Comme un plant de maïs déplanté de sa terre
Une vieille coquille oubliée par la mer
A côté de la vie
Je me tourne vers toi qui a osé m'aimer.
Viens avec moi, partons, je voudrais retrouver
Les traces de la nuit.
Le matin était clair et absolument beau;
Tu voulais préserver ton indépendance.
Je t'attendais en regardant les oiseaux:
Quoi que je fasse, il y aurait la souffrance.
Après-midi de fausse joie,
Et les corps qui se désunissent.
Tu n'as plus très envie de moi,
Nos regards ne sont plus complices.
Oh! la séparation, la mort
Dans nos regards entrecroisés.
La lente désunion des corps,
Ce bel après-midi d'été.
Les petits objets nettoyés
Traduisent un état de non-être.
Dans la cuisine, le cœur broyé,
J'attends que tu veuilles reparaître.
Compagne accroupie dans le lit,
Plus mauvaise part de moi-même,
Nous passons de mauvaises nuits
Tu me fais peur. Pourtant, je t'aime.
Un samedi après-midi,
Seul dans le bruit du boulevard.
Je parle seul. Qu'est-ce que je dis?
La vie est rare, la vie est rare.
Pourquoi ne pouvons-nous jamais
Jamais
Etre aimés?
Vivre sans point d'appui, entouré par le vide,
Comme un oiseau de proie sur une mesa blanche.
Mais l'oiseau a ses ailes, sa proie et sa revanche;
Je n'ai rien de tout ça. L'horizon reste fluide.
J'ai connu de ces nuits qui me rendaient au monde,
Où je me réveillais plein d'une vie nouvelle,
Mes artères battaient, je sentais les secondes
S'égrener puissamment, si douces et si réelles.
C'est fini. Maintenant, je préfère le soir.
Je sens chaque matin monter la lassitude,
J'entre dans la région des grandes solitudes,
Je ne désire plus qu'une paix sans victoire.
Vivre sans point d'appui, entouré par le vide,
La nuit descend sur moi comme une couverture,
Mon désir se dissout dans ce contact obscur:
Je traverse la nuit, attentif et lucide.
Le long fil de l'oubli se déroule et se tisse
Inéluctablement. Cris, pleurs et plaintes.
Refusant de dormir, je sens la vie qui glisse
Comme un grand bateau blanc, tranquille et hors d'atteinte.
Cette envie de ne plus rien faire et surtout ne plus rien éprouver
Ce besoin subit de se taire et de se détacher
Au jardin du Luxembourg, si calme,
Etre un vieux sénateur vieillissant sous ses palmes.
Et plus rien du tout, ni les enfants, ni leurs bateaux, ni surtout la musique,
Ne viendrait troubler cette méditation désenchantée et presque ataraxique.
Ni l'amour surtout, ni la crainte.
Ah! n'avoir aucun souvenir des étreintes.
Cet homme a beaucoup lu et beaucoup pardonné;
Il ne peut plus y croire.
Je repense à l'amour que tu m'avais donné;
Il vieillit sans histoire.
Un moment vient toujours où l'on cesse de vivre;
Parfois tôt, parfois tard.
On ne cherche plus vraiment la passion dans les livres
Il est six heures et quart et je suis déjà ivre
Je n'ai plus envie de vivre
Il est six heures et quart.
Que tu m'as fait souffrir, ma triste bien-aimée!
Que de cris, que de larmes…
Me voici maintenant, je suis si fatigué
Il est six heures et quart, j'ai envie de me tuer;
J'ai acheté une arme.
Je n'ai plus le courage de me voir dans la glace.
Parfois je ris un peu, je me fais des grimaces;
Ça ne dure pas longtemps. Mes sourcils me dégoûtent.
J'en arrache une partie; cela forme des croûtes.
Le soir j'entends rentrer la voisine d'en face;
J'en ai le cœur serré, je me fige sur place.
Je ne l'ai jamais vue car je suis très habile,
Je deviens un pantin sardonique et docile.
