanimité, pour aller promptement à une grande réputation (max. 246, I 268).
[42] Le jugement n’est autre chose que la grandeur de la lumière de l’esprit, on peut dire la même chose de son étendue, de sa profondeur, de son discernement, de sa justesse, de sa droiture, et de sa délicatesse.
L’étendue de l’esprit est la mesure de sa lumière.
La profondeur est celle qui découvre le fond des choses
Le discernement les compare et les distingue.
La justesse ne voit que ce qu’il faut voir.
La droiture prend toujours le bon biais des choses.
La délicatesse aperçoit les imperceptibles.
Et le jugement prononce ce qu’elles sont.
Si on l’examine bien, on trouvera que toutes ces qualités ne sont autres chose que la grandeur de l’esprit, lequel, voyant tout, rencontre dans la plénitude de ses lumières tous les avantages dont nous venons de parler (max. 97, I 107).
[43] Quand la vanité ne fait point parler, on n’a pas envie de dire grand’chose (max. 137, I 139).
[44] La sincérité c’est une naturelle ouverture de cœur; on la trouve en fort peu de gens et celle qui se pratique d’ordinaire n’est qu’une fine dissimulation pour arriver à la confiance des autres (max. 62, I 71).
[45] La finesse n’est qu’une pauvre habileté (MP 2).
[46] Dieu seul fait les gens de bien et on peut dire de toutes nos vertus ce qu’un poète a dit de l’honnêteté des femmes. L’essere honesta non é se non un arte de parer honesta (MS 33, I 176).
[47] Nous récusons tous les jours des juges pour les plus petits intérêts, et nous commettons notre gloire et notre réputation, qui est la plus importante affaire de notre vie, aux hommes qui nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur malignité, ou par leur préoccupation, ou par leur sottise, ou par leur injustice, et c’est pour obtenir d’eux un arrêt en notre faveur que nous exposons notre vie et que nous la condamnons à une infinité de soucis, de peines et de travaux (max. 268, I 292).
[48] Rien n’est si dangereux que l’usage des finesses que tant de gens d’esprit emploient communément; les plus habiles affectent de les éviter toute leur vie pour s’en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt (max. 124, I 126).
[49] Comme la finesse est l’effet d’un petit esprit, il arrive quasi toujours que celui qui s’en sert pour se couvrir en un endroit se découvre en un autre (max. 125, I 127).
[50] Rien ne nous plaît tant que la confiance des grands et des personnes considérables par leurs emplois, par leur esprit ou par leur mérite; elle nous fait sentir un plaisir exquis et élève merveilleusement notre orgueil parce que nous la regardons comme un effet de notre fidélité; cependant nous serons remplis de confusion si nous considérons l’imperfection et la bassesse de sa naissance, car elle vient de la vanité, de l’envie de parler et de l’impuissance de retenir les secrets, de sorte qu’on peut dire que la confiance est comme un relâchement de l’âme causé par le nombre et par le poids des choses dont elle est pleine (max. 239, I 255).
[51] Nous ne nous apercevons que des emportements et des mouvements extraordinaires de nos humeurs, comme de la violence, de la colère, etc., mais personne quasi ne s’aperçoit que ces humeurs ont un cours ordinaire et réglé qui meut et tourne doucement et imperceptiblement notre volonté à des actions différentes; elles roulent ensemble, s’il faut ainsi dire, et exercent successivement leur empire, de sorte qu’elles ont une part considérable à toutes nos actions, dont nous croyons être les seuls auteurs (max. 297, I 48).
[52] La pitié est un sentiment de nos propre maux dans un sujet étranger; c’est une prévoyance habile des malheurs où nous pouvons tomber, qui nous fait donner des secours aux autres pour les engager à nous les rendre dans de semblables occasions, de sorte que les services que nous rendons à ceux qui sont accueillis de quelque infortune sont à proprement parler des biens anticipés que nous nous faisons (max. 264, I 287).
[53] Qui considérera superficiellement tous les effets de la bonté qui nous fait sortir de nous-mêmes, et qui nous immole continuellement à l’avantage de tout le monde, sera tenté de croire que, lorsqu’elle agit, l’amour-propre s’oublie et s’abandonne lui-même, et même qu’il se laisse dépouiller et appauvrir sans s’en apercevoir, en sorte qu’il semble que la bonté soit la niaiserie et l’innocence de l’amour-propre. Cependant la bonté est en effet le plus prompt de tous les moyens dont l’amour-propre se sert pour arriver à ses fins; c’est un chemin dérobé par où il revient à lui-même plus riche et plus abondant; c’est un désintéressement qu’il met à une furieuse usure, c’est enfin un ressort délicat avec lequel il remue, il dispose et tourne tous les hommes en sa faveur (max. 236, I 250).
[54] L’humilité est une feinte soumission que nous employons pour soumettre effectivement tout le monde; c’est un mouvement de l’orgueil par lequel il s’abaisse devant les hommes pour s’élever sur eux; c’est son plus grand déguisement, et son premier stratagème; certes, comme il est sans doute que le Protée des fables n’a jamais été, il est un véritable dans la nature, car il prend toutes les formes comme il lui plaît; mais, quoiqu’il soit merveilleux et agréable à voir sur toutes ses figures et dans toutes ses industries, il faut pourtant avouer qu’il n’est jamais si rare ni si plaisant que lorsqu’on le voit sous la forme et sous l’habit de l’humilité; car alors on le voit les yeux baissés, sa contenance est modeste et reposée, ses paroles douces et respectueuses, pleines de l’estime des autres et de dédain pour lui-même; il est indigne de tous les honneurs, il est incapable d’aucun emploi, et ne reçoit les charges où on l’élève que comme un effet de la bonté des hommes et de la faveur aveugle de la fortune (max. 254, I 277).
[55] La parfaite valeur et la poltronnerie complète sont des extrémités où on arrive rarement; l’espace qui est entre deux est vaste, et contient toutes les autres espèces de courages, il n’y a pas moins de différence entre eux qu’il y en a entre les visages et les humeurs; cependant ils conviennent en beaucoup de choses. Il y a des hommes qui s’exposent volontiers au commencement d’une action, et qui se relâchent et se rebutent aisément par sa durée; il y en a qui sont assez contents quand ils ont satisfait à l’honneur du monde et qui font fort peu de choses au delà. On en voit qui ne sont pas toujours également maîtres d’eux-mêmes. D’autres se laissent quelquefois entraîner à des épouvantes générales. D’autres vont à la charge pour n’oser demeurer dans leurs postes Enfin il s’en trouve à qui l’habitude des moindres périls affermit le courage, et les prépare à s’exposer à de plus grands. Outre cela, il y a un rapport général que l’on remarque entre tous les courages des différentes espèces dont nous venons de parler, qui est que la nuit, augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, leur donne la liberté de se ménager. Il y a encore un autre ménage plus général qui, à parler absolument, s’étend sur toute sorte d’hommes: c’est qu’il n’y en a point qui fassent tout ce qu’ils seraient capables de faire dans une occasion s’ils avaient une certitude d’en revenir; de sorte qu’il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose à leur valeur et diminue son effet (max. 215, I 228).
