III COLLABO

48

Goren Weiss était debout devant Ryan qui clignait des yeux, les traits tordus par l’incompréhension, le regard vitreux. L’Irlandais secoua la tête comme pour repousser un voile.

« Vous tenez le coup ? demanda Weiss.

— Je… je ne… »

Weiss leva une main pour le faire taire. « C’est bon. Ne gaspillez pas votre énergie. »

Carter rejoignit Weiss et parla à voix basse. « Qu’est-ce que vous faites ? Finissons-le et fichons le camp.

— Non, dit Weiss. Un instant. Laissez-moi lui parler. »

Carter considéra tour à tour Weiss et Ryan. « D’accord. Cinq minutes. Après je mets fin à ses souffrances. »

Carter partit s’asseoir sur le rebord de la fenêtre, avec l’air réjoui d’un enfant volontaire qui pense avoir obtenu ce qu’il voulait.

Les paupières de Ryan retombaient comme de lourds rideaux qu’il avait du mal à garder ouverts. « Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il.

Weiss posa une main sur son épaule. « Ce n’est rien, Albert. Je veux juste vous parler. Prenez votre temps. Revenez à vous. Ces messieurs attendront. »

Ryan ferma les yeux. Weiss alla chercher une chaise à l’autre bout de la pièce et revint s’asseoir face à lui, le journal posé sur ses genoux.

« On dirait que nous avons déjà joué cette scène, dit Weiss. Mais ce n’était pas aussi éprouvant la dernière fois, vous ne trouvez pas ?

— Qu’est-ce qui se passe ? répéta Ryan.

— Le capitaine Carter a insisté pour vous interroger selon ses propres méthodes. Je regrette de lui avoir donné champ libre, Albert, mais il fallait que je sache si vous me trahiriez ou non. Je vous prie d’accepter mes excuses.

— Que faites-vous ici ?

— Je veille à ce que les choses n’aillent pas trop loin. J’aurais dû intervenir plus tôt probablement. Mais vous vous êtes très bien comporté, Albert, je suis impressionné.

— Dites-moi ce qui se passe, par pitié. »

Weiss acquiesça. « Bon. Vous comprenez maintenant de quoi il s’agit. C’est une opération financière. Otto Skorzeny a mis un paquet d’argent à gauche et nous voulons toucher une part du gâteau. Pas tout, même pas le plus gros morceau. Juste une bouchée. »

Ryan secoua la tête encore une fois. « Mais vous avez dit… votre mission.

— Ma mission tient toujours, répliqua Weiss. Ceci n’est qu’une petite affaire annexe. Je travaille ici pour mon compte, si vous voulez. Le projet a été initié par le capitaine Carter. C’est lui qui a recruté son équipe, et je l’ai rejoint ensuite. Je contrôle toujours les réseaux d’exfiltration de Skorzeny, et j’ajoute un peu de beurre dans mes épinards. Où est le mal ?

— Mais ces gens… Ils sont morts pour ça ? »

Weiss sourit. « C’étaient de sales nazis, Albert. Ils ne méritaient pas de continuer à marcher et à respirer parmi les êtres humains.

— Catherine Beauchamp. Elle ne méritait pas de mourir. »

Weiss haussa les épaules pour marquer un vague assentiment. « Peut-être pas, mais elle s’est tuée elle-même. Si vous n’aviez pas débarqué chez elle, elle serait toujours en vie. Vous ne pouvez pas me faire porter le poids de cette faute.

— Tout ça. Pour de l’argent.

— Évidemment. Quelle autre raison vous faudrait-il ? »

Ryan ne répondit pas à la question. Il demanda seulement : « Pourquoi m’avez-vous entraîné là-dedans ?

— Je ne vous ai pas entraîné. C’est Charles Haughey qui vous a engagé.

— Mais vous m’avez contacté. Dans le pub… Vous êtes venu me trouver.

— Exact. Quand je me suis aperçu que vous commenciez à remonter la piste, j’ai cherché à prendre la mesure de l’adversaire. Puis j’ai pensé, pourquoi ne pas m’en faire un allié ? Vous avez été mon infiltré. Le meilleur élément qu’on puisse imaginer, Albert, parce qu’il ne le sait même pas. J’ai donc semé des petits cailloux pour vous montrer le chemin. Nous avions déjà tiré le maximum de Célestin Lainé. Vous auriez fini par découvrir qu’il était l’indic et je voulais voir si cela vous conduirait jusqu’à Carter. Je voulais voir si vous présentiez un risque potentiel pour l’opération. Il s’avère que oui et je suis content de vous avoir mis au pas avant que vous ne causiez trop de dégâts. D’autant que vous pourriez encore me servir. »

Weiss se pencha en avant et montra le journal à Ryan. Celui-ci fixa la page, la vue trouble, bouche béante.

Weiss se redressa. « Très bien, je vais vous le lire. » Il prit une inspiration et se lança : « Au Traqueur assidu — c’est nous, au fait. Je n’accepte pas vos conditions. En revanche, je veux bien accorder un tiers du montant à celui d’entre vous qui me prouvera qu’il est le seul survivant. »

Weiss leva les yeux du journal. « Vous comprenez ce que ça signifie ?

— Non, dit Ryan.

— Ça veut dire que le colonel Skorzeny est malin, mais peut-être pas aussi malin qu’il le pense. En d’autres termes, il donnera un demi-million de dollars à celui qui est prêt à trahir les autres, à les tuer et à lui en fournir la preuve. »

Ryan laissa flotter son regard sur chacun des hommes présents dans la pièce.

Weiss lui tapota le genou pour regagner son attention. « Mais bien sûr, je l’avais prévu. Nous nous sommes concertés et nous avons éliminé la possibilité d’une telle trahison. »

Ryan rit. La douleur ravivée dans ses muscles le fit grimacer. « Vous croyez vraiment que vous pouvez faire confiance à ces hommes ?

— La confiance n’a rien à voir là-dedans. C’est une question de logique. Imaginons que je tue tous les autres dans cette pièce et que j’apporte leurs têtes à Skorzeny. Vous croyez qu’il honorera sa promesse ? Ou plutôt qu’il me coupera les couilles et me les enfoncera dans la gorge ? Moi, j’opte pour la deuxième proposition. Non, la stratégie gagnante consiste à rester ensemble. Un groupe uni peut le faire craquer. Tandis qu’un cavalier seul, Skorzeny le détruira. Vous n’êtes pas d’accord avec moi ?

— C’est de la folie. Vous êtes dingues.

— Peut-être. Mais si je n’obéissais qu’à des impératifs purement rationnels, je serais encore en train de gérer la comptabilité de la pharmacie de mon père à Brooklyn au lieu de me battre pour Israël.

— Vous ne vous battez pas pour Israël. Vous essayez de gagner de l’argent.

— Laissons ce désaccord de côté pour l’instant. Nous avons une question plus urgente à régler. »

Ryan attendit.

« Vous ne me demandez pas laquelle ?

— Je m’en moque », dit Ryan.

Weiss inclina le buste en avant. « Cela devrait vous intéresser, pourtant. Car la question est la suivante : qu’allons-nous faire du lieutenant Ryan ? »

49

Ryan savait que Weiss attendait une réponse, une manifestation de peur ou de colère. Il garda le silence.

« Évidemment, reprit Weiss, le plus judicieux, ce serait de vous tuer et de balancer votre cadavre devant la porte de Skorzeny. Pour lui faire comprendre qu’il ne peut pas marchander avec nous. »

Wallace sourit de toutes ses dents. Carter et Gracey restaient impassibles.

« Alors qu’est-ce que vous attendez ? demanda Ryan.

— C’est le plan qui était prévu », dit Weiss.

Carter se détacha de la fenêtre. « C’est toujours le plan. »

Weiss leva une main pour lui intimer le silence. « J’ai des doutes, maintenant.

— Foutaises, dit Carter en rejoignant Weiss. On s’était mis d’accord. Une balle dans la tête, un message dans la poche. Bon sang, on en a discuté pendant deux jours. »

Ryan vit la colère incendier le visage de Carter, le calme tranquille sur celui de Weiss. Lequel de ces deux hommes était le chef ?

« Reprenons la discussion », dit Weiss d’une voix sereine, lisse comme une eau étale.

Carter posa résolument les mains sur ses hanches. « Non. Assez parlé. Vas-y, Wallace. »

Wallace obéit aussitôt et avança vers Ryan, braquant son pistolet sur sa poitrine.

La scène se passa si vite que Ryan n’en crut pas ses yeux. Weiss, qui était assis, les mains et le journal sur les genoux, bondit immédiatement sur ses pieds quand Wallace arriva à sa hauteur. Le regard de Ryan, capté par la chute du journal, ne retint qu’une vague impression de l’agent qui saisissait le bras tendu de Wallace d’une main, le pistolet de l’autre. Quand Ryan leva les yeux, Weiss appliquait le silencieux contre le front du Rhodésien.

Carter recula. Voyant que Gracey préparait son arme, il lui fit signe de s’abstenir.

Weiss parla d’une voix calme et douce, à peine affectée par l’effort. « J’ai dit : reprenons la discussion. »

Wallace battit en retraite. Il ouvrait et fermait les mains en faisant jouer ses articulations.

« Laisse tomber, Wallace », dit Carter.

Wallace montra les dents. « Je vais le tuer, ce sale Juif.

— Arrête. C’est un ordre. »

Wallace serra les poings.

Carter s’approcha et lui posa une main sur l’épaule. « Va faire un tour dehors pour te calmer. Exécution. Gracey, accompagne-le. »

Gracey rangea son arme dans son étui et prit Wallace par le bras. Au moment où ils sortaient de la pièce, Ryan entendit Wallace chuchoter : « Je vais le descendre, ce sale Juif. »

Carter et Weiss se firent face en silence. Puis Weiss sourit et dit : « Ça a failli chauffer, non ? »

Il tendit le pistolet de Wallace à Carter.

Carter vint prendre l’arme, la glissa dans sa ceinture et pointa un doigt sur Weiss en martelant ses paroles. « Ne me discréditez pas devant mes hommes. Plus jamais. Sinon c’est moi qui vous buterai.

— Vos hommes ? » Un grand sourire s’étala sur le visage de Weiss. « Vous n’en êtes pas propriétaire. Vous les avez amenés, mais ils n’ont aucune loyauté envers vous. Ils vous trancheraient la gorge pour un dollar. Ne l’oubliez pas.

— Je commence à en avoir marre de toutes ces palabres. Dites ce que vous avez à dire pour que je puisse lui régler son compte après.

— C’est ça. Écoutez bien et si vous ne voyez toujours pas les choses comme moi, ensuite vous ferez ce que vous voudrez. »

Carter retourna s’asseoir sur le rebord de la fenêtre. « OK. Allez-y. »

Weiss arpenta la pièce tout en parlant. « En résumé. Depuis la disparition de ce pauvre Tommy MacAuliffe, on a un homme en moins. À quoi s’ajoute le fait que notre seul autre infiltré a été retourné. Célestin Lainé s’est empressé de vous donner dès que Ryan l’a abordé. Il ne nous sert plus à rien. Tôt ou tard, il crachera le morceau à Skorzeny.

— Alors, tuons-le, dit Carter.

— C’est votre réponse à tout ? Dans ce cas précis, il se trouve que c’est probablement la meilleure décision. Mais le problème est le suivant : il y a un gros trou dans notre opération maintenant. Et je sais comment le combler. »

Sur le visage altéré de Carter se reflétait l’agitation de son esprit. Puis il durcit les traits. « Non, dit-il.

— Si », répliqua Weiss. Il montra Ryan du doigt. « Cet homme ici présent.

— Non, répéta Carter en secouant la tête.

— Vous ne voyez pas que c’est la solution parfaite ? Il a directement accès à Skorzeny, il peut nous rapporter ses pensées. Surtout, il est en mesure d’influencer Skorzeny, de le pousser là où nous l’attendons.

— C’est de la folie, dit Carter. Il nous trahira.

— Je ne crois pas. Vous ne ferez pas ça, n’est-ce pas, Albert ? »

Ryan n’avait rien à répondre. Il regarda les hommes d’un œil hagard.

« Bien sûr que si. Il obéit aux ordres d’un sale nazi, lui et le politicien. Il est dans leur camp. »

Weiss revint vers Ryan et se pencha en avant, mains sur les genoux. « C’est vrai, Albert ? Vous fricotez avec l’infâme nazi Otto Skorzeny ? Vous êtes un collabo ? »

Le mot fit à Ryan l’effet d’une gifle. « Non, dit-il.

— Mais si, insista Weiss. Un collabo. Comme Élouan Groix ou Hakon Foss. Ou Catherine Beauchamp.

— Fermez-la, dit Ryan d’une voix sifflante. Je ne suis pas dans leur camp. Je ne suis pas un collabo.

— Mais vous obéissez aux ordres de Skorzeny.

— Je reçois mes ordres de la Direction du renseignement. On m’a confié un boulot. »

Weiss se redressa. « C’est drôle, beaucoup de gens ont dit ça après la guerre. “Je n’ai fait que mon boulot.”

— On m’a assigné une mission. Je regrette de l’avoir acceptée, mais je n’avais pas le choix. Je me suis battu contre des hommes comme Skorzeny en Europe et en Afrique du Nord. J’ai tout sacrifié pour ça. Je ne suis pas dans leur camp.

— Vous entendez, capitaine Carter ? Le lieutenant Ryan n’est pas un collabo. C’est un soldat. Comme vous. Comme moi autrefois. Tous les deux, vous auriez pu vous retrouver l’un à côté de l’autre. »

Carter croisa les bras sur sa poitrine. « Et alors ? On lui donne une médaille ?

— Non, une place dans notre équipe.

— Sûrement pas. »

Weiss s’accroupit devant Ryan. « Qu’est-ce que vous en dites, Albert ? Vous voulez récupérer votre honneur en baisant Skorzeny ? Et vous en mettre plein les fouilles par la même occasion, je dois ajouter. »

Carter sauta du rebord de la fenêtre. « Ça va pas, non ? Pas question de partager avec lui. »

Weiss l’ignora royalement. « Alors, Albert ? Il est temps de choisir entre un côté ou l’autre. Vous voulez m’aider à faire plonger Skorzeny ? Vous voulez gagner plus d’argent que vous n’en avez jamais vu de votre vie ? »

Ryan considéra tour à tour les deux hommes. Carter, furieux. Weiss, souriant.

« Qu’est-ce que vous foutez, Weiss ? dit Carter. Mes gars ne seront pas d’accord. »

Weiss posa une main sur le genou de Ryan. Sa voix était plus douce qu’un souffle d’air. « Que décidez-vous, Albert ? Vous êtes avec moi ?

— Oui », répondit Ryan.

50

Lainé dit : « Non, je ne veux pas.

— Pourquoi ? » demanda Skorzeny en s’asseyant derrière son bureau.

Lainé évitait de croiser le regard de l’Autrichien. Il aspira une grosse bouffée de la cigarette que Skorzeny lui avait offerte. « Elle est innocente. Elle n’a rien à voir avec tout ça.

— Celia Hume a accepté la mission. Elle s’est engagée de son plein gré.

— Je m’en fiche. Je ne veux pas.

— Allons, Célestin. Jusqu’à présent, cela ne vous a jamais dérangé d’interroger des femmes. »

Lainé leva les yeux derrière le nuage de fumée. « Maintenant, ça me dérange. Interrogez-la vous-même. Cette affaire ne me concerne plus. »

Skorzeny se renversa en arrière dans son fauteuil, un sourire moqueur aux lèvres. « Je commence à douter de votre loyauté, Célestin. N’ai-je pas été généreux avec vous ?

— Si. Et je vous en suis reconnaissant. Mais je refuse de torturer cette femme pour vous. »

Le visage de Skorzeny s’assombrit. Au moment où il allait parler, la sonnerie stridente du téléphone l’arrêta dans son élan. Il décrocha le combiné. « Oui ? »

Lainé regarda Skorzeny qui écoutait, les yeux en mouvement, bouche entrouverte.

« Très bien, dit-il. J’attends l’appel du ministre demain. »

Il reposa le combiné et tourna vers Lainé son sourire de serpent.

« Il semblerait que nous n’ayons plus besoin de l’aide de miss Hume. C’était la secrétaire de Charles Haughey. Le lieutenant Ryan a refait surface. Il souhaite soumettre son rapport au ministre de la Justice demain après-midi. Ensuite, je l’interrogerai moi-même, en privé. J’aimerais que vous m’assistiez. Avez-vous une objection ? »

Lainé répondit : « Non, aucune. »

51

Un coup frappé à la porte de sa chambre d’hôtel tira Ryan de ses rêves et de leur terrifiante spirale. Il s’éveilla en sursaut et la douleur qui le déchirait tout entier lui arracha un cri. La chambre était plongée dans le noir. Combien de temps avait-il dormi ?

« Albert ? appela-t-elle.

— Celia. »

La porte s’ouvrit. Celia, découpée dans un rai de lumière. Elle scruta l’obscurité et le découvrit.

« Mon Dieu, Albert. »

Elle entra, ferma la porte derrière elle.

« Mettez la chaîne », dit-il.

Il écouta le cliquetis des maillons qu’elle glissait maladroitement dans le rail. Le plafonnier s’alluma. Dans la lumière blanche et crue, il la vit, figée près de la porte, une main sur l’interrupteur.

« Seigneur, Albert, qu’est-ce qui vous est arrivé ? »

Il était couché sur les couvertures, nu, avec seulement une serviette autour des hanches. Des hématomes ressemblant à des cartes de pays étrangers, violets, marron, jaunes, flambaient sur son torse. Du sang avait séché dans les replis de sa peau, sous ses bras, autour de son cou. Les cloques et les lésions causées par les brûlures s’étalaient sur sa poitrine, son abdomen, ses cuisses, son visage, surtout près de son nombril où elles s’agglutinaient en une grappe à vif. Il sentait lui-même l’odeur qui suintait de ses plaies.

Celia s’approcha et s’agenouilla à côté du lit. De grosses larmes tombèrent de ses yeux, tièdes et lourdes sur l’avant-bras de Ryan.

« Oh ! mon Dieu, Albert, qu’est-ce qu’ils vous ont fait ?

— Je m’en remettrai », dit-il.

Elle effleura du bout des doigts son ventre et sa poitrine, contournant les endroits meurtris. « Vous devez voir un médecin. On va prendre un taxi pour aller à l’hôpital.

— Non. » Ryan essaya de s’asseoir, mais réussit à peine à détacher sa tête de l’oreiller. « Pas de médecin. Pas d’hôpital.

— Mais vous avez besoin de…

— Non. » Il l’attrapa par le poignet. « Aidez-moi à me lever. »

Celia glissa un bras sous son dos pour le soutenir pendant qu’il se redressait et posait les pieds par terre, luttant contre la nausée, pris d’un étourdissement.

« Ce sont des brûlures ? demanda-t-elle. Il faut les nettoyer. »

Elle remarqua le pistolet posé sur la table de nuit. Weiss avait rendu le Walther à Ryan avant de le pousser hors de la camionnette. Elle ouvrit le tiroir et fit disparaître l’arme.

Ravalant ses larmes, elle alla au lavabo dans le coin, ferma la bonde, tourna les robinets. Elle revint vers lui, mit son bras sous le sien.

« Venez, dit-elle. Levez-vous. »

Ryan se hissa sur ses jambes, le haut du corps soutenu par Celia. Ensemble, ils gagnèrent péniblement le lavabo. Celia vérifia la température de l’eau, puis ferma les robinets.

Elle mouilla un gant et tira sur la serviette qu’il portait autour de la taille. « Enlevez ça. »

Ryan retint la serviette. Elle tira plus fort. Il résista.

« J’ai trois frères et je suis abonnée au National Geographic, dit-elle en affichant un air faussement sévère. Ce qu’il y a là-dessous ne m’est pas inconnu. »

Ryan la laissa faire. Quand la serviette tomba, elle plaqua une main sur sa bouche, horrifiée. Il couvrit de ses mains la peau brûlée de son scrotum pendant qu’elle sanglotait.

« J’ai envie de les tuer », dit Ryan.

Celia essuya les larmes qui roulaient sur ses joues et essora le gant. « Je sais », répondit-elle seulement.

52

Goren Weiss observait Carter, assis en face de lui. À la lumière tremblotante de la lampe à pétrole, il paraissait plus vieux, le visage creusé. Une bouteille de vodka, à demi vide, était posée entre eux sur la table. Weiss remplit leurs deux verres.

Carter prit le sien, le porta à ses lèvres, but d’un trait et toussa.

Dans la pénombre tout autour, des frémissements et des grattements se faisaient entendre. Un parasite quelconque qui avait trouvé refuge dans la vieille maison délabrée. Gracey et Wallace dormaient dans la pièce du fond.

« Vous vous croyez très malin, dit Carter, la voix brouillée par l’alcool.

— Exact », répliqua Weiss.

C’était vrai. Goren Weiss se savait plus intelligent que tous les gens ou presque qu’il avait croisés dans sa vie. Non pas à la manière d’un élève studieux — il ne s’était jamais présenté à un véritable examen —, mais grâce à une acuité d’esprit qui lui venait de l’instinct et de l’expérience.

