CATELYN

La grande salle de Vivesaigues était un désert, lorsqu’on n’y dînait qu’à deux. Des ombres insondables en drapaient les murs, et l’une des quatre torches initiales s’était consumée. Catelyn contemplait fixement le vin dans son gobelet. Il vous laissait dans la bouche comme une âpreté. Brienne lui faisait face. Entre elles se dressait le haut fauteuil de Père, aussi vacant qu’était vide l’immense vaisseau. Les serviteurs eux-mêmes s’étaient retirés. Elle les avait congédiés pour ne pas les priver des festivités.

Malgré l’épaisseur des murs filtrait de la cour jusqu’à elle, étouffé, le bruit de la beuverie. Ser Desmond avait fait monter des caves vingt barils de brune, et les bonnes gens célébraient corne au poing le retour incessant d’Edmure et la conquête par Robb de Falaise.

Je ne vais quand même pas leur en tenir rigueur ! se gourmanda-t-elle. Ils ne sont pas au courant. Et le sauraient-ils, que leur importerait ? Ils ne les ont pas connus. Ils n’ont jamais regardé, le cœur en travers du gosier, Bran grimper, jamais goûté cette mixture inextricable de panique et d’orgueil dont il m’abreuvait, jamais entendu son rire, et jamais ils n’ont souri de voir Rickon s’évertuer si farouchement à singer ses aînés. Elle considéra les mets déposés devant elle : truite au lard, salade aux fanes de turneps, fenouil rouge et doucette, pois et oignons, pain chaud. Brienne mastiquait méthodiquement, comme si dîner figurait au nombre des corvées qu’elle se devait d’accomplir. Quelle femme acariâtre je suis devenue, songea Catelyn. Boire ou manger, rien ne m’est joie, rires et chansons me sont aussi suspects que des inconnus. Je ne suis que deuil et poussière et regrets amers. Je porte désormais un gouffre à la place du cœur.

Le bruit que faisaient les mâchoires de la chevalière finit par lui être intolérable. « Je ne suis pas une compagnie, Brienne. Allez donc vous joindre aux réjouissances, si vous le souhaitez, lamper une pinte de bière et danser, lorsque Rymond prendra sa harpe.

— Les réjouissances ne sont pas mon fait, madame. » Ses grandes pattes écartelaient une rouelle de pain noir. Elle en contempla les morceaux d’un air aussi buté que si elle cherchait à se rappeler de quoi diable il pouvait s’agir. « Si vous me l’ordonnez, je… »

Catelyn fut sensible à son désarroi. « Je pensais seulement qu’une compagnie plus heureuse que la mienne vous ferait plaisir.

— Je suis parfaitement contente. » Elle utilisa le pain pour saucer le lard fondu dans lequel avait frit sa truite.

« Il est arrivé un autre oiseau, ce matin, reprit Catelyn sans savoir pourquoi elle le disait. Le mestre m’a réveillée immédiatement. C’était son devoir, mais vraiment pas gentil. Pas gentil du tout. » Elle n’avait pas eu l’intention d’en parler à Brienne. Personne d’autre qu’elle et mestre Vyman ne savait, et elle s’était promis de s’en tenir là jusqu’à… – jusqu’à ce que…

Jusqu’à ce que quoi ? Folle que tu es ! le renfermer dans le secret de ton cœur le rend-il moins vrai ? A n’en rien dire, n’en pas parler, deviendra-t-il un simple rêve, moins qu’un rêve, le souvenir d’un cauchemar à demi estompé ? Oh, si seulement les dieux voulaient avoir tant de bonté… !

« C’étaient des nouvelles de Port-Réal ? demanda Brienne.

— Plût au ciel. L’oiseau venait de Castel-Cerwyn, avec un message de ser Rodrik, le gouverneur de Winterfell. » Noires ailes, noires nouvelles. « Il a rassemblé le plus d’hommes possible et s’est mis en marche afin de reprendre le château. » Comme tout cela sonnait dérisoire, à présent. « Mais il disait aussi… – écrivait… – m’informait – que…

— Qu’y a-t-il, madame ? Il s’agit de vos fils ? »

Une question si facile à poser ; que n’était-il aussi facile d’y répondre. Catelyn essaya, les mots s’étranglaient dans sa gorge. « Je n’ai plus d’autre fils que Robb. » Elle proféra ces mots terribles sans un sanglot – et cela du moins lui procura une espèce de satisfaction.

Brienne ouvrit des yeux horrifiés. « Madame ?

— Bran et Rickon ont tenté de s’enfuir, mais on les a rattrapés dans un moulin sur la Gland. Theon Greyjoy a fiché leurs têtes sur les remparts de Winterfell. Theon Greyjoy, qui mangeait à ma table depuis l’époque où il avait dix ans. » Je l’ai dit, les dieux me pardonnent, je l’ai dit et l’ai rendu vrai.