[56] On élève la prudence jusqu’au ciel et il n’est sorte d’éloge qu’on ne lui donne; elle est la règle de nos actions et de nos conduites, elle est la maîtresse de la fortune, elle fait le destin des empires; sans elle on a tous les maux, avec elle on a tous les biens; et, comme disait autrefois un poète, quand nous avons la prudence, il ne nous manque aucune divinité, pour dire que nous trouvons dans la prudence tous les secours que nous demandons aux dieux. Cependant la prudence la plus consommée ne saurait nous assurer du plus petit effet du monde, parce que, travaillant sur une matière aussi changeante et inconnue qu’est l’homme, elle ne peut exécuter sûrement aucun de ses projets; Dieu seul, qui tient tous les cœurs des hommes entre ses mains, et qui, quand il lui plaît, en accorde les mouvement, fait aussi réussir les choses qui en dépendent; d’où il faut conclure que toutes les louanges dont notre ignorance et notre vanité flatte notre prudence sont autant d’injures que nous faisons à sa providence (max. 65, I 75).
[57] Rien n’est plus divertissant que de voir deux hommes assemblés, l’un pour demander conseil, et l’autre pour le donner; l’un paraît avec une déférence respectueuse et dit qu’il vient recevoir les conduites et soumettre ses sentiments, et son dessein le plus souvent est de faire passer les siens et de rendre celui qu’il fait maître de son avis garant de l’affaire qu’il lui propose. Quant à celui qui conseille, il paye d’abord la sincérité de son ami d’un zèle ardent et désintéressé qu’il lui montre, et cherche en même temps dans ses propres intérêts des règles de conseiller, de sorte que son conseil lui est bien plus propre qu’à celui qui le reçoit (max. 116, I 118).
[58] Il y a une espèce d’hypocrisie dans les afflictions, car, sous prétexte de pleurer une personne qui nous est chère, nous pleurons les nôtres, c’est-à-dire la diminution de notre bien, de notre plaisir ou de notre considération. De cette manière les morts ont l’honneur des larmes qui coulent pour les vivants. J’ai dit que c’est une espèce d’hypocrisie parce que par elle l’homme se trompe seulement lui-même. Il y en a une autre qui n’est pas si innocente et qui impose à tout le monde: c’est l’affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d’une belle et immortelle douleur; car le temps, qui consomme tout, l’ayant consommée, elles ne laissent pas d’opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes et leurs soupirs; elles prennent un personnage lugubre et travaillent à persuader par toutes leurs actions qu’elles égaleront la durée de leur déplaisir à leur propre vie. Cette triste et fatigante vanité se trouve pour l’ordinaire dans les femmes ambitieuses, parce que, leur sexe leur fermant tous les chemins à la gloire, elles se jettent dans celui-ci, et s’efforcent à se rendre célèbres par la montre d’une inconsolable douleur (cf. la maxime suivante).
[59] Outre ce que nous avons dit, il y encore quelques autres espèces de larmes qui coulent de certaines petites sources et qui par conséquent s’écoulent incontinent; on pleure pour avoir la réputation d’être tendre, on pleure pour être pleuré, et on pleure enfin de honte de ne pas pleurer (pour cette maxime et la précédente. max. 233, I 247).
[60] Les philosophes, et Sénèque surtout, n’ont point ôté les crimes par leurs préceptes, ils n’ont fait que les employer au bâtiment de l’orgueil (MS 21, I 105).
[61] Les affaires et les actions des grands hommes ont comme les statues leur point de perspective il y en a qu’il faut voir de près pour en discerner toutes les circonstances, et il y en a d’autres dont on ne juge jamais si bien que quand on en est éloigné (max. 104, I 114)
[62] Comment prétendons-nous qu’un autre garde notre secret si nous n’avons pu le garder nous-même? (MS 64, I 100.)
[63] Les philosophes ne condamnent les richesse que par le mauvais usage que nous en faisons; il dépend de nous de les acquérir et de nous en servir sans crime et, au lieu qu’elles nourrissent et accroissent les vices comme le bois entretient et augmente le feu, nous pouvons les consacrer à toutes les vertus, et les rendre même par là plus agréables et plus éclatantes (MP 3)
[64] Celui-là n’est pas raisonnable qui trouve la raison, mais celui qui la connaît, qui la goûte et qui la discerne (max. 105, I 115).
[65] La plus déliée de toutes les finesses est de savoir bien faire semblant de tomber dans les pièges que l’on nous tend; on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres (max. 117, I 121).
[66] La pure valeur (s’il y en avait) serait de faire sans témoins ce qu’on est capable de faire devant le monde (max. 216, I 229).
[67] L’intrépidité est une force extraordinaire de l’âme par laquelle elle empêche les troubles, les désordres et les émotions que la vue des grands périls a accoutumé d’élever en elle, par cette force les héros se maintiennent dans un état paisible et conservent l’usage libre de toutes leurs fonctions dans les accidents les plus terribles et les plus surprenants. Cette intrépidité doit soutenir le cœur dans les conjurations, au lieu que la seule valeur lui fournit toute la fermeté qui lui est nécessaire dans les périls de la guerre (max. 217 et MS 40, I 230 et 231).
[68] Enfin l’orgueil, comme lassé de ses artifices et de ses métamorphoses, après avoir joué tout seul les personnages de la comédie humaine, se montre avec son visage naturel et se découvre par la fierté, de sorte qu’à proprement parler la fierté est l’éclat et la déclaration de l’orgueil (MS 6, I 37).
[69] La politesse de l’esprit est un tout de l’esprit par lequel il pense toujours des choses agréables, honnêtes et délicates (max. 99, I 109).
[70] La galanterie de l’esprit est un tour de l’esprit par lequel il pénètre et conçoit les choses les plus flatteuses, c’est-à-dire celles qui sont le plus capables de plaire aux autres (max. 100, I 110).
[71] Qui ne rirait de la modération, et de l’opinion qu’on a conçue d’elle? Elle n’a garde (ainsi qu’on croit) de combattre et de soumettre l’ambition, puisque jamais elles ne se peuvent trouver ensemble, la modération n’étant véritablement qu’une paresse, une langueur et un manque de courage, de manière qu’on peut justement dire que la modération est la bassesse de l’âme comme l’ambition en est l’élévation (max. 293. I 17)
[72] La modération dans la bonne fortune n’est que la crainte de la honte qui suit l’emportement, ou la peur de perdre ce que l’on a (MS 3. I 18).
[73] La politesse des États est le commencement de leur décadence, parce qu’elle applique tous les particuliers à leurs intérêts propres et les détourne du bien public (MS 52. I 282).
[74] La faiblesse de l’esprit est mal nommée; c’est en effet la faiblesse du cœur, qui n’est autre chose qu’une impuissance d’agir et un manque de principe de vie (max. 44. I 49).
[75] La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l’esprit (max. 257. I 280).