Son instinct lui disait que Carter, tout bon soldat qu’il était, ne pouvait mener à terme cette mission par lui-même. Wallace et Gracey, bien que remarquablement entraînés, n’étaient que des fantassins. MacAuliffe avait été le meilleur élément de Carter. Weiss regrettait d’avoir dû lui mettre une balle dans la tête.

Carter ricana. « Pas assez malin pour avoir monté le coup.

— Mais suffisamment pour qu’il réussisse. »

Weiss s’était arrêté deux jours à Berlin-Ouest avant de se rendre à Dublin pour rencontrer Thomas de Groot, le Sud-Africain. Chaque fois, la ville lui plaisait. Il aimait l’idée d’un endroit suspendu, une bulle de décadence occidentale prisonnière d’un communisme puissant et hostile. La barrière qui coupait la ville en deux le fascinait. Sa scandaleuse brutalité. Il marchait le long du mur, grossiers blocs de ciment surmontés de barbelés. Des soldats de la RDA le regardaient passer, avec leurs fusils automatiques en travers du ventre.

Laissant son imagination prendre le pas sur la géographie réelle des lieux, il se représentait sa ville natale juste de l’autre côté de la barrière. Zwickau, où l’on fabriquait maintenant les Trabant bringuebalantes pour les Allemands de l’Est privilégiés qui avaient les moyens de s’offrir une voiture. Le père de Weiss était parti en Amérique dès qu’il avait senti arriver la tempête qui devait balayer tant de ses semblables. Il s’installa à Brooklyn. Benjamin Weiss avait laissé derrière lui deux frères et la tombe de son épouse pour recommencer une nouvelle vie de l’autre côté de l’Atlantique.

À une époque, avant la guerre, alors que Goren Weiss n’était encore qu’un jeune incapable qui aidait son père en remplissant des flacons de pilules et de potions, il avait adhéré aux idées socialistes, assistant même à quelques réunions du Parti communiste à l’université de Brooklyn. Il y allait surtout pour lorgner les filles. Leur sérieux et leur sincérité l’excitaient, quand elles plissaient le front en écoutant les discours et livraient de fines analyses sur le coût que le capitalisme faisait porter aux classes ouvrières américaines.

Un jour, rassemblant tout son courage, il avait proposé une sortie à l’une d’elles. Pour aller manger une glace, dit-il. La fille avait des cheveux blonds attachés en chignon et des boutons sur le menton. Melissa, avait-il cru comprendre. Elle répondit poliment, c’est gentil, mais non merci, puis rejoignit son groupe d’amies. Il resta planté là, serrant un paquet de tracts dans ses mains moites, pendant qu’elles s’éloignaient en gloussant.

Le mot « youpin » fut prononcé et elles éclatèrent de rire en lui jetant des regards par-dessus leurs épaules. Le jeune Weiss déchira les tracts et les balança dans une poubelle. Il cessa d’être communiste.

La première fois qu’il découvrit Berlin, il ne croyait plus en une quelconque supériorité morale de la droite ou de la gauche. Il était parvenu à cette conclusion à mesure que son unité de combat progressait vers l’est, le coup de grâce tombant à quelques kilomètres de la ville de Weimar. Les hommes se turent en approchant de ce que l’on prenait d’abord pour un village barricadé, Buchenwald, apprit-il plus tard, et, malgré le bruit des jeeps, ils entendirent les faibles cris et les gémissements.

Weiss crut un instant qu’il avait perdu la raison. Les silhouettes décharnées surgissant de l’autre côté de la clôture lui apparurent comme des terreurs nocturnes échappées de son esprit, errant dans le monde éveillé. Des hommes, des femmes et des enfants, squelettiques au point qu’on ne pouvait imaginer qu’ils soient encore vivants.

Les soldats pleurèrent, lui et ses camarades, se couvrant la bouche et le nez dans l’irrespirable puanteur. Ils descendirent de leurs véhicules et s’avancèrent parmi les hordes titubantes, les monceaux de cadavres abandonnés par les Allemands dans leur fuite précipitée.

Weiss prit des photos avec son petit Kodak Brownie. Des images d’enfants morts, les yeux tournés vers le ciel, avec des mouches sur les lèvres.

Après la reddition allemande, Weiss apprit que les Soviétiques rivalisaient de cruauté avec l’ennemi nazi. Des barbares, avait dit un membre de son régiment. Des brutes sans nom. Il en vit la preuve lui-même durant les semaines qui suivirent la chute de Berlin, il entendit ce que racontaient les soldats russes qui s’étaient enfuis pour rejoindre les Américains et les civils qui survivaient parmi les ruines de la ville. Des femmes blotties dans des caves et des greniers, redoutant les bandes de Soviétiques ivres qui violaient tout ce qui respirait.

Peu de temps après que les Alliés eurent taillé en pièces le cadavre de l’Allemagne, les Soviétiques reprirent le camp de Buchenwald et en firent sensiblement le même usage que les précédents utilisateurs.

Au bout du compte, à côté de Hitler et de sa folie diabolique, Staline ne se montra guère meilleur. Ainsi Weiss apprit-il que le fascisme et le communisme étaient frère et sœur, chacun né de la même graine empoisonnée. Deux credos qui, couplés au nationalisme, ne pouvaient qu’entraîner des bains de sang.

Ce qui fut le cas en 1948, quand Weiss lutta pour la création de l’État qui était maintenant sa patrie. Pendant un an, de retour à Brooklyn où il aidait son père à la pharmacie, il passa tout son temps libre dans des réunions organisées çà et là dans la ville, avec des jeunes hommes comme lui qui parlaient de la Palestine et de leurs frères combattant sur le terrain. Il repartit bientôt en Europe, transita par l’Italie, traversa la Méditerranée au nez et à la barbe des Anglais et rejoignit les rangs grossissants de la Haganah, puis du Palmah et de sa force d’élite. Il versa des larmes de joie avec ses camarades en écoutant à la radio David Ben Gourion lire la Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, les mots par lesquels son pays devenait réalité. Il se battait pour l’existence d’Israël depuis.

Six mois auparavant, Weiss avait rencontré Thomas de Groot dans un café de Kochstrasse, non loin de Checkpoint Charlie. De Groot était un homme massif, grand et ventru, qui transpirait abondamment. On aurait pu penser qu’aux yeux d’un Sud-Africain habitué à la chaleur aride de son pays, le début de l’hiver à Berlin-Ouest semblerait plutôt frais. C’était l’impression de Weiss, mais de Groot mouillait tout de même sa chemise.

Thomas de Groot ne travaillait pour aucun gouvernement. Du moins, pour aucun gouvernement en particulier. Il n’avait ni allégeances ni ennemis. Il proposait simplement ses services à toute personne offrant de le payer. Des services qui consistaient à fournir des renseignements.

De Groot tendit à Weiss un dossier en carton par-dessus la table. Weiss l’ouvrit, en parcourut le contenu et le referma. À son tour, il fit passer une épaisse enveloppe à de Groot.

« Vous avez été un bon client, dit de Groot.

— C’est vrai. Je suis surpris que cela ne m’ait pas valu une petite remise. »

De Groot sourit, découvrant ses dents courtes et carrées. « Une remise, non. Disons plutôt un cadeau. »

Après avoir observé le Sud-Africain un moment, Weiss dit : « Ah bon ?

— Vous me connaissez. Je préfère éviter les désaccords, les conflits d’intérêts, ce genre de choses. Ça ne profite à personne si on se bouscule les uns les autres sur le même terrain. »

Weiss hocha la tête. « En effet.

— Il s’est passé quelque chose et je crois préférable de vous en informer. Juste au cas où.

— De quoi s’agit-il ? »

Une serveuse entreprit de nettoyer la table voisine. Ils gardèrent le silence jusqu’à ce qu’elle ait terminé.

« Quelqu’un d’autre a posé des questions sur Otto Skorzeny, annonça de Groot.

— Qui ? Quelle agence ? »

De Groot secoua la tête. « Pas une agence. Pas un gouvernement. Personne d’officiel.

— Un indépendant ?

— Un Anglais. Le capitaine John Carter, un ancien du SAS. Il se renseignait sur Skorzeny et ses associés en Irlande. Pas auprès de moi directement, notez bien, mais il s’est adressé à un de mes amis à Amsterdam. Normalement, je ne me serais pas trop inquiété. Après tout, une info est une info, moi j’en récolte à droite à gauche et je les conserve pour éviter à des gens comme vous de devoir chercher.

— Mais ?

— Mais il semblerait que le capitaine Carter ait aussi passé du temps à s’équiper et à recruter.

— Des armes ?

— Du matériel léger. Propre, rien de ce qui séduit les fous furieux. Mon ami a été en mesure de le satisfaire. Il avait aussi besoin de quelqu’un pour compléter son équipe. Un habitué des opérations commandos. Il a laissé entendre qu’il s’agissait d’une mission intéressante et potentiellement lucrative.

— Je vois. Merci d’avoir relayé l’information. Je veillerai à ce qu’on vous crédite d’un petit bonus. »

De Groot sourit et se leva. « Pas trop petit, j’espère. »

Weiss lui serra la main. « Je vais voir ce que je peux faire. »

Il fallut un mois d’enquête pour retrouver Carter, et encore six semaines d’observation avant que Weiss se sente prêt à lancer l’étape suivante : négocier sa propre entrée dans l’opération.

Carter effectuait des allers-retours en avion entre Dublin et Londres, alternant une ou deux semaines dans chaque ville. Il mangeait seul dans un pub de Vauxhall Bridge Road quand Weiss l’avait abordé.

La première conversation s’était mal passée, au point qu’à la fin ils en vinrent aux mains sur une allée en bordure de la Tamise. Jusqu’à ce que, le genou enfoncé entre les omoplates de l’Anglais, Weiss parvienne à le convaincre de voir les choses à sa manière.

Le plan de Carter, grossier et brouillon, prévoyait seulement de débarquer en force à la ferme de Skorzeny pour enlever l’Autrichien et l’amener à donner l’argent. Weiss avait apporté la subtilité, si tant est que le mot puisse s’appliquer, qui consistait à utiliser les Kameraden de Skorzeny comme une déclaration d’intention. Carter et ses hommes étaient d’excellents soldats, Weiss n’en doutait pas, mais de piètres tacticiens. Contrairement à lui.

À présent, assis en face de l’Israélien dans cette maison à l’odeur nauséabonde, Carter le dévisageait avec toute la haine d’un homme qui sait que l’objet de son attention est meilleur que lui.

« Vous n’êtes pas si malin que ça », dit-il en attrapant la bouteille de vodka.

Weiss la lui arracha. « Doucement, mon ami. »

Carter montra les dents et respira profondément. Un sourire mauvais s’étala sur son visage. « Vous savez, Wallace voulait vous tuer aujourd’hui. “Si on butait ce sale Juif ?” il m’a dit. Et j’y ai pensé, figurez-vous. Sérieusement. Vous et ce Mick[8] que vous aimez tant. On aurait pu se débarrasser de vous, vous laisser tous les deux ici dans ce trou paumé. On est capables de finir l’opération nous-mêmes.

— Pourquoi vous ne l’avez pas fait, alors ? »

Weiss but une gorgée de vodka en attendant que Carter concocte sa réponse.

Carter se renversa en arrière sur sa chaise et ouvrit les bras dans un geste magnanime. « Parce que je suis un homme de parole. J’ai accepté de suivre votre idée, imbécile que je suis, donc je m’y tiens. » Il se pencha en avant pour menacer Weiss du doigt. « Mais ne poussez pas le bouchon trop loin. Encore une embrouille comme aujourd’hui et je commencerai à voir les choses comme Wallace.

— Ce serait une erreur, mon ami. » Weiss remplit à nouveau le verre de Carter. « Ce jeune Wallace m’inquiète un peu. »

Carter vida son verre d’un trait. « Arrêtez de m’appeler votre ami. Wallace est un brave gars. Il s’échauffe trop vite, mais c’est un dur à cuire et il obéit aux ordres. Il est loyal.

— Tellement loyal qu’il ne vous donnerait pas à Skorzeny ?

— Foutaises. » Carter reposa brutalement le verre sur la table. « Ce sont de bons soldats. Lui, Gracey… MacAuliffe aussi.

— Plus maintenant. »

Carter eut l’air blessé, et Weiss regretta presque ses paroles. Mais la colère prit le pas sur le visage de l’Anglais qui se leva en repoussant violemment sa chaise contre le mur derrière lui. Il resta debout un moment, le souffle court, les joues embrasées, avant de quitter la pièce en jurant dans sa barbe.

À la lumière jaune doré de la lampe, Goren Weiss sourit.

53

Fitzpatrick suivit Haughey dans la chambre d’hôtel de Ryan.

Le directeur s’arrêta sur le seuil, bouche bée. « Mon Dieu, Ryan, qu’est-ce qui vous est arrivé ? »

Ryan était allongé sur le lit, en maillot de corps et pantalon. Celia se tenait assise à ses côtés, avec un bol d’eau chaude sur la table de chevet et des linges de mousseline pour tamponner ses blessures. Ils avaient longuement discuté, calculant leur effet pour que Ryan apparaisse très diminué.

« Fermez la porte », dit Ryan.

Fitzpatrick obéit.

Haughey fronça les sourcils. « Ceci ne me plaît pas du tout, Ryan. » Il glissa un coup d’œil de biais au directeur. « Quand on me fait venir dans un hôtel, en général, c’est pour me payer à déjeuner, pas pour m’amener au chevet d’un malade.

— Il doit se reposer », dit Celia.

Haughey la dévisagea durement. « Qu’est-ce que vous faites là, vous ? Vous jouez au docteur apparemment, mais à part ça ?

— Celia aussi est concernée par cette affaire.

— Concernée, mon cul. »

Celia se leva. « Monsieur le ministre, si vous vous rappelez, c’est vous qui m’y avez mêlée en m’envoyant Mr. Waugh. »

Fitzpatrick pâlit. « Waugh est impliqué là-dedans ? »

Haughey rassura le directeur d’un geste de la main. « Je lui ai demandé une faveur, c’est tout. » Il se tourna à nouveau vers Ryan. « Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que miss Hume ait besoin d’assister à cette conversation. »

Ryan ne dit rien. Puis il tendit le bras pour toucher délicatement la main de Celia. Elle hocha la tête, gagna la porte et sortit.

« Assez perdu de temps maintenant, reprit Haughey en s’adressant à Ryan. Qu’est-ce que vous avez fabriqué, bon sang ? »

Sans quitter le ministre des yeux, Ryan répondit d’une voix égale : « J’ai localisé les hommes qui s’en sont pris aux associés du colonel Skorzeny. Je les surveillais quand ils m’ont capturé. Ils m’ont torturé pendant deux jours avant de me relâcher avec un message pour le colonel Skorzeny. »

Haughey regarda tour à tour Ryan et Fitzpatrick. « Ils vous ont torturé ?

— Oui, monsieur le ministre. D’abord ils m’ont battu, puis ils ont utilisé une sorte d’aiguillon électrique. »

Fitzpatrick fit la grimace.

« Seigneur tout-puissant, soupira Haughey, accablé.

— Monsieur le ministre, dit Fitzpatrick, je n’aurais pas placé un de mes hommes sous votre commandement si j’avais su qu’il y avait le moindre risque de…

— Qui étaient-ils ? » demanda Haughey.

Fitzpatrick s’interposa. « Monsieur le ministre, je me soucie avant tout de la santé du lieutenant Ryan.

— Qui étaient-ils ? » répéta Haughey.

Ryan répondit : « Trois hommes. Deux Anglais, un Rhodésien. Des militaires. Bien entraînés. Le chef, l’Anglais, avait aux alentours de quarante-cinq ans. C’était un officier. Les deux autres avaient trente et quarante ans. Le Rhodésien était le plus jeune. Ils ne s’appelaient pas par leurs prénoms devant moi.

— Comment les avez-vous trouvés ?

— Catherine Beauchamp m’a dit qu’ils avaient établi leur base du côté du stade de Croke Park. J’ai exploré le quartier pendant deux jours et j’ai fini par les repérer. »

Haughey plissa les yeux. « Je crois que vous mentez.

— En effet. » Ryan affronta le regard de rapace que Haughey posait sur lui. « Mais c’est tout ce que je vous dirai. Monsieur le directeur, monsieur le ministre, j’aimerais qu’une chose soit claire. »

Fitzpatrick dit : « Allez-y. »

Ryan fixa Haughey droit dans les yeux. « J’ai vu le colonel Skorzeny et son associé Célestin Lainé torturer et tuer un ressortissant norvégien qu’ils soupçonnaient d’être un indic. »

À son tour, Haughey ne put soutenir le regard de Ryan.

Celui-ci continua : « J’ai des raisons de croire qu’au cours des prochaines vingt-quatre heures, le colonel Skorzeny tentera de me séquestrer et qu’il me torturera pour savoir tout ce que je ne vous aurai pas dit cet après-midi. »

Haughey s’humecta les lèvres. « C’est une sacrée accusation, lieutenant Ryan.

— Il y a aussi un risque que le colonel Skorzeny soumette miss Hume à ce même traitement afin de me soutirer plus d’informations.

— Alors qu’attendez-vous de moi ? demanda Haughey.

— Je demande la protection du ministère de la Justice et de la Direction du renseignement. S’il arrive quoi que ce soit à miss Hume ou à moi durant les jours à venir, un accident, ou si l’un de nous deux disparaît, votre enquête devra aussitôt se porter sur le colonel Skorzeny. »

Ryan se tut et laissa le silence s’épaissir dans la pièce.

Finalement, Haughey hocha la tête et s’éclaircit la voix. « Très bien. Je dirai au colonel Skorzeny de n’avoir aucun contact direct avec vous. S’il veut vous parler, il passera par moi. Ça vous va ?

— Non, monsieur le ministre. Je veux que vous me garantissiez la protection de vos services et celle de la Direction du renseignement. »

Haughey et Fitzpatrick échangèrent un regard.

« Très bien, dit Haughey. Vous avez ma parole. Si quoi que ce soit vous arrive, à vous ou à miss Hume, le colonel Skorzeny devra en répondre devant moi. Alors, quel message ont renvoyé les gars ?

— Ils ont rejeté l’offre du colonel. »

Fitzpatrick haussa les sourcils. « Quelle offre ?

— Le colonel a proposé, à mots couverts, de payer l’un d’eux s’il trahissait les autres. S’il les tuait et lui en présentait la preuve.

— Est-ce vrai, monsieur le ministre ? » demanda Fitzpatrick.

Haughey rougit. « Une annonce a été passée dans l’Irish Times. J’ai fait part de ma désapprobation au colonel.

— Mon Dieu, vous êtes au courant ? Vous avez laissé Skorzeny passer une annonce qui commandite un meurtre ? »

Haughey se tortilla, mal à l’aise. « Je vous répète que je désapprouvais. J’aurais dû m’y opposer plus fermement.

— Sans blague. Je serais tenté de rapporter l’affaire au Taoiseach. Je suppose que votre beau-père ne manquerait pas de vous faire connaître son opinion sur le sujet. »

Haughey s’approcha de Fitzpatrick, presque à le toucher. « Dites donc, monsieur le directeur. Ne vous imaginez pas que vous pouvez menacer Charlie Haughey. Provoquez-moi encore et vous aurez perdu votre putain de boulot d’ici ce soir. »

Fitzpatrick recula, ajusta sa cravate, lissa la veste de son costume. « Messieurs, je crois que ma contribution à cette discussion s’arrête là. Si vous voulez bien m’excuser, j’ai une foule de dossiers qui m’attendent. »

Il s’avança jusqu’au lit et posa une main sur l’épaule de Ryan.

« Venez me trouver si vous avez besoin de quoi que ce soit, Ryan. N’hésitez pas.

— Merci. »

Fitzpatrick sortit. Haughey regarda la porte se refermer.

« Et maintenant ? demanda-t-il.

— Assurez-vous que Skorzeny leur donne l’argent », dit Ryan.

Haughey soupira, épaules affaissées, comme si son corps se dégonflait. « Je ne sais pas s’il acceptera. Il est foutrement têtu.

— C’est ça ou bien vous les laissez continuer. Ces types ne plaisantent pas. Ils ne renonceront pas. J’ai fait tout ce que je pouvais pour vous, monsieur le ministre, et plus encore. Vous avez vingt-quatre heures pour convaincre Skorzeny. Si vous n’y arrivez pas, je vous remettrai mon rapport final et vous vous débrouillerez tout seul. »

Haughey marcha vers la porte. « Je vais voir ce que je peux faire. Tenez-vous tranquille, Ryan. »

Il hocha la tête en croisant Celia qui revenait. Elle ferma la porte.

Ryan s’assit et posa les pieds par terre. Son corps tout entier protestait contre l’effort. Il s’appuya d’une main sur la table de chevet pour se lever.

Celia vint s’agenouiller à côté du lit, se pencha pour attraper en dessous le magnétophone portable Grundig qu’elle avait acheté le matin avec le reste de la somme allouée à Ryan par le directeur. Elle appuya sur le bouton d’arrêt et la bande cessa de tourner. Un petit micro apparut entre les oreillers, relié au dispositif par un fil dissimulé derrière le cadre.

