QUATRIÈME PARTIE JACK

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Galya attendit, sans bouger de son siège, pendant que Lennon examinait l’arrière de la voiture. Même avec le manteau qu’elle serrait étroitement autour de son corps dévasté par la fatigue, elle sentait le froid de la nuit, les doigts sombres qui s’insinuaient par la vitre brisée derrière son dos. Elle frissonna. Trop épuisée pour avoir peur. Tout ce qu’elle voulait maintenant, c’était dormir.

Lennon ouvrit la portière du conducteur et prit place au volant. « Ce n’est pas trop grave, dit-il, son haleine rejetant un voile de condensation dans l’habitacle. En tout cas, ça roule. »

Ils tournaient depuis une demi-heure, enfilant une rue après l’autre, le long des maisons plongées dans l’obscurité. Lennon surveillait constamment son rétroviseur, jusqu’à ce qu’il eût acquis la certitude qu’ils n’étaient pas suivis. Alors seulement, il s’arrêta pour constater les dégâts.

Il redémarra le moteur et s’écarta du trottoir, empruntant à nouveau un itinéraire tortueux dans les rues gelées.

Au bout de quelques minutes de silence, Galya demanda : « C’était qui ?

— Je ne sais pas, répondit Lennon. Mais je sais qui l’a envoyé.

— Qui ?

— Arturas Strazdas. Le frère de l’homme que vous avez tué. »

La femme à l’hôpital, de sa voix douce et triste, avait expliqué à Galya les suites auxquelles il fallait s’attendre. C’était, pour la jeune Ukrainienne, comme si on lui racontait l’histoire de quelqu’un d’autre, une fille amenée dans une ville étrange pour y être achetée et vendue.

« Je ne voulais pas tuer cet homme, dit Galya. Je ne voulais pas que toutes ces choses arrivent.

— Je sais, répondit Lennon. Mais pour lui, ça ne change rien. »

Il s’engagea dans un rond-point, puis remonta une longue route toute droite. Il ralentit en approchant d’un groupe de bâtiments entourés d’un haut mur. Au-dessus, des projecteurs lacéraient le brouillard. À côté d’une double porte fermée étaient gravés les mots : COMMISSARIAT DE LADAS DRIVE, POLICE D’IRLANDE DU NORD.

Lennon arrêta la voiture et éteignit le moteur. Il demeura immobile, les yeux fixés sur le bâtiment.

« C’est là que vous m’emmenez ? demanda Galya.

— Oui, dit Lennon. Du moins, que j’allais le faire.

J’allais ? »

Il garda le silence un moment, les avant-bras posés sur le volant, réfléchissant, la buée de sa respiration brouillant le pare-brise.

« S’il vous plaît, qu’est-ce qui ne va pas ? »

Il ne répondit pas.

« Ici, dans les rues, c’est dangereux, dit Galya. Il faut entrer.

— Non, fit Lennon.

— Pourquoi ? » demanda Galya.

Il sortit un téléphone de sa poche et chercha un numéro.

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Le téléphone arracha brutalement Strazdas à ses rêves sanglants. Il s’assit sur le lit, toujours nu, transpirant et frissonnant comme auparavant. Son cœur martelait sa poitrine, ses poumons peinaient à suivre le rythme. Une douleur lancinante lui éclatait le front, se propageant jusqu’à la base du crâne, vers la nuque et les épaules. Il appuya le talon de la main au-dessus de ses sourcils.

Le téléphone sonna de nouveau. Strazdas regarda la pendule : presque onze heures. Il avait à peine dormi une heure. En tout, pas plus de trois heures en soixante-douze heures.

Il attrapa le téléphone avant que son insupportable stridulation ne lui ravage encore les nerfs.

« Oui ?

— Bonsoir, M. Strazdas. Ici, la réception. J’ai un M. Lennon en ligne. Dois-je vous le passer ? »

Strazdas déglutit. « Oui.

— Allez-y, parlez, dit la réceptionniste.

— Vos employés ne sont pas à la hauteur, fit la voix de Lennon.

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire, répliqua Strazdas.

— Celui que vous avez chargé de faire votre sale boulot. Il a merdé.

— J’ignore à quoi vous faites allusion.

— Nous lui avons échappé, la fille et moi.

— Quelle fille ?

— Mais j’ai pensé à quelque chose.

— M. Lennon, vous devriez peut-être parler à mon…

— Comment savait-il que je devais aller au commissariat ? demanda Lennon.

— Parlez à mon avocat, le monsieur que vous avez vu…

— Et comment savait-il quel chemin je prendrais ?

— M. Lennon, je vais raccrocher.

— Dan Hewitt ? C’est lui, votre taupe ? Il m’a déjà balancé une fois, il serait bien capable de… »

Strazdas replaça le combiné sur sa base et maudit l’âme de son frère qui s’était fait tuer dans ce misérable endroit.

