Alayne

Elle fit pivoter l’anneau de fer et poussa la porte qui s’ouvrit tout doucement, sur un crac presque imperceptible. « Robin chéri ? appela-t-elle. Puis-je entrer ?

— Faites attention, m’dame, la prévint la vieille Gretchel en se tordant les mains. Sa Seigneurie a balancé son pot de chambre à la tête du mestre.

— Alors, il n’en a plus à balancer à la mienne. N’y a-t-il pas de travail que vous devriez être en train de faire ? Maddy, est-ce que toutes les fenêtres sont fermées et tous les volets mis ? Est-ce qu’on a couvert tous les meubles ?

— Tous, m’dame, répondit l’intéressée.

— Mieux vaut contrôler. » Alayne se faufila dans la chambre à coucher plongée dans l’obscurité. « Ce n’est que moi, Robin chéri. »

Quelqu’un renifla dans le noir. « Tu es seule ?

— Oui, messire.

— Approche, alors. Rien que toi. »

Alayne referma carrément la porte derrière elle. Le vantail était en chêne massif de quatre pouces d’épaisseur ; Gretchel et Maddy pourraient tendre l’oreille autant qu’elles en auraient envie, elles n’entendraient rien. Et c’était aussi bien. Gretchel était capable de tenir sa langue, mais Maddy commérait sans vergogne.

« C’est mestre Colemon qui t’envoie ? questionna le mioche.

— Non, mentit-elle. J’ai appris que mon Robin chéri était souffrant. » Après sa collision avec le pot de chambre, le mestre s’était précipité chez ser Lothor Brune, et celui-ci était venu la trouver. « Si m’dame elle arrive à lui faire quitter son lit en lui causant un mot gentil, avait déclaré le chevalier, moi, je n’aurai pas à me le traîner dehors. »

Nous ne pouvons pas nous permettre ça, se dit-elle. Quand on le maniait avec rudesse, Robert se débrouillait pour piquer une de ses crises de tremblote. « Avez-vous faim, messire ? » lui demanda-t-elle. Enverrai-je Maddy chercher des baies et de la crème en bas, ou du beurre et du pain tout chaud ? » Elle se rappela trop tard qu’il n’y avait pas de pain chaud ; les cuisines étaient fermées et les fours refroidis. Si cela le fait sortir du lit, cela vaudrait la peine d’allumer du feu, se dit-elle.

« Je ne veux pas de nourriture, piailla le petit lord d’une voix irascible et suraiguë. Je vais rester au lit, aujourd’hui. Tu pourrais me faire la lecture, si tu veux.

— Il fait trop sombre pour lire ici-dedans. » Les lourds rideaux tirés sur les fenêtres faisaient régner dans la pièce une nuit d’encre. « Est-ce que mon Robin chéri aurait oublié quel jour nous sommes ?

— Non, riposta-t-il, mais je ne pars pas. Je veux rester au lit. Tu pourrais me lire quelque chose sur le Chevalier Ailé. »

Le Chevalier Ailé était ser Artys Arryn. La légende prétendait que c’était lui qui avait chassé du Val les Premiers Hommes et que, monté sur un faucon colossal, il avait volé jusqu’à la cime de la Lance du Géant pour y tuer le Roi Griffon. Il existait une centaine de contes consacrés à ses aventures. Le petit Robert les connaissait tous si bien qu’il aurait pu les réciter de mémoire, mais il aimait se les faire lire tout de même. « Il nous faut partir, mon cher cœur, lui dit-elle, mais je te le promets, je te lirai deux histoires du Chevalier Ailé quand nous atteindrons les Portes de la Lune.

— Trois », rétorqua-t-il du tac au tac. De quoi qu’il fut question, peu importait ce que vous lui offriez, Robert en voulait toujours davantage.

« Trois, convint-elle. Me serait-il permis de laisser entrer un peu de soleil ?

— Non. La lumière me fait mal aux yeux. Viens te coucher, Alayne. »

Elle ne s’en dirigea pas moins vers les fenêtres en contournant tant bien que mal les débris du pot de chambre, dont elle sentait beaucoup mieux l’odeur qu’elle ne le voyait. « Je ne vais pas les ouvrir toutes grandes. Juste assez pour voir la figure de mon Robin chéri. »

Il renifla. « S’il te le faut. »

Les rideaux étaient en velours peluche bleu. Elle en écarta un de la longueur d’un doigt puis l’attacha. Des particules de poussière se mirent à danser dans un rayon pâlot de la lumière du matin. Les petites vitres en pointe de diamant de la fenêtre étaient opacifiées par le givre. Alayne en frotta un avec le talon de sa main, juste assez pour entr’apercevoir le brillant éclat d’un ciel d’azur et la blancheur éblouissante du versant de la montagne. Les Eyrié étaient emmitouflés dans une cape de glace, et la Lance du Géant qui les surplombait enfouie dans des épaisseurs de neige montant jusqu’à la ceinture.

Lorsqu’elle se retourna, Robert Arryn s’était adossé contre les oreillers et la regardait. Le sire des Eyrié, Défenseur du Val. Une couverture de laine le dissimulait à partir de la taille, mais son torse nu était celui d’un petit garçon empâté, et ses cheveux étaient aussi longs que ceux d’une fille. Il avait des bras et des jambes grêles, la poitrine flasque et creuse et un brin de bedaine, et ses yeux étaient toujours rouges et chassieux. Il n’est pas responsable de son aspect. Il est né malingre et maladif. « Vous avez l’air très robuste, ce matin, messire. » Il adorait s’entendre vanter sa robustesse. « Vais-je expédier Gretchel et Maddy chercher de l’eau bien chaude pour votre bain ? Maddy se chargera de vous récurer le dos et de vous laver les cheveux, pour que vous soyez bien propre et d’allure dûment seigneuriale à l’occasion de votre voyage. N’est-ce pas une perspective charmante ?

— Non. Je déteste Maddy. Elle a une verrue sur l’œil, et elle frotte si fort que ça fait mal. Ma maman ne me faisait jamais mal quand elle me frottait.

— Je la prierai de ne pas frotter si fort mon Robin chéri. Tu te sentiras en meilleure forme quand tu seras tout propre et frais comme un sou neuf.

— Pas de bain, je t’ai dit, ma tête me fait un mal épouvantable.

— Et si je t’apportais une serviette tiède pour mettre sur ton front ? Ou une coupe de songevin ? Mais rien qu’une petite. Mya Stone est en train de t’attendre à Pierre, en bas, et elle aura de la peine si tu lui ronfles au nez. Tu sais quelle affection elle a pour toi.

— Moi, je n’en ai aucune pour elle. Ce n’est rien d’autre que la muletière. » Il renifla. « Mestre Colemon a mis quelque chose d’infect dans mon lait, la nuit dernière, j’ai senti le goût. Je lui ai dit que je voulais du sirop de lait, mais il a refusé de m’en apporter. Même quand je le lui ai commandé. C’est moi le lord, il devrait faire ce que je dis. Personne ne fait ce que je dis.

— Je lui en parlerai, promit Alayne, mais uniquement si tu te lèves. Il fait beau dehors, Robin chéri. Le soleil brille de tout son éclat, c’est une journée parfaite pour descendre de la montagne. Les mulets t’attendent déjà à Pierre avec Mya… »

Sa bouche se mit à trembler. « Je déteste ces mulets puants. Il y en a un qui a essayé de me mordre, une fois. Tu n’as qu’à dire à Mya que je reste ici. » Le ton de sa voix semblait indiquer qu’il était sur le point de pleurer. « Personne ne peut me faire de mal tant que je reste ici. Les Eyrié sont imprenables.

— Qui pourrait avoir envie de faire du mal à mon Robin chéri ? Tes lords et tes chevaliers t’adorent, et le petit peuple acclame ton nom. » Il a peur, songea-t-elle, et à juste titre. Depuis la chute mortelle de dame sa mère, il ne consentait même pas à se tenir sur un balcon, et le sentier qui menait des Eyrié aux Portes de la Lune était suffisamment scabreux pour décourager n’importe qui. Alayne avait eu le cœur en travers de la gorge pendant sa propre ascension avec lady Lysa et lord Petyr, et tout le monde s’accordait à reconnaître que la descente était encore plus effroyable, du fait que vous passiez votre temps à regarder en bas. Mya était mieux placée que quiconque pour vous raconter que de grands seigneurs et de hardis chevaliers étaient devenus blêmes et avaient trempé leurs culottes devant les à-pic. Et aucun d’entre eux n’était malade de la tremblote, en plus.

Il n’y avait rien d’autre à faire, de toute façon. Dans le plancher de la vallée, l’automne s’attardait encore, tiède et doré, tandis que l’hiver s’était refermé sur les cimes des montagnes. Ils avaient déjà essuyé trois tempêtes de neige, ainsi qu’un orage de pluie verglacée qui avait transformé le château en palais de cristal pendant une quinzaine. Les Eyrié pouvaient bien être imprenables, n’empêche, ils ne tarderaient guère à devenir inaccessibles aussi, et chaque jour qui passait rendait la descente de plus en plus hasardeuse. La plupart des domestiques et des soldats avaient déjà gagné la plaine. Il n’en restait plus qu’une douzaine à traîner encore sur ces hauteurs, pour assurer le service de lord Robert.

« Robin chéri, reprit-elle de sa voix la plus douce, la descente va être si amusante tout du long, tu verras. Ser Lothor sera avec nous, en plus de Mya. Ses mulets ont fait mille fois la montée et la descente de cette vieille montagne.

