Je marche jusqu’à l’avenue des Américains, c’est-à-dire jusqu’à la sixième, d’un pas pressé. Il y a du populo dans les artères de la grande ville. Icigo, la vie ne s’arrête jamais. Il y a plein de bars ouverts, avec des types bizarres qui entrent, qui sortent, avec un air et des gestes vagues (et l’hiver avec des pardessus vagues également). Quelques filles viennent respirer un coup de brise nocturne, manière de s’oxygéner un peu les éponges.
Des barmen noirs sortent aussi, mais eux pour faire le contraire, c’est-à-dire pour fumer une sèche à la sauvette (du tabac blond de préférence, voir la loi des contrastes).
Je marche de mon allure vaseuse et personne ne prête attention à moi. L’horloge lumineuse d’un carrefour marque trois plombes du mat. Il va faire une vache bouille, le gars Andy, quand je vais lui exposer le pourquoi du comment du chose, plus l’adresse de cette association sportive de truands ! Il n’y a pas vingt heures que nous avons débarqué, et déjà je suis capable de lui amener l’adresse de Messieurs les marchands de plans volés.
Il va falloir se dégrouiller d’organiser une petite descente-éclair au 214 de la 23e street si on veut récupérer ce qui reste de Béru et de Pinuche ! Je commence à me faire un drôle de sale mouron pour eux. Les pauvres mecs, ils vont avoir droit à leur ration de chrysanthèmes !
Je cherche l’adresse d’Andy, ou plutôt je veux la contrôler, car les petites séances que je viens de subir ont un peu brouillé ma mémoire, mais je constate avec rage que ces carnes m’ont soulagé de mon portefeuille.
Drôle de vacherie ! Pas moyen de prendre un taxi ! Quant à l’adresse, il me semble bien que c’est la 44e rue. Une gentille trotte ! Vingt blocks à se farcir ! C’est méchant pour le gars qui a perdu un demi-kil de rouge et qui vient d’exécuter des manœuvres de printemps avec un corps d’élite tel que celui de ma blonde incendiaire !
Je donnerais un verbe actif, plus le passif de la Banque de France pour avoir un verre de gnole ! Si au moins j’avais de quoi me taper un glass et téléphoner… Mais va te faire donner l’assurance de ma haute considération, oui ! Ils m’ont raclé jusqu’au dernier cent qui pouvait se trouver dans mes profondes.
Allons, un coup de courage, San-Antonio ! T’en as vu d’autres, pas vrai ?
Des en noir et des en couleurs. Comme me disait un dompteur du cirque Bouglione — les ours se suivent mais ne se ressemblent pas ! Demain, j’aurai mes lendemains qui chantent ! Le tout est qu’ils ne chantent pas trop fort, car j’aimerais bien piquer une ronflette avant de me rembarquer !
Voici enfin la 44e. Je stoppe, perplexe. Je ne sais plus si c’est à l’Est ou à l’Ouest que se trouve l’adresse où je me rends. Le numéro même m’échappe. Mince, je perds un temps fou à rassembler mes souvenirs en colonne par deux !
Il avise un cop, à un carrefour. Il est gras, ventru, mafflu, et s’il ne fumait pas le cigare, on pourrait prendre sa figure pour une paire de fesses[24].
Il fait tourniquer son long bâton noir au bout de son index boudiné.
Je m’approche de lui.
— Please, sir, the F.B.I. address ?
Il hisse son regard globuleux jusqu’à moi. On dirait qu’il manœuvre ses châsses avec un système d’engrenages et de crémaillères. Ça fait quasi du bruit lorsqu’il les oriente.
Il m’examine en détail un peu comme une ménagère trie des lentilles avant de les mettre à tremper. Mon accoutrement n’inspirerait pas confiance à un clodo d’Aubervilliers. Pour tout vous dire, je suis sans chemise. J’ai juste mon bénard et ma veste. Ça fait un peu négligé, vous comprenez ?
Il se dit que je peux entrer dans deux catégories d’individus, soit dans celle des gars qui prennent le whisky pour de l’eau minérale, soit dans celle des messieurs qui ont un caramel à la place du cervelet.
En tout état de cause, je suis indigne de son intérêt.
D’un geste terminé par son bâton de réglisse, il me fait signe d’évacuer la street. Lui, il est pas meûchant. Tout ce qu’il demande, c’est qu’on lui laisse fumer son Corona pénard. Il prend la vie comme elle vient, sans la compliquer outre mesure. Il n’a l’air ni gentil ni vachard. Il ressemble simplement à un tas de viande habillé en flic américain.
Cette masse d’inertie me file en renaud.
— Je suis policier français, insisté-je. Je travaille en liaison avec l’inspecteur Oliver Andy, du F.B.I. J’ai besoin de le voir tout de suite… C’est très grave. Question de vie ou de mort !
Je lui ai monté la phrase tant bien que mal, en utilisant autant le français que l’anglais.
Cette fois, elle tire le bignolon de son apathie. Mais il ne réagit pas dans le bon sens. Il me plante l’extrémité de son bâton sur la poitrine et me pousse comme un jouteur. Je suis tellement lessivé que je pars en arrière. Sans la présence providentielle d’un panneau de signalisation, j’allais à dame !
Furax, à juste titre, je me radine sur « Gras du bide. » Une rage meurtrière me fait perdre tout contrôle. Je voudrais lui faire bouffer son cigare, à ce tordu ! Me voyant charger, il ne s’émeut pas. Il ne fait pas appel non plus à ses deux pétards qui lui battent les miches. Simplement il fait décrire un arc de cercle à sa baguette et v’lan ! Sucrez-vous, marquise ! Je prends sur le temporal un de ces gnons qui vous obligent à demander des explications sur vos origines, car vous ne savez soudain plus si vous vous appelez Robinson, ou si on est vendredi !
Je chope le panneau providentiel et je l’étreins comme s’il était la plus sensationnelle des mousmés.
Il ne reste plus à Monsieur le guignol qu’à me choper par une aile pour m’emmener au poste voir si ma lucidité s’y trouve déjà !
Nous faisons quelques pas de conserve[25] et mon entendement rejoint sa base, qui se trouve être celle de mon crâne.
Je réfléchis que, dans le fond, c’est encore la meilleure solution. Une fois au poste, je m’expliquerai et j’obtiendrai sans doute qu’on alerte l’ami Andy.
Quelques badauds nous regardent, mais d’une façon plutôt distraite. Les New-Yorkais sont les citadins les plus blasés du monde ! Il n’y a qu’une chose qui les intéresse : le défilé des personnalités dans Broadway. Sorti de là, on peut se trucider au coin des rues, ça ne les impressionne pas outre mesure. Ils font de grands pas pour enjamber les flaques de sang et c’est tout !
Nous longeons maintenant, le flic et moi, une longue bâtisse obscure. A cet endroit, le trottoir est pratiquement désert.
Je me trouve entre le mur et le poulet. Notez le détail, d’ici trois secondes il va avoir son importance. Du moins pour moi !
En effet, sans que nous y prenions immédiatement garde, une auto stoppe dans un grand miaulement de freins à notre hauteur.
Toto-la-Bonbonne, mon volumineux convoyeur, regarde. Il voit le canon d’une Thompson dépasser la portière, et il ne réagit pas. Il a peine à piger ce qui se passe. C’est un tort ! Because ça se met à cramioter ferme dans le secteur.
Et rapide ! Je me fous à plat ventre en même temps que mon garde du corps. On n’a jamais rien inventé de mieux pour se garer des balles !
L’auto repart dans un grondement féroce. La cérémonie n’a pas duré plus de quatre secondes. Je respire bien à fond, le nez sur un chewing-gum usagé. Pas de bobo ! Et je comprends très vite pourquoi en voyant le trottoir tout rouge sur ma gauche. C’est la Globule qui a effacé la purée de sa bedaine de notaire de province. Lorsque je me suis foutu à plat ventre, il s’écroulait, out ! Et il a continué d’intercepter la bonne camelote calibrée de messieurs les distributeurs de friandises !
Maintenant, il est mille fois plus mort que l’entrecôte marchand de vin que vous vous êtes farcie hier. Sa casquette a roulé sur la chaussée, ce qui me permet de constater que Zizi-Beau-Burlingue était aussi chauve que le dôme des Invalides !
« Mon San-Antonio joli, me dis-je en aparté et en français, tu viens de l’échapper belle. Si t’es pas un ingrat, tu vas pouvoir faire brûler un cierge en rentrant à Paname ! »
Vous avouerez que pour du bol, c’est du bol !
Des gens s’approchent, regardant le cop qui gît sur le bitume avec l’air de se dire que, ma foi, ça n’est pas une perte tellement énorme pour la Nation américaine.
Déjà la sirène d’une bagnole de police mugit. C’est fou ce qu’ils sont rapides, les archers, au pays du dollar en branche ! Pas comme chez nous ! In France, ils sont champions pour la contredanse valsée, nos braves gardiens dits de la paix (et qui savent pourtant si mal nous la foutre). Mais quand y a du grabuge, good bye Hawaii ! On ne les voit pas, les pèlerins en pèlerine !
La voiture des cops se range en voltige au bord du trottoir. La coupole rouge qui surmonte le toit de l’auto continue de distribuer le rayon pourpre de son phare tournant.
Trois malabars baraqués comme des armoires normandes jaillissent de l’auto. Eux, croyez-moi, sont sensibles au fait que la victime est un poultock. Ici, la peau de flic est plus sacrée encore qu’à Pantruche. Défense de s’en payer une sous peine de faire si-site à Sing-Sing sur la chai-chaise !
Ils regardent le collègue. Pas laubé, une fois viande froide. Johnny Violon ! Un vrai poème pour mouches à miel ! Il est déjà verdâtre, le Popeye !
