II


M. Van Damme

Les journaux de Brême se contentèrent d’annoncer en quelques lignes qu’un Français, nommé Louis Jeunet, mécanicien, s’était suicidé dans un hôtel de la ville et que la misère semblait être le motif de son geste.

Mais, à l’heure où paraissaient ces lignes, le lendemain matin, l’information n’était déjà plus exacte. En feuilletant le passeport, en effet, Maigret avait été frappé par une particularité.

A la sixième page, réservée au signalement, où figurent en colonne les mentions âge, taille, cheveux, front, sourcils, etc., le mot front précédait le mot cheveux au lieu de lui succéder.

Or, six mois plus tôt, la Sûreté de Paris avait découvert à Saint-Ouen une véritable usine de faux passeports, livrets militaires, cartes d’étrangers et autres papiers officiels. On avait mis la main sur un certain nombre de ces documents. Mais les faussaires avaient eux-mêmes avoué que des centaines de pièces sortant de leurs presses étaient en circulation depuis plusieurs années, et que, faute de comptabilité, Ils étaient incapables de fournir la liste de leurs clients.

Le passeport prouvait que Louis Jeunet était un de ceux-ci et que, par conséquent, il ne s’appelait pas Louis Jeunet.

Par le fait, la seule base à peu près solide de l’enquête se dérobait. L’homme qui s’était tué cette nuit-là n’était plus qu’un inconnu !


Il était neuf heures quand le commissaire, à qui les autorités avaient donné toutes les autorisations désirables, arriva à la morgue, où, dès l’ouverture des portes, le public serait admis à circuler.

C’est en vain qu’il chercha un coin sombre pour y prendre une faction dont, il est vrai, il n’attendait pas grand-chose. La morgue était moderne, comme la plus grande partie de la ville et comme tous les édifices publics.

Et c’était plus sinistre encore que l’antique morgue du quai de l’Horloge, à Paris. Plus sinistre à cause, précisément, de la netteté des lignes et des plans, du blanc uniforme des murs qui reflétaient une lumière crue, des appareils frigorifiques astiqués comme dans une centrale électrique.

Cela faisait penser à une usine modèle, une usine dont la matière première serait des corps humains !

Le faux Louis Jeunet était là, moins défiguré qu’on eût pu s’y attendre, car des spécialistes avaient en quelque sorte reconstitué son visage.

Il y avait aussi une jeune femme, un noyé péché dans le port.

Le gardien, luisant de santé, sanglé dans un uniforme sans un grain de poussière, avait l’air d’un gardien de musée.

En une heure, contre toute attente, il défila une trentaine de personnes. Et, comme une femme demandait à voir un corps qui n’était pas exposé dans la salle, on entendit des sonneries électriques, des chiffres lancés par téléphone.

Dans un local du premier étage, un des casiers d’une vaste armoire occupant tout un mur glissa, se posa sur un monte-charge et, quelques instants plus tard, une boîte d’acier émergeait au rez-de-chaussée comme, dans certaines bibliothèques, les livres arrivent à la salle de lecture.

C’était le corps demandé ! La femme se pencha, sanglota, fut emmenée vers un bureau du fond, où une jeune secrétaire prit note de sa déclaration.

Peu de gens s’intéressaient à Louis Jeunet. Pourtant, vers dix heures, un homme vêtu avec recherche, qui descendait d’une auto particulière, pénétra dans la salle, chercha des yeux le suicidé et l’examina avec attention.

Maigret n’était qu’à quelques pas. Il s’approcha et, en détaillant le visiteur, eut l’impression qu’il n’avait pas affaire à un Allemand.

Dès qu’il vit bouger le commissaire, d’ailleurs, l’homme tressaillit, manifesta de la gêne, dut avoir à l’égard de Maigret la même pensée que celui-ci avait eue à son sujet.

— Vous êtes Français ? questionna-t-il le premier.

— Oui. Vous aussi ?

— C’est-à-dire que je suis Belge… Mais je vis à Brême depuis quelques années…

— Et vous connaissiez un nommé Jeunet ?…

— Non !… Je… J’ai lu ce matin dans le journal qu’un Français s’était suicidé à Brême… J’ai habité longtemps Paris… J’ai eu la curiosité de venir jeter un coup d’œil…

Maigret était d’un calme pesant, comme il l’était toujours dans ces moments-là. Et même, son visage prenait alors une expression si têtue, si peu subtile qu’il avait quelque chose de bovin.