— Je déteste les mulets, répéta-t-il. Les mulets sont de sales bêtes. Je te l’ai dit, il y en a un qui a essayé de me mordre quand j’étais petit. »

Il n’avait en fait jamais appris ce qui s’appelle l’équitation. Les mulets, les chevaux, les ânes, tout cela ne faisait aucune différence, c’était du pareil au même à ses yeux, des bêtes terribles, aussi terrifiantes que des dragons ou des griffons. On l’avait amené au Val à l’âge de six ans, la tête nichée entre les seins laiteux de sa mère, et il n’avait jamais quitté les Eyrié depuis.

De toute manière, il fallait qu’ils partent, avant que la glace n’ait investi le château pour de bon. Il était impossible de savoir jusqu’à quand se maintiendrait le beau temps. « Mya empêchera les mulets de mordre, répondit Alayne, et je chevaucherai juste derrière toi. Je ne suis rien qu’une fille, pas aussi courageuse ni aussi robuste que toi. Si j’arrive à le faire, moi, il est alors sûr et certain que toi tu peux, Robin chéri.

— Je pourrais le faire, dit lord Robert, mais je ne veux pas. » Il essuya son nez morveux d’un revers de main. « Dis à Mya que je vais rester au lit. Peut-être que je descendrai demain, si je me sens mieux. Aujourd’hui, il fait trop froid dehors, et ma tête me fait mal. Tu pourras prendre aussi du sirop de lait, et je dirai à Gretchel de nous apporter à manger des rayons de miel. Nous dormirons, nous nous embrasserons et nous jouerons à des jeux, et tu pourras me lire quelque chose sur le Chevalier Ailé.

— Je le ferai. Trois histoires, comme j’ai promis… quand nous arriverons aux Portes de la Lune. » La patience d’Alayne était sérieusement en train de s’épuiser. Il nous faut partir au plus vite, se rappela-t-elle, ou bien nous serons encore au-dessus de la ligne des neiges avant le coucher du soleil. « Lord Nestor a fait préparer un festin pour te souhaiter la bienvenue, de la soupe aux champignons, de la venaison et des gâteaux. Tu serais fâché de le désappointer, n’est-ce pas ?

— Est-ce qu’il y aura des gâteaux au citron ? » Lord Robert raffolait des gâteaux au citron, peut-être parce qu’elle-même en raffolait.

— Des gâteaux au citron citronnés citronnés, lui assura-t-elle, et tu pourras en manger autant que tu voudras.

— Cent ? voulut-il savoir. Je pourrais en manger cent ?

— Si ça te fait plaisir. » Elle s’assit sur le bord du lit et caressa ses longs cheveux fins. Il a vraiment de jolis cheveux. Lady Lysa les lui brossait elle-même chaque soir et les lui coupait quand ils avaient besoin de l’être. Après la chute de sa mère dans le précipice, Robert avait été pris de crises de tremblement tellement aiguës pour peu que quiconque s’approchât de lui avec une lame que, sur ordre de Petyr, on avait laissé ses cheveux libres de pousser. Alayne enroula une mèche autour de son doigt puis reprit : « Maintenant, veux-tu bien sortir de ton lit et nous permettre de t’habiller ?

— Je veux cent gâteaux au citron et cinq histoires ! »

Je te donnerais volontiers cent fessées et cinq gifles. Tu n’oserais pas te conduire de cette façon si Petyr se trouvait ici. Le petit lord avait une sainte et salubre frousse de son beau-père. Alayne se contraignit à sourire. « Qu’il en soit selon les désirs de messire. Mais rien de tel tant que tu ne seras pas lavé, habillé et en route. Viens, avant que la matinée ne soit achevée. » Elle le prit fermement par la main et le tira hors du lit.

Mais elle n’eut pas le loisir d’appeler les servantes que Robin chéri l’enlaça dans ses bras maigrichons et l’embrassa. C’était un baiser de petit garçon, et un baiser pataud. Tout ce que faisait Robert Arryn était pataud. Si je ferme les yeux, je puis m’imaginer qu’il est le Chevalier des Fleurs. Ser Loras avait bien offert à Sansa Stark une rose rouge, mais il ne l’avait jamais embrassée. Et pas un seul Tyrell n’embrasserait jamais Alayne Stone. Si jolie qu’elle fût, elle était née du mauvais côté de la couverture.

Comme les lèvres du petit se collaient sur les siennes, elle se surprit à penser à un autre baiser. Elle conservait un souvenir intact de ce qu’elle avait éprouvé, quand il avait plaqué sa bouche cruelle contre la sienne. Il était venu trouver Sansa dans le noir, alors que des flammes vertes embrasaient le ciel. Il a pris une chanson et un baiser, et il ne m’a laissé rien d’autre qu’un manteau sanglant.

Cela n’avait pas d’importance. Ce jour-là était révolu, et c’en était également terminé de Sansa.

Alayne repoussa son petit lord. « Voilà qui suffit. Tu pourras m’embrasser de nouveau quand nous atteindrons les Portes, si tu tiens ta parole. »

Gretchel et Maddy attendaient dehors, en compagnie de mestre Colemon. Celui-ci avait débarbouillé ses cheveux des déjections nocturnes et changé de robe. Les écuyers de Robert s’étaient eux aussi pointés. Terrance et Gyles flairaient immanquablement les embrouillaminis.

« Lord Robert se sent en meilleure forme, dit Alayne aux servantes. Allez chercher de l’eau chaude pour son bain, mais veillez à ne pas l’ébouillanter. Et ne lui tirez pas sur les cheveux quand vous les démêlerez, il déteste ça. » L’un des écuyers se mit à ricaner jusqu’à ce qu’elle dise : « Terrance, veuillez apprêter la tenue d’équitation de Sa Seigneurie et son manteau le plus chaud. Gyles, à vous de déblayer ces débris de pot de chambre. »

Gyles Grafton fit la moue. « Je ne suis pas une femme de ménage.

— Obéissez aux ordres de lady Alayne, ou Lothor Brune en entendra parler », fit mestre Colemon. Il la suivit dans le corridor et descendit avec elle l’escalier en colimaçon. « Je vous suis reconnaissant de votre intercession, ma dame. Vous savez vous y prendre avec lui. » Il hésita. « Avez-vous remarqué le moindre tremblement pendant que vous étiez ensemble ?

— Ses doigts tremblaient un tout petit peu quand je lui tenais la main, c’est tout. Il prétend que vous avez mis quelque chose d’infect dans son lait.

— D’infect ? » Il la regarda en papillotant, et la pomme de sa gorge monta et redescendit. « J’ai simplement… Est-ce qu’il a des saignements de nez ?

— Non.

— Bon. Voilà qui est bon. » Sa chaîne tintinnabulait doucement quand sa tête dodelinait, tout au bout d’un cou ridiculement long et décharné. « Cette descente, ma dame… elle serait peut-être moins périlleuse si je concoctais pour Sa Seigneurie un peu de lait de pavot. Mya Stone pourrait l’arrimer avec des lanières sur le dos de son mulet au pied le plus sûr pendant qu’il sommeillerait.

— Le sire des Eyrié ne saurait descendre de sa montagne attaché comme un sac de grain d’orge. » Sur ce point, elle était formelle. Il n’était pas question de laisser se divulguer partout l’état de santé pitoyable et la couardise de Robert dans toute leur ampleur, le « père » d’Alayne l’avait d’ailleurs bien assez chapitrée dans ce sens. Que n’est-il ici ! Lui saurait quoi faire.

Seulement, lord Baelish se trouvait à l’autre extrémité du Val pour assister aux noces de lord Lyonel Corbray. Veuf et âgé d’une quarantaine, voire d’une cinquantaine d’années, sans enfants, ce dernier devait épouser une belle gaillarde de seize ans, fille d’un riche négociant de Goëville. Petyr avait joué les entremetteurs pour conclure l’affaire. La dot passait pour être époustouflante, et elle devait l’être, eu égard aux origines vulgaires de la fiancée. Les vassaux de Corbray seraient là, de même que les lords Cirley, Lynderly, Grafton, plus quelques autres de moindre importance et des chevaliers fieffés, ainsi que lord Belmore lui-même avec qui son « père » s’était récemment réconcilié. Comme on s’attendait à ce que les lords Déclarants boudent la cérémonie, la présence de Petyr était essentielle.

Alayne comprenait assez bien la situation, mais tout cela impliquait, du coup, que la corvée d’amener Robin chéri sain et sauf au bas de la montagne retombait sur elle. « Faites prendre à Sa Seigneurie une coupe de sirop de lait, dit-elle au mestre. Cela le préservera de trembler pendant le trajet.

— Je lui en ai déjà donné une il n’y a pas trois jours, objecta le mestre.

— Et il en voulait une autre la nuit dernière, et vous la lui avez refusée.

— C’était trop tôt. Vous ne comprenez pas, ma dame. Comme je l’ai expliqué au lord Protecteur, une pincée de bonsomme empêchera les tremblements, mais le corps ne l’élimine pas, et, au bout d’un certain temps…

— Le temps nous fera une belle jambe si Sa Seigneurie a une crise de tremblements et dégringole dans l’abîme. Mon père serait là, je sais qu’il vous dirait de faire le nécessaire pour que lord Robert reste calme coûte que coûte.

— Je m’y emploie de mon mieux, ma dame, mais ses accès deviennent de plus en plus violents, et le flux de son sang s’est tellement atténué que je n’ose même plus lui apposer des sangsues. Du bonsomme… Vous êtes absolument certaine qu’il n’a pas eu de saignements de nez ?

— Il reniflait, reconnut-elle, mais je n’ai pas vu de sang.

— Je dois parler au lord Protecteur. Ce festin, n’est-ce pas imprudent, je me le demande, après l’épreuve nerveuse de la descente ?

