TROISIÈME PARTIE

CHAPITRE XII

Le danger reculait. Grâce à ce fait nouveau, j’allais pouvoir convaincre le jury… Je me sentais gonflé d’un espoir tout neuf et je reprenais confiance. J’avais eu tort de me laisser abattre par la brillante démonstration du juge Lechoir. Rien n’est jamais perdu pour celui qui refuse l’échec.

Grâce à cette nouvelle, j’allais me battre jusqu’au bout… Je protesterais de mon innocence… Je la crierais à tue-tête, jusqu’à ce qu’on me croie. J’allais forger ma vérité, croire moi-même en elle. Avant tout, je devais oublier la façon dont les choses s’étaient déroulées pour ne plus penser qu’à ma thèse. Pour bien convaincre les autres, il faut avant tout se convaincre soi-même ! Je me suis endormi, d’un seul coup, fort de ma certitude, lourd de mes résolutions…

Mais dans la nuit je me suis éveillé en sursaut. J’ai ouvert les yeux et regardé le halo bleuté de la veilleuse, le rectangle noir de la croisée, si haut perchée qu’elle ressemblait presque à une tabatière… Dans la pénombre violine, le chiche mobilier de la cellule prenait un aspect particulièrement hideux. Le lavabo, la cuvette des latrines, luisaient d’un blanc mortel d’instruments cliniques. Je me suis dressé sur un coude, le cœur battant. Un mal nouveau venait de surgir en moi. Je ne parvenais pas à le définir ; j’ignorais encore s’il était physique ou moral… Toujours est-il que son intensité me terrassait.

Je me suis laissé glisser du lit et j’ai gagné le robinet pour boire à longs traits l’eau fade et rouillée de la prison. Ce robinet, lorsqu’on l’ouvrait, produisait un bruit poussif de vieux moteur s’épuisant dans une côte. Il a réveillé les pensionnaires de la cellule voisine, lesquels se sont mis à frapper contre le mur… J’ai tourné le robinet et essuyé ma bouche dégoulinante d’un revers de main. Je ne savais plus où j’en étais. J’avais chaud, j’étais défaillant…

Je me suis assis devant ma tablette de bois et je me suis mis à pleurer. Je n’éprouvais pas du chagrin, mais bien du désespoir… Un désespoir inconnu, immense, qui me dévastait complètement. Je pensais à Andrée. Elle m’avait trompé… Pendant des années j’avais vécu à son côté, déprimé par sa passivité, son amour tranquille, et en réalité elle ne m’aimait pas… Elle me préférait un autre homme… Comme elle avait bien su me donner le change !

Elle était morte en somme de m’avoir trop bien joué la comédie. Car si elle m’avait rendu jaloux, je me serais intéressé à elle, au lieu de la charrier le long de ma vie, comme un poids mort de plus en plus accablant à mesure que croissait ma fatigue ! Je la revoyais, dans notre appartement, tranquille, heureuse en apparence, m’accueillant d’un sourire et tendant la joue à mes baisers…

Mille images m’assaillaient… Des images de paix que je trouvais insoutenables « avant » ! Comme elles me paraissaient douces, maintenant…

J’ai ramassé le morceau de lettre et me suis approché de la veilleuse.

Lorsque je reste plusieurs jours sans te voir, je suis désemparée. Ma vie sans toi est si grise

Les larmes continuaient de ruisseler sur mon visage. Elles le rongeaient comme l’eût fait un acide.

— Andrée…, ai-je balbutié. Oh ! Andrée… Non seulement je t’ai tuée, mais encore je t’ai désappris à m’aimer…

« J’aurais pu te rendre heureuse, mais au lieu de cela, à peine t’ai-je eu épousée que j’ai commencé à t’assassiner, lentement. Je t’ai étouffée sous l’ennui… »

Comment ce salaud de Stephan s’y était-il pris pour lui faire la cour ? Moi, bon idiot, je n’y avais vu que du feu… Je comprenais maintenant pourquoi il tenait tant à m’envoyer crever dans ses mines de manganèse. Il voulait me faire disparaître ; mais à sa façon, gentiment. Dans un sens, il était plus doué que moi question crime parfait ! Je comprenais également sa complaisance à m’aider… Ce n’était pas pour moi, mais pour Andrée…

Ça lui faisait décidément beaucoup de raisons de me mépriser…

J’étouffais. J’ai tiré l’escabeau le plus près possible de la lucarne, et je me suis juché dessus afin de respirer un peu l’air nocturne. Mais ici, l’air était chargé de miasmes… C’était un air qui passait à travers des barreaux.

— Andrée ! Ma chérie, écoute-moi…

J’aurais tant voulu pouvoir lui parler quelques minutes. Une explication m’aurait soulagé. Seulement c’était impossible. Même la liberté ne m’aurait pas rapproché d’Andrée. Je n’avais pas encore mesuré le côté définitif de la mort. C’était fini ! Fini pour toujours, pour l’éternité…

— Andrée !

Son nom que je balbutiais, que je lançais au ciel sans étoile de la fenêtre, me retombait sur le cœur, comme s’il eût été trop lourd pour franchir le rectangle d’ombre qui béait, là-haut !

— Quel être étais-tu donc, Andrée ? Pourquoi m’as-tu fait croire pendant des années que tu étais une humble épouse patiente ? Pourquoi ne t’es-tu pas révoltée, puisque toi non plus tu ne pouvais supporter le joug de notre existence commune ?

La porte en s’ouvrant m’a fait tressaillir. Le gardien de nuit se tenait dans l’encadrement, sourcils froncés, le pouce dans son ceinturon.

Il m’a regardé, grimpé sur mon escabeau. Je ne savais que lui dire ; les sanglots m’étouffaient.

— Hé ! Sommet ! Vous êtes dingue ou quoi !

J’ai sauté du siège et suis allé me jeter sur mon lit, à plat ventre.

— Qu’est-ce qui vous arrive ? a demandé l’homme d’un ton indifférent.

Depuis qu’il était dans le métier, il avait dû voir bien des détenus se comporter de façon insolite…

Je n’ai rien répondu. Il a refermé la porte en maugréant :

— Laissez au moins roupiller les autres !

Dans ma chaleur, j’ai évoqué notre chaleur commune d’autrefois. L’oreiller irradiait mon souffle sur mon visage. J’ai cru déceler la respiration d’Andrée.

*

Quand Sylvie est arrivée, le lendemain, je revenais de la promenade où, par chance, j’avais pu apercevoir le soleil niché au bord du mur d’enceinte. Depuis ce réveil cauchemardesque de la mi-nuit, je n’avais plus fermé l’œil et mon chagrin croissait doucement en moi.

Au contraire, mon avocate semblait surexcitée, joyeuse même !

Son entrain contrastait avec mon lourd abattement.

— Ça n’a pas l’air d’aller fort, Bernard ?…

Elle baissait le ton pour prononcer mon petit nom. C’était une sorte de fruit défendu qu’elle savourait avec des mines de petite fille modèle qui jouerait les affranchies…

Elle savait que j’avais assassiné ma femme et elle m’aimait ! Je ne parvenais pas à croire à la chose… C’était tellement inattendu, tellement fantastique ! Elle avait eu une enfance studieuse. C’était une jeune fille élevée dans une rigueur bourgeoise, mais qui trouvait le moyen de s’amouracher du premier criminel qu’elle avait à défendre.

