Gene Wolfe L’épée du licteur Troisième partie du Livre du Nouveau Soleil

Au loin disparaissent les amoncellements de têtes humaines.

Je m’efface au point de passer inaperçu, maintenant.

Mais dans les livres affectueux et dans les jeux d’enfants,

D’entre les morts je me lèverai pour dire : le soleil !

Osip Mandelstam

1 Le maître de la maison des chaînes

« L’odeur était dans mes cheveux, Sévérian, dit Dorcas. C’est pourquoi je suis restée sous la cascade de la salle aux pierres brûlantes… j’ignore si le côté des hommes est disposé de la même manière. Et à chaque fois que j’en sortais, je les entendais parler de nous. Elles t’appelaient le boucher noir, et te donnaient aussi d’autres noms que je refuse de répéter.

— Il n’y a rien là que de bien normal, répondis-je. Tu étais la première étrangère, peut-être, à venir fréquenter cet endroit depuis un mois ; il fallait bien s’attendre que l’on parle de toi, et que les rares femmes qui savaient qui tu es en tirent vanité, enjolivant au besoin leur savoir de quelque conte. Quant à moi, j’y suis habitué, et tu ne peux pas ne pas avoir entendu déjà plusieurs fois ce genre d’expressions, sur la route qui nous a menés ici ; j’en ai moi-même relevé.

— C’est vrai », admit-elle, avant d’aller s’asseoir sur le rebord de la fenêtre. En dessous s’étendait la ville, et les lampes des boutiques pressées les unes contre les autres commençaient à remplir la vallée de l’Acis de leur rayonnement doré, pâle comme les pétales des jonquilles ; cependant, elle ne semblait pas le remarquer.

« Tu comprends maintenant pourquoi les règles de notre guilde nous interdisent de prendre femme – même si, comme je te l’ai déjà dit à plusieurs reprises, je suis prêt à les transgresser pour toi, quand tu voudras.

— Tu veux dire qu’il vaudrait mieux pour moi vivre ailleurs, et ne venir te voir qu’une ou deux fois par semaine, ou bien attendre ta visite…

— Tel est l’usage courant, en effet. Et les femmes qui ont parlé de nous aujourd’hui finiront bien par comprendre, à un moment ou à un autre, qu’elles risquent de se retrouver un jour à ma merci… elles, ou leurs fils, ou leurs maris.

— Comment ne vois-tu pas que là n’est pas la question ? Le fait est que…» Dorcas n’acheva pas sa phrase, puis comme le silence se prolongeait, elle se leva et commença d’arpenter la pièce, en se tenant les bras serrés contre le corps. C’était la première fois que je lui voyais adopter une telle attitude, et je me sentis troublé.

« Quel est donc ce fait ? demandai-je.

— Que ces… façons de parler n’étaient pas vraies, alors. Et qu’elles le sont maintenant.

— J’ai pratiqué mon art chaque fois que l’occasion s’est présentée. J’ai loué mes services à toutes les cours de justice qui en ont bien voulu, dans les villes comme dans les campagnes. Tu m’as plusieurs fois regardé depuis une fenêtre, car tu crains de te tenir au milieu de la foule… ce dont je ne saurais te blâmer.

— En réalité, je ne regardais pas.

— Je suis sûr de t’avoir aperçue.

— Mais à l’instant où tu procédais, je détournais la tête. Tu es très concentré sur ce que tu fais, en ces moments-là, et tu ne pouvais pas remarquer que je rentrais ou que je me cachais les yeux. Par contre, je regardais quand tu sautais sur l’échafaud, et je t’adressais un petit signe de la main ; tu avais si fière allure quand tu te tenais là, debout, aussi droit que ton épée… Je te trouvais beau. Honnête, aussi. Je me souviens qu’une fois il y avait un officiel quelconque avec toi sur l’échafaud, en plus du condamné et d’un hiéromonaque ; mais des quatre, seul ton visage était honnête.

— Impossible que tu l’aies vu ; je portais certainement mon masque.

— Sévérian… Je n’avais pas besoin de le voir ; je sais de quoi tu as l’air.

