Incidents et fragments, bribes et fractions de temps. Du genre…
– Ce n’est pas une plaisanterie ?
– J’ai bien peur que non.
– J’aurais préféré que ce soit le foutoir pour les raisons que tu connais, dit-elle, les yeux écarquillés, en reculant vers la porte que nous venions de franchir.
– Écoute, ce qui est fait est fait. Il suffit de mettre un peu d’ordre et…
Elle rouvrit la porte en secouant vigoureusement la tête, ce qui fit danser ses magnifiques cheveux longs.
– Tu sais quoi ? Je crois que je vais réfléchir un peu, dit-elle, en reculant vers le couloir.
– Oh ! voyons, Ginny, ce n’est rien de sérieux.
– Comme je viens de te le dire, je vais y réfléchir.
Elle fermait déjà la porte.
– Je t’appelle plus tard, alors ?
– Je ne pense pas.
– Demain ?
– Je vais te dire, je t’appellerai, moi.
Clic.
Merde ! Elle aurait pu aussi bien la claquer. Fin de la Phase Une de mes recherches pour trouver un nouveau colocataire. Hal Sidmore, qui avait partagé l’appartement avec moi pendant un certain temps, s’était marié quelque deux mois plus tôt. Il me manquait, parce que c’était un joyeux compagnon, un bon joueur d’échecs et en général un sacré luron, aussi bien qu’un remarquable exégète dans une foule de domaines. J’avais décidé de chercher quelqu’un d’un peu différent, cette fois. J’avais cru avoir découvert cette qualité indéfinissable chez Ginny, une nuit, alors que je grimpais sur la tour de radio, derrière le bâtiment des Pi Phi et qu’elle se livrait à ses dernières ablutions dans sa chambre, au quatrième étage. Les choses avaient marché comme sur des roulettes après ça. J’avais fait sa connaissance sur la terre ferme, nous faisions des choses ensemble depuis plus d’un mois et je venais de la persuader d’envisager un changement de résidence pour le prochain semestre. Et puis ça !
« Sacré bon Dieu ! » décidai-je, en donnant un coup de pied dans un tiroir renversé. Inutile d’essayer de la rattraper maintenant. Il valait mieux ranger, lui laisser le temps de se remettre et la voir demain.
On n’y avait pas été de main morte, on avait fouillé partout. On avait même bougé les meubles et enlevé les taies des coussins. Je poussai un soupir en contemplant le spectacle. C’était pire qu’après la plus orgiaque des beuveries. C’était vraiment le moment pour venir me cambrioler et tout casser ! Ce n’était pas un quartier chic mais c’était quand même loin d’être pouilleux. Ce genre de choses ne m’était jamais arrivé, et il fallait que ce soit juste à ce moment-là ! Pour effrayer ma souple et chaude compagne ! En plus, on avait dû sûrement me voler quelque chose.
Il y avait de l’argent liquide et quelques objets vaguement précieux dans le premier tiroir du secrétaire de ma chambre. J’avais aussi enfoui, dans un coin, un rouleau de billets au fond d’une vieille botte sur une étagère. J’espérais que le vandale s’était contenté du contenu du tiroir. C’était le but de cette idée pour le moins banale.
J’allai vérifier.
Ma chambre était en meilleur état que le living-room, mais elle avait subi quand même quelques déprédations. Le couvre-lit et les draps avaient été arrachés et le matelas était de biais. Deux des tiroirs du secrétaire étaient ouverts mais pas renversés. Je traversai la pièce, ouvris le tiroir du haut et regardai dedans.
Tout était en place, même l’argent. J’allai jusqu’à l’étagère, mis la main dans la botte. Le rouleau de billets était encore où je l’avais laissé.
– Voilà un brave garçon ! Jetez donc ça ici ! dit une voix familière que je n’arrivais pas tout à fait à placer dans ce contexte.
Je me retournai et vis Paul Byler, professeur de géologie, émerger de mon placard. Les mains vides. Non pas qu’il ait besoin d’une arme pour appuyer ses menaces. Tout en étant petit, il était puissamment bâti et j’avais toujours été impressionné par le nombre de cicatrices qui ornaient ses jointures. Il était australien et avait commencé sa carrière comme ingénieur dans des endroits pour le moins dangereux, avant de se décider à passer une licence de géologie et de physique, puis d’enseigner.
J’avais toujours été en excellents termes avec cet homme, même après avoir abandonné la géologie comme matière principale. Je l’avais rencontré plusieurs fois dans des soirées. Mais je ne l’avais pas vu depuis quelques semaines parce qu’il avait pris des vacances. Je croyais même qu’il était parti.
Ainsi donc :
– Paul, que se passe-t-il ? Ne me dites pas que c’est vous le responsable de tout ce désastre ? demandai-je.
– La botte, Fred. Passez-moi simplement la botte.
