4 Travailleur clandestin en situation irrégulière

La porte matelassée d’authentique cuir de vachette s’est ouverte sur un long corridor, avec un tapis rouge vermeil qui conduisait à une autre porte, en tous points analogue à la première.

Un des gorilles laotiens de monsieur Tchou m’a montré le couloir et m’a titillé les reins avec le canon de son Uzi à micro-munitions.

– Toi aller porte du fond. Monsieur Tchou t’attendre.

– Ouais, j’ai fait, monsieur Tchou m’attendre, mais toi attendre pas trop pour enlever ton joujou de mes fesses. J’suis pas le genre que tu crois, mon chéri…

Je l’ai entendu refermer la porte en soufflant une amabilité du genre “ euro motherfucker ”, ou un truc comme ça, mais j’ai pas relevé. Je peaufinais avec une relative nervosité les ultimes détails de ma version des faits. Monsieur Tchou n’est pas le dernier des zozos. S’il a survécu jusqu’à cet âge vénérable dans le coin, et à son niveau, c’est que c’est un vrai dur, quelqu’un qui se sert de son cerveau avant d’utiliser ses muscles, ou ses fusils d’assaut.

Quand je suis arrivé devant la seconde porte j’ai d’abord vu l’oeil noir et globuleux d’une caméra multifréquences. Puis la trademark argentine qui authentifiait le label Cuir véritable, greffée sous l’épiderme.

J’évaluais la porte au salaire trimestriel d’un ingénieur orbital.

La maison de monsieur Tchou ressemblait à une pagode géante qui se serait échouée en bord de Seine, en face de l’ancienne imprimerie du Monde (qui datait de l’époque où les journaux étaient imprimés sur du papier cellulosique), devenue un des night-clubs les plus prisés du coin.

Monsieur Tchou, en dehors du fait qu’il dirigeait le rameau local d’une importante Triade de la diaspora de Hongkong, était un de ceux qui avaient le plus brillamment réussi leur reconversion. Depuis la fin de la Grande Prohibition des années 2030, il s’était judicieusement constitué d’autres fonds de commerce, parfaitement légaux, et oeuvrait désormais pour la Triade dans 1es hautes sphères du pouvoir, à Marne-la-Vallée ou à Bruxelles.

J’ai posé ma main contre la plaque du senseur, entre deux carrés de cuir, les doigts épousant bien la forme du dessin, pas d’embrouilles. Le senseur a analysé mes empreintes, et les a comparées à celles de la carte que j’ai enfilée dans le lecteur.

La porte s’est ouverte après un petit cliquetis, dans un doux et confortable ronronnement. Je me suis retrouvé face à une vaste pièce, plongée dans la pénombre.

Au-dessus de moi s’ouvrait un dôme couleur de nuit, avec des milliers d’étoiles peintes à la main.

Une petite lumière pâle s’est allumée à l’autre bout de la coupole.

Le visage rond de monsieur Tchou est apparu, flottant au-dessus d’un costume chinois traditionnel noir et or et d’un bureau de ministre.

– Venez donc, cher ami.

Sa voix avait conservé l’accent de la banlieue de Hongkong, où il avait passé sa petite enfance. Il a fait un petit geste d’invite, et j’ai avancé dans sa direction. En levant les yeux, j’avais l’impression de marcher sous un planétarium façon manga.

J’étais ici dans le saint des saints. Je n’y étais jamais entré auparavant, Monsieur Tchou m’avait toujours reçu dans sa tour du Kremlin-Bicêtre. C’était un geste rare et important, censé élever son bénéficiaire au niveau de Boddhisattva, ou à peu près.

– Monsieur Tchou, très honoré, j’ai fait, en inclinant la tête en signe de politesse.

Il m’a observé de ses petits yeux albinos et bridés, son sourire impénétrable aux lèvres. Il m’a rendu mon salut et m’a fait un signe indiquant que je pouvais m’asseoir.

