4. La route du soleil

Le lendemain, pour des raisons que Kerans ne devait tout à fait comprendre que beaucoup plus tard, le lieutenant Hardman disparut.

Après une nuit d’un profond sommeil sans rêves, Kerans se leva et prit son petit déjeuner vers sept heures. Il resta ensuite une heure sur son balcon, dans un transat, en short de latex blanc ; la lumière du soleil se répandait sur l’eau sombre et baignait son corps maigre, couleur d’ébène. Au-dessus de lui le ciel lumineux et marmoréen contrastait avec la profondeur et l’immobilité de la lagune encaissée, semblable à un immense puits rempli d’ambre. Les bâtiments recouverts par les arbres qui se dressaient sur ses bords semblaient sortir du fond des âges et surgir du magma terrestre après quelque énorme cataclysme, embaumés dans les temps infinis qui s’étaient écoulés, tout en s’effondrant doucement.

Il s’arrêta près de son bureau et caressa des doigts la boussole de cuivre qui brillait dans la pénombre de l’appartement, puis se dirigea vers la chambre et enfila une combinaison kaki, histoire de faire un minimum de concessions envers Riggs pour les préparatifs du départ. Le sportswear italien n’était pas précisément indiqué ; il aurait attiré l’attention du colonel en déambulant vêtu d’un ensemble bleu pastel qui portait une marque du Ritz.

Même s’il envisageait de rester, Kerans se refusait à prendre toute précaution, par principe. Outre les réserves de carburant et de ravitaillement dues, ces derniers six mois, à la largesse du colonel Riggs, il avait aussi eu besoin d’une foule de petites pièces de secours et de rechange, depuis un nouveau verre de montre jusqu’à une réinstallation complète des fils électriques pour l’éclairage de l’appartement. Une fois la base et son atelier partis, il serait vite assailli par une série de petits ennuis qui s’accumuleraient et il n’y aurait plus de sergent technicien à sa disposition pour y remédier.

Afin de simplifier le travail du personnel des magasins et pour s’épargner des voyages superflus à la base, Kerans avait fait un stock de boîtes de conserve chez lui, assez pour se nourrir pendant un mois. Elles se constituaient surtout de lait condensé et de lunches tout préparés, mais en fait, il était inconcevable de s’en contenter sans l’apport des petites choses fines que Béatrice resserrait dans les profondeurs de sa glacière. Kerans comptait sur ce vaste garde-manger et ses réserves de foie gras et de filet mignon[8] pour tenir le coup, mais il y en avait assez pour trois mois, tout au plus. Après cela, ils devraient vivre des ressources du sol et se contenter de menus à base de potages aux champignons et de steaks d’iguanes.

Le problème le plus sérieux restait celui du carburant. Les réservoirs à diesels du Ritz contenaient un peu plus de cinq cents gallons (deux mille cinq cents litres), assez pour faire marcher le système de réfrigération pour un maximum de deux mois. En le supprimant dans la chambre et le cabinet de toilette, quitte à vivre dans le salon, et en haussant la température ambiante à trente-deux degrés, il pourrait, avec un peu de chance, doubler la durée de consommation ; mais une fois ces réserves épuisées, il pourrait difficilement y suppléer. Toutes les citernes et toutes les réserves camouflées dans les bâtiments éventrés qui entouraient les lagunes avaient depuis longtemps été mises à sec par les hordes de réfugiés qui avaient émigré vers le nord, ces trente dernières années, à bord de rapides bateaux à moteur et de yachts. Le réservoir du catamaran à moteur de hors-bord contenait une quinzaine de litres, assez pour un trajet de cinquante kilomètres environ, ou alors un aller et retour du Ritz chez Béatrice une fois par jour pendant un mois.

Il ne savait pourquoi, mais ce crusoétisme à rebours – se faire abandonner, sans le secours d’un carrack chargé de vivres et de matériel, qui aurait providentiellement échoué sur un récif voisin – avait éveillé quelque angoisse dans son esprit. En quittant l’appartement, il laissa le thermostat sur les vingt-sept degrés habituels, sans se soucier du gaspillage de carburant, se refusant par principe à faire une seule concession devant les dangers qu’il aurait à affronter après le départ de Riggs. Il pensa tout d’abord qu’il se comportait comme cela parce qu’il estimait, inconsciemment mais judicieusement, son bon sens naturel capable de le sauver. Mais, tandis qu’il mettait le moteur en marche et pilotait le catamaran sur les ondulations douces et huileuses de la rivière vers la lagune suivante, il réalisa que cette indifférence montrait le caractère particulier de sa décision de rester. Pour utiliser le langage symbolique de la théorie de Bodkin, il était en train d’abandonner ses estimations conventionnelles du temps, relatives à ses propres besoins physiques et entrait dans le monde de l’infini, du temps neuronique. Les intervalles énormes de l’échelle des temps géologiques étalonnaient son existence. Dans ce monde, un million d’années représentaient la plus courte durée de travail d’une équipe, et les problèmes de vêtements et de nourriture étaient devenus aussi peu importants qu’ils ne l’étaient pour un bonze accroupi devant un bol de riz vide, à l’ombre d’un baldaquin que formait un cobra aux mille têtes, dieu de l’éternité.

Il pénétra dans la troisième lagune, rame levée pour écarter les feuilles longues de trois mètres à peu près d’une prèle géante, qui trempaient dans la rivière. Il remarqua que les hommes du sergent Macready avaient levé les amarres de la station d’essais et étaient en train de la haler lentement vers la base. L’espace qui séparait les deux bâtiments se rétrécissait, faisant penser à un baisser de rideau (à la fin d’une pièce). Kerans, debout à l’arrière du catamaran, sous le parapluie de feuilles baignant dans l’eau, était le spectateur qui regardait, dans les coulisses, la fin d’un spectacle auquel il avait un peu participé.

Il ne voulut pas attirer l’attention en remettant le moteur en marche et fit glisser le bateau dans la lumière du soleil ; les feuilles géantes trempaient complètement dans la gelée verte de l’eau ; il rama doucement en contournant la lagune jusqu’au bloc où habitait Béatrice. De temps en temps, le vacarme de l’hélicoptère qui faisait des manœuvres d’atterrissage lui parvenait et les remous du halage de la station d’essais venaient marteler les parois du catamaran, puis s’engouffraient à sa droite, par les fenêtres ouvertes, pour aller se heurter contre les murs intérieurs des bâtiments. Le petit croiseur de Béatrice faisait entendre des craquements sinistres. La salle des machines avait été inondée et le pont arrière, chargé de deux gros moteurs Chrysler, dépassait à peine du niveau de l’eau. Tôt ou tard, une tempête thermique ferait chavirer le bâtiment et il irait échouer dans une des rues englouties.

En sortant de l’ascenseur, il trouva le patio désert ; les verres de la veille traînaient encore sur le plateau, au milieu des transats. Les rayons du soleil inondaient déjà la piscine, illuminant les hippocampes jaunes et les tridents bleus qui en tapissaient le fond. Quelques chauves-souris se tenaient dans l’ombre de la gouttière au-dessus de la fenêtre de la chambre de Béatrice, mais elles s’envolèrent au moment où Kerans s’asseyait, pareilles à des vampires fantômes qui fuient le lever du jour.