Ayant constaté que la femme du cop est devenue veuve, les mecs de l’auto se tournent vers moi. Ils me chambrent avec des questions à l’emporte-pièce, nasillées de façon inaudible.
Je bonnis :
— Minute, I am french…
Voyant que je ne peux m’expliquer sur place, ils me font grimper dans leur fiacre.
En route !
Je finis tout de même pas arriver à destination. Le tout, c’est d’être patient.
Une grande salle divisée en boxes vitrés. Le clapotement des téléscripteurs. Des bourdilles qui passent, escortant des civils. Le bruit rapide des machines à écrire. L’appel caverneux des interphones.
Me voici enfin dans l’antre de la matucherie new-yorkaise. Je suis assis dans un fauteuil en tubes, fourbu, écœuré par l’existence, faible à pleurer, frileux…
J’ai réussi à dire que je voulais voir l’inspecteur Andy et on est allé le tirer des toiles à domicile. D’ici vingt minutes il sera là.
Plus le temps s’écoule, plus je désespère de revoir mes deux copains autrement qu’à l’état de défunts. Je suis à ce point épuisé que je n’ai pas la force de les chialer. Quand on n’a plus de force on devient fataliste. Ceci, les gars, parce que la réalité perd de sa signification.
Dans ces moments d’épuisement, on pense à la mort comme à un grand régal. Pas seulement pour les asticots, mais pour soi !
On devient le calme et le repos. M… pour la chaleur, pour la lumière, pour le mouvement ! Et, éventuellement, pour la reine d’Angleterre ainsi que le veut la chanson. On se marre, rétrospectivement, d’avoir accordé quelque importance à ce qu’on croyait être de grands événements ! Plus rien n’existe que cet épuisement formidable qui vous retire toute essence humaine[26]. On s’aperçoit que la gloire, l’amour, l’argent et la Sécurité sociale sont les composants d’un affreux bidon !
Un chef-bourdille me touche le bras.
Il tient un flacon de bourbon, le cher homme. Il a une bonne bouille compatissante.
— Have a drink ?
Je fais « zoui » du cigare et je saute sur sa bouteille plate comme un percepteur sur un chèque au porteur.
Je me biberonne la moitié de sa gnole. Une chaleur bienfaisante me ramone l’intérieur. Ils me font tordre, les gars de la ligue pour la tempérance, lorsqu’ils affirment que l’alcool est un fléau !
Tu parles, Charles ! Il est des circonstances (et j’en traverse une à gué présentement) où un coup de raide fait du bien par où qu’il passe, je vous jure !
Il me semble que je viens d’avaler un feu d’artifice ! C’était pas de la liqueur de chaisière !
Je rends son flask au galonné.
— Thank you !
Il me frappe l’épaule affectueusement, mais avec cette belle vigueur américaine, bien connue, et je manque chuter du fauteuil.
Puis il entreprend de m’expliquer qu’il a fait la guerre en Europe et qu’il a gardé de Paris un souvenir inoubliable. M’est avis que les pétroleuses de Pigalle ont dû avoir des faiblesses pour ses dollars.
Fin des congratulations, car voici Andy !
Il s’agirait de mon frangin, je ne serais pas plus heureux !
Il a le regard un peu lourd, avec des poches de tablier sous les lampions. Réveillé en sursaut, le collègue ! Il ressemble à une réclame pour les pilules qui ont mis la constipation K.O.
— Hello ! me dit-il en serrant ma paluche.
Je le mets au courant de tout ce qui s’est passé depuis notre dernière communication téléphonique. Ça lui paraît un peu beaucoup pour une première journée.
Lorsque j’ai craché le morcif, il décroche un tubophone.
Je l’entends commander une bagnole complète de matuches avec motards d’escorte.
— Allons-y, fait-il.
Je tends la main vers le digne garçon qui m’a offert son flask.
Il rigole et, bon zig, me lance sa bouteille.
Vite, je me mets quelques nouveaux centilitres de super dans le réservoir.
Je bois en marchant. Faut vous dire que je suis un virtuose. C’est toujours moi qui jouais les solos à l’harmonie de Bouffémont.
Nous montons dans la guinde d’Andy, une chouette Dodge flambant neuve, très discrète (crème et rouge avec une bande verte sur les ailes et des damiers noirs et blancs sur les lourdes). L’autre bagnole nous attend déjà, bourrée de limiers. Deux motocyclistes font pétarader leurs seringues, un pied à terre, les manches de chemise flottant déjà au vent de la noye.
Tout en pilotant son tréteau, Andy soliloque :
— Tout ça est un coup monté.
— Comment ?
— La femme vous a fait évader sur l’ordre du chef.
— Pourquoi ?
Il réfléchit.
— Well ! Un de vos hommes a parlé. Il a dit que vous étiez des agents français. Seulement, les autres n’ont pas dû le croire. Ils ont voulu faire une expérience…
— C’est-à-dire ?
— Vous libérer. Si vous allez à la police, c’est qu’en effet vous êtes des policiers, you know ?
— Oui, ça m’a l’air pas bête. Et ils me filaient ?
— Certainement ! Lorsqu’ils vous ont vu en compagnie d’un cop, ils ont compris que vous étiez effectivement de la police et ont voulu vous empêcher de témoigner coûte que coûte.
Je m’assombris.
— Alors mes camarades sont morts, dis-je, sinistre comme un ordonnateur de pompes funèbres en deuil.
— Pourquoi ?
— Pour la même raison qui a décidé ces truands à m’abattre. Quand on fait subir de tels sévices à un policier, le descendre est presque un devoir, non ?
Il ne répond pas. Nous venons d’arriver devant le 214 de la 23e Rue.
Maintenant c’est ici que les Athéniens s’atteignirent, que les Satrapes s’attrapèrent, que les Perses se percèrent, que les Grecs se graissèrent et que les Parthes partirent, comme se plaisait à le déclamer mon vieil ami Tréçon, l’inventeur de la cédille.
Malgré mon infinie faiblesse, je jure de montrer un peu à ces sadiques (comme Arnot) avec quel poêle à mazout que je me chauffe[27]. Je dois bien reconnaître que j’ai dans certaines circonstances un caractère de chien ; de chien qui n’aimerait pas les niches[28].
Nous enquillons l’escadrin, Andy, mon ami Moi-même et les choristes de la maison Viens-Poupoule ! Sur la pointe of the feet, nous grimpons deux étages. Je reconnais la lourde par laquelle je me suis évacué une plombe plus tôt. La moindre des politesses voudrait que nous manifestions notre arrivée par un coup de sonnette, voire un simple heurt avec l’index replié contre le chambranle de la porte. Mais nous préférons cueillir ces messieurs-dames au paddock, pour autant qu’ils y soient encore. Tous les bignolons aiment à jouer au chah et à la houri.
C’est pourquoi un spécialiste de la maison Royco se met à faire des guili-guilis à la serrure, laquelle, contrairement à la Vieille Garde, se rend sans faire d’histoire.
Toujours sur la pointe de nos quarante-deux fillette, nous pénétrons dans l’appartement. Il est silencieux. Je repère la pièce dans laquelle j’ai prouvé à Miss Ensorcelle-moi que le plus court chemin d’un point à un autre c’était la ligne droite, et que les Français sont imbattables pour ce qui est du coup du milieu !
La pièce est vide. Il n’y flotte, pour moi, qu’un charmant souvenir car, plus j’y pense, plus je me dis que, chiqué ou pas, cette nana valait le déplacement d’air. Elle me plaisait vachement et je suis satisfait de l’avoir jointe à ma collection.
Je pourrais lui dire, comme le fiancé de la romancière « J’aime beaucoup votre prose ! »
Andy qui a pris son pétard en main, comme chaque fois qu’il se rend dans le monde, referme la porte doucement. Nous nous dirigeons vers les autres pièces, les inventorions à tour de rôle, ce qui nous permet de constater qu’elles sont toutes aussi vides qu’une des jambes de pantalon d’un unijambiste[29].
— Ils ont pris le large ! déclare Andy auquel rien n’échappe.
Moi, je suis perplexe.
— Andy, murmuré-je, je viens de constater un fait troublant.
— Vraiment ?
— Nous ne sommes pas dans l’appartement où on m’a torturé.
— Vous vous êtes trompé d’immeuble ? s’inquiète mon estimable collègue d’outre-Atlantique, lequel se voit déjà révoqué pour perquise illicite.
— Non ! C’est bien d’ici que je me suis sauvé avec le concours de la fille. Mais ce n’est pas ici qu’on m’a torturé. Pendant mon évanouissement, on m’a changé de domicile !
Il se gratte le menton. N’étant pas rasé, ce mouvement produit un bruit de râpe à bois.
— Je comprends, affirme-t-il.
— Qu’est-ce que vous comprenez ?
— Ils vous ont amené ici justement parce qu’ils voulaient vous faire évader… Ils avaient tout prévu, même la possibilité de vous rater avec la mitraillette ! D’ailleurs, si vous n’aviez pas été un policier, ils ne tenaient pas à ce que vous puissiez retrouver l’adresse.
Là-dessus il donne des ordres à son personnel. Ces messieurs se dispersent.
— Je fais demander à qui appartient cet appartement, m’explique mon compagnon. Ceci peut donner un indice !
Mais je sens que c’est scié de ce côté-ci ! Ces vaches-là sont mieux organisées qu’un banquet à l’Elysée. Ils ne laissent rien au hasard.
Andy, me sentant déprimé, me frappe l’épaule.
— Come, boy !
Il est gentil, ce mecton.
— Venez à la maison, dit-il. Nous boirons un bon scotch en attendant le jour.