— N’ai-je plus le même air, aujourd’hui ?

— Si, admit-elle de mauvaise grâce. Mais j’ai été voir là-bas en dessous, depuis. J’ai vu tous ces gens, enchaînés dans les tunnels. C’est au-dessus d’eux que nous dormirons cette nuit, dans notre lit bien confortable, toi et moi. Combien as-tu dit qu’il s’en trouvait, quand nous sommes descendus ?

— Environ seize cents. T’imagines-tu de bonne foi qu’il suffirait que je ne fusse pas là pour les garder, pour que ces seize cents prisonniers retrouvent la liberté ? Tu sais très bien qu’ils étaient déjà sur place, lorsque j’ai pris ma charge. »

Dorcas évitait de me regarder. « On dirait une gigantesque fosse commune », dit-elle. Je voyais trembler ses épaules.

« Pourquoi pas ? Après tout, l’archonte pourrait les libérer ; mais qui pourrait rendre la vie à ceux qu’ils ont tués ? Tu n’as jamais perdu personne, n’est-ce pas ? »

Elle ne répliqua pas.

« Va donc demander aux veuves, aux mères et aux sœurs de ceux que nos prisonniers ont laissés se putréfier sans sépulture dans les Hauts Pays, si elles pensent qu’Abdiesus devrait les relâcher…

— Seulement à moi-même », répondit finalement Dorcas ; puis elle souffla la chandelle.


Thrax se présente comme une lame tordue, plantée au cœur de la montagne. La ville s’étend le long d’un défilé étroit, épousant le cours de l’Acis pour aller mourir contre les remparts de la Citadelle ; le château de l’Aiguille, la harena, le panthéon et les autres immeubles publics occupent la seule étendue plate de la vallée, qui se trouve entre le château et le mur (appelé le Capulus) ; ce mur ferme la section inférieure de la vallée, qui est aussi la plus étroite. Les bâtiments et les maisons privées s’étagent de chaque côté, accrochés sur les pentes ; un bon nombre sont d’ailleurs tout ou partie creusés directement dans le rocher – particularité qui a valu à Thrax son surnom : la ville des pièces sans fenêtres.

Elle doit sa prospérité à sa position géographique, car elle est située à l’endroit où l’Acis devient navigable. C’est en effet à Thrax que toutes les marchandises qui transitent vers le Nord (dont un grand nombre a déjà parcouru les neuf dixièmes de la longueur du Gyoll, avant de s’enfoncer dans l’embouchure de son affluent plus petit, qui pourrait bien être, en réalité, la véritable source du grand fleuve) doivent être déchargées, pour être transférées sur des animaux de bât, si leur destination est plus lointaine. Réciproquement, les hetmans des tribus montagnardes et les propriétaires terriens de la région qui veulent expédier leur laine ou leur blé vers les villes méridionales, les apportent sur les quais de Thrax, où on les embarque à peu de distance de la cataracte qui rugit en amont, jaillissant du déversoir voûté aménagé sous le château de l’Aiguille.

Comme toujours lorsqu’une place forte est érigée pour imposer l’ordre et la loi dans une région turbulente, faire régner la justice était la tâche essentielle à laquelle l’archonte de la ville devait se consacrer. Pour que sa volonté soit respectée au-delà des seuls murs de la Citadelle, il disposait de sept escadrons de dimarques ayant chacun son propre commandement. La cour de justice siégeait tous les mois, de la première apparition de la nouvelle lune jusqu’à la pleine lune, travaillant à partir de la deuxième veille de la matinée, jusqu’à épuisement des causes inscrites dans l’ordre du jour. En tant que premier responsable de l’exécution des décisions de l’archonte, j’avais l’obligation d’assister à ces séances, cela afin d’assurer que les châtiments ordonnés par la cour soient infligés exactement comme elle l’avait prescrit – ni plus doux ni plus sévères –, sans intermédiaire susceptible de les altérer. Bien entendu, je devais aussi superviser toutes les opérations dans la Vincula, l’endroit où les prisonniers sont détenus, et cela dans les moindres détails. À une échelle plus réduite, il s’agissait en fait d’une responsabilité équivalente à celle de maître Gurloes dans notre Citadelle, et je la sentis peser lourdement sur moi au cours des premières semaines que je passai à Thrax.