Elle se releva, alla ouvrir l’armoire et s’accroupit pour attraper un objet à l’intérieur.

« Attention, c’est lourd, dit Ryan.

— Je sais, répondit-elle. C’est moi qui l’ai trimballée depuis le bureau. Je risque d’avoir de gros ennuis si quelqu’un s’aperçoit de sa disparition. »

Le dos droit, pliant les genoux, elle apporta la machine à écrire Olivetti sur le lit.

« Vous savez taper ? demanda Ryan.

— Évidemment. » Elle prit du papier dans l’armoire, s’assit sur le lit, inséra une feuille dans la machine. « Quel jour sommes-nous ? »

54

Skorzeny attendait depuis près d’une demi-heure, assis dans le bureau de Haughey. Il ne salua pas le politicien quand celui-ci entra.

Haughey prit place à son bureau en silence. Skorzeny alluma une autre cigarette et patienta, savourant la chaleur âcre et douce qui se répandait dans sa poitrine.

Au bout d’un moment, Haughey dit : « Quel bordel ! »

Skorzeny ne réagit pas. Il tira une autre bouffée de sa cigarette, exhala un nuage à l’odeur forte qu’il regarda dériver dans l’air de la pièce.

« Un désastre. Voilà dans quoi vous m’avez embarqué. Un putain de désastre.

— Le lieutenant n’apportait pas de bonnes nouvelles ? »

Haughey fusilla l’Autrichien du regard. « Non. »

Il décrivit à Skorzeny la condition physique dans laquelle se trouvait Ryan, la manière dont il avait été fait prisonnier et torturé, l’offre qui était rejetée. Il raconta aussi que le chef de la Direction du renseignement en savait trop à présent.

Lorsqu’il eut terminé, Skorzeny déclara : « La Direction du renseignement, c’est votre souci, monsieur le ministre, pas le mien. Je m’entretiendrai moi-même avec le lieutenant Ryan. Je suis certain que je réussirai à le convaincre de m’en dire plus qu’à vous.

— Il n’en est pas question, répliqua Haughey en le menaçant du doigt. Vous allez le laisser tranquille maintenant, lui et sa belle plante. Je lui ai donné ma parole. Je veux que tout ça s’arrête.

— Soyez patient, monsieur le ministre. Leur cupidité les perdra. Peut-être pas aujourd’hui, ni demain. Mais bientôt. Et le problème disparaîtra. »

Haughey se leva. « Non, mon problème ne disparaîtra pas. Il sera toujours là, assis devant moi, à fumer ses satanées cigarettes. » Il marcha de long en large, mains dans les poches. « De Valera n’aurait jamais dû vous laisser mettre les pieds en Irlande, vous et les autres. Et je vais vous dire, il n’est pas trop tard pour vous foutre dehors. Retournez en Espagne, en Argentine ou je ne sais où, sous la pierre de dessous laquelle vous êtes sortis.

— Que suggérez-vous, monsieur le ministre ? Dois-je céder à une menace d’extorsion ? »

Haughey brandit un doigt dans sa direction. « Un peu que vous devez céder ! Et c’est exactement ce que vous allez faire. »

Skorzeny écrasa sa cigarette. « Je vous demande pardon ?

— Lâchez le pognon. Ryan a raison. Donnez-leur ce qu’ils veulent et qu’on en finisse.

— Monsieur le ministre, vous me croyez homme à capituler devant l’ennemi ?

— Vos conneries de guerrier, ça suffit. On est en paix ici et je ne vous laisserai pas prendre ce pays pour un champ de bataille. Le président des États-Unis arrive dans quelques semaines, je ne veux pas me retrouver avec d’autres cadavres sur les bras à cause de vous et de vos petits copains nazis. »

Skorzeny se leva, dominant le politicien de toute sa hauteur. « Monsieur le ministre, ne me provoquez pas. Vous avez été un ami pour moi, et moi pour vous. Ne devenons pas des ennemis.

— Des ennemis ? » Haughey eut un rire méchant. « Je ne manque pas d’ennemis, colonel. Un de plus ne m’empêchera pas de dormir. Alors, écoutez-moi bien maintenant. Fichez la paix à Ryan, sinon je vous mettrai moi-même à bord du prochain avion pour l’Espagne. »

Skorzeny sourit, boutonna son veston et se dirigea vers la porte.

« Vous avez ma parole, monsieur le ministre. Je vous souhaite une bonne journée. »

Il passa devant la secrétaire de Haughey sans lui prêter attention, retenant un rire chargé de colère. Penser qu’il pourrait céder à un chantage !

Le dernier imbécile qui avait essayé l’avait payé d’une mort cruelle.

Skorzeny, en compagnie du chef de la sécurité personnelle de Franco, s’était rendu dans la chambre d’hôtel où Impelliteri avait trouvé la mort. Sebastian Arroyo avait contemplé les taches de sang sur le tapis en secouant la tête.

« Elle l’a poignardé au ventre, dit Arroyo. Littéralement ouvert en deux. Le propre médecin du Généralissime n’a pas pu le sauver. Señor Impelliteri a eu une mort très douloureuse. »

Skorzeny veilla à ne pas montrer sa joie.

« Un assassinat pur et simple, poursuivit Arroyo. Ils étaient nus tous les deux. Je suppose qu’elle comptait le tuer pendant son sommeil, mais il s’est réveillé et lui a résisté. Nous l’avons rattrapée dans l’escalier. Une fille superbe. Qui l’aurait crue capable d’un geste pareil ?

— A-t-elle dit quelque chose ? demanda Skorzeny.

— Je l’ai abattue avant qu’elle n’ait le temps de parler, répondit Arroyo. C’était lui rendre service, en vérité. Elle aurait terriblement souffert si elle avait été capturée. »

Skorzeny opina. « Exact.

— Il y a une chose bizarre, tout de même. »

Une sueur froide perla dans le dos de Skorzeny. « Quoi donc ?

— J’ai fait fouiller sa chambre d’hôtel. Elle était venue en vacances, apparemment, sa valise contenait vêtements, maillots de bain et tout ce qu’il faut. Au fait, elle voyageait avec un passeport suisse. Ce qui est bizarre, c’est qu’on a trouvé un mot caché parmi ses sous-vêtements au fond de sa valise. »

Inquiet, Skorzeny changea de position. « Un mot ?

— Un petit morceau de papier. Portant votre nom et le téléphone de cet hôtel. Oh, et le numéro de votre chambre aussi. »

Skorzeny garda le silence.

« Je n’aimais pas le señor Impelliteri, dit Arroyo. Je l’ai engagé sur ordre du Généralissime. À croire que mon travail laissait à désirer. »

Arroyo se détourna et partit vers la porte. Il marqua une pause.

« Colonel Skorzeny, il serait sage de votre part de retourner en Irlande et d’y séjourner quelque temps. »

Skorzeny hocha la tête. « Peut-être, oui. »

Un mois plus tard, il offrait un généreux cadeau à Arroyo. Corruption et chantage, après tout, ne relevaient pas de la même pratique.

55

Ryan trouva Weiss assis sur un banc de l’église unitarienne, à l’ouest du parc de St Stephen’s Green. L’Israélien le regarda approcher d’un air inquiet.

« Vous souffrez ? interrogea Weiss.

— Je survivrai », répondit Ryan. Il se glissa sur le banc de bois en s’efforçant de ne pas laisser paraître la douleur sur son visage.

« Est-ce un meilleur endroit que l’église de l’université ? demanda Weiss. C’est une église non confessionnelle, vous savez. Nous sommes tous les deux les bienvenus ici. Vous êtes quoi, vous ? Anglican, baptiste, méthodiste ?

— Presbytérien, dit Ryan. Je ne vais plus à l’église.

— Moi non plus. Nous n’avons donc pas notre place ici non plus. Alors, comment s’est passé le rendez-vous ?

— Je leur ai donné vingt-quatre heures pour convaincre Skorzeny.

— Vous pensez qu’il pliera ? »

Ryan eut une mine dubitative. « Je ne sais pas si son orgueil le permettra.

— Oui, il est têtu et orgueilleux, mais il est aussi intelligent. Il sait que cette guerre-là n’en vaut pas la peine. Croyez-moi. Demain à la même heure, il aura accepté. »

Ryan se tourna vers Weiss. « Vous pourrez contrôler Carter et ses hommes jusque-là ?

— Bien sûr. Ils forment une bonne équipe. »

Weiss leva les yeux pour contempler le vitrail au-dessus de la chaire. Son regard trahissait le doute dissimulé dans ses paroles.

56

Weiss suivit la route à une voie tandis que le ciel uniformément blanc virait au gris sombre. De grosses gouttes de pluie s’écrasèrent sur le pare-brise. Les essuie-glaces, quand il les mit en marche, balayèrent l’eau à la surface du verre.

Il avait quitté Remak à l’aéroport. Quelques jours de congé, avait-il expliqué. Pour se reposer tout en revoyant le rapport qu’il soumettrait à leurs supérieurs à Tel Aviv. La semaine suivante, une fois qu’ils auraient obtenu l’accord d’en haut, ils resserreraient les mailles du filet autour de Skorzeny. Il avait réservé son vol en payant de sa poche. Première classe.

La maison apparut au loin entre les arbres, construction basse et délabrée dont les murs badigeonnés à la chaux étaient devenus gris sale. De maigres lambeaux de peinture verte s’accrochaient à la porte au bois dénudé. Il arrêta la voiture sur le carré de terre battue devant la maison, le long de la camionnette Bedford. Quand le moteur hoqueta et se tut, il entendit les voix.

Des voix dures, pétries de colère.

Il reconnut d’abord les aboiements de Carter, tel un chien de garde flairant la présence d’un intrus. Puis Wallace, railleur, arrogant.

Weiss porta la main à son pistolet et descendit de voiture. Il referma sans bruit la portière. Les voix montaient, plus haut et plus fort.

« Il va nous planter.

— Peut-être ou peut-être pas. Mais c’est moi qui décide et je dis : on attend.

— C’est vous qui décidez ? De quel droit ?

— Je suis votre officier à tous les deux, je n’ai pas besoin qu’on m’en donne le droit.

— Officier ? On n’est pas dans votre fichue armée ici. Vous ne commandez rien du tout, ni moi ni lui.

— Si tu veux être payé, tu as intérêt à faire ce que je te dis.

— Un peu que je veux être payé, mais avec quoi ? Où il est, le pognon ? Hein ? Vous m’avez promis que je toucherai le pactole, mais j’ai pas encore vu un centime. »

Weiss ouvrit la porte et entra. L’air humide tomba sur ses épaules comme un manteau glacé.

Carter et Wallace étaient debout nez à nez au milieu de la pièce. Ils se tournèrent vers Weiss, soudain honteux, comme des enfants surpris en train de commettre une bêtise. Dans le coin, Gracey les observait avec des yeux las.

Weiss sortit de sa poche une liasse de billets maintenus à l’aide d’un trombone. Il en compta cinq, dix, vingt, et les tendit à Wallace.

« Mille dollars, dit-il. Vous voulez être payé ? Tenez, prenez ça comme indemnité de licenciement et fichez le camp. »

Wallace regarda les billets, puis Weiss.

« Prenez-les. » Weiss lui agita les billets sous le nez. « Ou alors fermez-la.

— C’est vous qui vous prenez pour le chef maintenant, hein ?

— Le capitaine Carter et moi commandons cette opération. Si ça ne vous plaît pas, la porte est là. »

Wallace ricana. « Si je voulais l’argent qu’il y a dans vos poches, je vous tuerais et je me servirais. Mais il ne s’agit pas de ça. J’en ai marre de rester assis à rien foutre en attendant qu’il se passe quelque chose. Si on s’en était tenus au plan de départ, on aurait décarré de cette campagne de merde depuis longtemps.

— Si vous vous en étiez tenus à votre plan de départ, vous ne seriez arrivés à rien, sauf peut-être à vous prendre une balle dans la gueule. » Weiss rempocha les billets. « De toute façon, vous n’avez pas le choix. Soit vous êtes avec nous, soit vous dégagez. »

Wallace fit un pas vers lui. « C’est là que vous vous trompez. Je pourrais bien être en train de réfléchir à l’offre de Skorzeny. À force de tourner en rond ici, il ne serait pas impossible que je vous balance tous à… »

Weiss sortit son pistolet de son étui en avançant vers Wallace. Avant que celui-ci n’ait le temps de lever les mains, Weiss le frappa sur la joue. Un coup dont il ressentit la force dans son poignet, suivi d’une décharge qui remonta jusqu’au coude et à l’épaule.

Wallace tournoya sur lui-même, fit deux pas en vacillant et tomba à quatre pattes. Weiss lui envoya la pointe de sa chaussure dans le ventre. Le Rhodésien, tout rouge, se roula en boule par terre et toussa.

« Ça suffit », dit Carter.

Gracey s’était redressé et plongea la main dans la poche de son pantalon. Il en sortit un couteau à cran d’arrêt dont il fit jaillir la lame.

Weiss regarda Carter. « Dites à votre gars de ranger ce couteau. »

Carter parla d’une voix calme et ferme. « Obéis. »

Gracey hésita, puis ferma la lame et remit le couteau dans sa poche. Il garda les bras le long du corps, mains ouvertes et prêtes, solidement campé sur ses deux jambes.

Weiss s’agenouilla près de Wallace. « Écoutez-moi bien, mon ami. Si vous me tenez ce langage encore une seule fois, même pour plaisanter, je vous descends illico. C’est clair ? »

Wallace cracha par terre. « Espèce de sale J… »

Weiss lui appliqua le canon du Glock sur l’œil. Il ne bougea plus.

« C’est clair ?

— Oui. »

Weiss se releva. Wallace partit à quatre pattes et se mit debout, dos au mur, en se frottant l’œil du plat de la main.

« Parfait, dit Weiss. Maintenant, si vous voulez bien arrêter de vous crêper le chignon pendant un jour ou deux, on réussira peut-être à aller au bout de notre affaire. »

Carter fixa Wallace dans les yeux pendant un moment, puis se tourna vers Weiss. « Qu’a dit votre ami Ryan ?

— Il a donné vingt-quatre heures à Skorzeny pour accepter nos conditions, sinon il laisse tomber sa mission.

— Et si Skorzeny n’accepte pas ?

— Alors, on ne sera pas moins avancés qu’avant, n’est-ce pas ? »

Wallace essuya la bave et la morve sur son menton. « On aurait dû se débarrasser de Ryan. Il va nous planter.

— Ryan est plus coriace que vous ne pensez, dit Weiss. Carter lui a fait subir le maximum et il ne m’a pas trahi. Franchement, je me fous que vous ayez confiance en lui ou non. C’est un risque que je suis prêt à courir.

— C’est bien ça le problème, non ? Nous, on risque notre peau. Pas vous. »

Weiss mit les mains dans ses poches. « Celui qui s’expose le plus au danger, pour l’instant, c’est le lieutenant Ryan. »

57

De sa fenêtre, Célestin Lainé regardait le soleil se déplacer dans le ciel et plonger vers la cime des arbres. Il n’était pas sorti de sa chambre depuis plusieurs jours, sauf pour aller chercher à manger pour lui et le chien, ainsi que plusieurs bouteilles de vin.

Le chiot s’ennuyait et ne cessait de gémir. L’odeur de ses excréments qui s’entassaient dans un coin étant devenue insupportable, Lainé avait fini par les ramasser et les jeter par la fenêtre. Il avait subtilisé des serviettes pour éponger l’urine.

La pièce sentait toujours mauvais, mais Lainé avait préféré s’y cantonner plutôt que de risquer un face-à-face avec Skorzeny. Il était sûr que le colonel lirait la trahison sur son visage.

Il ne dormait pas plus d’une heure ou deux chaque nuit. La peur autant que la colère le maintenaient éveillé et tremblant. La peur de Skorzeny, et la colère de savoir que Carter, et maintenant Ryan aussi, l’avaient abandonné.

L’Anglais avait promis de l’argent, plus que Lainé n’en aurait jamais rêvé. Pendant des jours, des semaines, il avait imaginé comment il le dépenserait, la vie qu’il s’offrirait. Une petite maison au bord de la mer où Catherine, peut-être, lui aurait rendu visite. Ils auraient passé des heures à fumer, à boire et à parler en breton pendant que le vent dehors projetterait les embruns contre la fenêtre.

Envolé, tout ça.

Alors il avait avoué ses fautes à Ryan. Il s’attendait que l’Irlandais livre Carter et ses hommes à Skorzeny, mais les jours passaient, et toujours rien. Ses trahisons successives, récompensées par une autre trahison.

Aussi Lainé était-il resté enfermé dans cette piaule qui empestait la merde, se repaissant de sa rage, jusqu’à ce qu’il se résolve à agir en traître une dernière fois.

Il ferma les yeux, prononça une prière pour se donner du courage, puis sortit de la chambre. Il descendit l’escalier et se dirigea vers le bureau de Skorzeny, s’arrêta devant la porte, écouta la voix tranchante du colonel de l’autre côté. Puis il ouvrit sans frapper.

Skorzeny était assis à son bureau, le téléphone contre l’oreille. Il regarda Lainé entrer, refermer la porte derrière lui et prendre place. Il mit fin à sa conversation et raccrocha.

« Célestin. Vous n’avez pas l’air en forme.

— Il faut qu’on parle. », dit Lainé.

Skorzeny hocha la tête. Il lui offrit une cigarette. Lainé l’accepta, incapable de calmer le tremblement de ses mains en approchant la flamme.

« De quoi s’agit-il ? » demanda Skorzeny en allumant sa propre cigarette.

Lainé toussa. Ses yeux se mouillèrent de larmes. « J’ai quelque chose à vous dire.

— Oh ?

— Mais d’abord, vous devez prêter serment. »

Des étincelles pétillèrent dans le regard de Skorzeny. « Dites-moi lequel et on verra après. »

Lainé voulut secouer sa cendre dans le cendrier, mais sa main tremblait tellement qu’il la fit tomber par terre.

« Vous devez promettre de me laisser en vie. »

Skorzeny lâcha un rire qui ressemblait à un bref rugissement. « Comment puis-je promettre une chose pareille ?

— C’est ça ou je me tais.

— Célestin, vous ne pourrez rien me cacher. Vous savez que je vous torturerai s’il le faut. »

De sa main libre, Lainé sortit de sa poche le couteau qu’il avait pris la veille dans la cuisine et l’approcha de sa gorge. Il sentit le froid de la lame, puis la brûlure quand il entailla la peau.

« Promettez-moi, dit-il, en soutenant le regard de Skorzeny. Faites le serment que vous me laisserez en vie, que vous ne permettrez à personne d’autre de me tuer, sinon vous ne saurez jamais ce que j’avais à vous dire. »

Les yeux de Skorzeny ne riaient plus. « Célestin, vous saignez. Rangez ce couteau.

— Promettez, sinon vous ne saurez jamais. »

La colère prit possession du visage de Skorzeny, puis il retrouva son sang-froid. Il acquiesça avec raideur. « Comme vous voudrez. Je vous donne ma parole que vous ne serez pas tué par moi ni par personne d’autre. »

Lainé écarta la lame de sa gorge. Sous le col de sa chemise, il sentit un filet tiède couler sur sa poitrine.

Il avoua.

Il raconta tout à Skorzeny. La colère sourde qui hantait ses jours en Irlande, la haine de sa vie condamnée à la pauvreté, la jalousie qui l’étreignait quand il voyait le luxe dont jouissaient des hommes comme Skorzeny. Puis il évoqua l’Anglais qui était venu le trouver en lui faisant miroiter une richesse inimaginable, les choses que l’homme voulait savoir, la camionnette dans laquelle on l’avait emmené, les secrets qu’il avait livrés.

Il parla d’Élouan Groix et de Catherine Beauchamp, confiant que leurs morts le tourmentaient sans répit.

Enfin, Lainé raconta comment Albert Ryan l’avait coincé sur le palier de l’étage. L’Irlandais avait appris que Lainé était le traître recherché, il savait qui étaient les assassins des Kameraden de Skorzeny et il avait gardé l’information pour lui.

Quand Lainé eut fini, Skorzeny resta assis en silence. Il avait terminé sa cigarette et en avait commencé une autre, qui, à présent oubliée, se consumait entre ses doigts.

Enfin, Skorzeny écrasa la cigarette, se leva et dit : « Merci, Célestin. »

Il s’approcha de Lainé. Puis, s’immobilisant, il prit le lourd cendrier en cristal sur le bureau. Lainé ouvrit la bouche pour parler, mais reçut le cendrier en pleine mâchoire.

Sa conscience clignota comme une ampoule électrique défectueuse tandis que le sol se précipitait à sa rencontre. Son esprit qui partait à la dérive identifia les petits objets durs qu’il sentait sur sa langue. Des morceaux de dents. Il les cracha, vit l’émail jauni et terne surnageant au milieu du sang.