[76] La sévérité des femmes c’est un ajustement et un fard qu’elles ajoutent à leur beauté, c’est comme un prix dont elles augmentent le leur, c’est enfin un attrait fin et délicat et une douceur déguisée (max. 204, I 216).
[77] Ceux qui voudraient définir la victoire par sa naissance seraient tentés, comme les poètes, de l’appeler la fille du Ciel puisqu’on ne trouve point son origine sur la terre; en effet elle est produite par une infinité d’actions qui, au lieu de l’avoir pour but, regardent seulement les intérêts particuliers de ceux qui les font, puisque tous ceux qui composent une armée, allant à leur propre gloire et à leur élévation, procurent un bien si grand et si général (MS. 41. I 232).
[78] La modération dans la bonne fortune est le calme de notre humeur adoucie par la satisfaction de l’esprit; c’est aussi la crainte du blâme et du mépris qui suivent ceux qui s’enivrent de leur bonheur, c’est une vaine ostentation de la force de notre esprit, et enfin, pour la définir intimement, la modération des hommes dans leurs plus hautes élévations est une ambition de paraître plus grands que les choses qui les élèvent (max. 17 et 18, I 19 et 20).
[79] La persévérance n’est digne de blâme ni de louange parce qu’elle n’est que la durée des goûts et des sentiments qu’on ne s’ôte ni qu’on ne se donne (max. 177, I 186)
[80] La nature fait le mérite, et la fortune le met en œuvre (max. 153, I 160).
[81] La civilité est une envie d’en recevoir; c’est aussi un désir d’être estimé poli (max. 260, I 283).
[82] La vérité qui fait les gens véritables est une imperceptible ambition qu’ils ont de rendre leur témoignage considérable et d’attirer à leurs paroles un respect de religion (max. 63, I 72).
[83] Nous avouons nos défauts pour réparer le préjudice qu’ils nous font dans l’esprit des autres par l’impression que nous leur donnons de la justice du nôtre (max. 184, I 193).
[84] La clémence des princes est une politique dont ils se servent pour gagner l’affection des peuples (max. 15, I 15).
[85] On s’est trompé quand on a cru, après tant de grands exemples, que l’ambition et l’amour triomphaient toujours des autres passions; c’est la paresse, toute languissante qu’elle est, qui en est le plus souvent la maîtresse: elle usurpe insensiblement sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie, et enfin elle émousse et éteint toutes les passions et toutes les vertus (max. 266, I 289).
[86] Ceux qui s’appliquent trop aux petites choses peuvent difficilement s’appliquer assez aux grandes, parce qu’ils consomment toute leur application pour les petites, et même, en la plupart des hommes, c’est une marque qu’ils n’ont aucun talent pour les grandes (max. 41 et MS 7, I 45 et 51).
[87] Il y a deux sortes d’inconstances: l’une qui vient de la légèreté de l’esprit qui à tout moment change d’opinion, ou plutôt de la pauvreté de l’esprit qui reçoit toutes les opinions des autres; l’autre qui est plus excusable, vient de la [fin] du goût des choses que l’on aimait (max. 181, I 190).
[88] La sobriété est l’amour de la santé ou l’impuissance de manger beaucoup (MS 24, I 135).
[89] La chasteté des femmes est l’amour de leur réputation et de leur repos (max. 205, I 217).
[90] Le mépris des richesses, dans les philosophes, était un désir caché de venger leur mérite de l’injustice de la fortune par le mépris des mêmes biens dont elle les privait; c’était un secret qu’ils avaient trouvé pour se dédommager de l’avilissement de la pauvreté; c’était enfin un chemin détourné pour aller à la considération que les richesses donnent (max. 54, I 63).
[91] La fidélité est une invention rare de l’amour-propre par laquelle l’homme, s’érigeant en dépositaire des choses précieuses, se rend à lui-même infiniment précieux; de tous les trafics de l’amour-propre c’est celui où il fait moins d’avances et de plus grands profits; c’est un raffinement de sa politique, car il engage les hommes par leurs biens, par leur honneur, par leur liberté et par leur vie qu’ils sont forcés de confier en quelques occasions, à élever l’homme fidèle au-dessus de tout le monde (max. 247, I 269).
[92] L’éducation qu’on donne aux princes est un second amour-propre qu’on leur inspire (max. 261, I 284, 1er état).
[93] Notre repentir ne vient point de nos actions, mais du dommage qu’elles nous causent (max. 180, I 189).
[94] Il y a des héros en mal comme en bien (max. 185, I 194).
[95] L’amour-propre est l’amour de soi-même et de toutes choses pour soi; il rend les hommes idolâtres d’eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en ouvrait les moyens; il ne repose jamais hors de soi, et ne s’arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n’est si impétueux que ses désirs, rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles de la métamorphose, et ses raffinements ceux de la chimie.
On ne peut sonder la profondeur ni percer les ténèbres de ses abîmes; là il est à couvert des yeux les plus pénétrants, il y fait mille insensibles tours et retours; là il est souvent invisible à lui-même, et il y conçoit, il y nourrit, et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d’affections et de haines; il en forme même quelquefois de si monstrueuses que, lorsqu’il les a mises au jour, il les méconnaît ou il ne peut se résoudre à les avouer.
De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu’il a de lui-même; de là viennent ses erreurs, ses ignorances, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet; de là vient qu’il croit que ses sentiments sont morts lorsqu’ils ne sont qu’endormis, qu’il s’imagine n’avoir plus d’envie de courir quand il se repose, et qu’il pense avoir perdu tous les goûts qu’il a rassasiés.
Mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même n’empêche pas qu’il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui, en quoi il est semblable à nos yeux qui découvrent tout et sont aveugles seulement pour eux-mêmes. En effet dans ses plus grands intérêts et dans ses plus importantes affaires, où la violence de ses souhaits appelle toute son attention, il voit, il sent, il entend, il imagine, il soupçonne, il pénètre, il devine tout; de sorte qu’on est tenté de croire que chacune de ses passions a une magie qui lui est propre.
Rien n’est si intime et si fort que ses attachements, qu’il essaie de rompre inutilement à la vue des malheurs extrêmes qui le menacent; cependant il fait quelquefois en peu de temps et sans aucun effort ce qu’il n’a pu faire avec tous ceux dont il est capable dans le cours de plusieurs années: d’où l’on pourrait conclure assez vraisemblablement que c’est par lui-même que ses désirs sont allumés, plutôt que par la beauté et par le mérite de ses objets, que son goût est le prix qui les relève et le fard qui les embellit, que c’est après lui-même qu’il court, et qu’il suit son gré lorsqu’il suit les choses qui sont à son gré.
Il est tous les contraires; il est impérieux et obéissant, sincère et dissimulé, miséricordieux et cruel, timide et audacieux, etc.