À travers les persiennes, Kerans aperçut Béatrice vaquer tranquillement à l’intérieur, et cinq minutes plus tard elle pénétrait dans le salon, le buste ceint d’une serviette noire. À demi cachée dans la pénombre, à l’autre bout de la pièce, l’air fatigué, les traits tirés, elle le salua d’un vague signe de la main. Un coude appuyé au bar, elle se versa quelque chose dans un verre, considéra l’un des Delvaux d’un air morne et retourna dans sa chambre.

Comme elle ne revenait pas, Kerans alla à sa recherche. Au moment où il poussait les battants de la porte de verre, l’air chaud du salon le frappa au visage comme les odeurs d’une cantine bourrée de monde. Plusieurs fois, ce mois dernier, le générateur ne s’était pas mis immédiatement en marche lorsqu’on réglait le thermostat, et la température devait bien atteindre trente-deux degrés. C’était probablement la cause de l’ennui apathique de Béatrice.

Kerans entra ; elle était assise sur son lit, tenant le verre rempli de whisky sur ses genoux ronds. L’atmosphère lourde et chaude rappela à Kerans la cabine de Hardman pendant l’expérience de Bodkin. Il se dirigea vers le thermostat posé sur la table de chevet et le baissa de dix-huit à douze degrés.

— Il est encore détraqué, remarqua laconiquement Béatrice. Le moteur ne marche toujours pas.

Kerans tenta de lui ôter le verre des mains, mais elle esquiva son geste.

— Laisse-moi, Robert, dit-elle d’une voix lasse. Je sais que je ne suis qu’une lavette, une ivrogne, mais j’ai passé la nuit dans les jungles de la planète Mars et je n’ai aucune envie qu’on me fasse un sermon !

Kerans la scruta de près, avec un sourire où se mêlaient l’affection et le désespoir.

— Je vais voir si je peux réparer le moteur. Cette chambre pue comme si un bataillon entier de forçats la partageaient avec toi. Prends une douche, Béa, et essaye de te remettre d’aplomb. Riggs part demain et nous allons avoir besoin de tous nos esprits. Quels sont ces cauchemars dont tu souffres ?

Béatrice haussa les épaules.

— Des cauchemars de jungle, murmura-t-elle sans donner de précisions. Je suis en train de réapprendre mon alphabet ! La nuit dernière c’étaient les jungles delta ! (Elle lui adressa un pâle sourire, puis ajouta, avec une pointe de malice.) N’aie pas l’air si sombre : bientôt ce sera ton tour de rêver !

— J’espère bien que non ! (Il la regarda sans plaisir porter le verre à ses lèvres…) Et fiche-moi ça en l’air ! Les petits déjeuners au whisky, c’est peut-être une vieille coutume dans les Highlands, mais ça tue le foie !

Béatrice le repoussa d’un geste.

— Je sais : l’alcool tue lentement… Mais je ne suis pas pressée ! Va-t’en, Robert.

Kerans se leva et tourna les talons. Il alla dans la cuisine et descendit dans la resserre. Ayant trouvé une lampe de poche et un nécessaire à outils, il se mit à réparer le générateur.

Une demi-heure plus tard, lorsqu’il remonta sur le patio, Béatrice apparemment tout à fait sortie de sa torpeur, était en train de se laquer les ongles de vernis bleu, très absorbée dans cette tâche.

— Hello, Robert ! Tu es de meilleur poil ?

Kerans s’assit sur le carrelage, tout en essuyant les dernières traces de graisse de ses mains. Il administra une petite tape sur le mollet bien galbé et repoussa le talon vengeur qu’elle brandissait vers sa tête.

— J’ai réparé le générateur et avec un peu de chance il ne te donnera plus d’ennuis. C’est marrant : le moteur de mise en marche à deux tours était déréglé ; figure-toi qu’il marchait à l’envers !

Il allait se lancer dans une explication détaillée sur l’ironie de cet incident lorsqu’ils entendirent un cri d’appel qui venait d’en bas de la lagune. Les bruits d’une effervescence soudaine leur parvinrent alors de 1a base ; des moteurs toussotèrent et accélérèrent ; on entendit des bossoirs grincer tandis que l’on mettait deux chaloupes de secours à l’eau ; des éclats de voix se croisèrent et des bruits de pas dégringolèrent les escaliers.

Kerans sursauta et courut autour de la piscine jusqu’à la balustrade.

— Tu ne vas pas me dire qu’ils partent aujourd’hui !… Riggs est tout à fait capable d’avoir combiné ça pour nous prendre de court !

Béatrice arriva à ses côtés, retenant d’une main la serviette sur ses seins, et ils regardèrent en bas, vers la base. Chaque membre de l’unité semblait avoir été mobilisé : le canot et les deux chaloupes bondissaient et faisaient des manœuvres autour de la jetée. Les rotors inclinés de l’hélicoptère tournaient lentement, tandis que Riggs et Macready se préparaient à y monter. Les autres, en file sur la jetée, attendaient leur tour pour grimper dans les trois embarcations. Bodkin lui-même, qu’on avait sorti de sa couchette, debout sur le pont de la station d’essais, criait quelque chose à Riggs.

Macready aperçut tout à coup Kerans à la balustrade… Il dit quelques mots au colonel qui saisit un haut-parleur et traversa le toit dans leur direction.

— KE RANS ! DOC-TEUR KE-RANS !

Les éclats démesurés de ces sons amplifiés retentirent comme le tonnerre sur les toits et les protections d’aluminium installées aux vitres des fenêtres renvoyèrent l’écho. Kerans mit les mains en cornet derrière ses oreilles pour essayer de distinguer les mots hurlés par le colonel, mais ils se perdirent dans le ronflement de l’hélicoptère. Riggs et Macready montèrent alors dans la cabine et le pilote se mit à lui faire du sémaphore à travers le pare-brise du cockpit.

Après avoir traduit les signaux morses, Kerans quitta rapidement la balustrade et se mit à rentrer les transats dans le salon.

— Ils vont venir me prendre ici, dit-il à Béatrice tandis que l’hélicoptère s’élevait en diagonale au-dessus de la lagune. Tu ferais mieux de t’habiller, ou bien de te cacher ; le courant d’air va emporter ta serviette comme une feuille de papier de soie. Riggs a déjà bien assez de fil à retordre comme cela !

Béatrice l’aida à rouler la toile de tente puis, comme l’ombre tournoyante de l’hélicoptère recouvrait maintenant le patio, faisant courir sur leurs épaules un courant d’air descendant, elle rentra dans le salon.

— Mais qu’est-ce qui se passe, Robert ? lui cria-t-elle. Pourquoi Riggs se démène-t-il comme cela ?

Kerans se protégea la tête à l’approche de la machine ronronnante et contempla les lagunes encerclées de vert qui s’étalaient vers la ligne d’horizon, un coin de sa bouche secoué soudain par un tremblement nerveux.

— Il ne se démène pas. Il est seulement bourré d’inquiétude. Tout commence à s’écrouler autour de lui : le lieutenant Hardman a disparu !


