Un océan de pierreries, de fourrures et de tissus somptueux. Les dames et les seigneurs qui emplissaient le fond de la salle du Trône ou en tapissaient les bas-côtés sous les grandes baies se bousculaient comme des poissardes à la criée.
La cour de Joffrey rivalisait de frais vestimentaires pour l’occasion. Jalabhar Xho s’était tellement emplumé, et emplumé de manière si faramineuse, qu’il paraissait prêt à prendre son essor. Pour peu qu’il dodelinât sous sa couronne de cristal, le Grand Septon vous fulgurait mille arcs-en-ciel. A la table du Conseil flamboyaient les brocarts d’or à crevés de velours grenat de la reine Cersei tout contre les moires clinquantes et les chichis lilas de Varys. Ser Dontos et Lunarion s’étaient vu accoutrer de bariolures neuves et rutilaient comme des matins printaniers. Des atours pareils de satin turquoise rehaussé de vair enjolivaient jusqu’à lady Tanda et ses filles, tout comme lord Gyles le mouchoir incarnat de soie bouillonné de dentelle d’or où enfouir ses quintes. Et, planant là-dessus sous le faix de sa couronne d’or parmi les barbelures agressives du trône de Fer, Sa Majesté Joffrey, tout lampas écarlate et taffetas noir constellé de rubis.
Se faufilant dans une cohue d’écuyers, chevaliers, bourgeois cossus, Sansa parvenait enfin sur le devant de la tribune quand une sonnerie de trompettes annonça l’entrée de lord Tywin Lannister.
Celui-ci remonta toute l’allée centrale sur son destrier pour ne démonter qu’au pied du trône. Jamais Sansa n’avait vu d’armure comparable à celle qu’il portait : toute d’acier rouge bruni, tout incrustée de filigranes et de rinceaux d’or, elle arborait des rondelles en forme d’échappées solaires ; le lion rugissant qui faîtait le heaume avait des yeux de rubis ; à chaque épaule, une lionne agrafait un manteau de brocart d’or si vaste qu’il drapait en plombant tout l’arrière-train du cheval. Lequel n’était pas moins doré sur tranche et bardé de soieries écarlates frappées au lion Lannister.
L’effet produit par le sire de Castral Roc en cet appareil était si sensationnel que sa monture estomaqua l’assistance en égrenant un chapelet de crottin juste au bas du trône. Ce qui contraignit non seulement Joffrey à un détour précautionneux pour descendre accoler son grand-père et le proclamer Sauveur de la Ville mais Sansa à dissimuler derrière sa main un rictus nerveux.
Joff prit sa mine la plus théâtrale pour prier lord Tywin d’assumer la gouvernance du royaume, charge que lord Tywin accepta d’un ton solennel « jusqu’à la majorité de Votre Majesté ». Des écuyers désarmèrent alors celui-ci qui, sitôt le col ceint par le roi lui-même avec la chaîne de la Main, s’en fut prendre place à la table du Conseil auprès de sa fille. Une fois remmené le destrier puis évacué son hommage, la cérémonie se poursuivit sur un simple signe de Cersei.
Chacun des héros qui franchissait les immenses portes de chêne se vit dès lors saluer par une fanfare éclatante. Les hérauts proclamaient hautement, que nul n’en ignore, ses patronyme et prouesses, et gentes dames autant que nobles chevaliers l’ovationnaient avec une ferveur digne de coupe-jarrets massés pour un combat de coqs. En premier lieu fut ainsi honoré Mace Tyrell, sire de Hautjardin, dont la vigueur ancienne s’était singulièrement empâtée, mais qui n’en conservait pas moins une belle prestance. Le suivaient ses deux fils, ser Loras et ser Garlan le Preux. Tous trois étaient vêtus de même, velours vert soutaché de martre.
A nouveau, le roi descendit – grâce insigne – de son perchoir pour les accueillir et leur ceindre au col une chaîne de roses en or massif jaune qui comportait en pendentif un disque d’or au lion Lannister scintillant de rubis. « Les roses, soutien du lion, déclara Joffrey, comme la puissance de Hautjardin soutient le royaume. S’il est la moindre faveur que vous désiriez requérir de moi, requérez, et vous l’obtiendrez. »
Nous y voici, songea Sansa.
