Qui est cette femme ? — a demandé Tatien avec anxiété.
C'est une servante aveugle qui habite chez nous depuis trois ans et qui depuis plusieurs mois est alitée malade d'une peste chronique. Elle arrive maintenant au bout de ses peines...
Le visage blême, le patricien a pris la petite main de sa fille et a demandé à voir la malade.
À ce regard suppliant et sincère, Agrippa n'a pas hésité.
Prenant les devants, il a guidé les visiteurs entre de courtes allées d'arbres jusqu'à une minuscule pièce bien éclairée qui se trouvait dans le fond.
La fenêtre ouverte laissait échapper les notes harmonieuses de l'instrument bien accordé.
Tatien a traversé la porte le cœur précipitant...
Jamais il n'oublierait le tableau qu'il avait devant les yeux, Livia presque cadavérique écoutait, haletante, un garçon humble et sympathique qui chantait avec une immense tendresse.
Livia ! — s'est-il écrié, stupéfait.
Livia ! Livia ! — a répété Blandine ardemment.
La malade eut un indicible sourire sur son visage calme et a tendu ses mains murmurant entre les larmes :
Enfin!... enfin!...
Le patricien a fixé consterné les restes encore vivants de la femme qu'il avait aimée, à qui il avait consacré toute son affection avec une fraternelle tendresse. Ses yeux éteints exprimaient une amère vacuité et son visage triste ressemblait davantage, maintenant, à un masque d'ivoire délicat garni d'une épaisse chevelure noire qui n'avait pas changé.
Alors que Blandine s'inclinait affectueusement sur le lit, il voulut clamer la révolte qui assaillait son cœur mais un lourd nuage de douleur étranglait sa gorge.
Livia devina son angoisse et ayant remarqué la présence d'Agrippa, elle fit de courtes présentations afin d'alléger la tension du moment.
Monsieur Lucius — s'exclama-t-elle —, voici les amis que j'attends depuis longtemps... Dieu n'a pas voulu que je meurs sans les étreindre une dernière fois... Celse Quint aura désormais une nouvelle famille...
Le propriétaire de la maison a salué Tatien et Blandine et, percevant que le groupe désirait un peu plus d'intimité, il s'est retiré, courtois, promettant de revenir bientôt avec Domicia.
C'est alors que le fils de Varrus s'est mis à gémir étrangement comme s'il portait un fauve occulte dans son thorax qui laissait échapper d'effrayants rugissements... Et parce que Livia l'incitait au renoncement et à la sérénité, il a explosé d'une voix stridente et émouvante :
Pourquoi te retrouver, ainsi, en cet instant terrible d'adieu ? Pauvre de moi !... Je suis damné prisonnier des griffes impitoyables des génies infernaux ! Je suis comme la tempête qui passe et siffle entre les ruines... J'ai tout raté. Pourquoi me suis-je attaché de cette façon aux sinistres dieux ? Du bonheur, je n'ai trouvé que des restes fumants... J'ai essayé d'avancer dans le monde avec l'intrépidité de mes ancêtres et j'ai toujours agi selon ce que les traditions m'ont enseigné de plus pur, mais toutes les épreuves m'attendaient trompant mes désirs ardents... Je suis le fantôme de moi-même ! Je me méconnais !... La mort a suivi mes pas... Je suis un perdant que la vie contraint à marcher parmi ses propres idoles brisées !...
Le gendre de Veturius étouffé par les larmes abondantes qui coulaient sur son visage s'est interrompu.
Profitant de cet intervalle, la malade est intervenue avec une inflexion émouvante dans
la voix:
Tatien, pourquoi nourrir la tourmente en ton cœur, face à la sérénité de la vie ?... Tu te plains du monde... Ne serait-il pas plus juste de nous en prendre à nous- mêmes ?... Comment peux-tu te laisser aller à blasphémer alors que tu possèdes un corps aussi robuste ? Pourquoi te révolter quand les activités de chaque jour peuvent compter sur tes bras libres ?... Jai appris avec Jésus que la lutte est aussi importante pour notre âme, que le sculpteur est précieux à la création de la statue !... Dans le passé, nos scrupules nous obligeaient à garder la foi loin de nos conversations les plus intimes... Mon père me recommandait de ne pas offenser tes convictions... Mais aujourd'hui, je ne suis plus la femme que le monde pourrait rendre heureuse... Je suis à peine une sœur qui prend congé... Quelques mois avant notre rencontre sur les marges du Rhône, nous avons rencontré Jésus à Massilia... Notre esprit s'est modifié... Avec lui, nous avons appris que le divin amour préside à la vie humaine... Nous sommes de simples étrangers sur terre !... Notre vrai foyer brille dans l'au-delà... Il faut dépasser valeureusement les épreuves de l'existence... En vérité, je suis aveugle et je n'ignore pas que la mort approche, néanmoins, il y a une lumière qui s'éclaire dans mon cœur... LeChrist..
Mais son interlocuteur a coupé sa phrase hésitante et s'est écrié :
Toujours l'ombre de ce Christ à traverser mon chemin... Encore jeune, quand j'ai découvert l'amour de mon père, ce fut pour vérifier sa complète reddition au prophète juif ! Quand j'ai cherché à ramener ma mère à l'équilibre de l'intelligence, elle ne se reportait à personne d'autre et elle est morte en aspirant à l'influence de cet intrus... Quand je suis allé voir Basil, à mon retour de Rome pour lui rappeler mon affection qui me poussait au culte de la mémoire paternelle, le compagnon que j'ai tant aimé s'était immolé pour lui... Je me jette à ta poursuite, je dépense mes meilleures forces pour revendiquer ton affection, mais en te retrouvant je te vois aussi entre les mains invisibles de cet inconnu Sauveur que je n'arrive pas à comprendre... Oh, Dieux infernaux, qu'avez-vous fait de moi?...
Livia est devenue plus livide.
Blandine a pris ses mains et allait lui adresser quelques mots, mais la malade avec la sérénité de ceux qui ont trouvé la paix au fond d'eux-mêmes a levé la voix et dit tristement :
— Ton injustifiable réaction est inutile ! Dans ce lit qui me sert de croix libératrice, je vis auprès de nombreuses affections qui m'ont précédée dans la mort !... Mes yeux de chair ont été brûlés pour toujours, mais une vision nouvelle enrichit ma vie intime... Je vois mon père à mes côtés... Il m'étreint avec son amour de toujours... Et il demande ton silence devant les vérités que tu ne peux encore percevoir... n affirme affectueusement que tu as perfectionné ton esprit à travers le voyage des Siècles... mais ton cœur, bien que généreux, est une perle emprisonnée dans une boîte en bronze... L'excès d'Intelligence a éclipsé ta vision... Tu souffres comme un homme qui a perdu la raison, refusant le remède libérateur... Tes larmes de rébellion spirituelle accumulent de denses nuages d'affliction sur ta propre tête !... Tu t'es arrêté volontairement à des illusions qui te blessent l'âme... Mon père te supplie de te calmer et t'incite à la réflexion... Il assure que nous nous trouvons tous enchaînés à travers des existences successives... Nous sommes les bourreaux et les bienfaiteurs des uns des autres... Seules les leçons du Christ bien vécues réussiront à nous sauver en éliminant les sinistres liens de la haine et de la vanité, de l'égoïsme et du désespoir qui nous enchaînent... Aie pitié de tous... des êtres supérieurs et des êtres inférieurs, de ceux qui t'aident et de ceux qui te bafouent, des vivants et des morts... Ne rends pas le mal par le mal... Pardonne toujours... Seulement ainsi tu feras la lumière en toi pour que tu puisses discerner la vérité... Mon père m'annonce que le départ approche... Cet instant a été retardé rien que pour toi, nous t'attendions afin de remettre entre tes mains les derniers devoirs que la terre m'a réservés... Aujourd'hui, cette mission sera accomplie... Je suis heureuse de la grâce qui m'est faite de t'avoir avec Blandine à mes côtés... Maintenant, c'est la fin de ma tâche...
Devant la pause qui s'imposa naturellement, Celse Quint, les yeux ravagés par les larmes, a abandonné sa harpe, a oublié les visites et a embrassé l'agonisante.
Ces phrases d'adieu lui faisaient revivre le souvenir des derniers instants de sa maman qui était partie.
Effrayé, il s'est mis à sangloter pris de douleur. Alors que la patiente le caressait avec des mots de tendresse, Tatien en a conclu que Livia était peut-être devenue folle de souffrance.
En cet instant, il ne pouvait entamer une discussion religieuse qui ferait du tort à tout le monde.
Toute altercation sur le Christ ne rendrait pas le moindre équilibre organique à la créature aimée que le destin avait étranglée.
Il s'est reconnu dans l'erreur.
Il lui a caressé le front inondé d'une pâteuse sueur et a supplié son pardon.
Livia, souriante, a demandé si Blandine avait progressé artistiquement parlant, et lui suggéra d'interpréter quelques vieilles musiques jouées dans la maisonnette de Lyon.
La fillette s'est immédiatement exécutée.
L'étroite pièce fut envahie par un baume béni irradié par la mélodie.
Des larmes sereines roulaient sur les joues amaigries de la malade qui après la musique évocatrice, tâtonna le visage en pleurs de Celse le remettant à ses amis avec humilité et confiance :
— Tatien, voici le fils de mon cœur, je te le confie ! Il s'appelle Celse Quint... Il a été mon sauveur en Thrinacrie. Là bas, nous avons chanté ensemble sur la voie publique... Il est courageux... Si la vie m'avait donné un fils, j'aurais souhaité qu'il fût comme Celse, amical, dévoué, travailleur... Je suis sûre que ce sera un enfant précieux sur ton chemin, tout comme il sera pour Blandine un frère dévoué.
Le garçon a regardé Tatien d'une étrange manière et le patricien magnétisé s'est efforcé de se rappeler où il avait bien pu voir ces yeux dans le caléidoscope de ses souvenirs.
N'était-ce pas le regard paternel qui l'observait en d'autre temps ? D'où venait cet enfant qui, en plus, portait le nom de l'apôtre qui l'avait engendré ?
Et comme s'il était mû intérieurement par une pulsion automatique, le garçon s'est détaché de Livia et s'est jeté dans ses bras.
Surpris Tatien se réjouit de ce geste de tendresse spontanée.
Celse ressemblait à un oiseau qui effleurait son être. Il pouvait même entendre son cœur battant effarouché.
Mais l'enfant ne se contenta pas d'une étreinte d'amour. Il lui baisa la tête où des fils grisonnants commençaient à apparaître et caressa son front, passant la main sur ses cheveux.
Le fils de Varrus Quint a ressenti une indicible émotion troublant ses sentiments les plus intimes. Il essaya de parler au garçon mais n'arrivait qu'à le caresser sans prononcer un mot.
C'est alors que LMa, par des phrases entrecoupées, a décrit à Tatien et Blandine la lutte qui avait ébranlé leur paix domestique à Lyon. Hélène n'avait jamais pu les recevoir à la résidence malgré toute l'insistance de Basil et la demande de recouvrement de la dette du Carpus, à travers la famille Veturius, qui avait déconcerté son père adoptif. Impérativement astreints, ils se sont installés à la résidence de Lucain Vestinus et après leur avoir relaté les dures persécutions vécues, elle s'est reportée aux difficultés de la prison, à sa soudaine cécité, et finalement à son évasion suivie du voyage en Sicile en compagnie de Teodul dont les promesses ne se réalisèrent jamais.
Son ami l'a écoutée avec effarement et s'est révolté.
Les pénibles souffrances de la jeune femme à Lyon et en Thrinacrie le lacéraient au plus profond de son âme.
Il soupçonna le sinistre complot qui l'avait menée au sacrifice.
Il lui affirma qu'il ignorait ce qui s'était passé.
Il n'avait jamais été sur cette île. Il avait fait un voyage normal à Rome, conformément au programme préétabli et était retourné chez lui sans altération.
Mais Hélène devait savoir ce qui s'était passé. Il ordonnerait de la faire venir.
Extrêmement bouleversé, il est allé dans la rue et malgré la nuit, il a envoyé un porteur à la villa distante suppliant son épouse et sa gouvernante de venir les rejoindre lui et Blandine à la maison d'Agrippa prétextant un motif urgent de santé.
Il exigerait le point de vue de sa femme devant la pauvre créature qui gisait à moitié
morte.
Après quelques minutes, Hélène et Anaclette arrivaient dans une voiture rapide et élégante.
Reçues par Tatien, il leur dit nerveusement après les questions qui lui furent posées :
Entrons ! C'est un cas de mort imminente.
Blandine ? — a interrogé la matrone affligée.
Non, non. Suivez-moi !
Quelques instants plus tard, le groupe entrait dans la pièce étroite.
Tatien a indiqué l'agonisante dont les yeux morts erraient sans expression dans ses orbites et l'a interpellée, ému :
Hélène, reconnais-tu la malade ?
La femme a frémi et comme elle esquissait un geste silencieux pour nier, son mari a
ajouté :
Voici LMa, la malheureuse fille de Basil.
À cet instant, Lucius Agrippa et sa femme qui étaient restés attentifs en silence dans la chambre, se sont dirigés vers leurs appartements emmenant les enfants pour qu'ils aillent se reposer.
Seules les quatre âmes, en proie à l'écrasant destin qui leur était commun, sont restées face à face comme si elles étaient convoquées par des forces invisibles à de suprêmes décisions.
Hélène et Anaclette semblaient galvanisées à la contemplation de ce visage animé par une intense vie intérieure.
La harpiste aveugle approchant de la mort portait les traits physionomiques d'Émilien Secondin, l'amour que le temps n'avait pas effacé dans le cœur de la fille de Veturius.
Livia — a dit Tatien compatissant —, je te présente ma femme et notre ami Anaclette.
Le visage de la malheureuse s'est illuminé d'une profonde joie.
Je remercie Dieu pour cette heure... — s'exclama-t-elle à voix basse avec humilité — j'ai toujours désiré vous demander des excuses pour la mauvaise impression que je vous avais causée... Plusieurs fois, j'ai désiré vous approcher pour vous dire tout mon respect et toute mon amitié... néanmoins... les circonstances ne l'ont pas permis...
Cette voix résonnait dans l'esprit d'Hélène avec une étrange résonance... Pourquoi ne s'était-elle pas intéressée davantage à cette femme ?
Son attitude s'est soudainement modifiée d'une manière inexplicable... Les réminiscences d'une phase obscure de sa vie émergeaient en couleurs vives du plus profond de sa mémoire. Elle eut l'impression qu'Émilien se trouvait là, en esprit à la réveiller à la terrible réalité ... Elle oublia la présence de Tatien, ne s'est pas souciée des convenances d'ordre personnel et le visage épouvanté, elle a demandé :
Où êtes-vous née ?
À Chypre, Madame.
Qui fut votre mère en ce monde ? L'agonisante a souri avec effort et a expliqué :
Je n'ai pas eu le bonheur de connaître ma mère. J'ai été trouvée par mon vieux père adoptif dans la lande...
Et tu excuserais celle qui t'a donné la vie si un jour tu la rencontrais ?
Comment non ?... J'ai toujours vénéré ce cœur maternel... dans mes prières quotidiennes...
La matrone, pâle, tremblante de terreur devant la face nue de la vérité, a poursuivi son interrogatoire :
Et si ta mère te volait ton mari, ton père et ta santé même, en te condamnant au dédain public ?
Même comme cela... — a confirmé Livia sans hésiter — ça ne ferait pas de différence pour moi ... Qui parmi nous en ce monde peut juger avec assurance ?... Ma mère... bien que m'ayant voulue avec amour... à peut-être été obligée de me blesser... pour mon propre bien... Je crois qu'en... tout... nous devons rendre grâce à Dieu...
Devant le mutisme consterné d'Hélène, Anaclette s'est avancée vers l'agonisante avec un fervent intérêt.
Ta mère ne t'a-t-elle pas laissé un souvenir ? — a demandé la gouvernante anxieuse.
Livia s'est tue un instant comme si elle cherchait des forces pour parler et lui répondit affirmativement :
Je pense que ma mère... avait l'intention de me retrouver... parce qu'elle m'a laissé dans les broderies du,berceau un camée que mon père m'a enseigné à porter sur mon cœur...
Anaclette, devant Tatien stupéfait, a regardé son thorax et lui a retiré le bijou d'ivoire où brillait l'image de Cybèle magnifiquement sculptée dont Hélène ne se séparait jamais pendant ses promenades avec Émilien.
La pâleur de la fille de Veturius se fit livide.
Elle avait découvert sa propre fille sur qui elle avait fait peser tout le poids de sa frénétique persécution.
Cette femme était la fleur séchée de ses premiers rêves... Elle entendait à nouveau dans la miraculeuse résonnance de sa mémoire, les paroles que l'homme inoubliable de ses idéaux féminins lui avait dites pour la première fois... Ils avaient, lui et elle, projeté pour le rejeton de leurs espoirs le plus beau des destins.
Pourquoi ce paradis imaginé s'était-il métamorphosé en enfer ?
Immobilisée par la terreur, les yeux écarquillés, elle a remarqué que les souvenirs matérialisaient le passé au fond de son âme.
Les murs de la chambre ont disparu à ses yeux.
Elle se voyait encore jeune prise dans le tourbillon des banalités où l'amour d'Émilien avait éveillé son cœur...
Ses idées s'obscurcirent. Où était-elle ?
Elle a remarqué qu'au beau milieu des ombres qui l'entouraient, un homme marchait à sa rencontre... C'était lui, Secondin, comme dans l'ancienne vision d'Orosius et comme lors du rêve qu'elle avait fait sur l'île de Chypre, il portait toujours ses vêtements de cérémonie militaires, la main droite sur sa poitrine sanglante et l'appelait en criant :
Hélène ! Hélène !... qu'as-tu fait de la fille que je t'ai donnée ?
Ces paroles torturaient son âme infiniment répétées par les monstres du remords dans l'abîme profond qui s'ouvrait sous ses pieds...
Elle s'est souvenu que sa fille abandonnée se trouvait là à portée de mains, et pourtant, bien que tendant les bras, elle ne réussissait pas à la trouver pour l'arracher des ténèbres qui s'intensifiaient tout autour...
Seul le visage d'Émilien grandissait, démesuré, devant sa vision épouvantée et seule son inquiétante interrogation parvenait à ses oreilles :
Hélène ! Hélène !... qu'as-tu fait de la fille que je t'ai donnée ?
Devant Tatien et Anaclette pétrifiés d'étonnements, avec une expression de folie dans le regard, la matrone a poussé un horrible éclat de rire puis a tourné les talons et s'est élancée sur la voie publique. Elle prit les rênes du véhicule qui l'avait amenée et partit en trombe en direction de la villa lointaine ...