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En rangeant le téléphone dans la poche de sa veste, Lennon sentit le passeport. Il le sortit et l’ouvrit à la page des données, contempla la photo d’une fille qui le regardait sous le film plastifié. Une fille qui n’était pas assise près de lui sur le siège passager de l’Audi. Mais ces yeux bleus… Et les traits, d’une incroyable finesse, les pommettes hautes, les cheveux blonds.

Il se tourna vers Galya, approcha le passeport de son visage pour examiner les deux visages côte à côte.

« Qu’est-ce que vous regardez ? demanda-t-elle.

— Ça peut se concevoir.

— Quoi ?

— Que je me comporterai toujours comme un putain d’imbécile », répondit-il en démarrant la voiture. Il passa une vitesse, doubla la porte du commissariat et accéléra. Le brouillard se referma derrière lui.

* * *

Plutôt que de gagner l’autoroute, au nord, il fila par Crumlin Road et Ligoniel Road pour se diriger vers l’ouest où il prendrait des routes de campagne, s’arrêtant seulement pour retirer de l’argent à un distributeur. La voiture endommagée attirerait l’attention des agents de la circulation qui guettaient les chauffards ivres au lendemain de Noël, et il ne pouvait pas risquer d’être arrêté.

L’autoroute offrait une voie plus rapide, mieux éclairée, et moins glacée, mais les routes secondaires étaient moins empruntées. Il roula lentement, se méfiant du verglas, attentif aux panneaux de signalisation. Même avec ce détour, ils auraient déjà dû être arrivés, quand le portable de Lennon sonna, quarante ou quarante-cinq minutes plus tard, mais, du fait des conditions atmosphériques, ils se trouvaient encore loin de leur destination.

À l’écran, le numéro du sergent Connolly s’afficha.

Pourquoi appelait-il ? Au lieu de fêter Noël chez lui, en famille, comme tous les autres êtres humains normaux.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda Lennon.

— Où êtes-vous ?

— Au volant », répondit Lennon. Il conduisait d’une main, gardant les yeux sur la route qui se perdait dans le brouillard.

« J’ai appelé Ladas Drive. Ils m’ont dit qu’ils vous attendaient.

— Ça me prend plus de temps que prévu, dit Lennon, évitant de fournir la vraie réponse. À cause de la météo.

— J’ai reçu un appel d’un collègue, reprit Connolly, un agent avec qui je faisais équipe quand je suis sorti de Garnerville. C’était un des gars qui surveillaient Paynter à l’hôpital. Je me suis dit que vous voudriez savoir…

— J’écoute, dit Lennon.

— Paynter s’est suicidé. »

Lennon ralentit, arrêta l’Audi sur le bord de la route et alluma ses feux de détresse.

« Comment ? demanda-t-il.

— Il a simulé une crise d’épilepsie, expliqua Connolly, et il a profité de l’agitation pour prendre le Glock d’un policier. À ce qu’il paraît, ça a été chaud pendant une ou deux minutes. Ils ont cru qu’il allait s’évader.

— Mais finalement, non…

— Non. Il a annoncé qu’il avait tué huit femmes, sans en éprouver aucun remords. Ensuite, il a mis le canon dans sa bouche et il s’est fait sauter la cervelle.

— Bon sang, dit Lennon.

— Bref, j’ai pensé que vous aimeriez être mis au courant.

— Oui, merci, dit Lennon. Hé, au fait…

— Quoi ?

— Je ne viendrai peut-être pas travailler pendant quelques jours. Peut-être plus longtemps.

— Ah bon ? En ce moment ? Mais il y a…

— Vous saurez tout demain. Promettez-moi juste quelque chose…

— Quoi donc ?

— Surveillez vos arrières, conseilla Lennon. Cette affaire pourrait bien devenir dangereuse. Faites attention à ce que vous dites et à qui vous parlez. Surtout si vous recevez la visite de quelqu’un de la Branche spéciale.

— La C3 ? fit Connolly. Qu’est-ce qu’ils ont à voir avec Paynter ?

— C’est compliqué, répondit Lennon. Gardez profil bas, OK ?

— OK, dit Connolly. Inspecteur… Tout va bien ? S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous… C’est vrai, vous avez été sympa avec moi, alors, n’hésitez pas.

— Je vais très bien, dit Lennon. Ne vous inquiétez pas pour moi. Faites attention à vous, c’est tout. »

Il raccrocha et déposa le téléphone dans le porte-gobelet. Galya remua sur le siège à côté. Elle s’était endormie avant même qu’ils ne quittent la périphérie de la ville, et elle le regardait à présent d’un air égaré, les paupières lourdes.

« Il s’est passé quelque chose ? » demanda-t-elle.

Lennon songea à lui cacher ce qu’il venait d’apprendre, mais il se ravisa. Elle avait affronté tant de dangers. Savoir que l’un d’eux était définitivement écarté ne pouvait pas lui faire de mal.

« Edwin Paynter, répondit-il. L’homme qui vous a séquestrée dans cette maison. Il est mort. Il s’est suicidé. »

Elle fit le signe de croix et regarda droit devant elle, sans que son visage ne trahisse aucune émotion.