« Sire, dit ser Loras, daignez m’accorder l’honneur de servir dans votre Garde, afin de défendre votre personne contre ses ennemis. »
Joffrey releva le chevalier des Fleurs et le baisa sur la joue. « C’est chose faite, frère. »
Lord Tyrell s’inclina. « Il n’est plus grand plaisir que de servir le bon plaisir du roi. Si je n’étais jugé par trop indigne de me joindre à votre Conseil, vous n’auriez pas de plus loyal et fidèle serviteur que moi. »
Joff lui posa la main sur l’épaule et le baisa lorsqu’il se fut relevé. « Votre désir est exaucé. »
De cinq ans l’aîné, ser Garlan était une espèce de réplique agrandie, barbue de son fameux frère. Avec plus de coffre et de carrure, il ne laissait pas d’être assez avenant, mais ses traits n’avaient pas tant de finesse ni tant d’éclat. « Sire, déclara-t-il comme le roi l’abordait, j’ai une jeune sœur, Margaery, qui fait les délices de notre maison. Elle était, ainsi que vous le savez, l’épouse de Renly Baratheon, mais son départ pour la guerre empêcha celui-ci de consommer le mariage, de sorte qu’elle a conservé son innocence. Or, à force de s’entendre vanter votre sagesse, votre bravoure et vos manières chevaleresques, Margaery s’est éprise à distance de votre personne. Je vous prie de la faire venir et de daigner prendre sa main pour unir à jamais à la vôtre notre maison. »
Le roi Joffrey joua les étonnés. « Malgré la réputation que s’est acquise la beauté de votre sœur dans les Sept Couronnes, ser Garlan, je me trouve engagé à une autre. Un roi se doit de tenir parole. »
La reine Cersei se dressa dans des froufrous soyeux. « Votre Conseil restreint, Sire, opine qu’il ne serait point judicieux ni séant à vous d’épouser non seulement la fille d’un homme exécuté pour forfaiture mais la sœur d’un homme toujours en rébellion ouverte contre le trône. Aussi conjure-t-il Votre Majesté de renoncer, pour le bien du royaume, à Sansa Stark. Lady Margaery vous sera une reine incomparablement mieux assortie. »
Telle une bande de toutous savants, dames et seigneurs de l’assistance clabaudèrent instantanément leur enthousiasme.
« Margaery ! » jappaient-ils à l’envi, « Donnez-nous Margaery ! » et : « Point de reine félonne ! Tyrell ! Tyrell ! »
Joffrey leva la main. « Je serais trop heureux de combler les vœux de mon peuple, Mère, mais j’ai juré une foi que je ne saurais violer. »
Le Grand Septon s’avança. « Si les fiançailles sont effectivement sacrées, Sire, au regard des dieux, il n’en est pas moins vrai que le roi Robert, bénie soit sa mémoire, avait conclu cette alliance avant que les Stark de Winterfell ne révélassent leur duplicité. Leurs crimes contre le royaume vous ont délié de tous les engagements que vous aviez pu prendre précédemment. D’un point de vue strictement religieux, le contrat de mariage entre votre auguste personne et Sansa Stark est d’évidence nul et non avenu. »
Des acclamations délirantes emplirent la salle du Trône et, tout autour de Sansa fusèrent des « Margaery ! Margaery ! ». Les doigts crispés sur la main courante de bois, elle se pencha pour mieux voir. Tout en sachant ce qui allait venir, elle redoutait les paroles que proférerait Joffrey, craignait qu’il ne refusât de la libérer, même à présent qu’en dépendait le sort du royaume entier. Il lui sembla qu’elle se trouvait à nouveau sur le perron de marbre du Grand Septuaire, attendant de son prince qu’il lui accordât la grâce de Père et l’entendant, au lieu de cela, ordonner à ser Ilyn de le décapiter. Pitié, pria-t-elle de toute son âme, pitié, faites qu’il le dise, faites qu’il le dise.
Lord Tywin dévisageait son petit-fils. Lequel lui répondit par un coup d’œil maussade avant d’avancer relever ser Garlan Tyrell. « Par un effet de la bonté divine, me voici libre d’écouter mon cœur. J’épouserai votre chère sœur, et de grand gré, ser. » Il baisa la joue barbue de son vis-à-vis sous un ouragan d’ovations.