Je me suis installé sur un fauteuil de vice-ministre et j’ai relevé les yeux vers les siens. Les petites billes rouges disparaissaient presque sous les replis de graisse. J’ai pu me rendre compte que son visage était parfaitement lisse, sans une ride, pas une cicatrice, pas une marque. Plus de dix ans avaient passé et il me semblait même plus jeune qu’avant. Je me suis souvenu qu’il s’était offert une clinique de chirurgie esthétique de pointe, au Liban, pour bénéficier des soins les plus performants du moment. Il faisait disparaître les effets de la vieillesse, mais considérait depuis toujours que l’embonpoint était un signe de puissance et de réussite.

Monsieur Tchou vivait dans le noir comme les chauves-souris, il ne supportait que les lumières faibles et tirant vers l’infrarouge.

Il m’observait calmement, comme un génie tranquille et bienveillant. Si je n’avais pas connu le nombre d’hommes qu’il avait tués de ses propres mains, ou dont il avait commandité l’assassinat, j’aurais pu le prendre pour un de ces businessmen grassouillets de Shanghaï qui descendaient à L’Eurasia-Hilton.

– Bienvenue, mon petit, a fait monsieur Tchou en élargissant son sourire. Alors, dis-moi, qu’est-ce que tu es devenu depuis tout ce temps? On m’a dit que tu travaillais pour Oshiro, maintenant?

Si quelqu’un devait connaître chaque détail de mon parcours, c’était bien monsieur Tchou, en dehors de la TechnoPol elle-même. Avec un homme de sa trempe, il valait mieux bien choisir son mensonge.

– Oui, j’ai répondu, je suis passé chez Janacek amp; Silveri. Par Viroflay, avant. Et aussi à l’ennemi, comme vous le savez sûrement…

Monsieur Tchou a éclaté de rire. Son ventre tressautait comme un gros ballon cousu de soie naturelle, deux mètres carrés de tissu qui devaient valoir le prix de la dernière Hyundaï.

– Qu’est-ce qui te fait dire que je suis au courant, Sun Tzu?

Sun Tzu, c’était le nom de code que j’employais à l’époque du gang, pour mes contacts avec la Triade de monsieur Tchou. Sun Tzu, l’auteur de L’Art de la guerre, un bouquin que m’avait fait lire Youri. Le type en question, un spécialiste chinois de stratégie, avait vécu cinq cents ans avant le Christ, et toutes les guérillas populaires s’en étaient inspirées au XXe siècle. Monsieur Tchou, qui était loin d’être inculte, avait énormément apprécié.

– Allons… personne n’ignore que vous savez tout ce qui se passe dans la ceinture sud, monsieur Tchou.

Il est reparti de son rire énorme.

– Je sais tout ce qui passe, Sun Tzu, et jusqu’à la ceinture nord…

J’ai chopé la perche et j’ai amorcé un sourire.

– On dit même que vous faites souvent le voyage de Bruxelles, monsieur Tchou, les Triades s’intéressent au déficit budgétaire européen, maintenant?

Il a éclaté de rire.

– Nous nous intéressons à tous les déficits budgétaires, Sun Tzu, tu le sais bien… Mais ce n’est pas pour discuter macroéconomie que tu as fait le voyage jusqu’ici, n’est-ce pas?

Je suis resté en suspens une ou deux secondes, mon sourire froid aux lèvres.

– Non, en effet.

Je me suis profondément calé au fond du fauteuil.

Ça y est, je me suis dit, c’est parti.

Toute négociation avec une Triade se doit de respecter un certain nombre de règles. La première consiste à mentir avec art. Les Asiatiques se foutent que vous leur disiez la vérité ou pas. Ce qui compte pour eux, c’est l’élégance et la logique interne de votre histoire.

Le mensonge se doit d’être habilement dissimulé dans un tissu de vérités, plus ou moins approximatives, mais qui y renvoie, et sur lesquelles votre mensonge peut rebondir, dans un jeu de significations très complexes.

J’ai donc calmement débité ma salade à monsieur Tchou. Un savant dosage de vérités et de fictions dont je suis certain qu’il se régalait, me suffisait de voir sa face de lune éclairée de son sourire, les petits yeux logés au fond de leurs orbites, brillant de leur éclat rouge. Ses doigts grassouillets, croisés sur sa bedaine de luxe, rythmaient gentiment le son de ma voix, avec une évidente satisfaction.