Le mari d'Hélène a sollicité l'assistance d'Agrippa pour la patiente et s'isolant avec la gouvernante dans un coin du jardin, il a entendu, pendant plus de deux heures, les tristes confidences sur le passé et le présent.
Tatien, terrassé, semblait ivre de colère.
Quand Anaclette eut fini ses arriéres révélations, informé de la cruelle vérité, l'interlocuteur serra ses poings et s'est écrié d'une voix de stentor :
Hélène est indigne de respirer parmi les mortels. Elle sera étranglée par mes propres mains... Elle descendra, aujourd'hui même, dans les horribles régions infernales où elle supportera des peines bien méritées !...
Tatien ! Tatien ! — pleurait la vieille amie l'empêchant de bouger. — Attends ! Attends ! Le temps aide à la réflexion !...
Le patricien cherchait à se dégager quand Lucius Agrippa, avec une expression fatiguée, s'est approché d'eux et leur a dit :
Mes amis, notre malade repose finalement en paix.
Blessé doublement au cœur, le père de Blandine a accouru dans l'humble pièce et a regardé le visage de Livia, mortifié et livide dans le halo de la mort.
Une sérénité angélique s'exprimait sur son visage. Un sourire mystérieux que personne n'aurait pu définir comme étant de la joie ou de la résignation, était figé sur ses lèvres comme un dernier message de sa courte vie à ceux qui restaient.
Son compagnon qui l'avait tant aimée s'est incliné sur son cadavre, en pleurs, pendant quelques instants ; mais comme si une force étrange subitement le levait, il se mit à hurler d'une douleur sauvage et a imploré.
Fermement soutenu par Lucius, il lui supplia de l'aide. Il devait se rendre d'urgence à la villa Veturius.
En quelques minutes, une charrette de service le transportait de retour à la demeure en compagnie d'Anaclette.
De tout le chemin, ils n'ont pas échangé un mot.
Les lumières matinales commençaient à apparaître par une belle aurore.
Suivi de la gouvernante soucieuse d'éviter toute attitude de violence, le patricien a appelé sa femme d'une voix stridente tel un aliéné mental.
Hélène, cependant, ne se trouvait pas comme d'habitude dans sa chambre.
Après quelques instants d'anxieuses recherches, elle fut trouvée dans une flaque de sang dans la salle de bain de la maison.
La malheureuse matrone, bouleversée par les scènes terrifiantes de sa conscience coupable, s'était ouvert les veines des mains.
Anaclette a éclaté en de bruyantes exclamations.
Tous les serviteurs ont accouru pressés d'offrir leur secours qui n'avait plus de raison
d'être.
C'est alors que le vieil Opilius, tremblant et angoissé, s'est approché et trouvant le cadavre de sa fille qui avait toujours dominé son cœur, il voulut crier mais ne le put.
Sa poitrine s'est comprimée et son cerveau a éclaté comme une harpe dont les cordes se seraient cassées, le vieil homme est tombé à la renverse sur les marches en marbre, gémissant d'angoisses.
La nuit tragique est passée comme un ouragan impitoyable et hululant.
Opilius Veturius, le dirigeant que Rome avait admiré pendant tant d'années, en raison du choc, était alité abattu et hémiplégique.
Le don de la parole chez lui s'était éteint.
Malgré d'immenses efforts mis en œuvre pour le soigner, il n'arrivait plus qu'à émettre des sons gutturaux avec des expressions grimaçantes.
Des jours et des jours se sont écoulés...
Puis un beau matin, une magnifique trirème le conduisait assisté d'Anaclette en route vers Ostie, alors que Tatien et Blandine accompagnés de Celse Quint, retournaient en Gaule lugdunienne, remplis de nostalgie et de douleur...
Le fils orgueilleux de Varrus Quint qui depuis sa jeunesse dédaignait la plèbe et se rabaissait à peine superficiellement au culte des dieux des victoires impériales, commençait à courber l'échiné. Étreint par les deux enfants qui étaient désormais sa raison de vivre portant des rides profondes qui défiguraient son visage déjà garni de cheveux blancs qui se
multipliaient rapidement, il ne savait plus qu'interroger en silence l'horizon lointain s'attardant muet à réfléchir et à pleurer...
SOLITUDE ET RÉAJUSTEMENT
L'automne 256 commençait entre les luttes et les expectatives.
Dans l'Empire gouverné à cette époque par Publius Aurélien Licinius Valérien élevé à la pourpre du pouvoir pour ses brillants faits militaires, la décadence continuait...
Malgré les victoires sur les goths, l'Empereur n'arrivait pas à arrêter la dégradation morale qui se développait de toute part.
À Rome, l'oubli et la subversion bafouait toute dignité.
Sur les terres provinciales, l'irresponsabilité et l'indiscipline grandissait.
Tatien, néanmoins, avait bien trop avancé dans son renouvellement intérieur pour s'en tenir au monde extérieur.
Loin des questions politiques et philosophiques qui l'ennuyaient, il se sentait invité par la vie au réajustement de toutes valeurs et conquêtes d'ordre personnel.
De retour à Lyon où la vie se déroulait conformément aux adaptations nécessaires, il n'ignorait pas que des contrariétés imprévisibles viendraient de Rome.
Le suicide d'Hélène et la maladie de son beau-père sans qu'il puisse donner à leurs amis de justes explications, avait provoqué une atmosphère d'antipathie et de méfiance.
Raison pour laquelle, il était d'autant plus seul et angoissé.
Il était arrivé à la villa avec une idée en tête qui l'obsédait et le dominait : — l'affront de Teodul. Il verserait sur lui tout le fiel d'indignation et de dédain qui débordait de son âme. Il l'interpellerait avec fermeté et se vengerait sans miséricorde. Mais à son retour, il vint à apprendre que le représentant d'Opilius avait été appelé par Galba, en toute hâte, et était parti pour la métropole deux jours auparavant.
Il était persuadé que la santé de Veturius déclinait.
Mais se sentait fort excédé de devoir revoir son beau-père.
Emprunt de l'orgueil des vieilles traditions sur lesquelles sa vie était basée, il se sentait étranger à la famille de Veturius qui depuis sa naissance empoisonnait sa vie. Il préférait attendre le mépris et l'hostilité dans le contexte des occupations qui étaient les siennes depuis sa jeunesse.
Craignant l'intromission de Galba, il ordonna de réformer la maisonnette qui avait appartenu à Basil et la fit embellir puisque c'était le seul bien qui était à son nom. Puis il s'y est installé en compagnie de Blandine, de Celse et d'un vieux couple d'esclaves, Servule et Valérie, qui lui étaient extrêmement dévoués.
La vieille servante était un soutien efficace dans le cadre des activités domestiques et son mari s'était converti en un professeur compétent pour les enfants.
Celse Quint, qui avait déjà appris à lire avec Livia depuis son enfance, avait à onze ans une mémoire phénoménale et était doté d'une grande capacité de discernement. Franchement chrétien, il passait de longues heures avec Blandine à lui raconter les histoires des martyrs de l'Évangile et lui communiquait son ardente foi en Jésus.
La fille de Tatien l'écoutait émerveillée, trouvant à ses paroles une grande consolation.
Les souffrances de Livia, la disparition de Basil, la mort d'Hélène avec les pompeuses obsèques qui avaient suivi, la maladie de son grand-père et les graves inquiétudes paternelles la jetaient dans une profonde agitation psychique. Elle pleurait sans raison, souffrait d'inexplicables insomnies et lors de fortes crises, elle restait alitée pendant des jours et des jours souffrant de troubles cardiaques.
Elle avait perdu tous les bienfaits que l'excursion de Néapolis avait pu lui apporter.
Quotidiennement, le matin, elle faisait avec son père la prière habituelle à Cybèle, mais, au fond, elle sentait que sa pensée se mettait à graviter autour de ce Christ aimant et sage qui était le centre de tous les commentaires de son frère adoptif.
N'ignorant pas l'aversion de son père pour les chrétiens, elle prenait soin de s'abstenir en sa présence de tout commentaire tendant à blesser ses principes.
Peu à peu, les idées et les remarques de Celse avaient converti son âme simple et sensible à la nouvelle foi.
Une fois ses études et ses tâches quotidiennes terminées, le garçon trouvait encore le temps de lire de courts passages trouvés dans les archives de Basil que Tatien conservait respectueusement.
Dès lors le bienfaiteur paternel durant leurs entretiens ordinaires que ce soit à l'occasion de promenades dans la campagne ou pendant les repas dans le triclinium, était surpris par les commentaires judicieux et sensés du garçon, même si Celse Quint évitait lui aussi toutes références faites au christianisme de manière directe.
Servule n'oubliait jamais de demander aux enfants le juste respect des convictions de leur père et, ainsi, les deux enfants spirituellement proches partageaient le même idéalisme et les mêmes espoirs en leur for intérieur consolidant la foi qui aimantait leurs cœurs.
Nuit après nuit, les habitants de la maisonnette dans la forêt vivaient des heures douces et bénies de musique et de joie.
Comme s'il connaissait les traits psychologiques de Tatien, de longue date, Celse avait une manière toute spéciale de guider la conversation.
Un beau jour alors que le patricien désenchanté se plaignait des tragédies passionnelles de son temps avec affliction et découragement, le garçon fit remarquer subtilement :
Mais, mon père, ne pensez-vous pas que le monde a besoin d'un nouveau mouvement d'idées qui pénétrerait les sentiments des créatures en rénovant leur façon de penser ?
Tatien l'a regardé, étonné.
Que savait Celse des problèmes de la vie ?
Bien qu'admiratif, il lui a répondu fermement :
Je n'en crois rien, mon fils. Nos traditions et nos lois sont suffisantes. Il nous suffit de nous y adapter puisque les grandes lignes sont là. Ne penses-tu pas que les divinités savent conduire nos vies ?
Si mon père — lui dit le petit pensif —, vous avez raison... Et pourtant les dieux semblent bien loin ! On nous dit que Jupiter guide le monde de toute part, que
Cérès est la protectrice des récoltes, que Minerve oriente les sages, niais ne pensez- vous pas que nous avons besoin que quelqu'un vienne au monde, au nom des dieux, partager sa vie avec les hommes dans leurs difficultés et leurs douleurs ?... Les divinités aident les êtres conformément aux sacrifices qu'ils reçoivent dans les temples. Ainsi, la protection du ciel varie en fonction de la position des hommes. Il y a ceux qui peuvent apporter aux sanctuaires des taureaux et des oiseaux, des encens et de l'argent, cependant la majorité des habitants d'une ville est composée de gens pauvres qui ne connaissent que le sacrifice et la servitude... Vous croyez père que les esclaves sont déshérités du ciel ? Que ceux qui travaillent le plus doivent être les moins favorisés ?
Prononcées avec humilité et affection, le fils de Varrus recevait de telles paroles comme des jets de lumière intérieure.
Lui-même était bien nanti, il avait grandi protégé par le prestige de l'or, mais les surprises du destin petit à petit l'avaient dépouillé de tous les avantages et privilèges.
La mort de sa femme et le mécontentement de sa famille le plaçaient au bord de l'appauvrissement économique le plus complet.
Le tout dernier coup viendrait de son beau-frère et gendre.
Peut-être ne tarderait-il pas à connaître la pénible condition des hommes condamnés à la servilité, de subalterne dans l'ombre.
À un tel tournant de la vie sur terre, il ressentait le souffle de l'adversité qui gelait son
cœur.
Aurait-il une foi suffisamment robuste dans les jours incertains qui approchaient ?
Les commentaires de son fils adoptif éveillaient en son âme cette pensée crucifiante.
Il est devenu légèrement livide et lui dit :
Oui, oui, tes remarques sont appréciables mais nous ne pouvons oublier que notre existence reste structurée sur le fondement des classes.
Et se rappelant les sages interprétations d'anciens Romains, il a ajouté :
La société est un corps dont nous sommes une partie intégrante. La tête hissée sur les épaules a pour mission de raisonner et de décider. Les mains et les pieds sont faits pour servir.
Dans l'organisme de notre vie politique, l'aristocratie représente les sens tels que la vision, l'audition et le touché qui assiste le cerveau à examiner et à discerner, alors que les plébéiens sont les membres chargés du travail et de la soumission. Nous ne pourrions pas inverser l'ordre. La naissance et la position, le nom et les conquêtes sont les piliers de notre équilibre.
Le jeune a souri avec intelligence et fortement inspiré tout en acquiesçant, il lui dit :
Mais une douleur aux pieds n'est-elle pas aussi désagréable qu'une douleur à la tête? Une blessure à la main n'est-elle pas aussi douloureuse qu'une gifle ? Je suis sûr, mon père, que chaque personne respire à la place que la nature lui a conférée mais tous les hommes méritent le respect, le bonheur et la considération... En acceptant cette vérité, je crois que si la foi pouvait se manifester en nous, en notre for intérieur, nous rendant plus amicaux et plus fraternels les uns envers les autres afin que nous-mêmes commencions le service de la bonté, sans aucune contrainte, l'harmonie du monde serait plus parfaite parce que la fortune des nantis ne serait pas troublée par le malheur des pauvres, le rire de quelques-uns ne serait pas compromis par les gémissements de tant d'autre..
Le veuf d'Hélène a réfléchi pendant un moment et a conclu :
Tes remarques sont intéressantes et précieuses. De fait pour atteindre la réalisation à laquelle tu fais référence, nous aurions besoin dans l'Empire d'un grand réformateur... un homme à la hauteur de toutes nos dignités publiques. Probablement, un philosophe, prenant les rênes du gouvernement sous l'inspiration de la bonté et du droit qui saurait comprendre nos besoins communs...
Celse a échangé avec Blandine un regard d'une inexplicable joie et a ajouté :
Mais, père, ne croyez-vous pas que ce rénovateur est déjà venu ?
Tatien, qui avait compris l'allusion voilée faite à Jésus-Christ, a esquissé un geste d'ennui et a changé le cours de la conversation, mais dans sa solitude, il réfléchissait aux arguments de cet enfant que la dévotion de Livia lui avait légué et qui progressivement commençait à prendre la place dans son cœur d'un guide, petit mais assuré.
Plusieurs semaines étaient passées quand un message venant de Galba a apporté des nouvelles inquiétantes de Rome.
Lucile avait juste daigné écrire à sa sœur afin de torturer son père du fiel de l'aversion qui débordait de son âme. Elle exigeait que Blandine vienne vivre à la capitale de l'Empire, chez elle, assurant qu'elle avait perdu confiance en son père qui n'avait pas voulu éviter le déplorable suicide d'Hélène. Elle était convaincue qu'elle avait voulu en finir, forcée par l'attitude de Tatien qui, pendant des années consécutives, semblait lui refuser toute affection. Elle disait que leur grand-père alité entre la maladie et la tombe, avait décidé de vendre toutes leurs propriétés en Gaules pour que la famille se défasse des souvenirs amers, informant de plus que dans quelques jours, le patricien Alcius Comunius prendrait possession de la villa, que Teodul n'y retournerait plus et qu'elle lui conseillait de la rejoindre à Rome sans plus tarder. Elle attendrait, néanmoins, une réponse claire afin de charger Anaclette et d'autres servantes de la suite nécessaire à son voyage. Elle la suppliait d'apporter les bijoux et les souvenirs maternels pour son trésor affectif personnel et, finalement, faisait un rapport complet des avantages et des intérêts à ce transfert, énonçant par là l'espoir que Blandine découvrirait une existence différente susceptible de guérir toutes ses tristesses et son incompréhensible faiblesse.
Tatien lut la lettre dissimulant mal ses larmes. Jamais il n'aurait pu s'attendre à un tel mépris. La décision de son beau-père en se défaisant de ses terres signifiait pour lui la plus forte dégradation au niveau social mais la misère ne le blessait pas autant que l'ingrat comportement de sa fille.
Lucile n'avait pas la moindre raison de le blesser. Il s'est rappelé, néanmoins, de Varrus Quint, son dévoué père qui lui avait tout donné sans rien recevoir et une fois de plus, il s'est dit que son chemin en ce monde était bien amer.
Il a séché ses larmes, se repris et a présenté le message à sa fille.
Blandine n'a pas caché la révolte que ces observations suscitaient en elle et a immédiatement répondu à sa sœur qu'elle ne prétendait pas abandonner son père tant qu'il vivrait.
L'émissaire de Galba est retourné à la métropole rapportant son court message avec tous les objets d'Hélène et dès lors un inébranlable silence a pesé dans les relations familiales entre Lucile et son père.
Après quelques jours, Aldus a pris possession de l'exploitation agricole réquisitionnant Servule et sa femme dont les services lui appartenaient par droit d'achat, et Tatien fut contraint d'engager une domestique et assuma à son tour la tâche d'éducateur des enfants car il n'avait pas les moyens matériels de satisfaire à tous leurs désirs.
L'hiver est arrivé glacial.
Les arbres gelés aux branches nues dirigées vers les cimes ressemblaient à des spectres implorant la chaleur de la vie.
Méditatif, Tatien observait la nature punie se rappelant son propre destin.
Le froid de l'adversité assaillait son cœur.
Si Blandine et Celse n'avaient pas été là, ces fragiles rejetons de la vie à solliciter son affection, peut-être se rendrait-il à la souffrance morale jusqu'à ce que la mort lui apporte son message de paix et de libération. Mais la tendresse et la confiance avec laquelle ils suivaient ses pas lui redonnaient des forces. Il lutterait contre les monstres invisibles de sa propre forteresse pour avoir la chance de donner aux deux enfants une vie meilleure que la sienne. Il renoncerait à tous les plaisirs pour qu'ils vivent toujours libres et heureux.
Quand le printemps est arrivé sur les plaines du Rhône, il a envisagé le besoin de s'absenter de chez lui pour partir à la conquête d'un plus grand confort domestique. Et pour la première fois comme cela s'était produit avec son propre père en d'autres temps, il comprit que l'existence était bien dure pour un homme qui se proposait de gagner avec dignité le pain de chaque jour.
La classe moyenne n'était qu'un couloir dangereux et obscur entre les hordes misérables d'esclaves et la montagne dorée des seigneurs.
Agité par des émotions affligeantes, il réfléchissait aux obstacles qui s'élevaient entre lui et la vie à son époque.
Toutefois, il ne pouvait reculer.
Il a consulté différents amis mais trouver une situation intéressante sans la protection des hauts dignitaires de la cour était difficile et un tel soutien lui était maintenant inaccessible.
La santé de sa fille demandait des soins urgents et exigeait des moyens croissants.
De tentative en tentative, en quête d'un travail décent, des occasions surgirent le faisant envier la chance des forgerons et des humbles gladiateurs qui pouvaient embrasser leurs enfants tous les soirs, fiers et heureux, dans la plus grande simplicité de la bénédiction de la vie.
Désespéré, entre les besoins domestiques et le manque de moyens, il décida de participer aux courses de biges pour disputer des prix.
Il avait deux voitures légères et solides et d'excellents chevaux de course.