Par le hublot ouvert, on voyait s’étaler la jungle en dessous de l’hélicoptère, pareille à une immense plaie en putréfaction. Les bosquets de gymnospermes géants se dressaient en massifs épais sur les toits des immeubles inondés, adoucissant leurs contours blancs et géométriques. Çà et là de vieux châteaux d’eau en béton surgissaient du marais, ou les restes d’une jetée de fortune qui flottait encore à côté d’un bloc de bureaux, mastodonte écroulé sur lequel poussaient des acacias au feuillage léger et des tamaris en fleur. D’étroits ruisseaux, recouverts de ramures, transformés en sortes de tunnels verts et illuminés, s’éloignaient, en serpentant, des lagunes plus grandes et allaient probablement rejoindre les cours d’eaux, larges de cinq cents mètres qui s’étalaient au-dessus des anciens faubourgs de la ville. Partout la vase apparaissait, s’amoncelant en énormes bancs contre le viaduc d’une voie de chemin de fer et un immeuble administratif en forme de croissant ; elle s’écoulait, dégoulinante, d’un passage couvert à moitié submergé, charriant avec elle tous les détritus fétides d’un Cloaca Maxima[9] moderne. La plupart des petits lacs étaient maintenant envahis par cette vase et formaient des disques de boue jaune, couverts de champignons. Un abondant fouillis de toutes les espèces végétales y poussait, jardins fortifiés d’un éden démentiel.

Solidement cramponné à la main courante de la cabine par les courroies de nylon qui lui entouraient la taille et les épaules, Kerans contemplait le paysage qui s’étendait au-dessous de lui, suivant du regard les cours d’eau qui s’écoulaient des trois lagunes centrales. À cent cinquante mètres à peu près en dessous d’eux, l’ombre de l’hélicoptère courait sur la surface lisse et mouchetée de l’eau ; il concentra toute son attention sur les bords extrêmes de la lagune. La vie animale grouillait à profusion dans les ruisseaux et les canaux : des serpents d’eau se lovaient dans les barrières de massifs de bambous que l’eau avait renversés ; des colonies de chauves-souris s’échappaient des tunnels verts, semblables aux nuages de cendre d’une éruption volcanique ; des iguanes se tenaient immobiles comme des sphinx de pierre, installés dans l’ombre des corniches. Parfois, comme si le bruit de l’hélicoptère le dérangeait, quelque chose qui ressemblait à une forme humaine filait se cacher dans les fenêtres le long de la ligne de flottaison ; mais ce n’était qu’un crocodile qui attrapait une poule d’eau, ou un rondin arraché aux massifs d’arbres-fougères.

À une bonne trentaine de kilomètres de là, l’horizon se cachait encore à demi dans les brumes du petit matin, énormes voiles de vapeur dorée qui pendaient du ciel comme des rideaux diaphanes, tandis que l’air au-dessus de la cité était clair et lumineux et la fumée que dégageait l’hélicoptère traçait une longue signature en circonvolutions sinueuses. Comme ils s’éloignaient des lagunes centrales dans un mouvement giratoire, Kerans, cessant d’inspecter la jungle qui s’étalait sous eux, s’appuya au hublot pour regarder ce spectacle scintillant.

Ils avaient une chance infime d’apercevoir Hardman d’en haut. À moins qu’il n’ait trouvé refuge dans un des immeubles proches de la base, il avait sans doute dû suivre les rivières, et les feuillages des arbres-fougères le protégeaient au maximum d’une observation aérienne.

Riggs et Macready continuaient à surveiller par le hublot de droite, en promenant leurs jumelles dans tous les sens. Sans sa casquette, avec ses fins cheveux blond roux rejetés en avant sur le visage, Riggs avait l’air d’un oiseau de proie, son petit menton dressé furieusement dans le vent.

En voyant Kerans contempler le ciel, il s’écria :

— Rien vu encore, Docteur ? Tenez bon ! Le secret d’une bonne chasse, c’est une surveillance sans relâche, une concentration soutenue à cent pour cent…

Kerans encaissa la remarque et se remit à sonder la jungle par le disque incliné du hublot autour duquel pivotaient les petites tours de la lagune centrale. Un infirmier avait découvert la disparition de Hardman à huit heures, ce matin-là ; comme son lit était froid, il avait dû s’enfuir la veille au soir, probablement vers vingt et une heures aussitôt après la dernière ronde de surveillance du service. Aucune des petites embarcations amarrées à la jetée n’avait disparu, mais Hardman avait très bien pu prendre deux des bidons d’essence vides qui étaient empilés sur le pont C, les lier et les mettre à l’eau, tout cela sans bruit. Bien que rudimentaire, une telle embarcation pouvait, souplement guidée à la rame, le transporter à une quinzaine de kilomètres de là, au point du jour, quelque part sur une surface de cent vingt kilomètres carrés à prospecter, dont chaque acre était parsemée des alvéoles de tous les immeubles abandonnés.

Comme il n’avait pu voir Bodkin avant d’être hissé à bord de l’hélicoptère, Kerans ne pouvait que faire des suppositions sur les motifs qu’avait eus Hardman de quitter la base ; il ne savait si cela faisait partie d’un plan important qui avait lentement mûri dans l’esprit du lieutenant, ou si c’était simplement une brusque réaction à la nouvelle de leur prochain départ vers le nord. Sa première émotion envolée, Kerans ressentait une curieuse impression de soulagement, comme si l’une des lignes de force adverses qui l’encerclaient s’était levée en même temps que la disparition de Hardman et que la tension et la sensation d’impuissance qui le tenaillaient se relâchaient tout d’un coup. Quoi qu’il en soit, même le fait de rester derrière les autres s’avérait maintenant plus difficile.

Riggs se dégagea de ses courroies et se releva, l’air exaspéré. Il tendit les jumelles à l’un des deux soldats accroupis sur le sol à l’arrière de la cabine.

— Commencer des recherches sur ce genre de terrain ne sert à rien, cria-t-il à Kerans. On va descendre quelque part et regarder attentivement la carte. Vous aurez peut-être une idée, vous qui avez étudié la psychologie de Hardman !

Ils étaient arrivés à une bonne quinzaine de kilomètres au nord-ouest des lagunes centrales et les tours avaient presque disparu dans le brouillard, le long de la ligne d’horizon. À cinq kilomètres de là, juste entre eux et la base, ils aperçurent l’un des bateaux à moteur descendre le long d’une rivière, à ciel ouvert, suivi d’un sillage blanc qui se fondait dans la surface transparente de l’eau. La vase, bloquée par la concentration urbaine qui s’étendait au sud, n’avait pas autant envahi cette zone ; la végétation était moins dense et les surfaces inondées étaient plus étendues entre les rangées de bâtiments les plus importantes. La région qui s’étalait en dessous d’eux était aussi désertique que dépeuplée et Kerans était persuadé, sans raison logique, qu’ils ne trouveraient pas Hardman dans ce secteur nord-ouest.

Riggs grimpa dans le cockpit et, au bout d’un moment, l’hélicoptère changea de vitesse et d’inclinaison. Ils amorcèrent une légère descente, oscillèrent jusqu’à ne plus être qu’à une trentaine de mètres du niveau de l’eau, glissant d’un large canal à un autre à la recherche d’un toit convenable où atterrir. Ils choisirent finalement la carcasse bossue d’un cinéma à demi englouti et se posèrent doucement sur la terrasse carrée et solidement assise d’un portique de style néo-assyrien.