« Il méritait de mourir, dit Lennon. Pour ce qu’il vous a fait. Et peut-être à d’autres.

— Non, dit-elle. Seulement Dieu fait mourir. Ce n’est pas à vous de dire. Pas à lui. Seulement à Dieu. »

Lennon ne souhaitait pas discuter. Il passa la première et desserra le frein à main. Dans dix minutes, pensa-t-il, un quart d’heure tout au plus, ils arriveraient à la maison d’hôtes. Il replongea dans le brouillard, regrettant de ne pas partager avec la jeune fille ce rêve enfantin de justice.

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Galya demeura songeuse pendant le reste du trajet. L’homme qui l’avait séquestrée se disait pasteur, chrétien, mais avait-il même une âme ? Et dans ce cas, où était allée cette dernière quand il s’était ôté la vie ?

Que ressentait-elle en pensant à sa mort ? Du soulagement ? De la satisfaction ? De la pitié ? C’était tout cela à la fois, mais elle éprouvait aussi, logée au fond de son cœur, de la colère. Parce qu’il n’aurait pas à se tenir devant elle, il ne saurait pas qu’elle avait été la plus forte.

Elle s’en voulut de sa jubilation, même si elle ne la montrait à personne. Mama ne l’avait pas élevée en encourageant la malveillance. Mais elle avait survécu, elle pouvait au moins en être fière. Galya laissa son esprit vagabonder. Elle s’imagina, morte dans cette cave, et ce monde gris était la vie qui venait après, un éternel voyage dans les ténèbres et la brume. Prise d’une envie de pleurer, elle ferma les yeux pour retenir ses larmes.

Quand elle se ressaisit, la voiture pénétrait dans la cour d’une superbe maison de campagne. Lennon gara la voiture à une extrémité, sous la ramure d’un arbre dénudé.

« Nous y voilà », dit-il.

Il descendit, ferma sa portière et alla ouvrir celle de Galya. Elle accepta la main qu’il lui tendait pour l’aider à sortir. Des lumières scintillaient à l’horizon, répandant un halo iridescent dans le brouillard.

« Qu’est-ce que c’est, là-bas ? demanda-t-elle.

— L’aéroport, répondit Lennon.

— Et ici ? Où sommes-nous ?

— C’est une maison d’hôtes. Comme un hôtel. On va passer la nuit ici. Venez, ne restons pas dans le froid. »

Il ferma la voiture et entraîna Galya vers la maison. Des lampes étaient allumées au rez-de-chaussée, visibles au travers des rideaux tirés. Il appuya sur une sonnette. Quelques instants plus tard, un rideau s’écarta à l’une des fenêtres et une femme âgée scruta la nuit.

Le rideau retomba, puis le vestibule s’éclaira derrière le verre cannelé de la porte. Une silhouette apparut, fit glisser une chaîne de sécurité et, visiblement inquiète, entrouvrit la porte.

« Vous désirez ?

— Nous avons besoin d’une chambre, dit Lennon.

— À cette heure-ci ? demanda l’hôtesse en levant un sourcil étonné. La nuit de Noël ?

— Je sais, nous arrivons un peu à l’improviste », dit Lennon. Il passa un bras autour de l’épaule de Galya. « La mère de mon amie est malade, en Lettonie… Nous prenons un avion tôt demain matin. »

L’hôtesse les considéra tour à tour. « Vu que je n’ai pas d’étable ni de mangeoire où vous mettre, je vais vous laisser entrer. Dois-je m’attendre à voir débarquer trois rois mages ? »

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Dieu merci, Galya ne posa aucune question jusqu’à ce qu’ils aient refermé la porte de la chambre. Là, sans prêter attention aux rideaux à fleurs et à l’odeur de chou rance, elle s’assit au bout du lit.

« On va où en avion ? demanda-t-elle.

— Moi, nulle part. Il n’y a que vous qui partez, dit Lennon.

Je vais où ?

— Je ne sais pas, répondit-il en faisant les cent pas. Je vous prendrai le premier vol que je trouverai. Pour vous envoyer aussi près de chez vous que possible.

— Pourquoi ? À cause de cet homme dans la voiture ?

— Oui. Strazdas a un complice dans la police. Sinon, personne n’aurait su que nous étions en route pour le commissariat. Et je crois savoir qui c’est.

— Qui ? » demanda-t-elle.

L’inspecteur chef Dan Hewitt, de la Branche C3 du Renseignement, faillit-il répondre. Mais il se rattrapa à temps. Cette fille était déjà en danger. En savoir plus ne ferait que l’exposer à plus grand risque encore.

« Quelqu’un, dit-il seulement.

— Un méchant ?

— Oui. C’était un de mes amis, autrefois. Il est mouillé.

— Mouillé ?

— Corrompu. Il reçoit de l’argent des malfrats.