— Ce ne sera pas un festin bien pompeux, lui assura-t-elle. Pas plus de quarante convives. Lord Nestor et sa maisonnée, le Chevalier de la Porte, une poignée de seigneurs mineurs et leurs domestiques…

— Lord Robert n’aime pas les inconnus, vous le savez, et puis il y aura des beuveries, du tapage… de la musique. La musique lui fait peur.

— La musique l’apaise, rectifia-t-elle, notamment celle de la grande harpe. C’est le chant qu’il ne peut pas supporter, depuis que Marillion a tué sa mère. » Alayne avait tant de fois répété ce mensonge que sa mémoire le lui dictait tel quel plus souvent qu’à son tour ; la vérité ne lui paraissait guère plus qu’un mauvais rêve qui troublait de temps à autre son sommeil. « Lord Nestor ne laissera pas de chanteurs se produire au cours du festin, seulement des flûtes et des crincrins pour la danse. » Et elle, que ferait-elle lorsque la musique commencerait à jouer ? C’était une question qui la tourmentait d’autant plus que son cœur et sa tête y répondaient de façon différente. Sansa adorait danser, mais Alayne… « Donnez-lui simplement une coupe de sirop de lait avant notre départ, puis une seconde au moment du festin, et tout devrait se passer sans encombre.

— Très bien. » Ils s’immobilisèrent au bas de l’escalier. « Mais celle-ci doit être la dernière. Pour six mois, voire davantage.

— Le mieux serait que vous abordiez ce sujet avec le lord Protecteur. » Elle franchit la porte et traversa la cour. Mestre Colemon ne souhaitait que le meilleur traitement possible pour son malade, elle n’en disconvenait assurément pas, mais le meilleur traitement possible pour le petit garçon qu’était Robert et le meilleur traitement possible pour le lord Arryn qu’il était aussi n’étaient pas toujours identiques. Petyr l’avait souligné lui-même, et c’était la pure vérité. Or, mestre Colemon se préoccupe exclusivement de l’enfant, pour sa part. Tandis que les motifs d’inquiétude que nous avons, Père et moi, sont d’une tout autre portée.

La cour était intégralement recouverte de vieille neige, et des stalactites de glace pointues comme des piques de cristal étaient suspendues aux terrasses et aux balcons. Les Eyrié étaient construits en belle pierre blanche que leur manteau d’hiver rendait d’une blancheur encore plus éclatante. Si beaux, songea Alayne, si imprenables. Il lui était impossible d’aimer ces lieux, malgré tous ses efforts. Dès avant que les gardes et les serviteurs n’en fussent descendus, le château lui avait fait l’effet d’être désert comme une tombe, et ce d’autant plus lorsque Petyr s’en absentait. Personne ne chantait là-haut, plus personne depuis Marillion. Personne n’y riait trop fort. Les dieux eux-mêmes y étaient muets. Les Eyrié se targuaient de posséder un septuaire, mais ils n’avaient pas de septon ; de posséder un bois sacré, mais celui-ci n’avait pas d’arbre-cœur. Les prières demeurent sans réponse, ici, songeait-elle souvent, bien qu’elle s’y sentît certains jours tellement solitaire qu’elle se voyait forcée d’essayer quand même d’en obtenir. Mais le vent seul lui répondait en soupirant sans trêve ni cesse autour des sept fines tours immaculées ou en griffant la porte de la Lune chaque fois qu’il soufflait par bourrasques. Et ce sera pire encore en hiver, comprit-elle. En hiver, ce sera une prison toute blanche et glaciale.

Et pourtant, la perspective de partir l’effrayait presque autant qu’elle terrorisait Robert. Elle le cachait mieux que lui, c’est tout. Son « père » prétendait qu’il n’y avait pas de honte à avoir peur, mais seulement à le montrer. « Tout le monde vit avec la peur au ventre », affirmait-il. Alayne n’était pas vraiment certaine de croire cette assertion. Rien n’effrayait Petyr Baelish. Il n’a dit ça que pour me donner du courage. Il allait lui falloir se montrer courageuse, en bas, où le risque de se voir démasquée serait infiniment plus grand qu’ici. Les amis que Petyr avait à la Cour l’avaient informé que la reine avait lancé des hommes à la recherche du Lutin et de Sansa Stark. Je le paierai de ma tête, si l’on me découvre, se rappela-t-elle tout en descendant une volée de marches verglacées. Je ne dois pas cesser d’être Alayne une seule seconde, intérieurement comme à l’extérieur.

Lothor Brune se trouvait dans la salle au treuil, en train d’aider le geôlier Mord et deux serviteurs à manipuler des coffres de vêtements et des ballots de linge qu’ils entassaient dans six énormes cuveaux de chêne, chacun d’une hauteur et d’un diamètre suffisants pour contenir trois hommes. Vous laisser treuiller au bout des chaînes colossales était le moyen le plus simple pour aboutir au fort de Ciel qui barrait le sentier, six cents pieds en contrebas ; autrement, vous deviez négocier la cheminée naturelle creusée dans le roc qui partait de sous les celliers. Ou bien emprunter le chemin qu’ont déjà pris Marillion et lady Lysa avant lui.

« Sorti du lit, le marmot ? questionna ser Lothor.

— On est en train de le baigner. Il sera prêt dans moins d’une heure.

— Vaut mieux l’espérer. Mya n’attendra pas, passé midi. » La salle au treuil n’étant pas chauffée, son haleine émettait une bouffée de brume à chaque mot.

« Elle attendra, décréta-t-elle. Elle doit attendre.

— Soyez-en pas si sûre, m’dame. Elle est à moitié mule elle-même, celle-là. Moi, j’crois qu’elle nous laisserait crever de faim tous qu’on est ’vant de mettre en danger ses foutues bestioles. » Il souriait en disant cela. Il sourit toujours quand il parle de Mya Stone. La muletière était beaucoup plus jeune que le chevalier, mais pendant qu’il s’affairait à arranger le mariage de lord Corbray avec sa fille de marchand, Petyr avait déclaré à Alayne que les jeunes filles les plus heureuses étaient toujours celles qui épousaient des hommes mûrs. « Il n’y a rien de tel que l’alliance de l’innocence et de l’expérience pour garantir une parfaite union », il avait dit.

Elle se demanda ce que Mya pensait de ser Lothor. Avec son nez camus, sa mâchoire carrée et son duvet laineux de cheveux gris, Brune ne pouvait pas être qualifié de beau type, mais il n’était pas laid non plus. Il a une figure ordinaire mais honnête. Pour avoir été élevé jusqu’à la chevalerie, il n’en était pas moins de très basse extraction. Un soir, il lui avait conté qu’il était parent des Brune de Combebrune, une vieille famille de chevaliers originaire de Clacquepince. « Je suis allé les trouver quand mon père est mort, confessa-t-il, mais ils m’ont craché dessus et m’ont dit que je n’étais pas du tout de leur sang. » Il ne s’étendit pas sur ce qui s’était passé par la suite, hormis pour dire que tout ce qu’il savait en matière d’armes, il l’avait appris à la dure. C’était un homme sobre et laconique, mais un fameux costaud. Et Petyr affirme qu’il est loyal. La confiance qu’il lui accorde avoisine le maximum dont il est capable. Brune serait un bon parti pour une bâtarde telle que Mya Stone, songea-t-elle. Les choses seraient peut-être différentes si son père l’avait reconnue, mais il n’en a jamais rien fait. Et Maddy raconte qu’elle n’est pas du tout vierge non plus.

Mord ramassa son fouet, le fit siffler, et la première paire de bœufs s’ébranla d’un pas lourd autour du treuil pour le faire pivoter. La chaîne se déroula en grinçant et en éraflant bruyamment la pierre, tandis que le cuveau de chêne entreprenait son interminable descente vers Ciel en se balançant. Pauvres bœufs, les plaignit Alayne. Mord allait les égorger puis les équarrir avant d’abandonner leurs carcasses en pâture aux faucons. Ce qui resterait d’eux à la réouverture des Eyrié serait rôti pour le festin de printemps, si leur chair ne s’était avariée d’ici-là. Une bonne réserve de viande congelée à cœur annonçait un été plantureux, affirmait la vieille Gretchel.

« M’dame, dit soudain ser Lothor, vaut mieux que vous soyez au courant, Mya n’est pas montée seule. Lady Myranda l’a accompagnée.

— Oh. » Qu’est-ce qui a pu l’inciter à faire une aussi longue escalade à dos de mulet si c’est uniquement pour redescendre ensuite ? Myranda Royce était la fille de lord Nestor. Lors de l’unique et bref séjour que Sansa avait fait aux Portes de la Lune, en route pour les Eyrié avec Tante Lysa et lord Petyr, la damoiselle était absente, mais Alayne avait beaucoup entendu les soldats et les servantes du château parler d’elle depuis. Sa mère étant morte depuis longtemps, c’était lady Myranda qui assurait le rôle de maîtresse de maison chez son père ; à en croire la rumeur, l’existence de la demeure était beaucoup plus animée quand elle se trouvait là. « Tôt ou tard, il te faudra rencontrer Myranda Royce, l’avait prévenue Petyr. A cette occasion, sois bien prudente. Elle se plaît à jouer les fofolles joyeuses mais, dans le fond, elle est plus matoise que son père. Surveille ta langue dans son entourage. »

Je n’y manquerai pas, songea-t-elle, mais j’ignorais qu’il me faudrait débuter si tôt. « Robert en sera ravi. » Il aimait bien Myranda Royce. « Veuillez m’excuser, ser. J’ai à terminer mes paquets. » Elle remonta toute seule jusqu’à sa chambre pour une dernière fois. Les fenêtres y avaient été scellées et les volets mis, les meubles placés sous housse. On avait déjà emporté ceux de ses effets personnels destinés à la suivre et rangé le reste. Toutes les soieries et tous les brocarts de lady Lysa devaient être forcément laissés au placard. Ses lingeries les plus fines et ses velours les plus pelucheux, ses somptueuses broderies et ses arachnéennes dentelles de Myr, tout cela demeurerait ici. En bas, Alayne aurait à se vêtir avec la dernière simplicité, ainsi qu’il convenait à une fille de naissance modeste. Peu importe, se dit-elle. Même ici, je n’osais pas arborer les robes les plus luxueuses.

