Vonda McIntyre Le serpent du rêve

1

Le petit garçon avait peur. Avec douceur Serpent posa la main sur son front brûlant. Derrière elle trois adultes se tenaient coude à coude, méfiants, s’interdisant de trahir leur inquiétude, sinon par les plis étroits qui cerclaient leurs yeux. Ils craignaient Serpent autant qu’ils redoutaient la mort de leur seul enfant. Dans la pénombre de la tente, l’étrange lueur bleue de la lanterne n’avait rien de rassurant.

L’enfant ouvrait des yeux si sombres que les pupilles n’étaient pas visibles, si ternes que Serpent elle-même craignait pour ses jours. Elle lui caressa les cheveux. Ils étaient longs et très pâles, secs, irréguliers jusqu’à cinq à dix centimètres du cuir chevelu, et leur couleur faisait un contraste frappant avec son teint basané. Si Serpent avait connu les gens quelques mois auparavant, elle aurait déjà pu savoir que l’enfant était malade et que son état s’aggravait.

— Apportez-moi ma sacoche, dit Serpent.

Sa voix douce fit sursauter les parents de l’enfant. Peut-être attendaient-ils le cri perçant d’un geai éclatant, ou le sifflement d’un serpent luisant. Ces paroles étaient les premières que Serpent eût prononcées en leur présence. Elle s’était contentée de les regarder lorsqu’ils étaient venus tous les trois l’observer de loin et avaient échangé des chuchotements sur son métier et sa jeunesse.

Quand ils s’étaient décidés à faire appel à elle, elle les avait écoutés, puis avait acquiescé d’un signe. Peut-être avaient-ils cru qu’elle était muette.

Le plus jeune des hommes, un blond, souleva la sacoche de cuir. Il la tenait écartée de son corps et la tendit à la jeune femme. Il avait la respiration courte, les narines dilatées, ouvertes à la vague odeur de musc flottant dans l’air sec du désert. Le malaise qu’il trahissait, Serpent, à force d’en faire l’expérience, en avait presque pris son parti.

Lorsqu’elle tendit la main, le jeune homme eut un brusque mouvement de recul et la sacoche lui échappa. Serpent se précipita et la rattrapa juste à temps, puis la posa doucement sur le tapis de feutre et lança au jeune homme un coup d’œil de reproche. Ses partenaires s’avancèrent pour apaiser sa peur d’une main amie.

— Il a déjà été mordu et a failli en mourir, dit la belle femme brune.

Elle semblait vouloir le justifier et non l’excuser.

— Je suis désolé, dit l’homme. C’est…

Il fit un geste dans la direction de Serpent. Il tremblait mais, visiblement, s’efforçait de se maîtriser. La jeune femme jeta un coup d’œil sur sa propre épaule, où, inconsciemment, elle avait senti remuer un poids léger. Un minuscule serpent, pas plus gros qu’un doigt de bébé, se coula autour de son cou pour montrer sa tête étroite sous les courtes boucles noires de sa maîtresse. Il explora l’air de sa langue fourchue, sans hâte, la projetant en avant, l’agitant de haut en bas, pour savourer les parfums ambiants.

— Ce n’est que Sève, dit Serpent. Il ne peut pas vous faire de mal.

Il aurait pu faire peur s’il avait été plus grand ; il était de couleur vert pâle, mais les écailles entourant sa gueule étaient rouges, ce qui faisait penser à un mammifère qui vient de déchirer sa proie. En fait, c’était un animal beaucoup plus soigneux.

L’enfant pleurnichait. Il réprima cette manifestation de douleur ; peut-être lui avait-on dit que Serpent, elle aussi, serait choquée par ses larmes. Au contraire, elle plaignait ces gens de se refuser un moyen aussi simple de soulager la peur. Elle se détourna des adultes, regrettant de leur inspirer une telle terreur, mais peu désireuse de perdre un temps précieux à les convaincre de lui faire confiance.

— N’aie pas peur, dit-elle au petit garçon. Sève est tout lisse, tout sec, tout doux, et si je te le laissais pour veiller sur toi, la mort elle-même ne pourrait approcher ton lit.

Sève se nicha dans sa main fine et sale et elle le tendit à l’enfant. « Doucement », dit-elle. Il étendit la main pour toucher les écailles luisantes du bout des doigts. Serpent sentait combien lui coûtait ce simple geste, et pourtant le garçon ébaucha un sourire.

— Comment t’appelles-tu ?

Il se tourna vivement vers ses parents, qui se décidèrent à lui adresser un signe de consentement.

— Stavin, murmura-t-il.

Le souffle lui manquait et il avait à peine la force de parler.

— Je suis Serpent, Stavin, et dans un moment, le matin venu, il faudra que je te fasse mal. Tu sentiras peut-être une vive douleur et tu souffriras plusieurs jours, mais ensuite tu iras beaucoup mieux.

Stavin fixa gravement la jeune femme. Elle vit qu’en dépit de son appréhension il avait moins peur que si elle lui avait menti. La douleur avait dû croître à mesure que s’affirmaient les symptômes de sa maladie, mais il semblait bien que les autres s’étaient contentés de le rassurer et d’espérer ou bien sa guérison, ou bien une mort rapide.

Serpent posa Sève sur l’oreiller de l’enfant et rapprocha son sac. Elle ne pouvait inspirer aux adultes que de la crainte, car ils n’avaient, faute de temps, encore trouvé aucune raison de lui faire vraiment confiance. La femme était assez âgée pour ne plus jamais avoir d’enfant, et Serpent voyait bien, d’après leurs regards, leurs gestes de tendresse furtifs, leur anxiété, qu’elle et ses partenaires avaient pour ce garçon un grand amour. Sinon ils ne se seraient jamais adressés à Serpent dans ce pays.

Paresseusement, Sable sortit de la sacoche, remuant la tête, agitant la langue, humant et goûtant, appréciant la chaleur des corps.

— Est-ce là ?…

La voix de l’homme le plus âgé était basse et empreinte de sagesse, mais terrifiée aussi, et Sable le sentit. Il eut un mouvement de recul et, comme prêt à frapper, fit tinter sourdement ses sonnettes. Serpent promena sa main sur le sol afin de le faire vibrer pour détourner l’attention du reptile, puis leva la main et tendit le bras. Le crotale se relaxa et se lova en spires nombreuses autour de son poignet, comme pour l’orner de bracelets noirs et fauves.

— Non, dit-elle, votre enfant est trop malade pour que Sable puisse l’aider. Je sais que c’est dur pour vous, mais, je vous en prie, essayez de rester calmes. Vous allez être effrayés, mais je n’ai pas le choix.

Elle dut agacer Brume pour la faire sortir. Elle tapota d’abord son sac, puis à deux reprises lui donna un coup de doigt. Serpent sentit vibrer ses écailles tandis que glissait le reptile, puis il s’éjecta soudain dans la tente. C’était un cobra femelle albinos. Brume se mouvait rapidement et, pourtant, son corps paraissait interminable. Elle se cabra. Son souffle jaillit en un sifflement. Sa gueule s’élevait à un bon mètre au-dessus du sol ; elle ouvrait son capuchon en éventail. Derrière elle les adultes avaient le souffle coupé ; on aurait dit qu’ils étaient agressés par la vue du dessin de couleur fauve tracé au dos du capuchon de Brume. Serpent, indifférente à leur réaction, s’adressa au grand cobra de façon à accaparer son attention.