Un masque fluide avait supplanté les traits de Brienne. Sa main se tendit par-dessus la table et, à deux doigts de Catelyn, se pétrifia, comme par scrupule d’être importune. « Je…, il n’y a pas de mots, madame. Ma bonne dame. Vos fils, ils…, ils sont avec les dieux, à présent.

— Ah oui ? riposta Catelyn d’un ton cinglant. Quel dieu laisserait perpétrer cela ? Rickon n’était qu’un bambin. En quoi a-t-il pu mériter une mort pareille ? Et Bran…, il n’avait toujours pas rouvert les yeux depuis sa chute, lorsque j’ai quitté le Nord. Force m’a été de partir avant qu’il ne reprenne connaissance. Et, maintenant, je ne puis plus le rejoindre ni l’entendre rire à nouveau. » Elle exhiba ses paumes et ses doigts. « Ces cicatrices…, ils avaient dépêché un sbire poignarder Bran pendant qu’il gisait dans le coma. Et il nous aurait tués, lui et moi, si le loup de Bran ne l’avait égorgé. » Ce souvenir la rendit un moment pensive. « Les loups, Theon les aura tués aussi. Il a dû le faire, sans quoi…, je suis convaincue qu’eux vivants et à leurs côtés, les petits n’auraient rien risqué. Comme Robb avec son Vent-Gris. Mes filles n’ont plus les leurs, hélas. »

Ce brusque changement de sujet stupéfia Brienne. « Vos filles…

— Dès l’âge de trois ans, Sansa était une dame, toujours si polie, tellement désireuse de plaire. Elle n’aimait rien tant que les contes de bravoure chevaleresque. On disait qu’elle me ressemblait, mais elle sera bien plus belle que je n’étais, vous verrez un peu. Je renvoyais souvent sa camériste pour m’offrir le bonheur de la coiffer moi-même. Elle avait des cheveux auburn, plus clairs que les miens et si épais, soyeux…, leur nuance rouge réverbérait la lumière des torches et miroitait comme du cuivre.

« Quant à Arya, bon…, les visiteurs de Ned la prenaient souvent pour un palefrenier quand ils pénétraient à l’improviste dans la cour. C’était une calamité, Arya, je dois l’avouer. Mi-garçon mi-chiot de loup. Vous lui interdisiez n’importe quoi, cela devenait le plus cher désir de son cœur. Elle avait la longue figure de Ned et des cheveux bruns où paraissait toujours nicher quelque oiseau. Je désespérais d’en faire jamais une dame. Elle collectionnait les plaies et les bosses comme les autres filles les poupées, et ne disait jamais un mot de ce qu’elle avait dans la tête. Elle doit être morte aussi, je pense. » En prononçant ces mots, elle eut l’impression qu’une main gigantesque lui broyait la poitrine. « Je veux qu’ils meurent tous, Brienne. D’abord Theon Greyjoy, puis Jaime Lannister et Cersei et le Lutin, chacun d’eux, chacun. Mais mes filles…, mes filles vont…

— La reine… – la reine en a une – une à elle, bafouilla Brienne. Et des fils aussi, de l’âge des vôtres. En apprenant que… Peut-être qu’elle – qu’elle s’apitoiera et…

— Renverra mes filles indemnes ? » Catelyn sourit tristement. « Que de candeur en vous, petite… Hélas, je désirerais…, mais non. Robb vengera ses frères. La glace est une tueuse aussi mortelle que le feu. L’épée de Ned s’appelait Glace. De l’acier valyrien, comme moiré par son feuilletage, pli selon pli, mille et une fois, et si tranchant que je redoutais d’y toucher. A côté de Glace, l’épée de Robb n’est qu’une trique mal dégrossie. Elle aura de la peine à décoller Theon Greyjoy, je crains. Les Stark n’utilisent pas de bourreau. Ned se plaisait à répéter que l’on doit soi-même exécuter la sentence que l’on prononce, et pourtant cette tâche lui répugnait. Moi, elle m’enchanterait, oh oui. » Elle examina ses mains massacrées, les ouvrit, les referma, releva lentement les yeux. « Je lui ai envoyé du vin.

— Du vin ? » Brienne s’y perdait. « A Robb ? Ou à… Theon Greyjoy ?

— Au Régicide. » Avec Cleos Frey, cette rouerie lui avait bien réussi. Puisses-tu avoir soif, Jaime. Puisses-tu avoir la gorge sèche et serrée. « Puis-je vous prier de m’accompagner ?

— Vôtre et à vos ordres, madame.

— Bien. » Elle se leva brusquement. « Demeurez. Achevez de dîner en paix. Je vous manderai ultérieurement. A minuit.

— Si tard, madame ?

— Les oubliettes sont aveugles. Rien n’y distingue une heure d’une autre et, pour moi, toutes sont minuit. » Sur ce, elle quitta la salle, où ses pas rendaient un son creux. Tandis qu’elle montait vers la loggia de lord Hoster, les ovations de la cour : « Tully ! », la poursuivaient, les toasts : « Une coupe ! A la santé du jeune lord ! Une coupe pour sa bravoure ! » Mon père n’est pas mort ! brûlait-elle de leur crier. Mes fils sont morts, mais pas mon père, maudits soyez-vous ! Et votre seigneur, c’est encore lui.