Skorzeny, la voix brouillée par la colère, s’accroupit près de lui et dit : « Je tiendrai ma promesse. Vous vivrez. Mais quand cette affaire sera réglée, vous partirez et ne reviendrez jamais ici. Vous n’aurez plus de contact avec moi ni avec aucun de ceux qui se prétendent mes amis. C’est compris ? »

Lainé cracha du sang et fit oui de la tête.

Skorzeny se redressa. « Laissez-moi, maintenant. Je dois passer des coups de fil. »

Ayant regagné sa chambre, Lainé s’allongea sur le lit. Il tournait sa langue dans sa bouche pour explorer ce qui restait de ses dents cassées. Le chiot se blottit contre son flanc et lui lécha les doigts en gémissant pour témoigner sa compassion.

58

Ils travaillèrent longtemps après la tombée de la nuit, écoutant et transcrivant la bande. Ryan dictait, Celia tapait. À présent, ils étaient allongés sur le lit, tout habillés, mais sans leurs chaussures.

« Charlie Haughey ne vous pardonnera jamais », dit Celia. Son souffle était tiède sur le cou de Ryan.

« Je m’en moque, dit Ryan.

— Moi non plus, il ne me pardonnera jamais. Je vais perdre mon boulot.

— Pas si on réussit notre coup. »

Elle pressa les lèvres contre son oreille. Il tourna la tête, l’embrassa. Elle effleura du bout des doigts la barbe naissante sur sa joue.

« Si on échoue, Skorzeny nous tuera tous les deux. »


Le lendemain matin, Ryan quitta la ville par le nord. Le paquet était posé à côté de lui sur le siège du passager. Il avait embrassé Celia en lui disant au revoir à la gare d’Amiens Street Station. Elle tenait un paquet similaire sous le bras. Ils étaient convenus que Celia resterait chez ses parents jusqu’à ce que tout soit terminé. À la pension, où ils étaient passés pour qu’elle prenne ses affaires, Mrs. Highland fronça les sourcils et déclara que Celia ne serait plus la bienvenue dans sa maison.

Celia sourit et répondit : « Parfait. De toute façon, Albert et moi avons décidé de vivre dans le péché. »

En sortant, Celia attira Mrs. Highland vers elle pour se pencher à son oreille. « C’est un amant extraordinaire », chuchota-t-elle.

Mrs. Highland s’étrangla et Celia éclata d’un rire mutin. Elle rit tout le long du chemin jusqu’à la gare.

Le monde passa du gris au vert pendant que Ryan s’éloignait de Dublin et laissait derrière lui, en même temps que la ville, les épreuves de ces derniers jours. Son visage recevait le vent qui entrait par la vitre explosée. Chaque fois que la voiture franchissait une crête, comme en apesanteur avant de redescendre de l’autre côté, son esprit aussi demeurait suspendu.

Il savait que c’était une illusion, un recul temporaire de la peur pendant qu’il transformait en actes la décision qu’il avait prise. La pression et l’angoisse reviendraient bien assez vite. Pour l’instant, il s’abandonnait avec bonheur à cette légèreté de l’être que lui procuraient les souples ondulations de la route.


Ryan se gara derrière la camionnette de livraison de son père dans la petite allée. Découvrant le portail fermé à clé, il fit le tour afin d’entrer dans l’épicerie côté rue. Il lui semblait étrange d’arriver en plein jour, lui qui depuis tant d’années attendait l’aube ou le crépuscule pour aller et venir sans être vu.

La sonnette tinta quand il ouvrit la porte. L’endroit paraissait plus petit que durant son enfance, comme si les murs s’étaient resserrés. Visiblement, l’épisode avec Mahon avait porté ses fruits. Étagères bien garnies, pain en abondance, bouteilles de lait dans le gros réfrigérateur.

Mais personne derrière le comptoir.

Ryan resta immobile, debout dans le silence, puis lança : « Il y a quelqu’un ? »

Il tendit l’oreille.

Rien. Il s’avança vers le fond de l’épicerie, où la chaude lumière s’engloutissait dans la pénombre. Le bruit du réfrigérateur qui se remettait soudain en route le fit sursauter. Les bouteilles de lait s’entrechoquaient à l’intérieur. Il en prit une, ôta le capuchon en papier d’aluminium, but une longue gorgée, sentit la fraîcheur lui couler dans la gorge jusqu’à l’estomac.

« Hou ! hou ! Papa ? Maman ? »

Il se croyait redevenu un gamin qui revenait de l’école. Un jour, âgé de douze ou treize ans, alors qu’il rentrait de son collège à Monaghan, il avait trouvé l’épicerie déserte comme à présent. Il était passé derrière le comptoir, et, écartant le rideau qui fermait la réserve, avait surpris ses parents imbriqués l’un dans l’autre. Sa mère avait poussé un petit cri et repoussé son père tout en reboutonnant son chemisier à la hâte. Son père lui avait donné une tape sur l’oreille, suffisamment forte pour qu’il en éprouve la brûlure pendant une demi-heure. Depuis lors, il prenait toujours soin de signaler sa présence si ses parents n’étaient pas dans l’épicerie.

Ryan appela encore une fois. Toujours pas de réponse. La mémoire de l’enfant s’effaçant devant l’inquiétude, il posa la bouteille de lait sur le comptoir et alla ouvrir le rideau.

La pièce comportait peu de meubles. Sur des étagères s’entassaient des cartons contenant paquets et boîtes de conserve. Une petite table et deux chaises occupaient le centre de l’espace. Un long évier en émail blanc et un égouttoir s’alignaient contre le mur opposé. Le robinet d’eau froide fuyait en faisant entendre un chuintement, comme Ryan l’avait toujours connu.

« Il y a quelqu’un ? »

L’inquiétude de Ryan aurait viré à la peur et il se serait peut-être élancé dans l’escalier en criant à la recherche de ses parents s’il n’avait entendu le bruit de la chasse d’eau dans les toilettes de la cour. Il poussa un soupir de soulagement et jura dans sa barbe.

La porte de service s’ouvrit et un jeune garçon entra. Il travaillait pour le père de Ryan après l’école et le samedi. Barry quelque chose, pensa Ryan. Un bon petit trimeur, avait dit le père de Ryan, qui l’appréciait et le payait plus que de raison.

Le garçon s’arrêta sur le seuil en regardant fixement Ryan.

« Où est mon père ? » demanda Ryan.

Le garçon ne bougeait pas, la lèvre tremblante.

« Où est-il ? »

Le garçon secoua la tête, les yeux embués. « Vous n’êtes pas au courant ? » dit-il.


Dans le couloir de l’hôpital, Ryan se laissa guider par les sanglots de sa mère et la trouva au chevet de son père dont le lit était installé sous une haute fenêtre. Il se figea en voyant la peau violette, les doigts enflés sortant des plâtres qui enveloppaient les deux bras, la gaze pleine de sang au-dessus du sourcil.

Sa mère l’aperçut. Elle avait les yeux rouges et humides.

« Albert. J’essaie de te joindre depuis hier soir. J’ai appelé le camp. Ils ne savaient pas où tu étais. J’ai appelé partout où j’espérais que…

— Que s’est-il passé ? demanda Ryan, qui n’osait pas approcher.

— Des hommes sont venus. L’IRA, je crois. Ils avaient des crosses de hurling et une barre de fer. Ils ont dit que c’était un message pour toi. De la part d’un ami. »

Un grand froid remontant du ventre de Ryan se répandit dans sa poitrine et sa gorge. Son estomac menaçait de restituer le lait qu’il avait bu. Ses mains, inutiles, pendaient le long de son corps.

« Mon Dieu, Albert, à quoi es-tu mêlé ? Qui a fait ça à mon mari ? »

Elle était debout, les épaules agitées de tremblements. Ryan avait envie de fuir, mais il resta immobile et silencieux. Elle vint vers lui, son regard enregistrant les blessures qu’il portait au visage. Puis elle leva la main droite et le gifla.

La tête de Ryan partit sur le côté. Sa joue s’enflamma.

« Dans quoi nous as-tu entraînés ? »

Il n’avait pas de réponse. Elle le gifla à nouveau, plus fort.

« Qui a fait ça à ton père ? »

Ryan la prit dans ses bras, la serra contre lui. Elle se débattit, essaya de se dégager, mais il refusait de la lâcher. Elle finit par s’abandonner et il sentit la chaleur de sa peau, ses cils humides qui palpitaient contre son cou.

La main de sa mère se déplaçant sur sa poitrine sentit la crosse du Walther à travers le tissu de la veste.

« Mon Dieu, dit-elle, la voix étouffée par son étreinte.

— Je connais les coupables, dit-il. Ils ne vous toucheront plus. Je te le promets. »

59

Quand Ryan arriva devant le portail de la propriété de Skorzeny trois heures plus tard, le paquet n’était plus posé sur le siège du passager. Il s’était arrêté dans une cabine téléphonique en chemin pour appeler Celia chez ses parents près de Drogheda. Le père de Celia avait répondu, très froid, avant de lui passer sa fille. Elle lui confirma qu’elle avait agi comme convenu et que le paquet avait été livré ainsi que les instructions.

Il ne lui parla pas de son propre père et ne dit pas non plus qu’il était en route pour la ferme de Skorzeny.

Un homme jeune et solidement bâti lui bloqua le passage. Un autre surveillait la scène, un peu plus loin sous les arbres.

« Personne n’entre, dit le jeune homme. Si vous avez une livraison, déposez-la ici. »

Il avait l’accent du coin. Un membre de l’IRA, supposa Ryan, venu remplacer les gardes qui avaient succombé quelques nuits plus tôt.

« Je suis le lieutenant Albert Ryan. Dites au colonel Skorzeny que je veux le voir. »

Le jeune homme approcha sa grosse tête ronde de la vitre, si près que Ryan sentit son haleine.

« Personne n’entre, je vous dis. Rien à foutre de savoir qui vous êtes. »

Ryan le saisit par le cou et l’attira vers le Walther qu’il tenait dans sa main gauche. Le canon de l’arme creusa une fossette dans la joue rebondie du jeune homme.

L’autre garde, inquiet, vint s’enquérir de ce qui se passait. Ryan vit le fusil dans ses mains.

« Dis à ton ami de ne pas bouger.

Le jeune homme fit un geste à son collègue. L’autre s’immobilisa.

« Maintenant, va prévenir le colonel Skorzeny que le lieutenant Ryan est là. Fais-moi confiance, il voudra me recevoir. »


Skorzeny attendait debout dans son bureau.

« Bonjour, lieutenant Ryan. Mon gardien m’a informé que vous étiez armé. Il n’a pas eu l’intelligence de vous débarrasser de votre… »

La paume ouverte de Ryan s’abattit sur la bouche de l’Autrichien. Il recula d’un pas.

« Ne touchez plus jamais à ma famille, dit Ryan. Sinon je vous tuerai de mes propres mains. »

Skorzeny porta les doigts à sa lèvre pour voir s’il saignait. « C’était un avertissement, rien de plus. »

Ryan sortit le Walther de son étui, visa le front de Skorzeny.

Celui-ci sourit. « Comme je vous le disais, mon gardien n’a pas eu la présence d’esprit de vous prendre votre arme. Les bons employés sont rares.

— Donnez-moi une seule bonne raison de ne pas vous exploser la cervelle.

— Si vous vouliez me tuer, vous l’auriez déjà fait. » Skorzeny passa derrière son bureau en tirant un mouchoir de sa poche. Il se tamponna la lèvre et s’assit. « Mais j’ai une raison.

— J’écoute, dit Ryan en le maintenant en joue.

— Je vais vous la dire, lieutenant Ryan… Baissez votre arme, je vous prie, et asseyez-vous. Une telle mise en scène ne me paraît vraiment pas utile. »

Ryan hésita, la colère débattant avec le discernement. Il baissa le Walther, mais garda le doigt sur la détente.

« Asseyez-vous », répéta Skorzeny.

Ryan resta debout.

« Désirez-vous boire quelque chose ? demanda Skorzeny. Vous avez l’air tendu. Un brandy, peut-être ? Ou un whisky ?

— Rien, dit Ryan.

— Très bien. En ce qui concerne votre père, je vous dois des excuses. J’ai demandé à mon contact de l’IRA d’envoyer des hommes chez vos parents, uniquement pour leur faire peur. Il semblerait que les choses aient un peu dérapé. Mais le message était nécessaire.

— Vous n’aviez aucun motif pour vous en prendre à mon père.

— Oh, si. » Skorzeny remit le mouchoir dans sa poche. « Voyez-vous, la situation a changé.

— Je m’en moque. » Ryan leva le pistolet pour donner du poids à ses paroles. « Si vous vous approchez encore de mes parents ou si vous envoyez quelqu’un, je vous promets que vous le regretterez.

— Je comprends votre colère, dit Skorzeny. Mais si vous voulez bien m’écouter un instant, vous verrez que pareille menace n’a plus lieu d’être.

— Expliquez-vous.

— Malgré mes vives réserves, j’ai décidé de payer les hommes qui nous causent tant de problèmes. Une annonce paraîtra demain dans l’Irish Times. »

Le Walther pesait lourd dans la main de Ryan. Il baissa l’arme une fois de plus et s’assit en serrant les dents, l’abdomen douloureux.

« Mais à une condition, dit Skorzeny.

— Laquelle ?

— Que vous, et vous seulement, apportiez l’or. Je ne crois pas que vous essaierez de vous l’approprier.

— Comment pouvez-vous en être sûr ? »

Skorzeny sourit. « Comment ? J’en suis sûr, parce que les hommes qui ont attaqué votre père surveillent l’hôpital. Ils savent dans quelle chambre il se trouve. Ils savent que votre mère porte un manteau rouge et a un sac en cuir noir. Dois-je continuer ? »

Ryan dut se faire violence pour garder les mains le long du corps, pour ne pas presser la détente.

Skorzeny eut un sourire torve. « Voulez-vous encore me menacer avec votre pistolet ? Ou allez-vous accéder à ma demande, de sorte que nous pourrons en finir avec cette affaire ? »

Ryan rangea le Walther dans son étui.

60

Goren Weiss fit encore un tour pour repasser devant le Buswells. Oui, le journal était ouvert sur le tableau de bord de la voiture de Ryan. Il se gara plus loin dans la rue et revint à pied vers l’hôtel.

Il donna à la réceptionniste le nom de Ryan et le numéro de sa chambre. Elle sourit et décrocha le téléphone.

« Mr. Ryan descend tout de suite », dit-elle. Son sourire était accroché à son visage comme un homme suspendu au rebord une falaise. « Asseyez-vous au salon, je vous prie. »

Weiss remercia et gagna la pièce haute de plafond où plusieurs hommes en costume lisaient le journal en buvant leur thé ou leur café. Il trouva un fauteuil confortable près de la fenêtre.

Un serveur grassouillet approcha. « Vous désirez boire quelque chose, monsieur ?

— Vous avez du Jack Daniels ?

— Pardon ? » La lèvre inférieure du serveur pendait mollement et sa respiration évoquait le bruit que ferait quelqu’un buvant du sirop contre la toux avec une paille.

Weiss soupira. « Apparemment, non. Un Glenfiddich alors. Double, sans eau, avec des glaçons. »

Le serveur se pencha pour murmurer sur le ton de la confidence : « Monsieur, cet hôtel a une licence de première catégorie.

— Une quoi ?

— Nous ne servons pas d’alcool. Je peux vous apporter une tasse de thé, si vous le souhaitez. »

Weiss se passa une main sur les yeux. « Non, merci, juste un verre d’eau, s’il vous plaît. »

L’eau arriva en même temps que Ryan. L’Irlandais prit place dans le fauteuil à côté de Weiss, précautionneusement, les traits tordus par une expression douloureuse.

« C’est toujours douloureux ? dit Weiss. Vous voulez du thé ? Un café ? C’est ce qu’on sert de plus fort ici.

— Non, rien, répondit Ryan.

— Quoi de neuf ?

— J’ai vu Skorzeny aujourd’hui. »

Weiss l’observa en attendant la suite, lut l’hésitation dans ses yeux. Voyant que Ryan se taisait, il dit : « Allez, Albert, crachez le morceau. Je n’aime pas qu’on me cache des choses. »

Ryan vida ses poumons dans un long soupir de lassitude.

« Mon père a été passé à tabac. En guise d’avertissement.

— Et j’imagine que vous le vivez mal. »

Ryan ne répondit pas.

« C’est compréhensible. Mais vous ne devez pas laisser votre colère prendre le dessus. Alors, qu’est-ce que le colonel avait à répondre ?

— Il va payer. Une annonce paraîtra dans l’Irish Times demain. »

Weiss leva son verre pour porter un toast. « Bonne nouvelle. Je vous avais dit qu’il finirait par plier. »

Ryan eut l’air sceptique. « Ça paraît trop facile. C’est louche.

— Allons, Albert. Ne soyez pas si négatif. Je vous l’ai dit, Otto Skorzeny est un homme intelligent. Un million et demi, pour lui, c’est de l’argent de poche. La seule option raisonnable consiste à payer.

— Je n’en suis pas sûr, dit Ryan. Restons vigilants, il pourrait nous tendre un piège. Il est trop fier pour céder à qui que ce soit.

— Le colonel n’est peut-être pas aussi puissant que vous le croyez. » Weiss regarda Ryan sans ciller.

« Que voulez-vous dire ? »

Weiss ne put retenir le sourire qui lui venait aux lèvres. « Vous n’avez jamais pensé que le tableau de chasse de Skorzeny pendant la guerre était peut-être un peu trop beau pour être vrai ?

— Vous savez quelque chose, dit Ryan. Quoi ?

— J’ai un contact, un ancien membre de l’état-major de Himmler. Il nous a fourni de bons renseignements, c’est pourquoi nous le laissons en vie. Bref, il a assisté à la fabrication du film qui reconstitue le raid du Gran Sasso, où l’on voit Skorzeny et son équipe atterrir avec leurs planeurs et enlever Mussolini. En fait, notre hardi colonel n’était là qu’en observateur.

— C’est lui qui a organisé l’opération, dit Ryan. Je me suis documenté. Il y a des livres écrits sur…

— Ce sont des ouvrages de propagande, dit Weiss. Il n’a fait que de la reconnaissance. D’ailleurs, il s’en est très mal tiré. Le Reich battait de l’aile en 43 et les SS avaient besoin d’un héros. Skorzeny a été catapulté au dernier moment pour tenir le rôle. Son planeur devait atterrir après les autres, mais le plan a foiré et il s’est posé le premier, juste devant la porte de l’hôtel où Mussolini était retenu prisonnier. Les carabinieri ont eu une frousse bleue et ont lâché leurs armes.

« D’après mon ami allemand, Skorzeny n’a croisé personne devant la porte barricadée. Quand il a fait le tour de l’hôtel pour chercher une autre entrée, il n’a déclenché que les aboiements des chiens tenus en laisse et s’est montré incapable de sauter par-dessus le mur. Finalement, il a réussi à s’introduire à l’intérieur et a couru dans les couloirs jusqu’à ce qu’il trouve Mussolini. Et il a veillé à ce qu’on lui en attribue tout le mérite. Les Italiens n’ont pas opposé de résistance, aucun coup de feu n’a été tiré. Les seules blessures sont dues à l’atterrissage manqué de deux planeurs. Rien à voir avec l’exploit audacieux que la propagande SS a forgé. Tout ce qu’on lit dans ces livres, c’est de la fiction. Skorzeny n’est pas Superman. C’est un imposteur vieillissant qui vit sur une réputation injustifiée.

— Il est quand même dangereux, objecta Ryan.

— Oui, il est dangereux. Très dangereux. Mais il n’est pas invincible. Ne l’oubliez pas. Nous pouvons le battre. »

Ryan prit une inspiration. « Il veut que ce soit moi qui apporte l’or.

— Ça ne me pose aucun problème. Allez, Albert, détendez-vous. Dans quelques jours, vous serez un des hommes les plus riches de ce pays misérable. Tout ce que vous avez à faire, c’est garder votre sang-froid. »

Weiss se leva, prit son verre et avala le reste de l’eau.

« J’ai besoin d’un vrai remontant. » Il tapota Ryan sur l’épaule. « On y est presque, Albert. Reparlons-nous demain. »

Weiss laissa Ryan assis dans le salon et partit avec une chaleur au fond de la poitrine, malgré l’absence de whisky et la mine lugubre de l’Irlandais.


Weiss s’engagea dans l’allée envahie par la végétation. Il s’arrêta à quelques mètres de la maison en voyant Carter assis sur le pas de la porte, la tête dans ses mains.

Il descendit de voiture, ferma la portière.

Carter leva les yeux et sursauta, comme s’il n’avait pas entendu le bruit du moteur approcher.

Une sourde inquiétude contracta l’estomac de Weiss. « Qu’est-ce qui se passe ? »

Carter secoua la tête, le regard tourné vers les arbres. Son pistolet Browning était posé à côté de lui sur la vieille pierre du seuil.

« Eh bien, Carter. Qu’y a-t-il ? »

D’un geste du pouce, l’Anglais désigna l’ouverture derrière lui. « Là-bas. »

Weiss s’avança vers la maison. Carter s’écarta pour le laisser passer.