Pendant toute la semaine précédente, je m’étais d’abord traité de connard, tout en essayant de bâtir un plan correct qui nous envoie pas tous au trou jusqu’à trop tard (pour Youri, ça signifiait crever en taule, et pour moi, en sortir un poil avant la retraite). J’avais essayé de voir si je pouvais m’approcher de la sphère des techno-pirates sans trop de risques. J’ai fait une tentative sur Doc Savimbi, un gros trafiquant de techno toujours en service (et qui avait commencé avant moi), un putain de blackos hyper-balèze qui vivait dans la Vallée de la dioxine, là où la grosse usine chimique a explosé au début du siècle. Mais j’ai bien vu que je ne pourrais pas conserver mon anonymat très longtemps, c’était pas un rigolo lui non plus, le Doc Savimbi. J’ai finalement opté pour la seule voie “ raisonnable ”. J’ai pris contact avec un de mes indics les plus sûrs de Chinatown, pour avoir un rencart avec monsieur Tchou. A partir de là, fallait juste marcher sur des oeufs. Mon plan était simplissime. Dire la vérité, en taisant les noms et en remplaçant mademoiselle la Chieuse de l’Espace par un simple pote dans le besoin. S’il insistait je pouvais inventer un mec qui venait de faire un coup ou s’échapper d’une taule, en Europe de l’Est, ou en Finlande, là où les services de renseignement des Triades vivent sur un petit pied, comparativement à ici. Surtout, ne pas se vautrer sur une scabreuse histoire d’infiltration clandestine de la TechnoPol, via Oshiro, moi, et mes contacts underground, comme l’idée m’était d’abord venue. Assez compliqué comme ça. Un truc clair, net et transparent, autant que possible.

– Je sais que je vous demande pas le tout-venant, monsieur Tchou, sans quoi j’aurais été voir un branleur de Grand Tunnel… Mais c’est pas non plus du virus d’intrusion dernière génération dont j’ai besoin, et on va pas attaquer la réserve eurofédérale…

Monsieur Tchou a émis un petit rire.

– Non, Sun Tzu, juste de quoi falsifier une neuropuce et l’hologramme incopiable de l’ONU!

– Ce genre de conneries “ incopiables ”, vous savez aussi bien que moi que les Triades, elles s’en tapent quelques milliers pour commencer la journée, monsieur Tchou. Monsieur Tchou n’a rien dit. Son sourire ne variait pas d’un millimètre. Je savais que derrière le masque de gros poussah chinois s’agitaient les rouages d’une mécanique de haute précision.

– Je ne demande qu’un kit logiciel. La console neuro, les interfaces, la carte, les bidouillages, c’est mon problème…

J’ai entendu vaguement monsieur Tchou qui grognait, tout en hochant la tête.

– Evidemment, tout sera payé rubis sur l’ongle.

Je me suis rendu compte trop tard de l’allusion aux bagouzes et à son surnom, et j’ai prié pour que Tchou ne s’en offusque pas.

Tchou ne s’est pas offusqué, il s’est marré.

– Ça, Sun Tzu, tu sais bien que c’est la règle numéro un: paiement cash à la livraison. Combien penses-tu que ça va te coûter?

J’avais eu le temps de me rencarder sur les prix en vigueur, mais je voulais pas que Tchou pense que tout ça était trop organisé.

Un des trucs de Sun Tzu, le vrai: fais croire le plus longtemps possible à ta faiblesse, ne montre ta force que lorsque tu es sûr de l’emporter.

– A l’époque, vous m’auriez dit cinquante mille.

Tchou s’est marré, il adore ça, ce genre de petites joutes commerciales. Je jouais sciemment sur la culture ancestrale des Chinois dans ce domaine.

– Tsst, tsst, tu fais abstraction de l’inflation vertigineuse des dernières années et déjà à l’époque je t’aurais dit le double; alors, aujourd’hui, faut encore multiplier par deux.

Ça commençait à faire un paquet, même si le dollar ONU était en pleine expansion inflationniste.

– Qu’est-ce que vous diriez si on ne multipliait que par 1,5, pour commencer?

J’aurais pu voir les rouages s’agiter dans le cerveau de monsieur Tchou. Une veine battait à l’une de ses tempes.