— Vous allez l’arrêter ? demanda-t-elle. Le mettre en prison ? »

Lennon rit malgré lui. « Ce n’est pas si facile que ça. Et il a une dent contre moi.

— Vous voulez dire, il ne vous aime pas ? » Elle eut un sourire en coin. « Moi, je crois que vous ne l’aimez pas.

— Exact, dit Lennon. En tout cas, si j’ai raison, vous n’êtes en sécurité dans aucun commissariat. C’est pourquoi vous devez partir. Rentrer chez vous. »

Elle hocha la tête. « Chez moi… Oui, je veux rentrer chez moi et voir mon frère. Mais vous aurez des ennuis.

— Peut-être, dit Lennon. Sans doute. Peu importe, je vous mets quand même dans un avion. »

* * *

L’hôtesse conduisit Lennon dans le salon et lui montra l’ordinateur. C’était une vieille machine, avec une connexion Internet d’une lenteur extrême, mais en quelques minutes il avait repéré le seul départ intéressant pour Galya, un vol qui décollait à sept heures du matin à destination de Cracovie. Ignorant tout des moyens de transport en Europe de l’Est, il devait seulement espérer que, de là, elle attraperait un train jusqu’à Kiev, puis parviendrait à regagner son village, où qu’il fût.

Mais il y avait le prix. Il eut un moment de panique en tentant de se rappeler combien il lui restait sur sa MasterCard. Pas beaucoup, mais peut-être assez. Il ne le saurait pas avant d’avoir essayé et vu le paiement accepté, ou refusé.

Ce fut un soulagement quand, ayant entré le numéro de sa carte, il passa à la page de confirmation, puis à un lien pour effectuer la réservation en ligne. Il lui sembla attendre une éternité avant que l’antique imprimante ne finisse par cracher un vague code-barres sur une feuille A4.

Debout sur le seuil de la pièce, l’hôtesse le regardait. « C’est fait ? demanda-t-elle lorsqu’il se leva.

— Oui, merci, dit-il. Désolé de vous déranger le jour de Noël.

— Ne vous tracassez pas pour ça. » Elle lui effleura délicatement le bras quand il passa près d’elle. « Elle me paraît gentille, cette petite. J’espère que vous arriverez à régler vos soucis. »

Lennon faillit protester que non, il n’avait pas de soucis, à part la maladie de la mère mentionnée en arrivant. Au lieu de quoi, il répondit : « Moi aussi. »

* * *

Il grimpa les deux étages pour regagner la chambre et marqua une pause devant la porte. Susan devait l’attendre. Il avait promis de la rejoindre sur le canapé, où ils boiraient un verre de vin ensemble pendant que leurs filles respectives dormiraient. Avec un soupir, il sortit son téléphone de sa poche. Elle décrocha à la première sonnerie.

« Il s’est passé quelque chose, dit-il.

— Comme d’habitude », répondit-elle. Et elle raccrocha.

« Merde », grommela-t-il dans sa barbe.

Galya dormait d’un profond sommeil quand il entra dans la chambre. Il s’assit près de la fenêtre, face à la porte, posa son Glock sur la table à côté de lui et programma l’alarme de son téléphone pour six heures.

Cinq heures et demie de sommeil, avec un peu de chance. Mais la chance n’avait jamais été son fort.

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Après une heure au téléphone, suivie d’encore une heure d’autopunition, Arturas Strazdas commença à se ressaisir. Il connaissait le processus, pour l’avoir déjà expérimenté, consistant à réassembler les morceaux de lui-même qui s’étaient éparpillés durant les heures et les jours précédents.

Il débutait toujours par un moment de silence et de contemplation. Assis, immobile, il revoyait chaque blessure qu’il s’était infligée, se rappelant qu’il était sain d’esprit et que les hommes sains d’esprit ne s’imposaient pas de souffrir ainsi. Les hommes sains d’esprit canalisaient leur colère, s’en servaient pour avancer dans leur vie, pas pour se détruire.

D’après son contact, l’élimination de la fille était à présent garantie, une simple question de temps. Strazdas n’avait aucune raison de rester dans cette ville une minute de plus. À dix heures du matin, il devrait se trouver dans le taxi mis à sa disposition, en route vers l’aéroport. Sinon, ce serait une voiture de police qui viendrait le chercher. Pour l’emmener au commissariat où il subirait un interrogatoire.

L’un ou l’autre, avait dit le contact. C’était aussi simple que ça.

C’est pourquoi, le croyant sur parole, Strazdas entreprenait maintenant de se reconstruire.

Une fois son esprit suffisamment stabilisé, il se rasa, prit une douche, puis enfila une chemise propre et son beau costume de voyage. Son estomac gargouillait. Il jeta un coup d’œil au réveil près du lit.

Presque cinq heures du matin.

Le service en chambre était-il assuré à cette heure ? Du pain grillé, peut-être, avec un œuf à la coque ?

Il allait essayer. Un homme sain d’esprit devait manger. Et Arturas Strazdas était, assurément, un homme sain d’esprit.