— Je… j’ai mal dormi…

— Mon pauvre ami…

Elle m’a souri gentiment.

— Bientôt ce cauchemar sera terminé, vous verrez… Je sais que nous triompherons…

Ce jour-là elle était redevenue laide, à cause de son nez pointu, marqué de rouge. Et puis il y avait plus grave : l’amour ne lui allait pas. Elle était de ces femmes qui ne supportent pas le feu de la passion. Les plus violents sentiments s’étiolent dans leurs yeux… Ce qui grandit tant d’autres les rend ridicules…

— Vous croyez, Sylvie ?

— Oui. J’ai revu Li. J’aurai les lettres demain !

— En êtes-vous sûre ?

— Certaine… Et vous savez, Bernard, j’ai pu m’arranger pour l’argent. Un de mes confrères me l’a prêté…

— Je suis navré de vous donner tout ce mal !

Elle m’a pris la main. Ce geste aurait pu être très pur, très noble, il n’a été que très gauche.

— Ne dites pas ça… Je ferais tout pour vous…

— J’aimerais bien savoir pourquoi ! ai-je murmuré en évitant de la regarder…

— Mais vous le savez bien !

À quoi bon prolonger cette situation grotesque !

— Elles sont nombreuses, ces lettres ?

— Deux !

— Ce qui tendrait à prouver que la liaison de ma femme et de Stephan était assez récente ?

Il y avait dans ma voix une amertume qui ne lui a pas échappé.

— Vous avez du mal, Bernard ?

J’ai feint de ne pas comprendre :

— Du mal ?

Son regard s’était instantanément assombri. Son instinct de femme venait enfin de lui révéler la peine lancinante qui me rongeait.

— Vous pensez à votre femme, non ?

— Quelle idée !

— Il vous est pénible de penser qu’elle…

Je l’ai interrompue :

— Ne parlons pas de cela, voulez-vous !

Elle a soupiré.

— Vous l’aimiez peut-être sans le savoir !

— Je vous en supplie !

— Mais oui, c’est cela : ces lettres vous ont fait découvrir que vous teniez à elle.

Je l’aurais volontiers giflée. Sa fureur blanche lui allait aussi mal que son amour fondant. Deux pastilles rouges marquaient ses joues, mais le reste de son visage était blême… Elle avait la figure navrée, navrante, d’un pierrot courroucé.

— Vous êtes un faible, Bernard. Votre crime est le crime d’un faible !

Et son amour à elle, n’était-il pas l’amour d’un faible ? N’était-ce pas parce qu’elle avait trouvé plus faible, plus pitoyable qu’elle, qu’il avait éclos et s’était développé dans cette cellule rabougrie ?

J’ai baissé la tête. Surtout ne pas la heurter. Cette fille pouvait tout laisser tomber… C’était une nature excessive, capable des plus forts enthousiasmes comme des plus grandes dépressions.

— Voyons, Sylvie, cette révélation me déconcerte, c’est normal… Ma femme était un être si morne, si dolent…

Elle a repris espoir. Elle ne demandait qu’à croire en moi.

— Je mijote un coup de théâtre, Bernard…

— Comment cela ?

— Ces lettres, je ne les verserai pas au dossier avant le procès. J’attendrai qu’on vous confonde… Lorsque le jury sera gagné à l’argumentation de l’avocat général, je les sortirai alors. C’est d’un effet psychologique sûr… La douche écossaise a sauvé déjà bien des têtes !

Sauver des têtes ! J’ai pensé à la mienne. Je l’imaginais, détachée de mon corps, sanglante…

Elle avait raison, il fallait s’y prendre de cette façon. Pour une fois elle s’avérait bon politique.

— Très bien, Sylvie… Vous ferez comme vous l’entendez… Je m’en remets à vous…

Elle a paru contente. Il s’est produit une détente dans son individu. Elle a lissé les revers de son tailleur bleu. Elle portait un chapeau de paille assez ridicule, qui semblait le modèle réduit d’une coiffure de l’armée du Salut. Dans le fond, Sylvie ressemblait à une salutiste. Elle en avait le teint, le maintien, et la hardiesse peureuse… Elle était mystique. Elle avait besoin de se consacrer à sa foi, car c’était une martyre en puissance.

Il y a eu un long silence, à peine troublé par la rumeur creuse de la prison. Les bruits de l’établissement évoquaient ceux des grands hôtels de province. C’étaient des sons lointains et feutrés… Derrière la porte, un détenu lavait le couloir au balai-brosse en fredonnant une chanson dont il oubliait l’air…

Je lui ai tendu la main.

— C’est Dieu qui vous a mis sur ma route, Sylvie !

Sa main fine et sèche, à la peau froide, est tombée comme une pierre dans la mienne. Ses doigts se sont ouverts, et ça m’a fait l’effet d’une araignée déployant ses pattes. Ce contact m’incommodait.

J’évoquais la peau tiède d’Andrée… Sa chaleur, sa tendre mollesse de femme heureuse. Comme elle vivait, elle ! Comme elle était bonne à caresser, simple à aimer…

J’ai fermé les yeux. Sylvie a cru que son contact glacé me procurait un instant de félicité. Elle s’est rapprochée de moi pour que je l’embrasse, mais je ne m’en suis pas senti capable…

Tout bas, dans les profondeurs inextricables de mon être, j’avais repris mon monologue à Andrée :

« Oh ! Andrée, tu vivais et je ne le savais pas. J’ai cru, en te tuant, ratifier seulement ton silence… Mais je t’ai vraiment tuée… »

Je l’avais connue dans un restaurant d’étudiants où nous prenions nos repas, du côté du Luxembourg… Nous y avions notre serviette dans un casier numéroté, et quand nous ne vidions pas complètement notre demi-carafe de mauvais vin, nous la retrouvions, intacte, au repas suivant… Nous échangions les salières et des sourires… Un après-midi que je flânais dans le jardin, près du théâtre Guignol, je l’ai aperçue, sur un banc ; elle potassait un cours de physique…

Je l’ai rejointe et nous sommes entrés au Guignol, avec les enfants…

Rien qu’à cause de cet après-midi naïf et tendre, je n’avais pas le droit de douter d’elle. Sylvie avait raison : crime de faible ! Un faible ! Qu’avais-je tenté pour la reconquérir ? Rien ! J’avais vécu à ses côtés, les yeux fermés, pour ne plus la voir. Mais elle existait ! Tu vivais, Andrée ! Tu vivais, mon cher amour…

— À quoi pensez-vous, Bernard ?

— À vous ! ai-je menti effrontément.

— Et que pensez-vous de moi ?

— Je vous l’ai déjà dit : que vous êtes ma bénédiction, mon absolution !

— Oui, a-t-elle soupiré… Oui, oui !

Elle m’a tendu sa bouche tombante. J’ai déposé un baiser furtif sur ses lèvres mortes.

— Il faut que je m’en aille, j’ai rendez-vous en fin d’après-midi, au sujet des lettres…

Elle est partie une fois encore. Ses visites étaient brèves, mais j’avais trouvé longue celle de ce jour.

CHAPITRE XIII

Le crime d’un faible !