Elle en éprouva pour sa part une sensation bizarrement vertigineuse. Délivrée, je suis délivrée. Les yeux s’attachaient sur elle. Me garder de sourire, s’enjoignit-elle. La reine l’en avait assez chapitrée ; quels que fussent vos sentiments intimes, le monde n’en devait rien lire sur votre visage. « Gare à vous si vous humiliez mon fils, avait dit Cersei. M’entendez-vous ?
— Oui. Mais puisque je ne dois pas être reine, que va-t-il advenir de moi ?
— Cela reste à débattre. Pour l’heure, vous resterez à la Cour comme notre gage.
— Je veux rentrer chez moi. »
La reine avait manifesté son agacement. « N’auriez-vous toujours pas compris qu’aucun de nous ne fait ce qu’il veut ? »
J’y suis arrivée, pourtant, songea Sansa. Je suis délivrée de Joffrey. Je n’aurai pas à l’embrasser ni à lui donner ma virginité ni à lui faire ses enfants. A Margaery Tyrell, la pauvre, toutes ces corvées.
Quand le tapage se fut éteint, le sire de Hautjardin siégeait à la table du Conseil, et ses fils se trouvaient sous les baies parmi les chevaliers et hobereaux. Sansa s’efforça de feindre une désolation de répudiée tandis que l’on introduisait pour toucher leur récompense d’autres héros de la bataille de la Néra.
S’avancèrent de la sorte Paxter Redwyne, sire de La Treille, entre ses deux fils, Horreur et Baveux, celui-là boquillonnant par suite d’une blessure ; lord Mathis Rowan, doublet neigeux brodé d’arborescences d’or ; lord Randyll Tarly, maigre et déplumé, le dos barré par le fourreau joaillier d’un estramaçon ; ser Kevan Lannister, autre déplumé mais trapu, barbe taillée court ; ser Addam Marpheux, chevelu de cuivre jusqu’aux épaules, et les grands vassaux de l’Ouest Lydden, Crakehall, Brax.
Leur succédèrent quatre moindre-nés qui s’étaient distingués durant les batailles : ser Philip Pièdre, en tuant en combat singulier lord Bryce Caron ; le franc-coureur Lothor Brune qui, en se forçant passage au travers d’une centaine de Fossovoie pour capturer ser Jon de la branche verte et tuer ser Edwyd et ser Bryan de la rouge, s’était acquis le sobriquet de Croque-pomme ; le grison Willit, homme d’armes au service de ser Harys Swyft, si grièvement blessé en dégageant son maître écrasé par l’agonie de sa monture et en le défendant contre une meute d’agresseurs qu’on l’apporta sur un brancard ; enfin, un écuyer duveteux du nom de Josmyn Dombecq que ses quatorze ans tout au plus n’avaient pas empêché d’abattre deux chevaliers, d’en blesser un troisième et d’en capturer deux de plus.
Après que les hérauts eurent fini de détailler tous ces exploits, ser Kevan, qui avait pris place auprès de son frère, lord Tywin, se leva. « N’ayant plus cher désir que de rétribuer ces braves à la hauteur de leur mérite, Sa Majesté décrète ce que suit : ser Philip sera dorénavant lord Philip Pièdre, et à sa maison écherront les terres, privilèges et revenus de la maison Caron ; élevé à la dignité de chevalier d’ores et déjà, Lothor Brune se verra fieffé dès la guerre achevée d’un domaine et d’un manoir sis dans le Conflans ; en sus d’une épée, d’une armure de plates et d’un destrier de son choix dans les écuries royales, Josmyn Dombecq accédera à la chevalerie sitôt atteint l’âge requis ; quant au valeureux Willit, il recevra une pique à hampe cerclée d’argent, un haubert de mailles nouvellement forgé et un heaume à visière ; en outre, ses fils seront admis à Castral Roc auprès de la maison Lannister, l’aîné en qualité d’écuyer, le plus jeune en qualité de page, avec, sous réserve de bons et loyaux services, promesse d’être un jour adoubés chevaliers. Toutes décisions auxquelles acquiescent la Main du Roi comme les membres du Conseil restreint. »
Sur ce furent honorés les capitaines des vaisseaux de guerre royaux Prince Aemon, Flèche de rivière et Bourrasque, ainsi qu’une poignée de sous-officiers des Grâce divine, Pertuisane, Soyeuse et Bélier dont le titre de gloire le plus remarquable était, pour autant du moins qu’en pût juger Sansa, d’avoir survécu. Piètre motif à se glorifier… Le roi exprima de même sa gratitude aux maîtres de la guilde des alchimistes et lordifia Hallyne le Pyromant mais sans le doter, nota-t-elle, ni de terres ni d’un castel, ce qui rendait la lorderie de l’impétrant aussi factice que celle du castrat Varys. Autrement conséquente était celle que conféra Joffrey à ser Lancel Lannister, auquel advenaient les château, droits et propriétés de la maison Darry, éteinte en la personne d’un bambin qui avait péri au cours des affrontements, « sans laisser de descendance légitime ni d’héritier légal par le sang, n’ayant qu’un cousin bâtard ».
