Le Petit Poucet

La maîtresse nous a expliqué que le directeur de l’école allait partir, il prenait sa retraite. Pour fêter ça, on prépare des choses terribles, à l’école, on va faire comme pour la distribution des prix : les papas et les mamans viendront, on mettra des chaises dans la grande classe, des fauteuils pour le directeur et les professeurs, des guirlandes et une estrade pour faire la représentation. Les comiques, comme d’habitude, ça va être nous, les élèves.

Chaque classe prépare quelque chose. Les grands vont faire la gymnastique, ils se mettent tous les uns sur les autres et celui qui est le plus haut, il agite un petit drapeau et tout le monde applaudit. Ils ont fait ça, l’année dernière, pour la distribution des prix et c’était très chouette, même si à la fin ça a un peu raté pour le drapeau, parce qu’ils sont tombés avant de l’agiter. La classe au-dessus de la nôtre va danser. Ils seront tous habillés en paysans, avec des sabots, ils se mettront en rond, taperont sur l’estrade avec les sabots, mais au lieu d’agiter un drapeau, ils agiteront des mouchoirs en criant « youp-là ! » Eux aussi, ils ont fait ça l’année dernière, c’était moins bien que la gymnastique, mais ils ne sont pas tombés. Il y a une classe qui va chanter Frère Jacques et un ancien élève qui va réciter un compliment et nous dire que c’est parce que le directeur lui a donné de bons conseils qu’il est devenu un homme et secrétaire à la mairie.

Nous, ça va être formidable ! La maîtresse nous a dit que nous allions jouer une pièce ! Une pièce comme dans les théâtres et dans la télévision de Clotaire, parce que papa n’a pas voulu encore en acheter une.

La pièce s’appelle Le Petit Poucet et le Chat Botté, et aujourd’hui, en classe, nous faisons la première répétition, la maîtresse doit nous dire quels rôles on va jouer. Geoffroy, à tout hasard, est venu habillé en cow-boy, son papa est très riche et il lui achète des tas de choses, mais la maîtresse n’a pas tellement aimé le déguisement de Geoffroy. « Je t’ai déjà prévenu, Geoffroy, elle lui a dit, que je n’aime pas te voir venir à l’école déguisé. D’ailleurs, il n’y a pas de cow-boys dans cette pièce. – Pas de cow-boys ? a demandé Geoffroy, et vous appelez ça une pièce ? Ça va être rien moche ! » et la maîtresse l’a mis au piquet.

L’histoire de la pièce est très compliquée et je n’ai pas très bien compris quand la maîtresse nous l’a racontée. Je sais qu’il y a le Petit Poucet qui cherche ses frères et il rencontre le Chat Botté et il y a le marquis de Carabas et un ogre qui veut manger les frères du Petit Poucet et le Chat Botté aide le Petit Poucet et l’ogre est vaincu et il devient gentil et je crois qu’à la fin il ne mange pas les frères du Petit Poucet et tout le monde est content et ils mangent autre chose.

« Voyons, a dit la maîtresse, qui va jouer le rôle du Petit Poucet ? – Moi, mademoiselle, a dit Agnan. C’est le rôle principal et je suis le premier de la classe ! » C’est vrai qu’Agnan est le premier de la classe, c’est aussi le chouchou et un mauvais camarade qui pleure tout le temps et qui porte des lunettes et on ne peut pas lui taper dessus à cause d’elles. « T’as une tête à jouer le Petit Poucet, comme moi à faire de la dentelle ! » a dit Eudes, un copain, et Agnan s’est mis à pleurer et la maîtresse a mis Eudes au piquet, à côté de Geoffroy.