Pourquoi m’avait-elle lâché cette vérité au visage, dans un stupide accès de jalousie ? Crime de faible !

J’y ai songé sans trêve pendant des heures. C’était tellement évident. J’avais toujours été un faible. Et j’avais tué par faiblesse, en effet, parce que je n’avais pas eu le courage de réagir, de m’affermir… Pas eu la force de regarder et de comprendre.

Pour mes examens, déjà, c’était pareil… Lorsque je ne savais pas, je fermais les yeux, puis je traçais un trait rageur au travers de la feuille. Détruire ce que je ne pouvais vaincre ! C’était un sentiment d’autodéfense de lâche ! Tout détruire…

Andrée avait fini par me tromper lorsqu’elle avait compris que je n’étais pas récupérable. Elle cherchait dans les bras d’un autre le courage de me supporter…

Lorsque je sortirai de prison…

Eh bien, j’irai au bord de sa tombe, comme au bord d’un puits d’où monteraient des voix d’ailleurs.

Où l’avait-on inhumée ? Il y avait toute une dernière partie de l’histoire d’Andrée qui m’échappait. Il faudrait que je parte à la recherche de son tombeau. Et quand je l’aurais trouvé, j’essayerais de comprendre que c’était ma morte à moi. Que sa fin était mon œuvre… Je transformerais peut-être mon crime en un acte d’amour ? À force de volonté, à force de suggestion. Cette tombe représentait mon dernier bien terrestre !

J’aimais Andrée avec plus de force qu’autrefois, d’un amour tout neuf ! D’un amour rehaussé par mon chagrin.

*

Et Sylvie, encore ! Toujours elle !

Son tailleur me donnait envie de vomir. Son parfum aussi. Elle ne sentait plus Paris, mais la mort. Et une mort bizarre, une mort antipathique…

Contrairement à moi, elle prenait de l’assurance. Son rôle de sauveur la faisait évoluer. Elle vivait maintenant avec une mission à accomplir ; elle portait le flambeau !

Mentalité de croisé ! Dans le fond, c’était une question de glandes. Au lieu d’avoir un amant, elle jouait les Jeanne d’Arc à la petite semaine.

— Je les ai, Bernard ! Je les ai !

— Montrez !

Elle s’est rembrunie…

— Non ! Ça vous ferait trop de peine !

— En voilà une idée… Donnez !

Elle continuait de secouer sa tête obstinée.

J’avais un brasier dans la poitrine. Mon souffle était de feu, mon sang aussi…

— Je veux lire ces lettres !

— À quoi bon, Bernard… Elles sont tellement… tellement… passionnées !

— Peu importe !

J’ai surpris un petit regard oblique de Sylvie Foucot. Et j’ai réalisé soudain qu’elle avait envie que je les lise, ces satanées lettres. Elle faisait durer le plaisir. Elle aiguisait mon louche appétit de savoir.

Je n’ai pas ajouté un mot. Je me suis allongé sur mon lit, les mains croisées derrière la tête.

Il s’est écoulé deux bonnes minutes avant qu’elle bouge. Puis elle a ouvert sa serviette et sorti deux lettres qu’elle m’a tendues. J’ai hésité avant de m’en emparer d’un geste furtif de coupable.

Je les ai lues.

Ce n’était pas beau. Des lettres de chienne en rut ! D’une crudité effarante. Des lettres comme jamais Andrée ne m’en avait écrites à moi ! Elle y faisait littéralement l’amour. Elle avait des expressions ardentes qui fouettaient le sang. Stephan devait tenir à cette maîtresse-là ! Le temps qu’il passait en sa compagnie était inoubliable !

Dans l’une des deux, Andrée parlait de moi. Elle disait à Stephan le mépris qu’elle me témoignait et la lassitude que je lui causais ! Elle ne me haïssait pas, c’était pire : elle me méprisait de tout son être, de toute son âme.

Ces feuillets, c’était comme une lame que je me serais enfoncée dans les tripes, doucement, par petites saccades. Ils tranchaient les fils de ma vie, un à un. Quand j’ai eu terminé cette affreuse lecture, je les ai laissés tomber sur le sol. Sylvie s’est hâtée de les ramasser et de les ranger dans sa serviette.

— Vous voyez bien qu’il ne fallait pas les lire, a-t- elle bégayé, fébrile.

Elle grelottait d’un vilain contentement de femelle jalouse.

— J’ai honte surtout que vous les ayez lues, Sylvie !

— Oh ! elles m’apaisent au contraire, Bernard. Je vois qui vous avez tué et…

Et quoi ? Elle voyait qui j’avais tué ! Elle avait plus de chance que moi ; car moi, je voyais de moins en moins. L’Andrée que je venais de découvrir dans ces feuillets délirants ressemblait si peu à l’Andrée qui m’attendait à la maison, en doublant des rideaux…

— Vous souffrez ?

Son ton était celui d’un médecin interrogeant un patient. Si je lui répondais que oui, elle serait à la fois peinée et contente. N’espérait-elle pas me faire très mal en me tendant les lettres de ma femme ? Ne voulait-elle pas me briser tout à fait, m’affaiblir à l’extrême afin de me ramasser plus bas ?

— Un peu…

— Jalousie ?

— Non : honte ! J’ai plus honte de ces lettres que de mon acte, Sylvie. N’est-ce pas une odieuse réaction d’orgueil ?

— Peu importe, je vous comprends… Vous voyez d’ici l’effet qu’elles produiront sur le jury… Malgré la fâcheuse question de la reconnaissance de dette, vous risquez fort bien d’être acquitté, Bernard…

— Sérieusement ?

— Oui.

Acquitté parce que les bonshommes qui devraient me juger auraient pitié d’un cocu ! Pour eux, mon drame ne serait que celui d’un mari bafoué par une garce trop chaude.

— Nous tenons le bon bout, a-t-elle ajouté.

Elle pensait fortement au futur ; à celui que j’avais évoqué pour elle un après-midi.

J’étais son assassin, son petit assassin trop faible. Elle m’emmènerait dans un endroit paisible, loin des tentations… Elle me séquestrerait, me dorloterait… Elle avait enfin trouvé un homme-enfant ; un homme repoussé par le monde et sur lequel elle aurait tous les droits. Je serais son bien exclusif, sa chose !

Et la vieille maman acariâtre, dans tout ça, que devenait-elle ?

Je lui ai posé la question, sans même l’enrober de fioritures.

— Que dira votre mère, Sylvie, lorsqu’elle saura ?

— J’ai tout prévu…

— Allez-y !

— Nous avons une petite maison à la campagne. Maman voudrait bien que nous l’habitions, mais à cause de mon métier…

— Alors ?

— Alors nous nous y installerons, tous les trois…

— Tous les trois ?

— Sans qu’elle le sache !

— Hein ?

Était-elle folle ? Elle m’a fait peur.

— Ma mère se déplace très difficilement. Je l’installerai au rez-de-chaussée et vous aurez une pièce au premier étage…

— Voyons, Sylvie !

Elle a fait un geste autoritaire.

— Vous ne pouvez pas parler, il faut connaître la maison : elle se prête admirablement à une telle combinaison… La pièce dont je vous parle est un ancien grenier aménagé… Il y a un escalier à part qui y conduit et la porte ferme à clé… Personne d’autre que moi…

Personne d’autre qu’elle ! De la séquestration, c’était bien ce que je pensais.