D’abord, l’odeur. Métallique. Puis, une fois ses yeux accoutumés à la faible lumière, il vit la table retournée, les assiettes et les gobelets en étain éparpillés, les chaises renversées.

Et il vit les corps.

« Nom de Dieu, dit Weiss. Nom de Dieu. »

Wallace était assis par terre contre le mur du fond, une partie du visage et du crâne arraché, la poitrine perforée en deux endroits. De l’œil qui lui restait, terne comme un nuage de pluie, il contemplait vaguement son collègue.

Gracey était étendu face contre terre, un trou net entre les omoplates, un autre à l’arrière de la tête. Il tenait encore un fusil automatique dans une main.

« Nom de Dieu », répéta Weiss.

Il ressortit et s’assit sur la marche du seuil à côté de Carter.

« Qu’est-ce qui est arrivé ? »

Carter se frotta le visage, essuya sa bouche et ses yeux.

« C’est Gracey. Quel connard, celui-là ! Il ne parlait pas beaucoup depuis qu’on avait relâché Ryan. Mais il a toujours été taiseux, même du temps où on était en Afrique du Nord ensemble, alors je ne m’inquiétais pas trop. On venait de manger. Wallace avait préparé un petit repas et on avait parlé de l’argent, de la somme qu’on toucherait, de ce qu’on ferait avec.

« Puis Wallace a fait une blague stupide, comme quoi Skorzeny avait offert un tiers du prix, et que c’était plus que la part de chacun si on divisait par cinq. Je lui ai dit ferme-la, c’est pas drôle, mais il a continué. Gracey ne disait rien. Il triturait ce qu’il y avait dans son assiette avec sa fourchette et mangeait à peine.

« D’un coup, il a attrapé son fusil et il a balancé la purée sur Wallace. Heureusement que j’avais sorti mon Browning pour le nettoyer, sinon j’y passais aussi. Quel connard, celui-là !

— Oui, dit Weiss. Quel connard. Skorzeny est d’accord pour payer. »

Carter se tourna vers lui, les yeux écarquillés.

« Ryan vient de me prévenir. Il y aura une annonce dans le journal demain. Dites donc, cette bouteille de vodka… Il en reste ? »

Carter se mit debout et rentra dans la maison. Il revint un instant plus tard avec deux bouteilles, l’une presque vide, l’autre presque pleine. Il tendit la première à Weiss.

Ils restèrent assis un moment en silence. Weiss buvait à petites gorgées, Carter descendait de grosses lampées.

« Avant, j’étais soldat », dit Carter.

Weiss haussa les épaules. « Moi aussi.

— Ça voulait dire quelque chose, alors. Pour le roi, pour le pays… On donnait sa vie. Et puis un jour, la guerre est finie. On reste là à tourner en rond, sans servir à rien ni à personne. »

Weiss sentait la vodka lui réchauffer la poitrine et la langue. « Ma guerre ne finit jamais. Je me bats pour un minuscule territoire entouré d’une douzaine de pays qui veulent le mettre à feu et à sang jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace de nous sur cette terre. S’ils ne se haïssaient pas entre eux autant qu’ils nous haïssent, ils nous auraient poussés dans la mer il y a dix ans. Soyez reconnaissant pour la paix que vous avez trouvée, mon ami. Il n’est pas donné à tout le monde de rentrer chez soi vivant. »

Il choqua sa bouteille contre celle de Carter.

« Et si jamais votre guerre finissait ? demanda Carter. Ou si vous devenez trop vieux pour vous battre ? Que ferez-vous du reste de votre vie ? »

Weiss réfléchit. Il s’était posé la question bien des fois, mais jamais durant le jour, seulement quand il traquait le sommeil au plus noir de la nuit. Il revint à la seule réponse qu’il ait pu formuler.

« Je ne sais pas », dit-il, en espérant que la terreur ne transparaisse pas dans sa voix.

61

Un exemplaire de l’Irish Times était posé devant la porte de sa chambre quand Ryan s’éveilla. Il le prit et parcourut les pages des petites annonces. Là, glissée entre les propositions de messieurs esseulés habitant la campagne et cherchant une compagne au caractère agréable, il lut :

Traqueur assidu : j’accepte, mais avec des conditions. J’attends vos instructions.

« Trop facile », dit-il d’une voix qui semblait fragile dans la petite pièce.

Posant le journal, il alla se tenir devant le miroir et examina la brûlure sur sa joue. Une croûte s’était formée, le début de la cicatrisation. La douleur se promenait toujours en divers endroits de son corps, tel un flux qui circulait sans qu’il pût en déterminer précisément la source.

Ryan monta à la salle de bains de l’étage supérieur pour vider sa vessie. Il fut soulagé de voir que son urine redevenait claire, non pas brun rougeâtre comme elle l’était depuis deux jours. Avec un peu de chance, ses selles aussi ne contiendraient plus de sang. Il n’avait pas trop envie de vérifier, l’expulsion de matières solides lui causant encore trop de souffrance.

Il ferma la bonde de la baignoire et ouvrit les robinets, arrêtant l’eau quand le niveau fut suffisant pour lui permettre de s’agenouiller et de nettoyer ses blessures. Puis il se sécha et se rasa, évitant soigneusement les zones où sa peau était encore à vif.

Une fois habillé, il retourna dans sa chambre, s’assit sur le lit et composa un numéro extérieur.

Le père de Celia répondit, bougon et récalcitrant.

« C’est Ryan ?

— Oui.

— Je ne suis pas sûr qu’elle soit disponible pour l’… »

Il y eut de l’agitation, des voix étouffées pendant que le combiné passait d’une main à une autre.

« Bertie[9] ? fit-elle.

— Hein ? Non, c’est Albert.

— Je trouve que Bertie, ça vous irait bien.

— Et si je ne veux pas ?

— Je vous appellerai quand même comme il me plaira. » Ryan aimait son intonation espiègle. « Bon, alors c’est réglé. Bonjour, Bertie.

— Vous avez vu le journal ? demanda-t-il.

— Oui, répondit-elle, toute trace de malice disparue. Papa, tu veux bien me laisser seule ? »

Ryan entendit un grognement offensé, puis une porte qui se refermait.

« Et maintenant, qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.

— J’ai le feu vert pour donner les instructions à Skorzeny. Il veut que j’apporte l’or.

— Non. C’est trop dangereux.

— Je ne peux pas refuser.

— Si ! Vous n’avez qu’à lui dire que…

— Non, je ne peux pas.

— Mais s’il vous arrivait quelque chose ?

— Il ne m’arrivera rien, dit Ryan, bien qu’il n’en fût pas certain.

— Mais si jamais ?

— Alors vous irez voir l’agent de voyages comme prévu et vous n’achèterez un billet que pour vous. »

Elle ne dit rien, mais il savait qu’elle pensait la même chose que lui. Si le plan échouait, si Ryan ne revenait pas, Skorzeny s’en prendrait à elle aussi. C’était une évidence qu’il ne servait à rien d’énoncer à voix haute.

« Promettez-moi que vous partirez.

— Je vous le promets.

— Parfait. On est presque au bout.

— J’espère. Appelez-moi bientôt.

— Oui », dit-il. Il raccrocha.

À peine avait-il repris son souffle que le téléphone sonna. Il décrocha le combiné.

« Un appel pour vous, monsieur Ryan, annonça la réceptionniste. Il refuse de donner son nom, mais c’est un Américain, je crois.

— Passez-le-moi.

— Bonjour, Albert », dit Weiss. Il avait la voix rauque, à moins qu’elle ne soit déformée par une mauvaise liaison. « C’est parti, on dirait.

— J’ai lu l’annonce.

— Bon. Dorénavant, vous et moi ne communiquerons plus que par téléphone ou par lettre. Vous devrez donner le change. À onze heures, il y aura un message pour vous sous vos essuie-glaces. Vous feindrez la surprise. Vous le lirez, puis vous l’apporterez à vos supérieurs. C’est clair ?

— Très clair.

— Bien. Restez calme, Albert. On y est presque. »


À onze heures cinq, Ryan quitta sa chambre, descendit et sortit de l’hôtel. Il gagna sa voiture garée un peu plus loin dans la rue.

Une enveloppe marron était glissée sous l’essuie-glace, légèrement rabattue par le vent.

Ryan la prit. Elle portait les mots LIEUTENANT RYAN, tapés à la machine. Il passa un doigt sous le rabat et le déchira.

62

Une fois de plus, Skorzeny effectua le trajet jusqu’au centre-ville et se présenta dans le cabinet de Charles Haughey. Le ministre l’accueillit à la porte avec une poignée de main ferme et grave.

« Je suis heureux de voir que vous avez choisi la voie de la raison, dit Haughey.

— Je veux en finir avec ce bain de sang, monsieur le ministre, tout simplement. »

Haughey s’effaça pour le laisser entrer. Ryan était assis face au bureau, dos à la porte. Il ne se retourna pas.

Haughey prit place dans son fauteuil, Skorzeny à côté de Ryan.

Le ministre posa une enveloppe devant Skorzeny. Celui-ci l’ouvrit et en sortit une feuille de papier.

Dans deux jours, à l’aube, vous nous livrerez la somme convenue. Elle sera transportée par un petit bateau à moteur qui jettera l’ancre à la destination ci-dessous…

« Où est-ce ? demanda Skorzeny.

— À huit kilomètres de la côte, répondit Haughey. Au sud de Dublin. »

Il n’y aura que deux personnes à bord : le porteur, Asif Hussein, et le pilote. Ils allumeront une lanterne à la proue et à l’arrière. Ils attendront sur le pont, bien visibles, les mains sur la tête.

S’ils obéissent aux instructions, il ne leur sera fait aucun mal. Sinon, ils seront tués. Les deux hommes auront été informés du danger de l’opération. S’ils respectent les instructions, ils recevront une commission qui sera prélevée sur le chargement.

Dans le cas où nous découvririons quelqu’un d’autre à bord, tout le monde sera tué.

Nous arriverons par l’ouest. Le chargement nous sera transféré sous la surveillance d’autres bateaux en patrouille dans la zone. La moindre insoumission entraînera de graves conséquences.

Le lieutenant Ryan attendra à la cabine téléphonique de l’hôtel Royal Hibernian à trois heures cet après-midi pour confirmer la livraison selon les instructions.

Skorzeny plia la feuille et la remit dans l’enveloppe. « Lieutenant Ryan, vous répondrez que j’accepte toutes leurs conditions, à l’exception de ce dont nous avons discuté : c’est vous qui apporterez l’or, pas Mr. Hussein.

— Et s’ils refusent ?

— Alors ils ne seront pas payés. Vous observerez tout ce qui se passe, combien il y a d’hommes, leur apparence physique, leurs accents. Le type de bateau, son nom, son immatriculation.

— Pourquoi ? demanda Haughey. Une fois que l’or aura été remis, c’est terminé. Vous n’allez pas les prendre en chasse, c’est moi qui vous le dis.

— Bien sûr que non, monsieur le ministre. Mais j’aimerais quand même savoir qui m’a volé. Par curiosité, vous comprenez. »

Haughey le dévisagea longuement. Il leva un doigt. « Si vous faites quoi que ce soit qui dépasse la curiosité, je vous obligerai à quitter ce pays et je vous renverrai en Espagne. »

Skorzeny sourit et inclina respectueusement la tête. « Vous n’avez aucune inquiétude à avoir, monsieur le ministre. »

Haughey soutint son regard, conscient de l’ironie contenue dans le geste. Puis il se tourna vers Ryan.

« Ce plan vous convient, lieutenant Ryan ? »

Ryan ne répondit pas, les yeux fixés sur la fenêtre.

« Eh bien ?

— Oui, monsieur le ministre », dit Ryan.

63

Ryan entra dans la cabine de l’hôtel à trois heures moins trois et s’assit sur le tabouret en cuir. Un morceau de papier plié en quatre était glissé derrière le combiné. Il le prit et lut :

Cabine publique à l’extrémité nord de Kildare Street. Vous avez deux minutes.

Il partit en courant.


Il n’était plus qu’à une dizaine de mètres de la cabine, moitié courant moitié claudiquant, quand le téléphone sonna. Un jeune homme qui fumait non loin alla ouvrir la porte.

« C’est pour moi ! » lança Ryan.

Le jeune homme lâcha la porte et recula.

Ryan entra dans la cabine, prit le combiné et prononça son nom.

« Le colonel Skorzeny accepte nos instructions ? »

La voix de Weiss. Donner le change, avait-il dit. Ryan devait présumer qu’il était surveillé et écouté. Se comporter comme s’il ne connaissait pas son interlocuteur.

« Oui, dit Ryan. Sauf une.

— Laquelle ?

— C’est moi qui apporte l’or.

— Nos instructions doivent être suivies à la lettre. Sans aucune modification.

— J’apporte l’or. Skorzeny l’exige. Sinon la transaction n’a pas lieu. »

Le silence tomba. Puis : « Très bien. Le lieu a été indiqué. Vous savez ce qui arrivera si vous tentez quoi que ce soit. Après- demain, à l’aube. »

La communication fut coupée.

64

Asif Hussein attendait dans un fourgon Citroën gris, phares allumés, devant le terminal de l’aéroport.

« Monsieur Ryan ? » demanda-t-il.

L’Arabe portait un costume bien coupé qui moulait son corps athlétique et une cravate en soie desserrée autour du col ouvert de sa chemise. Il avait les joues et le menton rasés de près, mais une épaisse moustache lui tombait sur la lèvre supérieure.

Hussein se pencha pour ouvrir la portière côté passager. Ryan monta. Il avait pris l’avion sans bagages, Dublin-Londres d’abord, puis Zurich.

Tandis que Ryan s’installait, Hussein tendit le bras et lui palpa le torse et les cuisses.

« Je ne suis pas armé », dit Ryan.

Sans répondre, Hussein termina sa fouille avec un grognement approbateur.

La cabine du fourgon était séparée de l’arrière par une paroi métallique dans laquelle s’ouvrait une porte sur gonds. Ryan distingua deux hommes à la peau basanée accroupis dans la pénombre de l’autre côté. Leurs yeux posés sur lui brillaient dans les reflets du terminal brillamment éclairé.

« Habib et Munir, dit Hussein. Ils nous accompagneront jusqu’à Camaret-sur-Mer. »

Des plaques d’acier avaient été rivetées tout autour du fourgon pour le blinder de l’intérieur. Des fentes découpées dans le métal laissaient passer de minces rais de lumière par les vitres arrière.

Hussein alluma une cigarette qui dégagea une épaisse fumée âcre. Il engagea la première vitesse et démarra.

Protégée par de hauts murs, la Heidegger Bank se dressait aux abords d’un village dissimulé dans les collines qui dominaient le lac de Zurich, à moins de quarante minutes de l’aéroport. Une lourde porte en métal barrait la seule entrée, sous une arche en pierre. Un garde muni d’une torche électrique, pistolet dans un étui accroché à sa hanche, examina la lettre que lui tendit Hussein. Il braqua ensuite le faisceau de sa lampe sur chaque passager du fourgon. Satisfait, il hocha la tête et parla dans une radio.

La porte s’ouvrit. Hussein avança le fourgon sous l’arche et se gara devant le bâtiment, sobre et de plain-pied, qui s’élevait au centre de la propriété. Il se regarda dans le rétroviseur, boutonna son col, ajusta sa cravate. Puis, sortant un peigne de sa poche, il lissa les boucles désordonnées de ses cheveux.

« Venez », dit-il en rangeant le peigne dans sa poche. Et il descendit du fourgon.

Ryan le suivit.

Un homme mince et élégant attendait à l’entrée du bâtiment. Il tendit la main à l’Arabe qui s’approchait.

Hussein la serra. « Monsieur Borringer, excusez-nous d’arriver si tard.

— Monsieur Hussein, c’est un plaisir de vous voir quelle que soit l’heure. » L’homme jeta un regard à Ryan mais ne le salua pas. « Je craignais de ne pas pouvoir rassembler suffisamment d’or à temps, mais j’ai sollicité l’aide d’autres établissements. La famille Heidegger étant hautement respectée dans la profession, mes collègues n’ont pas hésité à m’apporter leur concours. »

Borringer se détourna et entraîna Hussein et Ryan à l’intérieur. Habib et Munir leur emboîtèrent le pas. Le vestibule, moderne mais décoré avec goût, s’organisait autour d’un imposant comptoir d’accueil qui faisait face à l’entrée. Les portes des bureaux, de part et d’autre, étaient flanquées chacune de deux gardes. Des portraits d’hommes aux cheveux grisonnants garnissaient les murs, tous arborant le même visage sévère, avec un long nez et des yeux bleu pâle. Huit au total, habillés selon la mode de plusieurs époques comprises entre le dix-huitième et le vingtième siècle.

Au-dessous, sur de petites plaques en cuivre, Ryan lut partout le nom Heidegger.

« Suivez-moi, je vous prie, dit Borringer.

— Attendez ici », ordonna Hussein à ses gardes du corps. Il se retourna ensuite vers Borringer. « Mr. Ryan vient avec nous. »

Borringer regarda d’abord les chaussures de Ryan, puis sa montre, et s’arrêta enfin sur son visage. Ses yeux comptaient, mesuraient, évaluaient.

« Comme vous voudrez », dit Borringer sans tenter de dissimuler son mépris. Il se dirigea vers un ascenseur, écarta la grille et d’un geste invita Hussein et Ryan à entrer avant de les suivre et de refermer la grille derrière lui.

Ayant ôté une chaîne en argent qu’il portait autour du cou, Borringer choisit une clé parmi le trousseau qui y était attaché, l’inséra dans le panneau de contrôle de l’ascenseur, la tourna, et appuya sur l’unique bouton.

L’ascenseur descendit dans une cage en brique. Quand la cabine s’immobilisa, Borringer retira la clé, remit la chaîne autour de son cou, puis ouvrit la grille.

Un garde était assis à un petit bureau au centre de la pièce. Il se leva, les bras raides le long du corps, regardant droit devant lui. Neuf portes en acier, trois sur chaque mur, chacune équipée d’une serrure à combinaison et d’une lourde poignée.

Borringer s’approcha de la porte du milieu, face à l’ascenseur. Il fit écran avec son corps quand il tourna le cadran. Ryan entendit le cliquetis des gorges qui se levaient une à une, puis le déclic de l’ouverture. Borringer recula pour laisser le garde tirer la porte.

« Messieurs, votre chargement. »

Les murs de la chambre forte étaient tapissés de tiroirs à double serrure, scellés à la cire pour un grand nombre d’entre eux. Sur un chariot à plate-forme, des caisses en bois qui ne dépassaient pas vingt centimètres de côté avaient été disposées par dizaines.

Borringer toussota avant de parler. « Quatre-vingt-neuf caisses, chacune contenant quinze lingots d’un kilo, pour une valeur totale d’un million cinq cent six mille cinquante-six dollars. »

À bout de souffle, il put à peine achever sa phrase. Il inspira profondément et poursuivit : « Monsieur Hussein, veuillez inspecter les caisses avant que l’on ne ferme les dernières. »

Hussein et Ryan s’avancèrent. De loin, Ryan vit briller le contenu des cinq caisses ouvertes sur le dessus de la pile, il lut les mots Crédit Suisse gravé dans le métal. Son cœur s’accéléra.

Borringer leva une main. « Monsieur Hussein seulement, s’il vous plaît.

— Attendez ici », dit Hussein sur le seuil de la chambre forte.

Ryan obéit.

La peau sous le menton d’Hussein se teinta d’un reflet jaune. Il doit aimer le beurre, pensa Ryan, se rappelant le jeu du bouton d’or. Une pensée qu’il chassa rapidement de son esprit. Hussein examina chaque caisse tour à tour pendant que Ryan écoutait le discret bourdonnement de l’aération. Il sentait un courant d’air frais sur son cou.

« C’est bon, déclara Hussein. Vous pouvez fermer. »

Sur un signe de Borringer, le garde prit le marteau posé près du tas de couvercles restants et entreprit de les clouer, six pointes pour chaque caisse.

Ryan eut l’impression étrange d’assister à une cérémonie, une communion obscène dans une église de béton et d’acier, le sang du Christ changé en or.


Habib et Munir chargèrent les caisses dans le fourgon, sous les yeux de Borringer qui se tenait les mains croisées derrière le dos. Debout à ses côtés, Ryan se retenait de bâiller.

Hussein discuta avec le chauffeur de la première voiture de l’escorte, traçant un itinéraire sur une carte avec un crayon. Deux véhicules, un devant, un derrière, les accompagneraient jusqu’à la frontière française. À partir de là, le fourgon blindé et son chargement ne seraient plus gardés que par les hommes de Hussein. Deux autres voitures les doubleraient de temps à autre au long des routes françaises, expliqua Hussein, juste pour s’assurer que personne ne les suivait.

Quand les caisses furent chargées, Habib et Munir grimpèrent à l’arrière du fourgon et fermèrent les portes.

Borringer serra la main de Hussein, puis l’Arabe s’installa au volant. Ryan prit place sur le siège passager sans qu’aucune forme d’adieu ne soit échangée.