Le premier jour, il fut profondément touché par les regards ironiques de bon nombre qui dans la prospérité fréquentaient son foyer... Fièrement, plusieurs compagnons de la veille se refusaient à le saluer comme à l'habitude remarquant sa participation dans des activités plébéiennes, mais il démontra tant de dextérité aux courses que rapidement il devint le favori d'innombrables parieurs.
Admiré par certains et ironisé par d'autres, le fils de Varrus trouva quelque chose qui retienne son attention.
Il haïssait la foule en fête qui acclamait son nom dans les compétitions victorieuses, il ressentait une indicible répugnance aux rassemblements d'hommes et de femmes jouisseurs de la vie, mais au fond, il se sentait satisfait de l'occasion qui lui était donnée de conquérir au prix de ses propres efforts l'argent indispensable aux dépenses du foyer qui recommençait à jouir d'un plus grand confort.
Il avait engagé un professeur compétent et la vie passait dans une atmosphère bénie de paix, bien que perturbée de temps à autres par la santé précaire de Blandine qui n'était toujours pas complètement guérie. Malade et abattue, sa fille voyait le temps passer entre l'affection inaltérable de Tatien et de Celse, prête à faire son envol pour le paradis.
Bien que conduite par les mains protectrices de son père en promenade sur le fleuve ou en forêt, jamais plus les couleurs rosés et saines de l'enfance n'étaient apparues sur son visage. Combien de fois avait-elle été surprise en profonds sanglots et, quand son père ou Celse l'interpellaient, elle leur disait attristée qu'elle avait vu l'ombre d'Hélène qui suppliait ses prières.
Tatien savait qu'en commun accord, sa fille et Celse s'étaient convertis au christianisme, mais son âme s'était bien trop transformée pour retirer à l'adolescente torturée la seule source de consolation capable de lui rendre la paix, le réconfort, l'espoir et la joie.
Personnellement, il était toujours dévoué à Cybèle, invariable défenseur des dieux immortels, et pourtant les amertumes sur terre avaient enseigné à son cœur que le bonheur spirituel n'est pas le même pour tous.
Deux ans étaient passés rapidement...
Celse, robuste et bien disposé, était maintenant un précieux compagnon pour son père adoptif, il participait aux travaux de la petite écurie, quant à Blandine, elle empirait sensiblement.
Si la jeune fille essayait de jouer de la harpe ou du chant, de longues quintes de toux l'obligeaient à s'interrompre.
Son père à l'agonie ne dispensait aucun sacrifice pour lui rendre la santé mais la nature semblait condamner la malade à d'interminables souffrances.
De passage à Lyon, un célèbre médecin gaulois de Mediolanum23 a été appelé et a suggéré à Tatien d'amener sa fille dans la ville où il habitait pour un traitement approfondi de sa spécialité. Ce changement temporaire l'aiderait probablement à reprendre des forces.
Son père aimant et dévoué n'a pas hésité.
N'ayant pas comment payer ces dépenses qui dépassaient leur budget habituel, il a fait un prêt important et est parti avec ses enfants pendant l'été de l'année 259.
Aujourd'hui Évreux (Note de l'auteur spirituel).
Et malgré les énormes dettes contractées et tous les sacrifices encourus dans le processus de cure à laquelle elle avait été soumise, la malade est revenue sans améliorations.
Les luttes paternelles continuaient tourmentées.
Des jours difficiles se multipliaient quand une visite inattendue vint les surprendre.
Anaclette, leur loyale amie, venait leur faire ses adieux.
Ayant déjà vécu la moitié d'un siècle, elle avait décidé qu'elle ne pouvait plus supporter les agitations de la ville impériale.
Elle se disait épuisée.
Blandine et son père écoutèrent, terrifiés, les nouvelles dont elle était porteuse.
Le vieil Opilius était mort deux hivers auparavant tourmenté par de terribles cauchemars et Galba, peut-être las des excès passés voulut aller vivre à Campanie, mais sa femme de plus en plus avide d'aventures et d'émotions l'en empêcha...
Depuis le décès d'Hélène, une fois définitivement éloignée de l'influence de son ancien foyer, la jeune épouse fut prise d'une incompréhensible soif de plaisirs. Et alors que son mari se retirait à la campagne, elle s'offrait à la pernicieuse influence de Teodul qui s'était installé au palais de Veturius comme s'il était un proche parent. L'intendant l'accompagnait à toutes les fêtes et favorisait des affections illicites, jusqu'à ce qu'un jour, surpris par Galba dans une position compromettante dans le lit conjugal, celui-ci le poignarda sans la moindre commisération.
Une fois le crime commis qui comme tant d'autres était passé inaperçu aux yeux des autorités bien soumises, le frère d'Hélène est resté alité, pris de délire.
Pendant quelques jours, Anaclette racontait qu'elle avait veillé sur lui, niais fatiguée, elle avait fini par obéir aux instructions de la maîtresse de maison qui lui recommandait de se reposer. ET dès la première nuit où elle s'était livrée au repos dans sa chambre, Galba était mystérieusement décédé, alors que quelques esclaves de confiance assuraient en sourdine que le propriétaire des lieux avait été empoisonné par sa propre femme avec une tisane préparée par elle-même.
Face à ces catastrophes, Tatien et sa fille pleuraient.
La disgrâce morale de Lucile les atterrait.
Ils ont insisté pour que leur veille amie reste avec eux mais la dévouée servante a admis qu'elle était devenue chrétienne et qu'elle désirait se retrouver seule pour reconsidérer le chemin parcouru. Elle avait donc décidé de retourner sur l'île de Chypre répondant à la demande affectueuse des derniers parents qui lui restaient.
Accompagnée de deux neveux qui s'occupaient d'elle, elle ne s'est pas attardée plus d'une semaine prenant ainsi congé de ses chers amis pour toujours.
Impressionnée peut-être par les affligeantes nouvelles rapportées de Rome, Blandine ne s'est plus levée.
En vain Tatien l'entourait de surprises et de caresses... En vain, Celse Quint lui racontait de nouvelles histoires de héros et de martyrs.
Petit à petit, la malade renonçait à toute espèce de nourriture et ressemblait chaque fois davantage allongée dans son lit blanc à un ange sculpté dans l'ivoire uniquement animé par ses yeux sombres encore vivants et brillants.
Une nuit, juste à la veille d'un grand spectacle organisé en hommage à d'illustres patriciens où Tatien serait investi de grandes responsabilités, la patiente l'a appelé et lui a serré affectueusement les mains.
Ils ont échangé un inoubliable regard où s'exprimait toute l'immense douleur qui étranglait leur âme devinant des adieux tous proches.
Père — lui dit-elle mélancolique —, je sais que je ne tarderai pas à retrouver les nôtres...
Tatien a cherché, en vain, à retenir les larmes qui inondaient ses yeux.
Il aurait voulu lui parler pour la tranquilliser mais n'y parvint pas.
Nous avons toujours été unis, papa ! — a continué la jeune fille triste — à ce jour, je n'ai rien fait sans votre approbation... Mais aujourd'hui, je voudrais demander votre accord pour réaliser un désir avant de partir...
Et sans que son père ait eu le temps de poser des questions, elle a ajouté :
Permettrez-vous que je reçoive la mort dans la foi chrétienne ?
Le patricien a reçu cette demande comme s'il était poignardé dans les fibres les plus profondes de son âme.
Une douleur intraduisible où se mêlaient la tristesse et la jalousie, le fiel et l'angoisse lui fit plier l'échiné amèrement..
Toi aussi, ma fille ? — a-t-il demandé en pleurs. — Mon père lui appartenait, ma mère l'a étreint, Basil s'est immolé pour lui, Livia est morte louant son nom, Anaclette nous a quittés pour le chercher, Celse Quint, ce fils que la destinée m'a légué, est né en lui appartenant... Toujours le Christ !... Toujours le Christ à me chercher, à me tourmenter et à me poursuivre !... Tu étais le seul espoir de mes jours ! J'ai pensé que le menuisier galiléen t'épargnait !... Mais... toi aussi... Blandine, pourquoi n'aimes-tu pas ton père comme ton père t'aime ? Tous m'ont abandonné... pourquoi me quitterais-tu aussi ? Je suis affligé, vaincu, seul...
Difficilement, la jeune fille a bougé ses mains amaigries et pâles et lui a caressé sa tête prématurément vieillie qui se penchait sur elle en sanglots.
Ne souffrez pas, papa ! — dit-elle résignée.
Je veux Jésus, mais vous êtes tout ce que j'ai !... Je n'ai rien trouvé dans la vie égale à votre affection... Votre amour est ma richesse !... Je désire avant tout suivre vos pas... Ne voyez-vous pas que nous prions toujours ensemble au petit matin la prière de Cybèle? Je ferai tout selon votre volonté....
La jeune fille s'est interrompue pendant quelques instants, a montré les signes d'une indéfinissable allégresse sur son maigre visage amaigri et a continué :
Aujourd'hui, cet après-midi, Livia est venue ici... Elle avait apporté une énorme harpe ornée de rosés de lumière... Elle m'a chanté l'hymne aux étoiles avec la même voix que lors de notre rencontre au bord du Rhône... Elle m'a dit que nous serons tous ensemble très bientôt et que je ne devrais pas vous contrarier si vous n'approuviez pas que je devienne chrétienne maintenant... Elle a assuré que la vie est divine et éternelle et que nous n'avons pas de raison de nous tourmenter les uns, les autres... Elle m'a affirmé que l'amour de Jésus glorifie notre chemin et qu'avec le temps il brillera partout... D'ailleurs cher père, j amais j e n'entrerai dans un ciel où vous ne soyez...
Elle a fixé ses yeux profonds et fulgurants au plafond et s'est exclamée :
Jésus est aussi l'amour qui espère toujours... Le pardon sera pour tous...
Tatien a levé son visage et l'a regardée profondément affligé.
Aurait-il raison de contrarier sa chère fille en cette heure extrême ? Pourrait-il en toute conscience, lui empêcher l'accès à la foi qu'il avait détestée jusqu'à présent ? Pourquoi nier à Blandine le réconfort de son accord sur une question purement spirituelle ? Pour s'être soulagé, il a ressenti un grand remords et étreignant la malade, il lui a dit sincèrement :
Pardonne-moi, ma fille ! Oublie mes paroles... Dis ce que tu veux... Tu peux embrasser le christianisme librement... Notre amour n'est pas une prison de souffrances mais une communion dans la joie parfaite ! Dis, Blandine et j'obéirai !...
Il y avait tant de loyauté, tant de tendresse dans ces phrases que la patiente a souri avec une expression de béatitude et de satisfaction et elle a prié humblement :
Papa, à l'église Saint-Jean, il y a un petit vieux du nom d'Ennio Pudens que j'aimerais que vous appeliez personnellement pour prononcer avec moi une prière et... quand je mourrai, je souhaiterais que vous déposiez mon corps au cimetière des chrétiens... Je sais que là-bas règne la joie dans la certitude de la vie éternelle...
Tatien voulut la dissuader de ces idées. Pourquoi s'inquiéter tant de la mort quand l'espoir leur ouvrait un magnifique avenir devant eux ?
S'efforçant de paraître sûr de lui et serein, il promit d'accomplir sa volonté et se mit à parler d'autre chose.
Il s'est rapporté à la fête que la ville attendait impatiemment et insista sur le fait qu'il avait l'intention de conquérir un beau prix.
Il avait acheté deux vigoureux chevaux, originaires de Cappadoce qui semblaient posséder des ailes invisibles dans les pattes.
Il s'attendait pour autant à un triomphe spectaculaire.
Il était convaincu que, très brièvement, sa fille assisterait fière et jolie aux courses, illuminant ses victoires.
Blandine souriait, satisfaite et réconfortée.
Plus calme, elle s'est reposée dans l'attente du lendemain.
L'esprit lacéré, Tatien vit arriver le petit matin et conformément à sa promesse, il s'est dirigé discrètement à l'église Saint-Jean où il n'a pas eu de mal à trouver le vieillard indiqué.
À l'âge de quatre-vingts ans, courbé et tremblant, Ennio Pudens, celui qui avait été le compagnon de Varrus Quint quand il s'était présenté comme le successeur d'Apius Corvinus, travaillait toujours là. Bien que Jouissant du respect de tout le monde dans sa position de collaborateur le plus âgé de la communauté, c'était un exemple vivant de foi, de service, d'application et d'abnégation.
Il reçut Tatien avec beaucoup d'attention et de bonté se mettant à sa disposition dans ce qu'il pouvait lui être utile.
La simplicité de l'ambiance lui procurait une immense paix intérieure.
L'âme de Tatien avait soif de tranquillité comme le désert aspire à la bénédiction de
l'eau.
Interpellé par le patricien sur le passé, Ennio l'informa avoir connu les deux Corvinus, le vieux et le jeune homme lui montrant avec plaisir les souvenirs de celui que jamais il n'aurait pu imaginer être le malheureux père de son interlocuteur.
Tatien a observé la chambre où Varrus avait vécu consacré à la charité et à la foi.
Il s'est arrêté à la contemplation du pauvre lit affectueusement conservé et a réfléchi aux peines qui avaient certainement assailli son cœur paternel.
Il n'aurait jamais pu supposer que lui, Tatien, viendrait frapper à cette porte implorant de l'aide pour sa fille malade.
Plongé dans une profonde rêverie, il fut ramené à la réalité par la voix de Pudens qui déclarait être prêt à le suivre.
Ils sont ainsi partis en direction du nid emmitouflé entre les arbres où Blandine a reçu l'apôtre avec joie et révérence.
Le missionnaire connaissait le gendre de Veturius de longue date. Il le savait être un adversaire entêté de l'Évangile et un persécuteur avéré de l'église opprimée. Toutefois, la pauvreté soignée dans laquelle il vivait avec ses enfants, son courage moral face aux revers soufferts dans la vie et la bonne humeur avec laquelle il affrontait les coups de la malchance, inspiraient aux yeux de l'opinion publique la sympathie et le respect envers son esprit mûri.
Un peu gêné au début, peu à peu, il est devenu plus communicatif. Les questions de la petite malade, la conversation judicieuse de Celse et le regard respectueux de son hôte le laissaient plus à l'aise.
Le vieux religieux a réfléchi aux afflictions - ô combien - énormes qui s'étaient abattues sur cet homme tenace qui l'écoutait attentivement, mais vieilli dans l'expérience et dans la douleur, il fit taire les questions qui montaient de son for intérieur pour ne répandre qu'affection, tolérance, bonté et compréhension autour de lui.
Au bout d'une heure d'un sain entretien après avoir répondu aux demandes de la petite malade, le vieil homme a prononcé à voix haute l'oraison dominicale :
— Notre Père qui êtes aux deux, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, donnez-nous aujourd'hui le pain de chaque jour, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, mais ne nous laissez pas succomber à la tentation et délivrez-nous du mal, car c'est à toi qu'appartienne la puissance et la gloire pour des siècles et des siècles. Ainsi soit-il.
Muet et ému, le veuf d'Hélène a entendu la prière s'attendrissant de la douce confiance de ses enfants qui la répétaient mot à mot.
Ce fut là son premier contact avec l'inspiration du Christ qu'il n'avait jamais pu comprendre.
Devant ce tableau composé d'un vieil homme qui n'attendait plus rien du monde si ce n'est la paix du tombeau et de ses deux enfants qui se sentaient en droit de tout attendre de la vie sur terre, plongé dans la même vibration de joie et de foi, il n'a pu s'empêcher de verser quelques larmes.
Il a écouté avec un indicible respect chacune des remarques du visiteur et quand Ennio s'apprêtait à partir, respectueusement, il l'a supplié de ne pas oublier ses enfants. Blandine et Celse étaient de fervents chrétiens et lui en tant que père, il ne pouvait contrarier leurs sentiments.
La malade réjouie l'a regardé.
Une indicible sérénité a enveloppé la maison en cette nuit inoubliable. Comme si elle avait absorbé un délicieux calmant, la jeune fille s'est endormie tranquillement. Tatien, à son tour, s'est livré à un sommeil lourd et sans rêves...
Le lendemain cependant, il s'est réveillé avec une indéfinissable tristesse qui l'agitait intérieurement.
Il s'est souvenu de sa fille qui la veille avait assumé un engagement morale avec la nouvelle foi et pour cela, seul maintenant, il est allé chercher l'image de Cybèle qui se trouvait sur un petit oratoire juste à côté de la chambre de Blandine.
Pour la première fois depuis de nombreuses années, il a répété sa prière habituelle à la Grande Mère sans personne avec lui.
Jamais, il n'avait ressenti un tel froid spirituel. Jamais, il ne s'était senti aussi seul pris d'angoisse. Il avait l'impression qu'il était l'unique fidèle vivant dans un temple de dieux morts...
Mais même ainsi, il ne renoncerait pas à la foi pure de son enfance.
Il aimerait Cybèle, se consacrerait à Baco et attendrait Jupiter, le grand maître.
Il ne pouvait changer.
En larmes, il a prié et après avoir embrassé ses enfants, il s'est dirigé vers le cirque où il a préparé son char pour les courses de l'après-midi.
Plus tard, il est retourné au foyer pour prendre un léger repas et bien que remarquant que les souffrances de Blandine s'étaient singulièrement aggravées, il est retourné en ville pour le grand combat.
Au crépuscule naissant, le local régurgitait de monde.
Des litières alignées en file donnaient une idée du caractère aristocratique de la fête. Des biges et des quadriges paradaient de ci, de là rapidement... Des musiciens déguisés en faunes jouaient de la cithare, de la trompette, du luth et du tambourin, animant la foule qui ne se fatiguait pas d'entendre les rugissements sauvages. Des courtisans admirablement habillés et des bacantes exhalant des odeurs perturbantes, des matrones et des vierges de Rome et des Gaules, exaltées et semi-nues, criaient les noms des favoris.
Tatien avait acquis la sympathie générale.
Dès que la ligne de départ de la course fut formée, il fut acclamé par des centaines de voix qui partaient non seulement du peuple mais aussi des galeries d'honneur où était installé le propréteur avec son importante suite excentrique et tapageuse.
Ce jour, néanmoins, le favori de la foule semblait sourd et indifférent.
Les pensées tournées vers sa fille bienaimée à se débattre avec la mort, il n'a pas esquissé le moindre geste de reconnaissance en direction de la masse qui le saluait, délirante...
Au signal du départ, il a lâché les rênes dorées et les chevaux fougueux sont partis. Le candidat à la victoire, néanmoins, ne s'est pas senti sûr de lui comme les autres fois...
Après quelques instants à un galop effréné, il a remarqué que sa tête sur ses épaules perdait l'équilibre. Il s'est efforcé de reprendre rapidement les commandes de la bige à la renverse mais soudainement sa vue s'est troublée. Il a cessé d'entendre les cris de la foule frénétique ayant l'impression que le vide se faisait dans son crâne et, incapable de se contrôler, il s'est penché en avant, se retenant aux bords de la voiture déroutée.