Elle a ajouté, d’une voix sciemment voilée de tristesse :

— Et puis maman est âgée… Après…

Après elle m’aurait domestiqué, dompté… Après je serais une marionnette qu’elle pourrait actionner à sa guise.

Le mot marionnette m’a ramené à ce théâtre guignol ingénu du Luxembourg où Andrée et moi avions ri ensemble pour la première fois. Nous avions ri du rire frais des enfants, non du spectacle… Et ce soir-là, nous avons pris notre repas à la même table dans le petit restaurant où la patronne faisait elle-même la cuisine tandis que le patron servait !

J’ai entendu la porte de ma cellule claquer. Sylvie venait de s’en aller, sans un mot, me plantant au milieu de ma rêverie dont elle s’était sentie absente !

Je me suis levé d’un bond, et j’ai couru tambouriner à la porte.

— Sylvie ! Sylvie !

Ma voix résonnait étrangement dans la cellule. Le gardien est venu ouvrir. J’ai aperçu, par l’entrebâillement, le détenu qui frottait le couloir. C’était une grosse brute.

— Qu’est-ce que c’est que ce raffut, Sommet ?

— Mon avocate !

— Elle vient de partir… C’est elle que vous appelez Sylvie ?

Je n’ai su que répondre. Je venais de commettre une grosse bêtise. Tout le groupe de gardiens de l’étage allait savoir ça et j’étais certain que, dorénavant, les visites de Sylvie seraient épiées en douce par le judas.

L’homme a repoussé la porte. Je ne sais pas si, pour les gardiens de prison, les détenus ont encore une personnalité propre. En tout cas, pour moi, les employés de la prison n’étaient que des uniformes et des visages anonymes…

Je persistais à me croire à l’hôtel…

CHAPITRE XIV

Le lendemain, le juge Lechoir m’a fait amener à son bureau. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas vu… Cette sortie a apporté une diversion à ma peine. Pendant le trajet de la prison au Palais de Justice, j’ai eu une fugace sensation de liberté. Je ne pouvais guère regarder le paysage par les lucarnes grillagées du fourgon, mais les bruits des rues étaient suffisamment éloquents… Je les reconnaissais avec émotion, avec délice…

C’était intentionnellement que le juge m’avait laissé tranquille plusieurs jours. Il voulait que je médite à loisir sur mon affaire et il espérait que je prendrais le parti d’avouer, ce qui eût constitué une nette victoire pour lui.

— Alors, Sommet, où en sommes-nous ?

— Si j’osais, c’est plutôt moi qui vous poserais la question, monsieur le juge…

Sylvie était là, bien entendu, maussade dans sa robe noire d’avocate… L’air plus corbeau malade que de coutume.

— Oh ! moi, a fait le juge en adressant un petit signe à son greffier pour lui ordonner de ne rien écrire ; moi, vous le savez, où j’en suis… À l’aboutissement de l’instruction… Je pense que vous avez réfléchi, et que vous avez compris combien il est vain de…

Sa voix se muait en un murmure d’oraisons. Elle se perdait dans une grisaille sonore et je ne faisais rien pour essayer de m’y intéresser. Je regardais distraitement remuer ces lèvres minces… Les mots ne me parvenaient plus.

Il s’est arrêté de parler. Sa bouche s’est figée sur une dernière question que je n’ai pas comprise.

— Je m’excuse, vous disiez, monsieur le juge ?

Le greffier a eu comme un grognement incrédule. Il n’avait jamais vu un prévenu se désintéresser de son cas à un tel point.

— Je vous demandais de passer aux aveux et de vous expliquer franchement sur vos véritables mobiles, Sommet !

— Mes mobiles, monsieur le juge, vous les connaissez : la jalousie !

Le magistrat s’est emparé d’une règle métallique et s’est mis à tapoter le couvercle de son encrier.

— Votre obstination, Sommet, peut vous conduire tout droit à l’échafaud, je tiens à vous en prévenir…

— Merci. Mais je ne puis dire autre chose que la vérité !

— Donc vous maintenez vos dénégations, malgré les preuves irréfutables qui…

Malgré les « preuves irréfutables qui », je maintenais… J’aurais nié n’importe quelle vérité plus probante… J’aurais nié qu’il faisait jour, que nous étions à Paris et que la chemise du juge était reprisée au col s’il l’avait fallu. Je ne niais pas par parti pris, ce jour-là, mais par lassitude.

Tous ces hommes qui s’occupaient de mon cas m’agaçaient… Mon affaire était une affaire entre Andrée et moi. Pourquoi ne le comprenaient-ils pas ? De quoi se mêlaient-ils, ces pauvres gens ?

— En ce cas, Sommet, je pense que nous n’avons plus rien à nous dire… Si, comme je l’espère, vous reveniez sur votre attitude, faites-le-moi savoir…

— Je n’ai pas à revenir, monsieur le juge…

Je me suis levé et j’ai gagné la porte sans les regarder. Sylvie m’a suivi. Une fois dans le couloir, et tandis que mes anges gardiens me passaient les poucettes, j’ai chuchoté :

— Il faut que je vous parle…

Elle a marqué une légère hésitation. Elle boudait, pendant l’entrevue chez le juge, elle faisait exprès de détourner son regard chaque fois que nos yeux se rencontraient… Elle a tout de même dit au garde :

— Vous permettez, garde ?

Et, me prenant par le bras, elle m’a entraîné au fond du couloir, à l’endroit où il était vitré.

— Que voulez-vous me dire ?

— Que… le… le temps me dure affreusement de vous.

Un reflet brillant a passé dans ses yeux…

— Vous êtes sincère ?

— Voyons, Sylvie… On dirait soudain que vous n’avez plus confiance en moi !

— C’est vrai. Hier, je vous ai senti si loin de moi… Je vous parlais de nous deux, de plus tard, et pendant ce temps votre esprit vagabondait dans le passé…

— Mettez-vous à ma place !

Elle a hoché la tête.

— Bon, j’irai demain… Mais mes visites sont trop fréquentes et…

— Et après ? Je veux vous voir…

— D’accord…

Elle a baissé le ton :

— Moi aussi, Bernard, j’ai besoin de vous.

Le garde s’avançait. Je lui ai dit, très vite :

— Surtout amenez ces lettres, demain !

— Pourquoi ? a-t-elle sursauté.

— Je veux vérifier quelque chose !

— Quoi ?

— Quelque chose qui pourrait être très utile à… à ma défense, je vous expliquerai.

Malgré cette évasive explication, je l’avais troublée. Elle m’a regardé partir entre les deux gardes, d’un œil songeur et mécontent.

*

Et malgré sa promesse elle n’est pas venue. Avait-elle deviné mes projets ? Je me suis mis à trembler. S’il en était ainsi, elle ne m’apporterait pas les lettres et il me serait impossible de contrôler la suite des événements. Or, j’avais décidé que désormais c’était moi qui prendrais les initiatives. Il ne me restait plus beaucoup de temps pour cesser d’être un faible !

J’ai refusé de sortir pour la promenade. Ces rondes vides, dans la cour, m’exaspéraient. Je ne voulais plus m’intégrer dans un troupeau. J’avais trop subi les autres au cours de ma vie précédente.