– Si vous avez besoin de liquide, je serai ravi de vous en prêter.
– La botte !
Je m’avançai pour la lui donner et l’observai tandis qu’il plongeait la main dedans et retirai mon rouleau de billets. Il l’ignora superbement et me lança la botte et l’argent, très fort Je laissai tomber l’un et l’autre parce que je les avais reçus en plein estomac.
Avant même que j’ai le temps d’achever un bref juron, il me prit par les épaules, me fit pivoter et me poussa dans un fauteuil, à côté de la fenêtre ouverte dont les rideaux étaient agités d’une légère brise.
– Je ne veux pas de votre argent, Fred, dit-il en me regardant d’un œil furieux. Je veux quelque chose que vous avez et qui m’appartient. Il vaudrait mieux me dire la vérité : savez-vous de quoi je parle ou non ?
– Je n’en ai pas la moindre idée, répondis-je. Je n’ai rien qui vous appartienne. Vous auriez pu m’appeler pour me le demander. Ce n’était pas la peine de venir chez moi comme ça et de…
Il me donna une gifle. Pas spécialement forte. Juste assez pour me secouer et me faire taire.
– Fred, dit-il, fermez-la. Fermez-la et écoutez. Répondez quand je pose une question. C’est tout. Gardez vos commentaires pour une autre fois. Je suis pressé. Je sais que vous mentez parce que j’ai déjà été voir votre copain Hal. Il dit que c’est vous qui l’avez parce qu’il l’a laissée ici quand il a déménagé. Je parle de l’une des copies de la pierre des étoiles qu’il a emportée après une partie de poker dans mon labo. Vous vous rappelez ?
– Oui, dis-je. Si vous m’aviez simplement appelé pour me demander…
Il me gifla une nouvelle fois.
– Où est-elle ?
Je secouai la tête en partie pour m’éclairer les idées, en partie en signe de dénégation.
– Je… je ne sais pas, dis-je.
Il leva la main.
– Attendez ! Je vais vous expliquer. Ce truc que vous lui avez donné, il l’avait mis sur son bureau ; il s’en servait comme presse-papiers. Je suis sûr qu’il l’a emmené avec lui, avec tout son barda – quand il a déménagé. Je ne l’ai pas vu depuis plusieurs mois. J’en suis absolument certain.
– Eh bien, l’un de vous deux ment, dit-il, et c’est vous que j’ai sous la main.
Il leva le bras mais cette fois, j’étais prêt. Je l’évitai et lui lançai un coup de pied dans le bas-ventre.
Ce fut spectaculaire. Ça valait presque la peine de rester pour contempler le spectacle, parce que je n’avais encore jamais donné de coup de pied dans le bas-ventre de quelqu’un. La chose la plus rationnelle à faire ensuite était de le frapper sur la nuque, de préférence avec le coude. Mais je n’étais pas dans mon état le plus rationnel à ce moment-là. Pour être tout à fait honnête, l’homme me faisait peur. J’étais terrifié à l’idée de m’approcher de lui. N’ayant que peu d’expérience dans le domaine des personnes touchées au bas-ventre, je n’avais aucune idée du temps qu’il lui faudrait pour se redresser et me sauter dessus.
C’est la raison pour laquelle je résolus de me fier à mon élément plutôt que de rester là pour l’affronter.
Je sautai par-dessus le bras du fauteuil, ouvris la fenêtre en grand et fus dehors en un instant. J’avançai le long du rebord étroit qui courait le long du mur et m’accrochai à la descente d’eau, à quelques deux mètres sur la droite.
Je pouvais poursuivre mon chemin latéralement, descendre ou monter. Mais je décidai de rester là où j’étais. Je me sentais en sécurité.
Peu de temps après, sa tête émergea par la fenêtre, se tourna dans ma direction. Il étudia la largeur du rebord et me lança quelques jurons bien sentis. J’allumai une cigarette et souris.
– Qu’est-ce que vous attendez ? dis-je, tandis qu’il essayait de reprendre son souffle. Allons, venez. Il se peut que vous soyez plus fort que moi, Paul, mais si vous venez jusqu’ici, soyez certain qu’il n’y aura qu’un seul d’entre nous qui en reviendra. C’est du béton en bas. Allons, venez. Assez de belles paroles. Passez aux actes.
Il prit une profonde inspiration et s’agrippa plus fort au rebord de la fenêtre. L’espace d’une seconde, je crus qu’il allait vraiment essayer. Mais il regarda vers le bas avant de lever les yeux vers moi.
– Très bien, Fred, dit-il, en prenant une voix professorale, je ne suis pas aussi fou. Vous avez gagné. Mais écoutez-moi, de grâce. Ce que j’ai dit est vrai. Il faut que je retrouve cette pierre. Je n’aurais pas agi de cette manière si ce n’était pas important. Je vous en prie, dites-moi si vous m’avez dit la vérité ?