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Un brouillard dense noyait encore la cour quand Lennon aida Galya à s’asseoir à l’avant de la voiture, deux heures avant l’aube. Dix minutes jusqu’à l’aéroport, dit-il, puis elle disposerait d’une demi-heure pour passer le contrôle de sécurité et monter dans l’avion. Elle devrait entrer seule dans le terminal, expliqua-t-il, et se rendre directement à la sécurité. Il lui suffirait de montrer la carte d’embarquement et son passeport.

Tout simplement, dit-il.

Galya n’en croyait pas un mot.

Elle garda le silence dans la voiture qui démarrait. Les phares trouaient à peine le brouillard, et l’eau chaude versée par Lennon pour dégivrer le pare-brise avait gelé, de sorte que le monde plongé dans l’obscurité apparaissait trouble, ondulant derrière un film de glace.

La forme vague de l’aéroport émergea un peu plus loin, révélée seulement par le rayonnement diffus de ses lumières. Lennon s’engagea dans un parking en face du terminal. Galya distinguait à peine les contours du bâtiment et ne voyait personne s’en approcher ni en sortir, mais elle savait qu’il y avait là des gens, dissimulés derrière l’épais voile gris.

Lennon éteignit le moteur. Il plongea la main dans sa poche et lui tendit une liasse de papiers. De l’argent, comprit-elle, en sentant le contact rugueux et le poids du paquet.

« Trois cent cinquante euros, dit-il. C’est tout ce que j’avais sur mon compte. Vous pourrez les échanger à Cracovie et prendre un train pour Kiev. Dès que vous serez arrivée chez vous, emmenez votre frère et partez. Ne restez pas là-bas. Strazdas vous cherchera.

— La ferme de Mama, dit-elle, c’est notre maison. Où irons-nous vivre ?

— Je ne sais pas, dit Lennon. Vous trouverez une idée. Vous êtes intelligente, et vous êtes forte. Vous penserez à quelque chose une fois sur place. »

Galya réfléchit. Oui, elle trouverait. L’homme à qui Mama devait tant d’argent, il pourrait prendre la ferme. Elle et son frère seraient libérés de leur dette, ils partiraient la tête haute. Elle regarda le visage marqué de Lennon, vit les cicatrices sous la peau.

« Votre amie, Susan », dit-elle.

Lennon ne réagit pas tout de suite. Puis il demanda : « Oui, quoi ?

— Faites-lui plaisir, dit Galya. Alors, elle vous fait plaisir. »

Lennon sourit. « Peut-être.

— Pas peut-être. Seulement oui.

— Allons-y, dit Lennon en posant la main sur la poignée de la portière. Il faut que vous preniez cet avion. »

Il descendit, alla ouvrir du côté de Galya et l’aida à sortir.

« Surtout, n’oubliez pas, dit-il en refermant la portière. Ne parlez à personne sauf si vous y êtes obligée. Foncez aussitôt au contrôle de sécurité. L’embarquement aura déjà commencé. Ensuite, allez directement à la porte d’embarquement et montez dans l’avion. C’est tout ce que vous avez à faire.

— Merci », dit Galya. Après un moment d’hésitation, elle passa les bras autour des larges épaules de Lennon.

Il résista tout d’abord, puis la serra aussi contre lui.

« Faites plaisir à Susan, dit-elle.

— J’essaierai. »

Un peu plus loin, d’une voix assourdie par le froid, quelqu’un lança : « Jack. »

87

Lennon chercha la source de la voix et se plaça devant Galya pour lui faire obstacle, tendant déjà la main vers son étui attaché à sa ceinture.

Une silhouette haute et mince se dressait devant une camionnette. L’homme avança en boitillant. Sa main gauche levée serrait un pistolet, il tenait son bras droit avec raideur, comme douloureusement, le long de son corps. Des traînées de sang séché marquaient sa joue, son front et sa mâchoire portaient de multiples coupures et écorchures, son blouson à capuche était déchiré.

« Connolly », dit Lennon.

Passant une main dans son dos, il écarta Galya. De l’autre main, il libéra le Glock de son étui.

« Je suis désolé, Jack », dit Connolly.

La première balle heurta Lennon à l’épaule gauche comme le poing d’un boxeur poids-lourd et le projeta contre l’Audi. Il resta debout sur ses jambes flageolantes, tandis que l’afflux d’adrénaline dans son système précédait la douleur. Instinctivement, sa main droite leva le Glock et le braqua en plein sur la poitrine de Connolly. Avant qu’il n’ait le temps de tirer, il sentit qu’il recevait un coup au ventre, puis un autre. Ses jambes l’abandonnèrent.

Lennon s’écroula sur le dos, la main droite toujours levée. À la périphérie de sa vision, il vit Galya se pencher sur lui, bouche grande ouverte, mais il n’entendit aucun cri.

« Courez », fit-il.

Connolly lui apparut, le canon de son arme pointé sur un point au-dessus de sa tête.

