Le nouveau planton du Vieux, c’est pile le contraire du regretté Poilala. Pas corsico le moindre, plutôt tourangeau. Jeune, gras, rose, empoté de partout, empâté d’ailleurs, bègue de trop de timidité, le cheveu plat avec raie basse sur le côté (lequel ? j’ai pas remarqué). Le regard clair des cons gentils, les lèvres charnues des cons bouffeurs, les mains potelées des cons malbaisants. Cela dit, impec dans sa tenue. Amidonné, brossé, cravaté, une odeur d’after shave tenace parce que de mauvaise qualité, il a un tic que je retapisse d’emblée : il se gratte les claouis en t’écoutant et le trou du cul en te parlant (autres manifestations d’une hypertimidité congénitale).
En m’apercevant, il se dresse derrière son burlingue et me militairement salue. Tiens, il a déjà du bide. Son boulot sédentaire ne va pas arranger sa ligne.
— Le Vieux m’attend ! dis-je en passant devant lui.
Et je suis déjà à la double lourde capitonnée de cuir fendillé quand il couaque d’un ton désespéré :
— Un instant, monsieur le commissaire ! M. le directeur n’est pas seul !
La suite, s’il en existe une, se perd dans les échos de l’antichambre.
Moi, l’Avantageux, bardé de succès, glorieux jusque sous les bras, de pénétrer dans le saint des saints. Et pour découvrir quoi ? Rassure-toi, je ne te le cèlerai pas puisque tout est compris dans l’achat du présent ouvrage : les dégueulasseries comme les coups de théâtre, les calembours comme les coups de queue, les pensées profondes comme le poil à gratter. Ça fait lurette qu’on a opté pour le forfait, mon éditeur et moi. C’est plus avantageux pour tout le monde. Ça n’augmente pas notre marge bénéficiaire, note bien, mais on s’y retrouve question prix de revient et l’acheteur ne craint pas de mauvaises surprises. J’ai des confrères que je tairai les noms, t’es obligé de terminer leurs books à la main. T’ajoutes ton propre humour si tu as besoin de rire, tu décodes à l’ordinateur si tu veux comprendre, tu mets toi-même les verbes au subjonctif (qu’ils en sont incapables, ces gueux), tu écris à la main les renvois en bas de page et t’inscris tes pensées à toi sur les pages de garde et de faux titre.
Donc, compte tenu de ce que t’as droit à tout, je t’informe que je trouve le grand Achille occupé à cacheter une donzelle qu’il me semble connaître, bien qu’elle se trouve à l’envers.
Le dirluche, ça l’investit complet, la minouche tyrolienne ! Paraît qu’il ne fait plus que ça, entre deux conférences, le Tondu. Au point qu’il s’est équipé pour groumer les dames à l’aise. Il les perpètre à son bureau. On a vissé des repose-pieds sur les accoudoirs de son fauteuil, le boss. Son sous-main en cuir de Cordoba a été remplacé par un autre, rembourré, qui, une fois ouvert, constitue un matelas relativement amortisseur. De plus, il s’est offert un coussin de velours, un peu anachronique, sur le cuir de son siège, mais qui constitue un oreiller des plus doux le cas échéant (et il échoit souvent).
L’équipement n’est jamais à négliger, que tu gravisses l’Annapurna (8078 m) ou que tu dégustes la cressonnière d’une sœur.
Donc, il est à l’œuvre, perdu dans ces abysses délectables, clapant vite et clapant fort (les paysans de son âge, eux, produisent ce bruit en bouffant leur soupe). Quel appétit ! Ma petite copine Betty Nelson, car c’est elle l’heureuse bénéficiaire de ces prouesses caméléones, en est chavirée. Je ne sais si c’est par plaisir ou politesse qu’elle manifeste avec bruyance, mais elle pousse de très aimables cris, fouailleurs, je trouve, de ceux qui t’éperonnent le désir et lancent un grappin par-dessus le mur de la réalité. Tu montes, tu montes, ta bitoune aussi, comme l’écureuil escalade les aubes de sa roue. Pour pouvoir t’élever, tu fonces, t’arrives, à force de vélocité, à vaincre, un bref instant, l’inertie de la roue ; mais c’est pour basculer lamentablement de l’autre côté et t’écrouler au fond de ta cage. Personne ne quitte jamais sa cage, sinon les poètes ; mais les autres affirment qu’ils ne la quittent pas, si bien qu’ils restent tout de même prisonniers d’une hallucination collective.