Je sentais encore ses claques et je n’avais pas envie de me montrer un brave garçon. D’un autre côté, il fallait vraiment que ce soit important pour lui pour qu’il se soit conduit de cette manière, et je n’avais rien à gagner à ne pas lui répondre. Alors :
– C’était la vérité, dis-je.
– Et vous n’avez aucune idée de l’endroit où elle pourrait être ?
– Pas la moindre.
– Est-ce que quelqu’un aurait pu la prendre ?
– Facilement.
– Qui ?
– N’importe qui. Vous savez bien comment ça se passait chez nous. On était quelquefois trente à quarante personnes là-dedans.
Il hocha la tête et grinça des dents.
– Très bien, dit-il, je vous crois. Essayez quand même de réfléchir. Vous ne vous souvenez pas de quelque chose – n’importe quoi – qui pourrait me donner une piste ?
Je secouai la tête.
– Désolé.
Il soupira, ses épaules s’affaissèrent et il regarda dans le vague.
– Okay, dit-il finalement. Je m’en vais maintenant. Je suppose que vous avez l’intention d’appeler la police ?
– Oui.
– Eh bien, je ne suis pas en position de vous demander une faveur ni de vous menacer, en ce moment. Mais je vous préviens – et c’est à la fois une requête et un avertissement – je pourrais prendre des mesures de représailles. Ne les appelez pas. J’ai assez d’ennuis comme ça pour ne pas les avoir sur le dos, eux aussi.
Il rentra la tête.
– Attendez, dis-je.
– Quoi ?
– Peut-être que si vous me disiez quel est le problème…
– Non. Vous ne pouvez pas m’aider.
– Supposons que je retrouve ce truc par hasard. Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ?
– Si cela devait arriver, mettez la pierre en lieu sûr et gardez-vous de dire à qui que ce soit qu’elle est en votre possession. Je vous appellerai à intervalles réguliers. Vous me tiendrez au courant.
– Qu’est-ce qu’elle a de si important ?
– Hum ! hum ! dit-il. Et il était parti.
On murmura une question derrière moi : « ME VOYEZ-VOUS, RED ? » – je me retournai mais il n’y avait personne. J’avais encore la tête qui résonnait des coups que j’avais encaissés. Je décidai que c’était décidément une mauvaise journée et grimpai sur le toit pour réfléchir un peu. Plus tard, un hélicoptère de surveillance m’envoya un message pour me demander si j’avais des intentions suicidaires. Je répondis au flic que je replaçais des tuiles, ce qui sembla le satisfaire.
Suite des fragments et incidents :
– J’ai vraiment essayé de te téléphoner. Trois fois, dit-il, en vain.
– As-tu envisagé la possibilité de venir me voir en personne ?
– J’étais sur le point de le faire. À l’instant même. Mais tu es arrivé avant.
– Tu as appelé la police ?
– Non. J’ai une femme, figure-toi, qui m’est aussi chère que moi-même.
– Je vois.
– Et toi, tu les a appelés ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Je n’en suis pas sûr. Je suppose que c’est parce que j’aimerais comprendre un peu ce qui se passe avant de le faire piquer.
Hal hocha la tête, une tête avec un œil au beurre noir, couverte de sparadrap.
– Et tu penses que je sais quelque chose que tu ne sais pas ?
– C’est exact.
– Eh bien, je n’en sais pas plus que toi, dit-il, en prenant une gorgée de thé glacé avec une crispation de douleur et en y remettant du sucre. Quand j’ai ouvert la porte, il était là. Je l’ai laissé entrer et il a commencé à me parler de cette satanée pierre. Je lui ai dit tout ce dont je me souvenais mais il n’était toujours pas satisfait. C’est alors qu’il a commencé à me tabasser.
– Et alors, que s’est-il passé ?
– Quelques événements me sont revenus à l’esprit.
– Oh ! oh ! Par exemple, que c’était moi qui l’avais – ce qui n’est pas vrai – pour qu’il vienne me tabasser à mon tour et te laisse tranquille.
– Non, ce n’est pas du tout ça, dit-il. Je lui ai dit la vérité. Que je l’avais laissée là-bas quand j’ai déménagé. Quant à ce qu’elle est devenue par la suite, je n’en ai aucune idée.
– Où l’as-tu laissée ?
– La dernière fois que je l’ai vue, elle était sur le bureau.
– Pourquoi ne l’as-tu pas emmenée avec toi ?
– Je ne sais pas. J’en avais marre de la voir, je suppose.
Il se leva, se mit à marcher de long en large, s’arrêta, regarda par la fenêtre. Mary n’était pas là, elle suivait un cours, ce qu’elle faisait aussi l’après-midi où Paul était passé, avait eu sa conférence avec Hal et suivi la piste qui menait chez moi.