Ser Lancel ne se présenta pas pour recevoir son titre ; sa blessure, à ce qu’on disait, le menaçait de perdre le bras, voire même la vie. Le Lutin lui-même passait pour agoniser d’une formidable plaie au crâne.
A l’appel du héraut : « Lord Petyr Baelish ! », celui-ci progressa vers le pied du trône, tout atourné de tons roses et prune sous un manteau chamarré de moqueurs, et, non sans sourire, s’agenouilla. Exulte-t-il… ! A la connaissance de Sansa, Littlefinger ne s’était signalé durant la bataille par aucune espèce d’héroïsme mais, à l’évidence, il n’en escomptait pas moins une éclatante récompense.
Ser Kevan se leva derechef. « Sa Majesté désire que son loyal conseiller Petyr Baelish soit récompensé pour les services éminents qu’il n’a cessé de rendre à la Couronne et au royaume. Chacun sache en conséquence qu’à lord Baelish est offert, avec toutes les terres et revenus y afférents, le château d’Harrenhal pour en faire sa résidence et y exercer pleine et entière suzeraineté sur tout le Trident. Lui-même et ses fils et petits-fils étant appelés à conserver cette dignité et à en jouir pour jamais, les seigneurs riverains lui rendront hommage comme de droit. Ainsi consentent la Main du Roi et le Conseil restreint. »
Toujours à genoux, Littlefinger leva les yeux vers le roi. « Mille humbles grâces, Sire. Me voici tenu, je présume, d’œuvrer à me faire une postérité. »
Joffrey se mit à rire, et la Cour s’esclaffa. Seigneur suzerain du Trident, se dit Sansa, et sire d’Harrenhal, en plus. Elle ne voyait pas là de quoi se montrer si ravi ; toutes ces gratifications étaient aussi creuses que le titre d’Hallyne le Pyromant. Sur Harrenhal planait une malédiction, nul ne l’ignorait, et les Lannister ne le possédaient même plus. En outre, les seigneurs riverains étant les vassaux jurés de la maison Tully, de Vivesaigues et du roi du Nord, jamais ils n’accepteraient pour suzerain ce Littlefinger. A moins de s’y trouver contraints. A moins que mon frère et mon oncle et mon grand-père ne soient tous abattus et tués. Cette idée l’angoissa, mais elle s’accusa de sottise. Robb les a déconfits à chaque rencontre. Il déconfira lord Baelish de même, au besoin.
Plus de six cents nouveaux chevaliers furent faits ce jour-là. Après avoir veillé toute la nuit dans le Grand Septuaire de Baelor, ils avaient, le matin, traversé la ville nu-pieds pour prouver l’humilité de leurs cœurs. Et voici qu’ils approchaient, simplement vêtus de sarraus de laine écrue, pour se faire adouber par la Garde. Une cérémonie d’autant plus interminable que la célébraient seulement trois des Frères de la Blanche Epée. Comme Mandon Moore avait péri durant la bataille, que le Limier s’était évaporé, qu’Aerys du Rouvre se trouvait à Dorne auprès de la princesse Myrcella, et que Jaime Lannister était prisonnier de Robb, la confrérie se voyait réduite à Balon Swann, Meryn Trant et Osmund Potaunoir. Une fois consacrés, les récipiendaires se levaient, bouclaient leur ceinture et allaient se placer sous les baies. La marche à travers la ville avait ensanglanté les pieds de certains, mais Sansa leur trouva néanmoins fière allure et grand air.
Dès avant qu’ils n’eussent tous reçu leur ser, l’assistance avait commencé de manifester son impatience, et plus que quiconque Joffrey. Certains des spectateurs de la tribune s’étaient bien éclipsés en catimini, mais les notables, en bas, étaient pris au piège, qui devaient attendre le congé du roi. A en juger par la manière dont il gigotait sur le trône de Fer, Joff le leur aurait accordé volontiers, mais sa tâche était loin d’être terminée. Car avec l’introduction des prisonniers s’annonçait maintenant l’envers de la médaille.