« Courez, répéta Lennon. Vite. »

Il tira sur Connolly, sans savoir si son tir était ajusté. Connolly tressauta et partit à la renverse contre la camionnette, le visage tordu de douleur.

Lennon prit une inspiration, retint son souffle et affermit sa main droite, alignant le viseur du Glock sur le torse de Connolly. Celui-ci leva la main gauche, l’œil de son pistolet dardé sur Lennon. Saisi par un frisson glacé qui lui montait du ventre, Lennon appuya sur la détente. Il vit l’explosion jaillir de la gueule du pistolet en face, il vit Connolly s’effondrer, il vit le monde sombrer dans des ténèbres d’un froid abyssal.

88

Galya partit à fond de train, l’esprit verrouillé pour ne pas sentir la douleur, serrant l’argent et les documents contre sa poitrine. Elle ralentit à l’approche du bâtiment et traversa en marchant la route devant l’entrée du terminal. Dans le brouillard, des policiers de l’aéroport se précipitaient en direction des coups de feu. Ils ne la remarquèrent pas.

Les portes automatiques s’ouvrirent et elle pénétra dans un bain de chaleur. D’autres policiers couraient vers la sortie. Eux non plus ne lui prêtèrent pas attention.

Elle suivit un panneau indiquant « Départs », rejoignit la courte file d’attente qui s’était formée au passage de la sécurité, et, obéissante, plaça les chaussures et le manteau de Susan dans les bacs fournis à cet effet. Les bandages autour de ses pieds étaient dissimulés par d’épaisses chaussettes. Elle attendit patiemment son tour de franchir la porte magnétique, sans se plaindre quand, de l’autre côté, l’employée lui palpa le corps.

Elle parvint bientôt à la porte d’embarquement où une hôtesse de l’air accorda à peine un regard à ses documents de voyage. Quelques pas encore, puis la traversée du tarmac jusqu’à l’avion, et elle monta à bord. Elle trouva la rangée douze et s’assit.

Quand la femme assise près d’elle lui demanda si tout allait bien, Galya répondit oui, merci, et essuya avec sa manche les larmes qui lui coulaient sur les joues.

Tout le monde croit en Dieu au décollage d’un avion, pensa-t-elle.

Elle fit une prière pour l’âme de Jack Lennon.

89

Strazdas attendait dans l’accueil de l’hôtel, sa valise à ses pieds. Huit heures quarante-cinq, avait dit le contact. Il regarda sa montre. Huit heures quarante-sept.

Son téléphone sonna.

« Le taxi arrive, annonça le contact. Allez prendre l’avion.

— Et la fille ?

— Je vous suggère de donner un bon pourboire au chauffeur, dit le contact. C’est le lendemain de Noël, tout de même. Il m’a rendu beaucoup de services.

— Et la fille ? » répéta Strazdas.

Il y eut un silence. Puis : « Elle s’est échappée. L’opération s’est mal passée. »

Strazdas enfonça une phalange entre ses dents et la mordit avec force. Il sentit le goût du sel, respira bruyamment par le nez. Un grognement sourd enflait dans sa gorge.

« C’est fait, n’en parlons plus. Un homme est mort. Ne l’oubliez pas. C’était un bon élément, il n’aurait pas dû y passer. Tout ça à cause de votre stupide vendetta. Lâchez l’affaire maintenant. »

Strazdas remarqua que la réceptionniste l’observait. Il se fit violence pour retirer son doigt de sa bouche. Un liquide chaud lui coula sur le menton. Il l’essuya et sourit à l’employée. Elle reporta son regard sur les papiers étalés devant elle.

« Vous m’entendez, Arturas ? demanda le contact. C’est terminé. Il n’y a plus rien à faire.

— Si, il y a une chose, dit Strazdas. Je vais envoyer une lettre à vos supérieurs. Je donnerai votre nom, Daniel Hewitt, inspecteur chef. Je joindrai l’historique de tous les paiements que vous avez reçus depuis dix-huit mois. Ces versements ne permettent pas de m’identifier, ni moi ni mes sociétés, mais ils obligeront vos supérieurs à examiner vos comptes bancaires, vos investissements, votre style de vie. »

Strazdas aperçut le taxi qui s’arrêtait devant la porte de l’hôtel.

« Faites attention, Strazdas. Une fois qu’on prononce ce genre de paroles, il est impossible de les retirer.

— Au revoir, dit Strazdas. J’ai un avion à prendre. »

90

Les visions se succédaient, images fulgurantes, visages, tableaux de la scène émaillés de brefs réveils, l’ensemble ponctué par la douleur.

D’abord le ciel, plus noir encore à travers le brouillard. Les policiers rassemblés tout autour, les doigts qu’on enfonçait dans sa bouche, sa tête tressaillant de mouvements involontaires. Le besoin de tousser, et l’atroce souffrance qui semblait le déchirer en deux.