– Hal, dis-je, est-ce que tu me dis la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ?
– Je t’ai dit tout ce qui était important.
– Et allez donc !
Il se retourna, me regarda, puis détourna les yeux.
– Eh bien, dit-il, il prétend que la pierre que nous avions est à lui.
J’ignorai le « nous ».
– Elle l’était, dis-je, avant. Mais j’étais là quand il te l’a donnée. Changement de propriétaire.
Mais Hal secoua la tête.
– Pas si simple, dit-il.
– Oh ! oh !
Il revint s’asseoir devant son thé glacé. Tapota la table, avala une gorgée, me regarda de nouveau.
– Non, dit-il, tu vois, celle que nous avions était vraiment la sienne. Tu te souviens de cette soirée où il nous l’a donnée ? On a joué aux cartes jusqu’à une heure assez tardive. Les six pierres se trouvaient sur une étagère au-dessus de la table. On les avait remarquées tout de suite et on lui a demandé plusieurs fois ce que c’était. Pour toute réponse, il souriait, prenait un air mystérieux ou changeait de sujet. Puis, comme la soirée se prolongeait et qu’il buvait pas mal en jouant, il s’est mis à nous en parler et il nous a dit ce que c’était.
– Je m’en souviens, dis-je. Il nous a dit qu’il était allé voir la pierre des étoiles qu’on venait de recevoir cette semaine-là des extra-terrestres et qui était exposée à New York. Il avait pris des centaines de photos, avec toutes sortes de filtres, rempli un carnet entier d’observations, rassemblé toutes les informations qu’il avait pu. Puis il avait entrepris de faire une copie de la chose. Il nous a expliqué qu’il cherchait un moyen de les produire à bon marché pour les vendre comme souvenirs. La demi-douzaine de pierres qui se trouvait sur l’étagère représentait les meilleurs résultat obtenus jusqu’à présent. Il trouvait que c’était de fort bonnes copies.
– Exact. Puis j’ai remarqué qu’il y en avait plusieurs autres au rebut, dans la corbeille métallique, à côté de la table. J’ai pris une des meilleures et je l’ai examinée à la lumière. C’était une jolie chose, exactement comme les autres. Paul a souri quand il m’a vu et a dit : « Elle vous plaît ? » Je lui ai répondu oui et il m’a dit : « Eh bien, vous pouvez la prendre. »
– Et tu l’as prise. C’est bien ce dont je me souviens aussi.
– Oui, mais ce n’est pas fini, dit-il. Je l’ai prise et je l’ai posée sur la table, près de mon argent – et à chaque fois que je prenais de l’argent, je la regardais automatiquement. Au bout d’un moment, je me suis aperçu qu’il y avait un léger défaut, une petite imperfection à la base de l’un des bras. Tout à fait insignifiante, mais elle m’irritait de plus en plus à chaque fois que je regardais la pierre. Alors, quand vous êtes sortis tous les deux, un peu plus tard, pour aller chercher de la bière fraîche et des sodas, je l’ai échangée contre l’une de celles qui se trouvaient sur l’étagère.
– Je commence à comprendre.
« O. K. ! O. K. ! Je n’aurais probablement pas dû le faire. Je n’y ai pas vu de mal sur le moment. Ce n’était que des prototypes qu’il avait faits pour s’amuser et la différence n’était même pas visible à moins qu’on y regarde de très près.
– Mais lui l’a vue tout de suite.
– Ce qui était une bonne raison pour qu’il considère que les copies sur l’étagère étaient parfaites et qu’il ne les regarde plus. Et puis, qu’est-ce que ça pouvait lui faire vraiment ? Même s’il n’avait pas les six, ses résultats étaient satisfaisants.
– Ça me paraît étrange, en effet, je te l’accorde. Mais le fait est qu’il a vérifié – et il semble aussi qu’elles avaient plus d’importance qu’il ne l’avait indiqué. Je me demande pourquoi ?
– J’y ai beaucoup réfléchi, dit-il. La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est que cette affaire de souvenirs n’était qu’une histoire qu’il a inventée, parce qu’il voulait nous les montrer et qu’il fallait bien qu’il raconte quelque chose. Supposons que quelqu’un de l’O. N. U. lui ai demandé de faire une copie – plusieurs copies – pour eux ? L’original n’a pas de prix, il est irremplaçable, et il est exposé en public. Pour le protéger contre les voleurs ou un fou armé d’un marteau, il semblerait que le plus sage soit de l’enfermer dans un coffre-fort et de mettre une copie à la place. Dans ce cas, Paul est exactement le type qu’il faut. On ne peut pas parler de cristallographie sans prononcer son nom.
– Cette hypothèse n’est pas sans intérêt, dis-je, mais tout ça ne tient pas debout. Pourquoi montre-t-il tant d’intérêt pour ce spécimen imparfait, alors qu’il aurait pu tout simplement en faire un autre ? Pourquoi ne pas mettre une croix tout simplement sur celui que nous avons perdu ?