Ils raffermirent leurs jambes pendant quelques minutes tout en contemplant les étendues d’eau bleue. La construction la plus proche était un grand magasin isolé à deux cents mètres de là, et ces perspectives dégagées rappelaient à Kerans la description d’Hérodote sur les paysages égyptiens à la saison des crues, avec ses cités fortifiées comme les îles de la Mer Égée.

Riggs ouvrit son porte-cartes et en étala une, imprimée au polyéthylène sur le plancher de la cabine. Accoudé au hublot, il désigna du doigt l’endroit où ils étaient.

— Eh bien, Sergent, dit-il à Daley, il me semble que nous sommes à mi-chemin de Byrd. Nous n’avons pas fait grand-chose, si ce n’est user le moteur !

Daley hocha la tête, sa petite figure sérieuse cachée par les fibres de verre de son casque.

— Je pense, Sir, que notre seule chance est de prospecter à basse altitude les quelques parcours que nous aurons délimités. C’est notre seul espoir d’apercevoir quelque chose… un radeau, ou bien une tache d’huile…

— D’accord. Mais le problème, c’est… (Riggs tambourina la carte de sa canne) de savoir où il faut aller ! Hardman n’est certainement pas à plus de quatre ou cinq kilomètres de la base. Qu’en pensez-vous, Docteur ?

Kerans haussa les épaules.

— Je ne sais vraiment pas quels ont été les motifs de Hardman, Colonel. Ces derniers temps, il a été pris en charge par Bodkin. Peut-être…

Sa voix se mit à dérailler, et Daley coupa court en suggérant une autre idée pour détourner l’attention de Riggs. Pendant les cinq minutes qui suivirent, le colonel, Daley et Macready passèrent en revue tous les chemins que Hardman avait pu prendre, ne retenant que les cours d’eau les plus larges, comme si Hardman naviguait sur un bâtiment de guerre miniature. Kerans regardait autour de lui les eaux calmes dépasser le cinéma en ondulant. Le courant entraînait vers le nord quelques branches et touffes de mauvaises herbes et la lumière éblouissante du soleil masquait le fondu de la surface miroitante. L’eau venait clapoter contre le portique, à ses pieds, et ce battement résonnait sourdement contre son cerveau, rayonnait en ondes imagées dont le cercle, en s’élargissant, le traversait en sens contraire de son propre courant d’idées. Il examinait des petites vagues qui allaient successivement se briser sur le toit en pente et avait envie de laisser là le colonel, de pénétrer droit dans l’eau, pour s’y dissoudre, lui et les fantômes toujours présents qui l’attendaient, tels des oiseaux déguisés en sentinelles. Pénétrer dans la fraîche demeure magiquement calme, dans la mer lumineuse, la mer couleur d’un dragon vert, la mer hantée par les serpents…

Soudain, il sut, sans l’ombre d’un doute, quel était l’endroit où ils trouveraient Hardman.

Il attendit que Daley ait fini de parler :

— … Je connais le lieutenant Hardman, Sir, j’ai volé pendant cinq mille heures avec lui. Quelque chose a dû lui monter au cerveau, sûrement ! Il voulait retourner au Camp Byrd et il a jugé ne pas pouvoir attendre plus longtemps, même pas deux jours. Il se sera dirigé vers le nord et il doit se trouver quelque part le long de ces rivières à ciel ouvert, en dehors de la ville…

Riggs hocha la tête, l’air dubitatif. Il ne semblait pas du tout convaincu mais prêt à accepter l’hypothèse du sergent, à défaut d’une autre.

— Bon. Sans doute avez-vous raison. Il me semble que ça vaut le coup d’essayer. Qu’en pensez-vous, Kerans ?

Kerans secoua la tête.

— Colonel, ça ne sert absolument à rien de chercher dans ces secteurs au nord de la ville. Hardman n’a pas pu venir par ici : c’est trop dégagé et trop isolé. Je ne sais où il est allé, que ce soit à pied ou sur un radeau, à la rame, mais il ne s’est certainement pas dirigé vers le nord. Byrd est le dernier endroit au monde où il désire retourner. Il n’a pu prendre qu’une direction : le sud. (Il désigna la connexion de cours d’eau qui aboutissaient aux lagunes centrales, ramifications d’une énorme rivière qui coulait à cinq kilomètres environ au sud de la ville et dont le cours était dévié et bordé par des bancs de sable géants.) Hardman doit être quelque part le long de cette rivière, et je parierais qu’il attend dans une des petites criques que la nuit tombe pour partir.

Il fit une pause, et Riggs fixa attentivement la carte, abaissant sa casquette sur ses yeux pour bien se concentrer.

— Mais pourquoi au sud ? protesta Daley. Dès qu’on quitte la rivière on ne trouve rien d’autre que l’épaisseur de la jungle ou l’étendue de la mer. La température s’accroît sans cesse… Il va rôtir !

Riggs leva les yeux sur Kerans.

— Ce que dit le sergent Daley est juste, Docteur. Pourquoi Hardman aurait-il choisi d’aller au sud ?

Tout en regardant à nouveau au-delà de l’eau, Kerans répondit d’une voix égale :

— Colonel, il n’y a pas d’autre direction.

Riggs hésita, puis jeta un coup d’œil à Macready qui venait de quitter le groupe et se tenait aux côtés de Kerans. Sa grande silhouette voûtée se détachait sur l’eau comme celle d’une lugubre corneille. Il répondit à l’interrogation muette de Riggs par un signe de tête presque imperceptible. Daley lui-même posa le pied sur la marche pour rentrer dans la carlingue, prouvant par là qu’il acceptait la logique des arguments de Kerans et qu’il comprenait aussi les motifs de Hardman, parce que Kerans savait de quoi il parlait.

Trois minutes plus tard, l’hélicoptère fonçait à plein gaz vers les lagunes situées au sud.

Comme l’avait prédit Kerans, ils trouvèrent Hardman du côté des bancs de sable.

Ils descendirent à une dizaine de mètres au-dessus de l’eau et se mirent à ratisser dans tous les sens les huit kilomètres de long de la rivière principale. Les énormes bancs de sable stagnaient à la surface ; on aurait dit les dos de cachalots jaunes. Partout où le courant de la rivière avait permis à la vase de se déposer, la végétation tropicale se déversait des toits et allait s’enraciner dans la glaise humide, s’emmêlant dans le marais pour le transformer en une masse inamovible. Par le hublot Kerans sondait du regard les plages étroites ombragées par les extrémités des branches d’arbres-fougères, guettant un signe qui révélerait la présence d’un radeau camouflé ou d’une hutte de fortune.

Au bout de trois minutes, après avoir soigneusement balayé une douzaine de fois la rivière sur toute sa longueur, Riggs tourna le dos au hublot en hochant tristement la tête.

— Vous avez sans doute raison, Robert. Mais ce que nous faisons n’aboutira à rien. Hardman n’est pas fou : s’il a décidé d’échapper à notre vue, nous ne le retrouverons jamais. Même s’il se penchait à une fenêtre pour nous faire signe, je vous parie à dix contre un que nous ne le verrions pas !

