19.

La neige fraîche recouvrait les maisons réduites en tas de cendres. Là où les genévriers en avaient recueilli au creux de leurs feuilles vert foncé, on eût dit des gouttes de blancheur pure. Le soleil, bas dans le ciel austral, projetait des ombres aussi bleues que le ciel. Si l’aurore avait dégelé la glace qui prenait le fleuve, il en subsistait des croûtes enserrant les roseaux asséchés, et des blocs que le courant emportait lentement vers le Nord. Au levant, une masse sombre matérialisait la lisière de la forêt.

Burhmund et ses hommes chevauchaient vers l’ouest. Les sabots de leurs montures frappaient d’un bruit sourd le sol d’une chaussée creusée d’ornières. Leur haleine formait de petites nuées qui festonnaient leurs barbes de givre. Le métal de leurs armes avait une lueur terne. Ils parlaient peu. Vêtus de fourrures et de lainages hirsutes, ils venaient d’émerger de la forêt et gagnaient le fleuve.

Celui-ci était enjambé par un pont mutilé. Des piliers en son centre, on avait ôté le tablier. Sur l’autre rive, le spectacle était le même. Les ouvriers responsables de cette démolition avaient rejoint les légionnaires postés à l’ouest. Tout comme les Germains, ils étaient peu nombreux. Leurs cuirasses renvoyaient la lumière, mais leurs jupes, leurs capes et leurs chausses étaient sales et usées. Sur les casques des officiers, les plumes avaient des couleurs fanées.

Burhmund tira les rênes de son cheval, mit pied à terre et s’avança sur son moignon de pont. Ses bottes faisaient résonner les planches d’un son creux. Il vit que Cérialis l’attendait déjà de l’autre côté. Un geste amical de sa part, vu que c’était Burhmund qui avait demandé à parlementer – mais cela ne signifiait pas grand-chose, car tous deux souhaitaient pareillement cette rencontre.

Burhmund fit halte au bord de l’eau. Les deux hommes, deux colosses, se dévisagèrent, séparés par trois ou quatre mètres d’air glacial. A leurs pieds, le fleuve filait vers la mer en gazouillant.

Le Romain décroisa les bras et tendit la main droite. « Ave, Civilis ! » salua-t-il. Habitué à haranguer ses troupes, il n’avait aucune peine à faire porter sa voix.

« Ave, Cérialis ! répondit Burhmund sur le même ton.

— Tu souhaites discuter des conditions, déclara Cérialis. Il n’est pas aisé de négocier avec un traître. »

Il parlait d’un ton neutre, et cette entrée en matière était en fait une ouverture. Burhmund saisit l’occasion. « Mais je ne suis pas un traître », répondit-il en latin. Il fit remarquer à son interlocuteur que celui-ci n’était pas le légat de Vitellius, mais celui de Vespasien. Et Burhmund le Batave, autrement dit Claudius Civilis, entreprit d’énumérer tous les services qu’il avait rendus au fil des ans à Rome et à son nouvel Empereur.

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