– Question de sécurité ?
– Dans ce cas, ce n’est pas nous qui sommes coupables, c’est lui. Pourquoi nous taper dessus et nous rappeler l’existence de cette pierre, alors qu’il était bien plus simple de nous laisser oublier toute l’histoire ? Non, il y a quelque chose qui ne va pas.
– Très bien, alors, quoi ?
Je haussai les épaules.
– Manque d’informations, dis-je en me levant, si tu te décides à appeler la police, n’oublie pas de leur dire que le truc qu’il cherchait, c’est toi qui le lui as volé.
– Oh ! Fred, c’est vraiment ce qu’on appelle un coup bas.
– Mais c’est vrai. Je me demande quelle était la valeur intrinsèque de ce truc. J’ai oublié où finit le délit et où commence le crime.
– O. K. Tu as raison. Et alors ? Qu’est-ce que tu vas faire ?
Je haussai les épaules :
– Rien, je suppose. Attendre pour voir ce qui va se passer. Préviens-moi si tu as une meilleure idée.
– Très bien. Toi aussi ?
– Oui.
Je me dirigeai vers la porte.
– Tu es sûr que tu ne veux pas rester pour dîner ? dit-il.
– Non merci. Il faut que je file.
– À bientôt alors.
– D’accord. Et ne te fais pas trop de mouron.
Je passai devant une boulangerie fermée. Jeux de lumières sur la vitre dans la nuit, ME SENS-TU, BRED ? lus-je. J’hésitai, me retournai, aperçus l’ombre de lettres mal effacées annonçant le gâteau du jour, reniflai et poursuivis rapidement mon chemin.
Bribes et fractions…
Vers minuit, alors que j’essayais un nouveau chemin pour monter en haut de la cathédrale, je crus voir une gargouille de plus. En m’approchant de plus près, je découvris qu’il s’agissait du professeur Dobson, assis sur un contrefort. Ivre une fois de plus, et comptant les étoiles, je suppose.
Je m’installai sur une corniche non loin de lui.
– Bonsoir, professeur.
– Hello, Fred. C’est bien vous, n’est-ce pas ? Belle nuit. J’espérais que vous alliez passer par là. Buvez un coup.
– Seuil de tolérance un peu bas, dis-je. Je m’adonne rarement à ce sport.
– Occasion spéciale, suggéra-t-il.
– Eh bien, une gorgée alors.
J’acceptai la bouteille qu’il me tendit, avalai une gorgée.
– Délicieux. Très bon, dis-je en lui repassant la bouteille. Qu’est-ce que c’est ? Et quelle est l’occasion ?
– Un cognac très, très spécial. Ça fait vingt ans que je le garde pour cette nuit. Les étoiles ont enfin atteint leur apogée pour se disposer en formation élégante, porteuses d’un noble présage.
– Que voulez-vous dire ?
– Je prends ma retraite. Je me retire de cette foire d’empoigne.
– Oh ! félicitations. Je n’en savais rien.
– C’est à dessein. Le mien. Je ne supporte pas les adieux officiels. Encore quelques ficelles à nouer et je serai fin prêt. La semaine prochaine, probablement
– Eh bien, j’espère que vous en profiterez. Ce n’est pas si souvent que je rencontre quelqu’un qui partage le même intérêt. Vous me manquerez.
Il avala une gorgée de sa bouteille, hocha la tête, resta silencieux. J’allumai une cigarette, laissai mon regard errer sur la ville endormie, sur les étoiles. La nuit était fraîche, la brise chargée d’humidité. Les bruits de la circulation nous parvenaient par instants, distants comme des bruissements d’insectes. De temps à autre, une chauve-souris interrompait ma contemplation.
– Alkaïd, Mizar, Alioth, murmurai-je, Mégrez, Phecda…
– Mérak et Dubhe, acheva-t-il, complétant la Grande Ourse et me surprenant à la fois parce qu’il m’avait entendu et qu’il connaissait le reste.
– Là où je les ai laissées il y a tant d’années, poursuivit-il. J’éprouve un curieux sentiment, en ce moment – que j’essayais d’analyser cette nuit. Avez-vous jamais repensé à un moment de votre passé au point qu’il devienne si vif que toutes les années qui lui furent ultérieures semblent soudain brèves, floues, impersonnelles – comme les fluctuations d’un après-midi de mai soumises à la routine ?
– Non, répondis-je.
– Un jour, si cela vous arrive, rappelez-vous – le cognac, dit-il, et il prit une autre gorgée avant de me passer la bouteille.
Je bus et la lui rendis.