C’est un programme assez dans mes cordes. Pourtant j’objecte :
— Mais… Et mes potes ?
— Vos quoi ?
— Mes collègues !
Il hausse les épaules.
— De deux choses l’une, cher garçon. Ou bien ils sont déjà morts ou bien les gangsters ne les tueront pas tout de suite afin de se servir d’eux comme otages…
Son raisonnement tient debout sans stabilisateur, pourtant il n’est pas fait pour me réconforter.
Nous retournons à la voiture.
— S’il est arrivé malheur à vos amis, nous les vengerons, promet Andy. Il ne faut pas vous tourmenter. Il y a chez vous un proverbe sur la vengeance, comme dites-vous déjà ?
Je récite, sans enthousiasme :
— La vengeance est un plat qui se mange froid.
Andy rigole, content. Tel un élève au cours du soir, il répète :
— La vengeance est un plat qui se mange…
Il s’arrête et questionne, avec cette logique qui fait la force des Amerlocks :
— Vous dites qu’il se mange… Et pourtant vous dites aussi qu’on a soif de vengeance. Alors la vengeance doit se boire, dear friend !
La crèche d’Andy est coquette, moderne et encombrée de bouteilles vides et de chaussettes sales, car il est célibataire et ne s’en cache pas.
Il me désigne un fauteuil profond comme une entrée de métro.
— Sit down !
J’obtempère avec d’autant plus de conviction que mes os deviennent mous, mes nerfs visqueux, mes cartilages fumigènes, mes glandes égocentriques, mes cellules photo-électriques, mes muqueuses péruviennes, mes organes tripartites et mon intellect fluorescent[30].
Andy me brandit un glass de brandy.
— Avalez ça !
Je lui obéis. C’est formide comme je suis soumis, parfois.
Il m’en tend un autre. Un vrai turbin à la chaîne. Mais après ça, qu’on ne vienne pas me dire qu’où il y a de la chaîne y a pas de plaisir !
Je me sens bien. Je reprends confiance. Je m’endorsi !
Quand je m’éveille, le gars Andy est en train de se raser et son Sunbeam fait un bruit de quadrimoteur sur le point de décoller.
Tout en se tondant la pelouse, il fredonne un air d’Elvis dont les paroles sont internationales. Pour preuve de ce que j’avance (et que je ne retirerai sous aucun prétexte), voici la phrase essentielle du refrain :
— Boudou lou, la la. Boudou lou la la (la rime est riche). Boudou lou, la la la la, la Lèèèèère. Oh ! yes !
En principe, ça s’écrit comme ça se prononce.
Vous allez me dire que je suis plus taquin que saint Thomas, pourtant j’adore Elvis Presley. On a l’impression qu’il fait bon dans sa tête.
Je me sens la bouche triste. Je regarde l’heure à la pendulette du divan et elle annonce huit plombes. Andy réapparaît les joues nettes.
— Bien dormi ? demande-t-il.
— Très bien.
— O.K. Allez prendre une bonne douche froide pendant que je prépare le café. Vous pouvez vous servir de mon rasoir. Je vous ai préparé une chemise de moi[31] qui doit vous aller.
— Merci, Andy, vous êtes une mère pour moi !
Je lui montre la photo mirifique d’une pin-up brune comme une mine de charbon.
— Je suppose que ça n’est pas la vôtre, ça ?
Il sourit.
— C’est la demoiselle qui s’occupe de mes placements d’argent.
— Vraiment ?
— Elle est de bon conseil. Ma paie passe en fourrures, robes, parfums et dîners dans des boîtes où le pourboire au portier coûte aussi cher qu’un repas dans un drug’s normal.
— Et comment se prénomme cette aimable bouffe-baraque ?
— Concha !
— C’est pas un nom, c’est un pléonasme, observé-je pour moi seul en gagnant la salle de bains.
Une heure plus tard, me voici nickel, rebecqueté, pomponné, amidonné, calamistré, laqué, vernissé, loqué, lavé, rasé, douché, baigné, récuré (de campagne) et prêt à faire n’importe quoi pour retrouver les Béru and Pinuche brothers.
Je tiens conseil avec Andy tout en dégustant un caoua digne d’éloges.
— Par quel bout attrapons-nous l’enquête ? fais-je.
— Elle est déjà en cours, dit-il. J’ai donné le nom du chauffeur de taxi qui vous a conduit dans ce sacré garage. Isaac Rosenthal, m’aviez-vous dit ?
— Oui. Et c’était une vrai licence qui figurait sur le dossier de sa banquette.
— En ce cas, d’ici quelques minutes, j’aurai des…
Il n’a pas le temps de terminer sa phrase que son bigophone se met à jouer « Décroche-moi-je-veux-te-causer » sur l’air de « Et deux coups pour la bonne ».
Andy s’empare du combiné.
— Yes ?
Et ça se met à débloquer en anglais nasal.
Je renonce à suivre le bla-bla. Pour tout vous dire, je me défends mal, question de langues. A part la langue fourrée et le patois de la Basse-Savoie, il ne faut pas compter sur moi pour nourrir la conversation lorsque celle-ci a lieu en papou de la décadence ou en lituanien.
Au bout d’une longue parlote, Andy raccroche.
Il pousse une gueule longue comme le chemin qui conduit à l’amour.
— Alors ? fais-je.
Il se gratte les joues. Cette fois, comme il est rasé, ça ne fait pas de bruit.
— On a retrouvé le taxi qui vous a transporté. Il avait été volé dans le courant de l’après-midi d’hier… Ça n’est pas son propriétaire qui vous a véhiculé.
— Flûte, voilà une piste morte !
— Hélas !
Il vide sa tasse de café, s’en verse une seconde, met seize sucres dedans, touille et enchaîne :
— On a des renseignements au sujet du logement d’hier. Il s’agit d’un meublé loué également dans la journée d’hier par une fille blonde en tailleur blanc qui a prétendu s’appeler Eva Martin. Ça sent le nom d’emprunt !
J’opine. Ah ! ils sont roublards, ces ordures !
— Qu’allons-nous faire ? je demande.
Je dois avoir l’air d’un suppositoire qui n’a pas atteint son objectif. Si au moins je m’appelais Luc, on pourrait lire mon nom à l’envers.
— Il faut essayer de retrouver ce garage, fait Andy. Peut-être pourrons-nous y découvrir un indice intéressant ?
— On va découvrir, en fait d’indice, qu’il a été également loué à la journée par une dame blonde en tailleur blanc ! Ces salauds ont toutes les ruses !
— Allons-y tout de même. Par ailleurs, j’ai communiqué les signalements des gens qui vous ont kidnappés. On est en train de sélectionner d’après ceux-ci des photographies aux archives. Peut-être y retrouverez-vous certains de vos tortionnaires ?
Il croit au père Noël, Andy ! Enfin, il ne faut rien négliger.
— L’homme aux cheveux gris, continue-t-il, parlait français, m’avez-vous dit ?
— Parfaitement.
— Avait-il un accent quelconque ?…
— Je pense qu’il était méditerranéen : Grec ou peut-être bien Italien du Sud…
— Vous ne pouvez préciser ?
— Vous me prenez pour une encyclopédie ?
— Encyclopédie ? énonce péniblement Andy, qu’est-ce que c’est ?
— L’étude des cyclopes.
Ayant contribué à son éducation, je me lève.
— On les met ?
— Partons !
Vous voyez, comme à l’Opéra ! Les choristes se branlent les cloches pendant une plombe en piétinant la poussière du plancher. Ils gueulent sur tous les tons qu’ils s’en vont, et ils restent laga !
C’est comme la diva qui brame à pleine vibure qu’elle va caner ! En fait de dernier soupir, elle est pourvue ! Avec ce qui lui sort des soufflets, vous regonfleriez un corps expéditionnaire de mandoliniers !
Enfin, on s’en va.
Nous filons sur Central Park. Andy roule doucement afin de me permettre de bien repérer les lieux.
Pour ça, y a pas de mouron à se faire. Je suis une vraie caméra : j’enregistre tout ! Y compris la voix de Mlle Louise-Maria Naut, la célèbre cantatrice des arènes monumentales de Barcelone !
— Attendez, fais-je. Oui, nous sommes passés devant cet immeuble… Continuez… Je me souviens également de ce magasin…
Ça défile dans ma trombine comme un appareil de projection.
Je reconnais des rues, des stations de bus…
— Voilà ! bramé-je tout à coup en repérant une maison de briques à la façade noircie.
— Quoi ?
— Ça va être la prochaine rue, j’en suis absolument certain.
Docile, il oblique sur la droite.
J’aperçois, dans le fond, l’enseigne du garage.
— Et voici l’endroit !
Andy donne un coup d’accélérateur qui nous propulse pile devant le garage.
Avant de descendre de voiture, il ouvre la boîte à gants et y prend quelque chose. Mes yeux pétillent comme un feu de sarments.
L’objet qu’il me tend est un superbe pétard de calibre intimidant. Ce trac-là, c’est pas dans un drug’s qu’il l’a acheté.
— Ça peut servir, me dit-il.
— Je comprends ! C’est une bonne compagnie.
J’enfouis le pulvérisateur dans ma ceinture.
Maintenant, j’aimerais bien dire deux mots aux bonshommes qui s’amusaient à me soutirer du raisiné ! Moi aussi, je leur ferais un petit prélèvement. Et ça irait beaucoup plus vite !
Une grille ferme l’entrée du garage.
— C’est bien ce que je pensais, soupire mon collègue. Il s’agit d’un établissement fermé.
Il secoue la grille, en vain. Elle refuse de céder à cette sollicitation.
J’écarte Andy d’un geste calme et autoritaire.