Gretchel avait défait son lit et préparé les affaires qui compléteraient sa tenue. Alayne portait déjà sous ses jupes, par-dessus une double épaisseur de sous-vêtements, des chausses en laine. Elle enfila maintenant une surtunique de laine d’agneau et s’emmitoufla dans un manteau de fourrure à capuchon qu’elle agrafa avec un moqueur d’émail que lui avait offert Petyr. Une écharpe complétait l’ensemble, ainsi qu’une paire de gants de cuir bordés de fourrure et assortis à ses bottes d’équitation. Une fois habillée de pied en cap, elle eut l’impression fâcheuse qu’elle était aussi rondouillarde et touffue qu’un ourson. J’aurai bien assez motif de m’en féliciter sur la montagne, lui fallut-il se rappeler. Elle accorda un dernier regard circulaire à sa chambre avant de la quitter. Ici, j’étais en sécurité, songea-t-elle, alors qu’en bas…

Quand elle regagna la salle au treuil, elle y trouva Mya Stone qui trépignait d’impatience en compagnie de Lothor Brune et de Mord. Elle a dû remonter dans le cuveau pour voir ce qui nous retardait aussi longuement. Svelte et musclée, Mya semblait aussi coriace que les vieux cuirs d’équitation qu’elle portait sous son haubert de chaîne de mailles argentée. Ses cheveux, d’un noir d’aile de corbeau, étaient si courts et taillés de bric et de broc qu’Alayne la soupçonna de se les couper avec un poignard. Vastes et bleus, ses yeux étaient le meilleur atout de son visage. Elle pourrait être jolie, si elle voulait bien s’habiller comme une fille. Alayne se surprit à se demander si ser Lothor la préférait revêtue de cuir et de fer, ou s’il rêvait de la voir parée de dentelle et de soie. Mya se plaisait à dire que son père avait été un bouc et sa mère une chouette, mais Alayne avait appris de cette chipie de Maddy sa véritable histoire. Oui, songea-t-elle en l’examinant plus attentivement, elle a bel et bien les yeux de Robert, et elle a aussi ses cheveux, les épais cheveux noirs que possédait également Renly.

« Où est-il ? interrogea la bâtarde.

— On est en train de baigner et d’habiller Sa Seigneurie.

— Il faudrait qu’il se dépêche un peu. Le temps se refroidit, ne le sentez-vous pas ? Il nous faut être au-dessous de Neige avant le coucher du soleil.

— Et le vent ? lui demanda Alayne. Pas trop mauvais ?

— Il pourrait être pire… et il le sera, la nuit tombée. » Mya repoussa une mèche qui lui balayait les yeux. « S’il traîne encore davantage dans son bain, nous serons piégés ici tout l’hiver sans avoir rien d’autre à manger que les uns les autres. »

Alayne ne sut que répondre à cela. Par bonheur, elle s’en trouva dispensée par l’arrivée de Robert Arryn. Le petit lord portait du velours bleu ciel, une chaîne d’or sertie de saphirs, et un long manteau d’ours blanc. Chacun de ses écuyers soutenait un pan de la fourrure, pour la préserver de traîner par terre. Mestre Colemon les accompagnait, drapé dans un manteau gris râpé jusqu’à la trame et soutaché d’écureuil. Gretchel et Maddy cheminaient quelques pas derrière.

Quand il sentit le vent froid sur sa figure, Robert flancha, mais Terrance et Gyles le talonnaient d’assez près pour lui interdire la fuite. « Messire, dit Mya, vous voulez bien faire la descente avec moi ? »

Trop brusque, songea Alayne. Elle aurait dû l’accueillir avec un sourire, lui dire comme il a l’air robuste et courageux.

« C’est Alayne que je veux, rétorqua lord Robert. Je ne partirai qu’avec elle.

— Le cuveau peut nous contenir tous les trois.

— Je veux juste Alayne. Tu pues de partout, toi, comme tes mulets.

— Qu’il en soit selon votre bon plaisir. » La physionomie de Mya ne trahissait aucune émotion.

Certaines des chaînes de treuil furent accrochées à des corbeilles d’osier, les autres à de gros cuveaux de chêne. Le plus vaste de ceux-ci était plus haut qu’Alayne, et des bandes de fer cerclaient ses douves brun sombre. En dépit de cela, elle avait le cœur dans la gorge lorsqu’elle saisit la main de Robert pour l’aider à y pénétrer. Une fois refermé le panneau derrière eux, ils se retrouvèrent entièrement cernés par le bois. Il n’y avait d’ouverture qu’en haut. Tant mieux qu’il en soit ainsi, se dit-elle, il nous est impossible de regarder en bas. Sous leurs pieds, il n’y avait que Ciel et le ciel. Pendant un moment, elle se surprit à se demander combien de temps il avait fallu à sa tante pour tomber tout du long, et quelle avait été sa dernière pensée quand la montagne s’était précipitée à sa rencontre. Non, je ne dois pas penser à cela. Je ne dois pas !

« LARGUEZ ! » tonna soudain la voix de ser Lothor. Quelqu’un poussa rudement le cuveau. Celui-ci tangua, s’inclina, écorcha le sol et enfin se balança librement dans le vide. Alayne entendit claquer le fouet de Mord et le grincement de la chaîne. Ils commencèrent à descendre, non sans secousses et saccades d’abord, puis de manière plus douce. Robert était tout pâle, et il avait les yeux bouffis, mais ses mains étaient immobiles. Les Eyrié s’amenuisèrent au-dessus de leurs têtes. Les cellules célestes des niveaux inférieurs faisaient ressembler le château, d’en dessous, à un rayon de miel. Un rayon de miel fait de glace, songea Alayne, et un château fait de neige. Elle entendait le vent siffler tout autour du cuveau.

Une centaine de pieds plus bas, une brusque bourrasque s’empara d’eux. Le cuveau oscilla de côté, tournoya sur lui-même dans le vide et finit par heurter violemment la face rocheuse derrière eux. Les planches de chêne émirent un craquement sinistre sous le choc, et des échardes de glace entremêlées de neige plurent à verse sur les passagers. Robert en perdit le souffle et se cramponna à elle en enfouissant sa figure entre ses seins.

« Messire est brave, dit Alayne, quand elle s’aperçut qu’il tremblait. J’ai tellement peur, contrairement à vous, que je puis à peine parler. »

Elle le sentit acquiescer d’un hochement de tête. « Le Chevalier Ailé était brave, et je le suis moi aussi, se vanta-t-il à l’adresse de son corsage. Je suis un Arryn.

— Est-ce que mon Robin chéri consentirait alors à me serrer très très fort ? » reprit-elle d’un ton pressant, alors qu’il la serrait déjà tellement fort qu’elle se trouvait presque dans l’incapacité de respirer.

« Si tu veux », chuchota-t-il. Et à force de s’agripper l’un à l’autre comme des forcenés, ils poursuivirent leur descente d’une seule traite jusqu’à Ciel.

Appeler château ce fortin revient à baptiser lac une flaque dans un cabinet d’aisances, songea Alayne lorsqu’on rouvrit le cuveau pour leur permettre de reprendre pied dans l’enceinte. Ciel n’était en effet rien de plus qu’un mur de vieilles pierres sèches en forme de croissant qui renfermait une corniche rocheuse et la gueule béante d’une caverne. A l’intérieur se trouvaient des magasins et des écuries, une salle naturelle toute en longueur et les prises de main taillées dans le roc qui signalaient le départ de la fameuse cheminée par où l’on accédait directement aux Eyrié. Dehors, le sol était jonché de pierres brisées et d’éboulis chaotiques. Des rampes de terre battue servaient à monter sur le mur. Six cents pieds au-dessus, les Eyrié étaient si minuscules qu’Alayne pouvait les cacher derrière sa main, mais au-dessous, loin, loin, le Val s’étendait largement, vert et or.

Vingt mulets attendaient les voyageurs dans le fort, ainsi que deux muletiers et lady Myranda Royce. La fille de lord Nestor se révéla être un petit bout de femme toute en chair, à peu près du même âge que Mya Stone, mais alors que Mya était mince et nerveuse, Myranda était molle et parfumée, large de hanches, épaisse de taille et extrêmement plantureuse. Ses boucles drues et châtaines encadraient des joues rouges et rondes, une petite bouche et de vives prunelles marron. Lorsque Robert enjamba précautionneusement le rebord du cuveau, elle s’agenouilla dans une nappe de neige et lui baisa les mains et les joues. « Messire, dit-elle, ce que vous êtes devenu grand !

— Vraiment ? minauda Robert, enchanté.

— Vous serez bientôt plus haut que moi », mentit la dame. Elle se releva et épousseta ses jupes enneigées. « Et vous, vous devez être la fille du lord Protecteur », ajouta-t-elle en se tournant aussi sec vers Alayne, tandis que le cuveau reprenait l’air à grand bruit vers les Eyrié. « Il m’était revenu aux oreilles que vous étiez belle. Je puis le constater. »

Alayne lui fit une révérence. « Ma dame est bien bonne de dire cela.

— Bien bonne ? » L’autre se mit à rire. « Ce serait d’un ennui ! J’aspire à être une peste. Il va falloir me raconter tous vos secrets pendant que nous descendrons. Puis-je me permettre de vous appeler Alayne ?

— Si vous le désirez, ma dame. » Mais vous ne me soutirerez pas de secrets.