Pour toute réponse, Kerans grommela quelque chose et continua à scruter le paysage qu’ils survolaient. Chaque parcours augmentait chaque fois d’une centaine de mètres sur le précédent, à tribord ; aux trois derniers, il avait examiné attentivement l’immeuble en demi-cercle qui semblait être un grand bloc d’appartements ; celui-ci s’élevait à l’angle que formait la rivière avec la rive sud d’un petit ruisseau qui s’enfonçait dans la jungle environnante. Les huit ou neuf étages supérieurs du bloc émergeaient et portaient à l’intérieur un petit monticule de vase d’une couleur brune et terne. À la surface plusieurs petites mares peu profondes faisaient ruisseler de l’eau partout. Deux heures avant, le banc n’était qu’une couche de vase humide, mais vers dix heures, au moment où l’hélicoptère la survolait, la vase avait commencé à sécher et à se solidifier. Kerans, une main sur les yeux pour se protéger des reflets du soleil, crut apercevoir sur cette surface unie les fines traces de deux lignes parallèles, séparées d’environ deux mètres, qui allaient jusqu’au toit en saillie d’un balcon presque submergé. Ils se rapprochèrent très près de cet endroit et il essaya de voir quelque chose sous la dalle de béton, mais les odeurs de détritus et des rondins pourris lui nouèrent la gorge.

Il toucha le bras de Riggs et lui désigna les traces du doigt ; elles étaient tellement effacées par l’eau qu’il faillit ne pas remarquer le dessin tout aussi net d’empreintes qui apparaissaient entre les lignes sur la couche de vase en train de sécher ; espacées d’un bon mètre, c’était indiscutablement les traces de pas d’un homme grand et costaud qui avait traîné une lourde charge.

Sur le toit, au-dessus d’eux, le bruit du moteur de l’hélicoptère diminua progressivement. Penchés en avant, Riggs et Macready examinaient le catamaran caché derrière un buisson, sous le balcon. Il était fait de deux touques liées à chaque bout d’un barreau de lit métallique, et les deux coques grises portaient encore des traînées de vase. De petites mottes de boue, provenant sans doute des pieds de Hardman, parsemaient la pièce qui donnait sur le balcon de bout en bout, pour disparaître ensuite dans le reste de l’appartement par un corridor adjacent.

— Ceci ne laisse plus de doute, n’est-ce pas sergent ? demanda Riggs en retournant dans la lumière pour prendre une vue d’ensemble des immeubles disposés en demi-cercle. C’étaient des blocs indépendants flanqués chacun d’une cage d’ascenseur, reliés entre eux par un court sentier pavé. La plupart des fenêtres étaient cassées ; d’énormes taches d’humidité recouvraient la façade en carreaux blanc crème. L’ensemble faisait penser à un camembert coulant.

Macready s’agenouilla près de l’une des touques, effaça les traces de vase et découvrit le numéro codai peint sur la tôle :

— UNAF 22-H-549. C’est un numéro à nous, Sir. On a déblayé ces bidons hier pour les entreposer sur le pont C. Il a dû prendre une pièce de rechange d’un lit à l’infirmerie, après la dernière ronde.

— Parfait, répondit Riggs. (Se frottant les mains de satisfaction, désinvolte et souriant, il se dirigea vers Kerans. Il avait retrouvé tout son self-contrôle et toute sa bonne humeur.) Bravo, Robert ! Remarquable diagnostic ! Vous aviez sans nul doute tout à fait raison. (Il le scruta d’un air plein de sous-entendus, comme s’il était en train de spéculer sur les sources réelles de l’insigne perspicacité dont Kerans avait fait preuve, se distinguant ainsi insensiblement des autres.) Je vous félicite ; Hardman lui-même vous en sera reconnaissant quand on le ramènera.

Debout au bord du balcon sur le monticule de vase qui se durcissait, les yeux levés vers les voussures des fenêtres silencieuses, Kerans se demandait laquelle de ce millier de pièces pouvait bien cacher Hardman.

— J’espère que vous dites vrai. Encore faut-il que vous l’attrapiez…

— Ne vous en faites pas : on va y aller. Wilson, commença-t-il à crier aux deux hommes montés sur le toit, qui indiquaient à Daley comment manœuvrer l’hélicoptère pour le poser, surveillez le secteur sud-ouest. Quant à vous, Caldwell, allez vers le nord. Regardez bien des deux côtés : il peut essayer d’y parvenir à la nage.

Les deux hommes, après un salut militaire, s’en furent chacun de son côté, carabine sur la hanche. Macready serrait une Thompson au creux de son coude et Riggs se mit à déboutonner la patte de l’étui de son revolver.

— Nous ne sommes pas à une chasse au chien sauvage, Colonel, fit tranquillement remarquer Kerans.

— Allons, Robert, calmez-vous. Je ne tiens pas à me faire couper une jambe par un crocodile endormi, c’est tout ! En outre, si ça ne vous dit rien (il décocha à Kerans un sourire étincelant) je vous signale que Hardman porte sur lui un Colt 45 !…

Il laissa Kerans digérer la nouvelle et prit le haut-parleur.

— Hardman ! ! ! Ici le Colonel Riggs ! ! ! clama-t-il dans le silence étouffant ; puis, avec un clin d’œil à Kerans, il reprit : Lieutenant, le Docteur Kerans désire vous parler ! ! !

La voix alla se répercuter en plein centre du demi-cercle formé par les appartements ; les étangs et les ruisseaux renvoyèrent l’écho qui se mit à gronder dans le lointain, sur les grandes étendues boueuses, plates et désertiques. Tout, autour d’eux, chatoyait dans l’immensité de l’air chaud et les hommes restés sur le toit se mirent à frissonner nerveusement sous leurs képis. Une épaisse puanteur de bourbier se dégageait des bancs de vase sur laquelle tournait en rond une multitude d’insectes voraces, dansant et tourbillonnant. Un spasme nauséeux saisit soudain Kerans à la gorge et pendant un moment, il se sentit prêt à défaillir. Il leva la main et la pressa sur son front, puis s’adossa à un pilier, écoutant les échos qui se répercutaient autour de lui. À quelque quatre cents mètres de là, deux clochers (tours d’horloge) se dressaient, en pleine végétation, comme deux flèches d’un temple voué à quelque culte sauvage oublié. Elles renvoyaient son nom : « Kerans… Kerans… Kerans… » et il lui sembla que sonnait le glas qui annonçait une ère de terreur et de désastres. Les aiguilles de l’horloge semblaient le désigner de façon démentielle, et ne désigner que lui, uniquement, comme il ne l’avait encore jamais été, avec tous les spectres confus et menaçants qui projetaient une ombre de plus en plus grande sur son esprit, aiguilles innombrables d’une mandala[10] des temps cosmiques…

Son nom résonnait encore faiblement à ses oreilles quand ils commencèrent leurs recherches dans l’immeuble. Il prit place dans la cage d’escalier, au centre de chaque couloir, tandis que Riggs et Macready inspectaient les appartements ; il ouvrait l’œil chaque fois que les deux autres franchissaient un palier. Toutes les lames des parquets étaient pourries ou avaient été arrachées, et ils avançaient lentement sur les passages carrelés, marchant prudemment d’une solive de béton armé à l’autre. L’immeuble était complètement délabré ; presque tout le plâtre était tombé le long des murs et s’amassait en petits tas gris sur les plinthes. Partout où les rayons du soleil pénétraient, les plantes grimpantes et la mousse avaient envahi les interstices des lattes nues ; on aurait dit que l’immeuble avait été construit sur les fondations d’une végétation abondante, dont les ramifications couraient à travers chaque pièce et chaque corridor.