Il dormait profondément. « Je lui ai donné tout à l’heure du vinsonge, madame, dit mestre Vyman. Contre la douleur. Il ne sera pas conscient de votre présence.

— C’est égal », répondit-elle. Il est plus mort que vif, mais plus vif que mes pauvres fils bien-aimés.

« Est-il rien que je puisse pour vous, madame ? Préparer un somnifère, peut-être ?

— Je vous remercie, mestre, non. Je ne veux pas endormir ma peine. Bran et Rickon méritent mieux de moi. Allez prendre part à la fête, je vais tenir un moment compagnie à mon père.

— Bien, madame. » Il s’inclina et se retira.

Lord Hoster gisait sur le dos, bouche ouverte, et son souffle n’était plus guère qu’un soupir imperceptiblement sifflant. L’une de ses mains pendait au bord du lit, pâle chose frêle et décharnée, mais chaude lorsque Catelyn y enlaça ses doigts et l’étreignit. Si étroitement que tu le tiennes, il va t’échapper de toute façon, songea-t-elle, navrée. Laisse-le partir. Mais ses doigts refusaient de se dénouer.

« Je n’ai personne à qui parler, Père, lui confia-t-elle. Je prie, mais les dieux ne répondent pas. » Elle lui effleura la main d’un baiser. La peau en était chaude, et sous sa pâleur translucide courait un réseau de veines bleues qui confluaient comme des rivières. Au-dehors coulaient aussi les rivières, autrement plus larges, de Vivesaigues, Ruffurque et Culbute, mais elles couleraient à jamais, contrairement aux rivières de la main de Père. Tôt ou tard, trop tôt s’interromprait le flux de celle-ci. « La nuit dernière, j’ai rêvé de la fois où Lysa et moi nous nous égarâmes en revenant de Salvemer. Vous rappelez-vous ce brouillard bizarre qui se leva, nous faisant toutes deux distancer par nos compagnons ? Tout était gris, et je n’y voyais goutte au-delà du chanfrein de mon cheval. Nous quittâmes la route à notre insu. Les branches avaient l’air de longs bras maigres tendus sur notre passage pour nous agripper. Lysa se mit à pleurer, et j’avais beau appeler, moi, le brouillard s’amusait à gober mes appels. Mais Petyr revint en arrière et nous retrouva…

« Mais je n’ai plus personne pour me retrouver, n’est-ce pas ? Il me faut, cette fois, retrouver seule notre chemin, et c’est pénible, tellement pénible.

« Je suis hantée par la devise des Stark. L’hiver est venu, Père. Pour moi. Robb doit maintenant combattre les Greyjoy, en plus des Lannister, et pour quoi ? Pour un couvre-chef d’or et un fauteuil de fer ? Le pays n’a que trop saigné. Je veux récupérer mes filles, je veux voir Robb mettre bas l’épée, je veux le voir cueillir dans le parterre de Walder Frey quelque laideronne qui le rende heureux et lui donne des fils. Je veux que me reviennent Bran et Rickon, je veux… » Elle baissa la tête. « Je veux », répéta-t-elle, mais sans plus ajouter un mot.

La chandelle finit par grésiller, s’éteindre. Les rayons de la lune s’insinuèrent entre les lattes des persiennes, zébrant le visage de Père de pâles traînées d’argent. Par-dessus le laborieux murmure de sa respiration se percevait le ruissellement continu des eaux, ponctué, du côté de la cour, par les vagues accords, si doux, si mélancoliques, d’une chanson d’amour. « J’aimais une fille aussi empourprée que l’automne, chantait Rymond, avec du crépuscule dans ses cheveux. »

Le chant s’acheva sans qu’elle y prît garde. Des heures s’étaient écoulées en une seconde, lui parut-il, lorsque Brienne se présenta sur le seuil et souffla : « Il est minuit, madame. »

Il est minuit, Père, songea-t-elle, et je dois accomplir mon devoir. Elle lui libéra la main.

Le geôlier était un petit homme aux allures furtives et au nez violacé par la couperose. Elles le surprirent, passablement ivre, en pleine conversation avec une chope de bière et des reliefs de tourte au pigeon. Il loucha vers elles d’un air défiant. « Sauf vot’ respect, m’dame, mais lord Edmure a dit pas de visite sans un billet d’écrit par lui, et ’vec son sceau d’sus.

Lord Edmure ? Mon père est-il mort, sans que personne m’ait avertie ? »

L’homme se lécha la lippe. « Non, m’dame, pas que j’ sais.

— Alors, tu vas m’ouvrir, ou bien je t’emmène à la loggia de lord Hoster, et tu lui expliqueras pourquoi tu crois bon de braver mes ordres. »

Ses yeux tombèrent à terre. « Vot’ serviteur, m’dame. » A sa ceinture de cuir clouté pendait au bout d’une chaîne son trousseau de clefs. Tout en marmottant dans sa barbe, il y farfouilla jusqu’à ce qu’il trouve celle de la cellule du Régicide.