— Vous n’auriez pas une lime à ongles, Andy ?
— Vous voulez manucurer vos mains ?
— Non. Donnez !
Il me tend l’objet demandé. Je m’accroupis pour examiner la serrure et j’introduis ma lime dans l’orifice prévu pour une honnête clé.
C’est chinois, une serrure ; pourtant, lorsqu’on examine son cas attentivement, on arrive à comprendre son fonctionnement.
Après quelques manœuvres infructueuses, j’arrive à mes fins.
D’une secousse, j’entrouvre la grille sur une longueur de cinquante centimètres ; ce qui est largement suffisant.
Andy a une mimique admirative.
— O.K. Vous êtes un champion !
Le champion et son petit copain pénètrent dans le garage.
Je le retrouve tel qu’hier. Vide, désaffecté. Il ne reste dans le hall que quelques tacots innommables, qu’aussi bien je me garderai de nommer !
Nous furetons partout sans rien trouver.
— Descendons, fais-je en montrant le petit escalier. En bas, il y a un entrepôt avec des bidons d’huile et des pneus… Nous nous sommes bigornés avec les malfrats. S’il n’y avait pas eu de renforts à la dernière minute, nous prenions l’avantage.
Nous descendons.
Après avoir donné la lumière, nous procédons à un inventaire scrupuleux du local. Nous le passons au peigne fin, comme dirait l’amant de Mme Bérurier qui est coiffeur de son état, comme chacun le sait. (Lui, c’est à la brosse, qu’il passe la digne épouse de mon malheureux collègue.)
Soudain, Andy se redresse. Il tient un stylo à bille et l’examine.
Je le rejoins.
— Ça n’appartient ni à vous ni à vos hommes, ça ? demande-t-il.
Je considère l’objet avec attention. C’est un stylo-réclame jaune. Il y a l’adresse d’un établissement gravée dessus.
Je demande à Andy ce qu’est cette maison ; il me répond que c’est une maison de jeux de la Huitième avenue. On y joue aux quilles et à un tas de machins électriques.
— On pourrait peut-être y faire un tour, non ?
Il hausse les épaules.
— Chaque établissement distribue des milliers de machins comme ça à Noël ! Vous ne pensez pas sérieusement que le patron de cette taule se souvient des gars à qui il a offert ça ?
L’argument est sans réplique. Comme nous ne trouvons rien d’autre, nous prenons le parti de mettre les adjas.
Nous avons la sensation déprimante de l’avoir dans le dos. In english : in the baba !
Nous regagnons le P.C. de mon collègue sans échanger un mot.
— Que faites-vous ? me demande-t-il, une fois sa voiture rangée dans le parking de la maison Poulopot. Vous restez avec moi ou bien vous vous promenez ?
Sachant que je ne puis pas lui être plus utile qu’une paire de patins à roulettes peut l’être à un escargot, je lui réponds que je vais aller respirer l’air tiède de cette matinée d’été.
Nous échangeons une poignée de pognes et je me propulse en direction de la Huitième avenue.
Je n’ai aucune peine à dégauchir la salle de jeux dont m’a parlé Andy. Elle est déjà en pleine activité et une foule interlope y mène grand tapage. C’est plein de bougnouls en blue-jeans, en black-jeans et en gin-fizz, de petits jeunes blêmes au regard cruel. On les devine prêts à tout pour enfouiller quelques dollars. Graine de violence ! Ils vous foutent votre grand-tante dans l’Hudson ; noient vos chats ; débouchent vos ouatères et se décalcifient devant le premier venu pour se laisser faire le coup de la fusée Atlas ! Nerveux avec ça, les chérubins. Ils prennent la mouche comme une toile d’araignée, pour un oui ou un non. Surtout pour un non.
Des drôles de petits gars en vérité !
Y a aussi des filles. Elles poussent des cris d’or frais dès qu’on les chatouille. Et puis y a des types entre deux âges, entre deux sexes, entre deux tout ! Ils regardent, ils imaginent, ils transposent, ils se font reluire la pensarde au milieu de cette jeunesse.
L’établissement est composé d’un immense hall en longueur. Au fond, y a les quilles électriques. De chaque côté, je vois des jeux de palets, des jeux de grenouille, des cabines dans lesquelles on peut se donner l’illusion de piloter un bolide à cent à l’heure dans les rues de New York ; des vélos branchés sur des cadrans indiquant la vitesse de pédalage et mille autres trucs depuis la plate-forme vibrante chargée de vous relaxer et qui vous colle la tremblote, jusqu’aux tires électriques, en passant par les appareils photographiques qui vous tirent le portrait instantanément et les cinémas individuels qui nous passent un Charlot de la belle époque[32].
Près de l’entrée, une grosse enflure, style Bérurier américain, vend des photos de filles à poil et fait de la monnaie aux usagers de sa crémerie. En outre, il mâche un cigare qui ressemble à une banane pourrie.
J’observe ce petit univers frelaté. J’ai beau me détrancher, je ne vois absolument personne de connaissance. Aucune de ces frimes ne m’est familière. Qu’avais-je donc espéré en venant ici ? Me casser le tarin sur l’un des malfrats d’hier ? Tout ça parce qu’au cours de la bataille rangée qui nous a opposés aux membres de la Truands’ Association Limited, un stylo-réclame a été paumé.
Pour ne pas me singulariser dans cette foule, en ayant l’air de jouer les observateurs, je m’approche du premier jeu venu et je glisse, comme le prescrit la notice, une dîme dans la fente. En face de moi un cadran s’éclaire. En couleurs violentes, se dessine un bateau de guerre voguant sur une mer d’huile.
Le jeu consiste à viser une cible située au niveau de la ligne de flottaison avec un pistolet électrique. Si on atteint l’objectif, le bateau coule sur le cadran. Sinon il continue sa route et vous avez paumé la partouse.
Je cramponne l’arme en acier nickelé. Elle est pourvue d’un tube de caoutchouc qui pend sous la crosse, gênant considérablement son maniement.
Néanmoins, comme dirait Cléopâtre (en égyptien et en trois mots), mon adresse au pistolet est telle que je mets dans le mille du premier coup.
Le navire coule. Maigre satisfaction…
Tandis que sa tourelle disparaît dans la profondeur bleue lessive de l’océan, un turbin maison se fait dans ma tronche.
Voyez-vous, les gnards, moi qui vous ai déjà dit tant de choses, donné tant de pertinents conseils dont au reste vous n’avez tenu aucun compte car vous êtes tous des endoffés du pardingue, je vais vous faire part (à toutes fins utiles) d’une constatation qu’il m’a été donné de faire. Rien n’est jamais inutile. Souvent, on croit agir sans préméditation, et on finit par s’apercevoir qu’en réalité on a suivi l’enchaînement implacable d’une obscure logique.
Ainsi, voyez : nous avons trouvé ce stylo-réclame. Il nous donnait l’adresse d’une salle de jeux. Je suis venu à cette salle de jeux. Pour ne pas m’y faire remarquer, j’ai joué ! Et en jouant, j’ai eu une idée… Une idée qui vaut son pesant de plutonium aux aromates !
Je la dois à ce bateau. C’est lui qui m’a donné le la !
Asseyez-vous, sortez vos mains des slips des dames, essuyez vos pieds sales après les rideaux et ouvrez en grand vos portes cochères.
Je viens de penser de la façon suivante, très exactement. Je ne change pas un cyclotron au grossium de mon curriculum afin de ne pas perturber le planétarium infrarouge de votre mégalomanie transcendantale ! Je suis pour la vérité, rien que la vérité, toute la vérité, tant il est vrai qu’on n’emporte pas la France à la semelle de ses souliers et que tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.
Bon, vous y êtes ? Alors d’accord. Mais je vous préviens : le premier qui m’interrompt, je lui coupe la rate en tranches avec des ciseaux de brodeuse.
L’attentat dont j’ai été victime hier nous a prouvé que l’un de mes hommes (et peut-être les deux) n’a pu résister à la torture et a craché le morcif à l’homme aux tempes argentées[34].
Pour vérifier ses dires, le chef des pieds-nickelés new-yorkais m’a mis à l’épreuve.
Bien, ne perdez pas le fil, vous ne vous y reconnaîtriez plus. Je bois un glass et je poursuis.
Si Béru et Pinuchet ont flanché, ils ont fatalement tout dit. Quand on commence à se mettre à table, on ne peut plus s’arrêter. Or, s’ils ont tout dit, comme il est probable, les bandits savent maintenant que les plans qu’ils convoitent tellement se trouvent dans la cabine du commandant du Liberté.
Pas d’objections ? Si ? J’en vois un qui chahute avec son petit camarade ! Durand ! Sortez de ce livre tout de suite !
Là ! On va peut-être être peinard maintenant pour continuer l’exposé.
Ces salopards ayant prouvé qu’ils étaient prêts au pire pour s’approprier les documents, je suis prêt à vous parier un trombone d’enfant contre un pied à coulisse qu’ils vont risquer le paquet, si inouï que cela paraisse, pour essayer de récupérer les fameux plans où ils sont, c’est-à-dire à bord du plus grand barlu français.
Conclusion, et c’est là que se place l’apothéose de mon raisonnement : le seul endroit où j’ai une chance de retrouver ces messieurs, c’est à bord du Liberté ?
Dites, c’est pas magistral, ça ?
Comme quoi, les idées sont comme les éléphants de cirque : elles se tiennent toutes par la queue !
Fissa ! Je quitte la maison de jeux à la vitesse d’une soucoupe volante poursuivie par son percepteur. Un bahut passe, à vide ! Je l’emplis illico de ma personne. Les Dieux seraient-ils à mon côté, maintenant ?