Les animaux complètement déchaînés ont lancé le véhicule contre l'énorme colonne d'un arc ornemental en bord de piste, réduisant son char en morceaux.
Tombé à l'improviste, Tatien a souffert d'une énorme chute et alla se loger dans les morceaux de fer tordus qui heurtèrent son front, blessant sérieusement ses yeux.
Face aux cris de la foule, quelques serviteurs des jeux publics se sont jetés à son secours, le retirant des décombres, ensanglanté.
Le valeureux champion était inconscient. Et alors que deux esclaves bienveillants le reconduisaient chez lui, les mêmes voix qui l'avaient applaudi, le huaient maintenant avec des commentaires injurieux et ingrats.
Désappointés, les joueurs qui avaient perdu d'importants paris se retournaient maintenant contre leur idole de la veille...
Encore incapable de raisonner, bien que pouvant gémir, le patricien fut déposé sur un lit sous le regard angoissé de Celse Quint.
Le garçon fit son possible pour cacher à Blandine les pénibles événements encourus et donna à son père adoptif toute l'assistance à sa portée. Mais se reconnaissant infiniment seul pour prendre une décision quant à ce qui devait être fait, il attrapa son cheval s'empressant de courir au refuge des chrétiens.
Le vieil Ennio a écouté les nouvelles plein de compassion.
Il renvoya Celse à son foyer et prit une voiture pour porter secours au blessé. En un rien de temps, en vertu des circonstances, il assuma la direction de la maisonnette dans la forêt.
Il avait apporté avec lui les remèdes dont il disposait et muni d'un morceau de tissu, il se mit à nettoyer les blessures qui saignaient encore, mais pris d'une soudaine appréhension, il constata que Tatien était aveugle. Le fier patricien que la vie semblait punir lentement le flouant de tous les privilèges qui faisaient qu'il était craint et respecté, était maintenant dilacéré dans son propre corps. Jamais plus, il ne retournerait aux compétitions de l'arène et il lui serait difficile de trouver un travail s'efforçant de répondre aux besoins de ses propres mains.
Alors qu'il réfléchissait, il remarqua que le blessé récupérait intégralement la raison. Les gémissements étouffés augmentaient.
Le vieillard lui a adressé quelques paroles encourageantes expliquant que les ecchymoses avaient été dûment soignées.
Reconnaissant le bienfaiteur, Tatien l'a remercié et lui a demandé d'allumer la lumière car il se sentait dérangé, angoissé, dans cette obscurité.
Le manteau de la nuit était réellement tombé sur ce malheureux jour, mais dans la pièce deux torches brûlaient ardemment.
— Mon Seigneur — lui dit l'ancien profondément désolé —, la chambre est illuminée, mais, vos yeux...
La phrase est restée suspendue en l'air.
Une indicible terreur est apparue sur le visage du blessé.
Le fils de Varrus a alors porté ses mains à sa tête et a compris toute l'extension du désastre.
Ennio et Celse, qui étaient présents, ont cru que le pauvre romain exploserait d'exaspération et de douleur, mais bizarrement le veuf d'Hélène s'est tu... Des orbites éteintes et sanglantes de grosses larmes ont surgi abondantes. Et comme s'il devait dire quelque chose à son fils et à leur ami, il s'est exclamé d'une voix émouvante :
— Je suis aveugle ! Mais les dieux m'accordent, encore, la grâce de pleurer !...
Ensuite, tâtonnant et titubant, il s'est dirigé vers la chambre de Blandine, demandant à Ennio avant d'entrer de laisser la pièce dans l'ombre.
Il s'est approché de sa fille, lui a caressé les cheveux. La malade lui a parlé des douleurs qui la tourmentaient et, dans un suprême effort, son père l'a consolée s'excusant d'avoir autant tardé...
Veillé par les ténèbres, il lui a décrit la fête de l'après-midi. Il lui a raconté que des centaines de femmes étaient apparues avec des costumes originaux d'une grande beauté. Le spectacle avait été magnifique. Il a imaginé de surprenantes nouveautés pour enchanter la patiente qui était habituée à ses récits retraçant les réjouissances publiques.
Blandine lui a baisé les mains et lui a déclaré se réjouir de la présence de Pudens, puis s'est reposée calmement.
Celse et le vieil homme accompagnaient la scène pris d'émotion.
La force morale de Tatien les impressionnait.
Et nuit après nuit, comme s'il revenait de ses activités au cirque, son père étreignait sa fille dans l'obscurité tout en lui parlant longuement, lui laissant l'impression que tout se passait dans un climat de paix et de sécurité.
Pleine d'inquiétudes et d'afflictions, la pénible situation s'est prolongée pendant une quinzaine de jours.
Aucun de ses amis du passé n'est apparu.
Aucun admirateur de l'arène ne s'est souvenu de lui faire la gentillesse d'une visite.
Seul le vieux Pudens cultivait, imperturbable, l'amitié qu'il leur vouait. Se joignant au jeune Celse Quint, comme s'il était un vieil ami, ils se chargeaient ensemble de trouver des solutions à tous les besoins domestiques, soulageant ainsi Tatien autant qu'ils le pouvaient.
Le jeune garçon était dévoué à son père adoptif avec une admirable affection. Il le remplaçait dans toutes les activités de la maison, lui lisait ses livres favoris, lui décrivait le paysage, l'entourait de tendresse...
Avec le consentement du maître de maison, Ennio se mit à dormir dans l'humble résidence, attentif à l'état de Blandine qui demandait une assistance particulière. Cette fleur de bonté et de tendresse se fanait lentement au soupir de la mort.
Et de fait, par une nuit froide et nuageuse, elle a soudainement empiré.
L'ancien a compris que la fin était proche et a supplié Tatien de venir rapidement étreindre sa fille pour que le réconfort de la présence paternelle en cette heure extrême ne lui fasse pas défaut.
Depuis qu'il était aveugle, Tatien pensait qu'il ne souffrirait pas autant de la perte de Blandine dont son affection était pour lui un inestimable trésor. Et il se disait : ne serait-il pas plus juste de se réjouir de la voir épargnée du poids de supporter de si rudes épreuves ? Pourquoi la garder prisonnière à un invalide ? Comment se réjouir dans l'attente de la voir asservie à la pauvreté et à la misère ?
Et pourtant, cet appel dans la nuit profonde eut sur lui l'effet d'un coup de poignard
mortel.
Chancelant, il l'a reçu avec angoisse...
Assis sur le bord du pauvre lit et assisté d'Ennio, il a caressé l'agonisante qui n'entendait plus ses paroles d'amour et d'exhortation... Il l'a pressée contre son cœur comme s'il désirait la retenir à son propre corps, et comme si elle n'attendait que sa chaleur réconfortante, Blandine s'est enfin détendue avec la placidité béate d'un ange qui s'endort.
Désespéré, inconsolable, le fils de Varrus a crié toute la douleur qui se perdait au fond de la nuit...
Le lendemain avec le soutien de Pudens, les funérailles ont été organisées selon les désirs de la jeune fille.
Le malheureux père, se soutenant maintenant à son fils adoptif, bien qu'en désaccord profond avec les chrétiens, a accompagné la dépouille de son enfant et est resté dans une pièce adjointe à l'église, sans avoir le courage de retourner chez lui.
Attaché à la mémoire de sa fille, il a ordonné de faire sculpter une plaque en marbre sur laquelle était gravé en bas relief deux cœurs entrelacés avec une belle épitaphe : Blandine vit.
Soutenu par Celse, il voulut lui-même aider à placer ce souvenir sur l'humble tombe puis à la fin du service, il a tâtonné les paroles expressives et comme s'il étreignait la tombe, il a supplié agenouillé :
— Blandine, ma fille chérie ! Où que tu sois, reste ma lumière ! Étoile, allume tes rayons pour que je puisse marcher ! Je suis seul sur terre ! Si une autre vie existe, au-delà de la froide sépulture qui te garde, implacable, aie pitié de moi ! Ne permets pas que les ténèbres m'emportent ! Nombreux sont ceux que j'ai vu partir pour l'étrange labyrinthe de la mort !... Mais, jamais, je n'ai ressenti une telle sensation d'abandon !... Ma fille bénie, ne me laisse pas, jamais ! Libère-moi du mal ! Apprends-moi à résister contre les monstres du renoncement et du découragement !... Montre-moi la clarté bénie de la foi ! Si j'ai commis des erreurs sous la sombre inspiration de la vanité et de l'orgueil, aide-moi à trouver la vérité ! Tu as adopté une croyance pour laquelle je ne suis pas préparé ... Tu as choisi un chemin différent de celui qui était le nôtre, néanmoins, ma fille inoubliable, se peut-il que tu te sois trompée !... Si tu as trouvé le Maître que tu attendais, ranime mon cœur pour que j'aille aussi à sa rencontre !... Je ne connais pas les dieux en qui tu crois, mais j'ai eu le bonheur de te connaître et en toi je confie infiniment !... Soutiens-moi ! Élève mon âme abattue ! Reviens Blandine ! Ne vois-tu pas maintenant que ton père est aveugle ? Tant que tu étais de ce monde, j'étais fier de te guider !... Aujourd'hui, cependant, c'est moi qui mendie ton aide ! Ma fille bienaimée, vis avec moi pour touj ours !...
Sa voix s'est tue dans la petite nécropole, étouffée par un flot de larmes..
C'est alors que Celse l'entoura de ses bras aimants, l'embrassa avec une indicible affection et lui dit confiant :
— Mon père, vous ne serez jamais seul...
S'appuyant à lui, Tatien, écrasé de douleur, s'est éloigné de la crypte, tremblant et hésitant.
Non loin, une petite assemblée entonnait des hymnes chrétiens en des prières vespérales...
Le malheureux aveugle, bien qu'ayant trouvé là un accueil spontané de la part des disciples de l'Évangile, se disait que son existence ne pouvait se terminer dans ce sanctuaire aux principes différents des siens et en conclut que son destin inexorable le poussait à aller de l'avant...
FIN DE LA LUTTE
Après quelques jours de réflexion passés dans l'annexe de l'église, Tatien partagea avec le vieil Ennio ses décisions, celui-ci l'écouta avec beaucoup d'attention et de pondération.
Bien qu'aveugle, il ne voulait pas être un poids pour l'institution. Il ne savait comment remercier le dévouement de Pudens qui était digne de toute son affection. S'il l'avait pu, il serait resté là à ses côtés à le servir avec dévouement et respect jusqu'à la fin de ses jours sur terre. Toutefois, il n'était pas seul. Il devait s'occuper de l'avenir de Celse Quint et pour cela, il ne devait s'attarder.
Mais il ajouta tristement qu'il ne souhaitait pas retourner à la maisonnette de la forêt. Le souvenir de sa fille lui brisait le cœur. L'absence de Blandine avait provoqué en lui un vide irrémédiable.
De sorte qu'il confierait à Ennio les précieuses archives de Basil et vendrait la résidence, les voitures et les chevaux. Avec le produit de la transaction, il paierait les dettes qu'il avait et partirait avec son fils pour Rome.
La plus âgée de ses filles y vivait. Lucile n'avait jamais été très proche mais ceci ne pouvait la pousser à trahir la voix du sang. Elle était riche et compatirait certainement de la situation dans laquelle il se trouvait. Bien évidemment, elle ne lui nierait pas sa protection quand elle verrait sa pénurie.
Il prétendait ainsi se placer sous son patronage en compagnie de son fils adoptif dont l'âge réclamait toute son attention.
À Rome, avec les relations dont il pensait pouvoir encore disposer, il placerait le garçon dans des conditions honorables pour attendre dignement l'avenir...
Pudens a écouté ses plans et ne s'est pas opposé à leur réalisation.
Néanmoins, il lui a réitéré son amitié et toute son affection lui offrant son aide. Pourquoi se lancer dans l'aventure d'un si long voyage pour recommencer sa vie ? L'église pourrait se charger discrètement de l'éducation de Celse et lui-même, Tatien, ne serait pas sans travail. Il y avait des malades à consoler, tant de tâches à réaliser...
Le veuf d'Hélène, cependant, n'avait pas tout à fait renoncé à l'orgueil de sa classe. Il avait acquis une certaine tolérance mais il se trouvait encore loin du vrai détachement de lui- même.
Il n'exposerait pas Celse au fléau des persécutions périodiques. Il l'aimait beaucoup trop pour le soumettre sans défense à la déconsidération sociale. Il serait plus en sécurité dans la grande métropole.
Il avait à Rome non seulement sa fille qui leur garantirait certainement de quoi vivre, mais il avait aussi de puissants amis dotés d'une forte influence à la cour.
Il comptait sur les liens du passé pour entraîner son fils adoptif dans la vie publique.
Celse Quint était doté d'une grande intelligence. Il éprouvait pour lui les sentiments les plus profonds d'affection et de confiance. Il l'estimait avec beaucoup de zèle et de tendresse... Dès l'instant où il l'avait reçu des mains de Livia à son départ pour les régions des ténèbres, il avait découvert en lui une pierre précieuse pour l'écrin vivant de son âme. Très souvent, il réfléchissait longuement au mystère de la communion sublime et parfaite qui les unissait. Il avait dans l'idée qu'il avait retrouvé un amour céleste que le temps n'avait pas réussi à effacer. À l'entendre, enthousiaste, il jugeait parfois qu'il avait retrouvé la compagnie de son père. Ce bon sens dans l'appréciation de la vie, cette culture polymorphe et cette facilité d'expression propre à la conversation de son fils adoptif, lui rappelaient les inoubliables entretiens qu'il avait eus avec Varrus Quint dans les jardins de la résidence de son beau-père. La grâce et la logique, la compréhension et la sagesse innée étaient si semblables, qu'inexplicablement, il s'est mis à raisonner à la façon du jeune garçon à propos des grands moments de lutte. Instinctivement, il attendait de lui le mot final sur les sujets les plus graves et l'orientation appropriée sur le chemin épineux de la vie. Il l'aimait de toute son âme têtue et sauvage, mais loyale et sincère. Rien que pour lui il voulait vivre et se débattre maintenant dans les luttes amères du monde.
Alors, comment le reléguer à un destin incertain à Lyon ?
Ennio s'est dit qu'il ne devait pas le contredire. Le christianisme était encore considéré comme illégal. Les représailles d'ordre politique tombaient invariablement par surprise sur les adeptes. Pour autant, il ne serait pas légitime d'appuyer une solution qui viendrait soutenir son point de vue.
Invité à donner son avis, Celse assura qu'il ne souhaitait qu'une chose : satisfaire son père. Il suivrait Tatien avec la fidélité de toujours.
De sorte que le malheureux patricien passa à la mise en place de son plan d'action.
Il vendit la maison, les biges et les animaux qui lui appartenaient au nouveau propriétaire de l'ancienne Villa Veturius. Mais l'argent reçu d'Alcius l'acquitta juste des dettes contractées. Il lui restait à peine de quoi payer le voyage.
Même ainsi, il n'a pas changé d'avis. Lyon l'asphyxiait.
Blandine lui manquait et sa soudaine cécité martyrisait son cœur. Il désirait s'en aller, avoir de l'espace, se changer les idées et tout oublier.
Pudens, cependant, généreux et prévenant, à l'insu de Tatien, donna à Celse une lettre pour un ami humble mais sincère qui vivait sur la voie Ostie. Le père adoptif prenait trop peu de précautions. Ils auraient peut-être besoin de l'aide de quelqu'un, avant d'entrer en contact avec la veuve de Galba. Ainsi, dans l'éventualité d'une possible complication, ils pourraient faire appel à Marcelin, un vieux chrétien abandonné par sa famille qui s'était réfugié dans la foi vivant entre la résignation et la charité.
Le jeune garçon prit les instructions avec plaisir. Ainsi, il ne serait pas seul pour surmonter les difficultés. Pour ne pas effrayer son père, il a soigneusement gardé la lettre et leurs adieux furent émouvants.
Après avoir quitté Massilia, une légère galère les a laissés à Ostie qui exhibait encore les beaux monuments du port de Trajan.
L'aveugle, se soutenant au garçon, respirait l'air de sa patrie avec une joie évidente.
Les moyens manquaient. Mais écoutant les références que Celse faisait avec enthousiasme sur la belle baie hexagonale que ledit empereur avait fait construire, il demanda à son fils adoptif de trouver la résidence de
Fulvius Spendius, un compagnon de jeunesse qui, selon des informations reçues en Gaule s'était retiré dans une magnifique demeure.
Bien naturellement Spendius accepta de les recevoir.
Il se souvenait de ce personnage imposant participant aux jeux et de la joie spontanée avec laquelle il se livrait aux libations après les concours bien gagnés.
Cette rencontre lui serait précieuse.
Son ami leur ferait certainement l'honneur de les héberger et mettrait à leur disposition un véhicule approprié qui les conduirait confortablement jusqu'à Lucile...
Alors qu'il réfléchissait, se parlant à lui même, Celse, guidé par les indications de plusieurs passants, frappa à la porte d'une gracieuse villa, juste au centre d'un paisible verger.
Un esclave très poli vint les accueillir.
Plein d'espoir, Tatien a pris la parole et a demandé si son maitre était là tout en annonçant sa position de compagnon du passé qui ne l'avait pas vu depuis de longues années.
Quelques instants plus tard, un patricien aux traits moins sympathiques, au bout de la décadence, est apparu boitant et négligé.
Il a longuement dévisagé les visiteurs et après avoir pris une froide expression de dédain qui a gelé Celse Quint, il a demandé irrité :
Que désirent-ils ?
Oh ! C'est la même voix !... — s'est écrié le fils de Varrus tendant instinctivement les bras. — Fulvius, mon ami, me reconnais-tu ? Je suis Tatien, ton vieil allié des concours...
Le Romain a reculé gêné et s'est indigné :
Quelle insolence ! Par Jupiter, jamais je ne t'ai vu !... Je ne m'allie pas avec la
peste...
Trompé par sa confiance, l'arrivant reprenant appui sur l'épaule de son fils, lui dit un peu désappointé :
Tu ne te rappelles pas de nos entraînements chez Veturius, mon beau-père ? J'ai encore l'impression de te voir manipulant ton glaive brillant ou bien encore commandant une bige légère qui volait au galop de tes beaux chevaux blancs...
Tu n'es qu'un vil imposteur ! — lui fit Spendius irrité. — Tatien est un homme de ma condition. Il vit de façon honorable en Gaules. C'est un patricien. Jamais, il ne se présenterait à moi dans cette exécrable misère. Gaulois imbécile ! De toute évidence, tu as abusé de mon ancien compagnon pour lui extorquer des informations, envahir ma résidence et me voler L.Infâme ! Vagabond ! Tu dois être un nazaréen dissimulé amenant jusqu'ici ce jeune voleur !... À la rue ! À la rue !... Filez, dehors !... dehors !...