« Retourne à ta bière, maintenant », commanda-t-elle. Suspendue à la voûte clignotait une lampe à huile. Elle la décrocha, remonta la flamme. « Assurez-vous qu’on ne me dérange pas, Brienne. »

Avec un hochement, la jeune femme se campa devant l’entrée de la cellule, la main posée sur le pommeau de son épée. « Que ma dame appelle, en cas de besoin. »

Catelyn poussa de l’épaule le lourd vantail bardé de fer, et des ténèbres infectes l’environnèrent. Elle se trouvait dans les entrailles de Vivesaigues, et l’arôme coïncidait. La litière pourrie jutait sous le pied. Des plaques de salpêtre maculaient les murs. A travers la pierre se percevait la rumeur sourde de la Culbute. La lumière de la lampe finit par révéler, dans un angle, un seau débordant d’excréments, dans un autre, une forme recroquevillée. Près de la porte, le flacon de vin, intact. Tant pis pour la roublardise. Peut-être devrais-je en tout cas savoir gré au geôlier de ne pas l’avoir bu lui-même.

En levant les mains pour se protéger le visage, Jaime fit quincailler les fers qui lui entravaient les poignets. « Lady Stark, dit-il d’une voix éraillée par un long mutisme. Je crains de n’être pas en état de vous recevoir.

— Regardez-moi, ser.

— La lumière me blesse les yeux. Un moment, je vous prie. » Depuis la nuit de sa capture, au Bois-aux-Murmures, on l’avait privé de rasoir, et une barbe hirsute avait envahi son visage, jadis si semblable à celui de Cersei. Avec les reflets d’or que la lampe y faisait mouvoir, tout ce poil lui donnait l’air d’un grand fauve jaune, un air superbe, en dépit des chaînes. Sa crinière crasseuse lui retombait jusqu’aux épaules, emmêlée, collée, ses vêtements se gangrenaient sur lui, il était blafard, ravagé…, et pourtant irradiaient encore de sa personne vigueur et beauté.

« Je vois que vous avez dédaigné mon vin.

— Une générosité si subite avait quelque chose d’un peu suspect.

— Je puis avoir votre tête à la seconde où il me plairait. Que me servirait de vous empoisonner ?

— La mort par le poison peut sembler naturelle. Il serait plus difficile de protester que ma tête est tombée d’elle-même. » Il cessa de fixer le sol quand ses prunelles d’un vert félin se furent enfin réaccommodées à la lumière. « Je vous inviterais volontiers à vous asseoir, mais votre frère a négligé de me procurer un fauteuil.

— Je tiens à peu près debout.

— Vraiment ? A parler franc, vous avez pourtant une mine épouvantable. Mais peut-être est-ce simplement la faute de cet éclairage. » Il portait aux chevilles comme aux poignets des bracelets si bien reliés entre eux par des chaînes qu’il ne pouvait ni se lever ni s’allonger confortablement. Ses chaînes de chevilles étaient scellées dans le mur. « Trouvez-vous mes fers assez lourds, ou êtes-vous venue m’offrir un petit supplément ? Je les ferai joliment tintinnabuler, si tel est votre bon plaisir.

— Vous vous les êtes attirés vous-même, rappela-t-elle. Eu égard à votre naissance et à votre rang, nous vous avions affecté une cellule confortable dans une tour. Vous nous en avez remerciés par une tentative d’évasion.

— Une cellule est une cellule. Il s’en trouve, sous Castral Roc, qui apparentent celle-ci à un jardin ensoleillé. Un jour, peut-être, vous les montrerai-je. »

S’il a la frousse, il la cache bien, songea-t-elle. « Un homme pieds et poings liés devrait tenir un langage moins discourtois, ser. Je ne suis pas venue entendre des menaces.

— Non ? Alors, ce doit être pour jouir de moi. Les veuves se lassent vite, à ce qu’on prétend, de leur couche vide. Nous autres, de la Garde, jurons de ne jamais nous marier, mais je présume que je pourrais tout de même vous faire ce ramonage, si telle est votre nécessité. Versez-nous donc un doigt de ce vin, puis retirez-moi cette robe, que nous voyions si je suis d’attaque. »

Elle abaissa sur lui un regard révulsé. Y a-t-il jamais eu au monde d’homme plus beau et plus ignoble que celui-ci ? « Si vous disiez cela en présence de mon fils, il vous tuerait.

— Sous réserve que je porte encore tous ces trucs-là. » Il lui fit cliqueter les chaînes sous le nez. « Vous savez aussi bien que moi que le mioche a la trouille de m’affronter en combat singulier.

— Tout jeune qu’il est, vous vous êtes lourdement trompé, si vous le preniez pour un imbécile…, et vous n’étiez pas si prompt à lancer des défis, ce me semble, lorsque vous aviez une armée à vos trousses.