— French Line ! dis-je au conducteur en me pinçant le nez pour que ça fasse plus américain.
La vitesse ne grise que celui qui la crée, prétendait un homme qui, je pense, craignait le vertige. Aussi je commence à virer au vert comme une asperge adulte lorsque le brave Fangio des pauvres stoppe devant le quai d’embarquement de la French Line. Il y a un trèpe de tous les Zeus et je me souviens que le barlu reprend la tisane sur les choses de midi.
Or n’importe quelle montrouse vous le dira, à condition qu’elle ait pris l’habitude d’indiquer l’heure exacte, il est dix plombes et demie. M’est avis que j’arrive comme un aphrodisiaque dans la vie d’un sexagénaire !
Je me catapulte dans l’ascenseur avec un tas de pégreleux qui vont photographier la France et bouffer du coq au vin en buvant du Coca-Cola.
Me voici dans l’immense hall bruyant où les dockers manipulent les colibars comme s’ils disputaient la coupe du monde de rugby.
Je me radine vers la douane. C’est alors que je m’aperçois qu’avec toutes ces périphéries (comme on dit à la R.A.T.P.) j’ai paumé mes fafs. De plus, même si j’avais un passeport en bonne et due forme il me faudrait un sailing permit[35] et même si j’avais ce sailing permit, il me serait rigoureusement impossible de monter à bord puisque je n’ai pas de billet.
J’essaie de parlementer, mais y a rien à chiquer. On m’envoie chez Plumeau avec perte, et même fracas, c’est vous dire.
Une seule solution : bigophoner à Andy. Seulement je gamberge que l’heure tourne. Le barlu va bientôt appareiller. En admettant que je puisse joindre Andy, le temps qu’il radine, qu’il discute, qu’il me fasse monter à bord, et les truands se seront goinfré les documents ; si ce n’est déjà fait.
Je frappe le sol à coups de tatanes, très grand gosse qui a ses nerfs ! Et puis comme il n’y a pratiquement aucune différence entre mon bol et un cerveau électronique à haute fréquence et frein à main, je me dis que la solution est là.
Il me suffit de reluquer les allées et venues pour avoir la belle idée. A peine ai-je pris la décision de penser qu’une idée frappe à la porte de service de mon déconatoire.
— Toc, toc !
— Qui est là ? questionne mon intellect.
— Je viens de la part du Système D, m’sieur le commissaire San-Antonouille.
— Entrez, vous êtes chez vous[36].
Et voilà la petite idée qui radine, toute fraîche, toute riante ; très jeune fille de bonne famille. Elle me chuchote un truc dans les trompes d’Eustache. Je dis oui. Et je me dirige vers le fond du hall, là où sont centralisés les bagages.
J’avise un grand diable de docker. Il est en train de décharger les colis qui radinent de l’escalier roulant et il les empile sur un tapis roulant.
Il me gueule que je n’ai rien à foutre ici.
Je lui réponds par un sourire candide, puis par un coup de targette dans le vestibule et je n’ai que le temps de le choper par une aile avant que le tapis roulant l’emporte vers ses collègues préposés au coltinage à bord.
En moins de temps qu’il n’en faut à votre meilleur ami pour vérifier si votre femme est vraiment brune, j’ai ôté la casaque bleue du bonhomme, sur laquelle les mots French Line sont brodés en lettres rouges. Je ramasse en outre son bada et je ressors après avoir cramponné deux valoches.
En faisant mine de mâchouiller du caoutchouc parfumé, je gagne la passerelle. Personne ne m’arrête. Où se cache-t-il, le tordu qui a déclaré que l’habit ne faisait pas le moine ? Qu’il vienne un peu me bonnir cette crêperie entre les sinus frontaux.
Je grimpe à bord the fingers in the nose[37], sans que personne prête à moi plus d’attention qu’à un bouton de jarretelle usagé.
Une fois dans les coursives, je largue les baluchons en souhaitant ardemment, pour la bonne règle, que leur proprio puisse les récupérer avant Le Havre. Et je me propulse à l’allure d’un avion supersonique vers la cabine du commandant. Par une chance que je n’ose qualifier, de peur de vous rappeler à tous de cruels souvenirs, je me casse le nez sur l’officier. Il a fière allure dans son impeccable uniforme blanc. Il me regarde distraitement. Pour lui je ne suis qu’un docker. Puis il me reconnaît et sursaute.
— Vous !
— Moi ! Commandant, je n’ai pas le temps de vous expliquer. Je veux seulement vous poser une question : avez-vous toujours les plans ?
— Mais naturellement ! Quelle question ! Vous savez bien qu’ils sont dans…
Ma question semble l’avoir quelque peu vexé. Je lui prends le bras dans un élan de supplication.
— Commandant. Je vous demande de vérifier…
Il fronce les sourcils.
— Soit. Mais vous tombez mal, car j’ai des obligations impérieuses.
— C’est très important.
Il ne répond pas et ouvre la porte de sa cabine. A peine a-t-il mis le pied à l’intérieur qu’il pousse un cri.
— Grand Dieu !
Pas besoin de me faire un dessin, les mecs, j’ai compris. Vous pensez, avec une intelligence comme la mienne !
J’entre et je vois tout comme lui la porte du coffre grande ouverte.
L’officier est catastrophé. Moi plus que lui.
— C’est inimaginable ! balbutie-t-il. Il y a moins d’une heure ce coffre était fermé et…
— Il ne faut pas une heure à un spécialiste pour forcer ce machin-là…
Il sonne son steward. C’est un petit gros, rouge comme une pomme mûre, qui sourit de confiance à ses contemporains.
— Verjus, gronde le commandant. On a cambriolé mon coffre !
L’autre ouvre une bouche si grande que ça doit lui ventiler l’intestin grêle.
— Hein !
— Regardez vous-même ! Qui est entré dans ma cabine ?
— Je n’ai vu personne.
— Enfin, depuis moins d’une heure le voleur a pénétré ici ! Où étiez-vous ?
— A terre. Je suis allé acheter quelque chose pour mes mômes dans la 48e rue…
Je me frotte la calebasse. Tonnerre de chien, ça déguille on ne peut plus mal ! Tu vas trinquer, San-Antonio, c’est moi qui te le dis. Comme affaire vaseuse, on ne peut rêver mieux. Les plans perdus ! Béru et Pinuche bousillés ! Bravo ! Chouette opération. Après ça, je n’ose plus rentrer en France, mésigue ! C’est pour le coup que le Vieux va me refiler son coupe-papier en me priant d’aller me faire hara-kiri dans les gogues ! Ah ! misère…
J’ai dans la gorge comme un sanglot qui m’étouffe ! Avoir fait tout ce circus pour balpeau ! Se laisser pigeonner par une bande de teigneux ! Maverdave alors !
— Il faut porter plainte ! suggère le steward.
Cet avis-là (comme dirait sainte Thérèse), me ferait gondoler comme un carton à biscuits en d’autres circonstances.
— Je suis désespéré, balbutie le commandant.
A quoi bon le laisser se ruiner le moral. Il en a trop besoin pour piloter son canot jusqu’au Havre.
— Ce n’est pas votre faute. Bon… Il faut que j’avise !
Je le quitte sans ajouter autre chose. Les grandes douleurs, vous le savez sans doute, sont comme les carpes.
Je descends la passerelle. Je traverse le hall en contournant un rassemblement près des escaliers roulants. Je me doute de ce qui le motive et je pénètre dans les water-men afin de poser ma casaque. Ensuite, je quitte le port dans un bahut qui ressemble à un sorbet italien.
Je suis en proie à un terrible coup de pompe aspirante et refoulante. Qu’est-ce qui m’arrive, Seigneur !
Je suis ulcéré, humilié, foulé, piétiné, broyé, concassé (et pas cassé), désarticulé, démembré, déchiqueté, émietté, écœuré, asexué. Je suis plus cornard que Bérurier ; plus toquart que Pinaud ! Plus mort que vif !
San-Antonio ! Tu es la plus grosse erreur humaine jamais conçue !
J’ai donné l’adresse du F.B.I. à mon pilote d’essai, mais brusquement, je me ravise. Il y a des instants où chez moi, l’instinct va plus vite que la pensée. La lumière précède le son ? Eh bien, mes actes précédèrent quelquefois mes décisions. N’essayez pas de comprendre. Einstein est mort d’avoir voulu m’analyser.
Je tambourine à la vitre qui m’isole du chauffeur. Ce brave homme, d’après sa licence, s’appelle William O’Connor. Il n’y a pas de mal, chacun s’appelant comme il peut. J’ai eu un condisciple nommé Lacrotte[38]. Avec un nom pareil on devrait pas manquer d’aisance et pourtant il avait un complexe, le pauvre chéri. Il faut dire qu’on ne lui faisait pas de cadeau. Quand il se pointait en retard, on lui demandait s’il était constipé. Ah ! la cruauté humaine. Mais j’ai l’air de me complaire sur un terrain glissant ! Vous allez me prendre pour le catalogue de l’U.M.D.P. ! Pour le gars qui fait les latrines de Noël ! Faites excuses, m’sieurs-dames, si j’ai conservé l’esprit étudiant. Pas de ma faute si je n’ai comme vous autres la bouche en chemin d’œuf. Vous m’avez tous l’air d’être la conséquence d’un vieux !
Donc, ai-je annoncé quelques lignes plus haut (ce sont des lignes à haute attention[39] !), je donne un changement d’adresse au conducteur.
— Fifth Avenue, please !
Parfaitement ! La Cinquième avenue de Beethoven ! C’est là que se trouvent les burlingues de la Transat. Maintenant j’y vois plus clair dans mes impulsions. Je commence à savoir pourquoi je m’y précipite.
