Apprenons à les aimer

Enfants, nous avons tous eu des humains d'appartement que nous faisions jouer dans des cages, qui tournaient sans fin dans des roues, ou bien que nous gardions dans un aquarium au milieu d'un joli décor artificiel.

Pourtant, en dehors de ces humains de compagnie, il en existe qui ne sont pas apprivoisés. Rien à voir avec ceux des égouts ou ceux des greniers qui prolifèrent et nous obligent à utiliser l'huma-nicide.

Depuis quelque temps on sait en effet qu'il existe une planète où vivent des humains à l'état sauvage, et qui ne se doutent même pas de notre présence. On situe ce lieu étrange près du raccourci 33. Là, ils vivent ensemble en totale liberté. Ils ont créé de grands nids, savent utiliser des outils, disposent même d'un système de communication à base de piaillements qui leur est spécifique. Beaucoup de légendes circulent à propos de cette planète mythique où régnent les humains sauvages. On prétend qu'ils possèdent des bombes capables de tout faire exploser ou qu'ils utilisent comme monnaie des bouts de papier. Certains racontent qu'ils se mangent entre eux ou qu'ils fabriquent des villes sous la mer. Pour faire la part des choses entre la réalité et la légende, notre gouvernement envoie depuis 12 008 (au titre du fameux programme intitulé: «Ne les tuons pas sans les comprendre») des explorateurs invisibles à leurs yeux et qui ont pu les étudier. Dans cet article, nous dresserons donc le bilan de ces recherches mal connues.

En voici le plan:


– Les êtres humains sauvages dans leur milieu.

– Leurs mœurs, leur mode de reproduction.

– Comment les élever en appartement.


LES ETRES HUMAINS

SAUVAGES DANS LEUR MILIEU


1. Où les trouve-t-on?

Les êtres humains existent un peu partout dans nos galaxies, mais le seul endroit où ils ont pu connaître un développement autonome est la Terre. Où se trouve cette planète? Il n'est pas rare, lorsqu'on part en vacances, d'essayer d'éviter les grands encombrements cosmiques des périodes de congés. On emprunte alors le raccourci 33, en réalité plus long mais beaucoup plus fluide. Aux alentours de la route 707, en ralentissant un peu, on distingue une galaxie jaunâtre, peu brillante. Garons notre véhicule spatial et approchons-nous.

À gauche de cette galaxie, on remarquera un système solaire assez vieux et défraîchi dans lequel la Terre est la seule planète où l'on trouve encore des traces de vie.

On comprend dès lors que les humains aient pu se développer hors de portée de tout observateur civilisé. En une région aussi reculée de l'espace, personne ne songe en effet à venir les déranger. On raconte que ce système solaire a d'ailleurs été découvert par hasard, par un touriste tombé en panne dans ce coin perdu et qui cherchait de l'aide.

La Terre est recouverte de vapeurs blanches et sa surface plutôt bleutée. Ce phénomène est dû à une très grande abondance d'oxygène, d'hydrogène et de carbone. Une curiosité locale qui a entraîné la pousse de végétaux et le nappage d'océans.


2. Comment les reconnaître?

Prenons une loupe et examinons l'un de ces spécimens sauvages: poils drus sur le sommet du crâne, peau rosé, blanche ou brune, pattes aux nombreux doigts, les humains tiennent en équilibre sur leurs pattes arrière, les fesses légèrement en retrait. Deux petits trous leur permettent de respirer (de l'oxygène essentiellement), deux autres à percevoir les sons, deux autres encore à percevoir les modulations de lumière. (Expérience de Kreg: si on entoure d'un bandeau les yeux d'un humain, il trébuchera.) Les humains ne disposent d'aucun système radar leur permettant d'évoluer dans le noir, ce qui explique que leur activité nocturne soit bien plus faible que leur activité diurne. (Expérience de Brons: plongeons un être humain dans une boîte et refermons le couvercle. Au bout d'un moment, l'humain poussera des piaillements désespérés. Les humains ont peur du noir.)


3. Comment trouver des humains sur la Terre?

Il existe plusieurs moyens de les débusquer.

Tout d'abord suivre les lumières la nuit, les fumées le jour. On peut aussi repérer leurs pistes, ces grandes lignes noires qu'on voit apparaître dès l'atterrissage de notre vaisseau spatial.

Parfois, dans les forêts, on peut trouver des humains campeurs ou des humains paysans ou des humains scouts.

Il existe plusieurs sous-espèces d'humains sur Terre: les aquatiques, aux pieds palmés et noirs; les volants, qui ont une grande aile triangulaire sur le dos; les fumants, qui produisent en permanence de la vapeur par la bouche.


4. Comment les aborder?

Il ne faut surtout pas les effrayer. N'oublions pas que les humains sauvages de la planète Terre NE SAVENT MÊME PAS QUE NOUS EXISTONS! La plupart sont même persuadés qu'au-delà de leur système solaire il n'y a… rien! Ils se croient seuls dans l'univers. Plusieurs de nos touristes ont essayé de leur apparaître pour communiquer avec eux. Chaque fois, l'effet a été radical: ils sont… morts de peur.