Fulvius, furieux, leur indiquait la place publique alors que son ami ruiné séchait de copieuses larmes qui coulaient de ses yeux éteints.
Quand la barrière métallique fut fermée par le propriétaire de la maison avec une grande violence, le voyageur désenchanté est retourné sur ses pas d'où il venait...
Devinant sa douleur, le jeune homme l'a étreint avec plus de tendresse comme pour lui assurer qu'il n'était pas seul.
Tout en esquissant de la résignation et de l'humilité sur son visage, le malheureux père de Blandine reconnaissant lui fit observer :
En vérité, maintenant, je n'ai pas d'autre ami que toi mon fils, l'or et la position sociale ont pour habitude de montrer l'amitié, là où l'amitié n'existe pas. Il était impossible que Fulvius ne me reconnaisse pas... Cependant, je ne suis aujourd'hui qu'une ombre au niveau social. J'ai tout perdu... l'argent, la jeunesse, la santé et ma réputation familiale... Sans de tels attributs, je crains que ma propre fille ne me repousse...
Face à cette douloureuse inflexion de voix, le jeune garçon essaya de lui montrer le chemin de l'optimisme et de l'espoir.
Que son père ne s'inquiète pas. Lui, Celse, était jeune et fort. Il travaillerait pour eux deux. Ils ne manqueraient de rien. Quant à trouver un logement pendant quelque temps, il avait sur lui les recommandations de Pudens auprès de l'un de ses vieux amis. Ératus, d'après les informations du bienfaiteur de Lyon, devait vivre dans un endroit tout proche. Si Tatien était d'accord, ils n'auraient pas besoin de faire appel à la protection de la veuve de Galba. Ils vivraient tous deux très simplement. Ils réussiraient à trouver une humble maisonnette où ils pourraient recommencer leur vie. Les relations d'Ennio à Rome pourraient les aider en toute sécurité...
Le père adoptif a approuvé, consolé, expliquant qu'il le suivrait avec le plus grand plaisir, mais il ne pouvait rien dire de définitif, tant qu'il ne se serait pas entretenu avec Lucile pour décider des nouvelles dispositions à prendre.
Il ne serait pas juste de laisser sa fille à l'écart.
Si toutefois il trouvait en elle l'accueil qu'il espérait, ils limiteraient ainsi les caprices de la chance et Celse aurait les maîtres qu'il avait idéalisés dans ses espoirs paternels. Néanmoins, dans l'hypothèse où sa fille se montrerait endurcie et ingrate, ils se rendraient tous deux aux circonstances et recommenceraient leur lutte conformément aux afflictions que le destin leur dictait.
Alors qu'ils parlaient, le jeune homme le guidait tout le long de la route comme s'il fut un vieux coutumier de la voie Ostie.
Désireux d'amoindrir leurs difficultés, le jeune garçon cherchait à le distraire en lui décrivant les beautés du coucher de soleil et tous les aspects intéressants qui surgissaient.
Tatien souriait.
Il avait l'impression de revoir à travers les yeux de sa mémoire le paysage baigné de lumière crépusculaire.
Après un long bout de chemin, ils se sont approchés d'un misérable édifice restauré.
D'après les informations d'Ennio, le jeune garçon fut convaincu qu'ils avaient atteint le domicile d'Éraste.
Mais il avait l'impression qu'il était déjà venu là dans le passé. Les murs humbles, le toit penché vers le sol, la porte rustique, tout lui semblait familier.
C'était la même chaumière que celle de Lysippe d'Alexandrie où Varrus Quint avait rencontré Corvinus pour la première fois. Le vieux Lysippe avait lui aussi connu la palme du martyre et était parti comme tant d'autres à la rencontre du Maître de la Croix, mais la petite construction, bien que passant de chrétien en chrétien, était restée un atelier béni de service à la foi.
Dans le passé, Varrus n'avait pas pu conduire son cher fils aux réunions évangéliques comme il l'aurait souhaité car Cintia exerçait sur lui sa vigilance maternelle... n avait souffert pendant de longues années de la nostalgie et de la flagellation morale, avait traversé le sacrifice et sa propre mort, mais il avait su se résigner et attendre.
Le temps le récompensait de sa constance...
Par la miséricorde du Seigneur, il était revenu à l'existence corporelle, il avait retrouvé le chemin de la chair et l'esprit éternel métamorphosé en Celse Quint, il avait repris la direction de la destinée de Tatien, le poussant vers Jésus, conformément à son ancien idéal...
Presque quarante quatre ans étaient passés depuis que Tatien était venu au monde... et le travail de l'amour continuait, diligent et sublime.
La hutte de Lysippe, tel un point marquant de sa bataille spirituelle, était la même... Simple comme la sérénité inaltérable du Christ et hospitalière comme sa doctrine de lumière...
Extasié, Celse se mit à décrire à l'aveugle la beauté pure de ce nid d'humilité et il le fit avec tant d'émotion que le père adoptif touché supposa avoir trouvé dans cet abri un minuscule palais caché sous les feuillages d'un bois fleuri...
Étrangement heureux, le jeune garçon a frappé à la porte.
Un vieillard au visage calme est venu leur ouvrir.
Le garçon lui fit un signe en silence lui laissant comprendre sa condition d'adepte de l'Évangile et le visage de l'ancien s'est éclairé faisant place à un lumineux sourire.
Il a étreint les arrivants avec des paroles aimables et leur fit un accueil chaleureux.
Et pendant que Celse lui donnait des nouvelles d'Ennio Pudens, Tatien s'est assis sur un vieux banc, se sentant enveloppé d'une tranquillité qu'il n'avait pas ressenù'e depuis bien longtemps.
La brise fraîche, qui pénétrait par les fenêtres, semblait être un message caressant de la
nature.
Deux neveux d'Éraste, Berzelius et Maximin, tous deux sculpteurs, étaient présents dans l'humble pièce et participaient à la conversation.
Le propriétaire de la maison se réjouit à la lecture de la lettre d'Ennio. C'était un compagnon de longue date. Ils se connaissaient depuis l'enfance.
Il se mit à la disposition de Celse et de Tatien en tout ce qui pouvait leur être utile.
Le garçon a alors expliqué que son père et lui avaient besoin d'un abri jusqu'au lendemain quand ils iraient voir une parente qui pourrait peut-être les aider. Ils prétendaient se fixer dans la grande métropole mais ils se sentaient tout naturellement un peu dépaysés.
L'hôte leur a fait servir un léger repas composé de pain, d'huile et de légumes et poursuivit la conversation fraternellement.
Le gendre de Veturius, qui au fond n'avait pas adhéré au christianisme, pour faire plaisir à son fils adoptif écoutait les commentaires en souriant. Il remarqua que Celse manifestait un enthousiaste si inexplicable qu'il n'aurait osé en aucune manière le contrarier. Le vieil homme, les neveux et le garçon se comprenaient avec une telle perfection qu'ils donnaient l'impression d'être de vieilles connaissances se retrouvant en toute intimité.
Maximin et Berzelius, dévoués au culte de la Bonne Nouvelle, faisaient ressortir les difficultés de la vie à Rome. Une nouvelle crise de violence et d'inquiétude était apparue. La défaite de l'empereur Valérien, scandaleusement emprisonné par les Perses, avait provoqué une atmosphère menaçante pour les groupes chrétiens.
Ignace Galien, le fils de l'empereur humilié, était monté au pouvoir. Personnellement, il portait de l'affection pour le christianisme persécuté dont il donna la preuve lors de démonstrations publiques peu après être entré en fonction. Mais face à la sévérité des conflits sociaux, le nouveau régent devait se plier aux désirs des classes dominantes. La force des décrets de 257 et de l'an 258 qui avaient produit des répressions terribles et cruelles au mouvement de l'Évangile, réapparurent avec une grande vigueur. Comme d'habitude, des dirigeants et des autorités attribuaient les désastres politiques de l'Empire à la colère des dieux, révoltés par l'intense prosélytisme chrétien.
La furie des persécuteurs, néanmoins, diminuait à l'égard des familles chrétiennes les plus importantes alors qu'elle s'aggravait vis-à-vis des pauvres et des moins nantis.
Les prisons étaient pleines.
L'amphithéâtre de Vespasien offrait sans cesse des spectacles.
Les anciens et les mentors de l'Église recommandaient surtout aux esclaves et aux plébéiens pauvres d'éviter les rassemblements sur la voie publique.
D'innombrables seigneurs réunis dans l'intention de contrôler l'expansion évangélique, n'hésitaient pas à dénoncer les serviteurs les moins favorisés comme ennemis de l'ordre public, exigeant des représailles et des punitions.
Considérant de probables actions subversives, les tribunaux régurgitaient de magistrats et de démagogues.
D'après l'aristocratie en décadence, les chrétiens qui prêchaient la fraternité étaient considérés responsables de la vague de pensée rénovatrice.
Les fêtes louant Galien dureraient encore pendant un temps indéterminé.
Le gouvernement, à travers ses dignitaires les plus représentatifs, désirant maintenir le peuple impressionné par les victoires de Sapor, promut diverses exhibitions.
En plus des prières publiques devant l'image de Jupiter, des sacrifices d'animaux dans le Capitule, des généreuses distributions d'huile et de blé, des courses électrisantes et des luttes féroces entre gladiateurs renommés, la tuerie de chrétiens les moins nantis au niveau social continuait lors de sinistres spectacles nocturnes.
Les deux voyageurs venant de Gaule ne feraient-ils pas mieux de rester discrets jusqu'à ce que la tempête cesse ?
Face à cette question posée par son hôte et qui planait dans l'air, Tatien a rappelé leur besoin de regagner le centre urbain sans tarder. Il devait se rendre au mont Aventin dans la matinée du lendemain.
Et comme Maximin demandait à Celse Quint son avis, le jeune homme a répondu avec bonne humeur :
— Je ne crains rien. J'ai deux grands amours : Jésus et mon père. Comme je ne prétends pas perdre mon père, j'accepterai volontiers les desseins de Notre Seigneur qui nous a unis. Si nous réalisons nos désirs, nous serons ensemble et, si des souffrances surgissent en chemin, nous ne nous séparerons pas.
Ce commentaire fut accueilli avec le sourire par tout le monde et Tatien, heureux d'avoir trouvé au monde quelqu'un qui l'aime tant, portait sur le visage des signes évidents de réconfort et de satisfaction.
La nuit était tombée et le ciel s'était couvert d'un nombre infini d'étoiles scintillantes.
À la clarté de deux torches, la petite assemblée commenta encore pendant un long moment le laborieux chemin de la Bonne Nouvelle s'arrêtant à des considérations particulières sur les martyrs qui, depuis plus de deux siècles, succombaient au service de l'humanité.
Tatien, silencieux, entendait tout avec discrétion et respect jusqu'à ce que Marcelin offre à ses invités une couche propre et modeste où ils pourraient se reposer.
Le lendemain, tous deux se sont mis en chemin.
Pleins d'espoir, ils ont parcouru la voie Ostie et étaient prêts à entrer dans la ville, quand, à proximité de la pyramide de Cestius, Celse a remarqué un petit tas compact. Deux pauvres femmes avaient été arrêtées sous un énorme tumulte populaire. Des cris : « aux fauves », « aux fauves » partaient de la foule menaçante.
Le jeune garçon a étreint son père comme s'il voulait défendre un trésor et ils ont balayé la foule.
D'informations en informations, ils ont rejoint l'Aventin et ont pris la direction du Temple de Diane, où aux alentours, ils n'eurent pas de difficulté à localiser le magnifique palais de Lucile.
Tatien sentait son cœur palpiter dans sa poitrine tourmentée...
Comment serait-il reçu ? Sa fille s'apitoierait-elle du malheur où le destin l'avait précipité ?
Il rapporta quelques détails de l'aristocratique demeure de Veturius où il avait passé sa jeunesse, et Celse a confirmé ses souvenirs pris de curiosité et d'inquiétude.
Au portail d'entrée, ils furent reçus par l'un des esclaves qui était chargé du jardinage et qui les a conduits dans l'atrium.
Le veuf d'Hélène s'est renseigné concernant les serviteurs qu'il avait connus dans le temps, mais ses attaches affectives du passé avaient disparu.
Il a sollicité la présence de la maîtresse de maison mais après quelques instants d'attente, un majordome irréprochable est venu les informer que Lucile prenait un cours de ballets importants, et que pour cette raison, elle ne recevait pas de visites.
Alors Tatien a insisté.
Il s'est reporté à sa condition de père et il a nommé des membres de sa famille qui obligèrent son interlocuteur à reconsidérer cette réception négligente.
L'employé est retourné à l'intérieur de la maison et, après quelques minutes, Lucile est apparue en compagnie du tribun Caius Percilianus, un peu pâle, mais avec une expression évidente d'ironie et d'indifférence sur son visage fardé de cosmétiques.
Celse a remarqué les sarcasmes qui irradiaient de son expression et il eut peur.
Ce ne pouvait être la femme qu'ils cherchaient.
Lucile était le portrait de la cruauté féminine couverte d'impudence.
Comprimant les muscles de sa face, elle a fixé l'aveugle, enlaça son amant d'un geste félin et dit sur un ton moqueur :
Et bien alors, voilà que d'illustres parents me rendent visite ?
Rien qu'à l'entendre, son père put apprécier combien elle avait dû changer pour lui adresser la parole avec tant de malice dans la voix.
Même ainsi, il fit l'effort sacrificiel de s'identifier et la supplia pris d'émotion :
Ma fille !... ma fille !... je suis ton père !... je suis aveugle ! Je fais appel à ta protection comme un naufragé !...
Elle, pourtant, n'a pas noté la douleur qu'exprimaient ces paroles suppliantes. Elle a émis un éclat de rire glacial et dit à son compagnon :
Caius, si je ne savais pas que mon père est mort, alors je me tromperais.
Non, Lucile ! Je ne suis pas mort ! Ne me méconnais pas ! ... — s'est écrié son père angoissé — Je suis seul à présent ! Ne m'abandonne pas !... Aide-moi en mémoire de Blandine qui est déjà partie, elle aussi !... Je suis venu de Lyon à ta rencontre... J'ai beaucoup souffert ! Accueille-moi par pitié ! Pour l'amour des dieux, par dévouement pour Cybèle qui a toujours été la marraine de notre maison !...
La veuve de Galba ne s'est pas trahie.
Avec une incroyable dureté de cœur, elle dit au tribun intrigué :
Ce vieillard doit être un fou venant de la terre où je suis née. Blandine était vraiment ma sœur, elle repose parmi les immortels d'après les nouvelles que nous avons reçues il y a quelque temps.
Et sur un ton expressif, elle a poursuivi :
Mon père est mort à Baies, à l'heure où j'ai eu le malheur de perdre ma mère.
L'aveugle s'est alors agenouillé et l'a suppliée :
Ma fille, fuis l'injustice et la méchanceté !... Au nom de nos ancêtres, réveille ta conscience ! Ne permets pas que l'argent et les plaisirs anesthésient tes sentiments !...
Exaspérée, Lucile lui a coupé la parole en appelant un esclave tout proche :
Croton ! Dépêche-toi ! Amène le chien de garde !... Expulse d'ici ces voleurs gaulois !...
Immédiatement, un molosse sauvage est apparu, féroce.
Il s'est précipité sur Celse Quint qui étreignait Tatien cherchant à le protéger, mais quand de petites blessures apparurent ensanglantant le bras du jeune garçon, gêné, Percilianus est intervenu renvoyant la bête.
Regardant les visiteurs qui se retiraient la tête basse, le jeune homme a murmuré aux oreilles de son amante :
Chérie, ne transformons pas ceci en un tribunal. Procédons avec sagesse. Cette belle demeure n'est pas faite pour répondre aux désagréments de la justice. Sois tranquille, si ces vagabonds connaissent ta famille, ils peuvent vraiment menacer notre bonheur. Ils seront corrigés avec le temps...
Et les saluant, il a ajouté :
Ils seront arrêtés. L'amphithéâtre, lors des grandes fêtes, est notre machine d'épuration.
Lucile a souri avec l'expression d'une chatte reconnaissante et Caius se mit à les raccompagner.
Tatien, surpris et indigné, n'avait pas de larmes pour pleurer. Un désir vain de vengeance aveuglait sa pensée. L'amour qu'il consacrait encore à son aînée s'était soudainement transformé en une haine vorace. S'il l'avait pu — pensait-il —, il aurait tué sa propre fille, croyant que c'était bien là le seul recours pour quelqu'un qui, comme lui, avait aidé à produire un tel monstre.
Mais pendant qu'ils marchaient, Celse lui caressait la tête et l'induisait au calme et au pardon. Ils retourneraient chez Marcelin. Ils recommenceraient la lutte d'une autre manière.
L'écoutant, peu à peu, le malheureux patricien s'est calmé et s'est souvenu du jour où lui-même avait ordonné de lâcher un chien sauvage sur son propre père qui lui rendait gentiment visite.
Dans l'écho de sa mémoire, il entendait encore les cris de Silvain demandant de l'aide et dans une vision profonde comme si sa rétine fonctionnait maintenant de l'intérieur, il revoyait la physionomie angoissée de Varrus Quint qui implorait sa compréhension et sa pitié, en vain.
Le retour au passé lui faisait mal au cœur...
Contrarié, il enregistrait les paroles de Celse qui l'incitait à la bonté et à l'oubli du mal, admettant être sous le joug de la justice céleste et finalement soulagea l'oppression de son âme en éclatant en sanglots.
Cependant, les souvenirs du passé le modifiaient en son for intérieur. Quelque chose se rénovait dans son monde mental.
À sa propre surprise, il est passé de la haine à la commisération.
Il reconnut que Lucile, tout comme lui dans sa jeunesse, portait des sentiments intoxiqués par de sinistres illusions.
Pauvre fille ! — réfléchissait-il amer — qui lui servira d'instrument à la douleur nécessaire de l'avenir ?
Surveillés par l'astucieux Percilianus, se soutenant l'un à l'autre, ils avançaient tous les deux attristés. Mais quand ils furent suffisamment éloignés du voisinage de la résidence, demandant le secours de prétoriens sur la voie publique, le tribun les dénonça comme chrétiens récidivistes et comme voleurs invétérés, assurant qu'ils avaient attaqué son domicile.
Pris par surprise, Tatien et le garçon furent interpellés sans la moindre considération.
Essayant de rétablir la vérité, l'aveugle a levé dignement la tête et a déclaré :
Gardes, je proteste ! Je suis un citoyen romain.
L'un des suppôts de Caius a éclaté de rire et lui fit remarquer :
Quel précieux comédien pour le théâtre ! Il représenterait admirablement le rôle d'un patricien rabaissé.
Malgré les protestations énergiques du gendre de Veturius méconnaissable, rien n'y fit.