La nuit tranquillement s'insinue dans la cour;
Derrière mes carreaux je contemple la plante.
Je suis vraiment content d'avoir connu l'amour,
Je me suis démoli pour une chose vivante.
Hier au petit jour j'ai brûlé des photos;
C'était un plaisir neuf, quoique vraiment fugace.
J'ai même envisagé d'écouter la radio;
La musique fait mal et les discours agacent.
Je ne m'indigne plus du silence des choses,
Elles ne parlent qu'à ceux qui vivent parmi elles;
Il y a des êtres humains, leur visage est tout rose,
On dirait des bébés. Fiction émotionnelle.
Dans l'immobilité, le silence impalpable,
Je suis là. Je suis seul. Si on me frappe, je bouge.
J'essaie de protéger une chose sanglante et rouge,
Le monde est un chaos précis et implacable.
Il y a des gens autour, je les sens qui respirent,
Et leurs pas mécaniques se croisent sur le grillage.
J'ai pourtant ressenti la douleur et la rage;
Tout près de moi, tout près, un aveugle soupire.
Cela fait très longtemps que je survis. C'est drôle.
Je me souviens très bien du temps de l'espérance
Et je me souviens même de ma petite enfance
Mais je crois que j'en suis à mon tout dernier rôle.
Tu sais je l'ai compris dès la première seconde
Il faisait un peu froid et je suais de peur
Le pont était brisé, il était dix-neuf heures
La fêlure était là, silencieuse et profonde.
Tout seul au point du jour – solitude sereine
Un manteau de brouillard descend de la rivière
La tristesse a fini par dissiper la haine
Je ne suis déjà plus du monde de la matière.
Hier mon corps scarifié rampait sur les dallages
Et je cherchais des yeux un couteau de cuisine
Du sang devait couler, mon cœur gonflé de rage
Secouait péniblement les os de ma poitrine.
L'angoisse bourgeonneait comme un essaim de vers
Cachés sous l'épiderme, hideux et très voraces;
Ils suintaient, se tordaient. J'ai saisi une paire
De ciseaux. Et puis j'ai regardé mon corps en face.
Tout seul au point du jour – infinie solitude
La rivière charrie des monceaux de cadavres
Je plane à la recherche de nouvelles latitudes
Un caboteur poussif remonte vers Le Havre.
Un matin de soleil rapide,
Et je veux réussir ma mort.
Je lis dans leurs yeux un effort:
Mon Dieu, que l'homme est insipide!
On n'est jamais assez serein
Pour supporter les jours d'automne.
Dieu que la vie est monotone,
Que les horizons sont lointains!
Un matin d'hiver, doucement,
Loin des habitations des hommes.
Désir d'un rêve, absolument,
D'un souvenir que rien ne gomme.
Incapable de nostalgie
J'envie le calme des vieillards
La petite mort dans leurs regards
Leur air en deçà de la vie.
Incapable de m'imposer
J'envie la soif des conquérants
La simplicité des enfants
La façon qu'ils ont de pleurer.
Mon corps tendu jusqu'au délire
Attend comme un embrasement
Un devenir, un claquement;
La nuit je m'exerce à mourir.
Dans ta Renault 5 écarlate,
Tu revenais du cinéma.
Mon cœur, mon cœur, mon cœur éclate;
Je n'ai jamais eu de nana.
Je me haïssais dans la glace
Le samedi soir, à quinze ans.
J'essayais de sauver la face,
Je me prétendais différent.
Pendant ce temps, de mec en mec,
Tu usais l'amour dans ton cœur.
Tu sortais dans les discothèques,
Tu ne croyais plus au bonheur.
On s'est rencontré bien trop tard,
Il faut être jeune pour s'aimer.
Ton passé vit dans ton regard,
Et je ne sais plus pardonner.
Précoce comédien, expert à la souffrance,
J'ai vécu une étrange et pathétique enfance.