— Je suis "ma dame" aux Portes, mais à cette altitude-ci dans la montagne, vous pouvez m’appeler Randa. Quel âge avez-vous, Alayne ?

— Quatorze ans, ma dame. » Elle avait décidé qu’Alayne Stone devait être plus vieille que Sansa Stark.

« Randa. J’ai l’impression qu’il s’est écoulé cent ans depuis que j’en avais quatorze. Ce que j’étais innocente ! Etes-vous encore innocente, Alayne ? »

Elle s’empourpra. « Vous ne devriez pas me… Oui, naturellement.

— Vous vous conservez pour lord Robert ? la taquina lady Myranda. Ou bien y aurait-il quelque ardent écuyer qui rêve d’obtenir vos faveurs ?

— Non », répondit Alayne, à l’instant même où Robert déclarait : « Elle est mon amie. Terrance et Gyles n’ont pas le droit de l’avoir. »

Un deuxième cuveau était arrivé entre-temps et s’était posé avec un bruit sourd sur un tas de neige gelée. Il en sortit mestre Colemon, et les écuyers susmentionnés Terrance et Gyles. La treuillée suivante vit la livraison de Gretchel et Maddy, descendues en compagnie de Mya Stone. Laquelle ne gaspilla pas une seconde pour prendre en main les opérations. « Pas question de nous laisser tous coincer en groupe sur la montagne, dit-elle à ses acolytes muletiers. Je vais emmener lord Robert et ses compagnons. Ossy, toi, tu te chargeras de ser Lothor et des autres, mais après que j’aurai pris moi-même une heure d’avance. Quant à toi, Poil de Carotte, tu t’occuperas de leurs coffres et de leurs caisses. » Elle se tourna sur ces entrefaites vers Robert Arryn, ses cheveux noirs ébouriffés par la bise. « Quel mulet vous plairait-il de monter aujourd’hui, messire ?

— Ils sont tous puants. Je prendrai le gris, celui qui a l’oreille déchiquetée. Je veux qu’Alayne chevauche à mes côtés. Et Myranda aussi.

— Là où le chemin est assez large. Venez çà, messire, que l’on vous juche sur votre mulet. Il y a dans l’atmosphère une odeur de neige. »

Une nouvelle demi-heure s’écoula avant qu’ils ne soient prêts à démarrer. Une fois toute sa troupe en selle, Mya donna sèchement un ordre, et deux des hommes d’armes de Ciel ouvrirent les portes à la volée. Mya sortit en tête, avec Robert juste derrière elle, emmailloté dans son manteau d’ours. Alayne et Myranda Royce leur emboîtèrent le pas, suivies de Gretchel et Maddy puis de Terrance Lynderly et de Gyles Grafton. Mestre Colemon fermait le ban, traînant par la bride un second mulet chargé de ses malles d’herbes et de potions.

Au-delà des murs, le vent s’acéra méchamment. Vu qu’on se trouvait là fort au-dessus de la ligne des arbres, on était exposé à tous les éléments. Alayne n’eut qu’à se louer de s’être vêtue aussi chaudement. Son manteau flottait bruyamment dans son dos, et une rafale soudaine la décoiffa de son capuchon. Elle se mit à rire mais, quelques pas devant, lord Robert se tortilla et dit : « Il fait trop froid. Nous devrions rebrousser chemin et attendre que ça se réchauffe.

— Il fera plus chaud sur le plancher de la vallée, messire, répondit Mya. Vous le verrez vous-même quand nous y serons.

— Je n’ai pas envie de le voir », riposta-t-il, mais elle n’en tint aucun compte.

Leur route se composait de séries sinueuses de marches de pierre taillées dans le flanc même de la montagne, mais les mulets les connaissaient toutes pouce à pouce. Alayne s’en réjouit. Le schiste avait été de-ci de-là tout effrité par les assauts d’innombrables saisons, de gels et de dégels successifs Des plaques de neige d’une blancheur aveuglante s’accrochaient aux parois rocheuses de part et d’autre du défilé. Le soleil était éclatant, le ciel bleu, et des faucons y planaient en cercle, portés par les ailes du vent.

A cette altitude où la pente était la plus raide, les escaliers décrivaient en permanence des lacets plutôt que de plonger droit devant. C’est Sansa Stark qui a gravi cette montagne, et c’est Alayne Stone qui en redescend. C’était une pensée bizarre. Au cours de la montée, Mya lui avait conseillé de ne pas détourner les yeux du sentier qu’elle allait emprunter, se rappela-t-elle « Regardez vers le haut, et pas vers le bas », disait-elle alors. Mais la chose n’était pas possible pendant la descente. Je pourrais fermer les yeux. Le mulet connaît le trajet, il n’a pas besoin de moi. Mais ce comportement-là ressemblait davantage à celui qu’aurait eu Sansa, cette gamine terrifiée. Tandis qu’Alayne était une femme plus âgée, doublée d’une bâtarde courageuse.

D’abord, ils chevauchèrent à la queue-leu-leu, mais à la longue, le sentier s’élargit assez pour le faire à deux de front, et Myranda Royce sauta sur l’occasion pour se porter à la hauteur d’Alayne. « Nous avons reçu une lettre de votre père », dit-elle d’un ton aussi détaché que si elles étaient assises avec leur septa, occupées à des travaux d’aiguille. « Il est en route pour rentrer, précise-t-il, et il espère voir bientôt sa fille bien-aimée. Il écrit que Lyonel Corbray semble fort aise de son épouse, et davantage encore de sa dot. J’espère de tout mon cœur que lord Lyonel se souvient de celle des deux avec laquelle il doit coucher. A la stupéfaction de tout le monde, nous apprend aussi lord Petyr, lady Vanbois s’est finalement présentée pour prendre part au festin de noces en compagnie du chevalier de Neufétoiles.

— Anya Vanbois ? Vraiment ? » Le nombre des lords Déclarants était tombé de six à trois, selon toute apparence Le jour où il avait quitté les Eyrié, Petyr Baelish s’était déclaré convaincu qu’il rallierait Symond Templeton à sa cause, mais il était plus sceptique en ce qui concernait lady Vanbois. « Y avait-il encore d’autres nouvelles ? » s’enquit-elle. On vivait tellement isolé de tout dans la montagne qu’elle était affamée d’apprendre la moindre bribe fraîche d’événement, si futile ou insignifiant que ce fût, survenu dans le vaste monde.

« De la part de votre père, non, mais nous avons eu d’autres oiseaux. La guerre se poursuit, partout sauf ici. Vivesaigues s’est rendu, mais Accalmie et Peyredragon résistent encore pour lord Stannis.

— Quelle sagesse a eue lady Lysa de nous maintenir en dehors de tout cela ! »

Myranda lui adressa un petit sourire malicieux. « Oui, elle était l’incarnation même de la sagesse, cette bonne dame. » Elle modifia son assiette en selle. « Pourquoi faut-il que les mulets soient si osseux et mauvais coucheurs ? Mya ne leur donne pas suffisamment à manger. Un gentil mulet bien gras serait plus confortable à monter. Il y a un nouveau Grand Septon, vous saviez ? Oh, et puis la Garde de Nuit est maintenant commandée par un gamin, une espèce de fils bâtard d’Eddard Stark.

— Jon Snow ? gaffa-t-elle, sous l’effet de la surprise.

— Snow ? Oui, ce doit être Snow, je suppose. »

Cela faisait une éternité que Sansa n’avait pas pensé à Jon. Il n’était certes que son demi-frère, mais n’empêche… Maintenant que Robb, Bran et Rickon étaient morts, Jon Snow était l’unique frère qui lui restât. Je suis une bâtarde, à présent, moi aussi, exactement comme lui. Oh, il serait tellement agréable de le revoir, un jour… Mais, bien entendu, cela ne pourrait jamais arriver. Alayne Stone n’avait pas de frères, illégitimes ou non.

« Notre cousin Yohn le Bronzé s’est offert le plaisir d’une mêlée à Roche-aux-runes, poursuivit Myranda Royce, une fois de plus à bâtons rompus. Une petite, uniquement pour écuyers. Le but était d’en faire remporter les honneurs à Harry l’Héritier, et il les a effectivement raflés.

— Harry l’Héritier ?

— Le pupille de lady Vanbois. Harrold Hardyng. Je présume qu’il va nous falloir l’appeler dorénavant ser Harry. Yohn le Bronzé l’a fait chevalier.

— Oh. » Alayne n’y comprenait rien. Pour quelle raison le pupille de lady Vanbois devrait-il être son héritier ? Elle avait des fils de sa propre chair. L’un d’eux, ser Donnel, était le chevalier de la Porte Sanglante. Mais comme elle ne voulait pas avoir l’air stupide, elle se borna à déclarer : « Plaise aux dieux qu’il se révèle un chevalier émérite. »

Lady Myranda renifla bruyamment. « Plaise aux dieux qu’il attrape la vérole. Il a une fille bâtarde d’une quelconque gueuse du commun, vous savez. Messire mon père avait espéré me marier à lui, mais lady Vanbois n’a pas voulu en entendre parler. J’ignore si c’était mon humble personne qu’elle ne trouvait pas à sa convenance ou tout simplement ma dot. » Elle poussa un soupir. « J’ai absolument besoin d’un autre mari. J’en ai déjà eu un, mais je l’ai tué.

— Tué, vous ? fit Alayne, scandalisée.