Quelques instants plus tard, une foule grossière et paresseuse les entourait. Des paroles ironiques et impropres étaient vociférées à tout vent.
Humiliés et muets, le corps fatigué et douloureux, Tatien et Celse furent emprisonnés dans un vieux souterrain de l'Esquilin rempli d'esclaves chrétiens et de mendiants malheureux considérés comme des renégats de la société.
Pour Tatien, qui avait les yeux plongés dans la nuit noire, le décor n'avait pas vraiment changé, mais Celse, qui s'accrochait fermement à sa foi, pouvait vérifier, consterné, toute l'angoisse de ces cœurs relégués au labyrinthe des prisons, évaluant toute l'extension de leurs propres souffrances.
Ici et là, des vieillards allongés gémissaient péniblement, des hommes dans un état sordide s'appuyaient à des murs noirâtres couvrant leur visage de leurs mains, des femmes en lambeaux étreignalent des enfants à demi-morts...
Mais par-dessus tous les gémissements se confondant à l'odeur abjecte, des cantiques en sourdine s'élevaient, harmonieux.
Les chrétiens remerciaient Dieu de la grâce de la douleur et de la flagellation, se réjouissant de la victoire de la souffrance.
Celse trouva un doux enchantement dans ces hymnes, et Tatien, entre la révolte et le tourment moral, se demandait quel miraculeux pouvoir détenait le prophète galiléen pour maintenir, au-delà du temps qui passe, la fidélité de milliers de créatures qui le louaient en plein malheur oubliant toute leur misère, leurs afflictions, allant même jusqu'à la mort...
Deux gardes corpulents, pourvus de lanternes et d'arquebuses les conduisirent dans une cellule tout en parlant sur un ton animé.
Heureusement, tous les prisonniers seront éliminés demain — informait l'un d'eux — ; la fièvre maligne est réapparue. Nous avons eu aujourd'hui trente morts !
Je sais — a murmuré l'autre —, les fossoyeurs sont alarmés.
Et, sarcastique, il a souligné :
J'admets que même les fauves refusent tant de pestilence.
Les autorités agissent avec sagesse — a dit l'interlocuteur — ; le spectacle, comme tu le sais, comportera quelques animaux africains, néanmoins, pour que le peuple ne soit pas trop impressionné par les impotents, nous aurons des poteaux et des croix où les invalides seront utilisés comme torches vivantes.
Tatien, désespéré, voulut encore manifester une dernière réaction.
Soldats — a-t-il clamé dignement —, n'y a-t-il pas de juges à Rome ? Est-il possible d'arrêter des citoyens sans juste motif et de les condamner sans examiner leur cas ?
L'un des soldats a immédiatement répondu à sa question en le poussant violemment, les jetant finalement, dans une cellule étroite et humide.
Celse Quint aidé par les faibles rayons de lumière qui venaient de galeries lointaines, a ramassé quelques chiffons qui se trouvaient par terre et, en guise de lit, a supplié son père adoptif de se reposer un peu.
Quelques instants après, un geôlier aux traits sauvages apportait la ration du jour, quelques morceaux de pain noir et de l'eau polluée que le garçon assoiffé a bu à grandes gorgées.
Ils ont longuement parlé tous les deux, alors que Celse se reportait aux impératifs de la résignation et de la patience et que l'aveugle l'écoutait, affecté, comme s'il devait boire le fiel de la plus vive injustice, sans droit à la moindre réaction.
Beaucoup plus tard, quand ils ont jugé que la nuit était là, ils se sont endormis enlacés l'un contre l'autre, marqués par d'inquiétantes perspectives...
Mais le lendemain, Celse s'est éveillé fébrile.
Il avait des douleurs dans tout le corps, il avait soif et il était fatigué.
Tatien, angoissé, a fait appel au geôlier, lui demandant un remède adéquat, mais il n'a obtenu que de l'eau boueuse que le garçon a avalée avec empressement.
Le fils de Varrus, l'âme affligée, a promené sa pensée dans le temps, se souvenant de leur maison bienheureuse et des beaux jours, réfléchissant alors plus intensément aux dures épreuves qui avaient puni ses chers parents. Comment son père avait-il pu survivre pendant tant d'années affrontant les tempêtes morales qui s'étaient abattues sur sa destinée ?
Il ressentit d'immenses remords face aux jours qu'il avait perdus, passés à sublimer l'autel mensonger de la vanité...
Comment avait-il pu se croire supérieur aux autres hommes ?
Il réfléchit alors au martyre de tous ceux qui comme lui étaient retenus dans ces souterrains infects, étranglés par la persécution qu'ils ne méritaient pas...
Et même s'il ne pouvait accepter le christianisme, pourquoi ne s'était-il pas décidé à pénétrer les malheureux paysages de la misère de son temps ? Combien d'esclaves avait-il vus, supportant d'affreuses afflictions auprès de leurs enfants malades ou presque morts ? Combien de fois avait-il prononcé des ordres iniques, tyrannisant des souffrants attachés aux travaux agricoles ? Il eut l'impression que de vieux serviteurs se levaient dans son esprit et riaient maintenant de sa douleur...
La respiration haletante de Celse l'inquiétait.
Pourquoi la fièvre épargnait-elle son corps, préférant son fils cher à son cœur ? Pourquoi n'était-il pas né, lui Tatien, parmi les esclaves miséreux ? La servitude lui aurait été un baume.
Il se serait trouvé alors exempté des terrifiants souvenirs qui affligeaient sa conscience.
Des larmes jaillissant de ses yeux, il caressait Celse, le réconfortant...
Quelques heures ont passé, marquées par l'attente et la torture mentale quand tous les prisonniers ont reçu l'ordre de bouger.
Les grilles ouvertes, ils sont sortis en petit groupe sous les cris des gardes qui crachaient des menaces et des insultes. Les plus forts étaient menottes portant de larges blessures aux poignets, mais pour la plupart il s'agissait de malades fatigués, de femmes sous- alimentées, d'enfants squelettiques et de vieux tremblants.
Même ainsi, tous les prisonniers souriaient, contents... C'est qu'ils retournaient au soleil et à l'air pur de la nature. Le vent frais de la voie publique les ranima...
Celse sentit alors une fabuleuse sensation d'énergies le raviver. Il retrouva sa bonne humeur et guidait son père avec sa tendresse de toujours. Influencé par le sublime espoir qui transparaissait du visage de tous les compagnons, il révéla à l'aveugle la joie rayonnante et générale qui régnait.
Personne n'ignorait ce qui les attendait.
Ils savaient que tel un troupeau acheminé à l'abattoir, ils ne devaient s'attendre à rien d'autre qu'à l'extrême sacrifice. Mais révélant leur certitude en une vie plus élevée, les chrétiens avançaient calmement la tête haute, l'humilité et le pardon s'exprimaient sur leur visage ; vision si étrange face aux paroles narquoises des soldats, véritables bouchers endurcis dans l'antre de la mort.
Après la marche forcée, ils se sont approchés de l'amphithéâtre où l'immonde enceinte les attendait pour le spectacle nocturne.
Ébloui, Celse a balayé l'Amphithéâtre Flavien24 du regard qui s'érigeait imposant après la précieuse restauration réalisée à la demande d'Alexandre Sévère.
(24) N.T. : Le Colisée ou Amphithéâtre Flavien
La façade sur quatre niveaux présentait sur les trois premiers niveaux des demi- colonnes doriques, ioniques et corinthiennes entre lesquelles s'ouvraient des arcades qui abritaient sur les deux étages intermédiaires des statues de toute beauté. Ce monument architectural était emprunt d'une austère grandeur.
Des voitures somptueuses, des litières, des quadriges et des biges encerclaient le bâtiment.
Quiconque observant fortuitement un tel colosse qui pourrait immortaliser la gloire d'une race, n'aurait pu soupçonner que là, un grand peuple y cultivait l'oisiveté et l'orgie, la brutalité et la mort.
Un tribun à la physionomie exécrable lut quelques lignes proclamant la sentence des condamnés du jour, alors que des prétoriens au cœur endurci menaçaient les vieillards qui avançaient trop lentement en direction du supplice.
Les partisans de l'Évangile, néanmoins, semblaient extrêmement lointains du tableau qui inspirait la révolte et la souffrance.
Des hommes en lambeaux s'étreignaient heureux et des femmes décharnées embrassaient leurs enfants avec l'enthousiasme de ceux qui vont à la rencontre du bonheur parfait.
Ils n'avaient pas pu chanter sur le parcours qui allait du cachot à l'amphithéâtre, mais dès qu'ils se sont retrouvés tous ensemble dans une énorme cellule d'où ils devaient marcher vers la mort, ils ont entonné des hosannas au Christ avec la joie des créatures élues pour la splendeur du triomphe suprême où ils recevraient la couronne de l'immortalité.
Venant d'autres prisons arrivèrent de nouveaux contingents. Et parmi les derniers arrivants, Celse, heureux, a découvert Éraste Marcelin.
L'ami d'Ennio avait été fait prisonnier dans la nuit de la veille alors qu'il écoutait l'Évangile au cimetière de Calliste.
Ces retrouvailles furent une véritable bénédiction.
Même Tatien, qui restait circonspect et angoissé, a ressenti soudain un certain réconfort.
L'ancien de la voie Ostie disait, plein d'un bonheur qui s'exprimait dans ses yeux, qu'il avait été retenu dans un cachot et réaffirmait sa reconnaissance au ciel pour la grâce de lui avoir permis de recevoir la victoire spirituelle par le martyre.
Face à la curiosité joyeuse de tous ceux qui l'entouraient, il exhiba un petit fragment d'un rouleau usé et lut les belles paroles de la première lettre de l'apôtre Paul aux Thessaloniciens :
« Réjouissez-vous toujours » !
De bonne humeur, il a dit satisfait :
Mes frères, durant mon existence de presque de quatre-vingts ans, ce morceau d'écritures sacrées est tout ce qu'il me reste...
Et il a ajouté :
Réjouissons-nous !... Celui qui vit dans l'Évangile, trouve la divine joie... Parmi les millions d'appelés de ce siècle, nous avons été choisis ! Louons la gloire de mourir comme l'huile de la mèche qui brûle pour que la lumière brille ! Les arbres les plus nobles sont réservés à la formation du verger, le marbre le plus pur est destiné par l'artiste au chef- d'œuvre!...
L'âme prise d'extase, il fit observer :
Les grains les plus sains de la foi vivante se transforment dans les crocs des fauves en une blanche farine pour que le pain de la grâce ne manque pas sur la table des créatures !... Que l'espoir grandisse en nous car il est écrit : « Soit fidèle jusqu'à la mort et je te donnerai la couronne de la vie. »25
(25) Apocalypse, chapitre 2, verset 10. (Note de l'auteur spirituel)
Ces remarques provoquèrent une radieuse éclosion de bonheur sur tous les visages.
L'assemblée en lambeaux extatique semblait prise d'un infini bonheur.
Éraste, suscitant la ferveur de Celse avec ses paroles d'encouragement, leva la voix, s'associant aux cantiques d'allégresse.
Tatien, silencieux, se demandait pourquoi il avait été amené au témoignage des chrétiens, car en vérité, il n'avait jamais épousé ces principes...
Quel irrésistible destin l'entrainait-il, ainsi, vers ce Christ qu'il avait toujours fui délibérément ? Pourquoi était-il lié aux « galiléens » d'une telle manière qu'il ne lui restait pas d'autre alternative que de communier avec eux dans leur sacrifice ? Par quelle décision des immortels s'était-il pris d'une telle affection pour Celse Quint qui au fond n'était qu'un jeune à l'origine anonyme, et dont il s'était épris au point de l'aimer comme son propre fils ?
Concentré, il ressassait le passé, cherchant et cherchant encore...
Cependant, il ne disposait plus de beaucoup de temps pour un monologue mental.
Dehors, la foule s'amassait.
La nuit approchait froide et sans nuages.
Les hurlements commençaient dans la cavea monumentale de l'édifice résonnant dans les fondations
Au fur et à mesure qu'il faisait de plus en plus en plus sombre, la rumeur du mouvement populaire grandissait.
Graduellement s'élevait le tumulte de la masse qui, se mariant avec la musique des luths, des timbales et des tambourins, provoquait maintenant un bruit assourdissant.
Les prisonniers, qui ne devaient apparaître dans l'arène qu'à la fin du spectacle, priaient et chantaient, alors que certains parmi eux plus éclairés, attiraient l'attention des auditeurs avec des exhortations impressionnantes et encourageantes rappelant la gloire de Jésus crucifié et l'exemple des martyrs dans la foi.
Après différents jeux pendant lesquels plusieurs combattants perdirent la vie, vint ensuite le spectacle de danses exotiques, puis le décor fut modifié.
Des poteaux et des croix enduites de substances résineuses furent élevés devant presque cent mille spectateurs en délire.
Les chrétiens malades furent séparés de ceux qui pouvaient prendre part aux exhibitions libres de leurs mouvements et, parmi eux, Celse Quint à l'aspect souffrant fut violemment arraché aux mains paternelles.
D'un regard confiant, le jeune homme a demandé à Éraste de guider Tatien jusqu'au poteau où il serait attaché, et alors qu'un flot des larmes glissaient sur le visage du fils de Varrus, le garçon intrépide lui a recommandé :
— Courage, mon père ! Nous serons ensemble... La mort n'existe pas et Jésus règne pour toujours !...
Après de lourdes minutes d'attente, les prisonniers furent acheminés vers l'arène en fête, mais comme si un étrange pouvoir céleste vibrait dans les cordes de leur âme, ils louaient le Seigneur qui les attendait au ciel.
Des hommes au visage hirsute et des vieux chancelants, blessés et mendiants, des anciens auréolés de cheveux blancs et des femmes dont la maternité se révélait exubérante, des jeunes et des enfants au visage souriant chantaient, heureux, fermement convaincus du sermon prometteur des bienheureux.
Se soutenant à l'épaule fragile d'Éraste, Tatien remarquait en lui même une rénovation inattendue et sublime.
Ces âmes lacérées par l'injustice du monde n'adoraient réellement pas des dieux en
pierre.
Pour inspirer une telle épopée d'amour et de résignation, d'espoir et de bonheur face à la mort, Jésus devait être l'Envoyé Céleste qui régnait souverainement dans les cœurs.
L'âme se trouvait plongée dans une mystérieuse joie...
Oui, finalement il reconnut dans ces instants suprêmes que, tel un orage long et fort, le temps était passé sur sa vie, détruisant les idoles mensongères de l'orgueil et de la vanité, de l'ignorance et de l'illusion...
La tempête de souffrances avait laissé ses mains vides.
Il avait tout perdi.. Il était seul.
Mais dans ces courts instants, il avait trouvé la seule réalité digne d'être vécue — le Christ, comme un idéal d'humanité supérieure vers qui il devait aller et devait atteindre...
Il s'est souvenu de Blandine, de Basil et de LMa, gardant l'impression au fond de son cœur que tous trois se trouvaient là, lui tendant les bras avec des sourires de lumière.
Il s'est rappelé Varrus Quint avec une indicible affection.
Retrouverait-il son géniteur au-delà de la mort ?
Il n'avait jamais ressenti une telle nostalgie de son père et le temps d'un court instant... il aurait tout donné pour le revoir et pour lui affirmer avec toute sa tendresse qu'à cet instant de la mort, sa vie n'avait vraiment pas été vaine !...
Il pleurait, oui ! Mais pour la première fois, il pleurait de compréhension et reconnaissance, d'émotion et de joie...
Il s'est souvenu de ceux qui avaient blessé son cœur pendant sa vie, et comme s'il se réconciliait avec lui-même, à tous il envoya des pensées d'une paix jubilante ...
Les quelques pas sur le chemin rédempteur, parcourus sur quelques mètres étaient, cependant, accomplis...
Se soutenant à Marcelin, il a entendu les cris sauvages des spectateurs qui se serraient sur les sièges des podiums et des ménianes, dans les galeries, sur les plates-formes, dans les vomitoires et sur les marches des escaliers.
Des milliers et des milliers de voix exigeaient en chœur bestialement :
Les fauves ! Les fauves !...
Cependant, intimement transformé, Tatien souriait...
Après avoir rapidement balayé du regard l'enceinte, Éraste trouva le poteau où Celse avait été attaché pour le sacrifice, il accomplit sa promesse rapprochant le père et le fils pour l'instant suprême.
Mon fils ! Mon fils !... — sanglotait Tatien, heureux, tâtonnant le corps de Celse dont les mains de chair ne pouvaient plus le caresser —j'ai senti le pouvoir du Christ en moi!... maintenant, moi aussi je suis chrétien !...
Exultant de contentement intérieur pour avoir atteint la réalisation du plus grand et du plus beau rêve de sa vie, Celse s'est écrié :
Que des louanges soient entonnées à Dieu, mon père ! Vive Jésus !...
À ce même instant, des soldats ivres ont mis le feu aux rondins de bois qui se sont facilement enflammés.
Des gémissements, des appels discrets, des demandes d'aide et des prières étouffées montant de toutes parts se firent entendre parmi les flammes grandissantes qui, aux crépitements du bois se multipliaient dans l'air comme des serpents inquiets proclamant la victoire de l'iniquité, alors que des lions, des panthères et des taureaux sauvages pénétraient dans la grande arène, stimulant la fureur de la foule assoiffée de sensation et de sang.
Agenouillé devant Celse Quint qui le regardait en extase, l'aveugle a compris que la fin était proche et a supplié :
Mon fils, apprends-moi à prier !...
Les flammes, néanmoins, gagnaient le corps du jeune garçon qui se tordait.
Et tout en réprimant sa propre douleur, Celse dit, calme, baigné de paix :
Mon père, faisons la prière de Jésus que Blandine aimait à prononcer !... Notre Père qui êtes aux deux... prions à voix haute...
Les fauves affamés engloutissaient les corps et déchiraient les viscères humains, ici et là, mais comme s'il vivait maintenant rien que pour la foi qui l'illuminait à cette dernière heure, Tatien agenouillé répétait cette émouvante prière :
Notre Père qui es aux deux, que ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre nous du mal, car ceci est ton Règne, ta Puissance et ta Gloire pour des siècles et des siècles. Ainsi soit-il.
Le Romain converti n'entendit plus les paroles de son fils.
La tête de Celse se renversa en avant désarticulée...
Tatien allait lever la voix quand des pattes le tirèrent irrésistiblement sur le sable argenté de l'arène.
Son cerveau s'est troublé, puis après un choc soudain, comme si le Christ envoyait une clarté miraculeuse à ses pupilles éteintes, il a récupéré la vision et s'est vu à côté de son propre corps qui gisait immobile dans une flaque de sable ensanglanté.