— Vous appartenez à la police ?…

— Oui ! A la Police judiciaire…

— Et vous avez fait le voyage tout exprès ?… Qu’est-ce que je dis ?… Ce n’est pas possible, puisque le suicide a eu lieu cette nuit !… Vous connaissez des compatriotes, à Brême ?… Non ? Dans ce cas, si je puis vous être utile à quelque chose… Voulez-vous accepter l’apéritif ?…

Un peu plus tard, Maigret le suivait, prenait place dans la voiture que son compagnon conduisait lui-même.

Et celui-ci parlait d’abondance. C’était le type même de l’homme d’affaires jovial, remuant. Il semblait connaître tout le monde, saluait des passants, désignait des immeubles, expliquait :

— Ici, le Norddeutscher Lloyd… Vous avez entendu parler du nouveau paquebot qu’ils ont lancé ?… Ce sont mes clients…

Il montra un building dont presque toutes les fenêtres portaient des enseignes différentes.

— Au quatrième, à gauche, vous apercevez mon bureau…

On lisait sur les vitres, en lettres de porcelaine : Joseph Van Damme, commission, importation, exportation.

— Croiriez-vous que je reste parfois un mois sans avoir l’occasion de parler français ? Mes employés et même ma secrétaire sont Allemands… Les affaires l’exigent…

Il eût été difficile de lire une pensée quelconque sur le visage de Maigret, dont la dernière des qualités semblait bien être la subtilité. Il approuvait. Il admirait ce qu’on lui demandait d’admirer, y compris la voiture dont Van Damme lui vantait la suspension brevetée.

Il pénétra avec lui dans une grande brasserie regorgeant d’hommes d’affaires qui parlaient fort, tandis qu’un orchestre viennois jouait inlassablement et que s’entrechoquaient les chopes de bière.

— Vous n’imaginez pas le nombre de millions représentés par cette clientèle !… s’extasiait Van Damme. Tenez !… Vous ne comprenez pas l’allemand ?… Notre voisin est en train de vendre une cargaison de laine qui vogue en ce moment entre l’Australie et l’Europe… Il a trente ou quarante bateaux sur l’eau… Je pourrais vous en montrer d’autres… Qu’est-ce que vous buvez ?… Je vous recommande la Pilsen…

» A propos…

Maigret ne sourit même pas de la transition.

— A propos, qu’est-ce que vous pensez de ce suicide ?… Un indigent, comme le prétendent les journaux d’ici ?…

— C’est possible…

— Vous faites une enquête à son sujet ?…

— Non ! Cela regarde la police allemande… Et, comme le suicide est établi…

— Evidemment !… Remarquez que, si cela me frappe, c’est seulement parce qu’il s’agit d’un Français… Car il en vient si peu dans le Nord !…

Il se leva pour aller serrer la main d’un homme qui sortait, revint, affairé.

— Vous m’excuserez !… Le directeur d’une grosse compagnie d’assurances… Il vaut une centaine de millions… Mais écoutez donc, commissaire… Il est près de midi… Vous accepterez bien de déjeuner avec moi…

» Je ne puis que vous inviter au restaurant, car je suis célibataire… Vous ne mangerez pas comme à Paris… J’essaierai pourtant que vous ne déjeuniez pas trop mal…

» C’est dit, n’est-ce pas ?…

Il appela le garçon, paya. Et, pour tirer son portefeuille de sa poche, il eut un geste que Maigret avait vu souvent aux hommes d’affaires de son espèce qui prennent l’apéritif aux environs de la Bourse, un geste inimitable, une façon de se renverser en arrière en bombant la poitrine, en rentrant le menton, et d’ouvrir avec une négligence satisfaite cette chose sacrée, cette gaine de cuir matelassée de billets.

— Allons !…


Il ne lâcha le commissaire que vers cinq heures, après l’avoir entraîné dans son bureau, où il y avait trois employés et une dactylographe.

Encore avait-il fait promettre à Maigret que, s’il ne quittait pas Brême le jour même, ils passeraient la soirée ensemble dans un cabaret fameux.