« Il me faut un ogre, maintenant, a dit la maîtresse, un ogre qui a envie de manger le Petit Poucet ! » Moi, j’ai proposé que l’ogre soit Alceste, parce qu’il est très gros et il mange tout le temps. Mais Alceste n’était pas d’accord, il a regardé Agnan et il a dit : « Je ne mange pas de ça, moi ! » C’est la première fois que je lui vois l’air dégoûté, à Alceste, c’est vrai que l’idée de manger Agnan, ce n’est pas tellement appétissant. Agnan s’est vexé qu’on ne veuille pas le manger. « Si tu ne retires pas ce que tu as dit, a crié Agnan, je me plaindrai à mes parents et je te ferai renvoyer de l’école ! – Silence ! a crié la maîtresse. Alceste, tu feras la foule des villageois et puis aussi, tu seras le souffleur, pour aider tes camarades pendant la représentation. » L’idée de souffler aux copains, comme quand ils sont au tableau, ça l’a amusé, Alceste, il a pris un biscuit dans sa poche, se l’est mis dans la bouche et il a dit : « D’ac ! – En voilà une façon de s’exprimer, a crié la maîtresse, veux-tu parler correctement ! – D’ac, mademoiselle », a corrigé Alceste et la maîtresse a poussé un gros soupir, elle a l’air fatiguée, ces jours-ci.

Pour le Chat Botté, la maîtresse avait d’abord choisi Maixent. Elle lui avait dit qu’il aurait un beau costume, une épée, des moustaches et une queue. Maixent était d’accord pour le beau costume, les moustaches et surtout l’épée, mais il ne voulait rien savoir pour la queue. « J’aurai l’air d’un singe », il a dit. « Ben quoi, a dit Joachim, tu seras naturel ! » et Maixent lui a donné un coup de pied, Joachim lui a rendu une gifle, la maîtresse les a mis tous les deux au piquet et elle m’a dit que le Chat Botté ce serait moi et que si ça ne me plaisait pas c’était le même prix, parce qu’elle commençait a en avoir assez de cette bande de garnements et elle plaignait beaucoup nos parents d’avoir à nous élever et que si ça continuait comme ça on finirait au bagne et elle plaignait les gardiens.

Après avoir choisi Rufus pour faire l’ogre et Clotaire le marquis de Carabas, la maîtresse nous a donné des feuilles écrites à la machine, où il y avait ce que nous avions à dire. La maîtresse a vu qu’il y avait des tas d’acteurs au piquet, alors, elle leur a dit de revenir pour aider Alceste à faire la foule des villageois. Alceste n’était pas content, il voulait faire la foule tout seul, mais la maîtresse lui a dit de se taire. « Bon, a dit la maîtresse, on va commencer, lisez bien vos rôles. Agnan, voilà ce que tu vas faire : tu arrives ici, tu es désespéré, c’est la forêt, tu cherches tes frères et tu te trouves devant Nicolas, le Chat Botté. Vous autres, la foule, vous dites, tous ensemble : mais, c’est le Petit Poucet et le Chat Botté ! Allons-y. »

Nous nous sommes mis devant le tableau noir. Moi, j’avais une règle à ma ceinture pour faire semblant que c’était l’épée et Agnan a commencé à lire son rôle. « Mes frères, il a dit, où sont mes pauvres frères ! – Mes frères, a crié Alceste, où sont mes pauvres frères ! – Mais enfin, Alceste, que fais-tu ? » a demandé la maîtresse. « Ben quoi, a répondu Alceste, je suis le souffleur, alors, je souffle ! – Mademoiselle, a dit Agnan, quand Alceste souffle, il m’envoie des miettes de biscuit sur mes lunettes et je n’y vois plus rien ! Je me plaindrai à mes parents ! » Et Agnan a enlevé ses lunettes pour les essuyer, alors, Alceste en a vite profité et il lui a donné une gifle. « Sur le nez ! a crié Eudes, tape sur le nez ! » Agnan s’est mis à crier et à pleurer. Il a dit qu’il était malheureux et qu’on voulait le tuer et il s’est roulé par terre. Maixent, Joachim et Geoffroy ont commencé à faire la foule : « Mais c’est le Petit Poucet, ils disaient, et le Chat Botté ! » Moi je me battais avec Rufus. J’avais la règle et lui un plumier. La répétition marchait drôlement bien, quand tout d’un coup, la maîtresse a crié « Assez ! A vos places ! Vous ne jouerez pas cette pièce pendant la fête. Je ne veux pas que monsieur le Directeur voie ça ! » Nous sommes tous restés la bouche ouverte.

C’était la première fois que nous entendions la maîtresse punir le directeur !


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