— Vous êtes malade ? m’a demandé mon gardien.

Il s’en foutait, pour lui ça n’était qu’une question de rapport à faire.

— Un peu.

— Vous voulez aller à l’infirmerie ?

— Pas la peine…

Tout ce que je voulais, c’était qu’on me fiche la paix, qu’on me laisse croupir dans ma cellule ! J’avais besoin de baigner dans ma délectation morose. Il y avait des voix, en moi, auxquelles je n’avais jamais prêté l’oreille et qui se faisaient de plus en plus insistantes !

L’homme a refermé la porte. Je me suis allongé sur mon lit. Je ne le quittais presque plus. J’y flottais comme dans la nacelle d’un aérostat ; c’était onctueux, loin de la réalité.

Ma cellule puait, à cause de la chaleur, mais je m’étais accoutumé à cette odeur. Je rêvais de la tombe d’Andrée. J’essayais de l’imaginer. Il est faux de croire que tous les sépulcres se ressemblent. Chacun d’eux a son « atmosphère ». Je voyais le caveau de ma femme dans le style sobre. Une pierre, des lettres gravées dedans… Et peut-être quelques fleurs ?

De plus en plus, j’étais taraudé par le besoin d’aller m’asseoir sur cette pierre blanche. C’était à mes yeux un siège où j’aurais pu goûter vraiment le repos.

Mais la pensée de ces lettres me harcelait. Sylvie les avait peut-être mises dans un coffre de banque ? Elles avaient une valeur inestimable car elles représentaient la peau d’un homme.

Enfin, elle est tout de même venue, le surlendemain. Sa cheville la faisait souffrir de nouveau et elle recommençait à boitiller. Elle n’avait plus son tailleur, mais une robe grise, fabriquée par la même couturière — ça se voyait — et qui ressemblait un peu à une soutane. C’était plein de boutons, par-devant. La ceinture était trop large, le col trop petit, et les plis pas assez marqués. Quelque chose m’a dit que si elle n’était pas venue me voir la veille, c’était à cause de cette robe mal fichue qui n’était pas terminée. Sylvie avait des candeurs de gamine. Elle voulait me séduire complètement. Elle s’imaginait que cette guenille l’aiderait à me commotionner. Elle ne savait pas encore que tout ce qu’elle touchait se transformait en cendres. Elle possédait l’affreux don de ridiculiser tout ce qui l’approchait. Parfois elle réussissait à faire illusion. Elle avait ce que les comédiennes appellent « des angles intéressants » ; mais elle n’avait que des angles, justement ; et ceux-ci, en définitive, soulignaient sa laideur, sa gaucherie affligeante.

Je ne me suis pas donné la peine de protester pour son absence de la veille. Je n’ai pas non plus accordé un regard à la robe, et Dieu sait qu’elle l’attendait, ce coup d’œil appréciateur de l’homme !

— Bonjour, vous avez les lettres ?

— Non !

— Pourtant je vous avais dit…

— Écoutez-moi, Bernard, ces lettres constituent des documents d’une importance capitale !

— C’est le mot, ai-je gouaillé.

— Je ne puis me permettre de les véhiculer avec moi… Et puis, à quoi bon vous torturer ?

— Si c’est à cause de ça que vous ne les avez pas apportées, vous avez eu tort : je les sais par cœur !

J’avais lancé cette phrase comme une sorte de défi. Sa figure s’est crispée. Et quand elle se crispait, elle devenait sombre, comme la campagne lorsque des nuages d’orage font faire du rase-mottes au ciel. Toute lumière en était bannie. Ça devenait un visage de nuit, tout en arêtes.

— Vous l’aimiez donc à ce point ?

— Qui vous parle d’amour : question d’orgueil, simplement.

— Non, Bernard… Ces lettres vous ont apporté une révélation. Ou plutôt c’est vous qui avez décidé en votre for intérieur que c’était une révélation… En réalité votre imagination travaille. Vous jouez maintenant les coupables touchés par la grâce !

Elle voyait clair en moi. Depuis le début, d’ailleurs. Nous étions de la même sale race, elle et moi, et elle m’avait reconnu avec certitude dès notre première rencontre.

— Mais non !

— Mais si ! C’est pourquoi je ne vous ai pas apporté ces lettres. Votre femme vous trompait ! Vous devriez vous en réjouir. Vous avez la satisfaction d’orgueil de vous dire que vous vous êtes vengé d’elle !

Là, elle ne comprenait plus. Je n’avais pas tué Andrée par vengeance, puisqu’au moment du meurtre j’ignorais son infidélité !

Le fait que je l’aie assassinée n’avait pas le moindre rapport avec le fait qu’elle était réellement la maîtresse de Stephan !

Mais ceci était d’une nuance si fragile que personne d’autre que moi ne pouvait le comprendre.

D’ailleurs, je n’étais animé d’aucun esprit de vengeance. Tout ce que je voulais…

Qui donc l’aurait admis ? Tout ce que je voulais c’était m’asseoir sur une pierre tombale pour m’expliquer avec le silence d’un cimetière… M’EXPLIQUER !

J’avais envie de crier ma peine et ma fureur à Sylvie ; mais la pensée des lettres et la volonté de les récupérer m’ont donné la force de me contenir.

Je devais encore jouer… Un tout petit peu pour aboutir. Je n’avais pas le droit de rater encore « ça » !

— Chère Sylvie, vous ne pouvez savoir combien la détention ruine le moral d’un homme. Surtout d’un homme faible ! Oh ! comme je voudrais être dans la petite maison dont vous m’avez parlé…

Ça été radical. Elle s’est épanouie instantanément. Je venais de dire ce qu’il fallait. De la lumière a afflué à son visage noiraud.

— Vraiment, Bernard ?

— Je rêve d’elle depuis que vous m’en avez parlé… Il me semble déjà entendre chanter des coqs, le matin…

Elle m’a saisi le bras.

— Ce sera fantastique… Il y a des poutres apparentes, dans votre chambre…

« Ma » chambre ! J’ai fermé les yeux. Je la refusais, cette chambre ! Malgré ses poutres, sa lumière, ses rideaux de cretonne et ses meubles bien cirés, elle me semblait plus sinistre que ma cellule ! Je n’avais pas envie d’une chambre campagnarde, mais d’une tombe anonyme…

— Vous savez, Bernard, de grosses poutres toutes tordues, toutes lézardées ?

J’avais eu une chambre pareille à celle qu’elle décrivait, lors de mon voyage de noces avec Andrée… C’était dans un petit bled de Savoie… Et il y avait aussi des coqs matinaux…

Je m’éveillais avant Andrée, et je m’amusais à compter les poutres, tous les matins. Il y en avait quatorze… Chaque jour je les comptais comme si je l’ignorais, comme si ce nombre pouvait varier… Puis Andrée s’éveillait. Je lui disais :

« — Pense à une de ces poutres. »

Elle regardait le plafond d’un œil brumeux. Je surveillais son regard. Et je devinais celle qu’elle avait choisie, ce qui l’étonnait beaucoup ! Chère Andrée ! Je l’avais tuée, malgré le souvenir des poutres matinales !

— Vous verrez, Bernard !

Non, je ne verrais pas ! Quoi qu’il advienne, jamais je ne suivrais cette fille. Jamais !

Mais nous nous écartions du sujet.