Le policier se retrouva dans la foule, seul avec des pensées qui étaient loin d’être au point. Etaient-ce même des pensées à proprement parler ?

Il rapprochait en esprit deux silhouettes, deux hommes, et il essayait d’établir un rapport entre eux.

Car il y en avait un ! Van Damme ne s’était pas dérangé pour aller se pencher à la morgue sur le cadavre d’un inconnu. Et le plaisir de parler français ne l’avait pas seul poussé à inviter Maigret à déjeuner.

D’ailleurs, il n’avait pris peu à peu sa vraie personnalité qu’à mesure que le commissaire lui paraissait plus indifférent à l’affaire – et peut-être plus bête !

Le matin, il était inquiet. Son sourire manquait de spontanéité.

Quand le policier l’avait quitté, au contraire, c’était bien le petit brasseur d’affaires qui va, qui vient, qui s’agite, qui parle, s’extasie, se frotte aux grosses personnalités financières, conduit son auto, téléphone, jette des ordres à sa dactylo et offre des dîners fins, content et fier d’être lui.

De l’autre côté, un vagabond anémique, aux vêtements usés, aux semelles trouées, qui avait acheté des petits pains aux saucisses sans prévoir qu’il ne les mangerait pas !

Van Damme devait avoir trouvé un autre compagnon pour l’apéritif du soir, dans une même atmosphère de musique viennoise et de bière.

A six heures, un casier métallique roulerait sans bruit, se refermerait sur le corps nu du faux Jeunet, et le monte-charge l’acheminerait vers la glacière dont il occuperait jusqu’au lendemain un compartiment numéroté.

Maigret se dirigeait vers la Polizei Praesidium. Des agents, le torse nu malgré la saison, faisaient de la gymnastique dans une cour entourée de murs d’un rouge cru.

Au laboratoire, un jeune homme aux yeux rêveurs l’attendait près d’une table où tous les objets ayant appartenu au mort étaient rangés, ornés d’étiquettes.

Il parlait un français correct, appliqué, mettait son orgueil à trouver le mot juste.

Il commença par le complet grisâtre que Jeunet portait au moment du suicide, expliqua que les doublures avaient été décousues, toutes les coutures examinées et qu’on n’avait rien découvert.

— Le costume sort de la Belle-Jardinière à Paris. Le tissu comporte cinquante pour cent de coton. C’est donc un vêtement bon marché. On a relevé des taches de graisse, entre autres de graisse minérale qui semble indiquer que l’homme a travaillé ou s’est trouvé fréquemment dans une usine, un atelier ou un garage. Son linge ne porte aucune marque. Les chaussures ont été achetées à Reims. Même observation que pour le costume : qualité vulgaire, fabrication en grande série. Les chaussettes sont des chaussettes en coton comme les camelots en vendent à quatre ou cinq francs la paire. Elles sont trouées, mais n’ont jamais été ravaudées.

» Tous ces vêtements ont été enfermés dans un sac de fort papier, secoués, et la poussière recueillie soumise à l’analyse.

» On a obtenu ainsi confirmation de la provenance des taches de graisse. En effet, le tissu est imprégné d’une fine poudre métallique qu’on ne trouve que dans les effets des ajusteurs, tourneurs et en général de ceux qui travaillent dans les ateliers de construction mécanique.

» Ces indices sont absents des vêtements que j’appellerai les vêtements B et qui n’ont pas été portés depuis plusieurs années, six ans au minimum.

» Autre différence : dans les poches du costume A, on trouve des débris de tabac de la régie française, que vous appelez du tabac gris.

» Dans les poches B, au contraire, il reste un peu de poussière de tabac jaune imitant le tabac égyptien.

» Mais j’en arrive au point le plus important. Les taches relevées sur le costume B ne sont plus des taches de graisse. Ce sont d’anciennes taches de sang humain, probablement de sang artériel.

» Le tissu n’a pas été lavé depuis des années. L’homme qui portait ce vêtement a dû être littéralement inondé de sang. Enfin, des déchirures pourraient faire supposer qu’il y a eu lutte, car, à divers endroits, aux revers entre autres, la trame est arrachée comme si des ongles s’y étaient incrustés.

» Ces vêtements B portent une marque : celle de Roger Morcel, tailleur, rue Haute-Sauvenière, à Liège.