— Calme ta fureur et couche-toi. L’heure de gagner ton dîner est venue. Parle à cet enfant et touche-le. Il s’appelle Stavin.

Lentement, Brume referma son capuchon et se laissa toucher par Serpent. Celle-ci la saisit fermement derrière la tête et la maintint de façon qu’elle regardât Stavin. Les yeux argentés du cobra reflétèrent la lueur bleue de la lampe.

— Stavin, à présent Brume va seulement faire connaissance avec toi. Je te promets qu’elle va cette fois-ci te toucher doucement.

Pourtant Stavin frémit lorsqu’il sentit sur sa poitrine maigre le contact du reptile. Serpent, sans lâcher sa tête, laissait son corps glisser sur celui de l’enfant. Sa longueur faisait quatre fois la taille de Stavin. Brume se lovait en rigides spires blanches sur le ventre gonflé du garçon, s’étirait, tendait la tête vers le visage de l’enfant, retenue par les mains de sa maîtresse et luttant contre cette résistance. Au regard terrifié de l’enfant, Brume opposait la fixité de ses yeux sans paupières. Serpent la laissa approcher Stavin.

Le cobra sortit sa langue d’un coup sec pour goûter à l’enfant.

L’homme le plus jeune étouffa un cri de terreur. Stavin tressaillit et Brume recula, ouvrant la gueule et découvrant ses crochets, expulsant son souffle par la gorge en un bruit perceptible. Serpent s’assit sur les talons, expirant à son tour. Il arrivait qu’en d’autres lieux elle pût travailler en présence de la famille du malade.

— Il faut vous en aller, dit-elle avec douceur. Il est dangereux d’effrayer Brume.

— Je ne veux pas…

— Désolée. Vous devez attendre dehors.

Le jeune homme blond et même la mère de Stavin auraient peut-être élevé des objections irrecevables ou posé des questions auxquelles elle aurait pu répondre, mais l’homme aux cheveux blancs les en détourna ; il leur prit les mains pour les faire sortir.

— Il me faut un petit animal, lui dit Serpent tandis qu’il relevait le rabat de la tente. Il faut qu’il ait une fourrure et qu’il soit vivant.

— On va vous trouver ça, dit-il.

Et les trois parents disparurent dans la nuit aux reflets rougeoyants. Serpent entendait leurs pas sur le sable. Prenant le cobra sur ses genoux, elle l’apaisa. Brume s’enroula autour de sa taille, se réchauffant à ce contact. La faim ne faisait qu’accroître sa nervosité naturelle, et elle avait très faim, tout comme Serpent. Ils avaient trouvé assez d’eau au cours de leur traversée du désert de sable noir, mais aucun gibier ne s’était laissé prendre au piège. C’était l’été, il faisait chaud et nombre des friandises à fourrure dont Sable et Brume faisaient leurs délices étaient en train d’estiver. Pour Serpent comme pour ses reptiles le départ pour le désert avait marqué le début d’un jeûne.

Elle vit, à son regret, que la peur de Stavin s’accentuait.

— Je suis désolée d’avoir dû renvoyer tes parents, dit-elle. Ils pourront bientôt revenir.

Ses yeux étaient luisants mais il retenait ses larmes.

— Ils m’ont dit de faire ce que vous direz.

— J’aimerais que tu pleures, si possible. Ce n’est pas si terrible.

Stavin sembla ne pas comprendre, et Serpent n’insista pas. Les gens de ce peuple, pensa-t-elle, devaient se durcir contre une terre ingrate par le refus des larmes, du deuil, du rire. Ils s’interdisaient le chagrin et s’accordaient peu de joie, mais ils survivaient.

Brume, en s’apaisant, était devenue morose. Serpent la détacha de sa taille pour la poser sur la paillasse à côté de Stavin. Accompagnant ses mouvements, lui guidant la tête, la jeune femme sentait se tendre en elle les muscles qui frappent.

— Elle te touchera avec sa langue. Cela pourra te chatouiller, mais ça ne fera pas mal. Elle sent avec sa langue comme toi avec ton nez.

— Avec sa langue ?

Serpent acquiesça en souriant, et Brume fit jaillir sa langue pour caresser la joue de Stavin. Ce dernier ne broncha pas ; il observait l’animal, tellement enchanté d’avoir appris quelque chose qu’il en oublia un instant sa douleur. Il resta parfaitement immobile tandis que Brume, de sa longue langue, effleurait ses joues, ses yeux, sa bouche.

— Elle goûte la maladie, dit Serpent.

Brume cessa de lutter contre la main qui l’étreignait, et ramena la tête en arrière. Serpent s’assit sur les talons et libéra le cobra, qui monta en spirales autour de son bras et s’installa sur ses deux épaules.

— Endors-toi, Stavin. Essaie de me faire confiance, et n’aie pas peur du matin.

Stavin fixa la jeune femme pendant quelques secondes, cherchant à découvrir la vérité dans ses yeux pâles.

— Sève va-t-il veiller sur moi ?

Serpent tressaillit, émue par cette question, ou plutôt par l’acceptation qu’elle recouvrait. Elle écarta les cheveux qui tombaient sur le front de l’enfant et elle sourit, bien qu’elle fût au bord des larmes.

— Bien sur, dit-elle en prenant Sève dans sa main. Veille sur cet enfant et protège-le bien.

Le serpent du rêve nichait calmement dans sa paume et ses yeux noirs étincelaient. Elle le posa doucement sur l’oreiller de Stavin.

— Dors, mon enfant.

Stavin ferma les yeux, et il sembla se vider de toute vie. Ce fut un changement si brusque que Serpent posa la main sur lui : il respirait lentement, faiblement. Elle le borda d’une couverture et se leva. Ce mouvement subit lui donna le vertige ; elle chancela, retrouva l’équilibre. Sur ses épaules, Brume se crispa.

Serpent sentait ses yeux lui piquer ; la fièvre aiguisait l’acuité de sa vision. Elle crut entendre un bruit se précipiter sur elle. Se raidissant contre la faim et l’épuisement, elle se baissa lentement pour ramasser sa sacoche de cuir. Brume passa le bout de sa langue sur sa joue.

Ecartant le rabat de la tente, elle fut soulagée de voir qu’il faisait encore nuit. Elle supportait la chaleur du jour, mais l’éclat du soleil la taraudait, la brûlait. La lune devait être pleine ; les nuages avaient beau tout obscurcir, la clarté lunaire qu’ils diffusaient peignait le ciel en gris d’est en ouest. Derrière les tentes, des groupes d’ombres informes se dressaient sur le sol. Là, près des limites du désert, il y avait assez d’eau pour faire pousser des bosquets de buissons et pour abriter et nourrir toutes sortes d’animaux. Le sable noir, aveuglant de jour, avait, la nuit, l’aspect d’une couche de suie onctueuse. Serpent sortit de la tente, et cette illusion d’onctuosité disparut ; ses bottes crissaient sur un sable aux grains durs et rugueux.