— Les anciens rois du Nord se cachaient-ils aussi sous les jupes de leur maman ?

— Brisons là, ser. Il est des choses que je dois savoir.

— Et pourquoi devrais-je rien vous dire ?

— Pour sauver votre vie.

— Parce que vous pensez que j’ai peur de la mort ? » Cela parut le divertir.

« Vous devriez. Vos crimes vous auront valu des tourments de choix dans le plus bas des sept enfers, si les dieux sont justes.

— De quels diables de dieux parlez-vous, lady Catelyn ? Des arbres à qui s’adressaient les prières de votre mari ? Lui furent-ils d’un si grand secours, lorsque ma sœur ordonna de le raccourcir ? » Il émit un gloussement. « S’il existe vraiment des dieux, pourquoi donc ce monde est-il saturé de douleur et d’iniquité ?

— Grâce aux êtres de votre espèce.

— Il n’y a pas d’êtres de mon espèce. Je suis unique. »

Une baudruche, rien de plus. Boursouflé d’orgueil, d’arrogance et de son courage creux de dément. Je m’évertue dans le vide avec lui. S’il a jamais contenu la moindre étincelle d’honneur, il l’a depuis longtemps mouchée. « Puisque vous refusez de parler avec moi, tant pis. Buvez le vin, pissez dedans, ser, je m’en moque. »

Elle atteignait la porte et allait poser la main sur la poignée quand il dit : « Lady Stark ? » Elle se retourna, attendit. « Tout se rouille, dans cette atmosphère humide et glacée, reprit-il. Même les bonnes manières. Restez, et vous obtiendrez vos réponses… à leur juste prix. »

Il est sans vergogne. « Les prisonniers n’imposent pas leurs prix.

— Oh, vous trouverez les miens plutôt modestes. Votre porte-clefs ne me dit rien que des mensonges abjects, et qu’il n’est même pas capable de soutenir. Un jour, c’est Cersei qu’on a écorchée, et, le lendemain, c’est mon père. Répondez-moi, et je vous répondrai.

— Sans tricher ?

— Oh, c’est la vérité que vous voulez ? Attention, madame. Selon Tyrion, les gens se prétendent volontiers affamés de vérité, mais ils la trouvent rarement à leur goût lorsqu’on la leur sert.

— Je suis assez forte pour entendre tout ce qu’il vous plaira de dire.

— A votre aise, alors. Mais, d’abord, si ce n’est abuser de vos bontés…, le vin. J’ai la gorge en feu. »

Elle suspendit la lampe à la porte et rapprocha de lui la coupe et le flacon. Jaime fit longuement clapoter le vin dans sa bouche avant de l’avaler. « Aigre et piètre, éructa-t-il, mais ça ira. » Il s’adossa au mur, remonta les genoux contre sa poitrine et, fixant Catelyn : « Votre première question, madame ? »

Ignorant combien de temps durerait cette comédie, elle se précipita : « Vous êtes le père de Joffrey ?

— Vous ne le demanderiez pas si vous ignoriez la réponse.

— Je veux l’entendre de votre propre bouche. »

Il haussa les épaules. « Joffrey est de moi. Comme les autres enfants de Cersei, je présume.

— Vous admettez être l’amant de votre sœur ?

— J’ai toujours aimé ma sœur, et vous me devez deux réponses. Mes parents sont-ils tous en vie ?

— Ser Stafford Lannister passe pour avoir péri à Croixbœuf. »

Il demeura de marbre. « Oncle Cruche, l’appelait Cersei. C’est d’elle et de Tyrion que je suis inquiet. Ainsi que du seigneur mon père.

— Vivants, tous trois. » Mais plus pour longtemps, si les dieux se montrent compatissants.

Il reprit un peu de vin. « Suivante ? »

Allait-il oser répondre sans mentir ? se demanda-t-elle. « Comment la chute de mon fils Bran s’est-elle produite ?

— C’est moi qui l’ai précipité du haut d’une fenêtre. »

Elle eut d’abord le souffle coupé par le naturel avec lequel il avait dit cela. Si j’avais un poignard, je le tuerais, là, songea-t-elle, avant de se rappeler brusquement ses filles. Mais c’est d’une voix étranglée qu’elle reprit : « En tant que chevalier, vous aviez juré de protéger le faible et l’innocent.

— Faible, il l’était plutôt, mais innocent, peut-être pas tant que cela. Il nous espionnait.

— Espionner, Bran ? Jamais de la vie.

— N’accusez dès lors que vos précieux dieux, qui l’amenèrent à notre fenêtre et le gratifièrent d’une vision qu’il n’était aucunement censé lorgner.

— Accuser les dieux ? se récria-t-elle, incrédule. C’est votre main à vous qui l’a poussé. Sa mort, c’est vous qui l’avez voulue. »

Les chaînes tintèrent doucement. « Il ne m’arrive guère de précipiter des gosses du haut des tours afin de les rendre plus gaillards. Bien sûr que je voulais sa mort.