Vous voulez le savoir aussi ? Oh ! mes petits curieux ! Tout connaître et rien paga ! Il n’y a pas un pignouf parmi vous qui me paierait un coup à boire ! Je suis là à me décarcasser pour vous faire poirer et vous ne pensez pas un instant que le bonhomme puisse avoir la pépie, non !
Enfin, je suis du genre victime du devoir, moi !
Eh bien, je viens de comprendre une chose très simple, mes Lavedus. Pour avoir accès au bateau, il faut un billet. Donc, le type qui est venu sucrer les plans en possédait un ! Il est peu probable qu’il ait compliqué sa délicate mission en se livrant à des voies de fait sur un docker comme c’est mon cas, hein ?
Or, ce billet de passage, il a dû le prendre à la dernière minute ! C’est-à-dire tout à l’heure ! Et avec un passeport ! Car ce genre de ticket est nominatif, vous gourez pas !
D’accord ! Vous commencez à piger, pas ? Oui, je vois vos trognes expressives comme des camemberts trop faits qui s’ouvrent à la grande vérité de ma gamberge.
Je suis prêt, vous m’entendez bien, moi qui vous cause, je suis prêt, disais-je, à vous parier un œuf à la coque contre un coq-à-l’âne, qu’une seule personne a attendu le matin du départ pour demander une gâche.
C’est pensé ça, aussi !
J’en suis là de mes cogitations à bon marché lorsque le tréteau stoppe à l’angle de la 44e street et de la 5e avenue.
Je carne le gnace et je m’engouffre (comme Padirac) dans l’immeuble de la Transat !
Une secrétaire, roulée comme une gitane maïs (du reste est blonde), me regarde approcher par-dessus ses seins. Elle connaît bien les siens, car elle les honore d’un décolleté dans lequel on aimerait passer ses vacances de Noël.
Elle parle français avec un délicieux accent yankee. Quand on voit une môme pareille on prendrait un billet pour n’importe où à condition qu’elle soit du voyage.
— Vous désirez ? me demande-t-elle.
J’y vais au culot gros comme Bérurier (s’il n’est plus, que le bon Dieu envoie son âme chez le teinturier) !
— Je suis un ami du monsieur qui a pris son billet tout à l’heure.
Si vous mettiez un stéthoscope à l’endroit de mon battant, les gars, vous entendriez les chutes du Nid à Garat !
Elle paraît au courant. Ma joie est telle que je l’embrasserais ! De toute façon, j’aimerais lui rouler mon patin humide, style langue-de-biche.
— Bon, il a eu de la place ? Oui.
— Ce voyage s’est décidé à la dernière minute. Il redoutait que…
— Non. Ça s’est très bien arrangé. Sur le retour en France, en cette saison, on est moins chargé…
Je cherche la façon d’en savoir davantage. C’est dur. Je pourrais abattre mes brêmes, faire appel à mon pote Andy, mais ce serait une perte de temps considérable. Je préfère m’arranger, suivant mon principe coutumier, avec les moyens du bord !
— Pouvez-vous m’indiquer la classe qu’il a choisie et son numéro de cabine ?
— La classe, fait la douce enfant, c’est la première…
(Evidemment, pour avoir accès à la cabine du commandant, il ne fallait pas marchander.)
— Mais le numéro de cabine, soupire-t-elle.
Et la voilà qui pique un registre et se met à le compulser. Elle s’arrête et lit :
— Alfredo Dagroni… Cabine 24…
Je me détranche pour lire sur le registre.
— Je vous demande pardon, fais-je, mais je crois que vous avez mal orthographié le nom de mon ami.
D’un geste preste, qui doit sembler naturel de la part d’un garçon sans gêne, je saisis le dossier. Je lis rapidos :
« Dagroni Alfredo, 1117, Nicholas Brothers street, N.Y. »
— Non, j’avais mal vu, ajouté-je en lui décochant mon œillade veloutée au pétale de rose d’Isphahan.
Et je me barre comme si je venais de gagner le gros lot et que je veuille l’encaisser avant la fermeture illimitée des guichets !
Nicholas Brothers street se trouve en plein cœur de Harlem. Pour y arriver, on quitte progressivement le New York normal et on s’enfonce lentement dans la ville noire. Ça devient de plus en plus cradingue, de plus en plus populeux et les Blancs se font tellement rares que, lorsque le bahut me décharge, je n’aperçois plus, en fait de représentant de la race blanche, que ma triste gueule dans la vitrine d’un parfumeur.
L’impression est curieuse. Ce qu’on ressent n’est pas à proprement parler un malaise, ce n’est pas de l’inquiétude non plus, mais plutôt une curieuse sensation de dépaysement.
Un dépaysement absolu, tel que jamais je n’en ai ressenti. Je mate les immeubles minables, noircis, avec leurs caractéristiques échelles d’incendie dont le dernier tronçon est à contrepoids ; leurs échoppes minables. Je bigle les bars d’où s’échappe une musique forcenée et les bougnouls entassés le long des trottoirs, avec leurs bonnes bouilles, leurs yeux et leurs dents blanches !
D’autres négus, moins sympas, du genre démolisseur de mâchoires en tout genre ! Des obèses, ventrus comme des bouddhas ! Des en soldats ! Des en flics ! Des pleins aux as, avec des limaces de soie, des panamas clairs et des Cadillac décapotables longues comme une conférence aux Annales !
Un monde nouveau pour moi. Ne ressemblant pas à ce que j’attendais parce qu’étant plus quotidien et plus troublant que dans mon imagination.
Je zyeute sans enthousiasme l’entrée du 1117. Un vrai coupe-gorge. Imaginez une bicoque de deux étages, lépreuse, malodorante dont le rez-de-chaussée est occupé par la boutique d’un cordonnier. Et quelle boutique ! En vitrine, y a une carapace de tortue de mer, un chat endormi et (comme disait un de mes amis) le buste d’un pied.
La vitre n’a pas été lavée depuis qu’on l’a mastiquée et elle commence à ressembler à du verre dépoli.
Pourtant, à travers cette opacité, j’avise un nègre à barbe blanche qui bat la semelle (du moins celle des autres).
J’entre.
— Mister Dagroni ? interrogé-je.
Il hoche la tête.
— First floor !
— Merci.
Je quitte l’échoppe pour emprunter l’allée avoisinante. Emprunt de courte durée, car je me promets de la rendre à la première occasion.
Ça renifle le bout du monde là-dedans, et on y voit pas plus clair que dans le fignedé d’un… nègre, oui, justement[40] !
J’avise un escalier. Je l’escalade. Premier étage. Unique étage habité, le second étant constitué par un atelier dont l’entrée se trouve dans la cour.
Une seule porte, ce qui limite l’hésitation.
Et pas de sonnette.
Je frappe discrètement juste assez pour être entendu, mais pourtant de manière rassurante. Ayant procédé à cette sommaire manifestation de moi-même, je sors le calibre que m’a offert Andy et je le tiens à pleine main. C’est un aminche, c’est un frangin !
Un instant s’écoule. Puis une voix de femme chuchote quelque chose sur un ton interrogateur. A tout hasard, d’une voix feutrée comme des chaussons, je nasille :
— Yai !
Alors la porte s’ouvre et je trouve en face de moi la frite café au lait d’une dame qui, si elle n’est pas négresse, n’est en aucun cas norvégienne.
Mettons que ce soit une sang-mêlé.
En m’apercevant elle se dém… de relourder. Et pourtant elle n’a pas eu le temps d’apercevoir mon petit appareil à poinçonner les bulletins de naissance !
J’en déduis qu’elle a la conscience plus sombre que la figure et, ayant déduit cela très vite, je parviens à glisser mon 42 fillette dans l’ouverture de la porte.
D’un coup d’épaule, j’ai raison de sa poussée inverse. L’huis s’entrouvre et la personne recule dans une pièce dont la saleté et le désordre ne laissent pas présager que son locataire ait les moyens de voyager en première classe à bord du Liberté.
Je montre mon feu à la négresse.
— I kill you, lui affirmé-je avec mon plus chaste sourire (celui qui m’a assuré la conquête de Miss Flageolet à la Foire aux haricots d’Arpajon en 1954 !).
Elle a les gla-gla. On entend ses ratiches qui font bravo !
Délicatement, je referme la lourde. Pour vivre là-dedans faut avoir une hérédité d’égoutier, ou alors le sens olfactif plus sous-développé que la Yougoslavie !
J’essaie d’oublier que j’ai un nez avec la façon de m’en servir et j’attaque vivement Miss Réglisse.
— Where is Dagroni ?
Elle secoue la tête en louchant tellement sur le pétard que ses gobilles vont bientôt permuter.
J’avance l’arme entre ses flotteurs, lesquels sont manifestement plus considérables que deux édredons de campagne.
— Where is Dagroni ?
Cette fois, j’ai gueulé ! Ma prononciation n’est peut-être pas fameuse, mais pour l’intonation espérez un brin ! La dame en négatif comprend que si elle ne met pas les pouces il va lui en cuire.
Je ne voudrais pas cogner une dame, surtout une dame en deuil, mais j’ai assez perdu de temps avec ces foies-blancs !
Je m’apprête à la molester un tantinet sur les bords lorsqu’un étrange petit bruit me parvient. On dirait qu’un bébé souffrant vagit dans son berceau non loin de là. La mulâtresse en est affolée. Je la fais pirouetter et la pousse en avant en direction d’une porte basse s’ouvrant au fond de la pièce.
— Open ! dis-je.
Hypnotisée par ma belle assurance sociable, elle délourde. Je me trouve à l’orée d’un réduit bas de plafond (à moins qu’il ne soit haut de plancher comme l’a fait justement remarquer mon éminent camarade Pierre Dac dans son traité sur la trajectoire intrinsèque du chèque barré dans la société romaine). C’est de ce réduit que sortent les vagissements.