La famille de Stavin attendait, assise, formant un groupe compact entre les tentes sombres réunies sur un coin de sable d’où les broussailles avaient été arrachées et brûlées. Tous la regardaient en silence avec des visages inexpressifs hormis l’espoir qui se lisait dans leurs yeux. Une femme un peu plus jeune que la mère de Stavin était là. Comme les autres elle portait l’ample et long vêtement du désert, mais rehaussé du seul ornement que Serpent eût vu ces gens porter : un disque de commandement suspendu à son cou par une lanière de cuir. Certains traits indiquaient qu’elle était très proche du père aîné de Stavin : visage taillé à la serpe, pommettes hautes, cheveux blancs chez l’homme, naguère noirs d’ébène mais grisonnant prématurément chez la femme, yeux de ce brun foncé qui assure sous un tel soleil la meilleure chance de survie. Sur le sol, à leurs pieds, un petit animal noir se débattait par saccades dans le filet qui l’emprisonnait, poussant de temps à autre un faible cri aigu.

— Stavin dort, dit Serpent. Ne le dérangez pas, mais allez le voir s’il se réveille.

La mère de Stavin et son plus jeune partenaire entrèrent dans leur tente, mais l’aîné des hommes s’adressa à la jeune femme.

— Pouvez-vous faire quelque chose pour lui ?

— Je l’espère. La tumeur est mûre, mais encore très dure, dit Serpent d’une voix qui lui paraissait venir de loin et sonner un peu faux, comme si elle mentait. Brume sera prête au matin.

Elle eût voulu rassurer cet homme, mais ne trouvait rien à ajouter.

— Ma sœur voulait vous parler, dit-il, et il s’éclipsa sans la lui avoir présentée et sans se faire valoir lui-même en précisant que cette grande femme était chef de leur groupe.

Serpent jeta un coup d’œil derrière elle, mais le rabat de la tente était retombé. Elle sentait croître son épuisement, et pour la première fois Brume lui paraissait lourde sur les épaules.

— Vous ne vous sentez pas mal ?

Serpent se retourna. La femme s’avançait vers elle avec une élégance naturelle à peine alourdie par sa grossesse avancée. Serpent dut lever la tête pour répondre à son regard. Les coins de ses yeux et de sa bouche se plissaient en fines rides suggérant qu’il lui arrivait parfois de rire en secret. Elle souriait mais sans pouvoir cacher son anxiété.

— Vous semblez très fatiguée. Voulez-vous que je vous fasse préparer un lit ?

— Pas maintenant. Pas encore. J’attendrai pour dormir que tout soit fini.

Le chef de clan étudiait Serpent, et celle-ci se sentait proche d’elle en raison de la responsabilité qu’elles partageaient.

— Je comprends, du moins je le pense. Avez-vous besoin de quelque chose, d’une aide quelconque dans vos préparatifs ?

Serpent se surprit à voir en ces questions banales des problèmes complexes, les tournant et les retournant dans son esprit fatigué, les disséquant, comprenant enfin leur signification.

— Mon poney a besoin d’eau et de nourriture.

— On s’occupe de lui.

— Et j’ai besoin de quelqu’un pour m’aider à tenir Brume. Quelqu’un de fort. Mais le plus important est de ne pas avoir peur.

— Je vous aiderais bien, dit la femme en ébauchant un nouveau sourire, mais je suis un peu maladroite depuis quelque temps. Je vais vous trouver quelqu’un.

— Merci.

Reprenant son air grave, la grande femme inclina la tête et se dirigea lentement vers un groupe de petites tentes. Serpent l’observa, admirant sa grâce. En comparaison, elle se sentait petite, et jeune, et sale.

Le corps tendu pour la chasse, Sable décrivait des cercles pour quitter le poignet de Serpent. Il allait sauter à terre mais elle le rattrapa à temps. Sur les mains de sa maîtresse il dressa la partie supérieure de son corps. Il projeta la langue en avant, dévorant du regard le petit animal, évaluant la chaleur de son corps, goûtant à sa peur.

— Je sais que tu as faim, dit Serpent, mais cet animal n’est pas pour toi. Elle remit Sable dans la sacoche, retira Brume de ses épaules, et le cobra put se lover dans son logement obscur.

Le petit animal se remit à crier et se débattre en voyant passer au-dessus de lui l’ombre diffuse de Serpent. Elle se baissa pour l’attraper. Il réagit d’abord par des cris de terreur répétés, puis ces cris s’espacèrent, s’affaiblirent et, finalement, cessèrent lorsqu’elle le caressa. Il était immobile, haletant, épuisé, levant la tête pour fixer Serpent de ses yeux jaunes. Il avait les pattes postérieures longues, les oreilles larges et pointues : ses narines palpitaient à l’odeur du serpent. Sa douce fourrure noire était quadrillée par les losanges qu’y avaient imprimés les mailles du filet.

— Je regrette de t’ôter la vie, lui dit Serpent. Mais tu cesseras de connaître la peur et je ne te ferai pas souffrir.

Avec douceur, elle enveloppa l’animal dans sa main, le caressa, saisit fermement son épine dorsale à la base du crâne. Une seule traction rapide fut suffisante ; la petite victime sembla se débattre un instant, mais elle était déjà morte en dépit de ses convulsions ; ses pattes se replièrent contre son corps et ses orteils se recourbèrent en frémissant. Elle semblait fixer encore Serpent. La jeune femme la sortit de son filet.

Ayant fait choix d’une des fioles que renfermait un sac fixé à sa ceinture, elle ouvrit les mâchoires serrées de l’animal et lui versa dans la bouche une seule goutte de la préparation d’aspect trouble contenue dans le flacon. Elle ouvrit rapidement le sac de cuir et appela Brume. Le cobra vint à elle lentement, son capuchon fermé, glissant sur le sable aux grains rugueux. Ses écailles laiteuses reflétaient la faible clarté lunaire. Brume sentit l’animal, se dirigea vers lui d’un mouvement coulé, le toucha de sa langue. Serpent craignit un instant qu’elle ne refusât ce cadavre, mais il était encore chaud et agité de contractions ; et puis Brume avait faim.

— Un morceau de choix pour toi. Pour aiguiser ton appétit.

La jeune femme avait pris l’habitude de parler à Brume pour tromper sa solitude. Le cobra renifla l’animal, se dressa en reculant et frappa ; enfonçant ses petits crochets dans la proie minuscule et la mordant une seconde fois, elle y injecta son stock de poison. Puis elle la lâcha, s’assura sur elle une meilleure prise et se mit en devoir de la faire entrer dans ses mâchoires. C’est à peine si son gosier s’en trouverait distendu. Lorsque Brume reposa, digérant ce repas léger, Serpent resta assise à ses côtés. Il lui fallait attendre, sans lâcher le cobra.

Elle entendit des pas sur le sable.

— On m’a chargé de vous aider.

C’était un homme jeune en dépit d’une touffe blanche dans sa chevelure noire. Il était plus grand que Serpent, et assez beau garçon, avec des yeux sombres et un visage taillé à la serpe, dont sa coiffure en queue de cheval accentuait la rudesse. Son expression était neutre.

— Avez-vous peur ? demanda Serpent.

— Je ferai ce que vous direz.

Ses formes étaient cachées par sa tunique mais il y avait de la force dans ses longues mains fines.