— Et, en le voyant survivre, vous vous êtes senti plus en danger que jamais, et vous avez payé votre homme de main pour vous assurer son silence définitif.

— Ah bon, j’ai fait cela ? » Il leva le coude et s’offrit une bonne lampée. « Je ne nierai pas que nous n’ayons envisagé cette solution, mais vous étiez à son chevet jour et nuit, votre mestre et lord Eddard lui rendaient fréquemment visite, il avait des gardes, sans compter ces maudits loups-garous…, j’aurais dû tailler en pièces la moitié de Winterfell avant de parvenir à lui ! Puis à quoi bon me tracasser, quand tout semblait indiquer qu’il allait mourir de sa propre mort ?

— Si vous vous mettez à mentir, je lève la séance. » Elle tendit ses mains pour qu’il en admire les cicatrices. « Je tiens cela de l’homme qui se présenta pour assassiner Bran. Jurez-vous n’avoir nullement trempé dans cette expédition ?

— Sur mon honneur de Lannister.

— Votre honneur de Lannister vaut moins que ceci. » Elle renversa d’un coup de pied le seau de déjections. Leur magma brunâtre se répandit dans la cellule, imbibant la paille et dégageant des miasmes irrespirables.

Jaime Lannister s’éloigna des immondices autant que le lui permettaient ses chaînes. « Il se peut en effet que mon honneur soit de la merde, je n’en disconviendrai pas, mais jamais encore je n’ai loué personne pour tuer à ma place. Croyez ce que vous voudrez, lady Stark, mais, si j’avais vraiment décidé d’achever votre Bran, je m’en serais chargé personnellement. »

Miséricorde, il dit la vérité ! « Si ce n’est vous, c’est votre sœur qui a envoyé l’assassin.

— Je le saurais. Cersei n’a pas de secrets pour moi.

— Alors, c’est le Lutin.

— Tyrion est aussi innocent que votre Bran. A ce détail près que lui n’escaladait aucune façade et n’espionnait par la fenêtre de personne.

— Dans ce cas, pourquoi son poignard se trouvait-il en possession de l’assassin ?

— Quel genre de poignard ?

— De cette longueur, dit-elle en écartant les mains, tout simple d’aspect mais d’un beau travail, avec une lame d’acier valyrien et un manche en os de dragon. Votre frère l’avait gagné sur lord Baelish, lors du tournoi donné pour l’anniversaire du prince Joffrey. »

Jaime se servit, but, se resservit, contempla le vin dans sa coupe. « On dirait que ce vin s’améliore au fur et à mesure que je le bois. Il me semble me rappeler ce poignard, maintenant que vous le décrivez. Gagné, disiez-vous. Comment ?

— En pariant sur vous quand vous joutiez contre le chevalier des Fleurs. » Mais, en s’entendant affirmer cela, elle s’aperçut de son erreur. « Non…, l’inverse ?

— Tyrion a toujours misé sur moi, en tournoi, dit-il, mais, ce jour-là, je fus démonté par ser Loras. Le guignon, j’avais sous-estimé ce garçon, mais n’importe. Quel que fût l’enjeu, Tyrion perdit…, mais ce poignard changea effectivement de mains, je me le rappelle, à présent. Robert me le montra le soir même, durant le banquet. Sa Majesté adorait me mettre du sel sur les plaies, surtout quand Elle était ivre. Et quand ne l’était-Elle pas ? »

Tyrion lui avait dit exactement la même chose durant leur équipée dans les montagnes de la Lune, se souvint-elle. Elle avait refusé de le croire. Petyr en avait juré autrement, Petyr, le presque frère de jadis, Petyr qui l’aimait alors si passionnément qu’il s’était battu en duel pour obtenir sa main…, mais si les versions de Jaime et Tyrion concordaient à ce point, qu’en déduire ? D’autant que les deux frères ne s’étaient pas revus depuis leur séparation, à Winterfell, plus d’un an auparavant. « Essaieriez-vous de m’abuser ? » Elle flairait du louche, quelque part.

« Que gagnerais-je à biaiser sur cette histoire de poignard, quand j’ai reconnu ma tentative pour supprimer votre fils ? » Il s’envoya une nouvelle coupe. « Libre à vous de me croire ou non, voilà longtemps que l’opinion des gens quant à ma personne, je m’en contrefiche. A mon tour. Les frères de Robert sont entrés en campagne ?

— Oui.

— Voilà qui s’appelle de la pingrerie. Donnez davantage, ou vous me trouverez avare.

— Stannis marche sur Port-Réal, compléta-t-elle à contrecœur. Renly est mort, assassiné par lui devant Accalmie, grâce à des maléfices auxquels je ne comprends rien.

— Dommage, dit-il, j’aimais bien Renly. Stannis, c’est une autre histoire. Quel parti les Tyrell ont-ils adopté ?

— D’abord celui de Renly. Depuis, j’ignore.

— Votre petit gars doit se sentir bien seul.