Si tu as du mal à suivre ce que j’explique là, ça ne fait rien, achète le dernier prix Goncourt et de l’Aspirine.
Donc, Pépère broute Betty. Betty exprime en onomatopées franco-britanniques qu’elle aime very well beaucoup et que must quickly, chéri, je vous please !
Moi, la discrétion faite tome (de Savoie), je prends place dans le fauteuil vis-à-vis du bureau pour assister au déroulement de la cérémonie du sacre. Surtout je ne voudrais pas déranger. Y a des moments, le sensoriel devient fragilos comme verre filé. T’éternues trop fort et il éclate.
Pendant qu’Achille accomplit, je me dis que les meilleurs bouffeurs, ce sont les vioques, because la langue, c’est la virilité du vieillard, et qu’il consécute des méfesses de l’âge, un accroissement de l’aptitude à faire minette. Le jeune con viril, lui, il bouffe comme un sot, n’ayant qu’une idée en tronche : se débarrasser au plus vite du mandrin qui l’encombre en le plantant dans le porte-parapluies de la dame.
Tout cela dit, exprimé, sous-titré, tourné en couleurs naturelles, je sais que je vais à nouveau déclencher une rafale d’indignations chez quelques chagrins, mais on ne fait pas d’hommes laids sans caser des nœuds, et plus j’indignerai, plus je me rapprocherai du but. Moi, j’écris des livres sonorisés. T’as déjà des bagnoles qui te grondent si t’as mal fermé la lourde, des balances qui t’annoncent que t’as pris du poids, des pendules qui disent l’heure, etc. L’homme a inventé l’objet qui parle pour se sentir moins seul dans la vie. Moi, j’ai créé le livre qui pète ! Le livre qui rote ; le livre qui ronfle ou qui crie au secours ! Qu’on se sente moins seulabre en le bouquinant. Ça veut dire que mon polar existe, tu saisis ? Qu’il a bouffé des haricots. Mais y a pas que les flatulences. Parfois, mon book, il exclame : « Seigneur ! », indiquer qu’il croise en Dieu dans les parages, le long des côtes agnostiques. Je fais du cabotage spirituel. Et quand je débouche à l’estuaire d’un beau cul, je jette l’ancre, le foutre, ma gourme et mes principes.
Ah ! l’ami… Si tu me comprends, je t’aime de bonheur. Et si tu ne me comprends pas, je t’aime de tristesse.
Betty cesse de caviarder son texte de mots français pour ne plus pâmer qu’en anglais ! Et pourtant, c’est pas un dialecte fait pour prendre son panard, t’admets ?
Messire le Dabuche la poursuit encore, par galanterie, surtout jamais risquer la panne « sèche » du fait d’une méprise. Il court sur son erre, quoi ! Un vieux paquebot comme cézigue, avant de stopper, lui faut du temps. Elle le regimbe à deux mains, mais glisse sur sa calvitie absolue. L’Achille, il offre pas de prises. D’autant qu’il a de toutes petites oreilles bien plaquées.
Mais bon, l’ordre revient, c’est-à-dire la morosité de la vie courante.
Il se dresse pour regarder sa partenaire, quêtant un remerciement, une appréciation flatteuse.
Elle le comble d’un terme cher aux Anglo-Saxons, lesquels manquent tellement de conversation qu’ils en usent à chaque phrase.
— Fantastic !
— Merci ! s’émeut Pépère.
Il se tamponne les lèvres de sa pochette en soie, tranquille comme Baptiste.
M’aperçoit !
— Oh ! vous étiez là, mon garçon. Qu’en dites-vous ?
— Epoustouflant, monsieur le directeur ! Une telle virilité défie l’entendement.
— Oh ! Tony ! gazouille Betty en quittant le bureau. Quelle joie ! Je me faisais tellement de soucis à votre sujet que je suis venue voir votre cher directeur pour essayer d’obtenir de vos nouvelles.
— Il ne pouvait pas vous en donner de meilleures, mon cœur. Remettez votre adorable slip, je vais vous raconter tout cela !
Je prends un ton de compteur à gaz d’autrefois. Genre ceux qui te narraient les Milunuits, avec les quarante violeurs qui l’ont eu dans l’Alibaba, Aladin et sa wonderful Wonder, et autres merveilles à faire mouiller les jeunes filles lympathiques.