» Quant au revolver, il est d’un modèle qu’on ne fabrique plus depuis deux ans.

» Si vous voulez me laisser votre adresse, je vous enverrai une copie du rapport que je dois établir pour mes chefs.


A huit heures du soir, Maigret en avait fini avec les formalités. La police allemande lui avait remis les vêtements du mort ainsi que ceux de la valise, que l’expert appelait les vêtements B. Et il avait été décidé que, jusqu’à nouvel avis, le corps serait gardé à la disposition des autorités françaises au frigorifique de la morgue.

Maigret avait pris copie de la fiche de Joseph Van Damme, né à Liège, de parents flamands, voyageur de commerce, puis directeur d’une maison de commission qui portait son nom.

Il avait trente-deux ans. Il était célibataire. Il n’y avait que trois ans qu’il était installé à Brême, où, après des débuts difficiles, il semblait faire de bonnes affaires.

Le commissaire rentra dans sa chambre d’hôtel, y resta longtemps assis au bord du lit, les deux valises de fibre posées devant lui.

Il avait ouvert la porte de communication avec la pièce voisine, où tout était resté dans le même état que la veille. Et il fut frappé par le peu de désordre que le drame avait laissé. Au mur, sous une fleur rose de la tapisserie, une toute petite tache brune : la seule tache de sang. Sur la table, les deux pains aux saucisses toujours enveloppés de papier. Une mouche y était posée.

Le matin, Maigret avait envoyé à Paris deux photographies du mort, en priant la PJ de les faire publier par le plus grand nombre de journaux possible.

Est-ce là qu’il fallait chercher ? A Paris où, du moins, le policier possédait une adresse : celle à laquelle Jeunet s’envoyait, de Bruxelles, trente billets de mille francs.

Fallait-il chercher à Liège, où le vêtement B avait été acheté quelques années auparavant ? A Reims, d’où provenaient les souliers du mort ? A Bruxelles, où Jeunet avait fait un paquet des trente mille francs ? A Brême, où il était mort et où un certain Joseph Van Damme était venu jeter un coup d’œil sur son cadavre, tout en se défendant de le connaître ?

L’hôtelier se présenta, fit un long discours en allemand, et le commissaire crut comprendre qu’on lui demandait si la chambre du drame pouvait être remise en état et louée.

Il émit un grognement affirmatif, se lava les mains, paya et s’en fut avec ses deux valises qui tranchaient, de par leur médiocrité flagrante, avec sa silhouette confortable.

Il n’avait pas plus de raisons de prendre son enquête par un bout que par l’autre. Et, s’il se décida pour Paris, ce fut surtout parce que cette atmosphère violemment étrangère, en le choquant à chaque instant dans ses habitudes et dans sa mentalité, finissait par produire sur lui un effet déprimant.

Il n’était pas jusqu’au tabac jaunâtre et trop léger qui ne lui enlevât l’envie de fumer.

Dans le rapide, il dormit, s’éveilla à la frontière belge alors que le jour se levait, traversa Liège une demi-heure plus tard et laissa errer par la portière un regard mou.

Le train ne restait en gare que trente minutes, si bien que Maigret n’avait pas le temps de se rendre rue Haute-Sauvenière.

A deux heures de l’après-midi, il débarquait à la Gare du Nord, fonçait dans la foule parisienne, et son premier soin était de s’arrêter au bureau de tabac.

Il dut chercher un instant de la monnaie française dans ses poches. On le bouscula. Les deux valises étaient posées à ses pieds. Quand il voulut les reprendre, il n’en trouva plus qu’une, regarda en vain autour de lui, se rendit compte qu’il ne servirait de rien d’alerter les agents.

Un détail, d’ailleurs, le rassura. La valise qu’on lui avait laissée portait une petite ficelle avec deux clés nouée à la poignée. C’était celle qui contenait les vêtements.

Le voleur avait emporté la valise aux vieux journaux.

Etait-ce un simple voleur, comme il en rôde dans les gares ? N’était-il pas étrange, dans ce cas, qu’il eût choisi un sac de si piteux aspect ?