Cette nouvelle compagnie comportait aussi grands seigneurs et nobles chevaliers : ce vieux fielleux de lord Celtigar, le Crabe rouge ; lord Estremont, plus caduc encore ; ser Bonifer le Généreux ; lord Varnier, qu’un genou brisé força de sautiller tout du long mais qui refusa toute aide ; ser Mark Mullendor, visage terreux, le bras gauche amputé à hauteur du coude ; le farouche Red Ronnet, de Perche-Griffon ; ser Dermot, de Bois-la-Pluie ; lord Willum et ses fils, Elyas et Josua ; ser Jon Fossovoie ; ser Timon Râpe-épée ; Aurane, bâtard de Lamarck ; lord Staedmon, alias Grippe-sou ; des centaines d’autres…
A ceux qui avaient changé de camp durant la bataille, il suffisait de prêter allégeance à Joffrey, mais ceux qui s’étaient battus pour Stannis jusqu’à l’amertume finale devaient prendre la parole. De ce qu’ils diraient dépendrait leur sort. S’ils imploraient le pardon de leur forfaiture et promettaient de servir loyalement à l’avenir, Joffrey saluait leur retour à la paix du roi et les rétablissait dans tous leurs domaines et prérogatives. Quelques-uns persistèrent à le défier, néanmoins. « Ne t’imagine pas que c’est terminé, mon gars ! lança l’un d’eux, bâtard de quelque Florent, semblait-il. Le Maître de la Lumière protège le roi Stannis et le protégera toujours. Toutes tes manigances et toutes tes épées ne te sauveront pas, quand sonnera son heure.
— La tienne vient à l’instant de sonner ! » Joffrey ordonna à ser Ilyn Payne d’emmener l’insolent et de lui trancher la tête. Mais à peine eut-on entraîné celui-ci qu’un chevalier à la physionomie austère et au surcot frappé du cœur ardent vociféra : « Stannis est le roi authentique ! Sur le trône de Fer est assis l’abominable fruit d’un monstrueux inceste !
— Silence ! » aboya ser Kevan.
Le chevalier n’en hurla que plus fort : « Joffrey est le ver noir qui ronge le cœur du royaume ! Ténèbres fut son père, et sa mère Mort ! Anéantissez-le avant qu’il ne vous gangrène tous ! Anéantissez-les, la reine putain comme son ver de fils, l’ignoble gnome et l’araignée perfide, les fleurs mensongères ! » Un manteau d’or eut beau le jeter violemment à terre, il poursuivit : « Il va surgir, le feu purificateur ! Le roi Stannis va revenir ! »
Joffrey bondit sur ses pieds. « C’est moi, le roi ! Tuez-le ! tuez-le sur-le-champ ! Je le veux ! » Il abattit sa main en un geste de mort furieux… et poussa un glapissement. Il venait de s’écorcher le bras sur l’un des crocs acérés qui l’environnaient. L’éclatante écarlate de sa manche s’assombrit sous l’afflux du sang. « Mère ! » larmoya-t-il.
Profitant de ce que l’on n’avait plus d’yeux que pour le roi, l’homme à terre subtilisa la pique d’un manteau d’or et, s’appuyant dessus pour se remettre debout, cria : « Le trône le récuse ! Il n’est pas le roi ! »
Cependant que Cersei volait vers son fils, lord Tywin, lui, demeurait de marbre. Et il n’eut qu’à brandir l’index pour que s’anime Meryn Trant, lame au clair, et que tout s’achève. Les manteaux d’or empoignèrent le chevalier, lui ramenèrent les bras en arrière, et, comme il criait à nouveau : « Pas le roi ! », l’épée de ser Meryn lui perça la poitrine.
Trois mestres accourus trouvèrent Joff enfoui au giron de sa mère et l’emballèrent par l’entrée du roi. Du coup, tout se mit à jacasser simultanément. Les manteaux d’or déblayèrent le cadavre qui traça tout du long un sillage vermeil. Lord Baelish se flatta la barbe pendant que Varys lui parlait à l’oreille. Va-t-on nous congédier ? se demanda Sansa. Des tas de prisonniers plantonnaient encore, mais qui s’apprêtaient à quoi ? à maudire ou se renier ?