Ensuite, l’intérieur d’une ambulance, des lumières si vives qu’elles lui cisaillaient le crâne et s’enfouissaient dans son cerveau. Les secouristes affairés autour de lui, le masque à oxygène sous lequel il avait l’impression de se noyer.

Puis l’hôpital, d’autres lumières, des infirmières et des médecins, le contact de mains insistantes, des voix pressantes, le sang étanché, une longue aiguille qui lui transperçait la poitrine, le ronronnement et les signaux sonores d’une machine, puis une tonalité aiguë constante, telle un fil de coton étiré à l’infini par le bruit, jusqu’à se fondre dans le noir, et aussi Ellen, la pensée qu’il aurait aimé la connaître dès sa naissance, et Susan avec ses yeux tristes qu’il aimerait tant revoir encore une fois, mais dans le noir il faisait si bon, c’était doux et tiède comme un lit par une froide matinée, et…

Un éclair soudain. La douleur, encore. La punition des lumières aveuglantes, et, de nouveau, un masque à oxygène. L’absence.

91

Le chauffeur prit la mallette de Strazdas en silence et n’ouvrit pas la bouche durant tout le trajet jusqu’à l’aéroport. Le véhicule ressemblait à un taxi londonien, mais il en avait vu bien d’autres du même type à Belfast par la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Une vitre en plexiglas le séparait de l’homme au cou épais et boutonneux qui tenait le volant à deux mains.

Que pourrait-il bien dire à sa mère ? se demanda Strazdas en chemin. À cette seule pensée, il sentit son scrotum se ratatiner et sa vessie lui fit mal. Il ne dirait rien, évidemment. Pas tout de suite. Une fois à Bruxelles, il prendrait immédiatement un avion pour une autre destination, et, à partir de là, se lancerait sur les traces de la fille. Il chercherait ceux qui l’avaient fournie à Aleksander, d’où elle venait, sa famille, tout ce qui pourrait aider à la localiser.

S’il avait de la chance, elle rentrerait chez elle. Un endroit où elle serait vulnérable. Et après, quand il aurait lavé son esprit de cette souillure, il pourrait se présenter devant sa mère, en fils honorable.

Le jour qui se levait semblait percer le brouillard à grand-peine. Strazdas sentit, plutôt qu’il ne vit, le taxi s’engager sur une longue ligne droite. Le chauffeur jeta un coup d’œil dans son rétroviseur.

« Merde », dit-il.

Strazdas se retourna pour regarder par la vitre arrière. Il distingua d’abord les gyrophares bleus, puis la voiture dont les contours se précisaient en émergeant de la grisaille. Une sirène retentit.

Le chauffeur mit son clignotant et freina.

« Qu’est-ce que vous fabriquez ? demanda Strazdas.

— Je m’arrête, répondit le chauffeur. Ça se voit pas, bordel ?

— Non, dit Strazdas. Continuez.

— Faites pas chier. » Il y eut une secousse quand le taxi monta sur le bas-côté avant de piler.

La voiture s’arrêta derrière lui, phares éteints. La portière du conducteur s’ouvrit, un homme en costume descendit et s’approcha. Le chauffeur abaissa sa vitre. L’homme regarda d’un côté de la route, puis de l’autre.

« Bon sang, Dan, fit le chauffeur. Qu’est-ce qui se passe ? Vous m’avez fait peur. J’ai cru que j’allais me prendre une amende. Je ne peux pas me permettre de perdre des points en ce… »

Hewitt sortit un pistolet de sa ceinture, visa le front du chauffeur, et tira.

Strazdas se précipitait déjà pour ouvrir la portière. Il s’éjecta de la voiture, atterrit sur l’épaule, se releva et escalada l’accotement en glissant dans la neige.

Une détonation claqua dans l’air glacé, et les jambes de Strazdas se dérobèrent sous lui. Il tomba à la renverse en hurlant et dévala la pente vers le taxi dont le moteur tournait toujours. Le macadam du bas-côté lui écorcha les mains et les genoux quand il termina sa chute près de la roue arrière du véhicule. Il essaya de ramper sous la carrosserie, mais une main le saisit par la cheville et le traîna en arrière.

Dominant de toute sa hauteur l’homme couché à terre, Hewitt le visa entre les yeux.

« Je n’enverrai pas de lettre, gémit Strazdas. J’ai dit ça comme ça. Je ne le ferai pas, je le jure sur la vie de ma mère.

— Trop tard », dit Hewitt.

Strazdas hurla.

Après deux balles dans la poitrine, sans plus supplier ni crier, il put seulement voir Hewitt s’avancer et se pencher vers lui. Il perçut la chaleur du canon contre son front, sentit l’odeur de la cordite, et voua sa mère à tous les diables de l’enfer.

92

Susan attendait près du lit, Ellen assise sur ses genoux, quand Lennon se réveilla.

« Bienvenue parmi les vivants, dit-elle.

— Où suis-je ? demanda-t-il.

— Au Royal. On t’a ramené de l’hôpital d’Antrim il y a deux jours.