Il a de différentes inclinations selon la diversité des tempéraments, qui les tournent et le dévouent pour l’ordinaire à la gloire ou aux richesses ou aux plaisirs; il en change selon le changement de nos âges, de nos fortunes et de nos expériences; mais il lui est indifférent d’en avoir plusieurs ou de n’en avoir qu’une, parce qu’il se partage en plusieurs et se ramasse en une quand il le faut et comme il lui plaît. Il est inconstant et, outre les changements qui lui viennent des causes étrangères, il en a une infinité qui naissent de lui et de son propre fonds, car il est naturellement inconstant de toutes manières; il est inconstant d’inconstance, de légèreté, d’amour, de nouveauté, de lassitude et de dégoût.
Il est capricieux, et on le voit quelquefois travailler avec la dernière application, et avec des travaux incroyables, à obtenir des choses qui ne lui sont point avantageuses et qui même lui sont nuisibles, et qu’il poursuit seulement parce qu’il les veut.
Il est bizarre et met souvent toute son application dans les emplois les plus frivoles; il trouve tout son plaisir dans les plus fades et conserve toute sa fierté dans les plus méprisables.
Il est dans tous les états de la vie et dans toutes les conditions; il vit partout, il vit de tout, et il vit de rien; il s’accommode des choses et de leur privation; il passe même dans le parti des gens de piété qui lui font la guerre; il entre dans leurs desseins et, ce qui est admirable il se hait lui-même, avec eux il conjure sa perte, il travaille même à sa ruine; enfin il ne se soucie que d’être, et, pourvu qu’il soit, il veut bien être son ennemi.
Il ne faut donc pas s’étonner s’il se joint à la plus sévère piété, et s’il entre si hardiment en société avec elle pour se détruire, parce que, dans le même temps qu’il se ruine en un endroit, il se rétablit en un autre; quand on pense qu’il quitte son plaisir, il le change seulement en satisfaction; et lors même qu’il est vaincu et qu’on croit en être défait, on le retrouve dans le triomphe de sa défaite.
Voilà la peinture de l’amour-propre, dont toute la vie n’est qu’une grande et longue agitation; la mer en est une image sensible, et l’amour-propre trouve dans la violence de ses vagues continuelles une fidèle expression de la succession turbulente de ses pensées et de ses éternels mouvements (MS I, I I).
[96] L’intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés. (max. 118, I 122)
[97] On aime mieux dire du mal de soi que de n’en point parler (max. 138, I 140).
[98] La ruine du prochain plaît aux amis et aux ennemis (MP 4).
[99] La haine qu’on a pour les favoris n’est autre chose que l’amour de la faveur; c’est aussi la rage de n’avoir point la faveur, qui se console et s’adoucit un peu par le mépris des favoris; c’est enfin une secrète envie de les détruire qui fait que nous leur ôtons nos propres hommages, ne pouvant pas leur ôter [ce] qui leur attire ceux de tout le monde (max. 55, I 64).
[100] Chaque homme n’est pas plus différent des autres hommes qu’il l’est souvent de lui-même (max. 135, I 137).
[101] Il est de la reconnaissance comme de la bonne foi des marchands: elle soutient le commerce, et nous ne payons pas pour la justice de payer, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent (max. 223, I 237).
[102] La coutume que nous avons de nous déguiser aux autres pour acquérir leur estime fait qu’enfin nous nous déguisons à nous-mêmes (max. 119, I 123).
[103] Les biens et les maux sont plus grands dans notre imagination qu’ils ne le sont en effet, et on n’est jamais si heureux ni si malheureux que l’on pense (max. 49, I 56).
[104] Il y a des personnes à qui leurs défauts siéent bien et d’autres qui sont disgraciées de leurs bonnes qualités (max. 251, I 281).
[105] La réconciliation avec nos ennemis, qui se fait au nom de la sincérité, de la douceur, et de la tendresse, n’est qu’un désir de rendre sa condition meilleure, une lassitude de la guerre et une crainte de quelque mauvais événement (max. 82. I 95).
[106] Le mal que nous faisons aux autres ne nous attire point tant la persécution et leur haine que les bonnes qualités que nous avons (max. 29, I 32).
[107] Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c’est qu’il n’y a quasi personne qui ne pense plutôt à ce qu’il veut dire qu’à répondre précisément à ce qu’on lui dit, et que les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive au même temps que l’on voit, dans leurs yeux et dans leur esprit, un égarement et une précipitation de retourner à ce qu’ils veulent dire, au lieu de considérer que c’est un mauvais moyen de plaire ou de persuader les autres de chercher si fort à se plaire à soi-même, et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir (max. 139, I 141).
[108] Comme si ce n’était pas assez à l’amour-propre d’avoir la vertu de se transformer lui-même, il a encore celle de transformer ses objets; ce qu’il fait d’une manière fort étonnante, car non seulement il les déguise si bien qu’il y est lui-même abusé, mais aussi, comme si ses actions étaient des miracles, il change l’état et la nature des choses soudainement. En effet, lorsqu’une personne nous est contraire, et qu’elle tourne sa haine et sa persécution contre nous, c’est avec toute la sévérité de la justice que notre amour-propre juge ses actions, il donne même une étendue à ses défauts qui les rend énormes, et met ses bonnes qualités dans un jour si désavantageux qu’elles deviennent plus dégoûtantes que ses défauts. Cependant, dès que cette même personne nous devient favorable ou que quelqu’un de nos intérêts l’a réconciliée avec nous, notre seule satisfaction rend aussitôt à son mérite le lustre que notre aversion venait d’effacer. Tous ses avantages en reçoivent un fort grand des biais dont nous les regardons; toutes ses mauvaises qualités disparaissent, et nous appelons même toute notre indulgence pour la forcer à justifier la guerre qu’elles nous ont faite (cf. la maxime suivante).
[109] Quoique toutes les passions montrent cette vérité, l’amour la fait voir plus clairement que les autres, car nous voyons un amoureux, agité de la rage où l’a mis un visible oubli ou infidélité découverte, conjure[r] le ciel et les enfers contre sa maîtresse et néanmoins, aussitôt qu’elle s’est présentée et que sa vue a calmé la fureur de ses mouvements, son ravissement rend cette beauté innocente, il n’accuse plus que lui-même, il condamne ses condamnations et par cette vertu miraculeuse de l’amour-propre il ôte la noirceur aux actions mauvaises de sa maîtresse et en sépare le crime pour en charger ses soupçons (pour cette maxime et la précédente: max. 88, I 101).
[110] La justice n’est qu’une vive appréhension qu’on nous ôte ce qui nous appartient; de là vient cette considération et ce respect pour tous les intérêts du prochain et cette scrupuleuse application à ne lui faire aucun préjudice. Sans cette crainte qui retient l’homme dans les bornes des biens que la naissance ou la fortune lui a donnés, pressé par la violente passion de se conserver, comme par une faim enragée, il ferait des courses continuellement sur les autres (MS 14, I 88).
[111] La justice, dans les bons juges qui sont modérés n’est que l’amour de l’approbation; dans les ambitieux c’est l’amour de leur élévation (MS 15, I 89).
[112] Rien n’est si contagieux que l’exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui ne produisent infailliblement leurs pareils. L’imitation des biens vient de l’émulation et celle des maux de l’excès de la malignité naturelle qui, étant comme tenue en prison par la honte, est mise en liberté par l’exemple (max. 230, I 244).