– Ils ont quand même passé sournoisement, ces milliers de jours. Pas à pas, reprit-il. Je le comprends intellectuellement, bien que quelque chose en moi le nie en ce moment. J’en suis particulièrement conscient, parce que je ressens tout spécialement la différence entre ce moment passé et le présent. Il a été cumulatif, ce changement. Voyages dans l’espace, villes sous la mer, découvertes médicales – même notre premier contact avec les extra-terrestres –, toutes ces choses se sont passées à différentes époques et rien ne semblait changer quand elles se sont produites. Pas à pas. La vie est restée pratiquement inchangée, mais dans un domaine, une chose nouvelle est apparue. Puis une autre, à un autre moment. Puis encore une autre. Pas de révolution brutale. Mais un processus accumulatif. Et puis soudain, on arrive à l’âge de la retraite, et cela prête à réflexion. Je repense à ma vie, quand j’étais à Cambridge, quand j’étais un jeune homme qui grimpait sur les toits. Je voyais ces étoiles, je sentais le toit sous mes pieds. Tout ce qui suit est flou, comme un kaléidoscope monochrome. Je suis ici et je suis là-bas. Tout le reste est irréel. Mais ce sont deux mondes différents, Fred – deux mondes complètement différents – et je n’ai pas vraiment vu comment c’était arrivé, je n’ai jamais, en fait, surpris la montée de l’un ou la disparition de l’autre. Voilà le sentiment qui m’envahit cette nuit.
– Est-ce un bon ou un mauvais sentiment ? demandai-je.
– Je ne le sais pas vraiment. Je n’ai pas encore mis un nom sur l’émotion qui pourrait l’accompagner.
– Prévenez-moi quand vous aurez trouvé. Vous m’intriguez.
Il étouffa un petit rire. Moi aussi.
– Vous savez, dis-je, c’est drôle que vous n’ayez jamais cessé de grimper.
Il resta silencieux pendant un moment, puis dit :
– À propos de grimper, c’est plutôt particulier… Bien entendu, c’était en quelque sorte une tradition là où j’étais étudiant, niais je crois que j’aimais ça plus que les autres. J’ai continué pendant plusieurs années après avoir quitté l’université, et puis cette occupation est devenue plus sporadique avec les changements de résidence et le manque d’occasions. Mais j’éprouvais des envies – presque compulsives, en réalité –, et il fallait soudain que j’escalade. Je prenais alors des vacances dans des endroits où l’architecture était appropriée et je passais mes nuits à escalader les buildings, à grimper sur les toits, les flèches.
– Acrophilie, dis-je.
– Exact. Mais le fait de donner un nom à une chose ne l’explique pas. Je n’ai jamais compris pourquoi je le faisais. Je ne le sais toujours pas, d’ailleurs. J’ai pourtant cessé pendant un long moment. Changement hormonal dû au vieillissement, peut-être. Qui sait ? Puis je suis venu ici pour enseigner. Quand j’ai entendu parler de vos activités, je me suis mis à y repenser. Ce qui a amené le désir, l’acte, le retour de la compulsion. Elle ne m’a jamais quitté depuis. J’ai passé plus de temps à me demander pourquoi on cessait d’escalader qu’à essayer de savoir pourquoi on commençait à le faire.
– Ce qui me semble naturel.
– Exactement.
Il avala une autre gorgée, m’offrit la bouteille. J’aurais bien voulu accepter mais je connais mes limites, et, assis là, sur ma corniche, je n’avais pas envie de les dépasser. Il leva alors la bouteille vers le ciel, « A la dame au sourire ! », dit-il en buvant à ma place.
– Aux cailloux de l’empire !, ajouta-t-il, un moment plus tard, en levant la bouteille vers une autre portion du ciel. Du mauvais côté, mais ça n’avait pas d’importance. Il savait aussi bien que moi que c’était quand même en deçà de l’horizon.
Il se ré-installa confortablement, trouva un cigare, l’alluma et se mit à rêver :
– Combien d’yeux ont-ils par tête, je me demande, sur l’astre où ils contemplent Mona Lisa ? Sont-ils à facettes ? Sont-ils fixes ? Et de quelle couleur ?
– Seulement deux. Vous le savez bien. Et plutôt noisette – sur les photos en tout cas.
– Faut-il que vous détruisiez toute rhétorique romantique ? En outre, les Astabigans reçoivent beaucoup de visiteurs d’autres mondes qui ne doivent pas manquer d’aller regarder la merveille.
– Exact. Et à ce propos, les bijoux de la Couronne britannique sont entre ies mains d’êtres aux pupilles en forme de croissant. Tirant sur la lavande, je crois.
Une étoile filante glissa vers la terre. Mon mégot suivit le même chemin.
– Je me demande si cet échange commercial est juste, dit-il. Nous ne comprenons pas la machine de Rhennius, et même les extra-terrestres ne sont pas certains de ce que représente la pierre des étoiles.
– Ce n’est pas exactement un échange commercial.