— Je me rappelle pas. » Sa voix lui râpait la gorge comme du papier de verre.

« Ça ne m’étonne pas, dit-elle. Tu étais shooté jusqu’aux yeux.

— Tu étais là ?

— Oui, répondit-elle. Je t’ai tenu la main dans l’ambulance. Je suis restée près de toi tous les jours.

— Combien de temps ? »

Susan sourit. « Hier soir, je me suis souhaité la bonne année.

— Merci », dit Lennon.

Elle hocha la tête.

Lennon regarda sa fille. Il fit un effort pour lui sourire. « Salut », dit-il.

Le visage de la fillette demeura impassible. « Salut.

— Tu as été sage ? » demanda-t-il.

Ellen sourit enfin. « Mmm », répondit-elle.

Lennon tendit sa main droite vers sa fille. Elle lui saisit deux doigts et les serra. Il voulut dire quelque chose, des paroles importantes, il en était sûr, mais le sommeil le prit de vitesse.

* * *

Deux jours plus tard, l’inspecteur chef Uprichard vint s’asseoir au chevet de Lennon.

« La qualité des visites se dégrade déjà, commenta Lennon.

— Ça ne va pas s’arranger, dit Uprichard. Vous vous êtes mis dans un sale pétrin.

— Quel genre ?

— N’y pensez pas pour l’instant. Pensez d’abord à vous rétablir, c’est le mieux que vous puissiez faire.

— Quel genre ? » répéta Lennon.

Uprichard soupira. « C’est sérieux. Telle que l’affaire se présente à ce jour, je ne vois pas comment vous allez vous en sortir. Le fait que vous ayez aidé cette fille à fuir la justice, déjà, c’est suffisant pour signer la fin de votre carrière dans la police, mais avec la mort du jeune Connolly en plus, même s’il s’agit de légitime défense… Disons que vous avez intérêt à bétonner vos réponses quand on vous interrogera.

— Quelqu’un a enquêté sur Connolly ? demanda Lennon. Pourquoi était-il là ?

— Sa femme a fait une déposition, répondit Uprichard. Et nous avons eu accès à ses comptes bancaires. Le couple était endetté jusqu’au cou. Emprunts, cartes de crédit, trois mois de loyer en retard. Et puis arrivent deux gros virements depuis un compte offshore, dont un effectué la veille de Noël et crédité seulement après les fêtes. D’après sa femme, ils risquaient d’être expulsés de chez eux, et tout d’un coup, il annonce qu’il a trouvé l’argent d’une mise de fonds pour acheter une maison. Apparemment, quelqu’un le payait grassement pour vous dégommer.

— Dan Hewitt », dit Lennon.

Uprichard se leva. « Je ne vous ai pas entendu.

— Dan Hewitt travaillait pour Strazdas. Il a mis Connolly sur le coup.

— Des preuves, Jack. » Uprichard agita un doigt en direction de Lennon. « Des éléments à charge. À moins d’en détenir à profusion, on ne noircit pas le nom d’un bon officier de police.

— C’était lui, dit Lennon. Je l’aurai. Je le ferai tomber.

— Assez ! » Uprichard devint tout rouge. « Je refuse d’écouter ça. »

Il fonça tête baissée vers la porte. Là, il marqua une pause, les épaules tressautant sous l’effet de la colère, et daigna accorder encore un regard à Lennon.

« J’oubliais…, dit-il. J’ai quelque chose à vous remettre. »

Uprichard revint près du lit en évitant de croiser les yeux de Lennon. Il laissa tomber une enveloppe sur le drap. Lennon la prit, la tourna entre ses mains. La lettre était adressée à « Monsieur Policier Jack Lennon, Commissariat de Ladas Drive, Belfast, Irlande du Nord ». Le cachet de la poste indiquait « Kyyiv ».

« J’ai vérifié, dit Uprichard. C’est Kiev. La lettre est arrivée ce matin. Je me suis dit que vous voudriez la voir.

— Oui, dit Lennon. Merci. »

Uprichard hésita un instant. « Bon, je vous laisse lire. Rétablissez-vous, Jack. Vous aurez besoin d’être le plus en forme possible pour sortir de ce bourbier dans lequel vous vous êtes fourré. »

Une fois seul, Lennon examina l’enveloppe, l’écriture soignée et enfantine. Il voulut la décacheter, mais il se découvrit les yeux secs, incapable de soutenir le poids de ses paupières. Il regarda l’horloge en face de son lit.

C’était l’heure. Une infirmière entra pour ajouter une dose d’analgésique à la perfusion qui lui coulait dans la veine de la main. Quand ce serait fait, il sombrerait dans un sommeil sans fond où ne perçait aucune lumière.

« Qu’est-ce que vous avez là ? demanda-t-elle.

— Une lettre d’une amie, répondit-il.

— Vous voulez la lire avant que je vous envoie faire un gros dodo ? »

Il posa la lettre sur la table de chevet.

« Plus tard », dit-il.

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