[113] Nul ne mérite d’être loué de bonté s’il n’a la force et la hardiesse de pouvoir être méchant: toute autre bonté n’est en effet qu’une privation de vice ou plutôt la timidité des vices et leur endormissement (max. 237, I 251).
[114] Chacun pense être plus fin que les autres (MP 5).
[115] L’aveuglement des hommes est le plus dangereux effet de leur orgueil; il sert encore à le nourrir et à l’augmenter, et c’est pour manquer de lumières que nous ignorons toutes nos misères et tous nos défauts (MS 19, I 102).
[116] La constance en amour est une inconstance perpétuelle qui fait que notre cœur s’attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l’une, tantôt à l’autre, de sorte que cette constance n’est que notre inconstance arrêtée et renfermée dans un sujet (max. 175. I 184).
[117] Nous ne regrettons pas la perte de nos amis selon leur mérite, mais selon nos besoins et l’opinion que nous croyons leur avoir donnée de ce que nous valons (MS 70, I 248).
[118] Il n’y a point d’amour pure et exempte du mélange de nos autres passions, que celle qui est cachée au fond du cœur et que nous ignorons nous-mêmes (max. 69, I 79).
[119] On hait souvent les vices, mais on méprise toujours le manque de vertu (max. 186, I 195).
[120] La passion fait souvent du plus habile homme un sot et rend quasi toujours les plus sots habiles (max. 6, I 6).
[121] Il y a des gens niais qui se connaissent niais et qui emploient habilement leur niaiserie (max. 208, I 220).
[122] Tout le monde est plein de pelles qui se moquent des fourgons (MS 5. I 33).
[123] On ne saurait compter toutes les espèces de vanité (MP 6).
[124] Pour savoir, il faut savoir le détail des choses, et comme il est presque infini, de là vient que si peu de gens sont savants et que nos connaissances sont superficielles et imparfaites, et qu’on décrit les choses au lieu de les définir. En effet on ne les connaît et on ne les fait connaître qu’en gros et par des marques communes, de même que si quelqu’un disait que le corps humain est droit et composé de différentes parties, sans dire le nombre, la situation, les fonctions, les rapports et les différences de ces parties (max. 106, I 116).
[125] Il est bien malaisé de distinguer la bonté répandue et générale pour tout le monde de la grande habileté (MS 44, I 252).
[126] On incommode toujours les autres quand on est persuadé de ne les pouvoir jamais incommoder (max. 242, I 264).
[127] Les grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux des hommes sont représentées par les politiques comme les effets des grands intérêts, au lieu que ce sont d’ordinaire les effets de l’humeur et des passions; ainsi la guerre d’Auguste et d’Antoine, qu’on rapporte à l’ambition qu’ils avaient de se rendre maîtres du monde, était un effet de la jalousie (max. 7, I 7).
[128] Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours; elles sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles et l’homme le plus simple, qui sent, persuade mieux que celui qui n’a que la seule éloquence (max. 8, I 8).
[129] La vraie éloquence consiste à dire tout ce qu’il faut et à ne dire que ce qu’il faut (max. 250, I 273).
[130] Ceux qui se sentent du mérite se piquent toujours d’être malheureux pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu’ils sont de véritables héros, puisque la mauvaise fortune ne s’opiniâtre jamais à persécuter que les personnes qui ont des qualités extraordinaires (max. 50, I 57).
[131] La coquetterie est le fond de l’humeur de toutes les femmes, mais toutes n’en ont pas l’exercice parce que la coquetterie de quelques-unes est arrêtée et enfermée par leur tempérament et par leur raison (max. 241, I 263).
[132] Un homme d’esprit serait souvent embarrassé sans la compagnie des sots (max. 140, I 142).
[133] Les pensées et les sentiments ont chacun un ton de voix, une action et un air de visage qui leur sont propres; c’est ce qui fait les bons et les mauvais comédiens, et c’est ce qui fait aussi que les personnes plaisent ou déplaisent (max. 255, I 278).
[134] Il y a de jolies choses que l’esprit ne cherche point et qu’il trouve toutes achevées en lui-même, de sorte qu’il semble qu’elles y soient cachées comme l’or et les diamants dans le sein de la terre (max. 101, I 111).
[135] La confiance de plaire est souvent le moyen de plaire infailliblement (MS 46, I 256).
[136] La faiblesse fait commettre plus de trahisons que le véritable dessein de trahir (max. 120, I 124).
[137] L’approbation que l’on donne à l’esprit, à la beauté et à la valeur les augmente et les perfectionne et leur fait faire de plus grands effets qu’ils n’auraient été capables de faire d’eux-mêmes (max. 150, I 156).
[138] Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous avons été dans des états et dans des sentiments que nous désapprouvons à cette heure (max. 51, I 58).
[139] Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison (max. 42, I 46).
[140] Ce qui nous fait aimer les connaissances nouvelles n’est pas tant la lassitude que l’on a des vieilles, ni le plaisir de changer, que le dégoût que nous avons de n’être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop et l’espérance de l’être davantage de ceux qui ne nous connaissent guère (max. 178, I 187).
[141] Les grandes âmes ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertu que les âmes communes, mais celles qui ont seulement de plus grandes vues (MS 31, I 161).
[142] On n’est jamais si malheureux qu’on craint ni si heureux qu’on espère (MS 9, I 59).
[143] On se vante souvent mal à propos de ne se point ennuyer et l’homme est si glorieux qu’il ne veut pas se trouver de mauvaise compagnie (max. 141, I 143).
[144] Ce qui nous empêche souvent de bien juger des sentences qui prouvent la fausseté des vertus, c’est que nous croyons trop aisément qu’elles sont véritables en nous (MP 7).
[145] La santé de l’âme n’est pas plus assurée que celle du corps, et quelque éloignés que nous paraissions être des passions que nous n’avons point encore ressenties, il faut croire toutefois que l’on n’y est pas moins exposé qu’on l’est à tomber malade quand on se porte bien (max. 188, I 197).
[146] On blâme l’injustice, non pas par la haine qu’on a pour elle, mais par le préjudice qu’on en reçoit (MS 16, I 90).
[147] Un habile homme doit savoir régler le rang de ses intérêts et les conduire chacun dans son ordre; notre avidité le trouble souvent en nous faisant courir à tant de choses à la fois; de là vient que pour désirer trop les moins importantes, nous ne les faisons pas assez servir à obtenir les plus considérables (max. 66, I 76).
[148] Le caprice de l’humeur est encore plus bizarre que celui de la fortune (max. 45, I 50).
[149] La honte, la paresse, la timidité ont souvent toutes seules le mérite de nous retenir dans notre devoir, pendant que notre vertu en a tout l’honneur (max. 169, I 177).
[150] On n’a plus de raison quand on n’espère plus d’en trouver aux autres (MS 20, I 103).