Je jouais aux voitures, croyais à l'amitié,
Et malgré moi déjà j'excitais la pitié.
L'agonie des fleurs est brutale
Comme l'envers d'une explosion.
Le pourrissement de leurs pétales
Evoque nos dérélictions.
J'ai grandi au milieu de machines à plaisir
Qui traversaient la vie sans aimer, sans souffrir.
Je n'ai pas renoncé à ce monde idéal
Entraperçu jadis. Et j'ai souvent eu mal.
L'agonie de l'homme est sordide
Comme une lente crucifixion.
On n'arrive pas à faire le vide;
On meurt avec ses illusions.
Ce soir en marchant dans Venise
J'ai repensé à toi, ma Lise.
J'aurais bien aimé t'épouser
Dans la basilique dorée.
Les gens s'en vont, les gens se quittent
Ils veulent vivre un peu trop vite
Je me sens vieux, mon corps est lourd
Il n'y a rien d'autre que l'amour.
Ton regard, bien-aimée, me portait dans l'espace
Tes yeux étaient si tendres et je n'avais plus peur
Au milieu des courants et des cristaux de glace
Le doux flot de la joie faisait battre mon cœur.
Au milieu du danger mon âme était sereine
L'homme déchirait l'homme, plein de hargne et de haine,
Nous vivions un moment redoutable et cruel
Et le monde attendait une parole nouvelle.
Ton regard, mon amour, me portait dans la foule
Et je n'avais plus peur d'affronter les cyniques
Quelquefois, cependant, j'avais la chair de poule
Le mal se propageait comme un choc électrique.
Alors je t'appelais, je te disais: «Je t'aime»
Et tu me promettais qu'il y aurait d'autres jours
Au milieu de la mort, de l'orgueil, du blasphème
Si nous pouvions le faire, nous sauverions l'amour.
Et puis cette nuit vint, une nuit ordinaire
Le soleil se battait, glissait dans les ténèbres
Mes genoux ont plié, je suis tombé par terre
Son baiser était froid, indifférent, funèbre.
Je me suis redressé après quelques secondes
Et j'ai lu dans tes yeux que tu n'aimais personne
Tu glissais vers la vie, tu revenais au monde,
Au chaos sec et dur que la mort emprisonne.
J'ai vu de grands rochers se briser dans le ciel
J'ai vu de longs courants se tordre et se détendre
J'ai vu le grand serpent du monde matériel
Qui étouffait en toi le dernier regard tendre.
Notre amour se brisait comme une maison s'effondre
Jamais on ne viendrait pour relever ses murs
Jamais des cris d'enfants au milieu des décombres
N'éveilleraient les spectres et leur vague murmure.
L'aube vint. J'étais seul. Vers l'Est, de grands nuages
Se tordaient souplement, annonciateurs d'orage.
Je me suis relevé après une longue attente;
J'ai arraché des fleurs de mes deux mains tremblantes;
Très loin, je le savais, l'Eternel Destructeur
Refaisait ses calculs et soupesait mon cœur.
Il y aura des journées et des temps difficiles
Et des nuits de souffrance qui semblent insurmontabl
Où l'on pleure bêtement les deux bras sur la table
Où la vie suspendue ne tient plus qu'à un fil;
Mon amour je te sens qui marche dans la ville.
Il y aura des lettres écrites et déchirées
Des occasions perdues des amis fatigués
Des voyages inutiles des déplacements vides
Des heures sans bouger sous un soleil torride
Il y aura la peur qui me suit sans parler
Qui s'approche de moi, qui me regarde en face
Et son sourire est beau, son pas lent et tenace
Elle a le souvenir dans ses yeux de cristal
Elle a mon avenir dans ses mains de métal
Elle descend sur le monde comme un halo de glace.
Il y aura la mort tu le sais mon amour
Il y aura le malheur et les tout derniers jours
On n'oublie jamais rien, les mots et les visages
Flottent joyeusement jusqu'au dernier rivage.
Il y aura le regret, puis un sommeil très lourd.