Maigret prit place dans un taxi, savourant à la fois sa pipe et le grouillement familier de la rue. A un kiosque, il aperçut une photographie, en première page d’un journal, et reconnut de loin le portrait de Louis Jeunet, expédié de Brême.

Il faillit passer chez lui, boulevard Richard-Lenoir, pour se changer et embrasser sa femme, mais l’incident de la gare le rendait soucieux.

— Si c’est vraiment aux vêtements B qu’on en voulait, comment, à Paris, a-t-on pu être averti que je les transportais et que j’arriverais à telle heure exactement ?

Autour de la silhouette maigre du visage blême du vagabond de Neuschanz et de Brême, on eût dit que des mystères multiples venaient s’agglutiner. Des ombres s’agitaient, comme sur la plaque photographique qu’on plonge dans le révélateur.

Et il faudrait les préciser, éclairer les visages, mettre un nom sur chacun, reconstituer des mentalités, des existences entières.

Pour le moment, il n’y avait, au milieu de la plaque, qu’un corps dévêtu, une tête que les médecins allemands avaient tripatouillée pour lui rendre son aspect normal et que découpait une lumière crue.

Les ombres ?… Un homme d’abord qui, dans Paris, au même instant, se sauvait avec la valise… Un autre qui, de Brême ou d’ailleurs, l’avait renseigné… Peut-être le jovial Joseph Van Damme ?… Peut-être pas !… Et encore le personnage qui, des années plus tôt, avait porté le complet B… Et celui qui, dans la lutte, l’avait arrosé de son sang…

Celui aussi qui avait procuré au faux Jeunet les trente mille francs, ou à qui cet argent avait été volé !…

Il y avait du soleil, du monde aux terrasses des cafés que réchauffaient des braseros. Des chauffeurs s’interpellaient. Des grappes humaines assaillaient les autobus et les tramways.

Parmi toute cette foule en mouvement, et la foule de Brême, de Bruxelles, de Reims, d’ailleurs encore, il faudrait cueillir deux, trois, quatre, cinq individus…

Peut-être plus ?… Peut-être moins ?…

Maigret regarda avec tendresse la façade austère de la Préfecture, traversa la cour, sa petite valise à la main, salua le garçon de bureau, par son prénom.

— Tu as reçu mon télégramme ?… Tu as fait du feu ?…

— Et il y a une dame qui est ici pour le portrait !… Voilà deux heures qu’elle attend au parloir…

Maigret ne prit pas la peine de retirer son manteau et son chapeau. Il ne posa même pas sa valise.

La salle d’attente, au bout du couloir où s’alignent les bureaux des commissaires, est une pièce vitrée, meublée de quelques chaises de velours vert, avec, sur le seul mur de maçonnerie, la liste des policiers tués en service commandé.

Sur une des chaises, une femme était assise, encore jeune, vêtue avec cette correction des humbles qui révèle les longues heures de couture sous la lampe et les arrangements de fortune.

Sur un manteau de drap noir, elle portait un col de fourrure très étroit. Ses mains, gantées de fil gris, tenaient un sac qui, comme la valise de Maigret, était en imitation de cuir.

Le commissaire ne fut-il pas frappé par une ressemblance confuse entre elle et le mort ?

Non pas une ressemblance de traits ! Mais une ressemblance d’expression, de classe, si l’on peut dire.

Elle aussi avait ces prunelles grises, ces paupières fatiguées de ceux que le courage a abandonnés. Les narines étaient pincées, le teint trop mat.

Elle attendait depuis deux heures et elle n’avait certainement pas osé changer de place, ni même bouger. A travers les vitres, elle regarda Maigret sans espérer que ce fût enfin lui qu’elle devait voir.

Il ouvrit la porte.

— Si vous voulez me suivre dans mon bureau, madame…

Elle parut étonnée qu’il la fît passer devant lui, resta un instant comme désemparée au milieu de la pièce. En même temps que son sac, elle tenait à la main un journal froissé qui laissait voir la moitié de la photographie.

— On me dit que vous connaissez l’homme dont…

Mais il n’avait pas fini de parler qu’elle se cachait le visage dans les mains, se mordait les lèvres et, dans un sanglot qu’elle essaya en vain d’étouffer, gémit :

— C’est mon mari, monsieur…

Alors, par contenance, il alla chercher un lourd fauteuil qu’il roula vers elle.

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