— Cette affaire a commencé voici plusieurs mois, au Brésil, dans les environs de Brasilia, pour être précis, où s’étaient réfugiés un savant russe dissident, le professeur Kasetapine de la faculté de Kiev, et sa femme Pedovna Chopplamoa qui était en outre son assistante. Le couple avait inventé un rayon laser à haute performance destiné à provoquer des fissures dans les turbo végétateurs connexes des centrales nucléaires. Il avait avant de fuir la Russie expérimenté son invention à Tchernobyl, et le monde entier a connu les résultats. Le groupe terroriste auquel appartenaient la belle N’Gruyer Râ Pé (alias Manuella Dubois) et les deux monstres japonais ont chargé un dangereux gangster Terry Star (alias Edward Riley), de s’approprier le terrible laser. Riley a mobilisé son équipe, usé de grands moyens et il est parvenu à ses fins.
— Vous racontez divinement bien, Tony chéri ! me gazouille Betty.
— Merci, mon cœur.
Le Dabe marque une certaine humeur.
— Tout cela, je le savais plus ou moins, assure-t-il, avec son impudence habituelle de grand chef régnant.
— Je n’en doute pas, monsieur le directeur, d’ailleurs, tout ce que j’ai cru vous révéler, depuis que j’ai l’honneur de servir sous vos ordres, vous le connaissiez déjà.
Il branle son chef fourbi à la cire à meubles dont les antiquaires usent pour donner de l’âge à ce qui n’en a pas suffisamment.
— Mais que cela ne vous empêche pas de poursuivre, mon bon.
— Peut-être préféreriez-vous narrer à ma place, monsieur le directeur, votre verbe est beaucoup plus chatoyant que le mien. Vous êtes Montaigne, je ne suis que San-Antonio.
Il me virgule quelques nobles pichenettes.
— Puisque vous avez commencé, poursuivez !
Force m’étant, je reprends :
— Les terroristes avaient décidé d’utiliser le laser kasetapinien contre la toute nouvelle centrale nucléaire de Fleisch-Barbaque. Maintenant, pour que vous puissiez comprendre la suite, — je dis cela pour vous, Betty, car monsieur le directeur sait tout cela, lui —, je dois vous fournir quelques indications sur l’invention du professeur Kasetapine. Elle se présente sous la forme d’un petit canon métallique dont l’extrémité du tube comporterait une espèce de couple parabolique néfaste à incidence monothéiste. L’ensemble pèse 252 kilos. La manœuvre de cette arme est la suivante. On calcule le point de fission para-féculente et l’on braque le strurum lacté dans la direction souhaitée. Ensuite de quoi, on enclenche l’action du laser à l’aide d’un bouton de commande à distance assez semblable à ceux qui permettent de manœuvrer un poste de télé. Le lanceur entre aussitôt en action. Sa durée de mise à feu, si je puis employer cette formule, est de vingt secondes. L’arme est alors opérationnelle et petafine la matière visée par caracolance soutanée. Elle agit durant quinze secondes. Deux graves inconvénients à signaler. Primo, le laser kasetapinien est dangereux pour l’organisme dans un rayon de cent mètres, ce qui implique la nécessité d’un déclencheur à distance. Secundo, quand il foudroie l’objectif, il émet une lueur dont l’éclat est comparable à celui du soleil, ce qui le rend plus que repérable, vous vous en doutez.
« Le cerveau de la bande a alors trouvé une solution pour escamoter l’engin tout de suite après son utilisation. Il a fait creuser une fosse dans la région de Fleisch-Barbaque, divisée en deux parties par une paroi de plomb. Un trou a été percé dans ladite paroi pour laisser passer le bras d’une bascule. Trou calfeutré par un produit isolant souple. A chaque extrémité de cette bascule que l’on pourrait comparer à celle dont se servent les acrobastes de cirque pour leurs voltiges, se trouve un plateau. Sur l’un des deux est fixé le “canon lanceur”, vous me suivez ? »
— Je vous précède ! déclare le Vieux avec un grand sourire fat de birbe déliquescent.
— Bravo, patron ! Sur le second plateau prennent place les deux sumos japonais venant d’ingurgiter chacun deux litres d’eau, ce qui leur permet de peser ensemble 255 kilos, soit trois kilos de plus que le lanceur. Que se passe-t-il alors ?
— Ne dites rien, je continue ! aboie Achille langue de velours. Le canon grimpe et sort de la fosse !