— Alors, tenez-la bien et ne vous laissez pas surprendre.

Brume commençait à se contracter sous l’effet de la drogue administrée au petit animal. Les yeux du cobra étaient fixes et comme aveugles.

— S’il mord…

— Tenez-la. Vite !

Le jeune homme se précipita, mais il avait hésité trop longtemps. Brume se tortilla et, de sa queue, le frappa au visage. Il recula en chancelant ; la surprise le disputait en lui à la douleur. Serpent étreignit le cobra derrière les mâchoires tout en cherchant à s’emparer du reste de son corps. Brume n’était pas un serpent constricteur, mais elle était lisse, puissante et rapide. S’agitant violemment, elle exhala un long sifflement. Elle aurait mordu tout ce qui pouvait être à sa portée. Tout en luttant avec elle, Serpent réussit à exprimer entièrement le poison de ses glandes ; les dernières gouttes perlèrent un moment sur ses crochets, reflétant la lumière, telles des pierres précieuses, avant d’être rejetées dans les ténèbres par la violence des convulsions du cobra. Dans sa lutte contre elle, Serpent, pour une fois, trouvait un allié dans le sable, qui n’offrait à Brume que de médiocres prises. Elle sentit le jeune homme derrière elle, et il empoigna le corps du serpent et sa queue. La crise cessa brusquement et Brume ne fut plus qu’un corps inerte dans leurs mains.

— Je suis désolé, dit-il.

— Tenez-la bien. Nous avons la nuit à passer.

Lorsque Brume fut prise de nouvelles convulsions, le jeune homme, l’immobilisant d’une main ferme, se montra efficace. Serpent répondit ensuite à la question qu’il n’avait pas achevé de formuler :

— Si elle vous mordait alors qu’elle serait en train d’élaborer du poison, vous auriez de grandes chances d’en mourir. Même maintenant sa morsure vous rendrait malade. Mais si elle réussit à morde quelqu’un ce sera moi, à moins que vous ne fassiez une bêtise.

— Mon cousin serait bien mal loti si vous étiez morte ou mourante.

— Vous ne comprenez pas. Brume ne peut me tuer.

Serpent tendit la main pour lui montrer les cicatrices blanches laissées par les morsures du cobra. Il les regarda puis fixa longuement la jeune femme, et enfin, détourna les yeux.


Le point brillant d’où la lumière rayonnait derrière les nuages se déplaçait vers l’ouest. Ils tenaient le cobra comme un enfant. Serpent faillit s’assoupir mais Brume leva la tête, essayant faiblement de se dégager, et elle se réveilla en sursaut.

— Il ne faut pas que je m’endorme, dit-elle. Parle-moi. Comment t’appelles-tu ?

À l’exemple de Stavin le jeune homme hésita. Il semblait craindre Serpent, ou craindre autre chose.

— Dans ma famille on estime qu’il n’est pas prudent de dire son nom à un étranger.

— Si vous me prenez pour une sorcière, vous n’auriez pas dû faire appel à moi. Je ne possède, ni ne prétends posséder, aucun pouvoir magique.

— Ce n’est pas une superstition. Ce n’est pas ce que vous pensez. Nous n’avons pas peur d’être ensorcelés.

— Faute de pouvoir apprendre les usages de tous les habitants de cette terre, je m’en tiens à ceux que je pratique. J’ai l’habitude d’appeler par leur nom les gens avec qui je travaille.

Serpent s’efforçait de déchiffrer, dans la pénombre, l’expression de son compagnon.

— Nos noms sont connus dans nos familles et de nos partenaires.

Serpent considéra cette habitude ; elle aurait du mal, pensait-elle, à s’y conformer.

— Et de personne d’autre ? Jamais ?

— Eh bien… on pourrait révéler son nom à un ami.

— Ah, dit Serpent, je vois. Je suis encore une étrangère, et peut-être une ennemie.

Un ami véritable connaîtrait mon nom, insista le jeune homme. Je ne voudrais pas vous offenser mais vous ne comprenez pas. Une connaissance n’est pas un ami. Nous nous faisons une haute idée de l’amitié.

— En ce pays ce devrait être vite fait de décider si une personne mérite le nom d’ami.

— L’amitié est rare chez nous. C’est une chose qui nous engage.

— À vous entendre, c’est une chose à redouter.

— Peut-être, dit le jeune homme après un moment de réflexion, est-ce de voir trahir une amitié que nous redoutons ? C’est une chose très pénible.

— Quelqu’un t’a-t-il déjà trahi ?

Il lança à Serpent un regard sévère comme pour lui reprocher d’avoir dépassé les limites de la bienséance.

— Non, dit-il, et sa voix était aussi dure que son visage. Pas d’ami. Je n’ai personne à qui je puisse donner ce nom.

Sa réaction étonna Serpent.

— Comme c’est triste, dit-elle.

Silencieuse, elle médita. Fallait-il qu’il y ait entre ces gens-là des tensions redoutables pour les isoler à ce point les uns des autres. Leur solitude était voulue alors que celle de Serpent lui était imposée.

— Appelle-moi Serpent, dit-elle enfin, si ce mot ne t’écorche pas les lèvres. Le prononcer ne t’engage à rien.

Le jeune homme parut sur le point de parler ; peut-être pensait-il qu’il avait offensé la jeune femme, ou qu’il lui incombait de plaider plus avant pour les usages de son peuple. Mais Brume commença à se tortiller dans leurs mains et il leur fallut la maîtriser pour l’empêcher de se faire du mal. Elle était mince pour sa longueur, mais puissante, et jamais encore elle n’avait eu de convulsions d’une telle violence. Elle faillit s’arracher à la poigne de Serpent par une détente énergique. Elle tenta d’ouvrir son capuchon, mais Serpent la serrait trop. Elle ouvrit la gueule et siffla, mais nul poison ne dégoutta de ses crochets.

Elle enroula sa queue autour de la taille du jeune homme. Il se mit à tirer sur l’animal et à pivoter sur lui-même pour se libérer de ses anneaux.

— Ce n’est pas un serpent constricteur, dit Serpent. Ne crains rien. Laisse-la…

Il était trop tard ; Brume se détendit soudain, et le jeune homme perdit l’équilibre. Brume se libéra vivement et dessina des figures dans le sable. Serpent lutta seule contre elle tandis que le jeune homme essayait de l’empoigner, mais elle se lova autour de sa maîtresse pour exercer sur elle une pesée solide. Elle entreprit de se dégager des mains de Serpent et celle-ci se jeta en arrière dans le sable avec le serpent ; Brume se dressa au-dessus d’elle, la gueule ouverte, sifflant avec fureur. Le jeune homme plongea et l’empoigna juste derrière le capuchon. Brume l’attaqua mais Serpent réussit à la retenir. Unissant ses efforts à ceux de son aide, elle put faire lâcher prise à l’animal et le maitriser. La jeune femme se releva péniblement. Le cobra s’immobilisa soudain, presque rigide entre sa maîtresse et le jeune homme, tous deux couverts de sueur, lui pâle sous son hâle, elle – même elle – agitée d’un tremblement.

— Nous avons un moment pour nous reposer, dit Serpent.