– Deux des trésors de la Terre sont entre leurs mains et nous avons deux des leurs en retour. Comment voulez-vous appeler ça ?
– Un maillon dans la chaîne du koula, dis-je.
– Le terme ne m’est pas familier. Expliquez-moi.
– Le parallèle m’a frappé quand j’ai lu en détails le marché qu’on nous offrait. Le koula est une sorte de voyage cérémoniel entrepris à des époques variées par les habitants d’un groupe d’îles à l’est de la Nouvelle-Guinée – les Trobriandais, les Papous de Mélanésie. C’est une espèce de double circuit, un mouvement dans deux directions opposées entre les îles. Le but en est d’échanger des articles qui ne possèdent pas de valeur fonctionnelle particulière pour les différentes tribus concernées, mais qui sont chargés d’une grande signification culturelle. En général, ce sont des ornements corporels – colliers, bracelets – qui portent un nom particulier et sont riches d’histoire. Ils se déplacent lentement selon un vaste circuit dans les différentes îles, et, en même temps, leur histoire s’enrichit. On les échange avec une pompe considérable, au cours de grandes cérémonies. Ils ont pour fonction de cristalliser l’enthousiasme culturel, de stimuler l’unité avec un sens d’obligation et de confiance réciproques. La similitude entre le koula et le programme d’échanges que nous avons établi avec les extra-terrestres me semble pour le moins évidente. Les objets sont à la fois des otages culturels et des symboles honorifiques pour ceux qui en ont la garde. Leur existence, leur circulation, leur exposition créent inévitablement un certain sentiment de solidarité. C’est le véritable but de la chaîne du koula, telle que je l’entends. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas aimé le terme « commercial ».
– Très intéressant. Aucun des rapports que j’ai entendus ou lus ne l’ont présenté sous cette lumière – et ils ne l’ont certainement pas comparé au phénomène du koula. Ils l’ont plutôt défini comme une sorte de cotisation qu’il fallait payer pour entrer dans le club galactique, le prix de notre admission pour profiter des bénéfices commerciaux et des échanges d’idées.
– Ce n’était que du bourrage de crâne pour éviter les protestations qu’aurait pu entraîner la donation de trésors culturels. Tout ce qu’on nous a promis, c’est la réciprocité dans la chaîne des échanges. Je suis certain que les autres finiront par se produire, mais pas nécessairement comme un résultat direct. Non. Nos gouvernements se livrent à la pratique millénaire qui consiste à donner au peuple une explication simple, agréable, d’un processus complexe.
– Je comprends, dit-il, en s’étirant et en bâillant. En fait, je préfère votre interprétation à la version officielle.
J’allumai une autre cigarette.
– Merci, dis-je. Je me sens obligé de souligner que j’ai toujours cherché des explications que je trouve esthétiquement plaisantes. L’étendue cosmique de la chose – une chaîne du koula interstellaire – affirmant les différences et en même temps soulignant les similitudes de toutes les races intelligentes de la galaxie – les liant, les menant à la construction de traditions communes… J’avoue que l’idée me plaît beaucoup.
– C’est bien évident, dit-il, puis indiquant d’un large geste les hauteurs de la cathédrale, dites-moi, est-ce que vous allez grimper jusqu’en haut, ce soir ?
– Probablement. Dans un petit moment. Pourquoi ? Vous voulez partir maintenant ?
– Non, non. Simple curiosité. En général, vous allez jusqu’en haut, n’est-ce pas ?
– Oui. Pas vous ?
– Pas toujours. En fait, depuis quelque temps, je m’en tiens aux hauteurs médianes. La raison pour laquelle je vous ai demandé cela, c’est que j’ai une question à vous poser, puisque je vois que vous êtes d’humeur philosophique.
– C’est contagieux.
– Très bien. Alors, dites-moi ce que vous ressentez quand vous atteignez le sommet.
– Une sorte d’exaltation, je suppose. Un sentiment d’accomplissement, ou quelque chose de ce genre.
– Là-haut, la vue est plus dégagée. On peut voir plus loin, embrasser une plus grande portion du paysage. Est-ce cela, je me le demande ? Une meilleure perspective ?
– En partie, peut-être. Mais il y a toujours autre chose quand j’atteins le sommet : je veux aller encore un peu plus haut, et j’ai l’impression que je peux presque y parvenir, que je suis sur le point d’y parvenir.
– Oui, c’est vrai, dit-il.
– Pourquoi m’avez-vous demandé cela ?
– Je ne sais pas. Pour qu’on me le redise, peut-être. Ce garçon à Cambridge aurait dit la même chose, mais je l’avais en partie oublié. Ce n’est pas uniquement le monde qui a changé.
Il avala encore une gorgée.