— Sylvie chérie, promettez-moi de m’apporter ces lettres demain…

— Mais enfin, pourquoi ?

— Parce que je veux bien en étudier les termes, comprenez-vous ? Il y a peut-être une possibilité pour nous de faire interpréter mes déclarations.

— Vous dites que vous les connaissez par cœur !

Toujours cette féroce jalousie, si pitoyable !

— Voyons, Sylvie, c’était une façon de parler ; je m’en souviens dans les grandes lignes…

— Je les ai bien étudiées, Bernard, croyez-moi, il n’y a rien à en tirer, excepté l’effet psychologique !

J’ai haussé les épaules.

— À votre point de vue, mon amour ! Mais deux optiques valent mieux qu’une. Rendez-moi cette justice : j’ai connu les personnages, et pas vous !

Elle réfléchissait, pas convaincue tout à fait.

— Vous ne croyez pas qu’il serait ridicule de laisser passer une chance, aussi ténue soit-elle ? Être à deux doigts du bonheur et…

— Non, je les apporterai demain, mais vous me jurez que ça ne vous fera pas de peine ?

— Je vous le jure !

Elle n’osait poursuivre. Elle a rougi. Les petites pastilles de vermillon qui pigmentaient ses pommettes lorsqu’elle était émue sont apparues.

— Bernard, vous ne l’aimez plus, n’est-ce pas ?

C’était elle, l’impudique ! Elle la criminelle. Elle qui jalousait la femme que j’avais tuée !

J’ai enfoncé mes ongles dans les paumes de mes mains.

— Non, Sylvie, je ne l’aime plus !

Je haïssais Sylvie ! Jamais aucun homme n’aimerait cette fille, fût-il aveugle et sourd !

Ses petits yeux de reptile me scrutaient. Elle cherchait à se rendre compte dans quelle mesure j’étais sincère.

Je me suis efforcé de rester tranquille sous son regard insistant.

— À demain, Bernard, vous ne m’embrassez pas ?

J’ai perçu le souffle nasal du gardien embusqué derrière la porte. J’ai levé le doigt dans cette direction, pour avertir Sylvie ! Elle est partie de sa démarche un tantinet claudicante. Sauvé par le gong, en somme !

CHAPITRE XV

Mon gardien de jour principal avait une face rougeaude d’ivrogne, barrée par une grosse moustache noire, d’un autre âge, à laquelle il paraissait attacher une grande importance.

Après que Sylvie a été partie, il est resté un moment dans ma cellule, l’air rigolard.

— Dites, Sommet, ça se passe bien avec votre avocate, on dirait ?

— Pardon ?

— Vous, au moins, vous perdez pas de temps ! C’est pas qu’elle soye tellement pin-up, mais quand on n’a rien d’autre à se fout’ sous la dent, hein ?

J’ai haussé les épaules.

— Je ne comprends rien à vos insinuations !

— J’insinue pas ; j’ai des oreilles, c’est tout ! Elle a l’air chaude, la petite, dites donc ! C’est elle qui voulait se faire rouler un patin, ma parole !

Je lui ai tourné le dos. J’ai appuyé mes mains contre le mur, et la tête levée, j’ai confié mon désarroi au rayon de soleil oblique qui coulait le long de la paroi.

J’étais atterré. Cet homme allait faire un rapport au directeur. Celui-ci convoquerait Sylvie, peut-être lui interdirait-il ses visites dans ma cellule ? Si je devais la rencontrer au parloir, j’étais flambé.

Il fallait que…

Je me suis retourné. L’autre continuait de me contempler, sardonique et balourd.

— Vous n’allez pas faire des histoires ? ai-je murmuré.

Il fallait que je gagne vingt-quatre heures… Vingt-quatre heures, pas davantage…

Il ne disait rien, attendant la suite. Sa position était excellente et il le savait.

J’ai baissé le ton :

— Maître Foucot était une amie d’enfance…

— Et vous jouiez à cache-cache avec elle, voilà !

Pourquoi les hommes étaient-ils aussi dégueulasses ? Après tout, je n’étais pas un cas, mais l’élément pourri d’une pourriture générale.

— Demain, je lui demanderai de me laisser quelque chose pour acheter des cigarettes.

— Moi, dans le fond, hein ?

Il s’est retiré. J’avais toujours un petit frémissement en entendant le bruit de la serrure se fermant.

*

Cette nuit-là, j’ai beaucoup pensé à ma première visite à Stephan. Ma première visite pour les fausses lettres, veux-je dire. Comme il avait dû se délecter en écrivant ces idioties sous ma dictée ! Sans doute l’avait-il dit à Andrée… Et elle était morte en croyant que j’avais une maîtresse… Pourtant, une chose avait dû la consoler quelque peu : la pensée que je n’avais pas osé rédiger moi-même les lettres, car Andrée savait parfaitement que je ne souffrais d’aucune blessure à la main !

Oui, je revoyais Stephan, près du court de tennis, élégant, bronzé…

Pourquoi m’avait-il parlé soudain de mes dettes ? Pour m’orienter sur les mines de manganèse ? Il avait monté ça dans sa belle petite tête et joué la partie avec beaucoup de maîtrise, comme un homme qui a l’habitude de gagner ! Seulement je ne m’étais pas laissé avoir…

J’essayais d’imaginer leurs étreintes à Andrée et à lui… Je les comprenais difficilement. J’allais avoir beaucoup de choses à admettre avant d’arriver au bout de ma route. Beaucoup ! C’était même effrayant d’y penser.

Malgré tout, j’ai assez bien dormi, d’un sommeil étale, sans cauchemar.

En m’éveillant, je me sentais très détendu ; c’est tout juste si un peu d’angoisse — d’anxiété plutôt — fermentait dans un recoin de mon âme. Mais j’avais la secrète certitude que tout irait bien.

*

Robe grise à boutons ! Mais elle avait piqué un clip tout au haut du col. Un vieux bijou d’or rouge piqueté de brillants éteints qui achevait de donner à sa toilette un aspect périmé.

Je lui ai chuchoté, très vite, avant qu’elle ne parle :

— Méfiez-vous, le gardien nous épie…

Cela pour couper à la corvée de guimauve, mais je savais que l’homme aux moustaches ne se tenait pas derrière la porte. Il n’osait plus, car il se doutait bien que j’allais mettre Sylvie au courant.

Elle a froncé les sourcils.

— Vous croyez ?

— Oui, hier, après votre départ, il m’a abreuvé de sarcasmes !

— Mon Dieu !

Elle avait la frousse pour sa carrière, sa réputation, son standing. Et elle était déçue aussi. Les baisers furtifs, les pressions de main, les mots tendres constituaient son opium. Elle aurait désormais beaucoup de mal à s’en passer.

— Vous avez les lettres ?

Elle a ouvert sa vilaine serviette noire, toute râpée. Les deux lettres se trouvaient dans une chemise de bristol jaune sur laquelle elle s’était donné la peine de calligraphier en grosse ronde « Lettres de Mme A.S. »…

— C’est vous qui écrivez si bien en ronde, Sylvie ?

— Non, c’est ma mère. Elle adore titrer mes dossiers.