— Raisonnement étincelant, patron ! Quel enquêteur vous auriez fait, si vous n’aviez pas été directeur ! Oui, le canon sort. Il est alors armé. Vingt secondes de chauffe ! Puis il se met à étinceler et à détruire pendant quinze autres secondes. Alors, les deux Japonais, sauf le respect que je vous dois, monsieur le directeur, ainsi qu’à vous, chère Betty Nelson, se mettent à uriner. Ils parviennent, en un temps record, à perdre au moins trois kilos, dès lors, ils sont plus légers que l’arme. Cette dernière s’enfonce et les deux Japs refont surface.
« Avant qu’ils ne soient hors de la fosse, on a déjà fait coulisser par-dessus le canon, un couvercle plombé recouvert de terre. Les Japs s’évacuent. Leur partie de fosse est escamotée à son tour. Ni vu, ni connu ! »
— Génial ! s’écrie Betty en anglais !
Je reprends la main courante pour les guider jusqu’à la sortie du présent ouvrage, lequel, pardon, merde, plus formidable que lui, tu meurs et j’entre dans les ordres !
— Il y a deux mois, ces gredins avaient préparé leur petite affaire en plein champ, en effectuant les travaux sous le couvert de l’Electricité de France. Et puis la mise en service du centre nucléaire dut être reportée sine die, et ils durent évacuer le terrain, car ils se seraient fait repérer par les services de sécurité en poireautant sur place. En voulant les surveiller, je leur fournis la solution de rechange : Blanc et Bérurier. Ils eurent tôt fait de les démasquer et ils résolurent de s’en servir. Savez-vous pourquoi, patron ?
— Cette bonne blague ! Evidemment que je le sais ! Vous me prenez pour un zozo, mon garçon ? Je suis votre supérieur, gamin ! Et il y a fatalement une raison à cela, hmmm ? Hein, hmmm ?
— Alors, je vous la laisse expliquer à Mlle bientôt Zouzou, boss !
Et c’est là qu’il est unique en son genre, l’Achille. Là qu’il m’aura toujours. Tu sais quoi ? Il déballe tranquillos la bonne raison. Déduction rapide ? Télépathie ? Je crois qu’à un certain moment, quand je raconte, il finit par lire dans mes pensées, ce vieux bonze bricolé.
— Parce que la fille N’Gruyer Râ Pé est dotée d’un pouvoir d’envoûtement qu’elle a appris dans les îles Patatra, mon bon. Elle a fanatisé vos deux nigauds en un tourne-pot ou en deux coups de cuiller à main !
— En effet, papa trontron…
— Ils sont devenus ses deux zélés. Obéissants ! Dévoués jusqu’à la mort. Ils ont accompli tout ce qu’elle leur a ordonné de faire ! Ils ont réquisitionné cette maison abandonnée de l’aubergiste où la bande a pu accomplir son sale travail à l’abri des curieux et sans risques !
— Exact, boboss…
— Bien sûr, exact.
— Ils ont amené un hélico en pièces détachées et l’ont remonté dans le hangar, prêt à s’envoler pour l’Allemagne, leur coup fait, car ils tenaient à fuir rapidement le désastre…
— Je sais, je sais, s’énerve-t-il.
Bon, puisqu’il sait tout, je la ferme. A lui de tirer les marrons. De faire le glorieux. De remettre à notre gouvernement, le canon Kasetapine que nous avons déniché dans le jardin en friche jouxtant la fermette de Gertrude.
— Où en sont nos hommes au point de la santé ?
— Côté gaz, ça va : ils ne s’en tirent pas trop mal ; mais les effets de l’envoûtement ne se dissipent pas. Le professeur Cibouloche, de la faculté de psychiatrie anale tente électrochoc sur électrochoc sans arriver à les arracher à leur torpeur hébétée. Celle qui les a plongés dans cet état ne pouvant plus les en sortir, étant décédée d’un arrêt du cœur, je pense que je vais faire appel à Ramadé, l’épouse sénégalaise de Jérémie Blanc. Son père était sorcier dans leur village, et comme vous avez pu le lire dans Le casse de l’oncle Tom, mon précédent chef-d’œuvre, monsieur le directeur, elle pratique certaines thérapeutiques mystérieuses qui…
Il m’interrompt :
— Foutaises, mon bon ! Foutaises. Maintenant, soyez gentil, j’aimerais faire l’amour de nouveau à cette merveilleuse créature d’Outre-Manche ; me croiriez-vous si je vous disais qu’elle a un goût de violette ?
— Oui, monsieur le directeur, je vous croirai, réponds-je ; car, cela, moi je le savais aussi !
Et je sors pendant qu’il rouvre son sous-main matelassé.