Serais-je tombé sur une marâtre laissant dépérir son enfant pour confier à d’autres bouches l’usage de ses mamelles ?
Je vais en avoir le cœur net.
Je tâtonne pour dégauchir le commutateur. Je commue. La lumière soit ! Et je m’aperçois que la marâtre présumée est en réalité une receleuse de messieurs kidnappés puisqu’elle héberge d’une façon peu compatible avec les lois de l’hospitalité, l’inspecteur-chef Pinaud et le principal Bérurier, de la poulaillerie française !
Joie de retrouver vivants mes deux chers compagnons d’armes à gauche ! Emotion de les voir en piteux état ! Car ils font peine à voir. Vous les découvririez sur la voie publique, ce n’est pas à Police secours, ce n’est pas à l’ambulance, ce n’est pas aux Pompes funèbres que vous téléphoneriez, mais bien à la voirie.
La bouille de Béru ressemble à un steak tartare. Il n’est pas une partie de cette physionomie qui ne soit ensanglantée. Ses fringues sont en lambeaux. Il a des traces de tisonnier plein le corps. Je crois qu’après ça, il aura droit à quelques jours de vacances ! Pinaud, lui, est encore plus délabré. Il est complètement nu, et on l’a sculpté au rasoir comme un marron d’Inde. Tous deux sont en plein cirage. Ils font de la température et flottent dans une espèce de demi-inconscience.
Cependant, le Gros soupire :
— C’est toi, Tonio ?
— Mais oui, mon gros biquet. C’est moi. Je suis arrivé à temps. On va te soigner, tu verras, et te cloquer la Victory Cross !
Il fait un effort pour me répondre que je peux me la foutre où il pense, la Victory Cross, ainsi que toutes les médailles homologuées en ce bas monde !
Comme je ne peux agir seulâbre, j’ordonne d’un geste à Mme Cirage de délier mes amis. Elle obéit.
Ensuite, je lui demande où se trouve Dagroni. Elle me répond qu’elle l’ignore. Il s’agit de procéder autrement.
— Pour qui travaille-t-il ?
Je suis tellement heureux d’avoir sauvé la mise de mes potes que la joie me donne une sorte de génie linguistique. Je parviens presque à m’exprimer correctement.
Elle hésite. Je lui colle une mandale qui remet sa denture en question.
Elle pleurniche. Puis enfin, l’adresse que j’attendais radine. L’employeur de Dagroni est un certain Xidos, 88, Park avenue.
Pour la remercier, je lui place un coup de crosse sur la tempe. Elle s’écroule comme un sac de farine. Mais elle est moins blanche.
— Bougez pas ! fais-je à Bérurier. Je vais chercher du secours !
Le revolver au poing, je bondis dans l’escalier. Je débouche dans Nicholas Brothers et je tire deux coups de pétoire en l’air.
L’effet est instantané. Des trilles de sifflet retentissent dans les azimuts et deux poulets en chemise bleue se rabattent, les pétards battant leurs meules.
Je me suis démerdé de renfouiller mon arquebuse pour éviter qu’ils ne m’assaisonnent aux petits oignons en m’apercevant et je leur fais signe de me suivre.
Pas contrariants, ils m’emboîtent… Mais le pas seulement, pour commencer.
Assis dans l’ambulance qui transporte mes brillants duettistes et escorté de deux matuches grands comme votre pavillon de La Garenne-Colombes, je jubile. Maintenant que j’ai retrouvé mes potes vivants, peu me chaut[41] de ce qu’il adviendra des plans.
Je cède à cette lâcheté délicieuse qui vous fait renoncer aux grands problèmes pour savourer des joies très proches, très chaudes, très humaines. Bien que mes vaillants guerriers soient en piteux état, je n’ai pas besoin d’avoir fait quatre années de médecine à la faculté de Saint-Leu-la-Forêt pour piger qu’ils s’en tireront sans difficulté. Ce, d’autant mieux qu’ils ont l’un et l’autre le cuir à toute épreuve.
Qu’est-ce que c’est que la vie, au fond ? Un M. Durand qui transforme du bœuf en Durand ! Chaque individu oublie la chaîne, le cycle, la transmission. Ses petits yeux de rampant ne lui permettent de considérer que son historiette personnelle.
Un quart de plombe après l’intervention des archers new-yorkais, le révérend Pinaud et son altesse Bérurier sont dans les toiles d’un hosto dont chaque infirmière pourrait signer un contrat avec M. Zannuck, pour jouer le sixième principal rôle de « Ça jeûne et ça ne sait pas » ou « La vie gastronomique du fakir Stomâ-Khal ». Pinuche bat des ramasse-miettes et me regarde avec une indescriptible émotion. La minute est solennelle et ferait chialer la reine d’Angleterre elle-même.
— Tu nous as sauvés ! bavoche le cher débris.
— Repose-toi, on va décarrer d’ici deux ou trois jours, dès que tes brèches seront colmatées…
Il s’humecte.
— Ah ! la France, soupire-t-il. Ça m’aurait fait de la peine de mourir sans reboire un dernier coup de muscadet…
— Je t’en offrirai une bonbonne en radinant à Pantruche !
— Merci.
Il me prend la main.
— J’ai parlé, San-Antonio, pleurniche-t-il.
Je conspue son remords de conscience.
— Et alors ? T’as une menteuse, c’était bien pour t’en servir, non ?
— Ils nous ont fait subir un traitement terrible.
— On va leur revaloir ça, vieux, sévices compris.
— Tant que c’étaient des gnons, tu comprends, j’encaissais. Même quand ils se sont mis à me travailler au rasoir… Seulement ils m’ont fait boire j’sais pas quelle saloperie et je ne savais plus ce que je débloquais…
— Te tracasse pas pour ça, va…
Je murmure in petto, ce qui est plus difficile que de mezza voce :
— Ce que je pige pas, c’est pourquoi ils vous ont pas liquidés une fois qu’ils ont su que vous étiez des poulardins !
Le Pinuche bave sur son oreiller. Son regard chassieux se coagule. Il soupire :
— Je crois qu’ils nous gardaient comme otages…
— Otages ? Pour quoi faire ?
— Ils voulaient savoir ce que nous avions fait de leur ami Harry ! J’ai pas compris ce que ça voulait dire…
Du diable si je pige quelque chose aussi !
— Harry ? je répète.
— Oui…
— Alors là, je pige pas… T’es sûr ?
— Oui, tu peux demander à Béru… Ils ont dû le questionner à ce sujet itou…
Mais je n’ai pas le temps de chercher la confirmation de la chose insolite, car voilà mon copain Andy qui me rejoint à l’hosto. C’est moi qui ai demandé à mes gardes du corps de le mander d’urgence, because ces messieurs ne semblaient pas déterminer mon rôle dans l’aventure. Heureusement, le gars Andy me refile à leurs yeux la blancheur Persil.
Je lui relate les dernières heures que je viens de vivre.
— Nous devons piquer une descente à l’adresse que m’a refilée la négresse, fais-je.
Il est également de cet avis. Flanqués des deux armoires, nous fonçons vers Park Avenue.
L’immeuble a belle apparence. Tout en pierre de taille ! Il y a un dais bleu et blanc à l’entrée. Dans le hall, tout est dorures, plantes vertes, éclairage indirect et tapis rouge à baguettes dorées.
Pour s’offrir une crèche dans une tôle commak, faut retirer ses éconocroques de la Caisse d’épargne, croyez-moi !
On va au box vitré où le préposé aux renseignements, fringué en maître d’hôtel. se délecte des dernières aventures de Bob Inard, le shérif.
Cet homme de bien nous indique que M. Xidos habite le premier étage de ce palace !
Au ton qu’il emploie, on pige que le Xidos doit carmer des pourliches grand format.
Andy dit à l’homme de l’aquarium de nous suivre. C’est un fin renard. Il se dit que le Xidos ne délourdera peut-être pas son terrier s’il n’entend pas une voix familière.
L’autre rouscaille comme quoi il n’a pas le droit d’abandonner son poste ! Il a l’esprit Seul Maître après Dieu ! Et puis, faut dire qu’il est au frais dans sa guitoune, vu qu’elle bénéficie de l’air conditionned.
Andy lui montre sa plaque et notre cerbère fait camarade. Nous négligeons l’ascenseur. Nous voici devant une porte grande comme l’entrée principale de l’Opéra de Paname. Mon battant fait du zèle parce que je me dis que si les pieds nickelés en question ne sont pas encore au courant de ma descente dans leur succursale de Harlem, nous avons des chances de les surprendre.
— Sonnez ! ordonne Andy.
Il nous fait signe de tirer nos rapières et de nous planquer contre les murs afin de laisser le portier seul en vue. Ce dernier n’en mène pas large. Il est pâle comme un cierge et des chandelles coulent sur ses tempes. Il préférerait donner des cacahuètes aux petits écureuils gris de Central Park !
Il avance sa pogne tremblante vers le bouton et presse le timbre.
On perçoit la sonnerie feutrée à l’intérieur. Un instant s’écoule. Je décèle un tout petit bruit. Je vous parie des tripes à la mode de Caen contre un camp de nudistes qu’on bigle le visiteur par le minuscule judas à lentille grossissante fixé dans une rainure de la porte.
Enfin, le loquet joue. Le battant s’ouvre.
Andy a dû faire du rugby car pour plonger dans les décors il s’y entend. Il bouscule le portier et, d’une détente, complète l’ouverture de la porte. Devinez qui se trouve devant nous ? L’escogriffe ! Parfaitement ! Le cher garçon qui m’a pompé le sang la veille !