Il a cherché Celse Quint, mais, oh ! Divin bonheur !... Il vit que du poteau de martyre émergeait non pas son fils adoptif mais son propre père, Varrus Quint qui lui tendait les bras en murmurant :
— Tatien, mon fils, maintenant nous pourrons travailler en louant Jésus pour toujours!...
Éblouit, il remarqua que les âmes des héros abandonnaient leurs restes enveloppés par des tuniques de lumière portées par des entités qui ressemblaient davantage à de beaux archanges aériens.
Il a embrassé les mains paternelles comme s'il assouvissait un désir profond dont il avait terriblement souffert et voulut dire quelque chose, quand Blandine, Basil, Livia et Rufus sont apparus, chantant des hymnes de joie au groupe d'Esprits bienheureux que formaient Corvinus, Lucain, Hortense, Silvain et bien d'autres braves de la foi, qui lui adressaient tous des sourires de confiance et d'amour !
Par-dessus la masse noire de l'amphithéâtre, perçant les ténèbres, des centaines d'âmes rayonnantes tenaient des étendards liliaux où brillait ce salut émouvant et sublime :
Ave, Christ ! Ceux qui vont vivre pour l'éternité te glorifient et te saluent !
*****
Un éblouissant chemin s'est ouvert dans les ci eux...
Ivre de joie, Varrus Quint retenait son fils contre sa poitrine et entouré par la grande assemblée d'amis, il s'est avancé vers les cieux comme un combattant victorieux qui réussit à soustraire du bourbier de l'ombre un diamant épuré par les douleurs de la vie, pour le faire briller en pleine lumière.
*****
Dans le bas, la cruauté criait de réjouissance.
La foule délirait à la vision des corps incendiés, au sinistre banquet du carnage et de la mort, mais au loin, dans le firmament infini dont la paix dessinait l'amour inaltérable de Dieu, les étoiles étincelaient montrant aux hommes de bonne volonté un glorieux avenir...
Francisco Candido Xavier
(2 avril 1910 - 30 juin 2002),
Francisco Candido Xavier (2 avril 1910 - 30 juin 2002), alias Chico Xavier, est le médium brésilien le plus célèbre2 et le plus prolifique du XXesiècle. Sous l'influence des « Esprits », il produisit plus de quatre cent livres de sagesse et de spiritualité, dont une centaine édités dans plusieurs langues. Il popularisa grandement la doctrine spirite au Brésil. Chico Xavier reçu d'innombrables hommages tant du peuple que des organismes publics3. En 1981, le Brésil proposa officiellement Chico Xavier comme candidat au Prix Nobel de la paix. En 2000, il fut élu le « Minéro du XXe siècle », à la suite d'un sondage auprès de la population de l'état fédéré brésilien où il résidait4. Après sa mort, les députés de l'assemblée nationale brésilienne ont officiellement reconnu son rôle dans le développement spirituel du pays5.
Enfance
Francisco Cândido Xavier est né le 2 avril 1910 dans la municipalité de Pedro Leopoldo, dans l'État du Minas Gerais (Brésil). La famille compte neuf enfants, ses parents, tous deux analphabètes, sont vendeurs de billets de loterie pour son père et blanchisseuse pour sa mère. Il raconte que c'est après avoir perdu sa mère, à l'âge de cinq ans, qu'il commence à entendre des voix. Il travaille dès neuf ans, comme tisserand, tout en continuant l'école primaire. À douze ans, il rédige en classe une rédaction remarquable et explique à sa maîtresse que ce texte lui a été dicté par un Esprit qui se tenait près de lui. À la suite de la guérison de l'une de ses sœurs qui souffrait d'obsession, Chico ainsi que toute sa famille adhère aux théories du spiritisme.
Centre spirite 'Luis Gonzala', à pedro leopoldo, en 2008
Chico Xavier étudie la doctrine spirite et fonde le centre spirite « Luiz Gonzaga », le 21 juin 1927. Il s'investit dans son activité de médium et développe ses capacités en psychographie. Il affirme voir, en 1931. son « mentor » spirituel sous la forme d'un Esprit prénommé Emmanuel. Guidé par cet être invisible, Chico publie son premier livre en juillet 1932 : Le Parnasse d'oulre-tombë1, recueil de 60 poèmes attribués à neuf poètes brésiliens, quatre portugais et un anonyme, tous disparus. Cet ouvrage de haute poésie, produit par un modeste caissier, qui le signe du nom d'auteurs décédés provoque l'étonnement général. Le journal O Globo, de Rio dépêche l'un de ses rédacteurs, non spirite, assister pendant plusieurs semaines aux réunions du groupe spirite du centre Luiz Gonzaga. Il s'ensuit une série de reportages qui popularisent le spiritisme au Brésil.
Une vie de médium
À partir de sa première publication, Chico Xavier ne cesse d'écrire des poèmes, des romans, des recueils de pensées, des ouvrages de morale ou des traités de technique spirite. Bon nombre de ces publications deviennent des succès de librairie, dont la plus vendue reste Nosso Lar, la vie dans le monde spirituel, diffusée à plus de 1,3 million d'exemplaires . Beaucoup sont traduites en anglais, français et espagnol. La totalité des droits d'auteur reviennent à des œuvres de charité, Chico ne vivant que de son maigre salaire d'employé au ministère de l'agriculture. À partir de 1957, Chico Xavier s'installe àUberabaqui devient un lieu de rassemblement pour les spirites du monde entier. Il y décède le 30 juin 2002, sans jamais varier d'explications à propos de l'origine de sa production littéraire phénoménale. Sous son impulsion, le Brésil est devenu la patrie d'adoption du spiritisme : il y compterait 20 millions de sympathisants dont 2,3 millions de pratiquants, ce qui en ferait la troisième religion du pays.
De son vivant, Chico Xavier fut le citoyen d'honneur de plus d'une centaine de villes, dont Sâo Paulo. En 1980, un gigantesque mouvement national se constitua afin qu'il obtienne le Prix Nobel de la paix, l'année suivante. Dans tous les États du Brésil des comités de soutien se formèrent, des centaines de municipalités, des Assemblées législatives de la plupart des États, des parlementaires de Brasilia, dont Tancredo Neves alors Président du Parti Populaire au Sénat, appuyèrent sa candidature .En 1981, plus de 10 millions de Brésiliens signèrent une pétition en faveur de l'attribution de la prestigieuse distinction à Chico Xavier. La même année, le député José Freitas Nobre transmit lui-même au comité de Stockholm un dossier constitué de plus de 100 kg de documents, afin d'appuyer la candidature du médium . Chico
Xavier ne reçut pas le prix Nobel, mais devint une figure emblématique du Brésil. Aujourd'hui, des dizaines de villes au Brésil possèdent une rue Chico-Xavier . La vie de ce médium a servi de base au film "Chico Xavier" produit par Columbia Pictures en 2010.
Principaux livres produits par Chico Xavier
Chico fut un écrivain très prolifique : 451 livres lui sont attribués, dont 39 édités après sa mortâ. Comme tous les médiums, Chico Xavier ne prétendait pas être l'auteur des livres, mais uniquement l'instrument utilisé par les esprits pour se manifester et transmettre leurs enseignements. C'est la raison pour laquelle, le nom d'un Esprit est associé à chaque livre.
Listes des ouvrages en brésilien à suivre
Xavier
Candido Franscisco
437 Livres
1.
...E O Amor Continua
Alv.
Esp. Diversos
1983
2.
A Caminho Da Luz
Feb
Emmanuel
1938
3.
À Luz Da Oraçâo
Clarim
Esp. Diversos
1969
4.
A Morte É Simples Mudança
Madras
Flavio Mussa Tavares
2005
5.
A Ponte
Fergs
Emmanuel
1983
6.
A Semente De Mostarda
Geem
Emmanuel
1990
7.
A Terra E O Semeador
Ide
Emmanuel
1975
8.
A Verdade Responde
Ideal
Emmanuel/André Luiz
1990
9.
A Vida Conta
Ceu
Maria Dolores
1980
10.
A Vida Escreve
Feb
Hilario Silva
1960
11.
A Vida Fala I
Feb
Neio Lucio
1973
12.
A Vida Fala Ii
Feb
Neio Lucio
1973
13.
A Vida Fala Iii
Feb
Neio Lucio
1973
14.
A Volta
Ide
Esp. Diversos
1993
15.
Abençoa Sempre
Geem
Esp. Diversos
1993
16.
Abençoando Nosso Brasil
Pinti
Esp. Diversos
2007
17.
Abrigo
Ide
Emmanuel
1986
18.
Açâo E Caminho
Ideal
Emmanuel/André Luiz
1987
19.
Açâo E Reaçâo
Feb
André Luiz
1957
20.
Açâo, Vida E Luz
Ceu
Esp. Diversos
1991
21.
Aceitaçâo E Vida
Uem
Margarida Soares
1989
22.
Adeus Solidâo
Geem
Esp. Diversos
1982
23.
Agência De Noticias
Geem
Jair Presente
1986
24.
Agenda Cristâ
Feb
André Luiz
1948
25.
Agenda De Luz
Ideal
Esp. Diversos
1998
26.
Agora É O Tempo
Ideal
Emmanuel
1984
27.
Algo Mais
Ideal
Emmanuel
1980
28.
Alma Do Povo
Ceu
Cornélio Pires
1996
29.
Alma E Coraçâo
Pens
Emmanuel
1969
30.
Alma E Luz
Ide
Emmanuel
1990
31.
Alma E Vida
Ceu
Maria Dolores
1984
32.
Almas Em Desfile
Feb
Hilario Silva
1961
33.
Alvorada Cristâ
Feb
Neio Lucio
1948
34.
Alvorada Do Reino
Ideal
Emmanuel
1988
35.
Amanhece
Geem
Esp. Diversos
1976
36.
Amigo
Ceu
Emmanuel
1979
37.
Amizade
Ideal
Meimei
1977
38.
Amor E Luz
Ideal
Emmanuel/Esp. Diversos
1977
39.
Amor E Saudade
Ideal
Esp. Diversos
1985
40.
Amor E Verdade
Ideal
Esp. Diversos
2000
41.
Amor Sem Adeus
Ide
Walter Perrone
1978
42.
Anotaçoes Da Mediunidade
Ceu
Emmanuel
1995
43.
Ante O Futuro
Ideal
Esp. Diversos
1990
44.
Antenas De Luz
Ide
Laurinho
1983
45.
Antologia Da Amizade
Ceu
Emmanuel
1995
46.
Antologia Da Caridade
Ideal
Esp. Diversos
1995
47.
Antologia Da Criança
Ideal
Esp. Diversos
1979
48.
Antologia Da Esperança
Ceu
Esp. Diversos
1995
49.
Antologia Da Espiritualidade
Feb
Maria Dolores
1971
50.
Antologia Da Juventude
Geem
Esp. Diversos
1995
51.
Antologia Da Paz
Geem
Esp. Diversos
1994
52.
Antologia Do Caminho
Ideal
Esp. Diversos
1996
53.
Antologia Dos Imortais
Feb
Esp. Diversos
1963
54.
Antologia Mediùnica Do Natal
Feb
Esp. Diversos
1967
Aos Probl. Do Mundo
Feesp
Esp. Diversos
1972
55.
Apelos Cristâos
Uem
Bezerra De Menezes
1986
56.
Apostilas Da Vida
Ide
André Luiz
1986
57.
As Palavras Cantam
Ceu
Carlos Augusto
1993
58.
Assembléia De Luz
Geem
Esp. Diversos
1988
59.
Assim Venceras
Ideal
Emmanuel
1978
60.
Assuntos Da Vida E Da Morte
Geem
Esp. Diversos
1991
61.
Astronautas No Além
Geem
Esp. Diversos
1974
62.
Atençâo
Ide
Emmanuel
1981
63.
Através Do Tempo
Lake
Esp. Diversos
1972
64.
Augusto Vive
Geem
Augusto Cezar Netto
1981
65.
Aulas Da Vida
Ideal
Esp. Diversos
1981
66.
Auta De Souza
Ide
Auta De Souza
1976
67.
Ave, Cristo!
Feb
Emmanuel
1953
68.
Bastâo De Arrimo
Uem
Willian
1984
69.
Baù De Casos
Ideal
Cornélio Pires
1977
70.
Bazar Da Vida
Geem
Jair Presente
1985
71.
Bênçâo De Paz
Geem
Emmanuel
1971
72.
Bênçâos De Amor
Ceu
Esp. Diversos
1993
73.
Bezerra, Chico E Você
Geem
Bezerra De Menezes
1973
74.
Boa Nova
Feb
Humberto De Campos
1941
75.
Brasil, Coraçâo Do Mundo,
76.
Brilhe Vossa Luz
Ide
Esp. Diversos
1987
77.
Busca E Acharas
Ideal
Emmanuel/André Luiz
1976
78.
Calendario Esplrita
Feesp
Esp. Diversos
1974
79.
Calma
Geem
Emmanuel
1979
80.
Caminho Esplrita
Cec
Esp. Diversos
1967
81.
Caminho Iluminado
Ceu
Emmanuel
1998
82.
Caminho, Verdade E Vida
Feb
Emmanuel
1949
83.
Caminhos Da Fé
Ideal
Cornélio Pires
1997
84.
Caminhos Da Vida
Ceu
Cornélio Pires
1997
85.
Caminhos De Volta
Geem
Esp. Diversos
1975
86.
Caminhos Do Amor
Ceu
Maria Dolores
1983
87.
Caminhos
Ceu
Emmanuel
1981
88.
Canais Da Vida
Ceu
Emmanuel
1986
89.
Canteiro De Idéias
Ideal
Esp. Diversos
1999
90.
Caravana De Amor
Ide
Esp. Diversos
1985
91.
Caridade
Ide
Esp. Diversos
1978
92.
Carmelo Grisi, Ele Mesmo
Geem
Carmelo Grisi
1991
93.
Cartas De Uma Morta
Lake
Maria Joâo De Deus
1935
94.
Cartas Do Coraçâo
Lake
Esp. Diversos
1952
95.