Ne nous en offusquons pas.

Pour des animaux aussi isolés, les critères esthétiques sont différents de ceux qui circulent en général dans l'univers, ILS SE TROUVENT BEAUX ET NOUS JUGENT DONC HIDEUX!

Ce qui est d'autant plus paradoxal que nous avons tous vu nos humains de cirque se grimer et tenter d'imiter nos gestes…

Quelques-uns des nôtres ont essayé d'apparaître déguisés. Ils ont certes évité l'effet mort subite mais ont provoqué toutes sortes de quiproquos. Il vaut donc mieux éviter de les aborder directement.

N. B.: Attention néanmoins, en se baladant en forêt, on peut aussi se faire pincer dans ce qu'ils nomment des pièges à ours.


LEURS MŒURS,

LEUR MODE DE REPRODUCTION


1. La parade nuptiale.

Lorsque vient la période des amours, les humains se livrent à leur parade nuptiale. Contrairement au paon, que nous connaissons tous, ce n'est pas le mâle, mais la femelle qui affiche des couleurs fluorescentes et déploie ses atours. Comme les humaines ne sont pas dotées de plumes, ni de crête, ni de jabot gonflant, elles enfîlent des morceaux de tissu bariolés qui attirent l'attention des mâles.

Chose curieuse, les femelles couvrent strictement certaines zones de leur corps et en dévoilent abondamment d'autres. Pour augmenter leur pouvoir attractif, elles enduisent leur bouche de graisse de baleine et garnissent de poudre de charbon leurs paupières. Enfin elles s'aspergent de parfums subtilisés aux glandes sexuelles d'autres animaux terriens, comme le bouquetin des montagnes dont elles extraient le musc. Elles volent même les glandes sexuelles des fleurs pour obtenir des odeurs de patchouli, de lavande ou de rose.

En période de chaleurs, le mâle, pour sa part, émet plein de bruits avec sa bouche, sortes de roucoulements qu'il peut accompagner en tapant sur des peaux tendues - phénomène qu'ils appellent: «musique». Ce comportement assez proche de celui du grillon champêtre ne porte pas toujours ses fruits. Alors, selon le groupe auquel il appartient, le mâle peut se livrer à sa parade en recouvrant de graisse de porc ses cheveux (gomina), ou bien en gonflant son porte-monnaie comme un jabot. Cette dernière forme de parade s'avère la plus efficace.


2. La rencontre.

Les humains mâles et femelles se rencontrent dans des endroits spécialement conçus à cet effet: les «boîtes de nuit», lieux sombres et bruyants. Sombres pour que le mâle ne puisse pas distinguer clairement le physique de la femelle (il ne sent que son odeur de patchouli, de musc ou de rose). Bruyants pour que la femelle ne puisse pas distinguer clairement les propos du mâle. Avec la main, elle tâte simplement son jabot-porte-monnaie plus ou moins gonflé.


3. La reproduction.

Comment se passe la reproduction des humains sauvages? Des observations in vitro ont permis d'en résoudre le mystère. Le mâle s'emboîte dans la femelle grâce à un petit appendice dont la taille correspond exactement à celle du réceptacle chez la femelle. Lorsque l'emboîtement est bien arrimé, ils remuent jusqu'à ce que la semence du mâle soit libérée.


4. La gestation.

Les humains sont vivipares. Ils ne pondent pas d'œufs. Les femelles conservent leurs petits dans leur ventre durant neuf mois.


5. Le nid.

Construit en béton armé, ils le recouvrent de mousses et de fibres tressées pour que les parois soient moins blessantes. Ils accumulent à l'intérieur toutes sortes d'objets cubiques qui produisent du bruit ou de la lumière. Dans leurs nids, les humains s'agitent en entrant puis se stabilisent dans des fauteuils, et là, ils se mettent à gazouiller. Le premier acte du mâle humain rentrant chez lui est d'uriner, probablement pour déposer ses phéromones, celui de la femelle est de manger du chocolat.


6. Les rituels humains.

Sur Terre les humains ont des rituels exotiques. Dès les périodes estivales, ils migrent vers les zones chaudes. Cette migration s'effectue très lentement. Ils s'enferment dans des réceptacles métalliques et restent de longues heures à avancer au pas. (Expérience de Wurms: si on laisse un mâle humain dans une voiture un certain temps, il en ressort le visage couvert de poils.) Autre rituel: tous les soirs, ils allument une boîte qui émet une lumière bleue et passent plusieurs heures à la fixer dans une immobilité totale. Ce comportement curieux est actuellement étudié par nos chercheurs. Il semblerait que, comme les papillons, les humains soient fascinés par cette lumière.

Enfin, le rituel le plus étrange est peut-être celui qui les pousse à s'enfermer tous les jours à plus de mille dans une rame de métro sans oxygène et sans aucune possibilité de se mouvoir.