Dans un éclair il repère le feu d’Andy, il me repère ! Il pige que tout est foutu hors l’honneur, et il a la réaction qu’ont tous les gangsters au pedigree trop chargé lorsque l’heure du châtiment sonne : il met la main à sa poche.
Andy ne lui laisse pas le temps de dégainer.
Pan pan pan ! On frappe les trois coups ! Mais avec un parabellum !
M. Jules intercepte, les trois bastos avec sa boîte à ragoût, hésite et décide de mourir un peu.
Nous n’avons plus le temps de faire de la broderie au point de croix. La République nous appelle par nos prénoms ! C’est la charge sauvage !
Tous les quatre, on investit l’appartement.
Nous fonçons dans un salon que je reconnais parfaitement, car c’est celui où j’ai repris connaissance après la séance de bosses du garage. Je reconnais les meubles, le piano mâle… Et surtout les protagonistes. Il y a ma belle vamp blonde ; l’homme aux cheveux gris, les autres…
Et tout ce petit trèpe fait du zèle dans la volière, croyez-le ! En entendant les détonations, ces messieurs-dames ont mis l’arme au poing et ils n’attendent pas notre permission pour défourailler copieusement. Je vois s’écrouler les armoires qui nous escortent. Ils ont dégusté de la crème de plomb dans la brioche et ils sont mis hors jeu avant que nous n’ayons le temps de riposter.
Andy s’est rejeté en arrière, imité par le cher San-Antonio !
Nous nous tenons de chaque côté de la porte vitrée, interdisant de la sorte la sortie des gangsters.
Ils la trouvent mauvaise. Un Jules courageux risque le paquet et bondit. Il le freine d’une balle entre les deux chasses. Ça commence à faire pas mal de viande froide dans le secteur. Les déménageurs de la morgue vont pouvoir se faire les bras !
Notre position clé est très avantageuse. Les renforts vont radiner d’une seconde à l’autre. C’est dire que nos lascars sont faits comme un vieux morceau de brie. Ils n’ont plus qu’à jeter leur artillerie de campagne et à lever bien haut les mains. C’est le conseil que leur donne Andy. Mais au lieu de ça, ils continuent de tirer, comme si ça pouvait leur servir à quelque chose.
Je risque un morceau d’œil dans l’angle d’un des carreaux de la porte non encore brisé. Et qu’est-ce que je vois ? L’homme aux cheveux gris qui est accroupi devant la cheminée. Il vient de froisser des papiers que je reconnais parfaitement : ce sont les plans. Et cette came s’empare de son briquet !
Non, vous parlez ! Il fait disparaître les traces de son forfait, Xidos ! Il veut finir en beauté, et sa plus belle façon de nous dire m… c’est de détruire les fameux plans, objets de toutes ces bagarres !
Il a son flaminaire en pogne. Il l’actionne. Une jolie flamme bleue, en forme de goutte d’huile, naît au poing du gars.
J’ai un pincement dans toute la caisse. Il me semble que je biche une crise d’angine de poitrine.
En une fraction de seconde, je réalise la situation telle qu’elle est.
Pour empêcher l’irréparable : il faut que je descende Xidos. Pour le descendre, je dois m’exposer aux feux conjugués des malfrats. C’est-à-dire, devant de tels tireurs d’élite, faire le sacrifice de ma chère petite peau. Car, en mettant les choses au mieux, je n’ai pas une chance sur cent de flinguer le chef avant d’être repassé !
Alors ? Qu’est-ce qu’on décide ?
Entre le devoir et les considérations personnelles, je n’hésite jamais longtemps. D’autant plus que j’ai un centième de seconde avant de me décider. Je téléphone un adieu ému à Félicie, ma brave femme de mère, qui doit être en train de passer ma chambre à l’encaustique, tout là-bas, dans notre pavillon de Saint-Cloud.
Je me jette à plat ventre et, à la volée, je plombe Monsieur !
La flamme s’éteint, Xidos également. Et une giclée de prunes arrive dans le couloir, soulevant des morceaux de plancher à quelques centimètres de mon visage.
Je me jette en arrière, indemne ! Un vrai miracle. Je pige que ce qui m’a sauvé, ce sont les trois types morts amassés à l’entrée de la pièce. Ils ont faussé l’angle de tir des boy-scouts.
Andy, depuis sa planque, m’adresse un véhément compliment en élevant son pouce à la hauteur de son visage.
Bon, et maintenant ?
J’essaie de filer un coup de périscope dans la casbah.
Ce que j’y vois fendrait le cœur d’un gardien de la paix, en admettant bien sûr que les gardiens de la paix aient un cœur !
La belle blonde qui, la nuit même, me faisait le coup du « lance-ta-casquette-et-viens-la-chercher » est agenouillée devant le cadavre de son bonhomme. Elle glapit, gémit, geint, vagit (éviter toute contrepèterie) et sanglote comme si elle tournait la grande scène de « C’est triste, hein, d’être Iseult ! ».
Tout à coup, elle relève son beau visage superbe, baigné de larmes[43]. Il est enflammé par la haine.
Elle me crie sans me voir des insultes intraduisibles.
Puis complétant l’acte suprême de son mâle, elle chope le briquet gisant près du cadavre, et, avant que j’aie pigé ce qu’elle voulait faire, met le feu aux documents !
Je n’ai pas le temps de réfléchir… Non, tout se brouille. Je deviens le chien esclave de son instinct.
Je me précipite dans la pièce. Mon rush a été si instinctif que les autres mettent un poil de seconde à piger. Me voilà au mitan de la pièce, accaparant l’attention par le seul fait de mon intrusion. C’est ma témérité qui me sauve justement. En effet, ils négligent Andy. Et le monsieur du F.B.I. ne perd pas de temps. Pif, boum ! Zim ! Deux types poussent des cris d’orfèvres en titubant.
Moi je suis dans le foyer de la cheminée. Je joue les petits ramoneurs savoyards, vous savez, ceux qui se différencient des pingouins par la couleur. (Les pingouins ont le ventre noir et la queue blanche.) Je saisis les plans. Il n’y a pas trop de mal de fait ! Je me couche dessus pour les éteindre.
Et une houri, Miss Prends-moi-toute, folle de haine, se jette sur moi, contribuant ainsi à ma sauvegarde parce qu’elle me fait un paravent de son corps sans s’en rendre compte ! Ses ongles pointus me déchirent la frime. Elle laboure ma pauvre gueule avec frénésie. Et je me laisse faire, soucieux de ne pas lâcher les fafs.
Le tumulte est inouï. Jamais je n’ai assisté à pareille échauffourée. On ne sait plus où on en est, les uns et les autres, car les poulets de secours ont envahi le terrain.
Lorsqu’ils m’enlèvent des mains de la donzelle blonde, celle-ci a les mains rouges de mon sang. Des lambeaux de ma viande truffent ses ongles cassés. Je me regarde dans un délicat miroir, fait pour refléter de délicieux minois, et je réprime un sursaut.
Mes pauvres enfants, je ressemble à un Indien sur le sentier épineux de la guerre ! Ah ! il n’est pas laubé, votre petit San-Antonio, mesdémes ! S’il venait dans votre alcôve dans cet état, contrairement à votre habitude, vous appelleriez votre mari !
J’en suis donc réduit à aller me faire réparer la bouille à l’hosto où l’on finit de recoudre Pinuche et Béru…
Peu importe mon incapacité temporaire de Casanova, ce qui importe c’est ma victoire ! J’ai gagné sur toute la ligne. Mes amis sont saufs et j’ai les plans !
En fin de journée, Andy vient me rendre visite. J’ai la tête entortillée dans de la gaze.
— San-Antonio ? demande-t-il, craignant de se tromper.
— Alias Ramsès II, fais-je.
Il rit.
— Je venais vous apporter les compliments de mes chefs et du vôtre à qui j’ai câblé.
— Thank you.
— Vous avez épaté mes camarades et stupéfié moi par votre courage et votre malinité.
Il s’arrête.
— Est-ce français, malinité ?
— Non, lui dis-je, mais c’est gentil.
Il sort une boutanche de rye de sa poche.
— Have a drink ?
— Yes ! tu parles !
On s’en téléphone un vieux coup.
Il se met alors à me résumer l’historique de la bande qu’on vient d’anéantir. Ce Xidos, un Grec, j’avais vu juste, ex-diplomate qui avait mal tourné, était venu s’installer aux U.S.A. après la guerre.
Il avait établi un commerce d’achat et de revente de documents multiples. Il possédait des correspondants en Europe et en Asie…
Ce coup de filet est donc un coup de maître.
Votre San-Antonio se requinque, mesdémes ! Car c’est lui qui a gagné le canard ; presque tout seul, vous êtes bien d’accord ?
Par ma fenêtre, j’aperçois une forêt de gratte-ciel que l’or du soir embrase. C’est beau, New York.
— J’oubliais de vous dire, fait Andy, votre chef demande que vous rentriez dès demain ; il a besoin de vous !
Je maugrée. Vous parlez d’une vieille lope, ce Boss ! On se fait démolir le portrait à cinq mille bornes de chez soi pour le prestige de la maison, et il vous laisse même pas le temps d’aller tomber des nanas dans les boîtes de Greenwich Village.
— Mes amis sont-ils en état de voyager ?
— Oui. Leurs blessures sont assez superficielles.
— O.K., Andy. Alors nous prendrons l’avion de demain matin si s’est possible.
— Ça l’est ! Avec le F.B.I. tout est possible !
Ça y est ! Lui aussi est prêt à se faire scalper pour le prestige de sa boîte ! Ah ! les hommes ! Quel troupeau de moutons !