— Eh oui, moi. Il m’est mort dessus. Dedans, s’il faut dire la vérité. Vous savez ce qui se passe dans un lit conjugal, j’espère ? »

Sansa pensa à Tyrion, puis au Limier et à la façon dont il l’avait embrassée, et Alayne opina du chef. « Ç’a dû être épouvantable, ma dame. Sa mort. Là, je veux dire, pendant… pendant qu’il se trouvait…

— Pendant qu’il me baisait ? » Elle haussa les épaules. « Ç’a été déconcertant, sans conteste. Pour ne pas mentionner que c’était discourtois. Il n’a même pas eu la décence commune de me semer un enfant dans le ventre. Les vieux hommes ont la graine faiblarde. Et voilà où j’en suis, veuve mais à peine usagée. Harry aurait été capable de faire bien pire. Et il le fera, si vous m’en croyez. Lady Vanbois veut très probablement lui faire épouser l’une de ses petites-filles, ou l’une de celles de Yohn le Bronzé.

— Ce doit être le cas, ma dame. » Elle se rappela les mises en garde de Petyr.

« Randa. Allons, là, vous pouvez le dire. Ran-da.

— Randa.

— Beaucoup mieux. Je crains d’avoir à vous présenter des excuses. Vous allez me prendre pour une horrible garce, je le sais, mais j’ai couché avec ce joli garçon de Marillion. Je ne me doutais pas qu’il était un monstre. Il chantait superbement, et il savait faire les plus douces choses avec ses doigts. Je ne l’aurais jamais pris au lit si j’avais su qu’il allait pousser lady Lysa par la porte de la Lune. Je ne couche pas avec des monstres, généralement. » Elle examina le visage et la poitrine d’Alayne. « Vous êtes plus jolie que moi, mais j’ai de plus gros seins. Les mestres prétendent que les gros seins ne donnent pas plus de lait que les petits, mais je n’en crois rien. Avez-vous jamais connu de nourrice qui ait des petits nénés ? Les vôtres sont tout à fait suffisants pour une fille de votre âge, mais comme ce sont des seins de bâtarde, je ne vais pas m’en préoccuper. » Myranda fit se rapprocher son mulet. « Vous savez que notre Mya n’est pas vierge, j’imagine ? »

Elle le savait. La grosse Maddy le lui avait soufflé à l’oreille, une fois où Mya était montée leur apporter des provisions. « Maddy m’en a parlé.

— Naturellement qu’elle vous en a parlé. Elle a une bouche aussi large que ses cuisses, et ses cuisses sont énormes. Ç’a été Mychel Rougefort. Il était l’écuyer de Lyn Corbray. Un véritable écuyer, pas comme ce gars malotru que ser Lyn s’est dégotté pour le servir maintenant. Il a pris celui-là uniquement pour l’argent, on raconte. Mychel était le meilleur jeune bretteur du Val, et galant homme… Enfin, c’est du moins ce qu’a cru cette pauvre Mya, jusqu’à ce qu’il épouse l’une des filles de Yohn le Bronzé. Lord Horton ne lui a pas donné voix au chapitre, je suis sûre, mais c’était quand même infliger une peine cruelle à Mya.

— Ser Lothor est amoureux d’elle ». Alayne jeta un coup d’œil vers la jeune muletière, vingt pas plus bas. « Plus qu’amoureux.

— Lothor Brune ? » Myranda haussa un sourcil. « Elle est au courant ? » Elle n’attendit pas de réponse. « Il n’a aucun espoir, le malheureux. Mon père a essayé de la pourvoir d’un parti, mais elle n’a voulu d’aucun d’entre eux. Elle est à moitié mule elle-même, celle-là. »

A son corps défendant, Alayne se surprit en train d’éprouver davantage de sympathie pour sa compagne. Elle n’avait pas eu d’amie avec qui échanger des ragots depuis la pauvre Jeyne Poole. « Pensez-vous que ser Lothor la trouve à son gré telle qu’elle est, vêtue de cuir et de mailles ? demanda-t-elle, tant son aînée lui paraissait douée d’une expérience universelle. « Ou bien rêve-t-il d’elle attifée de velours et de soie ?

— C’est un homme. Il rêve d’elle à poil. »

Elle cherche à me faire rougir de nouveau.

Lady Myranda devait avoir entendu ses pensées. « Quelle ravissante nuance de rose vous prenez ! Quand je rougis, moi, j’ai tout à fait l’air d’une pomme. Sauf que je n’ai pas rougi depuis des années. » Elle se pencha pour se rapprocher. « Est-ce que votre père projette de se remarier ?

— Mon père ? » Alayne n’avait jamais envisagé semblable hypothèse. L’idée la mit inexplicablement mal à l’aise. Il lui revint soudain en mémoire l’expression qu’avait eue le visage de sa tante au moment où elle basculait par la porte de la Lune.

« Nous savons tous à quel point il était attaché à lady Lysa, reprit Myranda, mais il ne saurait porter le deuil éternellement Il a besoin d’une charmante jeune épouse pour évacuer son chagrin. J’imagine qu’il lui serait possible de jeter son dévolu sur la moitié des pucelles nobles du Val. Qui pourrait faire un meilleur époux que notre hardi lord Protecteur ? Encore que je souhaiterais lui voir porter un sobriquet plus séduisant que Littlefinger. Petit-Doigt ! Vous savez s’il l’a si petit que ça ?

— Son doigt ? » Elle rougit de nouveau. « Je ne pou… Je n’ai jamais… »

Lady Myranda éclata d’un rire si tonitruant que Mya Stone se retourna pour les lorgner furtivement. « Ne vous tracassez pas, Alayne, je suis sûre qu’il est d’assez bonne taille. »

Elles passèrent sous une arche sculptée par le vent dans la roche pâle et d’où pendaient de longues stalactites de glace qui dégouttaient sur leurs têtes. De l’autre côté, le sentier se rétrécissait pour plonger de manière abrupte à tout le moins sur une centaine de pieds. Myranda fut obligée de reprendre ses distances. Alayne lâcha la bride à son mulet. La raideur de la pente dans cette partie de la descente la contraignit à se cramponner de toutes ses forces à la selle. Les marches avaient été tellement lissées et creusées par les sabots ferrés de tous les mulets qui avaient emprunté ce passage qu’elles ressemblaient à des enfilades d’écuelles de pierre. Le fond de ces espèces d’écuelles était plein d’eau qui miroitait comme de l’or sous le soleil de l’après-midi. Ce n’est que de l’eau maintenant, songea Alayne, mais elle se changera tout entière en glace, la nuit venue. Elle se rendit compte qu’elle retenait son souffle et se remit à respirer. Mya Stone et lord Robert avaient presque atteint l’aiguille rocheuse où l’on se retrouvait en terrain plat. Elle tâcha de les regarder, de ne regarder qu’eux. Je ne tomberai pas, se dit-elle. Le mulet de Mya saura me faire franchir ce mauvais pas. Le vent cornait autour d’elle, pendant qu’elle bringuebalait en grignotant la pente pas à pas. Elle eut l’impression que cela durait une vie entière.

Et puis, tout à coup, elle se retrouva en bas, avec Mya et son petit lord, pelotonnée au pied de l’aiguille rocheuse tordue. Devant eux s’étirait une arête de pierre vertigineuse, étroite et verglacée. Alayne entendait les hurlements du vent et le sentait tirailler son manteau. Elle se rappelait l’endroit depuis sa montée. Il l’avait alors terrifiée, et il la terrifiait de nouveau maintenant. « C’est plus large que ça n’a l’air, disait Mya pour réconforter lord Robert d’une voix enjouée. Trois pieds de large et pas plus de huit pas de long, ce n’est rien.

— Rien », confirma Robert. Sa main tremblait.

Oh, non ! songea Alayne. Pas ici. Pas maintenant.

« Le mieux est de mener les mulets de l’autre côté, reprit Mya. S’il plaît à messire, je prendrai d’abord le mien, puis je reviendrai chercher le vôtre. » Lord Robert ne répondit pas. Il regardait fixement de ses yeux rougis l’arête mortelle. « Je ne serai pas longue, messire », promit la muletière, mais Alayne douta qu’il fût seulement capable de l’entendre.

Lorsque la bâtarde fit sortir son mulet de derrière l’aiguille qui les abritait, le vent la mordit à belles dents. Son manteau se souleva, se mit en vrille et flagella l’air. Elle tituba et donna pendant un demi-battement de cœur l’impression qu’elle allait être soufflée dans le précipice, mais elle réussit Dieu sait comment à recouvrer son équilibre et continua d’avancer.

Alayne saisit dans la sienne la main gantée de Robert afin d’en réprimer les tremblements. « Robin chéri, dit-elle, je meurs de peur. Tiens-moi la main, et aide-moi à traverser. Je sais que tu n’as pas la frousse, toi. »

Il la regarda, ses pupilles réduites à d’infimes piqûres d’épingle noires dans des yeux aussi gros et blancs que des œufs. « Je n’ai pas la frousse ?

— Pas toi. Tu es mon chevalier ailé, ser Robin chéri.

— Le Chevalier Ailé savait voler, chuchota l’enfant.

— Beaucoup plus haut que les montagnes. » Elle lui pressa brièvement la main.

Lady Myranda les avait rejoints près de l’aiguille. « Il savait », reprit-elle en écho, quand elle vit ce qui se passait.

« Ser Robin chéri », dit lord Robert, et Alayne comprit qu’il serait présomptueux d’attendre le retour de Mya. Elle l’aida à démonter, puis, main dans la main, ils s’aventurèrent sur l’arête de pierre nue, leurs manteaux jappant et claquant derrière eux. Tout autour, il n’y avait que le ciel et le vide, les parois tombant quasiment à pic de part et d’autre. Le sol était gelé, des cailloux guettaient juste l’occasion de vous fouler une cheville, et le vent poussait des hurlements féroces. On jurerait un loup, songea Sansa. Un fantôme de loup, gros comme des montagnes.