Des eaux graisseuses qui entraient en tourbillons par les fenêtres du dessous montait une puanteur qui filtrait par les fissures du plancher. Dérangées pour la première fois depuis de nombreuses années, des chauves-souris accrochées aux rampes ornementales inclinées se précipitèrent par les fenêtres et se dispersèrent dans la lumière éblouissante du soleil en hurlant de douleur. Les lézards grouillaient dans les craquements du plancher ou patinaient désespérément sur les parois des baignoires taries dans les salles de bains.

Au fur et à mesure qu’ils montaient, Riggs, exaspéré par la chaleur, commençait à perdre patience. Ils avaient parcouru sans succès toute la première moitié de l’immeuble.

— Mais où peut-il être ? Il s’appuya à la rampe, fit signe aux autres de se taire et tendit l’oreille dans l’immeuble silencieux. Puis il murmura, mâchoires serrées : Arrêtons cinq minutes sergent. Il s’agit maintenant d’être prudent : il est dans le coin.

Macready mit sa Thompson en bandoulière et grimpa à l’étage supérieur vers une imposte qui laissait passer un mince courant d’air. Kerans s’appuya à un mur. Monter ces quelques marches avait inondé de sueur son dos et sa poitrine, et ses tempes battaient. Il était onze heures trente, et, dehors, la température dépassait les cinquantes degrés. Il baissa les yeux sur la figure empourprée de Riggs et admira la façon dont celui-ci gardait son assurance et son égale humeur.

— Ne prenez pas un air aussi condescendant, Robert ! Je sais que je transpire comme un cochon, mais je n’ai pas pu me reposer autant que vous ces derniers temps !

Les deux hommes échangèrent un rapide coup d’œil. Ils savaient tous deux qu’ils n’étaient pas d’accord sur l’attitude à adopter envers Hardman ; mais Kerans, essayant d’effacer cette mésentente, répondit tranquillement :

— Maintenant, vous allez probablement l’avoir, Colonel.

Puis il partit à la recherche d’un endroit où il pourrait s’asseoir, longea le corridor et poussa la porte du premier appartement.

Comme il relevait le loquet, l’encadrement de la porte s’effondra pour former un tas de morceaux de bois vermoulu et de poussière ; il l’enjamba et s’approcha des grandes baies vitrées qui donnaient sur le balcon. Un peu d’air s’y engouffrait et lui chatouilla agréablement le visage et la poitrine, tandis qu’il se penchait pour observer la forêt. Le promontoire sur lequel se dressaient les immeubles en demi-cercle avait jadis été une petite colline, et un bon nombre de constructions qu’on voyait à travers la végétation de l’autre côté de l’étendue de vase émergeaient encore. Kerans jeta un coup d’œil sur les deux tours d’horloge qui s’érigeaient comme deux obélisques blancs au-dessus des frondaisons de fougères. L’air doré de cette mi-journée écrasait la masse des feuillages, semblable à un gigantesque édredon translucide ; un millier de parcelles lumineuses jaillissaient en gerbes de diamants chaque fois qu’une branche remuait et faisait dévier un rayon de soleil. Une construction supportait les tours et, à en juger par les contours ombragés d’un porche de style classique et d’une façade à colonnes, l’ensemble avait dû appartenir à quelque petit centre municipal. Un des cadrans d’horloge ne portait plus d’aiguilles ; l’autre s’était arrêtée par coïncidence, presque exactement à l’heure qu’il était à ce moment-là : onze heures trente-cinq. Kerans se demanda si l’horloge ne marchait pas réellement, entretenue par quelque fou qui s’était réfugié là, s’accrochant, on ne sait pourquoi, à ce suprême vestige d’une vie sensée… En supposant que le mécanisme soit encore réparable, Riggs se serait parfaitement acquitté de ce rôle : il lui était arrivé plusieurs fois, avant d’abandonner une des cités englouties, de remonter le mécanisme à deux tons de l’horloge rouillée de quelque cathédrale et il s’embarquait alors au son d’un carillon qui résonnait sur l’eau. Après, pendant plusieurs nuits, Kerans avait rêvé d’un Riggs habillé en Guillaume Tell, parcourant à grandes enjambées un paysage à la Salvador Dali (surréaliste), plantant çà et là d’immenses cadrans solaires qui dégoulinaient comme des poignards enfoncés dans du sable en fusion.

Kerans s’appuya à la fenêtre et attendit pour dépasser les onze heures trente-cinq fixées sur l’horloge, de la même façon qu’un véhicule en dépasse un autre parce qu’il a emprunté un chemin plus rapide. Était-elle stationnaire et si lente que son mouvement ne pouvait être perçu ? Elle indiquait l’heure deux fois par jour avec une exactitude totale et inconditionnée et cela, mieux que les autres horloges. Plus une horloge est lente, plus elle se rapproche de la graduation infinie et d’une progression majestueuse dans les temps cosmiques. En fait, si quelqu’un inversait la direction d’une horloge et la remontait en sens contraire, il aurait inventé un appareil qui, d’une certaine façon, marcherait plus lentement que l’univers et appartiendrait par conséquent à un système spatio-temporel encore plus vaste…

Tandis qu’il s’amusait à divaguer de la sorte, Kerans découvrit tout à coup, parmi les débris qui s’amassaient sur la rive opposée, un petit cimetière qui descendait dans l’eau ; les pierres tombales, un peu inclinées, dressaient leurs couronnes au-dessus de l’eau et le tableau faisait penser à un groupe de baigneurs. Il évoqua à nouveau une scène vue autrefois : un cimetière assez terrifiant au-dessus duquel ils avaient une fois jeté l’ancre. Les tombes brisées, ornées à la florentine étaient remontées à la surface et les corps flottaient dans leurs linceuls effilochés ; on aurait dit une répétition de la scène du Jugement Dernier.

Il détourna le regard et s’éloigna de la fenêtre ; soudain, il perçut derrière lui la présence d’un individu grand, avec une barbe noire, debout et immobile dans l’encadrement de la porte. Effrayé, il essaya de dévisager l’inconnu en faisant un effort pour se ressaisir. L’homme était grand, un peu voûté, l’allure assez décontractée, et ses bras ballaient de chaque côté de son corps. De la boue noire souillait ses poignets et son front et encrassait ses bottes et la trame de ses pantalons de grosse toile. Pondant quelques secondes, Kerans se demanda s’il n’était pas en face d’un des corps ressuscités du cimetière. Son menton barbu s’enfonçait dans ses larges épaules ; il semblait mal en point et assez fatigué, impression encore accentuée par une veste de grosse toile bleue, de deux tailles supérieures à la sienne. Il avait ce type de corps où toute la force semble contenue dans l’enflure du muscle deltoïde. Son visage exprimait une faim intense. Il fixait Kerans d’un air indifférent et taciturne, le regard aussi insoutenable que l’éclat des feux de la rampe, avec, au fond, une petite lueur d’intérêt pour le biologiste, seul signe extérieur d’une énergie bien contenue.