Jetant un regard sur son compagnon, elle remarqua une éraflure sombre là où Brume l’avait frappé de sa queue. Elle tendit la main vers lui et palpa la blessure.

— Tu auras un bleu, mais pas de cicatrice.

— S’il était vrai que les serpents ont un aiguillon vénéneux au bout de la queue comme il est dit dans de vieux contes, je ne serais plus là pour vous aider. Mais en avez-vous vraiment besoin ?

— Cette nuit, j’aurai besoin de quelqu’un pour me tenir éveillée, même si je pouvais me passer d’une aide pour maîtriser Brume. Mais à l’instant, je ne m’en serais pas tirée toute seule.

L’action de l’adrénaline secrétée lors de la lutte contre le cobra commençait à s’effacer ; l’épuisement et la faim sévissaient de plus belle.

— Serpent ?

— Oui ?

Le jeune homme eut un bref sourire gêné.

— Je m’exerçais à prononcer ce nom.

— Pas mal.

— Combien de temps t’a-t-il fallu pour traverser le désert ?

— Pas très longtemps. Trop longtemps. Six jours. Je ne crois pas avoir choisi le meilleur itinéraire.

— Comment vivais-tu ?

— Il y a de l’eau. On voyageait de nuit et on se reposait pendant la journée quand on trouvait de l’ombre.

— Tu transportais toute votre nourriture ?

— Un peu, dit Serpent, haussant les épaules.

Pourquoi, pensait-elle, fallait-il qu’il parle de nourriture ?

— Qu’y a-t-il de l’autre côté ?

— Des montagnes. Des rivières. D’autres gens. Le centre où j’ai été élevée et formée. Et puis un autre désert, et une montagne avec une cité.

— J’aimerais voir une cité. Un jour.

— On m’a dit que la grande cité est fermée aux gens du dehors, aux gens comme toi et moi. Mais il existe beaucoup d’autres villes dans les montagnes et on peut traverser le désert.

Il ne répondit pas. Mais le départ de sa ville natale était un souvenir encore tout frais dans la mémoire de Serpent, et elle imaginait sans peine ce que le jeune homme pouvait éprouver.


Brume fit une nouvelle crise beaucoup plus tôt que prévu. La violence de ses convulsions donnait à Serpent une indication sur le stade actuel de la maladie de Stavin. Si le jour pouvait se lever ! pensait-elle… Si elle devait perdre l’enfant, le plus tôt serait le mieux ; elle aurait du chagrin et elle s’efforcerait d’oublier. Brume serait morte des coups qu’elle se donnait en se cognant sur le sable si elle n’avait été maintenue par Serpent et son aide. Mais elle devint tout à coup complètement rigide, mâchoires serrées, langue pendante.

Elle cessa de respirer.

— Tiens-la, dit Serpent. Tiens-lui la tête. Vite, prends-la, et, si elle se sauve, cours. Prends-la ! Elle ne te mordra pas maintenant, elle ne peut que te frapper sans le vouloir d’un coup de queue.

Il hésita un court instant, puis empoigna Brume derrière la tête. Serpent s’élança, s’enfonçant dans le sable et glissant, vers un endroit où poussaient encore des buissons en dehors du cercle de tentes. Elle cassa quelques branches épineuses, qui écorchèrent ses mains couturées de cicatrices. Du coin de l’œil elle aperçut un tas de vipères à cornes, si hideuses qu’elles en paraissaient contrefaites, nichées sous le massif de végétation desséchée. Indifférente à leurs sifflements agressifs, elle fit choix d’une mince tige creuse et la ramena vers Brume, les mains sanglantes.

S’agenouillant près de la tête du cobra, elle ouvrit sa gueule de force et plongea le tube jusqu’au fond de sa gorge. Puis elle emboucha l’autre extrémité et, penchée sur l’animal, se mit à lui insuffler, avec douceur, de l’air dans les poumons.

Perceptions fugitives : les mains du jeune homme appliqué à maintenir le cobra suivant les instructions reçues ; sa respiration, rauque après un premier hoquet de surprise ; le sable qui éraflait ses propres coudes ; l’odeur écœurante du fluide suintant des crochets de Brume ; une sensation de vertige due, pensait-elle, à cet épuisement qu’il lui fallait à toute force surmonter.

Serpent soufflait, soufflait encore, s’arrêtait et recommençait, et enfin Brume s’accorda à son rythme et continua à respirer d’elle-même.

Serpent s’assit sur les talons.

— Je crois qu’elle est sauvée, dit-elle. Du moins, je l’espère.

Elle passa le dos de la main sur son front. Ce contact déclencha une douleur ; elle abaissa la main vivement et une souffrance atroce s’insinua le long de ses os, montant le long de son bras, pesant sur ses épaules, transperçant sa poitrine, enveloppant son cœur. Elle perdit l’équilibre, tomba, essaya de se rattraper mais d’un mouvement trop lent, lutta contre la nausée et le vertige et faillit les surmonter ; puis l’attraction terrestre sembla s’annihiler et elle se trouva perdue dans les ténèbres sans rien qui lui permît de s’orienter.

Elle sentit du sable sur les éraflures de sa joue et de ses paumes, mais il était doux au toucher.

— Serpent, puis-je la lâcher ?

Elle eut l’illusion que cette question s’adressait à quelqu’un d’autre, et pourtant elle savait qu’elle était seule à pouvoir y répondre, seule à porter ce nom en ce lieu. Elle sentit des mains sur elle, et elles étaient douces ; elle aurait aimé répondre à leur caresse, mais elle était trop fatiguée. Elle avait besoin surtout de sommeil, aussi repoussa-t-elle ce contact. Mais on lui tenait la tête et l’on porta à ses lèvres une gourde de cuir sec et de l’eau coula dans sa gorge. Elle toussa, étouffa, recracha.

Elle se souleva sur un coude. Sa vue s’éclaircissant, elle s’aperçut qu’elle tremblait. Elle se sentait comme la première fois qu’elle avait été mordue par un serpent avant d’être parfaitement immunisée. Le jeune homme était à genoux, penché sur elle, sa gourde à la main. Plus loin Brume rampait vers les ténèbres. Serpent en oublia la douleur lancinante.

— Brume ! cria-t-elle en frappant le sol.

Le jeune homme tressaillit et se retourna, épouvanté ; le serpent se dressa, oscillant au-dessus d’eux, les regardant, furieux, prêt à frapper, le capuchon déployé. Il formait une ligne blanche ondulante sur fond noir. Serpent fit l’effort de se lever ; elle avait l’impression de mouvoir un corps qui lui était étranger et ne lui obéissait qu’avec peine. Elle faillit retomber, mais réussit à conserver l’équilibre, face au cobra dont les yeux étaient à la hauteur des siens.

— Tu ne dois pas aller à la chasse. Pas maintenant, car il y a du travail pour toi.

Elle tendit la main droite de côté en guise de leurre : une cible pour Brume si elle frappait. Sa main endolorie lui pesait. Serpent ne craignait pas d’être mordue, mais redoutait surtout la perte du contenu des vésicules à venin du cobra.

— Ici ! Viens ici, et apaise ta colère.

Puis, voyant du sang lui couler entre les doigts et craignant pour Stavin, elle sentit cette peur s’intensifier.