[151] Ceux qu’on exécute affectent quelquefois des constances, des froideurs, et des mépris de la mort pour ne pas penser à elle et pour s’étourdir, de sorte qu’on peut dire que ces froideurs et ces mépris font à leur esprit ce que le mouchoir fait à leurs yeux (max. 21, I 24).
[152] L’amour de la justice n’est que la crainte de souffrir l’injustice (max. 78, I 91).
[153] Il n’y a pas moins d’éloquence dans le ton de la voix que dans le choix des paroles (max. 249, I 272, 2e état).
[154] La plupart des hommes s’exposent assez à la guerre pour sauver leur honneur, mais peu se veulent toujours exposer autant qu’il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s’exposent (max. 219, I 233).
[155] On ne loue que pour être loué (max. 146, I 150).
[156] Il n’y a que Dieu qui sache si un procédé net, sincère et honnête est plutôt un effet de probité que d’habileté (max. 170, I 178).
[157] La souveraine habileté consiste à bien connaître le prix de chaque chose (max. 244, I 266).
[158] On ne blâme le vice et on ne loue la vertu que par intérêt (MS 28, I 151).
[159] La vérité est le fondement et la justification de la beauté (MS 49, I 260).
[160] Si nous n’avions point d’orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres (max. 34, I 38).
[161] Nous craignons toutes choses comme mortels, et nous désirons toutes choses comme si nous étions immortels (MP 8).
[162] Peu de gens sont assez sages pour aimer mieux le blâme qui leur sert que la louange qui les trahit (max. 147, I 152).
[163] La subtilité est une fausse délicatesse et la délicatesse une solide subtilité (max. 128, I 130).
[164] La vérité est le fondement et la raison de la perfection et de la beauté, car il est certain qu’une chose, de quelque nature qu’elle soit, est belle et parfaite si elle est tout ce qu’elle doit être et si elle a tout ce qu’elle doit avoir. (MS 49, I 260).
[165] Les passions ont une injustice et un propre intérêt qui fait qu’elles offensent et blessent toujours, même lorsqu’elles parlent raisonnablement et équitablement; la charité a seule le privilège de dire quasi tout ce qui lui plaît et de ne blesser jamais personne (max. 9, I 9).
[166] Le monde, ne connaissant point le véritable mérite, n’a garde de pouvoir le récompenser; aussi n’élève-t-il à ses grandeurs et à ses dignités que des personnes qui ont de belles qualités apparentes et il couronne généralement tout ce qui luit quoique tout ce qui luit ne soit pas de l’or (max. 166, I 173).
[167] Comme il y a de bonnes viandes qui affadissent le cœur, il y a un mérite fade et des personnes qui dégoûtent avec des qualités bonnes et estimables (max. 155, I 162, 2e état).
[168] Nous ne sommes pas difficiles à consoler des disgrâces de nos amis lorsqu’elles servent à nous faire faire quelque belle action (max. 235, I 249).
[169] Quand il n’y a que nous qui sachions nos crimes, ils sont bientôt oubliés (max. 196, I 207).
[170] L’intérêt donne toute sorte de vertus et de vices (max. 253, I 276).
[171] Plusieurs personnes s’acquittent des devoirs de la reconnaissance, quoiqu’il soit vrai de dire que personne n’en a effectivement (max. 224, I 238).
[172] Pour s’établir dans le monde, on fait tout ce qu’on peut pour y paraître établi (max. 56, I 65).
[173] Dans toutes les professions et dans tous les arts, chacun se fait une mine et un extérieur qu’il met en la place de la chose dont il veut avoir le mérite, de sorte que tout le monde n’est composé que de mines, et c’est inutilement que nous travaillons à y trouver les choses (max. 256, I 279).
[174] Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles que tout le monde chante un certain temps quelque fades et dégoûtants qu’ils soient (max. 211, I 223).
[175] Comme dans la nature il y a une éternelle génération et que la mort d’une chose est toujours la production d’une autre, de même il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est toujours l’établissement d’une autre (max. 10, I 10).
[176] Je ne sais si cette maxime, que chacun produit son semblable, est véritable dans la physique, mais je sais bien qu’elle est fausse dans la morale et que les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires; ainsi l’avarice produit quelquefois la libéralité, et la libéralité l’avarice, on est souvent ferme de faiblesse, et l’audace naît de la timidité (max. 11, I 11).
[177] Peu de gens sont cruels de cruauté, mais tous les hommes sont cruels et inhumains d’amour-propre (MS 32, I 174).
[178] L’intérêt parle toute sorte de langues et joue toute sorte de personnages, même celui de désintéressé (max. 39, I 43).
[179] L’esprit est toujours la dupe du cœur (max. 102, I 112).
[180] Quelque industrie que l’on ait à cacher ses passions sous le voile de la piété et de l’honneur, il y en a toujours quelque coin qui se montre (max. 12, I 12).
[181] La philosophie triomphe aisément des maux passés et de ceux qui ne sont pas prêts d’arriver, mais les maux présents triomphent d’elle (max. 22, I 25).
[182] Ce qui fait tout le mécompte que nous voyons dans la reconnaissance des hommes, c’est que l’orgueil de celui qui donne, et l’orgueil de celui qui reçoit, ne peuvent convenir du prix du bienfait (max. 225, I 239).
[183] La vanité et la honte, et surtout le tempérament, fait la valeur des hommes, et la chasteté des femmes, dont chacun mène tant de bruit (max. 220, I 234).
[184] Il y a des gens dont le mérite consiste à dire et à faire des sottises utilement, et qui gâteraient tout s’ils changeaient de conduite (max. 156, I 163).
[185] On se console souvent d’être malheureux en effet par un certain plaisir qu’on trouve à le paraître (MS 10, I 60).
[186] On admire tout ce qui éblouit, et l’art de savoir bien mettre en œuvre de médiocres qualités dérobe l’estime et donne souvent plus de réputation que le véritable mérite (max. 162, I 164).
[187] Les rois font des hommes comme des pièces de monnaie, ils les font valoir ce qu’ils veulent et on est forcé de les recevoir selon leur cours et non pas selon leur véritable prix (MS 67, I 165).
[188] La vertu est un fantôme formé par nos passions à qui on donne un nom honnête pour faire impunément ce qu’on veut (MS 34, I 179).
[189] Peu de gens connaissent la mort; on la souffre, non par la résolution, mais par la stupidité et par la coutume, et la plupart des hommes meurent parce qu’on meurt (max. 23, I 26).
[190] L’imitation est toujours malheureuse et tout ce qui est contrefait déplaît avec les mêmes choses qui charment lorsqu’elles sont naturelles (MS 43, I 245).
[191] Dieu a mis des talents différents dans l’homme comme il a planté de différents arbres dans la nature, en sorte que chaque talent de même que chaque arbre a ses propriétés et ses effets qui lui sont tous particuliers; de là vient que le poirier le meilleur du monde ne saurait porter les pommes les plus communes, et que le talent le plus excellent ne saurait produire les mêmes effets des talents les plus communs; de là vient encore qu’il est aussi ridicule de vouloir faire des sentences sans en avoir la graine en soi que de vouloir qu’un parterre produise des tulipes quoiqu’on n’y ait point semé les oignons (MP 9).