J’avais hâte qu’elle me remette les lettres. Je feignais l’indifférence, mais mon sang bouillait dans mes veines. Elle a desserré les mâchoires métalliques et m’a tendu les deux documents… Je les ai saisis d’une main qui tremblait un peu et, très naturellement j’ai reculé jusqu’au lit pour m’asseoir. Elle ne perdait pas le moindre de mes faits et gestes, comme si elle se doutait obscurément de ce que je m’apprêtais à faire…

Pour gagner du temps, j’ai relu les lettres. Mais je ne parvenais pas à suivre leur libellé. Les caractères penchés d’Andrée ressemblaient à un champ de blé rebroussé par le vent.

J’ai superposé les deux missives. Sylvie se détendait un peu. Adossée à la cloison, près de moi, elle attendait avec une ombre d’impatience.

— Vous voyez quelque chose d’intéressant ?

— Attendez…

Elle a soupiré. Cette scène l’énervait. Ces lettres, c’était une intrusion du passé. Une espèce d’écran qui nous séparait.

Je l’observais du coin de l’œil… Elle a fini par se relâcher complètement. Elle s’est approchée de la table sur laquelle se trouvait le livre que je n’avais pas encore terminé.

Alors j’ai déchiré les lettres.

Une première fois dans le sens de la longueur, une seconde dans celui de la largeur ! Le bruit du papier partagé a fait sursauter Sylvie. Sans un mot, mais avec une promptitude déroutante, elle m’a bondi dessus. Heureusement que j’avais prévu sa réaction. Je me suis tourné du côté du lit et j’ai continué d’émietter les lettres, très vite, tandis qu’elle me labourait le bras de ses ongles en suffoquant de colère. Ma pensée fonctionnait à toute allure.

« Attention, Bernard, ce n’est pas suffisant ! On peut reconstituer des lettres déchirées… »

Elle me tirait en arrière, d’une secousse je me suis dégagé. J’ai collé dans ma bouche la poignée de papier déchiqueté…

Jamais je n’avais ressenti une telle voracité. Les deux lettres m’emplissaient toute la bouche… Elles formaient un énorme tampon qui se collait à mon palais… Grand Dieu, je ne pourrais pas avaler cette quantité de papier… J’allais périr étouffé. Sylvie a cru que j’avais englouti les lettres. Elle m’a lâché. J’ai bondi jusqu’au robinet et j’ai fait couler un filet d’eau entre mes lèvres. Le papier gonflait, m’étouffait…

J’avais un goût d’encre dans la bouche… Et toujours pas moyen d’avaler cet énorme tampon de papier. Comme tout cela devait être ridicule !

J’ai recraché le papier dans ma main. Puis, très vite, je l’ai jeté dans la cuvette des waters. Sylvie s’est laissé tomber sur l’escabeau, anéantie. D’un geste posé, j’ai actionné la chasse d’eau. Cela faisait la seconde fois que je me débarrassais de pièces compromettantes de cette façon peu romantique.

Lorsque les lettres ont eu disparu, je me suis essuyé les lèvres, du plat de la main. J’avais un peu d’encre verte sur les doigts. De la sueur dégoulinait de mon front et se regroupait dans le creux de mon menton.

J’ai regardé Sylvie. Elle était verdâtre, avec un regard si brillant de rage qu’il ressemblait à deux flammes noires.

— Je vous demande pardon, ai-je murmuré froidement.

— Vous êtes un misérable !

— D’accord !

— Pourquoi avez-vous détruit ces lettres ?

Maintenant je pouvais le lui dire. Non seulement j’en avais le droit, mais je m’en sentais de plus le devoir. J’allais commencer à cet instant mon long cheminement jusqu’à Andrée…

— On n’avait pas le droit de les montrer au tribunal, Sylvie. Ces lettres ne regardaient personne ! Pas même nous !

— Malheureux ! Vous ne vous rendez donc pas compte de ce que vous venez de faire ?

— Si, pleinement ! Et j’en suis fier. C’était la seule façon pour moi de réparer un peu, vis-à-vis de ma femme !

— Parce que vous l’aimez, hein ? Avouez-le.

— Oui, Sylvie, je l’aime !

— Malgré qu’elle se soit comportée comme une chienne ?

— Peut-être à cause de cela ! Elle était vivante, et je l’ai tuée parce que je l’ignorais. Quelle monstrueuse erreur, Sylvie !

Elle s’est pris la tête à deux mains. J’ai cru qu’elle allait piquer une crise de nerfs, hurler. Mais un sursaut de dignité l’a retenue au bord de l’explosion.

— Mon Dieu, je ne sais plus où j’en suis, je ne sais plus, je ne sais plus, a-t-elle gémi.

Je n’avais pas pitié d’elle. Son désespoir était bien entendu grotesque, comme tout ce qu’elle faisait ou disait !

— Ne vous lamentez pas, c’est mieux ainsi !

Elle s’est dressée et elle est venue à moi, courroucée, tellement laide que j’ai eu peur.

Elle s’est mise à me frapper la poitrine de ses petits poings. Ça me faisait mal comme m’auraient fait mal les pattes fourchues d’une chèvre.

— Espèce de sale type ! grondait-elle à voix basse. Espèce d’ignoble type ! Espèce de misérable ! L’orgueil, hein ? Vous ne vouliez pas que le jury sache que vous étiez un lamentable cocu… Ça vous était intolérable qu’on étale les coucheries de votre femme au grand jour des assises ! Avouez ! Vous admettiez de passer pour un mari trompé lorsque c’était vous qui montiez le coup ! Lorsque vous pensiez que ça n’était pas vrai ! Mais maintenant vous ne voulez plus ! Vous tenez à votre honneur autant qu’à sa mémoire ! Sale faible ! Éternel faible ! Chiffe molle ! Vous n’avez pas eu le courage de supporter cet instant d’humiliation…

Je l’écoutais, pensif, en subissant ses coups… N’avait- elle pas raison ? Était-ce mon orgueil ou mon amour posthume pour Andrée qui m’avait fait agir ainsi ?

Elle reprenait souffle avec difficulté et repartait de nouveau dans ses invectives, en les soutenant d’une grêle de coups.

— Non, ai-je dit, c’est par amour… J’en suis bien certain !

Ç’a été le paroxysme de sa colère.

— Eh bien ! ne vous réjouissez pas trop vite ! On saura tout de même que vous étiez un pauvre cocu ! On le saura ! La plus belle des lettres, je ne vous l’ai pas montrée ! Elle est chez moi, dans mon secrétaire ! Venez donc la chercher ! Dieu merci, je vous connais… Je savais que vous étiez capable de cela ! Vous entendez, Bernard Sommet ? J’ai une troisième lettre ! J’ai une troisième lettre ! Croustillante, si vous saviez ! On la lira au tribunal ! Vous aviez épousé une chienne ! Ça se saura ! Et vous aurez l’air tellement ridicule qu’on ne vous acquittera même pas !

La voix lui a manqué. Elle a cessé de me frapper. Elle défaillait.

J’ai fermé les yeux pour me concentrer… Comprendre ! Toujours ce fameux problème : comprendre ! Tout comprendre pour pouvoir agir efficacement. Une troisième lettre ! Dans son secrétaire ! Une troisième lettre… Qui donc irait la chercher là ? Pas moi, ni personne. Elle seule savait ! Elle seule pouvait !