— Robb a eu seize ans voilà peu de jours…, il est adulte – et roi. Il a remporté chacune des batailles qu’il a livrées. Aux dernières nouvelles, il avait pris Falaise aux Ouestrelin.

— Il n’a toujours pas affronté mon père, n’est-ce pas ?

— Il le battra. Comme il vous a battu.

— Il m’a eu par surprise. Triche de couard.

— Est-ce à vous de parler de triche ? Votre cher Tyrion nous a dépêché des coupe-jarrets masqués en émissaires sous pavillon blanc.

— Si l’un de vos fils se trouvait à ma place, dans cette cellule, ses frères n’en feraient-ils pas autant pour lui ? »

Mon fils n’a pas de frères, songea-t-elle, peu tentée d’ailleurs de confier sa peine à un individu pareil.

Jaime reprit du vin. « Que pèse la vie d’un frère, quand l’honneur est en jeu, hein ? » Nouvelle gorgée. « Tyrion est assez futé pour comprendre que jamais votre fils ne consentira à me libérer sous rançon. »

Elle se garda de le nier. « Les bannerets de Robb préféreraient votre mort à cela. Rickard Karstark en particulier. Vous lui avez tué deux fils au Bois-aux-Murmures.

— Les deux blasonnés à l’échappée blanche, n’est-ce pas ? » Il haussa les épaules. « Pour ne rien celer, c’est à votre fils que j’en avais. Ils se sont mis en travers de ma route. Je les ai abattus en combat loyal, dans la fournaise de la bataille. N’importe quel autre chevalier eût agi de même.

— Comment pouvez-vous encore vous considérer comme un chevalier, quand vous n’avez cessé de vous parjurer ? »

Il empoigna le flacon pour se resservir. « Ces flopées de serments…, on vous fait jurer, jurer, jurer. De défendre le roi. D’obéir au roi. De taire ses secrets. D’exécuter ses ordres. De lui consacrer exclusivement votre vie. Mais d’obéir à votre père. D’aimer votre sœur. De protéger l’innocent. De défendre le faible. De respecter les dieux. D’obéir aux lois. Trop, c’est trop. Quoi que vous fassiez, vous êtes toujours en train de violer tel ou tel serment. » Il s’envoya une lampée robuste, ferma un instant les yeux, la tête appuyée contre la paroi souillée de salpêtre. « Je fus le plus jeune de toute l’histoire à revêtir le manteau blanc.

— Et le plus jeune à trahir tout ce qu’il impliquait, Régicide.

— Régicide, articula-t-il posément. Et de quel roi, bons dieux ! » Il brandit la coupe. « A Aerys Targaryen, second du nom, suzerain des Sept Couronnes et Protecteur du royaume. Et à l’épée qui lui trancha le gosier. Une épée d’or, savez-vous. Tout bonnement. Jusqu’à ce que son sang dégouline le long de la lame, vermeil. Les couleurs Lannister, écarlate et or. »

A ses éclats de rire, Catelyn comprit que le vin avait fait son œuvre. Jaime avait descendu les deux tiers du flacon, et il était ivre. « Il faut être un homme de votre espèce pour se vanter d’un tel forfait.

— Je vous le répète, il n’y a pas d’hommes de mon espèce. Dites-moi, lady Stark…, votre Ned vous a-t-il jamais conté comment était mort son père ? Ou son frère ?

— On étrangla Brandon sous les yeux de lord Rickard avant d’exécuter celui-ci à son tour. » Une saleté vieille de seize ans. A quoi rimait d’aborder ce sujet ?

« De l’exécuter, oui, mais comment ?

— Le garrot, je suppose, ou la hache. »

Jaime sirota une gorgée, se torcha la bouche. « Sans doute Ned désirait-il vous épargner. Sa fiancée, si jeune et si tendre, sinon tout à fait vierge. Eh bien, vous vouliez la vérité ? questionnez… Nous avons conclu un marché, je ne puis rien vous refuser. Questionnez.

— La mort est la mort. » Je ne veux pas savoir cela.

« Brandon était différent de son frère, n’est-ce pas ? Il avait du sang dans les veines, et non de l’eau glacée. Tout à fait comme moi.

— Brandon n’était nullement comme vous.

— Si vous le dites… Vous deviez vous épouser.

— Il était en route pour Vivesaigues quand… » Bizarre, comme évoquer cela lui serrait encore la gorge, tant d’années après. «… quand il apprit, pour Lyanna, et se dérouta sur Port-Réal. La dernière des choses à faire. » Elle se rappelait la fureur de Père lorsque la nouvelle leur en était parvenue. Qualifiant Brandon de vaillant crétin.

Jaime se versa le fond du flacon. Une demi-coupe. « Il pénétra au Donjon Rouge à cheval, escorté d’une poignée d’amis et beuglant au prince Rhaegar de se montrer, s’il n’avait pas peur de mourir. Mais Rhaegar n’était pas là. Aerys expédia ses gardes les arrêter tous en tant que conspirateurs du meurtre de son fils. Les autres étaient également, si je ne me trompe, des rejetons nobles.