[192] L’honneur acquis est caution de celui qu’on doit acquérir (max. 270, I 294).
[193] L’intérêt, à qui on reproche d’aveugler les uns, est ce qui fait toute la lumière des autres (max. 40, I 44).
[194] Il y a des reproches qui louent et des louanges qui médisent (max. 148, I 153).
[195] Ce n’est pas assez d’avoir de grandes qualités, il en faut avoir l’économie (max. 159, I 166).
[196] Une preuve convaincante que l’homme n’a pas été créé comme il est, c’est que plus il devient raisonnable et plus il rougit en soi-même de l’extravagance, de la bassesse et de la corruption de ses sentiments et de ses inclinations (MP 10).
[197] On se mécompte toujours dans le jugement que l’on fait de nos actions quand elles sont plus grandes que nos desseins (max. 160, I 167).
[198] Il faut une certaine proportion entre les actions et les desseins qui les produisent, sans laquelle les actions ne font jamais tous les effets qu’elles doivent faire (max. 161, I 168).
[199] Quoique la vanité des ministres se flatte de la grandeur de leurs actions, elles sont bien souvent les effets du hasard ou de quelque petit dessein (max. 57, I 66).
[200] La nature, qui se vante d’être toujours sensible, est dans la moindre occasion étouffée par l’intérêt (max. 275, I 299).
[201] Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit (max. 209, I 221).
[202] Les grands hommes s’abattent et se démontent à la fin par la longueur de leurs infortunes; cela ne veut pas dire qu’ils fussent forts quand ils les supportaient, mais seulement qu’ils se donnaient la gêne pour le paraître, et qu’ils soutenaient leurs malheurs par la force de leur ambition et non pas par celle de leur âme; cela fait voir manifestement qu’à une grande vanité près les héros sont faits comme les autres hommes (max. 24, I 27).
[203] La plupart des gens ne voient dans les hommes que la vogue qu’ils ont et le mérite de leur fortune (max. 212, I 224).
[204] Il n’appartient qu’aux grands hommes d’avoir de grands défauts (max. 190, I 198).
[205] Toutes les vertus des hommes se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer (max. 171, I 180).
[206] Il y a des hommes que l’on estime, qui n’ont pour toutes vertus que des vices qui sont propres à la société et au commerce de la vie (max. 273, I 297).
[207] Il ne faut pas s’offenser que les autres nous cachent la vérité puisque nous nous la cachons si souvent nous-mêmes (MP II).
[208] Rien ne prouve davantage combien la mort est redoutable que la peine que les philosophes se donnent pour persuader qu’on la doit mépriser (MP 12).
[209] Rien ne prouve tant que les philosophes ne sont pas si bien persuadés qu’ils disent que la mort n’est pas un mal que le tourment qu’ils se donnent pour éterniser leur réputation (MS 53, I 285, 1er état).
[210] Il semble que c’est le diable qui a tout exprès placé la paresse sur la frontière de plusieurs vertus (MP 13).
[211] La fin du bien est un mal, la fin du mal est un bien (MP 14).
[212] L’orgueil est égal dans tous les hommes et il n’y a de différence qu’en la manière de le mettre au jour (max. 35, I 39).
[213] On blâme aisément les défauts des autres, mais on s’en sert rarement à corriger les siens (MP 15).
[214] On n’oublie jamais si bien les choses que quand on s’est lassé d’en parler (MS 26, I 144).
[215] Comment peut-on se répondre si hardiment de soi-même puisqu’il faut auparavant se pouvoir répondre de sa fortune? (MS II, I 70.)
[216] L’espérance, toute vaine et toute trompeuse qu’elle est d’ordinaire, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un beau chemin (max. 168, I 175).
[217] La magnanimité est assez définie par son nom; on pourrait dire toutefois que c’est le bon sens de l’orgueil et la voie la plus noble qu’elle ait pour recevoir des louanges (max. 285, I 313).
[218] La clémence c’est un mélange de gloire, de paresse et de crainte dont nous faisons une vertu (max. 16, I 16).
[219] On n’est pas moins exposé aux rechutes des maladies de l’âme que de celles du corps; nous croyons être guéris bien que le plus souvent ce ne soit qu’un relâche ou un changement de mal; quand les vices nous quittent, nous voulons croire que c’est nous qui les quittons; on pourrait presque dire qu’ils nous attendent sur le cours ordinaire de la vie comme des hôtelleries où il faut successivement loger, et je doute que l’expérience même nous en peut [sic] garantir s’il nous était permis de faire deux fois le même chemin (max. 193, 192 et 191, I 204, 203 et 202).
[220] Si l’on juge de l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié (max. 72, I 82).
[221] On n’est jamais si ridicule par les qualités que l’on a que par celles qu’on affecte d’avoir (max. 134, I 136).
[222] La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie (max. 5, I 5).
[223] Il y a beaucoup de femmes qui n’ont jamais eu de galanteries, mais je ne sais s’il y en a qui n’en aient jamais eu qu’une (max. 73, I 83).
[224] L’amour est à l’âme de celui qui aime ce que l’âme est au corps qu’elle anime (MS 13, I 77).
[225] Il n’y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l’amour où il est, ni le feindre où il n’est pas (max. 70, I 80).
[226] Comme on n’est jamais libre d’aimer ou de cesser d’aimer, on ne peut se plaindre avec justice de la cruauté de sa maîtresse, ni elle de la légèreté de son amant (MS 62, I 81).
[227] La durée de l’amour et ce qu’on appelle ordinairement constance sont deux choses bien différentes: la première vient de ce que l’on trouve sans cesse dans la personne que l’on aime, comme dans une source inépuisable, de nouveaux sujets d’aimer, et l’autre vient de qu’on se fait un honneur de tenir sa parole (max. 176, I 185).
[228] Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des plus grands remèdes de la médecine, la prudence les assemble, elle les tempère et elle s’en sert utilement contre les maux de la vie (max. 182, I 191).
[229] Les biens et les maux qui nous arrivent ne nous touchent pas selon leur grandeur, mais selon notre sensibilité (MP 16).
[230] La curiosité n’est pas, comme l’on croit, un simple amour de la nouveauté: il y en a d’intérêt, qui fait que nous voulons savoir les choses pour nous en prévaloir; et il y en a une autre d’orgueil, qui nous donne envie d’être au-dessus de tous ceux qui ignorent les choses, et de n’être pas au-dessous de ceux qui les savent (max. 173, I 182).
[231] On est souvent reconnaissant par principe d’ingratitude (max. 226, I 240).
[232] On fait souvent du bien pour pouvoir faire du mal impunément (max. 121, I 125).
[233] Le refus des louanges est un désir d’être loué deux fois (max. 149, I 154).
[234] On peut connaître son esprit, mais qui peut connaître son cœur? (max. 103, I 113).
[235] Le vrai ne fait pas tant de bien dans le monde que le vraisemblable y fait de mal (max. 64, I 73).