Maître Gurloes se plaisait à répéter qu’une prison n’est jamais située à l’endroit idéal. Cette maxime, comme la plupart de ces conseils avisés que l’on donne aux jeunes pour leur édification, était aussi peu discutable qu’inefficace. Il y a en gros trois manières de s’évader : soit par la ruse, soit par la violence, soit en soudoyant ceux qui sont chargés de vous garder. Un endroit écarté de tout, au milieu d’une contrée sauvage ou dangereuse, fait beaucoup pour dissuader les évasions de la première catégorie ; c’est pourquoi cette solution a longtemps joui de la faveur des spécialistes en la matière.

Malheureusement, les déserts, le sommet des montagnes ou les îles isolées constituent également des endroits privilégiés pour les évasions de la deuxième catégorie – celles réussies par la violence. Lorsque de telles prisons sont assiégées par les amis d’un prisonnier, l’affaire est la plupart du temps finie lorsque la nouvelle en arrive aux autorités ; par ailleurs, il est presque impossible de dépêcher des soutiens à la garnison ; de la même façon, lorsqu’une révolte de prisonniers éclate, une expédition rapide de renforts est pratiquement exclue.

Des installations dans une zone suffisamment peuplée et bien défendue pallient ces inconvénients, pour se heurter à d’autres, plus importants. Un prisonnier qui veut s’évader n’a en effet besoin que d’un ami ou deux, et non plus mille ; en outre, ces amis n’ont pas besoin d’être de valeureux guerriers : une femme de ménage ou un petit vendeur des rues peuvent très bien faire l’affaire s’ils sont intelligents et décidés. Qui plus est, dès que le détenu a franchi les murs d’enceinte de la prison, il peut se fondre instantanément dans la foule sans visage. C’est dire que le retrouver ne dépend plus de chasseurs d’hommes ni de meutes de chiens, mais plutôt d’informateurs bien placés et d’agents stipendiés.

Dans le cas de Thrax, un lieu de détention situé dans un endroit perdu était hors de question. En admettant même que l’on ait pu y affecter des troupes en nombre suffisant, et renforcer ainsi l’effectif ordinaire de clavigères, afin de résister aux attaques des autochtones, des zooanthropes et des cultelarii qui infestaient la région (sans même parler des mercenaires des fourbes petits exultants locaux), il aurait toujours été impossible d’approvisionner un tel endroit sans une véritable armée pour escorter les convois. Voilà pourquoi la Vincula de Thrax se trouve nécessairement située à l’intérieur de la ville – plus précisément à mi-pente de la falaise qui domine la rive ouest, et à environ une demi-lieue du Capulus.

Elle est tracée selon un plan très ancien, et j’ai toujours eu l’impression qu’elle avait été d’emblée conçue pour servir de prison, en dépit d’une légende qui prétend qu’il s’agit d’un ancien et gigantesque mausolée, agrandi il y a quelques siècles pour être transformé en lieu de détention. À un observateur installé sur la rive orientale, plus accessible, elle apparaît comme une simple bretèche carrée bâtie en encorbellement sur le rocher, faisant environ quatre étages de haut de son point de vue, alors que son toit plat couronné de merlons et de créneaux rejoint en réalité la falaise de l’autre côté. Cette partie visible de la structure – que bien des visiteurs de Thrax doivent prendre pour le tout – n’est en fait que la plus petite et la moins importante. À l’époque où j’en étais licteur, cette superstructure ne contenait rien de plus que les bureaux de l’administration, la salle de garde des clavigères et l’appartement qui m’était réservé.

Les prisonniers étaient confinés dans un boyau oblique creusé dans le rocher. La disposition des lieux n’était ni celle faite de cellules individuelles, adoptées pour les clients enfermés dans nos oubliettes à Nessus ni celle qui prévalait dans la salle unique du Manoir Absolu où je m’étais moi-même trouvé détenu. Au lieu de cela, les prisonniers étaient ici enchaînés le long de la paroi du tunnel ; chacun d’eux portait un lourd collier de fer autour du cou, et la longueur de la chaîne était calculée de façon à ménager un passage au milieu du boyau ; celui-ci était suffisamment large pour que deux clavigères puissent y marcher de front, sans courir le risque de se faire détrousser de leurs clefs.