— M’as-tu déjà mordue, Créature ?

Mais elle n’aurait pas ressenti ce genre de douleur : le venin l’engourdirait, et le sérum frais ne ferait que piquer.

— Non, murmura le jeune homme derrière elle.

Brume frappa. Serpent n’eut qu’à obéir aux réflexes d’un long apprentissage. Sa main droite se retira d’un geste brusque, tandis que sa main gauche se saisissait de Brume alors que l’animal ramenait la tête en arrière. Le cobra se tordit un moment, puis se calma.

— Animal retors ! Tu devrais avoir honte.

Elle laissa Brume ramper sur son bras jusqu’à son épaule, où elle reposa comme le contour d’une cape invisible, sa queue allongée sur le sol telle l’extrémité d’une traîne.

— Elle ne m’a pas mordue ?

— Non, dit le jeune homme, dont la voix était empreinte de terreur. Tu devrais être mourante, te tordre de douleur avec un bras enflé, écarlate. Lorsque tu es revenue du buisson, ajouta-t-il en désignant la main de la jeune femme… Sans doute une vipère des sables.

Serpent se rappela les reptiles enroulés sous les branches et tâta sa main ensanglantée. L’ayant débarrassée de son sang elle vit la double perforation d’une morsure parmi les égratignures dues aux épineux. La blessure était légèrement enflée.

— Il faut nettoyer ça, dit-elle. Je ne suis pas fière de m’être laissé prendre.

La douleur montait par vagues légères le long de son bras, mais dès lors sans la brûler. Elle regardait le jeune homme, elle observait la transformation du paysage, de ses yeux fatigués aux prises avec une aube illusoire, la faible lumière de la lune sur le point de se coucher.

— Tu as bien maîtrisé Brume. Tu as été brave et je t’en remercie.

Il baissa les yeux, ébauchant une révérence. Il se leva et s’approcha de Serpent. Elle mit la main sur le cou de Brume pour la tranquilliser.

— Ce serait un honneur pour moi, dit le jeune homme, si tu m’appelais Arevin.

— Et un plaisir pour moi.

Serpent s’agenouilla et aida Brume à se glisser lentement dans son logement en soutenant les anneaux des blanches spirales qu’elle décrivait. Bientôt, lorsque le cobra se serait stabilisé, à l’aube, ils pourraient retrouver Stavin.

Le bout de la queue de Brume disparut. Serpent ferma la sacoche. Elle voulut se lever, mais ne put tenir debout. Elle n’était pas encore tout à fait débarrassée des effets du venin frais. Les chairs entourant la blessure étaient rouges et sensibles, mais l’hémorragie n’allait pas se développer. Elle restait effondrée, fixant sa main, faisant un effort pénible pour penser : que devait-elle faire maintenant pour elle-même ?

— Permets-moi de t’aider.

Il lui toucha l’épaule et l’aida à se lever.

— Je suis désolée. J’ai tellement besoin de repos.

— Je vais nettoyer ta main. Et ensuite tu pourras dormir. Dis-moi quand je devrai te réveiller.

— Je ne peux pas dormir encore, dit Serpent, se ressaisissant, le corps droit, rejetant en arrière les boucles de cheveux humides de sueur qui cachaient son front. Ça va mieux maintenant. As-tu de l’eau ?

Arevin écarta sa tunique sous laquelle il portait un pagne et une ceinture de cuir munie de plusieurs petits sacs et gourdes de cuir. Il était svelte et bien bâti, avec de longues jambes musclées. Le brun de son corps était à peine plus clair que celui de son visage brûlé par le soleil. Il sortit sa gourde à eau et voulut prendre la main de Serpent.

— Non, Arevin. Si le poison pénétrait dans la moindre égratignure que tu pourrais avoir, cela risquerait de s’infecter.

Elle s’assit et fit couler l’eau tiède sur sa main. Le liquide teinté de rose dégoutta sur le sol et disparut sans laisser de trace, pas même une tache d’humidité. La plaie saigna encore un peu, toujours douloureuse mais non plus lancinante. Le poison était presque inactivé.

— Comment se fait-il que tu t’en tires ainsi ? dit Arevin. Ma sœur cadette a été mordue par une vipère des sables, ajouta-t-il, sans parvenir à prendre un ton aussi dégagé qu’il aurait voulu. Nous n’avons rien pu faire pour la sauver, ni même pour apaiser la souffrance.

Serpent rendit sa gourde à Arevin et, prenant un flacon de pommade dans le sac qu’elle portait à la ceinture, elle en étala sur les petites plaies presque déjà fermées.

— Cela fait partie du métier, dit-elle. Nous utilisons de nombreuses races de serpents, il nous faut donc nous immuniser contre le plus d’espèces possible. C’est fastidieux et assez pénible.

Elle serra le poing ; la couche de pommade tenait, et elle avait la main sûre. Elle se pencha sur Arevin et palpa une seconde fois sa joue écorchée, puis y étala une pellicule de pommade.

— Oui… pour l’aider à se cicatriser.

— Si tu ne peux pas dormir, peux-tu au moins reposer ?

— Oui. Un petit moment.

Serpent s’appuya sur Arevin et ils observèrent le lever du soleil, qui donnait aux nuages des tons d’ambre, d’or et de flamme. Le simple contact physique d’un être humain lui procurait un certain plaisir, mais qui ne pouvait la satisfaire pleinement. En un autre temps, un autre lieu, elle aurait pu faire davantage, mais pas ici, ni maintenant.

Lorsque le bord inférieur de l’éclatante tache rouge du soleil se fut détaché de l’horizon, Serpent se leva et taquina Brume pour la faire sortir de son logement. Elle en émergea lentement, faiblement et en rampant, elle alla se percher sur les épaules de sa maîtresse. Serpent prit sa sacoche et, accompagnée d’Arevin, se dirigea vers le petit groupe de tentes.

Les parents de Stavin les attendaient à l’entrée de leur tente, en un groupe compact, silencieux, sur la défensive. Un instant. Serpent s’imagina qu’ils avaient décidé de la renvoyer. Alors, le chagrin et la peur lui brûlant la bouche comme un fer chaud, elle leur demanda si Stavin était mort. La rassurant d’un signe de tête négatif, ils la firent entrer.

Stavin n’avait pas bougé ; il dormait. Les adultes suivaient la jeune femme du regard, l’œil fixe. Brume fit jaillir sa langue, rendue nerveuse par l’odeur de la peur.

— Je sais que vous voudriez rester, dit Serpent. Je sais que vous voudriez aider, si vous le pouviez, mais je suis seule à pouvoir faire quelque chose. Veuillez donc vous retirer.

Ils échangèrent de brefs regards, entre eux et avec Arevin ; Serpent crut un moment qu’ils allaient refuser. Elle n’aspirait qu’au silence, au sommeil.

— Venez, mes cousins, dit Arevin, nous sommes entre ses mains.

Il ouvrit le rabat de la tente et leur fit signe de sortir. Serpent ne l’en remercia que d’un regard rapide, et il ébaucha l’ombre d’un sourire. Elle s’agenouilla auprès de Stavin, prononça son nom, lui toucha le front, qui était brûlant. Elle remarqua que sa propre main était devenue moins ferme. Cet attouchement réveilla l’enfant.