7. La guerre.

Les humains aiment se tuer entre eux. (Expérience de Glark: mettez soixante humains dans un pot et cessez de les alimenter, ils finissent par s'entretuer avec une férocité déconcertante.) De loin on peut repérer leurs champs de bataille aux détonations et aux crépitements caractéristiques de leurs armes de métal.


8. La communication.

Les humains communiquent essentiellement en faisant vibrer leurs cordes vocales. Ils modulent ainsi des sons en bougeant la langue.


COMMENT LES ELEVER EN APPARTEMENT


1. La cueillette.

Il sera utile de recueillir des spécimens pour les étudier tranquillement à la maison, mais si on les installe dans un pot, ne pas oublier d'aménager des trous dans sa partie supérieure, sinon les petits humains dépériront. N'oublions jamais qu'ils ont besoin d'oxygène.


2. Comment peut-on entretenir un élevage d'humains?

Si on veut que nos humains prolifèrent, il faudra veiller à toujours choisir des couples: un mâle et une femelle. Pour être sûr de disposer d'une femelle, bien prendre garde à ce qu'elle arbore des vêtements bariolés et une longue crinière. Attention: il existe des femelles sans crinière et des mâles avec. Pour en avoir le cœur net, il suffit de plonger l'un de nos tentacules dans le pot. Si le piaillement est aigu, il s'agit d'une femelle.


3. Comment les nourrir?

En général les humains apprécient les fruits, feuilles et racines ainsi que les cadavres de certains animaux. Mais ils sont difficiles. Ils ne man gent pas tous les fruits, feuilles, racines, ni tous les cadavres. Le plus simple est donc de les nourrir avec des pistaches. Un distributeur de pistaches en vente chez n'importe quel humainier fera l'affaire. On peut aussi leur donner quelques miettes de glapnawouet mouillées dont ils se régaleront. Attention, si on oublie de nourrir un groupe d'humains plus de quinze jours, ils finissent par s'en-tredévorer (voir expérience de Glark).


4. L 'humainière.

Le nid artificiel d'humains se nomme humai-nière. On peut en trouver chez un marchand (l'hu-mainier) ou bien le fabriquer soi-même. Mais surtout, on ne le répétera jamais assez, il est indispensable d'aménager des petits trous dans la partie supérieure pour qu'ils puissent respirer. Ne pas oublier de surveiller la température et l'humidité. À quelle température les humains prolifèrent-ils le mieux? À 72 degrés Yokatz, on peut se divertir en les regardant se débarrasser de leurs oripeaux. Ils semblent à l'aise, heureux, et se livrent alors à de nombreuses reproductions.

Attention, si le nombre d'humains devient trop important dans le nid, il faut soit agrandir l'espace, soit séparer les mâles des femelles.

Enfin, il vaut mieux tenir l'humainière hors de portée des autres animaux apprivoisés de la maison. Les Chkronx notamment ont tendance à manger les humains sitôt qu'ils réussissent à percer le couvercle de l'humainière.


5. Peut-on consommer des humains?

Il paraît que certains enfants mangent leurs petits humains. A priori le docteur Kreg, que nous avons interrogé sur la question, pense qu'ils ne sont pas toxiques. Cependant les humains sauvages de la Terre étant très carnivores (ils se délectent de cadavres d'animaux cuits, crus et même faisandés), il importe de se méfier d'une possible contamination par des virus indigènes.


6. Peut-on leur apprendre des tours?

Oui, bien sûr. Mais cela exige de la patience. Certains enfants très doués parviennent à leur faire rapporter des morceaux de bois ou même exécuter des sauts périlleux. Il suffit de leur accorder une récompense à chaque tour réussi. «Les humains sont d'ailleurs parfois si adroits qu'ils nous ressemblent», penseront peut-être certains d'entre vous. Il ne faut quand même pas exagérer…


7. Que faire de l'humainière si on s'en lasse?

Comme avec d'autres jouets, il arrive que l'enfant qui a réclamé une humainière s'en lasse en grandissant. (Quand un enfant dit: «Offre-moi des humains; je te promets, maman, que je m'en occuperai», il faut savoir que cela signifie que l'enfant ne s'en occupera que quatre jours.) Le réflexe le plus simple consiste alors à se débarrasser de ses humains en les jetant dans le lavabo, la poubelle ou les égouts. Dans les trois cas, s'ils n'ont pas péri avant, nos humains apprivoisés capturés sur Terre se retrouvent en contact avec nos humains des égouts. Or les humains de la Terre n'ont aucune défense, ils sont trop «doux» et se font éliminer par les humains des égouts qui courent bien plus vite qu'eux et les pourchassent jusqu'à ce que mort s'ensuive. Il n'est donc pas très correct, vis-à-vis de nos petits compagnons de jeu, de les abandonner ainsi.

En conséquence, nous ne saurions trop conseiller aux enfants qui ne savent plus quoi faire de leur humainière (a fortiori si elle est composée d'humains sauvages de la Terre) de les offrir à des enfants plus pauvres, qui eux prendront sans doute beaucoup de plaisir à en continuer l'élevage.

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