— Ethan Glover était l’écuyer de Brandon, précisa-t-elle. Lui seul survécut. Avec lui se trouvaient Jeffroy Mallister, Kyle Royce et Elbert Arryn, neveu de lord Jon et son héritier. » Cela semblait extravagant, de se rappeler encore leurs noms, tant d’années après. « Aerys les inculpa de forfaiture et, les retenant en otages, convoqua leurs pères à la Cour pour répondre de l’accusation. A leur arrivée, il les fit assassiner sans autre forme de procès. Les uns et les autres.

— Il y eut des procès. Une espèce. Lord Rickard réclama un duel judiciaire, et le roi le lui accorda. Stark revêtit son armure de bataille, persuadé qu’il affronterait un membre de la Garde. Peut-être moi. Au lieu de quoi il fut emmené dans la salle du Trône et suspendu à ses poutres pendant que deux des pyromants royaux allumaient un brasier sous lui. Lors, Aerys l’avisa que, le feu étant le champion de la maison Targaryen, la seule chose qu’il eût à faire pour prouver son innocence était de… ne point griller.

« Une fois prête la fournaise, on introduisit Brandon. Il avait les mains enchaînées derrière le dos et, autour du cou, une lanière de cuir humide nouée selon une recette rapportée de Tyrosh par le roi. Il avait les jambes libres, toutefois, et l’on avait placé son épée juste hors de sa portée.

« Les pyromants rôtirent lord Rickard tout doucement, couvrant tantôt, tantôt attisant les flammes avec le plus grand soin pour lui mignoter une chaleur égale. Son manteau s’embrasa d’abord, puis son surcot, si bien qu’il finit par ne plus porter que métal et cendres. L’étape suivante verrait sa cuisson, lui promit Aerys, à moins que… – que son fils ne réussît à le délivrer. Brandon essaya mais, plus il se débattait, plus son garrot se resserrait, et il finit par s’étrangler lui-même.

« Quant à lord Rickard, l’acier de son corselet de plates vira au rouge cerise, et l’or de ses éperons fondait goutte à goutte qu’il vivait encore. Je me tenais au pied du trône de fer, dans mon armure blanche et mon manteau blanc, me farcissant le crâne de songeries relatives à Cersei. Ensuite, Gerold Hightower en personne me prit à part et me dit ceci : “Tu as prêté serment de garder le roi, pas de le juger.” Tel était le Taureau Blanc, loyal jusqu’au bout et, cela fait l’unanimité, bien plus homme de cœur que moi.

— Aerys… » La bile emplissait sa gorge d’amertume. Le récit devait être véridique, tant s’y déployait de hideur. « Aerys était dément, le royaume entier le savait, mais si vous comptez me faire avaler que vous l’avez tué pour venger Brandon Stark…

— M’en suis-je targué ? Les Stark ne m’étaient de rien. Le dirai-je ? je trouve on ne peut plus loufoque que l’une soit toute prête à m’idolâtrer pour un bienfait sorti de sa seule imagination, alors que tant d’autres vilipendent mon plus bel exploit. Lors du couronnement de Robert, je fus contraint de m’agenouiller à ses royaux pieds, flanqué du Grand Mestre Pycelle et de Varys l’eunuque, afin qu’il pût nous pardonner nos crimes avant d’agréer nos services. Quant à votre Ned, qui aurait dû baiser la main qui venait de tuer Aerys, il préféra mépriser le cul qu’il avait surpris posé sur le trône de son ami. Ned Stark aimait Robert bien plus qu’il n’avait jamais fait son frère ou son père… ou n’aima même vous, madame. Il demeura toujours fidèle à Robert, non ? » Il eut un rire de poivrot. « Allons, lady Stark, ne trouvez-vous pas tout cela terriblement drôle ?

— Je ne vous trouve pas drôle du tout, Régicide.

— Encore cette appellation. Je ne crois pas que je vais vous baiser, après tout, Littlefinger a bien eu la primeur, non ? Je ne mange jamais dans le tranchoir d’un autre. En plus, vous n’êtes pas aussi friande que ma sœur, et de loin. » Son sourire s’acéra. « Je n’ai jamais couché avec une autre que Cersei. Plus loyal, à ma manière à moi, que votre Ned ne le fut oncques. Pauvre vieux feu Ned. A qui la merde pour honneur, en définitive, je vous prie ? C’était quoi, déjà, le nom de son bâtard ? »

Catelyn recula d’un pas. « Brienne !

— Non, ce n’était pas ça. » Jaime Lannister retourna le flacon. Un filet de vin lui dégoulina le long du visage, écarlate comme du sang. « Snow, c’était. Un nom si blanc…, du même blanc que les jolis manteaux que l’on nous donnait, dans la Garde, en nous faisant prêter nos jolis serments. »

La porte s’ouvrit, Brienne entra dans la cellule. « Vous avez appelé, madame ?

— Votre épée, s’il vous plaît », dit Catelyn en tendant la main.

Загрузка...