— Il est temps, dit Serpent.

Il cligna des yeux, sortant de quelque rêve d’enfant, vit la jeune femme, la reconnut peu à peu. Il n’avait pas l’air d’avoir peur, et Serpent en était heureuse ; pourtant elle se sentait mal à l’aise sans pouvoir s’en expliquer la raison.

— Est-ce que ça fera mal ?

— Tu as mal en ce moment ?

Il hésita, détourna les yeux, regarda de nouveau la jeune femme.

— Oui, dit-il.

— Tu vas peut-être avoir encore un peu plus mal. J’espère que non. Es-tu prêt ?

— Sève peut-il rester ?

— Bien sûr.

Elle comprit alors ce qui n’allait pas.

— Je reviens dans un moment.

Sa voix était tellement changée, si tendue, que l’enfant, en dépit qu’elle en eût, fut effrayé. Elle quitta la tente à pas lents, calmement, s’efforçant de se maîtriser. Les parents l’attendaient dehors, et leur expression confirma ses craintes.

— Où est Sève ?

Arevin, qui lui tournait le dos, sursauta au ton de sa voix. L’homme blond poussa un petit gémissement et ne put soutenir le regard de Serpent.

— Nous avions peur, dit l’aîné des partenaires. Nous pensions qu’il allait mordre l’enfant.

— Oui, je le pensais, dit la femme. C’est moi. Il rampait sur son visage. Je voyais ses crochets.

Elle posa les mains sur les épaules de son jeune partenaire et se tut.

— Où est-il ? dit Serpent, se retenant de crier.

Ils apportèrent une petite boîte ouverte. Elle la prit et regarda dedans.

Sève s’y trouvait, presque coupé en deux, ses entrailles sortant de son corps, à moitié retourné ; elle le vit frémir et se tortiller un instant, projeter sa langue et la rentrer.

Serpent faisait entendre un gémissement étouffé. Elle espérait que ce n’était autre chose que des mouvements réflexes, mais elle prit l’animal dans sa main avec toute la douceur dont elle était capable. Elle se pencha et effleura des lèvres les lisses écailles vertes derrière sa tête. Elle le mordit vivement, d’un coup sec, à la base du crâne. Son sang frais et salé lui coula dans la bouche. La mort, si elle n’était déjà survenue, fut instantanée.

Serpent regarda les parents, et Arevin ; ils étaient tous pâles, mais elle n’éprouvait aucune compassion pour eux, pour leur peur et le chagrin qui les unissait.

— Une si petite bête ! dit-elle. Une si petite bête qui ne pouvait que donner du plaisir et du rêve.

Elle les observa encore un moment, puis se tourna vers la tente.

— Attendez, lui dit l’aîné des partenaires, et il vint à elle et lui mit la main sur l’épaule, mais elle se dégagea d’un mouvement impatient. Nous vous donnerons, continua-t-il, tout ce que vous voudrez, mais ne touchez pas à l’enfant.

Se retournant vivement, elle lui lança furieusement :

— Faut-il que Stavin meure par votre stupidité ?

Il parut vouloir tenter de la retenir. Elle lui donna un grand coup d’épaule à l’estomac et se précipita dans la tente. Elle heurta du pied la sacoche. Réveillé en sursaut, Sable, courroucé, sortit et se lova. Quelqu’un essaya d’entrer, et le serpent siffla et fit cliqueter ses sonnettes avec une violence dont sa maîtresse fut la première étonnée. Elle ne daigna même pas regarder derrière elle. Baissant rapidement la tête, elle essuya ses larmes sur sa manche pour les cacher à Stavin. Elle s’agenouilla auprès de lui.

— Qu’y a-t-il ?

Il ne pouvait pas ne pas entendre un bruit de voix et de pas précipités hors de la tente.

— Rien, Stavin. Savais-tu que nous avions traversé le désert ?

— Non, dit l’enfant, émerveillé.

— Il faisait très chaud, et nous n’avions rien à manger, les serpents et moi. Sève est en train de chasser. Il était affamé. Veux-tu lui pardonner si nous commençons sans lui ? Je ne te quitterai pas.

Stavin avait l’air épuisé ; il était déçu mais n’avait pas la force de discuter.

— D’accord.

Sa voix murmurait comme un sable qu’on laisse couler entre ses doigts.

Serpent souleva Brume de ses épaules, et écarta la couverture qui cachait le corps menu de Stavin. La tumeur exerçait sa pression sous la cage thoracique, rendant le malade difforme, comprimant ses organes vitaux, se nourrissant de sa substance même, l’empoisonnant de ses déchets. Maintenant la tête de Brume, Serpent le fit glisser sur le corps de l’enfant, que le cobra palpait et sentait. Il fallut l’empêcher de frapper, énervé qu’il était par l’excitation ambiante. Lorsque Sable agita ses sonnettes, les vibrations firent tressaillir le cobra. Serpent le caressa, l’apaisa, et ses réflexes conditionnés reprirent le dessus sur ses instincts naturels. Il s’immobilisa au moment où sa langue palpait la peau du petit malade à l’endroit de la tumeur ; alors Serpent le lâcha.

Le cobra se dressa et frappa, mordant l’enfant à la manière des cobras, enfonçant ses courts crochets dans les chairs, lâchant prise pour aussitôt s’assurer une meilleure préhension par une nouvelle morsure, mâchonnant sa proie avec acharnement. Stavin poussa un cri mais sans opposer de résistance à Serpent, qui le contenait d’une main ferme.

Brume vida le contenu de ses glandes à venin dans le corps de l’enfant, puis lâcha prise. Elle se dressa, promena son regard autour d’elle, replia sa coiffe et glissa sur le sol, en une parfaite ligne droite, pour regagner son logement obscur.

— C’est fini, Stavin.

— Je vais mourir ?

— Non. Plus maintenant. Pas avant de nombreuses années, j’espère. Ouvre la bouche, dit Serpent après avoir sorti une fiole de poudre du sac suspendu à sa ceinture.

Il s’exécuta, et elle saupoudra sa langue.

— Ceci va soulager ta douleur.

Elle étala un morceau de toile sur les morsures superficielles du cobra sans en essuyer le sang. Puis elle fit le geste de s’en aller.

— Serpent ? Tu t’en vas ?

— Je ne te quitterai pas sans te dire adieu. C’est promis.

L’enfant reposa, les yeux fermés, laissant agir la drogue. Sable était lové sur le sombre tapis de feutre. Serpent tapota le sol pour l’appeler. Il répondit à cet appel et accepta de réintégrer la sacoche. Serpent la ferma, la souleva et elle lui parut toute légère. Elle entendit des bruits. Les parents de Stavin et d’autres personnes appelées à la rescousse écartèrent le rabat de la tente pour y plonger leurs regards et y brandir des bâtons avant même d’avoir vu quoi que ce fût.

Serpent déposa sa sacoche.

— C’est fait, dit-elle.

Ils entrèrent. Arevin les accompagnait ; seul il avait les mains vides.

— Serpent…

Le chagrin semblait le disputer en lui à la pitié, à la confusion, et la jeune femme ne pouvait percer à jour son sentiment. Se retournant et voyant la mère de Stavin juste derrière lui, il la prit par l’épaule.