Et puis ils furent de l’autre côté, et Mya Stone riait et soulevait Robert de terre pour l’embrasser. « Faites attention, la prévint Alayne. Il est capable de vous faire mal en se débattant. Vous ne le croiriez pas, mais il en est capable. » Elles lui dénichèrent une faille dans les rochers pour le préserver du vent glacial. Alayne le cajola jusqu’à ce que ses tremblements cessent, pendant que Mya repartait pour aider les autres à traverser.

Des mulets frais les attendaient à Neige, ainsi qu’un repas chaud de ragoût de chèvre et d’oignons. Alayne se restaura en compagnie de Mya et de Myranda. « Ainsi donc, vous êtes aussi brave que belle, lui dit la seconde.

— Non. » Le compliment la fit rougir. « Vraiment pas. J’étais tellement affolée. Je pense que je n’aurais pas pu traverser sans lord Robert. » Elle se tourna vers Mya Stone. « Vous avez bien failli tomber.

— Vous vous méprenez. Je ne tombe jamais. » Ses cheveux en bataille lui barraient une joue et dissimulaient l’un de ses yeux.

« Failli, j’ai dit. Je vous ai vue. Vous n’avez pas eu peur ? »

Mya secoua la tête. « Je me souviens d’un homme qui me lançait en l’air quand j’étais toute petite. Il est d’une stature aussi élevée que le ciel, et il me lance si haut que j’ai l’impression d’être en train de voler. Nous rions tous les deux, rions tellement que je peux à peine respirer, et, finalement, je ris si fort que je me mouille, mais lui n’en rit que d’autant plus fort. Je n’avais jamais peur quand il me lançait. Je savais qu’il serait toujours là pour me rattraper. » Elle repoussa ses cheveux. « Et puis un jour, il n’y a pas été. Les hommes viennent et partent Ils mentent, ou meurent, ou vous abandonnent. Mais une montagne n’est pas un homme, et une pierre[2] est une fille de la montagne. J’ai confiance en ma mère, et j’ai confiance en mes mulets. Je ne tomberai pas. » Elle posa sa main sur un éperon de roche déchiquetée et se leva. « Mieux vaut en finir. Nous avons encore une longue route à faire, et je sens une odeur de tempête. »

La neige se mit à tomber comme ils quittaient Pierre, le plus vaste et le plus bas des trois forts qui défendaient les approches des Eyrié. La nuit commençait à arriver. Lady Myranda suggéra qu’il ne serait peut-être pas plus mal de faire plutôt demi-tour, de passer la nuit à Pierre et de reprendre la descente au lever du soleil, mais Mya ne voulut pas en entendre parler. « Entre-temps, la neige pourrait avoir cinq pieds de haut, et les marches seraient traîtresses, même pour mes mulets, déclara-t-elle. Nous avons tout intérêt à continuer. Nous irons lentement. »

Et c’est ce qu’ils firent. Au-dessous de Pierre, les marches étaient plus larges et moins abruptes, elles faisaient des méandres tantôt à l’air libre, tantôt sous le couvert des grands pins et vigiers gris-vert qui tapissaient les versants inférieurs de la Lance du Géant. Les mulets de Mya connaissaient apparemment par cœur chacune des racines et chacun des rochers qui faisaient saillie le long du chemin, et s’il leur arrivait d’en omettre un, la bâtarde les rappelait à l’ordre. La moitié de la nuit s’était écoulée quand s’entrevirent à travers le rideau de flocons les lumières des Portes de la Lune. La dernière partie du voyage fut la plus paisible. La neige qui tombait sans intermittence couvrait le monde entier d’un manteau blanc. Robin chéri finit par s’assoupir en selle en oscillant d’avant en arrière au rythme des mouvements de son mulet. Lady Myranda se mit elle-même à bâiller et à se plaindre de sa lassitude. « Des appartements ont été préparés pour vous tous, dit-elle à Alayne, mais si cela vous fait plaisir, vous pourrez partager mon lit cette nuit. Il est assez vaste pour quatre.

— Ce serait un honneur pour moi, ma dame.

— Randa. Estimez-vous chanceuse que je sois si fatiguée. Mon seul désir est de me rouler en boule et de roupiller. D’habitude, quand des dames partagent ma couche, elles ont un impôt d’oreiller à acquitter en me racontant toutes les vilaines choses qu’elles ont commises.

— Et si elles n’ont commis aucune vilaine chose ?

— Alors, elles doivent avouer toutes les vilaines choses qu’elles ont envie de commettre. Vous non, bien entendu. Il m’est facile de voir à quel point vous êtes vertueuse, rien qu’à regarder ces joues rosissantes et ces grands yeux bleus que vous avez. » Elle bâilla de nouveau. « J’espère que vous avez les pieds bien chauds. Je déteste que mes compagnes de lit aient les pieds glacés. »

Lorsqu’ils atteignirent enfin le château de son père, lady Myranda somnolait elle aussi, et Alayne rêvait de son lit. Ce sera un lit de plume, se dit-elle, moelleux, chaud et profond, enfoui sous des monceaux de fourrures. Je vais y faire un rêve agréable, et quand je me réveillerai, j’entendrai des chiens clabauder, des commères jacasser près du puits, des épées ferrailler dans la cour. Et puis il y aura un festin, avec musique et danceries. Après le silence mortel des Eyrié, elle était affamée de rires et de beuglements.

Or, tandis que les cavaliers dégringolaient à bas de leurs montures, l’un des gardes personnels de Petyr sortit de la demeure. « Lady Alayne, dit-il, le lord Protecteur vous attendait avec impatience.

— Il est rentré ? répondit-elle, stupéfaite.

— Depuis le crépuscule. Vous le trouverez dans la tour ouest. »

A cette heure, on était plus près de l’aube que de la nuit noire, et la plus grande partie du château dormait encore, mais pas Petyr Baelish. A l’arrivée d’Alayne, il était installé devant un feu pétillant, en train de siroter du vin chaud aux épices en compagnie de trois individus qu’elle ne connaissait pas. Ils se levèrent tous lorsqu’elle entra, et Petyr l’accueillit par un sourire chaleureux. « Alayne. Viens donner un baiser à ton père. »

Elle l’étreignit scrupuleusement et l’embrassa sur la joue. « Je suis confuse de mon intrusion, Père. Personne ne m’avait prévenue que vous aviez de la compagnie.

— Tu n’es jamais une intruse, ma chérie. J’étais précisément en train de dire à ces braves chevaliers quelle fille consciencieuse j’avais en toi.

— Consciencieuse et belle, commenta un grand jeune homme élégant dont l’abondante crinière blonde cascadait bien plus bas que ses épaules.

— Ouais », abonda l’un des deux autres, un gaillard à carrure imposante, à barbe touffue poivre et sel, au nez bulbeux sillonné de veines éclatées, et qui avait des mains noueuses larges comme des jambons. « Vous aviez omis de mentionner ce détail des choses, m’sire.

— Je ferais pareil si elle était ma fille à moi », déclara le troisième, un petit homme sec et nerveux au sourire goguenard, au nez pointu et à cheveux raides et orange. « En particulier avec des goujats comme nous. »

Alayne se mit à rire. « Etes-vous des goujats ? fit-elle, taquine. Eh bien, moi qui vous prenais tous trois pour de galants chevaliers !

— Chevaliers ils sont, dit Petyr. Leur galanterie reste à démontrer, mais nous pouvons toujours espérer. Permets-moi de te présenter ser Byron, ser Morgarth et ser Ombrich. Messers, lady Alayne, ma fille naturelle et très fine mouche… Avec laquelle j’ai besoin d’avoir un entretien privé, si vous voulez bien avoir l’obligeance de nous excuser. »

Les trois chevaliers s’inclinèrent avant de se retirer, mis à part le grand blond, qui ne prit congé, lui, qu’après avoir baisé la main d’Alayne.

« Des chevaliers errants ? questionna-t-elle une fois que la porte se fut refermée.

— Des chevaliers affamés. Il m’a paru préférable que nous ayons quelques épées supplémentaires sous la main. Les temps deviennent de plus en plus intéressants, ma douce, et quand les temps sont intéressants, on ne saurait jamais posséder trop d’épées. Le roi Triton est revenu à Goëville, et le vieil Oswell avait quelques histoires à raconter. »

Elle s’abstint sagement de demander quel genre d’histoires. Si Petyr avait voulu qu’elle sache à quoi s’en tenir, il se serait montré plus explicite. « Je ne m’attendais pas à ce que vous reveniez de sitôt, dit-elle. Je me réjouis de votre arrivée.

— Je ne m’en serais jamais douté, d’après le baiser que tu m’as donné. » Il l’attira vers lui, lui emprisonna le visage entre ses mains et l’embrassa longuement sur les lèvres. « Eh bien, voilà le genre de baiser qui dit bienvenue à la maison. Veille à faire mieux la prochaine fois.

— Oui, Père. » Elle se sentit rougir.

Il ne lui tint pourtant pas rigueur de son baiser. « Tu ne saurais croire la moitié de ce qui se passe à Port-Réal actuellement, ma petite chérie. Cersei culbute allègrement d’une bêtise dans une autre, aidée tout du long par son Conseil de sourds, d’aveugles et de corniauds. J’ai toujours prévu qu’elle ruinerait le royaume et se détruirait elle-même, mais je ne m’étais pas une seconde attendu à ce qu’elle le fasse tout à fait aussi promptement. C’en est presque contrariant. Je m’étais bercé de disposer de quatre ou cinq années peinardes pour semer de certaines graines et pour permettre de mûrir à de certains fruits, mais maintenant… C’est une bonne chose que je me complaise à prospérer sur le chaos. Le peu d’ordre et de paix que les cinq rois nous ont laissé ne survivra pas longtemps aux trois reines, je crains.

— Trois reines ? » Elle ne comprenait pas.