– Je me demande aussi, dit-il, comment ça s’est passé vraiment, cette première rencontre là-haut avec les extra-terrestres ? Difficile de croire que plusieurs années ont passé depuis. Les gouvernements ont probablement gonflé l’histoire à notre avantage, de sorte que nous ne saurons jamais exactement ce qui s’est vraiment dit ou fait. Pure coïncidence : aucun des deux ne connaissait le système où nous nous sommes rencontrés. Mission d’exploration, c’est tout. Sans nul doute, le choc a été moins grand pour eux que pour nous, puisqu’ils connaissaient déjà tant d’autres races à travers la galaxie. Et pourtant.. Je me souviens de ce retour inattendu. Mission accomplie. Un demi-siècle d’avance sur le programme. Nos explorateurs accompagnés d’un vaisseau spatial Astabigan de recherches. Quand un objet atteint la vitesse de la lumière, il se transforme en citrouille. Tout le monde sait cela. Mais les extra-terrestres ont trouvé un moyen de contourner l’obstacle, par-dessus, ou par-dessous. Quelque chose comme ça. Et ils ont ramené notre vaisseau. Une montagne de réflexions pour le département de maths. Étrange sentiment. Pas du tout ce que j’avais imaginé. C’est un peu comme si on escaladait une montagne ou un pic – vraiment difficile – et que, quand on approche du sommet, quand on sait qu’on va y arriver, on lève les yeux pour constater qu’il y a déjà quelqu’un sur la cime. Ainsi, nous avons rencontré une civilisation galactique – une confédération assez lâche de races qui existe depuis des millénaires. Peut-être avons-nous eu de la chance. Cela aurait facilement pu prendre encore quelques siècles de plus. Ou peut-être que non. Mes sentiments n’étaient pas clairs à l’époque, et ils ne le sont toujours pas. Comment peut-on avoir envie de se dépasser après une rencontre aussi démoralisante ? Ils nous ont donné les techniques pour que nous puissions construire nous-mêmes des vaisseaux qui ne se transforment pas en citrouille. Mais il nous ont également interdit l’accès à un certain nombre d’astres. Ils nous ont accordé une place dans leur programme d’échanges, où, obligatoirement, nous allons faire figure de parent pauvre. Les changements vont se produire à une cadence accélérée dans les années à venir. Le monde peut lui-même changer à un rythme considérable. Que va-t-il se passer ? Une fois que nous aurons perdu notre rythme à nous, il se peut que tout le monde en arrive à être aussi perdu qu’un vieux grimpeur ivrogne sur une cathédrale, à qui on a octroyé le droit de jeter un petit coup d’œil sur les engrenages du temps, qui le lient lui, ici, aux tours de Cambridge, là-bas. Et alors ? Entrevoir le rouage principal et se transformer en citrouille ? Prendre sa retraite ? Alkaïd, Mizar, Alioth, Mégrez, Phecda, Mérak et Dubhe… Ils y ont été. Ils les connaissent. Peut-être qu’au plus profond de mon cœur, j’aurais voulu que nous soyons seuls dans le cosmos – pour que tout cela nous appartienne. Ou que nous rencontrions des extra-terrestres un peu moins avancés que nous, en tout. Cupides, fiers, égoïstes… Vrai. Maintenant que nous sommes les provinciaux, que Dieu nous protège ! Il en reste assez pour boire à votre santé. Bien ! Je bois à vous ! Je crache à la face du Temps qui m’a transfiguré !
Sur le moment, comme je ne trouvais rien à dire, je me tus. Une partie de moi était d’accord avec lui, mais seulement une partie. À ce propos, une partie de moi souhaitait presque aussi qu’il n’ait pas terminé la bouteille de cognac.
Au bout d’un moment, il dit : « Je ne pense pas que je vais poursuivre mon escalade ce soir. », et je reconnus que c’était une bonne idée. J’avais décidé de m’abstenir, moi aussi, de hauteurs plus élevées, et, faisant demi-tour, nous prîmes un raccourci pour descendre, contourner, descendre. Et je raccompagnai le brave homme jusque devant sa porte.
Bribes et fractions. Fractions :
J’attrapai la fin des dernières dernières nouvelles, avant de m’endormir. Je pris ainsi connaissance d’un élément plutôt révélateur concernant un certain Paul Byler, professeur de géologie, attaqué par des vandales, à Central Park, dans la soirée, qui, en plus de l’argent qu’il avait sur lui, avait été dépouillé par les bandits de son cœur, de son foie, de ses reins et de ses poumons.
Une vague dans la cavité obscure de mon cervelet déversa plus tard des rêves, des images, résistants à l’introspection, comme un tourbillon de vers luisants, à l’extrême limite de la conscience, à l’exception de ce ME SENS-TU, LED ? kinesthé-sique/synesthésique, qui avait dû durer un temps inestimable-ment plus long que le reste, car, plus tard, mon troisième café du matin le fit réapparaître, pendant un bref instant, sous la forme d’un dessin coloré.