— Sans elle il serait mort. Quoi qu’il puisse lui arriver à présent, il serait mort.

Elle se dégagea d’un geste impatient.

— Peut-être eût-il vécu. Le mal aurait pu passer. Nous…

Elle ne put en dire davantage, trop occupée à cacher ses larmes.

Serpent sentit qu’on venait à elle, qu’on l’entourait. Arevin fit un pas vers elle et s’arrêta ; elle sentait ce qu’il attendait d’elle : qu’elle se justifiât.

— Quelqu’un peut-il pleurer parmi vous ? dit-elle. Verser des larmes sur moi et mon désespoir, sur eux, ces coupables ou sur les petits êtres et leur douleur ?

Elle sentait ses joues baignées de larmes.

Ils ne la comprirent pas ; ses pleurs les choquaient. Ils se tenaient à distance, la craignant toujours, mais se repliant sur eux-mêmes. Elle n’avait plus à affecter d’être calme comme elle l’avait fait pour tromper l’enfant.

— Ah, pauvres imbéciles, dit-elle d’une voix qui semblait prête à se briser. Stavin…

Un jet de lumière à l’entrée de la tente et un ordre sec : « Laissez-moi passer. » Les personnes présentes s’effacèrent devant leur chef, qui s’arrêta face à la jeune femme, sans prêter attention à sa sacoche, qu’elle touchait presque du pied.

— Stavin vivra-t-il ? dit-elle d’une voix calme et douce.

— Je ne puis l’affirmer, mais je crois qu’il vivra.

— Laissez-nous.

Après les paroles de Serpent, cet ordre était superflu. Ayant jeté autour d’eux un regard circulaire, ils abaissèrent leurs bâtons, et finalement sortirent de la tente un par un. La force qu’on puise dans le danger abandonna Serpent et ses genoux fléchirent brusquement. Elle se courba sur sa sacoche, le visage enfoui dans les mains. Le chef de clan, son aînée, s’agenouilla devant elle avant que la jeune femme pût s’en apercevoir ou l’en empêcher.

— Merci, dit-elle. Merci. Je suis désolée.

Entourant Serpent de ses bras, elle l’attira vers elle. Arevin l’imita et tous deux l’étreignirent. Serpent se remit à trembler, et ils la soutinrent tandis qu’elle pleurait.


Epuisée, elle dort, seule dans la tente avec Stavin, dont elle tient la main. On lui a apporté de petits animaux pour Sable et Brume, de la nourriture et tout le nécessaire, jusqu’à de l’eau en quantité suffisante pour prendre un bain, bien que cela ait dû notablement diminuer leur réserve.

Elle s’éveille. Arevin dort à ses côtés ; il fait chaud et sa tunique ouverte révèle sa poitrine et son ventre luisants de sueur. Le sommeil dépouille sa physionomie de sa sévérité habituelle ; il a l’air épuisé, vulnérable. Serpent pense le réveiller, mais elle se ravise, hoche la tête et se tourne vers Stavin.

Elle tâte sa tumeur : elle a commencé à se résorber, à se ratatiner, vaincue par le venin modifié de Brume. Une joie fugitive perce son chagrin. D’une main douce elle écarte du visage de Stavin ses cheveux pâles.

— Je ne voudrais pas te mentir encore, mon petit, murmure-t-elle, mais je devrai bientôt te quitter. Je ne puis rester ici.

Il lui faut encore trois jours de sommeil pour achever d’annihiler les effets du venin de la vipère des sables. Mais elle dormira ailleurs.

— Stavin ?

Il s’éveille à moitié.

— Je n’ai plus mal.

— J’en suis heureuse.

— Merci.

— Au revoir, Stavin. Te souviendras-tu que tu t’es réveillé, et que j’attendais ce moment pour te dire adieu ?

— Au revoir, dit Stavin, prêt à succomber au sommeil. Au revoir Serpent. Au revoir Sève.

Et il ferme les yeux. La jeune femme ramasse sa sacoche et contemple Arevin un moment. Il ne bouge pas. Ne sachant s’il faut s’en féliciter ou le regretter, elle quitte la tente.

Le crépuscule approche, les ombres s’allongent et deviennent floues. Il fait chaud et le campement est calme. Elle retrouve son poney tigré, chargé d’eau et de vivres. Des gourdes neuves pleines d’eau, bien pansues, attendent par terre à côté de la selle, sur le pommeau de laquelle une tunique est étalée. Pourtant Serpent a refusé tout paiement. Le poney tigré hennit à son approche. Elle le gratte derrière les oreilles, le selle, le charge. Le menant par la bride, elle s’éloigne vers l’est, d’où elle est venue.

— Serpent…

Elle respire profondément, se retourne. Arevin, à contre-jour, est nimbé d’un halo écarlate. Sa chevelure zébrée de blanc lui tombe sur les épaules, adoucissant son visage.

— Tu dois partir ?

— Oui.

— J’espérais que tu ne partirais pas avant que… J’espérais que tu resterais un peu. Il y a d’autres clans, d’autres gens auxquels tu pourrais venir en aide.

— En d’autres circonstances, j’aurais pu rester. Il y a du travail pour une guérisseuse. Mais…

— Ils avaient peur…

— Je leur avais dit que Sève était inoffensif mais ils ont vu ses crochets ; ils ne savaient pas qu’il ne pouvait faire autre chose que donner des rêves ou adoucir la mort.

— Ne peux-tu leur pardonner ?

— Ils se sentent coupables, et je ne pourrais le supporter. Je suis responsable de ce qu’ils ont fait, Arevin. Je ne les ai compris que trop tard.

— Tu l’as dit toi-même, tu ne peux pas connaître les coutumes et les craintes de tous les hommes.

— Je suis mutilée. Privée de Sève, je ne saurais être d’aucun secours à un malade que je ne puis guérir. C’était un serpent du rêve, un animal rare. Il faut que je retourne à mon centre pour dire à mes maîtres que je l’ai perdu ; puissent-ils me pardonner ma stupidité. Il est rare qu’ils donnent à quiconque le nom que je porte, mais ils me l’ont donné, et je vais les décevoir.

— Permets-moi de t’accompagner.

Elle aimerait dire oui ; elle hésite et maudit sa faiblesse.

— Ils vont peut-être prendre Brume et Sable et me chasser ; toi aussi, ils te chasseraient. Reste ici, Arevin.

— Que m’importerait ?

— Tu as tort. Nous finirions par nous haïr. Je ne te connais pas et tu ne me connais pas. Nous aurions besoin de calme et de tranquillité, de temps aussi, pour bien nous connaître.

Arevin s’approche de Serpent et l’entoure de ses bras. Ils s’étreignent un moment. Lorsqu’il relève la tête, des larmes coulent sur ses joues.

— Reviens, dit-il, je t’en prie. Reviens, quoi qu’il advienne.

— J’essaierai. Le printemps prochain, après la saison des tempêtes, attends-moi. Au printemps qui suivra, si je ne suis pas revenue, oublie-moi. Moi aussi, je t’oublierai si je suis encore en vie.

— Je t’attendrai, dit Arevin, refusant de s’engager davantage.

Reprenant la bride de son poney, Serpent s’enfonce dans le désert.

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