Cartas Do Evangelho
Lake
Casimiro Cunha
1941
96. Cartas E Crônicas
Feb
Irmâo X
1966
97. Cartilha Da Natureza
Feb
Casimiro Cunha
1944
98. Cartilha Do Bem
Feb
Meimei
1962
99. Ceifa De Luz
Feb
Emmanuel
1979
100. Centelhas
Ide
Emmanuel
1992
101. Châo De Flores
Ideal
Esp. Diversos
1975
102. Chico Xavier - Dos Hippies
103. Chico Xavier - Mandato
104. Chico Xavier Em Goiânia
Geem
Emmanuel
1977
105. Chico Xavier Inédito:
106. Chico Xavier Pede Licença
Geem
Esp. Diversos
1972
107. Chico Xavier, Uma Vida
108. Cidade No Além
Ide
André Luiz/Lucius
1983
109. Cinquenta Anos Depois
Feb
Emmanuel
1940
110. Claramente Vivos
Ide
Esp. Diversos
1979
111. Coisas Deste Mundo
Clarim
Cornélio Pires
1977
112. Coletânea Do Além
Feesp
Esp. Diversos
1945
113. Comandos Do Amor
Ide
Esp. Diversos
1988
114. Compaixâo
Ide
Emmanuel
1993
115. Companheiro
Ide
Emmanuel
1977
116. Confia E Segue
Geem
Emmanuel
1984
117. Confia E Serve
Ide
Esp. Diversos
1989
118. Construçâo Do Amor
Ceu
Emmanuel
1988
119. Continuidade
Ideal
Esp. Diversos
1990
120. Contos Desta E Doutra Vida
Feb
Irmâo X
1964
121. Contos E Apôlogos
Feb
Irmâo X
1958
122. Conversa Firme
Cec
Cornélio Pires
1975
123. Convivência
Ceu
Emmanuel
1984
124. Coraçâo E Vida
Ideal
Maria Dolores
1978
125. Coraçoes Renovados
Ideal
Esp. Diversos
1988
126. Coragem
Cec
Esp. Diversos
1971
127. Correio Do Além
Ceu
Esp. Diversos
1983
128. Correio Fraterno
Feb
Esp. Diversos
1970
129. Crer E Agir
Ideal
Emmanuel/Irmâo José
1986
130. Crianças No Além
Geem
Marcos
1977
131. Crônicas De Além-Tùmulo
Feb
Humberto De Campos
1936
132. Cura
Geem
Esp. Diversos
1988
Da Vida
Geem
Roberto Muszkat
1984
133. Dadivas De Amor
Ideal
Maria Dolores
1990
134. Dadivas Espirituais
Ide
Esp. Diversos
1994
De Amor
Ide
Emmanuel
1992
De Amor
Uem
Esp. Diversos
1993
135. Degraus Da Vida
Ceu
Cornélio Pires
1996
136. Desobsessâo
Feb
André Luiz
1964
137. Deus Aguarda
Geem
Meimei
1980
138. Deus Sempre
Ideal
Emmanuel
1976
139. Dialogo Dos Vivos
Geem
Esp. Diversos
1974
140. Diario De Bênçâos
Ideal
Cristiane
1983
141. Dicionario Da Alma
Feb
Esp. Diversos
1964
142. Dinheiro
Ide
Emmanuel
1986
143. Do Outro Lado Da Vida
Inovaçâo
Paulo Henrique Bresciane
2006
144. Doaçoes De Amor
Geem
Esp. Diversos
1992
Dos Beneficios
Ger
Bezerra De Menezes
1991
145. Doutrina De Luz
Geem
Emmanuel
1990
146. Doutrina E Aplicaçâo
Ceu
Esp. Diversos
1989
147. Doutrina E Vida
Ceu
Esp. Diversos
1987
148. Doutrina Escola
Ide
Esp. Diversos
1996
149. E A Vida Continua...
Feb
André Luiz
1968
E Trabalho
Ideal
Esp. Diversos
1988
150. Educandario De Luz
Ideal
Esp. Diversos
1985
151. Elenco De Familiares
Ideal
Esp. Diversos
1995
152. Eles Voltaram
Ide
Esp. Diversos
1981
153. Emmanuel
Feb
Emmanuel
1938
154. Encontre De Paz
Cec
Esp. Diversos
1973
155. Encontre Marcado
Feb
Emmanuel
1967
156. Encontros No Tempo
Ide
Esp. Diversos
1979
157. Endereços Da Paz
Ceu
André Luiz
1982
158. Entender Conversando
Ide
Emmanuel
1984
159. Entes Queridos
Geem
Esp. Diversos
1982
160. Entre A Terra E O Céu
Feb
André Luiz
1954
161. Entre Duas Vidas
Cec
Esp. Diversos
1974
162. Entre Irmâos De Outras Terras
Feb
Esp. Diversos
1966
163. Entrevistas
Ide
Emmanuel
1971
164. Enxugando Lagrimas
Ide
Esp. Diversos
1978
165. Escada De Luz
Ceu
Esp. Diversos
1999
166. Escola No Além
Ideal
Claudia P. Galasse
1988
167. Escrinio De Luz
Clarim
Emmanuel
1973
168. Escultores De Almas
Ceu
Esp. Diversos
1987
169. Espera Servindo
Geem
Emmanuel
1985
170. Esperança E Alegria
Ceu
Esp. Diversos
1987
171. Esperança E Luz
Ceu
Esp. Diversos
1993
172. Esperança E Vida
Ideal
Esp. Diversos
1985
173. Estamos No Além
Ide
Esp. Diversos
1983
174. Estamos Vivos
Ide
Esp. Diversos
1993
175. Estante Da Vida
Feb
Irmâo X
1969
176. Estradas E Destinos
Ceu
Esp. Diversos
1987
177. Estrelas No Châo
Geem
Esp. Diversos
1987
178. Estude E Viva
Feb
Emmanuel/André Luiz
1965
179. Evangelho Em Casa
Feb
Meimei
1960
180. Evoluçâo Em Dois Mundos
Feb
André Luiz
1959
181. Excursâo De Paz
Ceu
Esp. Diversos
1990
182. Falando À Terra
Feb
Esp. Diversos
1951
183. Falou E Disse
Geem
Augusto Cezar Netto
1978
184. Famflia
Ceu
Esp. Diversos
1981
185. Fé
Ideal
Esp. Diversos
1984
186. Fé, Paz E Amor
Geem
Emmanuel
1989
187. Feliz Regresso
Ideal
Esp. Diversos
1981
188. Festa De Paz
Geem
Esp. Diversos
1986
189. Filhos Voltando
Geem
Esp. Diversos
1982
190. Flores De Outono
Lake
Jésus Gonçalves
1984
191. Fonte De Paz
Ide
Esp. Diversos
1987
192. Fonte Viva
Feb
Emmanuel
1956
193. Fotos Da Vida
Geem
Augusto Cezar Netto
1989
194. Fulgor No Entardecer
Uem
Esp. Diversos
1991
195. Gabriel
Ide
Gabriel
1982
196. Gaveta De Esperança
Ide
Laurinho
1980
197. Gotas De Luz
Feb
Casimiro Cunha
1953
198. Gotas De Paz
Ceu
Emmanuel
1993
199. Gratidâo E Paz
Ide
Esp. Diversos
1988
200. Ha Dois Mil Anos
Feb
Emmanuel
1939
201. Harmonizaçâo
Geem
Emmanuel
1990
202. Histôria De Maricota
Feb
Casimiro Cunha
1947
203. Histôrias E Anotaçoes
Ceu
Irmâo X
1989
204. Hoje
Ceu
Emmanuel
1984
205. Hora Certa
Geem
Emmanuel
1987
206. Horas De Luz
Ide
Esp. Diversos
1984
207. Humorismo No Além
Ideal
Esp. Diversos
1984
208. Ideal Esplrita
Cec
Esp. Diversos
1963
209. Idéias E Ilustraçoes
Feb
Esp. Diversos
1970
210. Indicaçoes Do Caminho
Geem
Carlos Augusto
1995
211. Indulgência
Ide
Emmanuel
1989
212. Inspiraçâo
Geem
Emmanuel
1979
213. Instruçoes Psicofônicas
Feb
Esp. Diversos
1956
214. Instrumentos Do Tempo
Geem
Emmanuel
1974
215. Intercâmbio Do Bem
Geem
Esp. Diversos
1987
216. Intervalos
Clarim
Emmanuel
1981
217. Irmâ Vera Cruz
Ide
Vera Cruz
1980
218. Irmâo
Ideal
Emmanuel
1980
219. Irmâos Unidos
Geem
Esp. Diversos
1988
220. Janela Para A Vida
Fergs
Esp. Diversos
1979
221. Jardim Da Infância
Feb
Joâo De Deus
1947
222. Jesus Em Nôs
Geem
Emmanuel
1987
223. Jesus No Lar
Feb
Neio Lucio
1950
224. Jôia
Ceu
Emmanuel
1985
225. Jovens No Além
Geem
Esp. Diversos
1975
226. Juca Lambisca
Feb
Casimiro Cunha
1961
227. Juntos Venceremos
Ideal
Esp. Diversos
1985
228. Justiça Divina
Feb
Emmanuel
1962
229. Lar - Oficina, Esperança
230. Lazaro Redivivo
Feb
Irmâo X
1945
231. Lealdade
Ide
Mauricio G. Henrique
1982
232. Leis De Amor
Feesp
Emmanuel
1963
233. Levantar E Seguir
Geem
Emmanuel
1992
234. Libertaçâo
Feb
André Luiz
1949
235. Linha Duzentos
Ceu
Emmanuel
1981
236. Lira Imortal
Lake
Esp. Diversos
1938
237. Livro Da Esperança
Cec
Emmanuel
1964
238. Livro De Respostas
Ceu
Emmanuel
1980
239. Loja De Alegria
Geem
Jair Presente
1985
240. Luz Acima
Feb
Irmâo X
1948
241. Luz Bendita
Ideal
Emmanuel/Esp. Diversos
1977
242. Luz E Vida
Geem
Emmanuel
1986
243. Luz No Caminho
Ceu
Emmanuel
1992
244. Luz No Lar
Feb
Esp. Diversos
1968
245. Mâe
Clarim
Esp. Diversos
1971
246. Mais Luz
Geem
Batulra
1970
247. Mais Perto
Geem
Emmanuel
1983
248. Mais Vida
Ceu
Esp. Diversos
1982
249. Mâos Marcadas
Ide
Esp. Diversos
1972
250. Mâos Unidas
Ide
Emmanuel
1972
251. Marcas Do Caminho
Ideal
Esp. Diversos
1979
252. Maria Dolores
Ideal
Maria Dolores
1977
253. Material De Construçâo
Ideal
Emmanuel
1983
254.
Mecanismos Da Mediunidade
Feb
André Luiz
1960
255.
Mediunidade E Sintonia
Ceu
Emmanuel
1986
256.
Mensagem Do Pequeno Morto
Feb
Neio Lucio
1947
257.
Mensagens De Inês De Castro
Geem
Inês De Castro
2006
258.
Mensagens Que Confortam
Ricardo Tadeu
1983
259.
Mentores E Seareiros
Ideal
Esp. Diversos
1993
260.
Migalha
Uem
Emmanuel
1993
261.
Missâo Cumprida
Pinti
Esp. Diversos
2004
262.
Missionarios Da Luz
Feb
André Luiz
1945
263.
Momento
Ceu
Emmanuel
1994
264.
Momentos De Encontro
Ceu
Rosângela
1984
265.
Momentos De Ouro
Geem
Esp. Diversos
1977
266.
Momentos De Paz
Ideal
Emmanuel
1980
267.
Monte Acima
Geem
Emmanuel
1985
268.
Moradias De Luz
Ceu
Esp. Diversos
1990
269.
Na Era Do Espiïito
Geem
Esp. Diversos
1973
270.
Na Hora Do Testemunho
Paidéia
Esp. Diversos
1978
271.
Nâo Publicadas 1933-1954
Madras
Esp. Diversos
2004
272.
Nascer E Renascer
Geem
Emmanuel
1982
273.
Natal De Sabina
Geem
Francisca Clotilde
1972
274.
Neste Instante
Geem
Emmanuel
1985
275.
Ninguém Morre
Ide
Esp. Diversos
1983
276.
No Mundo Maior
Feb
André Luiz
1947
277.
No Portal Da Luz
Cec
Emmanuel
1967
278.
Nos Domlnios Da Mediunidade
Feb
André Luiz
1955
279.
Nos
Ceu
Emmanuel
1985
280.
Nosso Lar
Feb
André Luiz
1944
281.
Nosso Livro
Lake
Esp. Diversos
1950
282.
Notas Do Mais Além
Ide
Esp. Diversos
1995
283.
Noticias Do Além
Ide
Esp. Diversos
1980
284.
Novamente Em Casa
Geem
Esp. Diversos
1984
285.
Novas Mensagens
Feb
Humberto De Campos
1940
286.
Novo Mundo
Ideal
Emmanuel
1992
287.
Novos Horizontes
Ideal
Esp. Diversos
1996
288.
O Caminho Oculto
Feb
Veneranda
1947
289.
O Consolador
Feb
Emmanuel
1941
290.
O Esperanto Como Revelaçâo
Ide
Francisco V. Lorenz
1976
291.
O Espiïito Da Verdade
Feb
Esp. Diversos
1962
292.
O Espiïito De Cornélio Pires
Feb
Cornélio Pires
1965
293.
O Essencial
Ceu
Emmanuel
1986
294.
O Evangelho De Chico Xavier
Didier
Emmanuel
2000
295.
O Ligeirinho
Geem
Emmanuel
1993
296.
Obreiros Da Vida Eterna
Feb
André Luiz
1946
297.
Oferta De Amigo
Ide
Cornélio Pires
1996
298.
Opiniâo Esplrita
Cec
Emmanuel/André Luiz
1963
299.
Orvalho De Luz
Cec
Esp. Diversos
1969
300.
Os Dois Maiores Amores
Geem
Esp. Diversos
1983
301.
Os Filhos Do Grande Rei
Feb
Veneranda
1947
302.
Os Mensageiros
Feb
André Luiz
1944
303.
Paciência
Ceu
Emmanuel
1983
304.
Paginas De Fé
Ideal
Esp. Diversos
1988
305.
Paginas Do Coraçâo
Lake
Irmâ Candoca
1951
306.
Pai Nosso
Feb
Meimei
1952
307.
Palavras De Chico Xavier
Ide
Emmanuel
1995
308. Palavras De Coragem
Ideal
Esp. Diversos
1987
309. Palavras De Emmanuel
Feb
Emmanuel
1954
310. Palavras De Vida Eterna
Cec
Emmanuel
1964
311. Palavras Do Coraçâo
Ceu
Meimei
1982
312. Palavras Do Infmito
Lake
Esp. Diversos
1936
313. Palco Iluminado
Geem
Jair Presente
1988
314. Pao Nosso
Feb
Emmanuel
1950
315. Parnaso De Além Tùmulo
Feb
Esp. Diversos
1932
316. Passaros Humanos
Geem
Esp. Diversos
1994
317. Passos Da Vida
Cec
Esp. Diversos
1969
Patria Do Evangelho
Feb
Humberto De Campos
1938
318. Paulo E Estevao
Feb
Emmanuel
1942
319. Paz E Alegria
Geem
Esp. Diversos
1981
320. Paz E Amor
Ceu
Cornélio Pires
1996
321. Paz E Libertaçao
Ceu
Esp. Diversos
1996
322. Paz E Renovaçao
Cec
Esp. Diversos
1970
323. Paz
Ceu
Emmanuel
1983
324. Pedaços Da Vida
Ideal
Cornélio Pires
1997
325. Pensamento E Vida
Feb
Emmanuel
1958
326. Perante Jesus
Ideal
Emmanuel
1990
327. Perdao E Vida
Ceu
Esp. Diversos
1999
328. Pérolas De Luz
Ceu
Emmanuel
1992
329. Pérolas Do Além
Feb
Emmanuel
1952
330. Pétalas Da Primavera
Uem
Esp. Diversos
1990
331. Pétalas Da Vida
Ceu
Cornélio Pires
1997
332. Pinga Fogo (1a Entrevista)
Edicel
Esp. Diversos
1971
333. Pingo De Luz
Ideal
Carlos Augusto
1995
334. Plantao Da Paz
Geem
Emmanuel
1988
335. Plantao De Respostas
Ceu
Pinga Fogo Ii
1995
336. Poetas Redivivos
Feb
Esp. Diversos
1969
337. Ponto De Encontro
Geem
Jair Presente
1986
338. Pontos E Contos
Feb
Irmao X
1951
339. Porto De Alegria
Ide
Esp. Diversos
1990
340. Praça Da Amizade
Ceu
Esp. Diversos
1982
341. Preito De Amor
Geem
Esp. Diversos
1993
342. Presença De Laurinho
Ide
Laurinho
1983
343. Presença De Luz
Geem
Augusto Cezar Netto
1984
344. Pronto Socorro
Ceu
Emmanuel
1980
Psicografias Ainda
345. Quando Se Pretende Falar
346. Queda E Ascensao Da Casa
347. Quem Sao
Ide
Esp. Diversos
1982
348. Rapidinho
Geem
Jair Presente
1989
349. Realmente
Pinti
Esp. Diversos
2004
350. Recados Da Vida Maior
Geem
Esp. Diversos
1995
351. Recados Da Vida
Geem
Esp. Diversos
1983
352. Recados Do Além
Ideal
Emmanuel
1978
353. Recanto De Paz
Fmg
Esp. Diversos
1976
354. Reconforto
Geem
Emmanuel
1986
355. Reencontros
Ide
Esp. Diversos
1982
356. Refùgio
Ideal
Emmanuel
1989
357. Relatos Da Vida
Ceu
Irmao X
1988
358. Relicario De Luz
Feb
Esp. Diversos
1962
359. Religiao Dos Esplritos
Feb
Emmanuel
1960
360. Renascimento Espiritual
Ideal
Esp. Diversos
1995
361.
Renùncia
Feb
Emmanuel
1942
362.
Reportagens De Além-Tùmulo
Feb
Humberto De Campos
1943
363.
Resgate E Amor
Geem
Tiaminho
1987
364.
Respostas Da Vida
Ideal
André Luiz
1975
365.
Retornaram Contando
Ide
Esp. Diversos
1984
366.
Retratos Da Vida
Cec
Cornélio Pires
1974
367.
Revelaçâo
Geem
Jair Presente
1993
368.
Rosas Com Amor
Ide
Esp. Diversos
1973
369.
Roseiral De Luz
Uem
Esp. Diversos
1988
370.
Roteiro
Feb
Emmanuel
1952
371.
Rumo Certo
Feb
Emmanuel
1971
372.
Rumos Da Vida
Ceu
Esp. Diversos
1981
373.
Saudaçâo Do Natal
Ceu
Esp. Diversos
1996
374.
Seara De Fé
Ide
Esp. Diversos
1982
375.
Seara Dos Médiuns
Feb
Emmanuel
1961
376.
Segue-Me
Clarim
Emmanuel
1973
377.
Seguindo Juntos
Geem
Esp. Diversos
1982
378.
Semeador Em Tempos Novos
Geem
Emmanuel
1989
379.
Semente
Ide
Emmanuel
1993
380.
Sementeira De Luz
Vinha De Luz
Neio Lucio
2006
381.
Sementes De Luz
Ideal
Esp. Diversos
1987
382.
Senda Para Deus
Ceu
Esp. Diversos
1997
383.
Sentinelas Da Alma
Ideal
Meimei
1982
384.
Sentinelas Da Luz
Ceu
Esp. Diversos
1990
385.
Servidores No Além
Ide
Esp. Diversos
1989
386.
Sexo E Destino
Feb
André Luiz
1963
387.
Sinais De Rumo
Geem
Esp. Diversos
1980
388.
Sinal Verde
Cec
André Luiz
1971
389.
Smteses Doutrinarias
Ceu
Esp. Diversos
1995
390.
Somente Amor
Ideal
Maria Dolores/Meimei
1978
391.
Somos Seis
Geem
Esp. Diversos
1976
392.
Sorrir E Pensar
Ide
Esp. Diversos
1984
393.
Taça De Luz
Feesp
Esp. Diversos
1972
394.
Tâo Facil
Ceu
Esp. Diversos
1985
395.
Temas Da Vida
Ceu
Esp. Diversos
1987
396.
Tempo De Luz
Fmg
Esp. Diversos
1979
397.
Tempo E Amor
Ide
Esp. Diversos
1984
398.
Tempo E Nos
Ideal
Emmanuel/André Luiz
1993
399.
Tende Bom Ânimo
Ideal
Esp. Diversos
1987
400.
Tesouro De Alegria
Ide
Esp. Diversos
1993
401.
Timbolâo
Feb
Casimiro Cunha
1962
402.
Tintino... O Espetacilo Continua
Geem
Francisca Clotilde
1976
403.
Tocando O Barco
Ideal
Emmanuel
1984
404.
Toques Da Vida
Ideal
Cornélio Pires
1997
405.
Traços De Chico Xavier
Ceu
Esp. Diversos
1997
406.
Trevo De Idéias
Geem
Emmanuel
1987
407.
Trilha De Luz
Ide
Emmanuel
1990
408.
Trovadores Do Além
Feb
Esp. Diversos
1965
409.
Trovas Da Vida
Ceu
Cornélio Pires
1999
410.
Trovas Do Coraçâo
Ide
Cornélio Pires
1997
411.
Trovas Do Mais Além
Cec
Esp. Diversos
1971
412.
Trovas Do Outro Mundo
Feb
Esp. Diversos
1968
413.
Tudo Vira A Seu Tempo
Madras
Elcio Tumenas
2003
414.
Uma Vida De Amor E Caridade
Fv
Esp. Diversos
1992
415.
Uniâo Em Jesus
Ceu
Esp. Diversos
1994
416.
Urgência
Geem
Emmanuel
1980
417.
Venceram
Geem
Esp. Diversos
1983
418.
Vereda De Luz
Geem
Esp. Diversos
1990
419.
Viagens Sem Adeus
Ideal
Claudio R.A . Nascimento
1999
420.
Viajaram Mais Cedo
Geem
Esp. Diversos
1985
421.
Viajor
Ide
Emmanuel
1985
422.
Viajores Da Luz
Geem
Esp. Diversos
1981
423.
Vida Além Da Vida
Ceu
Lineu De Paula Leâo Jr.
1988
424.
Vida E Caminho
Geem
Esp. Diversos
1994
425.
Vida E Sexo
Feb
Emmanuel
1970
426.
Vida Em Vida
Ideal
Esp. Diversos
1980
427.
Vida No Além
Geem
Esp. Diversos
1980
428.
Vida Nossa Vida
Geem
Esp. Diversos
1983
429.
Vinha De Luz
Feb
Emmanuel
1952
430.
Visâo Nova
Ide
Esp. Diversos
1987
431.
Vitôria
Ide
Esp. Diversos
1987
432.
Vivendo Sempre
Ideal
Esp. Diversos
1981
433.
Viveremos Sempre
Ideal
Esp. Diversos
1994
434.
Volta Bocage
Feb
Manuel M.B.Du Bocage
1947
435.
Voltei
Feb
Irmâo Jacob
1949
436.
Vozes Da Outra Margem
Ide
Esp. Diversos
1987
437.
Vozes Do Grande Além
Feb
Esp. Diversos
1957
Compilaçâo Geem (Março De 2007) Com Utilizaçâo A Partir Do Livro 413 Da Relaçâo Fecfas (Fraternidade Esplrita Cristà Francisco De Assis, De Belo Horizonte-Mg)
[1] L'Évangile de Marc, 9:43. (Note de l'auteur spirituel)