Mais Petyr aima mieux ne pas s’expliquer là-dessus non plus. A la place, il se défaussa d’un sourire et dit : « J’ai rapporté un cadeau pour mon petit chou chéri. »

L’annonce causa autant de plaisir à Alayne que d’étonnement. « Est-ce une robe ? » Elle avait ouï dire qu’il y avait de remarquables couturières à Goëville, et elle en avait tellement assez de s’habiller comme une pauvresse !

« Quelque chose de mieux. Essaie de deviner, une fois de plus ?

— Des bijoux ?

— Il n’est pas de bijoux qui puissent espérer rivaliser avec les yeux de ma fille.

— Des citrons ? Vous avez trouvé des citrons ? » Elle avait promis à Robin chéri des gâteaux au citron, et des citrons, il vous en fallait pour les gâteaux au citron.

Petyr Baelish la prit par la main et l’attira sur ses genoux. « J’ai contracté un mariage pour toi.

— Un mariage… » Sa gorge se serra. Elle ne voulait pas se remarier, pas maintenant du moins, plus jamais peut-être. « Je n’ai pas… je ne peux pas me marier, Père, je… » Elle jeta un coup d’œil vers la porte pour s’assurer qu’elle était fermée. « Je suis mariée, souffla-t-elle tout bas. Vous le savez bien. »

Petyr lui posa un doigt sur les lèvres pour la faire taire « C’est la fille de Ned Stark, pas la mienne, que le nain a épousée. Et puis advienne que pourra. Il ne s’agit en l’occurrence que de fiançailles. Le mariage devra attendre que Cersei soit cuite et Sansa bel et bien veuve. Et il te faudra rencontrer le garçon de toute manière et conquérir son approbation. Lady Vanbois ne lui imposera pas de se marier contre sa volonté, elle s’est montrée on ne peut plus formelle à cet égard.

— Lady Vanbois ? » Alayne en croyait à peine ses oreilles « Pourquoi irait-elle marier l’un de ses fils à… à une…

— … bâtarde ? Pour commencer, tu es la bâtarde du lord Protecteur, n’oublie jamais ça. Les Vanbois ont beau être d’une maison fort ancienne et pleine de morgue, ils ne sont pas aussi riches qu’on pourrait se le figurer, comme je l’ai découvert moi-même quand j’ai commencé à racheter leurs dettes. Ce n’est pas pour autant que lady Anya consentirait jamais à vendre un fils à prix d’or. Mais un pupille, à la rigueur… Le jeune Harry n’est qu’un cousin, et la dot que j’ai proposée à Sa Seigneurie était encore plus copieuse que celle que Lyonel Corbray vient juste de rafler. Il n’en fallait pas moins pour qu’elle accepte de s’exposer à l’ire de Yohn le Bronzé, dont ceci va compromettre tous les plans. Tu es donc promise à Harrold Hardyng, ma chérie, pourvu seulement que tu réussisses à capturer son cœur de jouvenceau… Ce qui ne devrait pas t’être bien difficile.

— Harry l’Héritier ? » Alayne fit l’effort de se rappeler ce que Myranda lui en avait dit dans la montagne. « Il vient tout juste d’être fait chevalier. Et il a une bâtarde d’une fille du commun.

— Plus un nouveau gosse en route d’une autre garce. Harry peut être un charmeur, indiscutablement. Des cheveux soyeux, d’un blond roux, des yeux bleu sombre, et des fossettes lorsqu’il sourit. Et d’une prouesse insigne, à ce qu’on m’a dit. » Il la taquina d’un sourire. « Née bâtarde ou pas, ma mignonne, quand on annoncera cette union, tu seras l’envie de toutes les pucelles de haut parage du Val, et de quelques-unes aussi du Bief et du Conflans.

— Pourquoi donc ? » Alayne était complètement perdue. « Est-ce que ser Harrold… Mais comment diantre pourrait-il être l’héritier de lady Vanbois ? N’a-t-elle pas de fils de sa propre chair ?

— Trois », convint Petyr. Elle percevait dans son haleine l’odeur du vin, relevée de clous de girofle et de noix muscade. « Des filles aussi, et des petits-fils.

— Est-ce qu’en ligne de succession ils ne passeront pas avant Harry ? Je ne comprends pas.

— Tu vas comprendre. Ecoute. » Petyr prit sa main dans la sienne et lui caressa d’un doigt léger le creux de la paume. « Lord Jasper Arryn, débutons avec lui. Le père de Jon Arryn. Il engendra trois enfants, deux fils et une fille. Jon étant l’aîné, Les Eyrié et le titre de lord lui revinrent automatiquement. Sa sœur Alys épousa ser Elys Vanbois, oncle de l’actuelle lady Vanbois. » Il fit une grimace tordue. « Alys et Elys, n’est-ce pas exquis ? Le fils cadet de lord Jasper, ser Ronnel Arryn, épousa une petite Belmore, mais il ne la tringla qu’une ou deux fois avant de mourir d’une saleté aux tripes. Leur fils Elbert était tout juste en train de naître dans un pieu pendant que le pauvre Ronnel était en train de crever dans un autre au bas bout de la salle. Est-ce que tu suis bien attentivement, mon petit cœur ?

— Oui. Il y avait à l’origine Jon, Alys et Ronnel, mais Ronnel est mort.

— Bon. Maintenant, Jon Arryn. Il se maria trois fois, mais ses deux premières épouses ne lui accordèrent pas d’enfants, de sorte que son héritier fut pendant de longues années son neveu Elbert. Pendant ce temps, Elys charmait Alys avec une conscience au-dessus de tout éloge, et elle mettait bas une fois par an. Elle lui donna neuf enfants, huit filles et un seul et inestimable petit garçon, un nouveau Jasper, après quoi elle mourut d’épuisement. Ce moutard de Jasper, sans égard pour les efforts héroïques qu’avait nécessités sa procréation, se fit défoncer le crâne par un coup de pied de cheval quand il avait trois ans. Une vérole ayant emporté peu après deux de ses sœurs, restaient six. La plus âgée épousa ser Denys Arryn, un lointain cousin des sires des Eyrié. La maison Arryn comporte plusieurs branches disséminées dans l’ensemble du Val, toutes aussi hautaines qu’elles sont fauchées, si l’on excepte les Arryn de Goëville, qui ont eu le rare bon sens d’épouser du négoce. Ils sont riches, mais rien moins que distingués, aussi personne n’en parle-t-il. Ser Denys était issu de l’une des branches hautaines et fauchées… Mais il était aussi un jouteur réputé, beau gosse, valeureux et débordant de courtoisie. Et son patronyme magique d’Arryn le rendait idéal pour l’aînée des petites Vanbois. Leurs enfants seraient des Arryn, et les prochains héritiers du Val s’il devait jamais arriver malheur à Elbert. Or, il se trouva d’aventure que ce qui échut à Elbert, ce fut Sa Majesté Aerys le Fol. Tu connais cette histoire-là ? »

C’était le cas. « Le Roi Dément l’a assassiné.

— Effectivement. Et, peu après, ser Denys quitta sa Vanbois d’épouse enceinte pour aller guerroyer. Il périt au cours de la Bataille des Cloches, d’un excès de vaillance et d’un coup de hache. Lorsqu’on lui apprit ce décès, dame son épouse trépassa de chagrin, et son fils nouveau-né la suivit bientôt. N’importe. Jon Arryn s’était en pleine guerre dégotté une jeune épouse qu’il avait quelque motif de croire féconde. Il espérait beaucoup d’elle, j’en suis convaincu, mais nous savons toi et moi que tout ce qu’il réussit jamais à tirer de Lysa, ce furent des fausses couches, des enfants mort-nés et le pauvre Robin chéri.

» Ce qui nous ramène aux cinq filles restantes d’Elys et d’Alys. La plus âgée étant demeurée terriblement marquée par la petite vérole à laquelle avaient succombé ses sœurs, elle se fit septa. Une autre se laissa séduire par un mercenaire, ser Elys la jeta dehors, et elle entra chez les sœurs silencieuses après que son bâtard fut mort en bas âge. La troisième épousa le sire des Piz mais se révéla stérile. La quatrième était en route pour le Conflans où elle devait épouser un Bracken quand les Hommes Brûlés l’enlevèrent. Cela ne laissa que la benjamine, qui épousa un chevalier fieffé assermenté aux Vanbois et lui donna un fils qu’elle baptisa Harrold avant de périr aussi. » Il retourna la main d’Alayne et lui effleura le poignet d’un baiser. « Dès lors, dis-moi, mon cœur… pourquoi appelle-t-on Harry l’Héritier ? »

Ses yeux s’agrandirent. « Il n’est pas l’héritier de lady Vanbois. Il est l’héritier de Robert. Si Robert devait mourir… »

Petyr haussa un sourcil en accent circonflexe. « Quand Robert mourra. Notre pauvre brave Robin chéri est un marmot si maladif, ce n’est qu’une question de temps. Quand Robert meurt, Harry l’Héritier devient lord Harrold, Défenseur du Val et sire des Eyrié. Les bannerets de Jon Arryn ne m’aimeront jamais, pas plus qu’ils n’aimeront notre grotesque trembleur de Robert, mais ils aimeront leur Jeune Faucon, et lorsqu’ils arriveront tous ensemble pour célébrer ses noces, et que toi tu te présenteras avec tes longs cheveux auburn, revêtue d’un manteau de vierge gris et blanc blasonné dans le dos d’un loup-garou… Eh bien, là, chacun des chevaliers du Val vouera solennellement son épée à te reconquérir tes droits de naissance. Tels sont les présents que je t’offre, ma chère Sansa : Harry, les Eyrié et Winterfell. Cela vaut un nouveau baiser, maintenant, tu ne trouves pas ? »

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