Les étoiles scintillaient au-dessus du mur d’enceinte. Avant que Hussein ne démarre, Ryan perçut le silence qui enveloppait le monde. Il frissonna et regarda sa montre. Deux heures du matin.

Le convoi franchit la porte de la Heidegger Bank et s’enfonça dans la nuit. Ryan fixait la lueur tremblotante des feux de la voiture de tête, les oreilles emplies par le ronronnement régulier du moteur Citroën. Ses paupières tombèrent. Il s’éveilla en sursaut au moment où sa tête s’affaissait sur sa poitrine.

Hussein rejeta la fumée de sa cigarette par les narines. « Dormez, monsieur Ryan. Nous avons une longue route devant nous. »

Ryan se rencogna contre la portière, l’esprit bercé par le moteur. Il rêva d’or volé sur des cadavres squelettiques et arraché aux bouches d’hommes morts, il en éprouva le poids dans sa main.


Le bruit de la portière du conducteur qui se refermait en claquant le tira d’un sommeil troublé. Le ciel était passé du noir au bleu foncé, mais le soleil restait caché à l’horizon.

Le fourgon était arrêté sur le bord d’une route étroite, derrière la première voiture de l’escorte. Ryan distinguait à peine le conducteur appuyé contre le capot. La deuxième voiture s’était sans doute rangée à la suite du fourgon. Tout autour, la forêt s’étendait à perte de vue.

Les gardes rejoignirent Hussein sur le bas-côté. Chacun des trois hommes portait un tapis roulé. Habib ou Munir — Ryan les confondait — posa un bidon en plastique par terre. Ils ôtèrent leurs chaussures et leurs chaussettes, retroussèrent leurs manches, coiffèrent des bonnets en laine. Ils se rincèrent les mains avec l’eau du bidon, mouillèrent leurs visages, leurs têtes, leurs bras jusqu’aux coudes et enfin leurs pieds.

Ryan les regarda dérouler leurs tapis par terre, et, debout, les mains levées vers les cieux, entonner un chant. Il avait assisté à ce rituel en Libye quand il était jeune soldat. Là-bas, quand il n’y avait pas d’eau, les ablutions se faisaient avec du sable.

Il écouta les voix monocordes qui priaient. À l’horizon, un rayonnement orangé dissipait la nuit.


Un froid vif avait envahi l’air quand la voiture de tête s’arrêta sur le bord de la route. Son conducteur agita le bras pendant que le fourgon Citroën le doublait. Hussein répondit par un signe de la main et ils entrèrent en France.

La brume voilait les flancs des montagnes tout autour. Ryan n’avait pas vu d’autre voiture depuis le dernier village qu’ils avaient traversé. Çà et là, entre les chalets épars et les bâtiments de ferme, des chèvres et des vaches les avaient regardés passer. Enfin un véhicule apparut plus loin, roulant lentement, de sorte que Hussein le rattrapa.

Quand il arriva derrière la voiture, Hussein leva un doigt sur le volant, geste infime, mais suffisant pour que le conducteur accélère.

Ryan sentait la pression augmenter dans ses oreilles à mesure qu’ils grimpaient en altitude. Hussein, qui n’avait quasiment pas dit un mot depuis le départ de la banque, ouvrit soudain la bouche.

« Bientôt, vous allez prendre le volant, dit-il. On s’arrêtera pour manger et ensuite vous nous conduirez à Crozon.

— D’accord », dit Ryan.

Dix-huit ans depuis son dernier passage en France et, comme aujourd’hui, il n’était quasiment pas descendu de voiture. Il pensa à Celia et à ses yeux rêveurs quand elle avait évoqué son séjour à Paris.

Peut-être reviendraient-ils dans ce pays quand tout serait terminé. Une part de lui-même se réjouissait à cette idée, une autre la repoussait. Il ne pouvait penser qu’au rendez-vous et à la remise des caisses à Weiss et à Carter.

Dans son esprit, sa vie s’arrêtait là. Non qu’il s’imaginât mort. Il ne pouvait tout simplement pas concevoir une existence au-delà.

Il aurait été normal d’éprouver de la peur. Mais il ne ressentait ni peur ni excitation, seulement le froid qui s’insinuait dans le fourgon par les joints des portières.

Il resserra sa veste autour de lui, croisa les bras sur sa poitrine, et ferma les yeux.

65

Ils atteignirent Camaret-sur-Mer au crépuscule. L’après-midi, ils s’étaient arrêtés pour manger dans le café d’un village, chacun à tour de rôle pendant que les autres gardaient le fourgon. Ryan avait pris un civet de lapin, accompagné de grosses tranches de pain paysan. La viande était sèche et fade, la sauce trop allongée, mais dans sa faim il avait tout dévoré. À présent, son estomac vide recommençait à gargouiller.

Habib et Munir se passaient une sorte de galette de pain dont ils coupaient des morceaux avec un méchant couteau. Ils n’en offrirent pas à Ryan. Quant à Hussein, il semblait capable de vivre uniquement de tabac et de prières.

Malgré le froid de la nuit qui tombait, Ryan avait baissé sa vitre pour évacuer l’odeur des hommes enfermés ensemble et des cigarettes. Quand il tourna dans le port, il sentit le sel et entendit le bruit du ressac contre la digue, les cris des mouettes qui s’arrachaient leur dernier repas de la journée. Des bateaux de pêche et de plaisance se balançaient sur l’eau noire.

« Là », dit Hussein en désignant un bateau d’un certain âge, amarré près d’une volée de marches qui plongeaient dans l’eau. La peinture bleue s’écaillait sur la coque en bois. Un homme robuste aux cheveux gris hirsutes et au teint rubicond se tenait debout à la proue, appuyé d’une main sur un winch rouillé. Il porta un doigt à son front en guise de salut.

« Il s’appelle Vandenberg, dit Hussein. Et il n’est pas aimable. »

Compte tenu du peu de paroles que l’Arabe avait prononcées durant la journée, Ryan se demanda ce qu’il entendait par aimable.

Ils descendirent du fourgon. Ryan s’étira le dos et les bras.

« Qui est le passager ? » demanda Vandenberg. Dans son intonation chantante, Ryan crut reconnaître un accent hollandais, ou flamand, peut-être danois.

« Lui, dit Hussein en désignant Ryan. Venez nous aider. Le chargement est lourd. »

Vandenberg secoua la tête. « Non. Je suis payé pour conduire le bateau, pas pour porter des choses. Ça, c’est votre boulot. »

Hussein marmonna dans sa barbe et cracha. Prenant Ryan par la manche, il l’entraîna à l’arrière du fourgon. Bientôt, ils avaient créé une chaîne, de Habib, dans le fourgon, à Ryan, puis à Munir qui descendait les marches et à Hussein, sur le bateau, qui entassait les caisses à mesure qu’elles arrivaient.

Ryan avait les mains à vif et le dos brisé quand ce fut terminé. La sueur lui collait à la peau sous ses vêtements. À un moment, il envisagea de laisser tomber en se plaignant de ses blessures, mais sa fierté le retint.

Alors que le soleil embrasait l’horizon, Hussein sortit une grosse enveloppe de sa poche et la lança à Vandenberg. Celui-ci l’ouvrit et examina le contenu. Satisfait, il la fourra dans sa veste et fit un signe de tête affirmatif à Hussein.

Sans un mot pour Ryan, Hussein se remit au volant du fourgon. Habib et Munir grimpèrent à l’arrière. Le moteur démarra dans un feulement rauque et le véhicule sortit du port.

Ryan suivit des yeux les feux arrière qui s’éloignaient.

« Venez, dit Vandenberg sur le bateau. C’est l’heure. »


Ryan se blottit sur l’unique couchette de la cabine en regrettant de ne pas avoir emporté de vêtements plus chauds, tandis que Vandenberg, après avoir quitté Camaret-sur-Mer, à la pointe de la presqu’île de Crozon, empruntait les passes navigables et contournait les bancs de sable pour filer vers le large.

Les caisses avaient été recouvertes d’une bâche maintenue par des cordes, dont les coins battaient au vent.

Bientôt, l’embarcation atteignit la haute mer et prit de la vitesse, creusant sa route dans la houle.

Ryan n’avait jamais souffert des voyages en bateau. Il trouvait même le mouvement apaisant, alors que beaucoup de ses camarades se penchaient pour vomir par-dessus le bastingage. La coque en bois craquait et gémissait en fendant les vagues.

Le ciel, visible à travers les vitres crasseuses de la cabine, était dégagé, d’un noir profond, avec un soupçon d’orange et de bleu, loin à l’horizon. Les étoiles apparurent, innombrables, un tapis de clous étincelants que n’assombrissait nulle lumière humaine. Ryan reconnut plusieurs constellations et sonda sa mémoire pour retrouver leurs noms.

Un trait fulgurant zébra le noir. Il souhaita avoir la chaleur du corps de Celia près du sien.


Il s’éveilla avec la sensation de dériver. Le bateau montait et descendait, mais sans que l’on perçoive aucune vitesse, aucun mouvement vers l’avant. En ouvrant les yeux, il vit le pont à l’extérieur baigné dans la clarté bleue de la lune.

Là, dehors, Vandenberg repoussait la bâche pour dégager une caisse. Il essaya de soulever le couvercle de ses doigts épais, n’y parvint pas et grogna de mécontentement. Puis il ouvrit une boîte de forme oblongue sur le pont. Il farfouilla parmi son contenu jusqu’à ce qu’il trouve un court pied-de-biche. De sa place, Ryan le regarda s’attaquer de nouveau à la caisse.

« Ne touchez pas à ça. »

Vandenberg pivota brusquement en entendant sa voix.

Ryan se leva et, vacillant avec le roulis, alla se tenir sur le seuil de la cabine.

« C’est mon bateau, dit Vandenberg. Je veux savoir ce que je transporte.

— L’Arabe vous a payé. Vous n’avez pas besoin de plus. »

Vandenberg se redressa et gonfla la poitrine. Il tenait l’outil à bout de bras. « Il n’est pas arabe. Il est algérien. Je veux savoir ce que je transporte.

— Je me fiche de ce qu’il est. Ces caisses ne sont pas votre affaire. Votre boulot, c’est de piloter ce bateau. Je vous suggère de le faire.

— Non, dit Vandenberg en se retournant vers les caisses. Je suis le capitaine. Je vais regarder à l’intérieur. »

Ryan s’avança d’un pas. « N’y touchez pas. »

Vandenberg leva le pied-de-biche. « Restez où vous êtes.

— Lâchez ça », dit Ryan en approchant.

Vandenberg fouetta l’espace entre eux avec l’instrument.

Plus près encore, Ryan sentit l’odeur du whisky.

« Reculez-vous. » Vandenberg brandit le pied-de-biche, dans l’intention manifeste d’assommer son adversaire.

« Pour la dernière fois, dit Ryan. Lâchez ça. »

Vandenberg balança le pied-de-biche. Ryan leva le bras gauche pour se protéger. Il entendit le bruissement de l’air contre son oreille. Attrapant Vandenberg par le poignet, il le déséquilibra et lui fracassa la mâchoire de son poing droit. Le marin s’écroula sur le pont.

Ryan se pencha et ramassa le pied-de-biche de la main droite. Vandenberg partit à quatre pattes vers la cabine, soufflant et haletant. Ryan le suivit. À la porte, Vandenberg se mit debout, trébucha et s’élança pour chercher quelque chose sous la radio.

Ryan lui abattit la barre de métal sur la main. Il sentit les os craquer sous la violence de l’impact, vit un petit pistolet tomber par terre.

Vandenberg hurla et s’effondra à genoux tandis que Ryan donnait un coup de pied dans le pistolet. Le marin se recroquevilla sur lui-même, serrant sa main écrasée contre sa poitrine.

Ryan appuya l’extrémité du pied-de-biche sur sa mâchoire. Vandenberg le regarda en papillotant des yeux. Il respirait difficilement entre ses dents gâtées.

« Ça suffit, dit Ryan. Maintenant, faites ce pour quoi vous êtes payé. »


Le ciel s’éclaircissait à l’horizon et les étoiles pâlissaient, éclipsées par d’épais nuages. Ryan crut distinguer une vague bande de terre sombre au loin, mais il n’en était pas certain.

Vandenberg ralentit, puis coupa le moteur. Il manœuvrait d’une main, tenant l’autre contre sa poitrine dans une écharpe improvisée. Debout sur le pont, Ryan le vit vérifier ses instruments et ses cartes avant de sortir.

« C’est là, dit Vandenberg. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

Ryan s’appuya contre les caisses. « On attend. »

Une infinie lassitude se répandait dans ses membres. Le monde semblait plus silencieux, jusqu’au clapotis de l’eau étouffé par le calme uniformément gris tout autour. Vandenberg posa une lampe à pétrole à une extrémité du bateau, une lanterne à piles de l’autre côté. Ryan luttait pour garder les yeux ouverts et dodelinait de la tête, ballotté par la douce respiration de la mer.

Son esprit dérivait, flottant entre des images de lèvres brillantes et de poignets minces parsemés de taches de rousseur, quand Vandenberg dit : « Ils arrivent. »

66

La main de Ryan sortit le pistolet enfoui dans la poche de sa veste. Parcourant des yeux l’espace gris tout autour, il repéra le bateau, au nord-ouest, qui approchait en décrivant un arc de cercle.

Un trait d’écume blanche marquait le sillage de la vedette, de couleur identique, dont on entendait le puissant moteur par-dessus le bruit des vagues. Ryan distingua la silhouette d’un homme à la barre. Il l’observa longuement, jusqu’à ce qu’il soit sûr que c’était Carter.

Ryan jeta un coup d’œil à sa montre. Sept heures trente-cinq. Il se rappela ses pensées de la veille, le fait qu’il ne pouvait pas se projeter au-delà de ce rendez-vous. Une angoisse sourde lui rongeait les tripes. Il remit la main dans la poche de sa veste, éprouva la dureté du pistolet, la courbe de la détente.

Le bruit du moteur décrut, la vedette ralentissait. Par la fenêtre de la cabine, un homme qui ne pouvait être que Goren Weiss.

Ryan se tourna vers Vandenberg, qui regardait la vedette avec des yeux pleins d’inquiétude. Le marin se frotta les lèvres de sa main valide. Il remarqua l’attention de Ryan fixée sur lui.

« Qu’est-ce qu’il y a dans ces caisses ? demanda-t-il. Quelque chose pour quoi on serait prêt à tuer ?

— Oui, répondit Ryan.

— Vous avez mon pistolet ?

— Oui.

— Alors, faites gaffe. »

Ryan hocha la tête.

Carter vira à bâbord en contournant le bateau de Vandenberg pour l’aborder par tribord, ralentit encore, manœuvra et se rangea contre lui. Weiss sortit de la cabine, fixa une corde à un taquet, puis lança l’autre extrémité à Ryan. Ce dernier tira, amarrant les deux bateaux l’un à l’autre, et attacha la corde de son côté. Le bateau de pêche de Vandenberg était plus haut que la vedette sur sa ligne de flottaison.

Carter braqua un fusil automatique sur Vandenberg. « Restez là où je peux vous voir. »

Vandenberg leva sa main valide. « Où je me mets ? »

Weiss demanda : « Tout est en ordre ?

— Oui, dit Ryan.

— Qu’est-ce qui est arrivé à sa main ? »

Ryan sentit que la vérité n’apporterait rien de bon à Vandenberg. « Il est tombé.

— Merde, dit Weiss. Reculez.

— Pourquoi ?

— Ne discutez pas, Albert. »

Ryan s’écarta de Vandenberg. Weiss se tourna vers Carter et fit un signe affirmatif.

Une déflagration, et Vandenberg s’écroula.

Ryan ferma les yeux, déglutit, rouvrit les yeux. « Vous n’aviez pas besoin de faire ça. »

Weiss grimpa à bord du bateau de pêche. « Je ne l’aurais pas fait s’il avait eu ses deux mains pour nous aider à charger les caisses.

— Moi aussi, quand je ne vous serai plus utile, dit Ryan, vous m’abattrez ? »

Weiss rit. « Vraiment, Albert, c’est l’opinion que vous avez de moi ?

— Oui.

— Je suis blessé, sincèrement. Bon allez, au travail. »

Carter abandonna la barre et Weiss commença à lui passer les caisses qu’il transporta l’une après l’autre dans la cabine. Ryan scrutait l’horizon, en partant de la bande de terre, au nord-est, puis côté ouest, puis au sud.

« La voie est libre, dit Weiss. On sillonne les environs depuis une heure. Il n’y a personne. Aidez-moi, bon sang.

— C’est trop facile, dit Ryan.

— Cessez de vous inquiéter, Albert. On est presque au bout de nos peines. Fermez-la plutôt et bougez-moi ces caisses. »

Le ciel bas et gris avait pris une teinte blanc sale quand ils finirent de transborder les caisses.

Carter passa un bidon en métal à Weiss.

« Si j’étais vous, je ne resterais pas là », dit Weiss. Il versa du liquide sur le pont, aspergea les murs de la cabine, le corps de Vandenberg.

Ryan reconnut l’odeur de l’essence. Il grimpa dans la vedette en faisant un écart pour ne pas être arrosé. Weiss le suivit, tenant toujours le bidon. Il détacha la corde du côté bâbord de la vedette et la lança à Carter pour que celui-ci retienne le bateau de Vandenberg.

Weiss tira un mouchoir de sa poche, le mouilla en renversant le bidon, puis l’enfonça dans le goulot. Il alluma ensuite un briquet Zippo, approcha la flamme du mouchoir, tressaillit quand l’éclair bondit et lança le bidon sur l’autre bateau.

L’essence sur le pont s’embrasa avec un bruit étouffé. « Vous feriez mieux de lâcher », dit Weiss à Carter.

Carter jeta la corde et repoussa le bateau de Vandenberg. Les deux bateaux s’étaient écartés de quelques mètres quand le bidon explosa. Carter retourna à la barre et démarra le moteur. Ryan sentit le plancher trembler sous ses semelles. La vedette s’éloigna et prit bientôt de la vitesse.

Ryan regarda la colonne de fumée noire qui s’épaississait en montant à l’assaut du ciel, léchée à sa base par des flammes ternes. Enfin, il y eut la sourde détonation du réservoir. Il reçut un souffle d’air chaud au visage et vit un jaillissement d’étincelles et de bois.

Weiss s’approcha de lui. « Quel effet cela vous fait d’être riche, Albert ? »

Sa main était froide sur l’épaule de Ryan.

« Où sont Wallace et Gracey ? » demanda Ryan.


Quand ils jetèrent l’ancre au fond du port de Balbriggan une heure plus tard, une brume épaisse noyait la terre et la mer. La camionnette Bedford était garée sur la digue au-dessus de leur emplacement, et sur trois côtés s’élevaient les murs de ciment gris du bassin que dominait, plus loin, le pont de chemin de fer.

Le port était plongé dans le silence. Les pêcheurs avaient pris la mer, les bateaux de plaisance se balançaient doucement à l’amarre. Weiss et Carter avaient sans doute volé la vedette ici, pensa Ryan. Les vagues roulaient et déferlaient sur la plage au-delà du mur nord.

Carter grimpa sur le quai par l’échelle rouillée et Ryan lui tendit les caisses. Quand elles furent toutes chargées dans la camionnette, ses épaules et son dos hurlaient de douleur. Les trois hommes se reposèrent un instant contre la camionnette, hors d’haleine.

« Si j’avais su que ce serait autant de boulot, je ne me serais jamais lancé là-dedans », dit Carter.

Weiss cracha par terre. « Vous ne serez plus jamais obligé de bosser. Bon, voyons un peu à quoi ressemble notre butin. »

Carter enveloppa son fusil dans un sac en toile et le déposa près des caisses. Debout devant les portes arrière de la camionnette, ils contemplèrent le chargement.

Après un dernier regard alentour, Weiss se hissa à l’intérieur de la camionnette. Il prit un long tournevis dans une petite boîte à outils posée sur le plancher, glissa la pointe sous le couvercle de la caisse la plus proche et le souleva.

Ryan entendit le bois craquer.

Le couvercle retomba plus loin. Tout le sang se retira du visage de Weiss. Son sourire s’élargit, puis trembla et s’évanouit. Il secoua la tête.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Carter.

Weiss sortit de la caisse un objet gris terne en forme d’obélisque, puis un autre.

Carter se pencha en avant. « Mais qu’est-ce que… »

Weiss lâcha les obélisques qui heurtèrent le sol avec un cliquetis métallique. Carter les saisit, les soupesa.

Il se tourna vers Ryan. « C’est quoi, ce bordel ? »

Weiss s’esclaffa. C’était un rire qui lui montait du fond du ventre, mais qui sonnait creux dans la camionnette. Puis il partit dans un nouvel éclat, un rire aigu cette fois, au bord de la folie.

La voix de Carter tremblait comme s’il se retenait de pleurer. « Qu’est-ce qui se passe ? Où est l’or, putain ? »

Weiss se prit le visage dans les mains. Le rire s’écoulait librement de sa gorge maintenant, gras et puissant. Ses épaules tressautaient.

« Où il est ? » dit Carter.

