III LE TRIOMPHE DE L’AMOUR

Vers quel coin reculé de France, dans quelle contrée mystérieuse, derrière quels murs le prince Agra avait-il emporté Lily?


Elle sembla sortir d’un songe… Depuis le départ des Volubilis, elle n’avait pas ouvert les yeux… Pressée contre la poitrine d’Agra, il lui semblait qu’elle était emportée, dans un galop de vertige.


Elle finit par s’endormir…


Quand elle s’éveilla, une large baie était ouverte en face d’elle, sur un jardin.


Lily se leva à demi sur son lit de repos, et jeta un anxieux regard autour d’elle.


Elle entendit presque aussitôt une voix qui lui parlait. Lily se retourna.


Un homme était là, et qu’elle n’avait jamais vu.


– Qui êtes-vous, monsieur? lui demanda-t-elle.


– On m’appelle Harrison, mademoiselle, et je suis là pour vous obéir…


– La seule chose que je désire, monsieur, supplia Lily, c’est de voir celui qui m’amena ici…


– Ce que vous avez à lui dire est donc bien pressé?


– Oh! très pressé, monsieur… Je voudrais lui demander qu’il me reconduise immédiatement chez moi.


Lily se cacha le visage dans les mains.


– Ma mère, dit-elle, doit être dans une anxiété folle.


– Votre mère, mademoiselle, ignore à cette heure que vous avez quitté les Volubilis.


– Quoi?… vous savez?…


– Je sais!


– Et comment savez-vous que ma mère ignore ma fuite des Volubilis?


– Parce qu’avant votre départ elle était partie elle-même et qu’elle n’y reviendra point avant quelques jours… Tranquillisez-vous donc, mademoiselle.


Harrison parlait à Lily avec une grande douceur. Il ressentait beaucoup de sympathie pour l’enfant, et certains gestes qu’elle avait, des coins de sourire un peu tristes, des inflexions de la voix remuaient dans son vieux cœur la cendre refroidie du souvenir.


L’enfant lui rappelait la mère… la mère qu’il avait aimée en silence et qui n’en avait jamais rien su, qui n’avait jamais deviné le secret de son âme.


Et, maintenant qu’il se savait si cruellement vengé par la mort de Lawrence – car la nouvelle lui en était arrivée dans la nuit – des maux que cet amour lui avait fait souffrir, il prenait en pitié celle que la cruauté d’Arnoldson avait encore marquée comme une prochaine victime.


Puis il avait étudié, lui aussi, le plan d’Arnoldson et il en avait compris l’économie. Il en avait saisi toutes les embûches et tous les traquenards. Il avait deviné quel otage Lily était entre ses mains et ce qu’il pouvait exiger de la mère en tenant la fille…


Or Harrison, au bois de Misère, s’était maintes fois caché pour voir passer la mère… et, décidément, il ne lui plaisait point d’aider l’Homme de la nuit à posséder celle qui lui apparaissait si belle encore…


Que Lawrence succombât… c’était écrit. Il avait juré d’aider Arnoldson dans l’œuvre de sa vengeance, qui était en partie la sienne aussi… mais il n’avait nullement prêté le serment de faire tomber Adrienne dans les bras de celui qu’il ne considérait plus, à cette heure, que comme son rival…


Et cependant, jusqu’à ce jour, il ne s’était point mis au travers des desseins d’Arnoldson…


Car il savait que c’était une chose terrible de lutter contre cet homme et qu’il y allait de la vie…


Il avait laissé faire les choses…


Il lui dit:


– Le prince Agra va venir, mademoiselle.


La porte s’ouvrit. Agra parut et pria Harrison de les laisser.


Il vint à elle, s’assit près d’elle. Lily ouvrit ses grands yeux clairs, et le prince y lut des choses qu’il n’avait encore lues dans les yeux d’aucune femme.


Maintenant, Agra tendait vers elle des mains qui frémissaient… Puis, il l’attira contre lui, et semblant soudain pressé, il l’entraîna hors de la chambre.


Ils s’en allèrent par les allées du parc et se firent mille promesses.

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