– Hmm hmm, grognait-il, comme s’il goûtait un mets parfumé

– D’autre part, je peux m’engager à restituer le kit, après tout c’est pas prévu que je poursuive ce genre d’activités, voyez? Et j’aimerais autant pas que ça traîne chez moi, après… – Ah? Parce que tu crois que j’aimerais que ça traîne chez moi, SunTzu?

Hou là! attention, je me suis dit, relève le pied, on lui donne pas des claques dans le dos comme ça à monsieur Tchou.

Je savais pertinemment qu’après mon trafiquage sur la carte le kit logiciel serait grillé, ou à peu près. Tout neurokit d’atelier de programmation a sa propre empreinte. On y peut rien, c’est même pas voulu par les constructeurs. Ça demande de gros moyens d’investigation pour la déceler, cette imperceptible signature laissée par le logiciel, comme les “ marques déposées ” de son concepteur, puis de son utilisateur, mais les flics peuvent y arriver, en mettant le temps et les moyens. Sur un plan comme celui-là, vu les risques encourus, il sert une fois, et après vous pouvez au mieux vous en servir pour casser le cryptage d’une de vos chaînes de télé, avant de le jeter à la poubelle. Mais, depuis peu, on disait que les ingénieurs des Triades arrivaient à “ rechaper ” en partie ce type de logiciels. En fait, ça se savait tellement que je soupçonnais les Triades d’être elles-mêmes à l’origine de la fuite. J’étais certain qu’elles n’étaient pas peu fières de damer le pion aux mafias japonaises, russes ou pan-américaines, sur ce coup-là.

– Monsieur Tchou… On m’a dit que les Triades de la diaspora et celles de Taïwan ont uni leurs forces dans le domaine de la R amp;D. On m’a dit que vous étiez capable de réinitialiser en partie les neurokits,…

– On t’a dit beaucoup de choses, Sun Tzu…

J’ai hoché la tête en silence.

Je voyais monsieur Tchou réfléchir intensément, je savais qu’il était déjà en train de prendre une décision.

Je me suis enfoncé dans le fauteuil et je me la suis bouclé.

Il était trop tard pour faire quoi que ce soit, y compris pour prier.

Monsieur Tchou s’est ébroué, dans un bruit de voilure qu’on cargue.

– Bien, mon petit Sun Tzu, je crois que nous sommes arrivés à un accord.

Je n’ai rien répliqué. Généralement, ça, ça veut dire que Tchou vient de trouver le dernier alinéa du contrat qu’il vous concocte.

– Tout d’abord on va multiplier par 1,5 comme tu l’as judicieusement proposé… Même moins, je te le vendrai pile au prix que ça me coûte de le faire venir du Mexique…

Je savais que les Triades concentraient leurs labos clandestins de R amp;D en basse Californie, pas loin des grandes universités de la côte Ouest, où elles allaient débaucher de jeunes et brillants étudiants désireux d’aventures, de fric et de l’impression de ne pas faire partie de la Machine.

Mais je devinais que ça cachait quelque chose. Une simple intuition, qui revenait du passé, l’instinct, et l’acquis, la survie, la mémoire.

– … Mais, mon petit Sun Tzu, même si nous savons réinitialiser en partie les neurokits, à ce prix-là, je pourrais carrément être accusé de dumping par mes concurrents du Yakuza…

Oh! merde, je me suis dit, m’attendant au pire.

– Voici donc comment je vois le deal: je te livre le neurokit prix coûtant, et je peux même t’obtenir un ou deux exemplaires de carte vierge, gratuits…

Aie aie aie, monsieur Tchou voulait vraiment quelque chose. J’ai serré les fesses.

– En échange, avec ce neurokit je te demanderais de nous rendre un petit service…

Je fixais un point situé entre le gros Chinois albinos et le faux ciel de nuit qui nous englobait. Quelque chose m’empêchait de respirer, mais je me sentais serein, comme le kamikaze au moment de l’ultime saké.

Je me doutais déjà des grandes lignes de ce qu’on allait me proposer.

Et je savais déjà que j’allais accepter.

Monsieur Tchou était le seul homme de ma connaissance qui pourrait tenir ses promesses, c’est-à-dire me livrer un neurokit pirate “ spécial-carte-à-neuropuce-et-hologramme-fractal ”, vierge, en moins d’une semaine.