Ryan savait. Il avait compris avant que Weiss ne plonge la main dans la caisse, mais il n’avait aucune envie de rire.

Carter avança le buste dans la camionnette, attrapa la caisse et la tira vers lui. « Où est l’or, nom de Dieu ? »

Il regarda dans la caisse, secoua la tête. « Non. »

Weiss se tenait les côtes. « Oh si, mon ami. Oh, si. »

Il prit deux autres barres de plomb dans la caisse, les choqua et rit jusqu’à en avoir les larmes aux yeux.

67

Weiss avait mal aux côtes et la vision brouillée par les larmes. Il fut pris d’un vertige, le cœur au bord des lèvres.

Il lâcha les barres de plomb et repoussa la caisse, qui se renversa. Son contenu tomba de la camionnette. Carter et Ryan firent un saut de côté pour ne pas recevoir sur les pieds quinze blocs d’un métal dénué de toute valeur.

Weiss saisit une autre caisse, souleva le couvercle avec le tournevis. Le bois se fendilla et céda. À l’intérieur, même spectacle. Au lieu d’un jaune étincelant, le gris terne du plomb.

Weiss s’effondra contre la paroi de la camionnette, le souffle coupé, les jambes prises d’une faiblesse. Mais il rit encore, un rire absurde qui l’assaillait par vagues et qu’il ne pouvait arrêter, incapable de faire autre chose que rire alors même que tout partait en vrille devant ses yeux.

Soudain, une douleur cuisante sur sa joue.

Il se demanda un instant qui l’avait frappé, puis comprit que c’était sa propre main. Il se gifla encore. La clarté d’esprit lui revenait.

« Nom de Dieu », dit-il.

Il attrapa son pistolet sous sa veste et le braqua sur le front de Ryan, clignant des yeux pour expulser les larmes.

« Bon sang, Albert. Vous n’avez pas vérifié ? »

Le visage de Ryan ne trahissait aucune émotion, pas même la surprise.

« Je n’ai vu que quelques caisses. J’ai vu des barres d’or sur lesquelles était écrit Crédit Suisse. Le messager de Skorzeny a vérifié. On ne m’a pas laissé entrer dans la chambre forte pour regarder de près. »

Carter luttait pour retrouver le contrôle de sa respiration. « Je savais qu’il nous planterait. Je l’avais dit, non ? Mais vous… »

Weiss visa Carter. « La ferme.

— C’était trop facile, dit Ryan.

— Ôtez votre flingue de là », dit Carter.

Weiss ne bougea pas. « Vos gueules, tous les deux. Laissez-moi réfléchir.

— Ôtez votre flingue de là, je vous dis.

— La ferme, Carter, sinon je vous jure que je vous explose la tête. »

Carter le saisit par le poignet, mais Weiss se dégagea et ramena le canon du pistolet en plein sur son front, doigt crispé sur la détente.

« Ne me provoquez pas, Carter. Vous savez que je…

— Tout le monde dehors. »

La voix venait d’en haut, un aboiement autoritaire et déformé, suivi par une rafale d’interférences.

« Ici l’inspecteur-chef Michael Rafferty de la Garda Síochána. Vous êtes cernés. J’ai une douzaine de gardes avec moi, tous armés, et une équipe de tireurs d’élite. Au moindre faux pas, je donne l’ordre d’ouvrir le feu. Descendez de la camionnette. »

Weiss se pencha à l’extérieur, leva les yeux et vit une silhouette massive debout sur le pont ferroviaire, un mégaphone à la main. Deux policiers à demi masqués par la brume se tenaient à ses côtés, pistolets dégainés et prêts à tirer.

Plus loin sur le pont, un tireur couché les alignait dans son viseur télescopique. Et sous les voies, entre les arches noyées d’ombre, encore des policiers et des armes.

« Lieutenant Albert Ryan, faites-vous connaître.

— Salopard, dit Carter. Espèce de salopard. »

Weiss regarda Ryan, vit le choc sur son visage. « Il ne savait pas », dit-il.

Carter fulmina. « Mon cul, qu’il savait pas. »

Ryan gardait le silence. Il descendit de la camionnette, les mains en l’air.

Les yeux de Carter s’arrêtèrent sur le sac en toile dans lequel il avait enfermé son fusil automatique.

« Ne faites pas ça », dit Weiss. Il mit aussi les mains en l’air et s’approcha de la portière arrière de la camionnette.

« Salopard », dit encore Carter.

La voix grésilla dans le mégaphone.

« À genoux, Ryan, les mains sur la tête. Les autres, sortez de la camionnette. »

Carter, tournant le dos aux policiers, ouvrit le sac.

« Ne faites pas ça, répéta Weiss. Ils vont nous tuer tous les deux. »

Carter extirpa le fusil du sac et pivota vers Ryan, le doigt cherchant la détente.

Son crâne éclata une fraction de seconde avant que Weiss n’entende la détonation et ne reçoive une éclaboussure tiède au visage. Carter s’écroula, les membres désarticulés, la bouche et les yeux grands ouverts.

« D’accord ! cria Weiss. Je sors. »

Le mégaphone brailla à nouveau. « Combien êtes-vous ?

— Ryan et moi. C’est tout.

— Sortez de la camionnette, les mains sur la tête. »

Weiss descendit et fit quelques pas en évitant le sang de Carter sur le ciment mouillé.

« À genoux, à côté de Ryan. »

Weiss obtempéra. Ryan regardait droit devant lui, impassible.

« J’ai une suite au Shelbourne », dit Weiss à voix basse. Ryan tourna la tête vers lui. « Au nom de David Hess. Tous les documents qui incriminent Skorzeny sont là-bas, dans une boîte métallique fermée à clé. Si on me garde en détention, si on m’extrade, allez les chercher. Apportez-les chez Hedder et Rosenthal, un cabinet d’avocats à Ballsbridge. Donnez-les à Simon Rosenthal. À personne d’autre. Compris ? »

Ryan ne répondit pas.

Les policiers sortirent de l’ombre. La peur était visible sur leurs visages, leurs mains qui tenaient les armes tremblaient.

« Vous m’entendez, Ryan ? Transmettez les informations à Simon Rosenthal, il aura la peau de Skorzeny. Faites ça pour moi.

— Non, dit Ryan. C’est pour moi que je le ferai. »

68

Rafferty, rouge et essoufflé, laissa choir sa masse corpulente dans le fauteuil en face de Ryan. Il posa un mug de thé sur la table, but une gorgée de celui qu’il tenait à la main.

« Bon sang, on dirait que tout ça va me donner beaucoup de boulot », dit-il. Il indiqua du menton le mug devant Ryan. « Allez-y, buvez. »

Ryan prit le mug et le porta à ses lèvres.

« Là, c’est mieux, non ? »

Le policier ne dit plus rien, les yeux fixés sur Ryan. Des gouttelettes d’humidité suintaient sur les murs en ciment de la salle des interrogatoires. Un magnétophone à bande, vide, trônait sur la table entre eux.

« Votre ami, l’Américain. Ou l’Israélien, je ne sais pas trop ce qu’il est. » Rafferty se débarrassa de sa tasse et sortit un paquet de cigarettes de la poche de sa veste. « Il ne veut rien me dire d’autre que son nom. Il insiste pour qu’on prévienne un avocat, Rosenthal. Qu’est-ce qu’il fabrique, lui ? Qu’est-ce qu’il fout ici ?

— Il est du Mossad, dit Ryan.

— Du quoi ?

— Du Mossad. Le service de renseignement israélien.

— Quoi, c’est un espion ?

— Quelque chose comme ça. »

Rafferty lâcha un petit rire incrédule. « Sainte Mère de Dieu. Ici ? » Il prit une cigarette dans le paquet et l’alluma. « Cette affaire-là, je vous l’avoue, c’est un peu trop pour moi. Le pire qu’il m’arrive de traiter dans le coin, c’est un vol de bétail ou une bagarre à la sortie d’un pub. Mais une histoire pareille… Je suis pas assez payé pour m’occuper d’espions et d’or introduit clandestinement. Enfin, plus de plomb que d’or, au final. Dans cinq des caisses, il y avait trois barres d’or sur le dessus. Bref, tout ça pour dire… Est-ce que vous trouvez que je ressemble à James Bond ? » Il se pencha en avant, tenant la cigarette entre ses doigts boudinés. « Vous l’avez vu, ce film ?

— Oui, dit Ryan.

— J’y suis allé avec ma bourgeoise. Elle a mis sa main sur mes yeux quand la nénette est sortie de l’eau, toute mouillée qu’elle était. Je l’ai emmenée au septième ciel cette nuit-là, je peux vous assurer. »

Le ventre de Rafferty tressauta quand il rit. La fumée ressortait entre ses dents.

Ryan s’éclaircit la gorge. « Je dois parler avec Ciaran Fitzpatrick, à la Direction du renseignement.

— On m’avait prévenu que vous diriez ça. » Rafferty sortit un morceau de papier du paquet de cigarettes. « Malheureusement, Mr. Fitzpatrick n’est pas disponible pour l’instant. Mais vous avez des amis haut placés. »

Il déplia le papier, révélant quelques lignes dactylographiées et une signature alambiquée.

« Ça, c’est un mot du ministre de la Justice, Mr. Charles J. Haughey, celui-là même qui a ordonné de suivre la camionnette et d’arrêter ses passagers quand ils seraient revenus à terre. Un messager l’a apporté il y a vingt minutes. C’est écrit qu’il ne faut pas vous interroger, rien enregistrer, et que je dois vous relâcher, à mon bon vouloir. Il veut que l’affaire soit traitée discrètement. Pour le cas où ça ne plairait pas aux Américains et qu’ils décideraient que le président Kennedy ne viendra pas nous voir, finalement. Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Je pense que vous devriez me laisser partir. »

Rafferty hocha la tête. « Peut-être bien qu’on peut l’envisager, oui. Mais ça dit à mon bon vouloir, et mon bon vouloir, il dit pas tout de suite. Je crois que je vais vous laisser mijoter un peu, monsieur Ryan. »

Le policier se souleva lourdement de son fauteuil, la respiration sifflante.

« Pourquoi ? demanda Ryan. Vous ne pouvez pas m’interroger, alors à quoi bon me retenir ici ? »

Rafferty se pencha en avant sur la table, au point que Ryan sentit la chaleur de son haleine.

« Parce que j’aime pas qu’on m’apporte des ennuis chez moi, et en plus, j’aime pas que ces salopards du gouvernement m’emmerdent à me dire quoi faire dans mon propre commissariat. Mais je vais surtout vous garder ici juste parce que j’en ai les moyens. Ça vous va, comme réponse ? »

69

L’ouverture de la porte de sa cellule tira Goren Weiss d’un léger sommeil. Il tourna la tête, s’attendant à voir surgir le gros policier qui essaierait encore une fois de l’interroger avec maladresse. Au lieu de quoi entrèrent trois hommes en costume qu’il n’avait jamais vus.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

— Levez-vous », dit le plus vieux. Il referma la porte derrière lui. Une cinquantaine d’années, cheveux gris coupés en brosse, costume anthracite moulant ses larges épaules. Les deux autres étaient plus jeunes, trente-cinq ans environ, mais dotés du même physique.

Weiss obéit, le ventre noué. « Je veux parler à mon avocat, Simon Rosenthal, du cabinet Hedder et Rosenthal. »

Les deux hommes plus jeunes vinrent se placer à ses côtés et le prirent chacun par un poignet.

« Je vous conseille de le contacter immédiatement, sinon croyez-moi, il y aura des retombées. »

Les hommes raffermirent leur prise. Le plus vieux s’approcha de la couchette que Weiss venait de quitter. Il tira sur le drap pour l’enlever.

Weiss tenta de libérer son bras droit, mais la main sur son poignet était plus solide qu’une menotte.

« Imbéciles ! Le gouvernement israélien ne tolérera pas ça. Vous allez droit à une guerre dont vous ne sortirez pas indemnes. »

Le plus vieux roula le drap pour former une corde épaisse.

Weiss rua dans les jambes des hommes. Ils jouèrent des pieds et évitèrent ses coups, puis l’envoyèrent à terre. Il s’écrasa, la joue sur le sol en béton.

Le plus vieux fit une boucle et un nœud coulant à l’extrémité du drap.

« Tenez-le bien », dit-il en s’accroupissant.

Weiss hurla. Il se jeta d’un côté, puis de l’autre. Un genou s’enfonça dans son dos et le cloua au sol. Il hurla encore, un mot qui était peut-être « Non ».

La boucle passée par-dessus sa tête descendit sur son nez, sur sa bouche. Une bande de tissu froid étouffa ses jurons.

Le nœud coulant, serré autour de son cou, lui obtura la gorge. Il sentit la pression augmenter, une poussée derrière ses orbites. Le rouge envahit sa vision. Un rugissement dans ses oreilles.

La porte de la cellule s’ouvrit. Weiss distingua les bottes du policier bedonnant et deux autres paires de pieds.

La pression dans sa tête retomba.

« Nom de Dieu, qu’est-ce qui se passe ici ? » dit le policier.

70

« Nous avons un ami commun », dit l’homme.

Il se tenait debout les mains dans les poches. Ryan remarqua la crasse sur ses genoux.

Il était entré seul dans la salle des interrogatoires, chargé d’une sacoche en cuir, et avait refermé la porte derrière lui, puis grogné en posant la sacoche sur la table où son lourd contenu produisit un bruit vaguement métallique.

« Qui êtes-vous ? demanda Ryan.

— Je m’appelle James Waugh. Votre jeune amie Celia Hume m’a rendu quelques services. »

Il avait un accent léger et fluide, sud-ouest de Dublin, nord-est de Cork.

« Elle m’a parlé de vous, dit Ryan. Vous lui avez demandé de se renseigner sur moi. »

Waugh s’assit de l’autre côté de la table, la sacoche entre eux. « À dire vrai, je le regrette. Si j’avais su dans quel pétrin le ministre était en train de se fourrer, je me serais abstenu.

— Pour qui travaillez-vous ? demanda Ryan.

— Je suis mon propre patron à la tête d’une petite équipe, une vingtaine de personnes au maximum. Nous ne dépendons pas de la Direction du renseignement ni du ministère de la Justice, mais nous leur donnons un coup de main de temps en temps. Des hommes à tout faire, en quelque sorte. Nous prenons en charge le sale boulot des autres services.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— Vous annoncer que vous êtes libre de partir, premièrement.

— Et Weiss ? »

Waugh pinça les lèvres. « Mr. Weiss a tenté de se suicider dans sa cellule il y a environ une heure. Il a essayé de se pendre avec un drap. Heureusement, nous sommes intervenus à temps. »

La colère s’alluma dans la poitrine de Ryan. « Je crois que vous mentez. »

Waugh battit des paupières. Il prit une inspiration. « Mr. Weiss a été emmené à l’hôpital pour y être soigné. Le ministre de la Justice demande que vous lui apportiez toutes les pièces afférentes à votre enquête demain, à quatorze heures dans son bureau. Vous rendrez votre rapport final et ce sera terminé.

— Haughey sait-il que vous avez essayé de tuer Weiss ? »

Waugh sourit. « Comme je l’ai expliqué, Mr. Weiss a tenté de se suicider. Mais je vous le répète, ni moi ni les membres de mon service ne sommes affiliés au ministère de la Justice. J’agis en toute indépendance, je fixe mes propres objectifs. Cela répond à votre question ? »

Ryan considéra le visage de Waugh, ses yeux gris et froids comme de l’ardoise. « Vous avez dit “premièrement”. Que voulez-vous d’autre ? »

Waugh se leva et sortit une carte de visite de sa poche. Il la posa sur la table, à côté de la sacoche, et la fit glisser vers Ryan du bout des doigts. Sur la carte étaient seulement inscrits son nom et un numéro de téléphone.

« J’ai un poste qui se libère dans mon service, dit-il, avec un sourire chaleureux qui n’adoucissait en rien son regard. Le travail est plus intéressant que ce que la Direction du renseignement peut offrir. J’aurais besoin de quelqu’un comme vous. »

Ryan regarda la carte. Il la repoussa. « Non, merci. »

Waugh poussa à nouveau la carte vers lui. « Réfléchissez. »

Il se dirigea vers la porte, s’arrêta et se retourna comme s’il avait oublié un détail de moindre importance. Il désigna la sacoche.

« Je ne savais pas trop quoi faire de ça. Je suppose que c’est à vous de vous en occuper. »

Waugh sortit, referma la porte derrière lui.

Le cuir de la sacoche luisait dans la lumière fluorescente. Ryan détacha la boucle, souleva le rabat.

À la vue du jaune étincelant, il sentit sa bouche se dessécher.

71

« Je croyais que les policiers irlandais n’étaient pas armés », dit Weiss. Les mots lui râpaient la gorge comme du papier de verre.

Rafferty s’assit au pied du lit d’hôpital. Les autres lits de la chambre étaient inoccupés et il avait renvoyé l’officier de la Garda posté à la porte. Il porta la main au pistolet sur sa hanche.

« Si, de temps en temps, répondit-il. Quand la situation l’exige.

— Et c’est le cas ici ? »

Rafferty sourit. « Je dirais que oui, pas vous ?

— Certes. »

Weiss se rallongea, main droite derrière la tête. Sa main gauche était menottée au cadre du lit. Il était en maillot de corps, pantalon et chaussettes. Des hématomes apparaissaient déjà sur son cou.

« Quand allez-vous me laisser partir ? demanda-t-il.

— Vous n’avez qu’à rester ici jusqu’à ce que le toubib donne son feu vert, répondit Rafferty. Ensuite, vous reviendrez au poste avec moi. Et après on verra. Le gars du gouvernement n’avait pas l’air trop impressionné par cette histoire de… comment vous dites ? Le Mossad ? Oui, c’est ça. Ça ne lui plaisait pas de savoir qu’un gars du Mossad traîne par chez nous. M’est avis qu’on aimerait bien vous mettre dans un avion pour que vous débarrassiez le plancher.

— Sans doute. Et le lieutenant Ryan ?

— Il a filé. Le gars du gouvernement lui a remis une sacoche en cuir et m’a dit de le relâcher. »

Weiss s’humecta les lèvres. « Une sacoche en cuir ?

— Tout juste. » Rafferty hocha la tête. Les plis de son cou distendu ballotaient.

« Qu’y avait-il à l’intérieur, selon vous ?

— Je pourrais pas dire. Ça m’avait l’air sacrément lourd, en tout cas. »

À nouveau, le regard de Weiss effleura le revolver sur la hanche de Rafferty.

« C’est marrant, reprit Rafferty. Une fois que le gars du gouvernement est parti, j’ai appelé ce Rosenthal à qui vous réclamiez de parler. L’avocat. Il vous connaissait, pas de problème, il a dit que vous étiez un client à lui et tout, mais quand je lui ai raconté où je vous avais alpagué et ce que vous trafiquiez… Ben, il a eu l’air un peu étonné. Peut-être même agacé. Comment ça s’explique, d’après vous ?

— Aucune idée, dit Weiss.

— Vous voulez savoir ce que je pense ?

— Pas vraiment.

— Je pense que ce Rosenthal est votre contact ici en Irlande. Vu qu’Israël n’a pas d’ambassade à Dublin, il faut que vous puissiez compter sur quelqu’un si ça tourne mal. Je chauffe, là ? »

Weiss ne répondit pas.

« Bref, moi, je dis que vous lui avez fait un sale coup dans le dos. Comme on dit par ici, vous avez chié dans le nid. Sinon, j’aurais à peine raccroché que votre Rosenthal se serait pointé en hurlant pour qu’on vous relâche. J’ai tapé dans le mille, pas vrai ? »

Avant que Weiss n’ait le temps de répondre, le médecin entra dans la chambre.

« C’est vous qui êtes responsable de ce patient ? demanda-t-il à Rafferty.

— Exact, répondit Rafferty en se levant.

— Il a le cou contusionné, mais je ne crois pas que la trachée ou le larynx soient endommagés. Vous l’avez empêché de faire trop de dégâts. Je peux vous rendre Mr. Weiss sans la moindre inquiétude.

— Ça roule, dit Rafferty. Merci. »

Quand le médecin fut parti, le policier bedonnant s’approcha de la tête du lit. Il sortit un trousseau de clés de sa poche pour ouvrir les menottes.

Alors seulement, il s’aperçut qu’elles étaient déjà ouvertes. Et ce depuis un moment. Weiss avait subtilisé un trombone sur le bureau du médecin dans la salle d’examen. Aussi simple que ça.

Rafferty écarquilla les yeux quand Weiss le saisit par le poignet. Il voulut dégainer son revolver de son autre main, mais les dés étaient jetés pour lui.

72

Le réceptionniste, un homme squelettique d’âge moyen, accueillit Ryan d’un air presque apeuré quand celui-ci s’approcha de l’accueil.

« Vous désirez ?

— Je cherche David Hess, dit Ryan. C’est un de vos clients. »

Le réceptionniste parcourut une à une les pages de son registre. « En effet, Mr. Hess. Mais il est absent depuis quelques jours. Vous voulez lui laisser un message ? »

Ryan lut le numéro de la chambre à côté du nom et du jour de l’arrivée.