[236] La petitesse de l’esprit fait l’opiniâtreté (cf. la maxime suivante).
[237] On ne croit pas aisément ce qui est au-delà de ce que nous voyons (pour cette maxime et la précédente: max. 265, I 288).
[238] Ceux qui prisent trop leur noblesse ne prisent d’ordinaire pas assez ce qui en est l’origine (MP 17).
[239] Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir, parce qu’on songe plus à paraître aux autres qu’à être effectivement ce qu’il faut être (max. 199, I 210).
[240] La jalousie ne subsiste que dans les doutes et ne vit que dans de nouvelles inquiétudes; l’incertitude est sa matière (max. 32, I 35).
[241] Le remède de la jalousie est la certitude de ce qu’on craint, parce qu’elle cause la fin de la vie ou la fin de l’amour; c’est un cruel remède, mais il est plus doux que les doutes et les soupçons (MP 18).
[242] Il est difficile de comprendre combien est grande la ressemblance et la différence qu’il y a entre tous les hommes (MP 19).
[243] C’est être véritablement honnête homme que de vouloir bien être examiné des honnêtes gens en tous temps et sur tous les sujets qui se présentent (max. 206, I 218).
[244] Le désir de vivre ou de mourir sont des goûts de l’amour-propre dont il ne faut non plus disputer que des goûts de la langue ou du choix des couleurs (max. 46, I 52).
[245] Il n’est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire trop de bien (max. 238, I 253).
[246] Ce qui fait tant disputer contre les maximes qui découvrent le cœur de l’homme, c’est que l’on craint d’y être découvert (MP 20).
[247] De plusieurs actions diverses que la fortune arrange comme il lui plaît il s’en fait plusieurs vertus (max. I, I 293).
[248] On est sage pour les autres, personne ne l’est assez pour soi-même (max. 132, I 133).
[249] La confiance que l’on a en soi fait naître la plus grande partie de celle que l’on a aux autres (MS 47, I 258).
[250] On peut toujours ce qu’on veut, pourvu qu’on le veuille bien (max. 243, I 265 et 272, 1er état).
[251] La jeunesse est une ivresse continuelle; c’est la fièvre de la santé, c’est la folie de la raison (max. 271, I 295).
[252] Toutes les passions ne sont autre chose que les divers degrés de la chaleur et de la froideur du sang (MS 2, I 13).
[253] Comme c’est le caractère des grands esprits de faire entendre avec peu de paroles beaucoup de choses, les petits esprits en revanche ont l’art de parler beaucoup et de ne dire rien (max. 142, I 145).
[254] De toutes les passions celle qui est la plus inconnue c’est la paresse, elle est la plus violente et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible et que les dommages qu’elle cause soient très cachés; si nous considérons attentivement son pouvoir, nous verrons qu’elle se rend en toutes rencontres maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts et de nos plaisirs; c’est le petit poisson qui a la force d’arrêter les plus grands navires, c’est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils et les plus grandes tempêtes; le repos de la paresse est un charme secret de l’âme qui suspend soudainement ses plus ardentes poursuites et ses plus opiniâtres résolutions, et enfin, pour donner la véritable idée de cette passion, il faut dire que la paresse est une béatitude de l’âme qui la console de toutes ses pertes et la fait renoncer à toutes ses prétentions (MS 54, I 290).
[255] La magnanimité méprise tout pour avoir tout (max. 248, I 270).
[256] L’homme est si misérable que, tournant toutes ses conduites à satisfaire ses passions, il gémit incessamment sous leur tyrannie; il ne peut supporter ni leur violence ni celle qu’il faut qu’il se fasse pour s’affranchir de leur joug; il trouve du dégoût non seulement dans ses vices, mais encore dans leurs remèdes, et ne peut s’accommoder ni des chagrins de ses maladies ni du travail de sa guérison (MP 21).
[257] Dieu a permis, pour punir l’homme du péché originel, qu’il se fît un dieu de son amour-propre pour en être tourmenté dans toutes les actions de sa vie (MP 22).
[258] Si nous n’avions point de défauts, nous ne serions pas si aises d’en remarquer aux autres (max. 31, I 34).
[259] Je ne sais si on peut dire de l’agrément séparé de la beauté que c’est une symétrie dont on ne sait pas les règles et un rapport secret des traits ensemble et des traits avec les couleurs et l’air de la personne (max. 240, I 261).
[260] Il y a une infinité de conduites qui ont un ridicule apparent et qui sont dans leurs raisons cachées très sages et très solides (max. 163, I 170).
[261] En vieillissant on devient plus fou et plus sage (max. 210, I 222).
[262] L’espérance et la crainte sont inséparables et il n’y a point de crainte sans espérance ni d’espérance sans crainte (MP 23).
[263] Il semble que plusieurs de nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses aussi bien que nous, d’où dépend une grande partie de la louange ou du blâme qu’on leur donne (max. 58, I 67).
[264] Il n’y a que d’une sorte d’amour, mais il y en a mille différentes copies (max. 74, I 84).
[265] L’amour aussi bien que le feu ne peut subsister sans un mouvement continuel, et il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre (max. 75, I 85).
[266] Il est de l’amour comme de l’apparition des esprits: tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu (max. 76, I 86).
[267] L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, où il n’a souvent guère plus de part que le doge en a à ce qui se fait à Venise (max. 77, I 87).
[268] Le pouvoir que les personnes que nous aimons ont sur nous est presque toujours plus grand que celui que nous y avons nous-mêmes (MP 24).
[269] La promptitude avec laquelle nous croyons le mal sans l’avoir assez examiné est aussi bien un effet de paresse que d’orgueil: on veut trouver des coupables, mais on ne veut pas se donner la peine d’examiner les crimes (max. 267, I 291).
[270] Ce qui nous fait croire si facilement que les autres ont des défauts, c’est la facilité que l’on a de croire ce qu’on souhaite (MP 25).
[271] L’intérêt est l’âme de l’amour-propre, de sorte que comme le corps, privé de son âme, est sans vue, sans ouïe, sans connaissance, sans sentiment et sans mouvement, de même l’amour-propre séparé, s’il le faut dire ainsi, de son intérêt, ne voit, n’entend, ne sent et ne se remue plus; de là vient qu’un même homme qui court la terre et les mers pour son intérêt devient soudainement paralytique pour l’intérêt des autres; de là vient le soudain assoupissement, et cette mort que nous causons à tous ceux à qui nous contons nos affaires; de là vient leur prompte résurrection lorsque dans notre narration nous y mêlons quelque chose qui les regarde de sorte que nous voyons dans nos conversations et dans nos traités que dans un même moment un homme perd connaissance et revient à soi selon que son propre intérêt s’approche de lui ou qu’il s’en retire (MP 26).
[272] Les défauts de l’âme sont comme les blessures du corps; quelque soin qu’on prenne de les guérir, la cicatrice paraît toujours et elles se peuvent toujours rouvrir (max. 194, I 205).
[273] Il est aussi ordinaire de voir changer les goûts qu’il est rare de voir changer les inclinations (max. 252, I 275).