Le tunnel mesurait environ cinq cents pas de long, et comptait plus de mille emplacements pour les prisonniers. Son eau provenait d’une citerne enfouie dans la roche au sommet de la falaise, et les déjections et les saletés étaient éliminées à chaque fois que la citerne était pleine et menaçait de déborder, en inondant copieusement le boyau. Creusé à l’extrémité inférieure du tunnel, un puisard entraînait les eaux usées jusque dans l’Acis, au-delà de la ville, par l’intermédiaire d’une conduite spéciale qui franchissait l’enceinte du Capulus.

La bretèche rectangulaire accrochée à la falaise doit constituer, avec le boyau lui-même, la Vincula d’origine. Elle s’est étendue et compliquée par la suite, grâce à tout un réseau confus de galeries secondaires et de boyaux parallèles, résultat des tentatives faites par le passé pour faire évader les prisonniers à partir de l’une ou l’autre des résidences voisines de la prison, et des contre-mines creusées pour faire échec à ces projets ; maintenant, tout cet enchevêtrement de galeries, annexé, était occupé et servait d’entrepôt ou même de lieu de détention.

L’existence de ces multiples appendices, édifiés en dépit du bon sens et au hasard, pour l’essentiel, rendait ma tâche beaucoup plus difficile qu’elle n’aurait dû l’être ; c’est pourquoi l’une de mes premières décisions fut de mettre sur pied un programme de fermeture de tous les passages et de toutes les galeries inutiles : je les fis combler par un mélange de galets venus de la rivière, de sable, de gravier, de chaux et d’eau. Je commençai en revanche à faire agrandir et réunir ceux que j’avais choisi de conserver, selon un plan qui devait en faire une structure rationnelle. Si indispensable que fût cet ouvrage, il n’avançait que très lentement, car je ne pouvais détacher que quelques centaines de prisonniers en même temps pour les faire travailler, et la plupart étaient en mauvaise condition physique.

Au cours des semaines qui suivirent notre arrivée à Thrax, mes obligations ne me laissèrent pas une minute de libre. Dorcas se mit à explorer la ville pour nous deux ; je lui avais aussi demandé de se renseigner sur les pèlerines. Au cours du long périple qui m’avait conduit ici depuis Nessus, savoir que je portais sur moi la Griffe du Conciliateur avait été un pesant fardeau. Mais maintenant que je ne voyageais plus, et que je ne pouvais plus rechercher la trace du passage des religieuses, non plus que me rassurer en me disant que, de toute façon, j’étais dans la bonne direction et finirais par entrer en contact avec elles, ce fardeau devenait véritablement insupportable. Tant que nous nous étions déplacés, j’avais laissé la précieuse gemme dans ma botte, lorsque nous dormions à la belle étoile, ou au fond de la chaussure posée près de moi, si nous logions sous un toit. Mais j’en étais arrivé au point où j’étais incapable de dormir sans elle, et il me fallait pouvoir vérifier sa présence si je me réveillais au cours de la nuit. Dorcas finit par me coudre un petit sachet en peau de daim dans lequel je la plaçai, et que je portais en permanence autour du cou. Au cours de ces premières semaines, je rêvai une bonne douzaine de fois qu’elle prenait feu, et je la vis à plusieurs reprises flotter en l’air au-dessus de moi comme lorsque la cathédrale qui lui avait été dédiée avait brûlé ; je m’étais réveillé pour constater qu’elle rayonnait avec une telle puissance que sa lumière passait à travers le sac en daim. Et j’étais tiré de mon sommeil une ou deux fois chaque nuit pour me retrouver couché sur le dos, avec l’impression d’avoir la poitrine complètement écrasée par le petit sac, comme s’il faisait un poids énorme, alors que je pouvais sans difficulté le soulever d’une main.