J’ai lancé mes deux mains à son cou. Au passage je me suis piqué la paume avec la pointe de son clip rococo… Mais je n’ai pas pris garde à cette douleur. Je devais faire vite, avant qu’elle crie, et surtout avant que le gardien rapplique. Vite !

Elle m’a saisi les poignets. Trop tard. J’avais noué mes doigts autour de son cou maigre. Elle ne pouvait pas me faire lâcher prise. Elle geignait, émettait un râle rauque, abominable, qui me chavirait. Je la regardais mourir, avec une folle intensité, comme on regarde mourir la vipère qu’on étrangle, en se disant que si on n’en vient pas à bout, c’est elle qui vous tuera.

Seulement c’était un peu différent. Parce que si je ne venais pas à bout de Sylvie, je serais sauvé ! Sauvé par cette saloperie de lettre qu’elle détenait !

Elle a ouvert plus grand la bouche, et chose curieuse, son râle s’est arrêté. Son regard révulsé est devenu tout blanc.

Elle devait être morte maintenant, mais il fallait que je serre encore, par mesure de sécurité ! La marge de sécurité ! On connaît ça dans les affaires ! La marge de…

Cette fois, elle était vraiment morte.

Je l’ai rejeté sur le lit. Sa tête a heurté le mur.

Il s’est fait un grand silence, troublé par les battements désordonnés de mon cœur et par le filet d’eau coulant toujours du robinet.

J’ai bu un peu d’eau. Je m’en suis passé sur mon visage en feu… Puis j’ai vérifié si la cuvette était bien vide… Elle l’était. Alors je suis allé frapper à la porte.

Le moustachu arrivait justement.

— La visite est terminée, a-t-il dit d’un petit ton égrillard.

C’est à ce moment qu’il a aperçu le corps de Sylvie, tout recroquevillé sur le lit.

Son regard est devenu flou, comme s’il avait soudain très sommeil.

CHAPITRE XVI

Cette fois, le greffier du juge Lechoir me trouvait franchement intéressant et ne parvenait pas à détacher les yeux de moi.

Quant au magistrat, son attitude aussi s’était modifiée. Maintenant, j’étais un client tout à fait sérieux pour lui…

— Alors, vous ne voulez pas vous expliquer sur les raisons de votre nouveau crime ?

— Je n’ai rien à dire, monsieur le juge…

— Je vais donc devoir faire appel à mon esprit de déduction !

Pas fâché d’étaler une fois encore ses petits talents de société, ce brave juge. Il n’avait qu’un public très restreint à épater, mais ça lui suffisait. C’était un homme modeste et intègre. Il ne recherchait pas la publicité.

— Sommet, j’ai là (et de tapoter un de ses innombrables dossiers verts) la déposition de Mme Foucot mère…

Qu’avait bien pu dire cette vieille grincheuse ?

— La malheureuse femme, a poursuivi le juge qui aimait assez les expressions conventionnelles, nous a mis au courant de certaines lettres de votre femme… Lettres que sa fille aurait pu se procurer.

Ça m’a flanqué un coup de poing au foie. J’ai eu comme une nausée, une sensation d’éboulement interne. Est-ce que par hasard la mort de Sylvie serait également inutile ?

Lechoir massait ses mains soignées parcourues par des veines saillantes.

— Aux dires de Mme Foucot, il y avait trois lettres. Maître Foucot en a apporté deux à la prison, avant-hier ! D’ailleurs on a retrouvé dans votre cellule un dossier titré : « Lettres de Mme A. S. » Il était vide… Par conséquent vous avez détruit ces lettres. Votre avocate a voulu s’interposer et vous l’avez étranglée, n’est-il pas vrai ?

Je n’ai rien répondu. Il a attendu un moment, la pomme d’Adam saillante, avec l’œil fixe d’un dindon attentif. Le greffier avait cessé d’écrire. Voyant que je restais isolé dans mon mutisme, le juge a repris :

— Soit ! Je tiens à vous informer d’une chose… Mme Foucot nous a remis la troisième lettre que sa fille avait rangée dans son secrétaire…

J’ai regardé vers la croisée. Les petits rideaux blancs comportaient des traînées jaunâtres et ils étaient piquetés de chiures de mouches. Par-delà ces morceaux d’étoffe, il y avait le boulevard du Palais, grouillant, avec ses autobus, ses marchands de journaux, ses brasseries… Tout un monde à jamais perdu pour moi…

— Je me suis procuré des spécimens de l’écriture de votre femme, Sommet. J’ai fait étudier la lettre par un graphologue. L’expert est formel : il s’agit d’un faux. D’un faux très bien imité d’ailleurs, mais d’un faux incontestable ! J’ignore où Maître Foucot s’était procuré ces lettres… Peut-être consentirez-vous à me renseigner ?

Je me suis levé de ma chaise. J’ai lu la peur dans les yeux du juge. Peut-être croyait-il que j’allais commettre un nouveau forfait. Simplement j’avais besoin de me dégourdir les jambes.

Un faux ! Un faux ! Andrée n’était pas la maîtresse de Stephan ! Andrée était restée jusqu’à la mort mon épouse aimante et fidèle… C’était bien ma femme que j’avais tuée, et non pas la maîtresse d’un autre !

Ainsi Li, ce diable jaune, avait eu l’idée de fabriquer ces lettres pour se faire verser du fric ?

Mais non ! Li ! Quelle idée ! Sylvie, oui ! C’était une trouvaille à elle ! Cet argent qu’elle s’était procuré, c’était pour payer un faussaire, non un maître chanteur ! Mon instinct me le disait formellement. Car moi aussi je connaissais Sylvie, aussi bien qu’elle m’avait connu elle-même ! Et mieux encore, peut-être !

Elle m’avait aimé au point de se compromettre pour moi ! Et elle avait inventé ces textes brûlants qui m’avaient coupé le souffle.

Elle avait prétendu les tenir du domestique parce que c’était l’explication la plus plausible…

Mais dans quelle eau trouble était-elle allée les pêcher ?

Ah ! décidément, nous étions tous en route pour une faillite monstre ! Tous les hommes : détenus ou gardiens, juges ou défenseurs, assassins ou bourreaux ! Tous, avec nos passions et nos peurs, avec nos rêves bernés et nos illusions tenaces comme le chiendent ! Tous, tous ! Les bras chargés de mensonges : le cœur empli de crimes inaccomplis !

Je me suis aperçu que le bureau du juge était tout petit et qu’en trois enjambées je le traversais. Je suis revenu m’asseoir. J’ai croisé les jambes et regardé mon interlocuteur comme si je le voyais pour la première fois.

— Qu’avez-vous à dire, Sommet ?

J’ai fixé sa cravate noire élimée qui le faisait ressembler à un vieux veuf…

— Ce que j’ai à dire, monsieur le juge ?

Mon Dieu, que cette question était grave ! Ce que j’avais à dire !

J’ai eu une pensée pour la tombe à jamais inconnue d’Andrée… Une tombe qui contenait les restes d’une honnête femme.

N’était-ce pas cela, le fameux jardin fertilisé par mes crimes ?

Maintenant j’avais le droit de me pelotonner tout mon soûl dans ma faiblesse. D’autres allaient décider pour moi.

— J’ai à dire, monsieur le juge, que je suis enfin heureux…

FIN
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