Lord Tywin se dressa de toute sa taille. « Aux suivants, déclara-t-il d’une voix nette et si vigoureuse qu’elle rétablit le silence instantanément. Que ceux qui veulent se repentir de leurs félonies le fassent. Nous ne tolérerons plus de scandale. » Il se dirigea vers le trône de Fer et s’assit sur l’une des marches qui en commandaient l’accès, à trois pieds au-dessus du sol.
Par les baies ne pénétrait plus que le déclin du jour quand la séance tira vers sa fin. L’épuisement faisait tituber Sansa quand elle entreprit de descendre de la tribune. Joffrey s’était-il sérieusement amoché ? Le trône de Fer a la réputation de se montrer impitoyable envers qui l’usurpe.
En retrouvant l’asile de sa chambre, elle enfouit son visage dans un oreiller pour étouffer ses cris de joie. Oh, bonté divine ! il l’a fait ! il m’a répudiée à la face de l’univers ! A l’arrivée de son dîner, peu s’en fallut qu’elle n’embrassât la servante. Au menu, pain chaud, beurre frais, potage de bœuf, chapon aux carottes, pêches au miel. Les mets eux-mêmes ont davantage de saveur, à présent, s’émerveilla-t-elle.
La brune venue, elle s’emmitoufla dans un manteau pour se rendre au bois sacré. Revêtu de sa blanche armure, ser Osmund Potaunoir gardait le pont-levis. Sansa prit sa voix la plus misérable pour lui souhaiter le bonsoir mais, à la manière dont il la lorgna, douta s’être montrée pleinement convaincante.
Le clair de lune mouchetait Dontos au travers des feuilles. « Pourquoi cette mine sinistre ? l’interpella-t-elle gaiement. Vous étiez là, vous avez entendu. Joffrey m’a répudiée, il en a terminé avec moi, il… »
Il lui saisit la main. « Oh, Jonquil, ma pauvre Jonquil, vous méprenez-vous ! Terminé avec vous ? Tout juste commencé. »
Elle défaillit. « Que voulez-vous dire ?
— Jamais la reine ne vous laissera partir, jamais. Vous êtes un otage trop précieux. Et Joffrey…, ma chérie, demeure le roi. S’il désire vous voir partager sa couche, il vous aura, mais, au lieu d’enfants légitimes, c’est de bâtards qu’il ensemencera votre sein.
— Non ! s’exclama-t-elle, horrifiée. Il m’a signifié mon congé, il… »
Ser Dontos lui planta sur l’oreille un baiser visqueux. « Courage ! J’ai juré de vous ramener chez vous, je puis à présent vous tenir parole. Le jour est déjà choisi.
— Quand ? demanda-t-elle. Quand partons-nous ?
— La nuit des noces de Joffrey. Après le banquet. Tout est réglé dans le moindre détail. Le Donjon Rouge pullulera d’étrangers. La moitié de la Cour sera ivre, et l’autre moitié secondera la parade nuptiale de Joffrey. On vous oubliera le temps de ce bref entracte, et nous aurons la pagaille pour allié.
— Mais le mariage n’aura lieu que dans une lune ! Margaery Tyrell se trouve encore à Hautjardin, et l’on vient tout juste de la mander…
— Vous attendez depuis si longtemps, patientez seulement un peu plus. Tenez, j’ai quelque chose pour vous. » Il fouilla dans sa bourse et finit par en extirper une toile d’araignée brillante qu’il laissa pendiller entre ses gros doigts.
C’était une résille d’argent si fine et si délicate qu’elle ne pesait pas plus qu’un soupçon de brise au creux de la paume. A chaque croisement des fils se devinaient d’infimes gemmes si sombres que le clair de lune s’y engloutissait. « Quelle espèce de pierres est-ce là ?
— Des améthystes noires d’Asshaï. La variété la plus rare. D’un violet véritable et abyssal au jour.
— C’est absolument ravissant, dit-elle, tout en pensant : C’est d’un bateau que j’ai besoin, pas d’une parure pour mes cheveux.
— Beaucoup plus ravissant que vous ne pensez, chère enfant. C’est magique, en fait, vous savez. C’est la justice que vous tenez là. C’est la vengeance de votre père. » Il se pencha contre elle et l’embrassa de nouveau. « C’est le chez moi que vous désiriez. »