En retour, je devais me livrer à une savante opération d’intoxication d’une branche de la mafia russe, établie à Munich.

C’est la raison pour laquelle, en plus des petits CD noirs sur lesquels étaient écrites les lignes de code du logiciel, monsieur Tchou me fournit deux véritables cartes à neuropuce, vierges, avec le petit carré de l’hologramme encore inactif, couleur gris inox, ainsi qu’un gros truc qui ressemblait à un lecteur de cartes, mais muni d’un réseau de Fibroptic qui aboutissait à un petit standard à autocommutateurs, le tout connecté au neuroPc que Youri s’était procuré dans une boutique de Grand Tunnel.

D’après ce que je savais, cette opération d’intox était conduite depuis un moment, et par tout un service secret de monsieur Tchou.

Ce que je devais faire en premier lieu, c’était une fausse carte au nom de monsieur Alexandre Vassilievitch Zinovsky, résident à Prague. Sur un des petits CD à haute densité, j’avais toutes les infos nécessaires, jusqu’à la carte génétique de l’intéressé, que j’allais devoir installer surla neuropuce.

Ensuite, avec cette carte, le lecteur accouplé au standard, et un petit logiciel très pointu, je devais périodiquement donner des ordres de mouvements de fonds, à partir d’un compte dont j’avais tous les codes, sur différentes banques disséminées à travers le globe.

Plus important, ces ordres devaient donner l’impression d’avoir été lancés à partir d’une console standard, dans différentes villes du monde dont j’avais la liste, et selon des horaires ultra-précis. Genre le 14 août, 8 h 35 heure locale, de Tokyo, un ordre de virement pour la Mitsubishi Bank, à Bangkok. J’avais jusqu’à l’adresse des hôtels, et les numéros de téléphone des chambres à partir desquelles ces mouvements de fonds devaient être lancés.

Ce que je comprenais vaguement du puzzle dont je n’étais qu’une pièce aveugle, c’était que la Triade de monsieur Tchou voulait compromettre le dirigeant d’une des mafias russes installées en Europe de l’Est. Z’ont les reins solides dans le coin, les Russkofs. Et depuis un paquet de temps. En Allemagne et dans les pays slaves, ils font obstacle depuis longtemps aux efforts d’implantation des Triades.

Je me suis d’abord concentré sur la carte Zinovsky, question de timing, les opérations commençant dès le début du mois suivant. Ça m’a pris quatre bonnes semaines pour la programmer, cette putain de carte. J’avais vraiment perdu la main, et j’ai failli foirer l’initialisation de la neuropuce, ce qui aurait compromis toute la suite. Je suis arrivé à sortir un hologramme décent dans la nuit qui précédait la première opération, programmée pour 6 heures du mat’ et des poussières, en ce qui me concernait. L’était censé faire un virement de plusieurs millions de Nobels sur un compte brésilien, en nocturne, à partir de Montréal, le père Zinovsky.

Moi, j’ai pas dormi, du coup.

J’ai passé des semaines sous le neurocasque, à me dépatouiller avec les univers virtuels qui me permettaient de programmer la carte, le cerveau bombardé de molécules plus complexes les unes que les autres, afin de pouvoir voyager à l’intérieur des dimensions numériques de la neuropuce.

J’étais plus du tout habitué à ce rythme de dingue, et j’ai dû demander à une IA du réseau, spécialiste agréée en diagnostic médical, de télécharger dans le séquenceur de quoi fabriquer des antidotes, des molécules hautement oxygénées, des vitamines, de l’aspirine en doses industrielles, j’en passe.

Et j’ai réembrayé aussi sec sur la carte de la môme Dakota. J’avais pratiquement épuisé mon délai maximum.

Youri était pas content, pas content du tout. La môme Dakota commençait à piquer ses crises. Il avait pas envie qu’elle fasse sauter tout le réseau du Centre.

Un soir je lui ai dit que je devais passer, parce qu’il me fallait un échantillon de sang et de peau de la gamine, pour les rhésus, les tests anti-viraux et la carte génétique. J’attaquais le gros du boulot, je lui ai dit.

Je me rappelle pas avoir attendu sa réponse.

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