Kerans attendit que ses yeux se fissent à l’obscurité qui régnait au fond de la pièce. Il regardait involontairement la porte de la chambre par laquelle était entré le barbu. Presque effrayé à l’idée de rompre le sortilège qui les séparait, il tendit la main vers lui comme pour lui demander de ne pas bouger ; l’autre lui répondit par une curieuse expression de sympathie et de compréhension, comme si leurs rôles s’étaient soudain inversés.

— Hardman ! murmura Kerans.

Comme secoué par une décharge électrique, celui-ci se précipita sur Kerans, lui bloquant la moitié de la pièce avec son châssis énorme, puis esquiva le choc et fit un écart. Avant même que Kerans ait retrouvé son équilibre, il avait bondi sur le balcon et enjambé la balustrade.

Hardman !

Tandis qu’un des hommes sur le toit donnait l’alarme, Kerans avait atteint le balcon. Hardman descendait en glissant le long du tuyau d’écoulement jusqu’au garde-fou comme un acrobate. Riggs et Macready se ruèrent dans la pièce. Retenant sa casquette, Riggs se pencha au-dessus de la balustrade et se mit à jurer en voyant Hardman disparaître dans un appartement.

— Nom de Dieu, Kerans ! Vous le teniez presque !

Ils se précipitèrent tous deux dans le corridor, dégringolèrent les escaliers et aperçurent alors Hardman, dix étages plus bas, qui dévalait les marches en tournant autour de la rampe, franchissant d’un seul élan les paliers successifs.

Ils arrivèrent à l’étage inférieur trente secondes après Hardman ; un brouhaha de cris excités leur parvint du toit. Mais soudain, Riggs se figea sur le balcon.

— Nom de Dieu ! Il essaie de traîner son bateau jusqu’à l’eau.

À une trentaine de mètres de là, Hardman faisait glisser le catamaran sur les mottes de vase qui séchaient. La corde de remorquage passée sur les épaules, il tirait par saccades sur les bossoirs avec une énergie farouche.

Riggs reboutonna la patte de l’étui de son revolver, tout en hochant tristement la tête. Il y avait bien cinquante mètres à franchir jusqu’au bord de l’eau et Hardman enfonçait jusqu’aux genoux dans la vase détrempée, ignorant les hommes qui le regardaient du haut du toit. Finalement il envoya promener la corde, saisit le barreau de lit à pleines mains et se mit à le tirer péniblement par lentes secousses. Sous l’effort la veste de grosse toile se déchira jusqu’en bas du dos.

Riggs alla sur le balcon et fit signe à Wilson et à Caldwell de descendre.

— Pauvre diable ! Il a l’air crevé ! Docteur, restez près de moi : peut-être pourrez-vous le calmer.

Ils s’approchèrent prudemment de Hardman. Tous les cinq, Riggs, Macready, les deux soldats et Kerans, descendaient la pente de vase séchée, tout en se protégeant les yeux de la lumière éblouissante du soleil. À dix mètres environ devant eux, Hardman, tel un karabau blessé, continuait ses efforts dans la boue. Kerans fit signe aux autres de rester tranquilles et s’avança vers Wilson, un jeune blond qui avait été autrefois sous les ordres de Hardman. Il se demandait ce qu’il allait lui dire et racla sa gorge nouée par l’anxiété.

Soudain, derrière eux, le crachotement en staccato d’un tuyau d’échappement coupa le silence de la scène. Kerans, à quelques pas derrière Wilson, hésita en voyant Riggs qui regardait l’hélicoptère d’un air contrarié. Croyant leur mission terminée, Daley avait mis le moteur en marche et les ailes tournaient lentement dans le ciel.

Interrompu dans son effort, Hardman embrassa du regard les hommes qui l’encerclaient, lâcha le catamaran et se jeta à plat ventre derrière l’appareil. Wilson se mit à longer le rivage en pataugeant d’un pas incertain dans la vase molle, sa carabine en travers de la poitrine. Il la baissa, dressée, à hauteur de sa taille et cria quelque chose à Kerans, mais sa voix fut couverte par le grondement en crescendo du moteur et les détonations et crachotements de l’échappement au-dessus de leurs têtes. Soudain Wilson vacilla et, avant même que Kerans puisse lui porter secours, Hardman, appuyé au catamaran, son gros colt 45 à la main, tira sur eux. Une flamme jaillit comme une flèche du canon de l’arme et traversa l’air, aveuglante ; Wilson poussa un cri bref, s’abattit sur sa carabine et roula par terre en étreignant son épaule ensanglantée ; la déflagration lui avait arraché son képi de la tête.

En voyant les autres commencer à battre en retraite et à remonter la pente, Hardman rengaina son revolver dans sa ceinture et s’enfuit le long du rivage vers les bâtiments qui s’enfonçaient dans la jungle à une centaine de mètres de là.

Poursuivis par le ronronnement de l’hélicoptère, Macready et Caldwell se mirent à courir après Hardman, tandis que Riggs et Kerans, soutenant Wilson blessé, trébuchaient dans les trous que laissaient les autres derrière eux. Au bord de la plaine marécageuse, une verte colline élevée se dressait, envahie par la forêt ; des arbres-fougères poussaient en terrasse d’où fleurissaient des lycopodes géants. Hardman s’engouffra sans hésiter dans une étroite ruelle entre deux vieux murs de pierres rondes et s’y enfonça, suivi à une vingtaine de mètres par Macready et Caldwell.

— Continuez, sergent ! hurla Riggs comme Macready s’arrêtait pour l’attendre. On va l’avoir ! Il commence à être fatigué. Mon Dieu, quelle pagaille ! confia-t-il à Kerans. (L’air découragé, il lui désigna du doigt l’énorme silhouette de Hardman qui bondissait à grandes enjambées.) Mais qu’est-ce qu’il lui prend ? J’ai drôlement envie de le laisser filer et se débrouiller tout seul !

Wilson avait suffisamment récupéré pour marcher sans aide, aussi Kerans le lâcha et se mit à courir.

— Ça va aller, Colonel, je vais essayer de lui parler : il reste une chance, et je peux l’avoir !

De la ruelle, ils débouchèrent sur un petit square où quelques sobres bâtiments municipaux datant du XIXe siècle se penchaient sur une fontaine ornementée. À part quelques orchidées sauvages et quelques rameaux de magnolias qui s’entrelaçaient autour des colonnes ioniques de pierre grise d’un vieux tribunal, une sorte de Parthénon en miniature au portique chargé de sculpture, le square avait parfaitement résisté aux assauts des cinquante dernières années. Le sol du premier étage était encore au-dessus du niveau des eaux environnantes. À côté du tribunal il y avait, outre la tour d’horloge sans cadran, un autre bâtiment à colonnades, une bibliothèque ou un musée ; les piliers blancs brillaient dans la lumière du soleil et faisaient penser à une rangée d’énormes os blanchis.