Dorcas fit tout ce qui était en son pouvoir pour me réconforter et m’aider ; je pouvais cependant me rendre compte qu’elle avait conscience du brusque changement intervenu dans nos relations, et qu’elle en était encore plus perturbée que moi. J’ai constaté que de tels changements sont toujours déplaisants, ne serait-ce que parce qu’ils ne font qu’annoncer la venue probable de changements plus grands encore. Tant que nous avions voyagé ensemble (et nous n’avions pas cessé de nous déplacer, plus ou moins vite, depuis l’instant où Dorcas, dans le jardin du Sommeil sans Fin, m’avait aidé à grimper, à moitié noyé, sur le sentier de roseaux flottants), nous étions restés des compagnons ayant un statut identique : c’était sur nos jambes ou sur nos montures que nous franchissions chaque lieue de notre itinéraire. Si j’avais pu assurer, à plusieurs reprises, une certaine protection physique à Dorcas, elle m’avait également fourni un véritable réconfort moral, et même une protection, dans la mesure où il était difficile de garder une attitude de mépris devant tant d’innocente beauté, ou de manifester de l’horreur devant ma profession, lorsque, en me regardant, on la voyait à mes côtés. Quand j’étais dans le doute, elle m’avait conseillé ; en cent lieux déserts, elle m’avait tenu compagnie.

Lorsque nous étions finalement arrivés à Thrax, et que j’eus présenté la lettre de maître Palémon à l’archonte, cette forme de compagnonnage prit nécessairement fin. Je n’avais plus rien à craindre de personne lorsque je fendais la foule dans mon habit de fuligine – en réalité, c’était plutôt la foule qui me craignait, voyant en moi le plus haut représentant de la branche la plus redoutée de la force publique. L’existence que menait maintenant Dorcas n’était plus celle d’une égale, mais, selon le terme employé par la Cuméenne, d’une maîtresse, partageant le domicile officiel du licteur. Ses conseils étaient devenus pratiquement inutiles, car les difficultés auxquelles je devais faire face relevaient de problèmes d’administration, ceux précisément que ma formation m’avait appris à traiter, des années durant, et auxquels elle n’entendait rien ; en outre, je dois dire que j’avais rarement le temps et l’énergie de les lui exposer suffisamment en détail pour que nous puissions en discuter.

C’est donc ainsi que, tandis que je passais veille après veille à suivre les débats de la cour de justice de l’archonte, Dorcas prit l’habitude de se promener dans la ville ; et que nous, qui avions été tout le temps ensemble pendant toute la fin du printemps, ne nous voyions qu’à peine en cet été, sinon pour partager le repas du soir, avant de nous écrouler, épuisés, dans un lit où, la plupart du temps, nous ne faisions guère autre chose que de dormir dans les bras l’un de l’autre.

Ce fut enfin la pleine lune. Avec quelle joie je pus la contempler depuis le toit de la bretèche, verte comme une émeraude, grâce à l’épais manteau de ses forêts, et ronde comme la courbe d’une coupe ! J’étais encore loin d’être libre de mon temps, puisqu’il me fallait maintenant m’occuper dans le moindre détail de l’exécution des tortures et de toutes les décisions prises par le tribunal, ainsi que des affaires qui s’étaient accumulées pendant le lit de justice de l’archonte ; mais j’étais au moins libre de leur accorder toute mon attention, ce qui me semblait presque aussi agréable que la liberté elle-même. J’avais eu l’idée, le jour suivant, d’inviter Dorcas à venir faire avec moi l’inspection des souterrains de la Vincula.

Ce fut une erreur. L’atmosphère lourde et viciée qui y régnait la rendit malade, ainsi que la vue des malheureux prisonniers. Cette nuit-là, comme je l’ai déjà raconté, elle s’était rendue aux bains publics (geste exceptionnel de la part de quelqu’un redoutant autant l’eau qu’elle, au point de ne se laver qu’avec une éponge plongée dans une cuvette avec un fond d’eau) afin de débarrasser ses cheveux et sa peau de l’odeur des boyaux ; c’est là qu’elle avait entendu le personnel parler d’elle.

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