« Non, merci », dit-il.

Il se détourna, attendit un peu plus loin qu’un autre client sollicite l’attention du réceptionniste et fila vers l’escalier.


Après avoir jeté un regard autour de lui dans le couloir, Ryan inséra la pointe du tournevis entre la porte et le chambranle au niveau de la serrure. Il appuya de tout son poids sur la poignée de l’outil, plusieurs fois. Le bois se fendilla, puis céda.

La porte s’ouvrit. Ryan pénétra dans la suite, mit le tournevis dans la poche intérieure de sa veste et referma derrière lui.

Un canapé et deux fauteuils, de part et d’autre d’une table basse. Une desserte contre un mur, un secrétaire de l’autre côté. Pas un seul grain de poussière, aucune trace de l’occupant des lieux. Il fit le tour de la pièce, inspecta les tiroirs, souleva les coussins. Rien.

La chambre aussi était d’une propreté immaculée, les couvertures et les draps tirés au cordeau sur le lit.

Ryan alla ouvrir la grande armoire. Un costume enveloppé dans le plastique du teinturier et une demi-douzaine de chemises étaient suspendus sur des cintres. En bas, une boîte en métal. Il la prit et la posa sur le lit.

Sortant à nouveau son tournevis de sa poche, il fit sauter la serrure, puis rangea l’outil. La boîte contenait tout un assortiment de dossiers, de pochettes et de documents en vrac. Il les examina un à un. Il y avait aussi deux passeports, l’un allemand, l’autre américain, au nom de David Hess.

Dans le fond de la boîte, il trouva ce qu’il cherchait : une chemise renfermant les relevés de comptes de Skorzeny. Suivant du doigt les colonnes de chiffres, il nota les transferts de fonds d’un compte à un autre, les intérêts accumulés. Ici, quelques dizaines de milliers disparaissant, là, un approvisionnement de cent mille.

Ryan plia les documents, les glissa dans sa poche, ferma la boîte et la replaça dans l’armoire. Il avait les jambes et les bras endoloris quand il gagna la porte de la chambre pour retourner au salon.

Goren Weiss se tenait au milieu de la pièce, un revolver à la main, canon pointé vers le sol.

« Qu’est-ce que vous faites ici, Albert ? » demanda-t-il.

73

Weiss tenait le revolver le long de sa jambe. Inutile de faire du grabuge. Pas encore.

Ryan resta impassible. « Je venais chercher les documents dont vous m’avez parlé.

— Vous les avez trouvés ? »

Ryan glissa lentement sa main droite dans la poche de sa veste. « Oui.

— Laissez tomber, dit Weiss. Ils ne me servent plus à rien maintenant. Vous allez essayer de coincer Skorzeny ? »

Ryan retira sa main. « Peut-être.

— Bonne chance », dit Weiss.

Toujours debout sur le seuil de la chambre, Ryan ne répondit pas.

« Mais vous avez autre chose à me donner », reprit Weiss. Il avança d’un pas, le revolver toujours plaqué le long du corps.

Ryan se raidit. « Quoi ?

— On vous a remis une sacoche. Que contenait-elle ?

— Je crois que vous le savez.

— Exact. Où est-elle ? »

Ryan secoua la tête. « Elle n’est pas ici. »

Weiss rit. Il leva le revolver et visa Ryan en plein cœur. « Je m’en doute bien, Albert. Je ne vous demande pas où elle n’est pas. Je vous demande où elle est. Ce n’est pas le moment de jouer les imbéciles, mon ami.

— Elle n’est pas ici. » Ryan écarta les bras. « Je ne l’ai pas. »

Weiss fit deux pas en avant. La gueule de l’arme n’était plus qu’à trente centimètres de la poitrine de Ryan. Il arma le chien.

« Il me faut cette sacoche, Albert. Combien y avait-il à l’intérieur, à votre avis ? Assez pour couvrir le plomb dans les caisses. Quinze, seize mille, j’imagine. Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Je ne sais pas.

— Je suis un homme mort sans cette sacoche, Albert. Mes supérieurs savent ce que j’ai fait. Ils me pinceront pour trahison. Je dois m’enfuir, et pour ça, j’ai besoin de cet or. Si je vous explique combien c’est important pour moi, Albert, c’est pour que vous compreniez que je ne renoncerai pas. Alors, dites-moi où elle est.

— Non », dit Ryan.

Encore un pas, le viseur de l’arme aligné sur le front de Ryan. Presque à le toucher.

« Je parie qu’elle est dans votre chambre au Buswells. Je me trompe ? Elle est là-bas avec votre copine, la rousse. S’il le faut, je vous mettrai une balle dans le cerveau. Ensuite, j’irai à votre hôtel, je monterai dans votre chambre et je la lui prendrai. Et vous savez que je ne pourrai pas la laisser en vie. Ne m’obligez pas à faire ça, Albert. S’il vous plaît. »

Ryan fit un pas de côté en s’abritant le visage de sa main gauche, le bras droit toujours écarté.

« Je ne peux pas vous obliger à quoi que ce soit, dit-il. Si vous appuyez sur la détente, ce sera votre propre choix.

— Allez au diable, Albert. » Weiss pressa plus fort sur la détente. Un millimètre de plus et le coup partirait. « Allez au d… »

Un geste infime de Ryan, à peine une tape sur le poignet de Weiss, et la balle, déviée, se ficha dans le mur.

Et la brûlure, la douleur déchirante dans le ventre de Weiss.

Tandis que ses jambes se vidaient de toute force, il baissa les yeux et vit le tournevis dans la main de Ryan. Si son esprit avait été plus rapide, il aurait pu encore lui tirer une balle dans la tête, mais la pointe du tournevis le transperça à nouveau, plus haut cette fois, sous le sternum.

Weiss s’effondra à genoux, les mains crispées sur son abdomen et sur la chaude coulée qui l’inondait. Le revolver tomba par terre, inutile, hors d’atteinte. Ses jambes ne le soutenaient plus, il roula sur le flanc.

Ryan recula. Il alla à la fenêtre et essuya l’extrémité du tournevis sur le rideau avant de le ranger dans sa poche.

« Albert », dit Weiss.

En chemin vers la porte, Ryan s’arrêta.

« Appelez un médecin. S’il vous plaît, Albert. »

Ryan revint vers lui. Il s’immobilisa au bord de la flaque rouge qui s’étalait sur la moquette et s’accroupit.

« Vous les avez laissé me torturer, dit-il. Vous avez regardé sans rien faire.

— Albert. » Weiss voulut parler encore, mais les mots se perdaient dans la tempête qui se déchaînait derrière ses yeux. Sa tête devenue trop lourde retomba sur le tapis.

Il regarda Ryan remettre de l’ordre dans ses vêtements, puis sortir de la chambre et fermer la porte.

74

Personne ne vit Ryan quitter la chambre de Weiss, personne ne s’aventura dans le couloir en entendant le coup de feu. Dehors, il longea le parc de St Stephen’s Green, les oreilles encore emplies du bruit de la détonation, jeta le tournevis dans la première poubelle venue.

Un court trajet à pied l’amena à sa voiture garée près du Buswells. Il s’installa au volant et mit le moteur en marche.

Immobile, il ferma les yeux. Ralentit sa respiration. Calma son esprit en se récitant ce qu’il devait faire.

Il reprit le contrôle.


Deux heures s’étaient écoulées quand Ryan revint dans sa chambre au Buswells. Celia l’attendait. Comparé à la suite de Weiss au Shelbourne, à seulement quelques rues de là, le décor paraissait médiocre et étriqué, mais Celia l’éclairait de ses cheveux incendiés par la lumière de la fin de matinée.

Elle se laissa aller en arrière sur le lit, étirant son long corps mince.

« Vous avez trouvé ? demanda-t-elle.

— Tout. » Il ôta sa veste, la suspendit dans l’armoire.

« Pas de problème ?

— Aucun. »

Celia leva une main pour l’inviter à la rejoindre. Il se coucha près d’elle, le torse collé contre son dos, passa un bras autour de sa taille. Elle prit sa main et la guida vers le renflement de ses seins.

« Combien de temps encore avez-vous la chambre ? demanda-t-elle.

— Jusqu’au rendez-vous de cet après-midi, répondit-il. Après, ils me mettent dehors. »

Elle s’étendit sur le dos et fit descendre sa main entre ses cuisses.

« Alors profitons-en », dit-elle.


Ryan entra dans la pièce attenante au cabinet de Haughey. Il n’attendit pas d’être annoncé par la secrétaire et ouvrit la porte sans frapper.

Haughey et Fitzpatrick levèrent les yeux vers lui. Il y avait de la surprise sur le visage du directeur, de la colère sur celui du ministre.

« Ben alors, mon gars ? dit Haughey. Votre mère ne vous a pas appris à frapper ? »

Ryan referma la porte et posa le dossier sur le bureau de Haughey.

« Tout est là ?

— Tout, répondit Ryan, mentant sans vergogne.

— Asseyez-vous. »

Ryan s’installa dans le fauteuil à côté de Fitzpatrick.

Haughey posa sur lui son œil de rapace, brillant et acéré. « Alors, qu’avez-vous à nous rapporter ?

— Rien, monsieur le ministre. Tout ce que vous voulez savoir est dans le dossier. »

Haughey hocha la tête. « J’aimerais pouvoir dire que la mission a été bien menée. Mais elle est terminée, c’est le plus important. »

Fitzpatrick tendit une main. « Les clés de la voiture, s’il vous plaît. »

Ryan dit : « Je crois que je vais la garder, merci. Il y a une vitre cassée de toute façon. »

Fitzpatrick en resta bouche bée. Il se tourna vers Haughey.

« Dites donc, mon gars. Je n’aime pas vos manières.

— Monsieur le ministre, je me fiche de ce que vous aimez ou pas. Je n’ai plus à vous rendre de comptes. »

Haughey se leva, le visage en feu. « Vous vous en mordrez les doigts, Ryan, c’est moi qui vous le dis. Je vous écraserai comme une merde.

— Monsieur le ministre, à l’heure qu’il est, deux avocats ont reçu deux enveloppes identiques. Chacune contient un enregistrement de notre conversation au Buswells, il y a quelques jours. Au cours de cette conversation, vous reconnaissez avoir autorisé le colonel Skorzeny à faire paraître dans l’Irish Times une annonce qui constitue une incitation à commettre un meurtre. Les enveloppes renferment aussi une lettre signée dans laquelle je décris la nature de la mission qui m’a été assignée par vos services. Les avocats ont pour instruction de transmettre le contenu de ces enveloppes à la presse, à la Garda Síochána, et à Matt McCloskey, l’ambassadeur des États-Unis, dans le cas où il m’arriverait d’être blessé, ou à tout moment que je jugerai bon.

— Petit salopard, dit Haughey. Vous allez le regretter, mon gars. Croyez-moi. »

Ryan se leva. « À tout moment que je jugerai bon, monsieur le ministre. Ne l’oubliez pas. À présent, messieurs, si vous voulez bien m’excuser. »

Il les planta là, sans se soucier de leurs regards fixés sur lui.


Ryan prit son temps pour retourner au Buswells en traversant le parc de St Stephen’s Green. Il savoura la chaleur du soleil sur sa peau, la pureté de l’air. Des passants remarquèrent sa légère claudication et jetèrent de furtifs coups d’œil à sa joue pas encore cicatrisée, mais il n’y prêta pas attention.

Il lui semblait respirer enfin, libéré de la peur et de la culpabilité dont l’étau lui enserrait la poitrine depuis des semaines. Haughey et son argent, Skorzeny et sa force brutale, plus rien ne l’inquiétait ni ne l’asservissait.

Malgré leur pouvoir, leurs contacts, leurs sphères d’influences, ce n’étaient que des hommes.

Il ne pensait pas du tout à Goren Weiss.

Ryan longea Kildare Street en direction du nord et des jardins de Trinity College. Plus loin se dressait l’université, tel un palais royal indifférent à la circulation tout autour et à la foule qui se pressait à l’ombre de ses murs mais ne les franchirait jamais. Il tourna à gauche, remonta Molesworth Street et entra dans l’hôtel.

« Monsieur Ryan », lança la réceptionniste.

Il s’approcha de l’accueil. La réceptionniste lui adressa un sourire contrit.

« Monsieur Ryan, j’ai reçu un appel du bureau de Mr. Haughey. Votre séjour chez nous prend fin aujourd’hui. »

Ryan hocha la tête. « Parfait. Mes bagages sont prêts. »

Le sourire de la réceptionniste se fit plus chagriné encore. « Malheureusement, les chambres doivent être libérées à midi, et il est plus de trois heures. Puis-je vous demander de quitter les lieux le plus vite possible pour nous permettre de procéder au ménage ?

— Bien sûr, dit Ryan. Je ne voudrais pas abuser de la générosité de Mr. Haughey plus qu’il n’est absolument nécessaire. »

Il s’éloignait déjà, mais la réceptionniste le rappela. « Monsieur, encore une chose. »

Ryan s’immobilisa.

« Vous avez de la visite, dit la réceptionniste. Mr. Skorzeny. Il attend au salon. »

75

Skorzeny attendait dans le même fauteuil qu’avait occupé Goren Weiss quelques jours auparavant, près de la fenêtre donnant sur Molesworth Street. La sacoche en cuir était posée sur la table devant lui. Il n’y avait que deux autres clients dans le salon, un couple âgé à l’autre extrémité de la pièce.

Assise à côté de Skorzeny, Celia regarda Ryan approcher. Sa lèvre inférieure était rouge et enflée. Elle serrait ses bras autour d’elle. « Bertie, je suis désolé. Quand il a frappé à la porte, j’ai cru que c’était la femme de chambre.

— Ce n’est pas ta faute, dit Ryan en réprimant la colère qui lui dévorait le cœur. Qu’est-ce qu’il t’a fait ? »

Elle se tâta la lèvre du bout des doigts. « Tout va bien.

— Miss Hume n’a pas souhaité coopérer, dit Skorzeny. J’ai dû recourir à la force physique pour la persuader.

— Qu’est-ce que vous voulez ? » demanda Ryan.

Skorzeny rit. « À votre avis ? Vous m’avez trahi, lieutenant Ryan. Célestin m’a tout raconté. Vous saviez qui essayait de me faire chanter et vous avez gardé cette information par-devers vous. J’ai appris ensuite que vous aviez fait alliance avec un sioniste contre moi et que ce même sioniste avait réceptionné le chargement.

— Goren Weiss est mort.

— Comme il le méritait, dit Skorzeny. Vous m’auriez volé aussi si Célestin ne s’était pas repenti, si Mr. Borringer n’avait pas suivi mes instructions, si Mr. Haughey n’avait pas mobilisé la police contre vous et vos amis.

— Donc vous voulez ma mort, dit Ryan.

— Évidemment. Mais pas maintenant, pas ici. D’abord, j’ai besoin d’en savoir plus. Asseyez-vous, je vous prie. »

Ryan s’installa dans le fauteuil en face de Skorzeny et Celia. Elle tendit la main par-dessus la table et lui effleura les doigts.

Un serveur s’approchait, mais Skorzeny le chassa d’un geste.

« Allez-y, dit Ryan. Posez vos questions.

— Le sioniste, Weiss. Il travaillait pour le Mossad. Les gens du Mossad font beaucoup de choses, mais ce ne sont pas des voleurs. Pourquoi était-il sur ce bateau ? Et en quoi le renseignement israélien est-il impliqué ?

— Weiss agissait pour son propre compte. Il avait découvert le projet de Carter et il voulait sa part du gâteau.

— La cupidité, dit Skorzeny en souriant, les yeux pétillants. J’avais prévenu Mr. Haughey que la cupidité les détruirait. Mais dites-moi, lieutenant Ryan, comment ce Weiss a-t-il eu vent du plan de Carter pour me faire chanter ?

— Il dirigeait une opération du Mossad contre vous. Son enquête l’a conduit à Carter. »

Le sourire de Skorzeny s’évanouit. Il se pencha en avant. « Une opération du Mossad contre moi ? Quelle opération ? Pour m’assassiner ?

— Non, dit Ryan. Weiss ne voulait pas vous tuer. Mort, vous ne lui serviez à rien. Ce sont ces propres paroles.

— Quoi, alors ? »

Ce fut au tour de Ryan de sourire. Il soutint le regard brillant de Skorzeny, sans dissimuler le sauvage plaisir qu’il éprouvait au plus profond de lui.

Skorzeny se pencha encore, écartant son veston d’un geste désinvolte pour révéler la crosse d’un pistolet. « Je vous écoute.

— L’opération a réussi. »

Skorzeny se renversa en arrière dans son fauteuil, prit la main de Celia. Elle grimaça quand les énormes doigts pressèrent les siens qui paraissaient minuscules. « Mais encore.

— Ils sont au courant pour l’argent. »

Un pli barra le front lisse de Skorzeny. « L’argent ?

— Celui que vous détournez par le biais de la filière d’exfiltration. Des millions et des millions. J’ai vu les comptes. Vous arnaquez vos Kameraden depuis des années. Vous vous sucrez au passage, comme a dit Weiss. Il en avait la preuve. »

Skorzeny garda le silence un moment. On voyait son esprit à l’œuvre dans ses yeux. « Très bien, il en avait la preuve. En quoi cela m’importe-t-il ?

— Cela importe à vos amis en Amérique du Sud. Les autres ordures nazies dont vous gérez les fonds. S’ils découvrent que vous les avez escroqués, vous ne serez plus en sécurité nulle part sur cette belle terre que Dieu a créée. Même Franco ne pourrait pas vous protéger.

— Mais il préférait que mes Kameraden me tuent plutôt que lui ? Il était lâche à ce point ? »

Ryan secoua la tête. « Je vous le répète, il ne voulait pas votre mort. Il poursuivait quelque chose qui vaut beaucoup plus que votre vie.

— Quoi ?

— La filière d’exfiltration. Les fumiers que vous avez aidés à s’enfuir d’Europe. Il voulait les retrouver, tous sans exception. Soit vous vous retourniez contre vos amis, soit il aurait fait en sorte qu’eux se retournent contre vous. »

Skorzeny rit. Un rire aigu, strident, qui montait de son formidable torse. « Weiss est mort maintenant. Sa preuve ne peut plus rien pour lui.

— Oh si », dit Ryan. Il articula lentement et clairement, savourant la moindre crispation qui surgissait sur le visage de Skorzeny. « Il m’a dit où trouver l’information qu’il détenait sur vous, et ce matin, je l’ai apportée à son contact. Un avocat à Dublin dont le cabinet sert de couverture aux Israéliens. La mission continue. Il y a un seul changement… »

Skorzeny lâcha la main de Celia. « Je vous écoute.

— S’il m’arrive quoi que ce soit, à moi ou à l’un de mes proches, l’information sera transmise à vos amis. Si vous me tuez, ils vous tueront.

— Et vous croyez assurer ainsi votre sécurité ? » Skorzeny sourit. « Pourquoi pensez-vous que je préférerais vivre en étant l’esclave des Juifs, plutôt que mourir de la main de mes Kameraden ?

— Parce que vous êtes orgueilleux. »

Skorzeny inclina la tête sur le côté. « Orgueilleux ?

— Vous préférerez vivre sous la coupe du Mossad afin que vos amis n’apprennent pas que vous les avez escroqués. Vous ne voulez pas que votre mémoire soit entachée.

— Vous semblez très sûr de ce que vous avancez, lieutenant Ryan. Êtes-vous prêt à parier votre vie ? »

Ryan rétorqua : « Et vous ? »

Ils se défièrent du regard, les yeux de Skorzeny plongeant dans l’âme de Ryan.

« Quand on écrira des livres sur vous, dit Ryan, que conclura le dernier chapitre ? Que vous n’étiez qu’un escroc, en fait ? »

Skorzeny ne bougeait plus. On l’entendait respirer dans le silence du grand salon.

Enfin, il se leva.

« Vous ne connaîtrez jamais la paix, lieutenant Ryan. Vous êtes peut-être en sécurité pour l’instant, pendant un an, deux ans, peut-être plus, mais sachez-le : un jour, je vous ferai souffrir. »

Skorzeny attrapa la sacoche.

« Weiss m’a dit autre chose », dit Ryan.

Skorzeny s’immobilisa, la main sur la poignée.

« Il m’a parlé de l’opération du Gran Sasso pour laquelle pour êtes si célèbre, le sauvetage de Mussolini. Il m’a dit que ce n’était pas vrai. Tout ce qu’on raconte… Ce n’était que de la propagande. Votre personnage repose sur une imposture. »

Skorzeny voulut soulever la sacoche.

« Laissez-la », dit Ryan.

Skorzeny se figea.

« J’ai dit : laissez-la. »

Skorzeny se redressa. « C’est vous qui êtes l’escroc maintenant, dit-il d’une voix vacillante.

— Je m’accommoderai avec ma conscience, répondit Ryan. Vous pouvez partir maintenant. »

Skorzeny résistait encore. Puis il sourit à Celia.

« Au revoir, miss Hume. »

Et il tourna les talons.

Celia s’effondra, baignant de ses larmes l’épaule de Ryan qui la tenait serrée contre lui.

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