Il était près de midi, et le soleil remplissait cet antique forum d’une lumière crue et flamboyante. Hardman s’arrêta, eut un regard hésitant vers les hommes qui le suivaient, puis grimpa en trébuchant les marches du tribunal. Macready fit un signe à Kerans et Caldwell et rebroussa chemin. Il passa entre les statues du square et alla se cacher derrière la vasque de la fontaine.

— Docteur, c’est trop dangereux maintenant ! Il peut ne pas vous reconnaître. On va attendre que la chaleur monte : il ne peut partir d’ici ; Docteur…

Kerans l’ignora. Les deux avant-bras relevés au-dessus des yeux, il franchit lentement les dalles fendillées et posa un pied hésitant sur la première marche. Il entendit la respiration haletante de Hardman qui, caché dans la pénombre, pompait l’air étouffant dans ses poumons.

L’hélicoptère s’éleva lentement au-dessus de leurs têtes et le bruit fit trembler tout le square. Riggs et Wilson grimpèrent à toute vitesse les escaliers du musée et regardèrent l’appareil qui, sous l’action de son rotor, montait en une spirale qui diminuait progressivement. Le bruit et la chaleur faisaient battre les tempes de Kerans, comme s’il s’était fait rosser avec mille matraques, et des nuages de poussière virevoltaient autour de lui. L’hélicoptère se mit à descendre de façon abrupte, l’accélération du moteur se réduisit de plus en plus et il se laissa glisser dans le square, puis se redressa juste avant de toucher terre. Kerans l’esquiva en courant et alla se réfugier près de Macready derrière la fontaine, tandis que l’appareil tressautait au-dessus d’eux. En pivotant, le rotor cingla le portique du tribunal et l’engin, tel un marsouin, plongea lourdement pour atterrir sur les pavés ronds, dans une explosion d’éclats de marbre. L’hélice brisée de la queue tournait de façon grotesque. Daley, à moitié assommé par le choc de l’atterrissage, coupa le contact, et se redressa sur son siège de commande, tout en essayant sans succès de se débarrasser de ses sangles.

Restés bredouilles après cette seconde tentative, ils s’accroupirent à l’ombre du portique du musée en attendant que la chaleur de midi commence à baisser. Comme illuminés par d’immenses projecteurs, les bâtiments autour du square baignaient dans une lumière blanche comme sur une photo surexposée, évoquant à Kerans les colonnades d’un blanc de chaux d’une nécropole égyptienne. Le soleil était maintenant à son zénith et la lumière scintillait au-dessus du sol, reflétée par les dalles de pierre. De temps en temps, Kerans allait vers Wilson pour lui administrer quelques pilules calmantes de morphine et voyait les autres hommes qui continuaient à faire le guet, s’éventer lentement avec leurs képis.

Au bout de dix minutes, un peu après midi, il se remit à surveiller le square. On ne voyait plus aussi nettement les immeubles rendus éblouissants par l’éclat de la lumière de l’autre côté de la fontaine. Leurs contours, apparaissaient et disparaissaient dans l’air comme ceux d’une cité fantôme. Au centre du square, à côté de la vasque, se dressait une grande silhouette solitaire ; les pulsations de la chaleur, en diminuant, toutes les deux ou trois secondes et en inversant ainsi les perspectives normales, la grossissaient par intermittence. Le visage brûlé par le soleil et la barbe noire de Hardman étaient à présent aussi blancs que neige et ses vêtements maculés de boue reluisaient dans la lumière aveuglante comme des feuilles d’or.

Kerans se mit à genoux. Il s’attendait à ce que Macready se jette sur Hardman, mais le sergent, devant Riggs, était recroquevillé contre un pilier et fixait d’un regard morne l’étage d’en face, comme s’il dormait ou était envoûté.

Hardman s’éloigna un peu de la fontaine, traversa lentement le square, entrant et ressortant dans le jeu des rideaux de lumière. Il passa à cinq mètres environ de Kerans agenouillé derrière la colonne, une main posée sur l’épaule de Wilson pour essayer de calmer ses grognements sourds. En longeant l’hélicoptère, Hardman atteignit l’extrémité du tribunal et sortit du square, puis grimpa d’un pas ferme une pente étroite conduisant aux bancs de vase qui s’étalaient le long du rivage, à une centaine de mètres de là.

Comme s’il se savait responsable de cette fuite, le soleil commençait, peu à peu à diminuer d’intensité.

— Colonel Riggs !

Macready dégringola les marches, la main en écran sur les yeux pour se protéger de la lumière crue, sa Thompson pointée en direction des bancs de vase. Riggs le suivit, tête nue, ses minces épaules repliées sur elles-mêmes, fatigué et découragé.

Il retint Macready d’une main.

— Laissez-le aller, sergent. On ne l’aura plus, maintenant. De toute façon, ça ne doit pas être le bon moment…

Hardman s’était éloigné de deux cents mètres environ et continuait à marcher, plein de vigueur. Il ne semblait pas importuné par la chaleur infernale qui régnait. Il atteignit la première crête, en partie cachée dans d’énormes voiles de buée suspendus au milieu de la nappe bourbeuse et disparut petit à petit comme quelqu’un qui s’enfonce dans un épais brouillard. Les rives sans fin de cette mer enfermée dans les terres s’étalaient en face de lui, et leurs bords se confondaient dans le ciel incandescent de telle façon que Kerans croyait le voir marcher à travers des dunes de cendre chauffées à blanc et pénétrer dans la gueule même du soleil.

Il passa tranquillement les deux heures suivantes assis dans le musée, à attendre l’arrivée du canot, tout en écoutant les ronchonnements irrités de Riggs et les excuses boiteuses de Daley. Abruti par la chaleur, il essaya de dormir mais de temps en temps la détonation d’un coup de carabine secouait son cerveau meurtri comme s’il recevait un coup de botte sur la tête. Attiré par les bruits de l’hélicoptère, un groupe d’iguanes s’était approché et les reptiles longeaient maintenant les bords du square et allaient braire devant les hommes jusque sur les marches du musée. Leurs cris perçants et discordants emplissaient Kerans d’une peur latente qui persistait encore après l’arrivée du canot et pendant leur voyage de retour à la base. Assis dans la fraîcheur relative, à l’ombre de la protection de treillis, il entendait encore les braillements rauques tandis que les berges vertes de la rivière glissaient de chaque côté d’eux.

Arrivé à la base, il installa Wilson à l’infirmerie et sortit à la recherche du docteur Bodkin. Il lui raconta les événements de la matinée, sans omettre les cris des iguanes. Bodkin se contenta de hocher la tête énigmatiquement comme pour lui-même et remarqua :

— Faites attention, Robert, il se peut que vous les entendiez encore.

Il ne fit aucun commentaire sur la fuite de Hardman.

Son catamaran étant toujours amarré en pleine lagune, Kerans décida de passer la nuit dans sa cabine à la station d’essais. Il resta tranquille pendant tout l’après-midi dans sa couchette, en proie à une légère fièvre, tout en pensant à Hardman et à son étrange odyssée vers le sud, aux bancs de sable baignés par la lumière dorée du soleil à son zénith, qui semblait menacer et inviter tout à la fois, comme les rivages perdus mais éternellement prometteurs et inaccessibles d’un paradis amniotique.

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